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Thomas-Simon Gueullette : La confiance des cocus GUEULLETTE, Thomas-Simon (1683-1766): La confiance des cocus.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (30.VII.1998)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 7216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56.
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi d'après l'édition Rouveyre du Théâtre des Boulevards (Paris, 1881.- 2 vol.) réimpression avec notice par Georges d'Heyli de l'éd. de 1756.

La confiance des cocus
par
Thomas-SimonGueullette

~~~~

PARADE

acteurs
Cassandre. Isabelle. Cassecroute. Picotin. Gilles.

SCENE PREMIERE
GILLES seul.

PARDIENNE, je suis tombé cheux un bon maître, ou plutôt cheux une bonne maîtresse ; car Mamselle z'Isabelle porte les culottes : il est vrai qu'elle n'en use pas pour une paire, mais que m'importe à moi ? Monsieur Cassandre, son bon homme de mari, z'est plus que content. Elle est généreuse, elle m'a donné avant hier une vieille écritoire, l'autre jour un vieux chauffe-pied pour mettre mes sabots, hier un peigne, et aujourd'hui six paires de ses vieux souliers, du pain d'épice, un sifflet de bouys, une cuillere de bois, et plus de trente chansons nouvelles du Pont-Neuf, et j'ai toujours ma soupe toute pleine de choux. Pardienne tout cela z'est bien joli, et pourquoi faire ? Pour dire à Monsieur le Chanoine que Mamselle n'y est pas quand elle est avec Monsieur Liandre ; pour dire à Monsieur Liandre qu'elle est sortie quand Monsieur le Chanoine est dedans, et puis pour ne rien dire de tout cela à Monsieur Cassandre. Oh Dame ! cela n'est pas bien difficile, ça ne me fatigue pas beaucoup, aussi je suis plus gras que notre défunt cochon. Mais notre Demoiselle m'a dit de tout écouter, et de lui tout dire. Voilà deux parens de notre vieux maître ; écoutons sans faire semblant de rien leur conversation.

 

SCENE II.
CASSECROUTE, PICOTIN, GILLES caché

PICOTIN, bredouillant.
En vérité, Monsieur Cassecroute, je n'y puis plus tenir.

CASSECROUTE.
Comment donc ? Qu'est-ce que c'est donc que vous avez ?

PICOTIN.
Et je viens pour avertir Monsieur Cassandre qu'il est un sot, et qu'il se laisse mener par le nez par sa femme.

CASSECROUTE.
Dame, c'est peut-être qu'elle ne peut pas le mener par autre chose ; je viens aussi lui parler sur sa coeffure.

PICOTIN.
Vous voulez sans doute lui parler de Monsieur Liandre.

CASSECROUTE.
Oh que nenni : je viens l'avertir que Monsieur le Chanoine est son aide-de-camp.

PICOTIN.
Oui-da, voyez-vous, nous ne sommes que deux, et j'en connoissons deux.

CASSECROUTE.
Si j'étions quatre, vous verriez, j'en connoîtrions quatre.

PICOTIN.
Mais sçavez-vous qu'il faut mettre ordre à ça, et que nous n'avons jamais eu de Cocus dans notre famille.

CASSECROUTE.
Pour moi je suis bien résolu de l'avertir de tout ce qui se passe.

PICOTIN.
Mais comme ceci t'est un conseil de famille, et qu'il ne faut rien faire à la légère, allons boire chopine ici près chez le cousin du coin.

CASSECROUTE.
J'y consens, ça nous donnera toujours du courage ; il faudroit y mener le cousin Cassandre, car on dit qu'un verre de vin avise son homme.

PICOTIN.
Oh, mordié ! il ne boit donc que de l'eau, car il n'est guéres avisé.

 

SCENE III.
ISABELLE, GILLES.

GILLES.
PARDIENNE, venez donc vite notre Demoiselle.

ISABELLE.
Quoi donc ? Qu'y a-t-il de si pressé ? Est-ce que le feu est à la chiminée ?

GILLES.
Non.

ISABELLE.
Est-ce que le vin s'enfuit ?

GILLES.
Oh que nenni.

ISABELLE.
Mais dis donc si tu veux, car tu m'impatientes.

GILLES.
Vous connoissez bien Monsieur chose ?

ISABELLE.
Qui ?

GILLES.
Et là, Monsieur chose, le chose, parent de votre chose.

ISABELLE.
Hé, mon Dieu ! que de choses.

GILLES.
Monsieur Picotin.

ISABELLE.
Qui le Savetier ?

GILLES.
Oui lui-même. Et Monsieur chose, Monsieur Cassecroute, le chose.

ISABELLE.
L'Ecureux de puits ?

GILLES.
Oui les cousins de votre chose.

ISABELLE.
Allons après, les cousins de mon mari ?

GILLES.
Hé bien ils savont tout.

ISABELLE.
Comment tout ?

GILLES.
Oui. L'un a parlé du Chanoine, l'autre de Monsieur chose, de Monsieur Liandre.

ISABELLE.
Ils n'ont parlé que de Liandre et du Chanoine ?

GILLES.
Est-ce qu'il n'y en a pas t'assez ?

ISABELLE.
Ce n'est pas ça, quoique ça pourroit bien être. Mais les as-tu bien entendus ?

GILLES.
Comment il est vrai que vous l'avez fait.

ISABELLE.
Hé bien que disoient-ils encore ?

GILLES.
Dame, ils voulont avertir Monsieur Cassandre que vous le menez par le nez, ne pouvant le mener par ailleurs, qu'ils n'ont jamais eu de choses dans leur famille ; enfin finale sur cela, ils sont allez boire chopine.

ISABELLE.
Est-ce là tout z'encore une fois ?

GILLES.
Est-ce que n'en vla pas t'assez ? Hé bien qu'allez-vous faire ?

ISABELLE.
Moi ! Je m'en vas le dire à Monsieur Cassandre.

GILLES.
Pardienne prenez garde à vous, il ne faut pas parler de chose dans la maison d'un chose.

ISABELLE.

Ne vois-tu pas que quand je l'aurai instruit, ils ne lui apprendront rien.

GILLES.
Cela z'est encore vrai.

ISABELLE.
Mais je te suis bien obligée. Va-t'en boire un reste de bouteille que tu trouveras dans l'armoire, et que je gardois pour mon souper.

GILLES.
Pardienne, j'y vais. Il y a toujours quelque chose à gagner avec les femmes.

ISABELLE.
Va-t'en, te dis-je, car voilà Monsieur Cassandre qui vient par ici, et je lui veux parler.

GILLES.
Ce n'est pas là le bon chose.

 

SCENE IV.
CASSANDRE, ISABELLE.

CASSANDRE.
Bonjour ma pouponne ; qu'avez-vous donc ? Vous me paroissez toute triste.

ISABELLE.
Je n'ai rien.

CASSANDRE.
Vous me pardonnerez, mignonne, la mélancolie vous afflige ; avez-vous quelque chose de caché pour votre petit mari ?

ISABELLE.
Je crains que vous n'ayez pas assez d'amitié pour moi.

CASSANDRE.
Mon Dieu je n'ai de bonheur bien heureux que depuis nos épousailles.

ISABELLE.
Vous sçavez si l'on peut z'être plus contente que moi, depuis que l'hymenée nous réunit.

CASSANDRE.
Cela z'est vrai, ma charmante, mais pourquoi donc me paroissez-vous t'en inquiétude ?

ISABELLE.
C'est qu'il y a des mâtins dans le monde qui voulont nous brouiller.

CASSANDRE.
Qui sont-ils ces chiens-là, ces Infidèles, ces Turcs ?

ISABELLE.
Oh ! je ne veux pas vous les nommer.

CASSANDRE.
Nommez, nommez toujours, mon adorable.

ISABELLE.
Non ferai, car je ne veux pas vous fâcher.

CASSANDRE.
Hé bien je ne fâcherai pas.

ISABELLE.
Vous leur direz peut-être, et puis je vous aurois brouillé avec vos parens, et puis l'on se gourme, l'on se chamaille, et l'on s'en prend à sa femme que l'on traite de causeuse.

CASSANDRE.
Hé bien, foi de Cassandre, je ne ferai rien de tout ça.

ISABELLE.
Hé bien, car je ne puis rien avoir de secret pour mon cher z'époux, hé bien donc, Monsieur Picotin et Monsieur Cassecroute sont fâchés que je le porte plus beau que leurs femmes, car vous voyez toujours comme je suis mise ; ils ont dit à par t'eux, comment ferons-nous pour lui faire tort ? Il faut la brouiller avec son mari, ont-ils dit tous deux.

CASSANDRE.
Hé bien ?

ISABELLE.
Hé bien se font-ils, il faut dire à Monsieur Cassandre que sa femme l'a rendu sot ; voyez, mon cher mari, si je n'ai pas raison d'avoir le visage triste.

CASSANDRE.
Ah les méchans ! attaquer ainsi l 'honneur d'une femme si pleine de modestie et d'honnêteté.

ISABELLE.
Hélas vous sçavez comme je me comporte ; il est bien dur de se refuser tout comme je le fais, et d'être traitée de vergogne.

CASSANDRE.
Hé, la, la, consolez-vous, mon incomparable, je vous connois si bien.

ISABELLE.
Non, je n'en puis rien faire, ce n'est pas encore tout, ils ne s'en sont pas tenus là.

CASSANDRE.
Quoi donc ! Qu'ont-ils fait ?

ISABELLE.
Ils avons dit que ce n'est pas tout que de dire comme ça ; il faut nommer queuxques-uns.

CASSANDRE.
Hé bien qu'ont-ils nommé ?

ISABELLE.
Il faut chercher, se font-ils entr'eux, ceux qui habitent le plus chez elle ; le Chanoine par exemple.

CASSANDRE.
Ah, ah, le Chanoine ! Ils sont ma foi bien avisés.

ISABELLE.
Vous sçavez s'il sçait troubler l'eau qu'il boit ; de plus sans vous je ne le connoîtrois pas, c'est vous qui l'avez mené à la maison.

CASSANDRE.
Cela est tout vrai, mais puisqu'ils le prennent par-là, si je ne l'avois pas amené, j'irois le chercher tout-à-l'heure, et j'y vas.

ISABELLE.
Non, il n'est pas nécessaire, mon cher époux, et je ne veux plus le voir.

CASSANDRE.
Parbleu vous le verrez, c'est la joie de notre maison, il est tout-à-fait jovial.

ISABELLE.
Il faut bien qu'une honnête femme obéisse à son mari.

CASSANDRE.
Sans doute, pardi, voilà de droles de gens ; et qu'ont-ils dit encore ?

ISABELLE.
Il en faut encore un, avons-t-ils continué, afin de les brouiller plus fort. Nommons, avont-ils dit, Monsieur Liandre.

CASSANDRE.
Ah ! celui-là n'est pas mauvais, le meilleur de tous mes amis. Mais sçais-tu bien, ma mignonne, que si je ne te voyois pas triste, je rirois comme un fou, car ça est trop plaisant, Monsieur Liandre. Hé bien ?

ISABELLE.
Voilà ce qu'ils ont arrêté de vous dire, et qu'ils vous ont peut-être déjà dit.

CASSANDRE.
Non fait, ma foi. Mais qu'ils y viennent, ils verront beau jeu. Va, si ce n'est que ça qui t'afflige...

ISABELLE.
Mais qu'est-ce qu'une femme a de plus cher que son cher honneur ? Sçavez-vous bien que j'aimerois mieux l'avoir fait, et qu'on ne le dit point ?

CASSANDRE.
Allez, ma mignonne, consolez-vous. Je suis le plus avantagé mari par la fortune qui m'a donné une femme si sage. Donne-moi, Isabelle, un petit baiser d'amour.

ISABELLE.
Tenez. Mais je les vois venir ces méchans dont je vous parle. Je rentre, car leurs regards me suffoquent.

CASSANDRE.
Vous faites bien, ma mignonne, je vais bientôt vous retrouver.

 

SCENE V.
CASSANDRE, CASSECROUTE, PICOTIN.

CASSECROUTE nazillant.
Bon jour notre bon parent Cassandre.

CASSECROUTE.
Bon jour, bon jour, Monsieur Picotin.

PICTOIN bredouillant.
Nous étions gros de vous voir.

CASSANDRE.
Cette grossesse ne vous durera pas longtems.

CASSECROUTE.
Nous avons bien des choses à vous dire, car nous vous aimons beaucoup.

PICOTIN.
Nous n'avons bu rien que chopine chacun, pour vous le prouver plus promptement.

CASSANDRE.
Messieurs mes bons parens, je ne doute pas de vos bonnes intentions ; mais de quoi s'agit-il ?

PICOTIN.
Il s'agit de vous assurer que vous n'avez pas de meilleurs amis que nous deux.

CASSECROUTE.
Oui nous deux nous sommes vos bons parens.

CASSANDRE.
Enfin finale, de quoi s'agit-il ?

PICOTIN.
Nous n'avons rien de plus cher que l'honneur voyons-nous.

CASSANDRE.
Il faut qu'il soit bien cher, car il est bien rare, n'est-ce pas ?

CASSECROUTE.
Pour ça oui, et nous venons vous avertir de prendre garde au vôtre.

PICOTIN.
Oui, c'est ce qui nous amene.

CASSANDRE.
Voyons donc où il est mon honneur.

PICOTIN.
Il est mal placé.

CASSANDRE.
Cela n'est pas vrai, il est fort bien placé.

CASSECROUTE.
Puisque l'on ne peut pas se faire entendre, apprenez que vous êtes cocu.

CASSANDRE.
Cela est bientôt dit.

PICOTIN.
Et tout aussitôt fait.

CASSANDRE.
Enfin je suis donc cocu. Comment cela je vous prie, et par où ?

CASSECROUTE.
Par où ! Pardi celui-là est bon, demandez-le à votre charmante z'Isabelle.

CASSANDRE.
Je voulois demander par qui, et la langue m'a fourché.

PICOTIN.
Je voudrois qu'il n'y eut que cela qui fourchât chez vous, car enfin je ne sommes pas accoutumés à ça dans la famille.

CASSANDRE.
Mais pour vous mettre à votre aise, Messieurs mes bons parens et amis, je m'en vas vous le dire moi. Un certain Chanoine, un certain Monsieur Liandre.

PICOTIN.
Vous y voilà.

CASSECROUTE.
Vous pensez juste.

CASSANDRE.
Oui vous croyez cela ?

PICOTIN.
Nous n'en doutons point.

CASSECROUTE.
Je venons exprès pour vous le dire.

CASSANDRE.
Eh bien le Chanoine est ma consolation, et Monsieur LIANDRE est mon bon ami.

PICOTIN.
Elle ne diroit pas mieux au moins, vela comme elle parle.

CASSANDRE.
Non, Dieu me damne, je parle au nom de Monsieur Cassandre ; mais comme mes bons amis ne sont pas ici, je vais vous entretenir pour eux, et je les prierai d'en faire autant. (Il prend un bâton et les chasse)

 

SCENE VI.
CASSANDRE seul.

Les voilà donc partis ces insolens, ces méchans, qui veulent faire tort à un honneur comme celui-là d'Isabelle. Hola Gilles.

 

SCENE VII.
CASSANDRE, GILLES.

GILLES.
Monsieur.

CASSANDRE.
Appelles un peu ma charmante z'Isabelle, et puis va-t'en prier mes amis le Chanoine et Monsieur Liandre, de me faire la consolation et le plaisir de souper ce soir avec moi.

GILLES.
Vous n'avez que l'ordinaire pour eux, n'est pas deux grands gigots avec une grande entrée ?

CASSANDRE.
Non, je n'ai que ça, mais ils s'en accommodent assez souvent.

GILLES.
J'y vais. Taye notre maîtresse, voilà nôte maître qui vous le demande.

 

SCENE DERNIERE.
CASSANDRE, ISABELLE, GILLES.

ISABELLE.
Que voulez-vous, mon cher époux ?

CASSANDRE.
Vous conter comment j'ai épousseté ces bons coquins de parens.

ISABELLE.
N'en prenez pas la peine, j'ai tout vu par le trou de l'évier.

CASSANDRE.
N'êtes-vous pas contente de moi ?

ISABELLE.
Je suis charmée de la douceur, et de l'assurance de mon cher époux.

CASSANDRE.
Sans doute, j'ai peut-être la femme de Paris la plus sage et la plus réservée.

ISABELLE.
Comptez, mon cher époux, que je la serai toujours de même.

CASSANDRE.
Allons tout préparer pour recevoir nos amis. Messieurs, croyez-moi, faites-en tout autant ce soir cheux vous.


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