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J. Claretie : Kadja (1885)
CLARETIE, Jules (1840-1913) : Kadja (1885).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (06.VIII.2009)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (Coll. part.) du  Nouveau Décaméron. Cinquième journée, publié à Paris par E. Dentu en 1885.
 
Kadja
par
Jules Claretie

~*~

I

TOUS les ans, depuis qu’il était grand garçon, Pierre Pomério, fermier de Plérin, près de Saint-Brieuc, allait à Jersey faire la moisson et gagner les shillings de ces Anglo-normands qui ont besoin de bras étrangers pour couper leurs blés et les rentrer en grange. En deux semaines, Pierre Pomério gagnait là plus qu’en trois mois au pays, et la mère au fond d’un vieux bas glissait les piécettes qu’on cachait derrière les tas de linge, dans le tiroir du grand lit-armoire.

Ce Pierre allait maintenant sur ses vingt et un ans ; découplé comme un lutteur de foire, avec des poings à assommer un boeuf et des yeux tout bleus, doux comme ceux d’une fille. Drôle de garçon. Sa mère, qui n’avait que lui, étant veuve, le trouvait parfois, dans un coin du logis, le nez dans les almanachs, avec ses cheveux noirs, droits comme des baguettes, qui traînaient sur les pages. Pierre Pomério, avec sa large poitrine d’Hercule, était timide, timide comme un kloarek. Avec cela, aimant les histoires, passant des nuits entières quelquefois sur la lande avec un vieux rebouteux qui lui contait les anciens contes, et si bien, que Pomério, le soir, avait peur en voyant les torsions des saules, ou, sur les marais, les bouffées de feu qui filent, filent comme des étoiles qui danseraient.

Peur ! Allons donc ! Pierre Pomério n’avait peur de rien. Il se remplissait la tête seulement de choses impossibles, des contes où les fées souriaient, demi-nues, avec des cheveux d’or dénoués, au fond des sources claires ou dans les houles des falaises, et des récits où des gars qui n’avaient que leur bissac et leur faux rencontraient dans les genêts fleuris ou accroupies près des ajoncs, des princesses en haillons qui fuyaient des enchanteurs mauvais, des chevaliers féroces, et épousaient des paysans lorsque les paysans assommaient les persécuteurs. Ça arrivait dans les contes de nuit du rebouteux, ça ; mais Pierre Pomério savait bien que ça n’arrivait jamais dans le pays, jamais, quoiqu’on racontât, de temps en temps, l’histoire aussi étonnante d’une espèce de rôdeuse de Plouha, très laide, qui avait, à Paris, épousé un prince russe. Une fille qu’on avait vue traîner sa jupe trouée sur tous les chemins ! C’était peut-être une fée, après tout. On ne sait pas.

II

Il se moquait bien des fées, du reste, et des contes du rebouteux et de tout, pour le moment. Pierre Pomério quittait Jersey avec deux cent douze francs dans sa poche et un beau couteau en acier anglais de Sheffield, à quatre lames, acheté chez un coutelier de King-Street. Un couteau superbe, bon pour abattre un arbre ou saigner un boeuf. Et, avec son couteau, Pomério emportait des aiguilles anglaises pour la mère et un coeur garni d’argent, en granit de Jersey, rose et noir, qu’il donnerait à quelque jolie fille. Car, il voulait se marier, pour se marier, sans avoir un amour en tête, et n’ayant choisi personne encore parmi les filles de Saint-Brieuc, les Briochines, de belles créatures qui le regardaient droit dans ses yeux clairs comme pour lui dire : « Qu’est-ce qu’on fait donc de sa jeunesse, quand on est bâti comme toi, Pierre Pomério ? »

Et tandis que les matelots hissaient aux mâts les voiles qui claquaient dans le vent, le garçon, étendu sur le pont du bateau où l’on enfournait, encaquait comme des harengs des gars aux larges chapeaux et des femmes en coiffes blanches, des pays comme lui qui s’en retournaient à Portrieux, à l’île de Bréhat ou à Paimpol, une fois faite la moisson jersiaise, Pomério se disait machinalement, pour tuer le temps en attendant qu’on levât l’ancre et qu’on laissât loin Saint-Hélier, le fort Élisabeth et l’île normande :

- A qui que je le donnerai, ce coeur de pierre garni d’argent ? C’est ça qui sera joli, tout brillant, avec ces six lettres : Jersey, dansant sur la poitrine blanche d’une belle fille !

Alors il les passait toutes en revue, celles du pays : Anne Plouharn, de Plérin, qui riait si bien avec des dents de petit chien dans ses joues bonnes à mordre comme des pommes ; et Marie Bernen, qui bénicassait la morue, à Binic, les bras nus, blancs comme le lait de ses vaches ; et la grande Gicquel, qui s’amusait à faire boire de l’eau au bout de ses cheveux noirs dénoués en se penchant à peine en arrière, sa poitrine faisant alors craquer son casaquin de toile. Coquette ! Et la petite Houat, qu’il aurait cassée comme un joujou entre ses doigts, mais qui se moquait de lui si drôlement, la mâtine, qu’il avait envie de l’empoigner par ses cheveux blonds et de lui planter un gros baiser sur ses lèvres tordues de moqueries. Toutes jolies, quand il y pensait !

C’est à quelqu’une d’elles, certainement, qu’il donnerait le coeur de granit de Jersey, à l’une ou à l’autre : – la mère Pomério choisirait sa belle-fille, car, lui, Pierre, s’il fallait choisir, c’est la princesse de la Fleur du Rocher ou la fille des fées, ou la fée de la Houle des contes du rebouteux Yan qu’il demanderait, et ces princesses-là, ça ne se trouve que là-haut, dans les étoiles !

Le bateau partait et, dans la nuit qui, peu à peu, tombait sur la mer, Pierre Pomério, pris par un demi-sommeil, un rond de cordages pour oreiller, rêvait à demi qu’il offrait à la fée du Pertus d’Enfer son beau cadeau payé trois shillings dans le bazar de Saint-Hélier.

III

On n’était pas encore arrivé aux Minquiers, ces récifs qui ont crevé, depuis des siècles, tant de carcasses de navires, que le vent se levait et que le bateau dansait comme un bouchon au bout des vagues. La mer grossissait, grossissait. Pierre Pomério apercevait, au loin, des montagnes d’écume et, en se brisant avec des bruits de coup de canon, les paquets de mer couvraient d’eau le pont et le vent sifflait dans les cordages. On ne pouvait aborder à Binic. Le bateau, où, cette nuit-là, par la bourrasque, il y eut quelque chose de cassé, fut obligé d’aller chercher refuge à Saint-Malo et il y arriva par un vent terrible.

Bon ! On ne repartirait que dans vingt-quatre heures. Le temps de réparer, Pomério ne savait quelles avaries. Après tout, voir les Malouins, ce n’était pas désagréable.

- Saint Malo vaut bien Jersey ! songeait le Breton.

Il avait donc jusqu’au lendemain pour repartir, et, voguant au hasard, dépaysé dans la vieille ville aux maisons hautes, il se promenait – le soir – attendant l’heure de rentrer au café de Dol, dans la petite rue des Écouffes, toute noire, où un Malouin lui avait dit qu’on pouvait loger. Après l’affreuse nuit précédente, le ciel était plein d’étoiles. La mer, au loin, semblait endormie, épuisée par sa fureur. Pierre Pomério allait, venait, regardant le rond lumineux que faisait, dans l’air, le cadran d’horloge de la cathédrale dans la haute flèche à jour. Il entendait aussi les bruits des tambours et des clairons sonnant la retraite par les rues étroites, et toute cette ville noire semblait maintenant assoupie ; quand il marchait, Pierre n’entendait plus que le bruit de ses propres talons sur les pavés.

Il passa sous une porte où, dans la voûte, une niche creusée laissait voir une grande madone blanche, entourée de bougies qui brûlaient derrière un vitrail. Pierre salua. Il arrivait sur les quais, et, de loin, des lumières dansaient autour d’une sorte de grande baraque d’où sortait une musique bizarre qui l’attirait.

Des gens se pressaient, se poussaient pour mieux voir devant la baraque, faite de planches et de toiles et qui montrait, éclairée au schiste, un fronton peint en rouge où Pomério lisait : Concert algérien des sultanes. Des matelots du port, des pêcheurs de la ville, des paysannes en collerettes empesées contemplaient d’en bas, bouche bée, un petit homme maigre, noir comme un charbon et coiffé d’un fez rouge, qui, l’accent singulier, la voix aigre, criait : Entrez ! entrez ! à tout ce monde et promettait des surprises, des danses d’odalisques, des chansons de harem. – « Le paradis de Mahomet au rabais », disaient des baigneurs de Paris qui, gaiement, comme à la fête de Saint-Cloud, entraient là, dédaignant la Mascotte qu’on donnait au Casino, là-bas, derrière la statue de Chateaubriand.

Et la voix, le patois semi-italien, semi-levantin, du petit homme jetait dans la nuit des appels de trompette qui intriguaient le gars breton :

- Venez, venez voir la belle Kadoudja, Kadja, la fille de l’émir de Biskra, la plus jolie fille de l’Algérie, qui aura l’honneur de danser devant la très honorable société la danse des almées de Tanger et des Kabiles du désert.

Il ne savait pas, Pierre Pomério, il ne savait guère ce qu’était un émir, et le boniment de l’impresario lui faisait l’effet du baragouin qu’il entendait, deux jours auparavant, dans King-Street. Mais ces noms lui plaisaient, bruissaient doucement, sonnaient bien à son oreille : Kadja, Biskra, l’émir, le désert ! Il sentait s’éveiller en lui des curiosités, comme devant les livres et les contes du vieux Yan.

- Entre ! entrez ! Suivez le monde !

Pierre entra, fendant un flot de gens et, derrière la porte de toile, une fois assis sur un banc qu’on lui désigna, regardait devant lui, ses yeux bleus agrandis. Il fut ébloui brusquement.

Il lui semblait qu’il entrait dans une de ces grottes où les fées s’assemblaient avec leurs beaux habits, dont les belles couleurs disparaissent quand on s’approche d’elles.

Là, sur un petit théâtre étroit, éclairé par des lampes puantes, deux femmes et un homme en costume d’Orient se tenaient immobiles, fixant sur le public leurs prunelles fatiguées. Public disparate où les paysans d’Ille-et-Vilaine coudoyaient les Parisiens en feutres mous et les boulevardiers en toilettes d’été.

Un musicien, coiffé d’un tarbouch, attendait, comme endormi devant un vieux piano, que la représentation commençât et, tandis que les spectateurs, chez qui l’on devinait des rires étouffés, des Parisiens gouailleurs regardaient les trois êtres accroupis sur des coussins de Karamanie et vêtus d’oripeaux de soie, eux restaient là sans bouger, las et écrasés dans une espèce de somnolence bestiale. Une des deux femmes, grosse, grasse, évasée dans ses étoffes algériennes, laissait tomber, comme des fanons, les peaux vides de son quadruple menton et promenait lentement d’un angle de la baraque à l’autre, ses grands yeux de ruminant. L’homme, un énorme nègre du Soudan, tout de blanc vêtu, riait d’un rire sans bruit en montrant de longues dents niaises dans le double ourlet de ses lèvres d’hippopotame. Et entre ces deux créatures, l’une avachie, l’autre farouche, comme écrasée entre l’amas de chair de la grosse femme au nez de vieille juive et le grand diable de moricaud aux canines blanches, – une jolie créature apparaissait, brune avec des yeux veloutés, des lèvres rouges et très peintes dans un visage tout pâle, et, sous une coiffure de soie lâche, des cheveux qui tombaient, luisants et lourds, sur le bout d’épaule qui sortait d’une veste jaune, échancrée par devant et laissant voir une poitrine un peu maigre, exquise et juvénile comme une poitrine de vierge.

Ah ! cette jolie fille, Kadja, parbleu, la fille de l’émir, Pierre Pomério l’avait aperçue tout de suite, en entrant, et il rivait ses yeux sur elle, des yeux fous, d’où les clartés des lampes faisaient partir des étincelles bleues. Il restait là, tête nue, a demi courbé, les mains sur les genoux, enveloppant cette belle créature de ce regard immobile qui luisait. Des pieds à la tête, de ces beaux cheveux noirs à ces petits pieds aux bas blancs chaussés de babouches rouges avec des paillettes d’or, le garçon mangeait des prunelles Kadja qui, dans la foule, semblait avoir remarqué ce grand beau gars et lentement avait tourné vers lui sa fine tête arabe, au rictus dédaigneux.

Elle était belle, belle, Kadja, belle comme les visions des rêves, belle comme la fée de Saint-Cast avec sa couronne de plantes marines sur la tête, et Pierre ne voyait qu’elle et se rappelait les contes du vieux Yan :

- Faut pas coudoyer les fées ! sont pas core (encore) apprivoisées !

IV

Le petit homme bistré qui, tout à l’heure, faisait les annonces en plein air entra dans la baraque et, de sa voix grinçante de cigale, annonça que la représentation allait commencer.

- Aïcha, mesdames et messieurs, Aïcha la noble Algérienne, vous dansera tout d’abord la danse de Tunis, le bel Ali la grande danse des Kabyles de Zaatcha et Mlle Kadja, la fille de l’émir, la danse des almées de Tanger !

Elle était si jolie, Kadja, que tous les regards étaient allés à elle, pendant que l’impresario parlait d’elle, et qu’on la regardait encore, tandis qu’au son fêlé du piano, soufflant comme un phoque, et se tordant avec des grâces d’éléphant, la « noble » Aïcha, après avoir gémi pour se mettre à debout, grognait une incantation gutturale et dodelinait de sa grosse tête vénérable d’une façon sinistre. Les baigneurs de Dinard ou de Paramé, entrés là, par hasard, riaient comme aux exhibitions des grues, dans les revues de fin d’année, et la vieille Aïcha laissait tomber sur ces gouailleurs sceptiques des éclairs qui voulaient être farouches de ses gros yeux éraillés qui avaient dû être beaux.

- Au bel Ali maintenant ! Allons, Ali, la danse des Kabyles !

Et la pauvre Aïcha retombait, comme un colis énorme, sur les coussins crevés. Le grand diable de nègre se tortillait, dans son vêtement blanc d’icoglan serré aux hanches par une ceinture de soie roulée en corde. Il coulait de ses prunelles brunes et de ses lèvres gercées des sourires vainqueurs aux dames qui se cachaient derrière leur éventail pour mieux rire, et l’on eût dit l’enseigne épouvantable d’un dentiste faisant des grâces sur le torse du nègre de la porte Saint-Denis.

Mais Pierre Pomério ne voyait rien, ni les torsions comiques du bel Ali, ni les joies railleuses des spectateurs, sur les bancs voisins, ni la mauvaise humeur de l’impresario et du pianiste sous ces ironies de boulevard ; il ne voyait que Kadja, la belle Kadja dont les doux yeux noirs ne le quittaient plus, et qui le regardait maintenant, fixement, avec un petit sourire tout drôle.

Le garçon sentait lui courir sur la peau des frissons quand elle souriait « comme ça ». Il avait, dans les oreilles, des tintements comme s’il eût encore entendu la mer. Il poussa presque un cri et laissa partir un Ah ! joyeux qui fit retourner deux ou trois voisins, lorsque Kadja, à son tour, quittant les coussins, se dressa là, devant lui, toute droite, mince et fine comme une rose trémière, avec ses beaux cheveux dénoués qu’elle secoua comme s’ils pesaient trop. Elle avait, à la main, un tambour de basque, et le tenant au-dessus de sa tête penchée, sa main droite allait le frapper de temps à autre, tandis que tout son corps se tordait comme sous des spasmes et que ses jolies lèvres vermeilles laissaient s’envoler un chant bizarre, monotone et lent comme un alanguissement d’amour ou comme une plainte, appel attristé ou romance attendrie, que le grand nègre et la vieille Aïcha soulignaient de leurs claquements de mains et de leurs cris aigus, pareils à des coups d’éperon : Kadja ! Kadja ! Aï ! Kadja !

Et, peu à peu, cet air plaintif entrant en lui comme une vrille, Pierre Pomério se sentait pris d’une tristesse violente, comme d’une envie de pleurer ou de se sauver ; il lui semblait que Kadja, qui le regardait toujours, toujours, avait dans les yeux des larmes et qu’elle disait, dans cette langue que le Gallot ne comprenait pas : – Oh ! qui viendra ? qui m’aimera ? qui me délivrera ? qui me sauvera ?

Kadja ! Kadja ! Aï ! Kadoudja !

V

Elle s’était arrêtée, applaudie, acclamée par tout ce monde, et, debout, souriante, essoufflée, les fines narines de son nez battant comme sa poitrine soulevée, elle saluait pour remercier, – remerciant surtout ce grand beau gars aux longs cheveux dont les yeux bleus ne quittaient pas la fille de l’émir.

Elle saluait, et comme ils eussent rendu le salut à une princesse, les bonnes gens en chapeaux ronds et en coiffes blanches s’inclinaient avec un respect confus, les petites Malouines contemplant les habits d’or de Kadja comme elles eussent regardé Monsieur le Préfet ; et Pierre Pomério saluait aussi, mais mettant, lui, une expression de dévouement fou et de désir dans son respect.

- Messieurs et dames, dit la voix grêle de l’impresario, mademoiselle Kadja va faire le tour de l’honorable société ! Ce sont là ses petits profits. N’oubliez pas la fille de l’émir de Biskra ! Mlle Kadja n’a pas toujours été obligée de danser en public. Votre générosité lui rappellera, espérons-le, le palais de monsieur son père !

De petits ricanements boulevardiers, à ce speech, débité d’un ton narquois. Un sourire même sur les lèvres rouges, très moqueuses, de Kadja. Pierre Pomério, au contraire, devenu pâle, ne songeait qu’à cela : Pauvre fille ! Elle n’avait pas toujours été contrainte à se donner en spectacle !

Elle était descendue de l’estrade et passait à travers les bancs, plus jolie de près que de loin, tendant son tambourin où les sous tombaient, sur la peau sonore, remerciant d’un merci gentil, rapide, caressant, dit en arabe, et, tout à coup, la voici devant Pomério, debout comme elle, blême, ses genoux frôlant les genoux de la belle fille, qui reste là une seconde, ses beaux yeux noirs sur les prunelles bleues de Pierre... Ah ! comme il avait des envies de la prendre entre ses bras et de l’arracher à cette baraque ! Il voyait ses petites oreilles roses comme des coquillages qu’il ramassait autrefois à Binic, et son nez et ses joues où un petit duvet fin brillait, et ses cheveux qui sentaient bon comme les foins coupés. Il restait là, sans dire un mot, presque tremblant. Cette fée-là ne ressemblait pas aux autres ; elle était plus jolie de près que de loin.

Elle se mit à rire, et, sans parler, agita son tambourin comme pour dire : Eh bien ! après ?

- C’est vrai ! Ils lui donnaient tous !

Pierre Pomério fouilla dans sa poche, au hasard, prenant les sous, les pièces blanches, – ce qu’il trouva, - et la poignée pleine, il laissa tout tomber sur la peau tendue... Un bruit de monnaie, cuivre et argent.

Kadja devint un peu rouge, sourit, regarda, fit : Oh !

Puis en français, avec un son de voix si doux, si bon, une voix d’enfant, un peu moqueuse :

- Ah bah ! Le coeur aussi ? dit-elle.

- Comment, le coeur ?

Pomério regarda. Il avait ramené, comme un gros poisson dans une pêche de chevrettes, le coeur de granit de Jersey, garni d’argent, dans la poignée de pièces, le coeur acheté pour il ne savait qui, Marie Bernen ou Anne Plouharn, Jeanne Houat ou Lilez Gicquel, et il l’avait laissé tomber dans le tambourin, sans savoir. Bah ! jamais ce coeur de Jersey ne serait mieux placé que sur cette poitrine toute blanche sur qui dansait là un collier de sequins, caché dans l’échancrure de la veste couleur vieil or.

- Oui, balbutia Pierre Pomério, les lèvres blanches, le coeur aussi.

Alors les yeux noirs de Kadja eurent un éclair coquet et un clignement singulier, qui enveloppa le beau visage du garçon, et la petite voix dit encore très caressante :

- Merci ! merci ! monsieur.

Kadja était déjà loin, tendant son tambourin à d’autres, et Pierre Pomério restait toujours là, debout, la suivant des yeux. Il était comme brûlé du regard de Kadja, grisé par le merci de Kadja. Et les bruits de sous dans le tambour lui faisaient dire :

- Vous pouvez bien donner ce que vous voudrez, moi j’ai donné mieux : j’ai donné le coeur du bazar de King-Street !

Et il ne croyait pas que ce fût trop, ce cadeau de prince, pour une fille d’émir qui n’avait pas toujours dansé pour amuser le monde.

VI

- C’est pour avoir l’honneur de vous remercier, messieurs et dames !

On partait, on allait éteindre. Tout le monde était déjà parti. Pierre Pomério demeurait là encore, regardant toujours Kadja, qui maintenant comptait ses sous et semblait l’avoir oublié. Elle lui jeta pourtant un dernier regard, dans un clin d’oeil, comme il sortait. Et lui, dehors, dans cette nuit criblée d’étoiles et où la lune pailletait de clartés les clapotis des bassins du port, se remettait à marcher droit devant lui, longeant les remparts et ne voyant rien que cette jolie fille brune qui se balançait, tout à l’heure, en tordant son corps devant lui.

Jamais il n’avait vu, jamais, une créature aussi jolie. Comme elle le regardait, un moment auparavant ! « Et le coeur aussi ! » Parbleu ! Les sous, le coeur, les lèvres, il lui aurait tout donné, tout jeté, à la belle Kadja ! Il avait bien fait de garder son beau couteau Sheffield, mais, tout de même, si elle l’avait voulu, il le lui aurait bien donné, le couteau, comme il avait donné le coeur de granit de Jersey. Et il l’entendait encore lui dire, si gentiment « Merci ! » Et il revoyait les beaux yeux noirs comme des mûres, et la poitrine blanche comme le linge des fées. Pas de doute, c’était une fée, cette Kadja. Une fée, oui, ou une princesse, une fée comme celles dont parlait Yan le rebouteux et qui parfois, ainsi que la fée de Créhen, épouse un monsieur ou, comme celle du rocher, se marie avec un soldat. Tout de même, épouser Kadja et vivre avec elle à Plérin, c’est ça, Bonne Dame, qui serait un paradis ! A quoi penses-tu, Pomério, est-ce que tu deviens bête, mon garçon ? La fille de l’émir ! Est-ce que tu as laissé ta cervelle dans la baraque ?

Ta cervelle ? Si c’est core tant la cervelle !...

Et le coeur aussi ?

Et il allait, il allait toujours tout droit, repassant sous la porte où les bougies brûlaient toujours des deux côtés de la Bonne Dame des marins qui, ma foi, ressemblait – Pierre se mit à la regarder – à la jolie danseuse, à la princesse Kadja. Il rentrait en ville, en ressortait, zigzaguant sans savoir et, comme mené par un sort, se retrouvant juste devant la baraque qui flambait tout à l’heure et qui maintenant semblait morte avec ses lampes éteintes. Plus de lumières, plus de musique. C’était triste maintenant comme les feux d’artifice de Saint-Brieuc, une fois le bouquet tiré !

Il n’y avait plus, à travers la toile, qu’une toute petite lumière qui brillait encore et faisait sur la tente verte, derrière la salle de spectacle, une espèce de tache d’huile. De là, aussi, partaient des voix, et Pomério s’approcha doucement pour entendre, car il avait bien reconnu, parmi elles, la jolie voix douce de Kadja.

Dire qu’elle était là, Kadja, derrière cette toile, et qu’en collant ses yeux bleus sur la toile, Pierre pourrait revoir la fille de l’émir ! Il essaya, ne dit rien, et resta planté, l’oreille tendue et son coeur lui sautant dans la poitrine comme une bête animée. Est-ce qu’il rêvait, le garçon ? Il venait d’entendre la voix de Kadja dire, en riant, à ce Maltais qui faisait le boniment tout à l’heure, devant la foule :

- C’est vrai qu’il était gentil tout de même, mon petit Breton, et si drôle, si drôle, quand il a laissé tomber son bijou dans le tambour de basque !

Était-ce possible ? C’était de lui, Pomério, qu’elle parlait ! Elle pensait à lui, comme il pensait à elle. Kadja ne l’avait pas oublié ! Et le Maltais, la voix d’abord grognonne, puis aigre, puis montée par la colère, de répliquer :

- Eh bien ! tu me feras le plaisir de l’oublier, ton Breton, et si tu t’amouses à coqueter ici, comme à Quimper, tu auras de mes nouvelles !

- Tu dis ?

- Que je vais te l’envoyer faire un tour dans le bassin du port, ton bijou de Jersey, si tu la fais au sentiment, je te préviens !

Le ton devenait rageur, avec ce mélange d’argot de faubourg et d’accent oriental, et le Levantin devait être là, debout devant Kadja, et la menacer certainement !

- Eh bien ! essaie de me le prendre ; je t’envoie mon verre à travers la figure !

C’était Kadja qui répliquait, et Pierre Pomério entendait, en même temps que des bruits de couteaux et de fourchettes sur des assiettes (ces gens soupaient) le rire grêle du gros nègre et le gloussement de l’énorme Aïcha qui soulignaient les ripostes de la dispute.

Né mé défie pas ! Né mé défie pas ! criait le Levantin.

Pomério devinait les gestes mêmes. L’homme au fez rouge se rapprochait de Kadja et tendait ses mains maigres vers le coeur de Jersey que lui montrait la belle fille, pour le braver. Tout à coup, un bruit de chair s’abattant sur la chair. L’homme devait avoir saisi Kadja par son bras blanc. Aïcha et Ali ricanaient toujours, indifférents.

Presque au ras de son crâne, Pomério sentit alors un choc sur la toile de la tente et quelque chose ensuite qui tomba, en se brisant, dans l’intérieur. C’était le verre de Kadja qu’elle venait de jeter, en le manquant, au front du Maltais. Mais l’homme devait l’avoir saisie et lui tordait la main ou le bras, car elle criait, se débattait et disait, s’exaltant par ses appels nerveux :

- Lâche-moi ! Veux-tu me lâcher ! Mais tu me fais mal. Vrai, je te dis que tu me fais mal ! Lâche que tu es ! Non, tu ne l’auras pas, le bijou, Non ! non ! non ! Mais venez donc à mon secours vous, espèces de brutes, vous voyez bien qu’il me tord le poignet !... Tu me fais mal ! Tu me fais mal ! Au secours !

Ah ! le sang de Pierre Pomério ne fit qu’un tour ; il entendit dans ses oreilles comme des cloches, et, sans savoir comment il s’y prit, à ce cri de Kadja : « Au secours ! » machinalement, de sa grande lame de Sheffield, il fendit d’un coup la toile verte et, l’écartant, sauta comme un fou dans la tente éventrée, le couteau à la main.

Le nègre accroupi s’était levé brusquement, et le Maltais, tenant toujours Kadja au poignet, se retournait vers le grand gars aux yeux bleus qui venait à lui, les cheveux ébouriffés, pâle comme la mort. Seule, la grosse Aïcha continuait à ronger un os de poulet, enfouie dans un coussin, devant des débris du repas rougis par le schiste.

L’impresario, devinant un danger, repoussa Kadja qui, un peu effarée, regardait pourtant Pomério avec un sourire, flattée de cette apparition, et Pierre, bondissant comme un fou, avait déjà saisi le Maltais par la cravate et le secouait, colère,

- Ah ça ! vous êtes ivre, mon garçon ! Ali !... Ali !...

Ali n’avait pas attendu que l’autre l’appelât. Il avait posé ses larges mains noires sur les épaules de Pomério et, par derrière, enfonçant son genou dans les reins du Breton, il essayait de le faire plier et de renverser le jeune homme. Mais le gars était robuste. Il repoussa le Maltais qui, jurant affreusement, alla rouler à terre, le front cogné à une malle ; et, se retournant vers Ali, Pierre le ceintura comme font les lutteurs et, le menton sur la poitrine du nègre qui, à présent, lui arrachait les cheveux, il lui faisait craquer les os, et ses muscles de fer s’enfonçaient dans la chair flasque du noir.

- Au secours ! criait encore Kadja.

La grosse Aïcha se reculait mollement, rongeant toujours son os, tandis que le Maltais, relevé, sautant comme un grillon, arrachait des doigts de Pomério le couteau de Sheffield que tenait le garçon.

VII

Ali renversé, le Breton se redressait un peu alors, maintenant sous son genou le grand nègre à demi étouffé, et il regardait le petit homme noiraud, écumant, avec des lèvres violacées, qui, du sang à la face, le menaçait avec son couteau.

- Mon couteau ou je t’étrangle ! dit le Breton.

Il laissa là le nègre, saisit au cou le Maltais et ne vit pas le brusque mouvement de l’homme. Il entendit seulement un cri aigu de Kadja et sentit en lui, à la poitrine, quelque chose de froid, avec l’impression d’un coup de poing reçu.

Il resta un moment debout ; il lui sembla que le Maltais, devenu presque vert, avait peur et se sauvait. Puis la main de Kadja toucha sa main, la voix de Kadja demanda : « Il vous a fait mal ? » Pomério voulut répondre : « Non. » Mais il sentait bien qu’on l’avait saigné ; il s’assit et, ouvrant sa veste, il vit que cela coulait. Par terre, le couteau de Sheffield, qui traînait, lui parut tout rouge.

Pomério ne souffrait pas ; seulement il étouffait. Il lui semblait que du sang coulait aussi, en dedans. Il ne se plaignait pas ; la figure brune de Kadja se rapprochait de lui. Il avait envie de lui dire : « Vous êtes belle... belle... » Mais la tente à présent était pleine de monde ; des matelots, des gens du port, puis, brusquement, tout ce monde s’écarta. C’était la police... La grosse Aïcha laissa tomber son os de poulet et se mit à geindre : « Ce n’est rien... Une simple batterie... Je n’ai rien vu, rien... Moi, je mangeais... »

Un monsieur décoré, le commissaire du port, sans doute, s’approcha de Pomério et dit :

- C’est le blessé ?

Derrière lui, Pomério apercevait le Maltais qui, blême, encore tremblant, expliquait à tous qu’il ne savait pas comment cela s’était fait... « Un malheur, monsieur le commissaire, un malheur ! »

- Faites évacuer la tente !

 Et quand il se retrouva presque seul avec Kadja, le nègre, le Maltais et deux ou trois hommes, dont l’un, assis sur les tapis d’Algérie, écrivait à mesure que le commissaire interrogeait, Pierre Pomerio se sentit de plus en plus faible, mais pas triste, – non – au contraire, jeté vivant, lui semblait-il, dans quelqu’une de ces belles histoires que Yan, le vieux Yan, lui contait si bien, là-bas, sous le ciel clair, dans la lande infinie...

Kadja, la fille de l’émir ! Elle se penchait vers lui, comme la fée de la houle vers le petit Nic, et doucement lui répétait :

- Souffrez-vous beaucoup ?

- Non, pas beaucoup... Ce n’est rien !

- Comment vous appelez-vous ? demanda le commissaire à Pomério.

- Pierre Pomério, cultivateur, né en 1862, à Plérin, Côtes-du-Nord...

A la lueur de la lampe, le greffier écrivait, très vite.

- Et vous ? Vos noms et prénoms ? dit le commissaire à Kadja.

Elle répondit, tout naturellement :

- Marie Potard !

- Votre âge ?

- Dix-neuf ans !

- Née ?

- A Vaugirard...

- Pas d’autre état que celui-ci ?

- Pardon. J’étais giletière. C’est monsieur (elle désignait le Maltais) qui m’a dit, comme ça, de me faire artiste.

Le blessé avait tressailli, voulant se lever, abêti.

Alors Kadja, ce n’était pas son nom, Kadja ? Et son histoire, et sa danse, et ses sourires et tout, c’étaient donc des menteries ? Les grands yeux devenus hagards de Pierre Pomério se fixaient sur la belle fille avec une expression navrée et, pendant qu’il balbutiait très bas des mots bizarres : « Fille de l’émir... Biskra... Marie Potard... », des larmes grossissaient devant ses prunelles bleues et le faisaient plus souffrir que son sang même qui coulait.

Marie Potard !...

Il ferma les yeux, ne voulut rien voir. Il répétait, comme dans le délire :

- Faut pas core les voir de près !

On le porta à l’hôpital. Comme les brancardiers soulevaient la civière où on l’avait posé, la jolie fille vint vers lui et lui dit, la voix brusque, mais étranglée d’émotion, en lui tendant le coeur de granit de Jersey :

- Je ne veux pas garder ça... C’est la cause de tout !

- Au contraire, dit le Breton doucement, gardez ! Je crois bien que je n’aurai pas le temps de le donner à une autre !

VIII

La veuve Pomério, de Plérin, près de Saint-Brieuc, lut quelques jours après dans le Petit Journal, à travers ses lunettes, les six ou sept lignes que voici :

« Il y a eu hier, à la nuit, une rixe, suivie de coups de couteau, dans la baraque dite le Concert des Sultanes, à Saint-Malo. Un nommé X..., cultivateur, a reçu une blessure mortelle de Tito Bonnafé, Marseillais ou Maltais, directeur de l’établissement. Transporté à l’hôpital, X... est mort quelques heures après. Tito Bonnafé est en état d’arrestation, ainsi que la fille Potard, cause de la rixe. Mais il est probable que l’affaire se terminera par une ordonnance de non-lieu, Tito ayant agi, comme il le dit, dans le cas de légitime défense. »

Et la veuve Pomério ne s’est pas doutée qu’il s’agissait de son fils, de son beau grand gars, de Pierre, parti, le mois dernier, pour faire la moisson à Jersey, et qu’elle attend, gourmande de l’embrasser... comme les vieilles qui n’ont plus au monde que les baisers de leurs petits.

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