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Miguel de Cervantes y Saavedra - Don Quijote de la Mancha - Ebook:
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M. de Montifaud : Les Délices de l'Esprit-Saint et la Bassinoire (1881)
MONTIFAUD, Marie-Amélie Chartroule Mme Quivogne de Montifaud, pseud Marc de (1849-1912) : Les Délices de l'Esprit-Saint et la Bassinoire (1881).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (20.02.01)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55.- Fax : 02.31.48.66.56
E-mail : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Nouvelle extraite du volume 1 des Nouvelles drolatiques. Texte établi sur l'exemplaire d'une coll. privée.
 
Les Délices de l'Esprit-Saint et la Bassinoire
par
Marc de Montifaud

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MA CHÈRE MIGNONNE,

DEPUIS que j'ai quitté le couvent, il s'est passé tant de choses, que tu excuseras mon long silence ; et je conviens qu'il est de nature à étonner une charmante amie comme toi. Mais qu'y a-t-il de surprenant à cela ? Prête à revêtir bientôt le voile des novices, je me vois tout à coup quittant la communauté, par ordre supérieur, pour faire l'épreuve de vie mondaine, imposée à toute religieuse avant de prononcer des voeux irrévocables.

Au moment de partir avec mes cousines, Louise et Juliette, j'allai dire adieu à notre supérieure, qui me retint quelques instants.

- Vous êtes absolument décidée, ma fille, me demanda-t-elle, à ne rien livrer de votre personne à la convoitise des hommes, ces ennemis de la sainteté du célibat ?

- Certes ! ma mère !

- Vous vous rappelez que, dans vos paroles, vous ne devez prononcer le nom d'aucune partie de votre corps dans la crainte de commettre une impureté ?

- Parfaitement ! ma mère ! Et, de plus, je sais par coeur de quelles dénominations nous devons nous servir, nous les épouses du Christ, pour ne pas dire : mes bras, mon cou, mon ventre, mes jambes et tout le reste, afin de ne pas pécher même en paroles.

- Voyons un peu, ma fille, si votre mémoire est aussi fidèle que vous me l'assurez.

- C'est fort simple, ma mère : cette partie de notre buste qui commence à pousser, et qui doit rester emprisonnée dans notre guimpe de novice, se nomme «les délices du Saint-Esprit».

- Très-bien, mon enfant ! Et cette autre sur laquelle on s'assied ?

- ... Attendez donc un peu... Ah ! j'y suis. C'est «la bassinoire».

- Et celle qui lui est opposée... tout à fait ?

- Pour celle-là, ma mère, je crois qu'elle s'appelle... «l'intransigeant», parce qu'en effet c'est cet endroit, surtout, qui ne doit jamais pactiser avec... Ah ! ma foi, je ne sais plus avec quoi, par exemple !

- Peu importe, ma fille, peu importe. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il ne doit jamais exister pour «l'intransigeant» aucune... entente possible, aucune concession à accorder. Enfin, mon enfant, je souhaite que cette vertu d'intransigeance remplisse votre personne entière de sécurité ; car, voyez-vous, deux secondes, oui, deux secondes suffiraient pour vous l'enlever.

- Vous me faites frémir, ma mère. Mais ma cousine Louise et ma cousine Juliette, qui m'accompagnent, est-ce que leurs intransigeants, à elles, courent le même danger que le mien ?

- Absolument.

- Alors, je vais les avertir.

- C'est inutile, se hâta de me répondre notre supérieure, je m'en suis chargée. Au revoir, mon enfant ! Ainsi n'oubliez pas que «les délices du Saint-Esprit» ne doivent jamais attirer les regards des hommes. C'est le vrai secret de protéger... tout le reste.

Là-dessus, Louise et Juliette entrèrent. Notre mère nous donna sa bénédiction, et la voiture nous emporta, ainsi que soeur Perpétue qui nous accompagnait.

Arrivée ici, ce fut encore une autre affaire. Croirais-tu que ma tante voulait absolument échancrer mon corsage et découvrir «les délices du Saint-Esprit» ? Tu dois te figurer ma stupéfaction. Malheureusement mes supplications ont été inutiles. Il avait été convenu qu'on nous rendait au monde pour les épreuves à subir, force nous fut donc, hélas ! de livrer aux regards impudiques ce que notre vénérable supérieure nous avait si nettement enjoint de dissimuler.

Je descendis au salon les larmes aux yeux. Il me parut que Louise et Juliette n'étaient point si torturées que moi. Elles riaient, causaient même, sans s'apercevoir que leur corsage dévoilait des choses à épouvanter. On les pria de chanter et de valser, et elles s'exécutèrent très-gracieusement.

Le souper arriva. Non, te dire ce que j'ai vu de femmes étalant superbement ce que je m'efforçais de faire disparaître dans mon corsage est impossible. Quand on pense qu'elles profanaient ainsi d'une façon cynique ce qui n'a été créé que pour être becqueté par la colombe céleste ! Quand on pense que mon cousin, qui a, je crois, vingt-cinq ans, était si près, si près de la grosse présidente Jonzac, qu'il aurait pu poser son assiette dessus s'il avait voulu ! J'étais outrée. On ressentait une chaleur telle que, ne pouvant supporter de rester à table, j'allai un instant dans le fumoir, sûre qu'on ne m'y dérangerait pas. Croirais-tu qu'au moment où je déboutonnais le dernier bouton et où je commençais à m'éventer, la fenêtre ouverte, mon cousin Jacques entra en chantonnant, et, me voyant croiser mes deux mains sur ma poitrine, s'écria en se moquant :

- Bah ! ma cousine, tout ce que l'on cache ne vaudrait certainement pas la peine d'être servi sur un plat d'argent.

L'insolent ! Je ne pouvais cependant pas lui prouver que c'était précisément parce que ça en valait la peine, que je le gardais pour le Saint-Esprit. Ennuyée de cet incident, je remontai au premier étage. Imagine-toi qu'en passant dans un couloir, j'entendis soeur Perpétue, notre converse, qui criait à l'autre bout :

- Finissez, Monsieur, finissez ! je ne veux pas qu'on touche à ma «bassinoire».

Elle aussi, il paraît qu'elle courait un danger dans cet affreux château de ma tante. Quelqu'un essayait-il après elle quelque tentative criminelle ? Je courus à son secours, mais je n'entendis plus rien qu'un son de voix étouffé, une porte qu'on verrouillait. Enfin le silence se fit.

- Après tout, pensai-je, on n'attaque que «la bassinoire» de soeur Perpétue !... ce n'est rien, absolument rien. Ne songeons qu'à mettre en sûreté les «délices de l'Esprit-Saint».

Là-dessus, une idée me vint.

Tu sais que ma chambre de fillette se trouve dans la tour du nord ? Je n'étais pas très-rassurée. Il était minuit. Je me tins ce petit raisonnement :

- Au fait, personne ne songera à se retirer avant demain sept heures du matin. J'ai le temps de dormir dans n'importe quel lit, puisque tout le monde est en train de rire et de danser. Demain, à six heures et demie, je me lèverai et je cèderai la place au premier qui se présentera. Mieux vaut cela que de monter seule là-haut où j'aurais vraiment peur.

Je me déshabillai lentement, l'ouïe caressée lointainement de certaine valse de Strauss qui donne envie de se manger de caresses à soi tout seul. J'avais, vois-tu, ma belle, l'âme chaude comme un matin de juin ; et quand je m'agenouillai pour implorer le Seigneur la grâce de celles que la vertu d'intransigeance ne remplissait pas, je me demandai, en me relevant et en serrant mon crucifix aux maigres petits membres étendus, si je ne devais jamais avoir d'autres bras pendus à mon cou que ceux-là.

Comme j'entrais dans un de ces grands lits à la Le Nôtre que tu connais, en récitant une dernière action de grâces, figure-toi ma surprise en découvrant le vicomte de Juvisy, debout du côté de la ruelle, en vêtements de bal.

- Jésus, Maria ! criai-je en désespérée.

- Pardon, Mademoiselle, mais cette chambre étant la mienne, je ne pouvais savoir... M'expliquerez-vous, au moins, comment il se fait que j'aie le bonheur de vous y posséder ?

Le bonheur de m'y posséder... Je m'empresse de lui raconter que si je suis là, c'est qu'il s'agissait pour moi de sauver à tout prix les diverses parties de ma personne de la profanation de tous les regards. Et, prompte comme la foudre, je pensai alors : - Sauvons, du moins, ce qui est pour le divin pigeon, si nous ne pouvons sauver le reste. - Alors, je m'empressai de remonter ma couverture sous mon menton.

Mais ce fut lui qui me répliqua avec un grand sérieux :

- Rassurez-vous, Mademoiselle, je ne tiens nullement à enlever le voile que vous étendez sur.... «les délices de l'Esprit-Saint».

Il n'y tenait pas. Alors je respirai allègrement.

- Mais, pousuivit-il, je désire seulement que vous vouliez bien me permettre de veiller sur votre «intransigeant» le reste de la nuit. Je vais m'étendre dans ce fauteuil ; car, voyez-vous Mademoiselle, le château est si plein de monde qu'un ami dévoué ne sera pas de trop à vos côtés.

Que te dirai-je ? Lui marquer de la défiance, à lui, l'élève du P.Z...., ne lui ferais-je point la plus sanglante des injures ? Je réfléchis qu'il était vraiment chevaleresque, à lui, de consentir à quitter cette soirée pour veiller près d'une petite pensionnaire ; et, comme il s'asseyait loin de moi, décidé, m'assurait-il, à reposer, je songeai, en vertu de toute convenance, à en faire autant, plutôt que de prolonger indéfiniment la conversation. Alors, je me coulai du côté du mur et, fermant les yeux, je m'endormis, pendant que M. de Juvisy, étendu, je te le répète, sur un siège, à l'autre bout de la chambre, sommeillait de son côté.

Je ne sais pourquoi, deux ou trois heures après, je ressentis je ne sais quel trouble, quelle émotion... J'étais seule, et cependant il me sembla un instant que quelqu'un m'avait parlé. Te dire la singularité de l'émotion, et la nature du plaisir, je ne l'oserai jamais. J'en vins à penser que ce devait être un rêve ; car... mon Dieu, comment m'expliquer ?... Enfin, figure-toi que le plaisir m'advint précisément du côté de... mon intransigeance. Je n'aurais jamais soupçonné que quelque chose... d'amusant... pût surgir par là. Ce qu'il y a de certain, c'est que notre mère a complètement oublié de m'enseigner ce singulier phénomène. - Peut-être, me répétais-je, est-ce parce que j'ai défendu si hardiment «les délices de l'Esprit-Saint» qu'il m'en récompense en s'occupant de cette partie de sa créature qui ne doit pactiser avec personne.

Le plus surprenant, ce fut quand mes «délices» et ma «bassinoire» répondirent comme à des appels réitérés et s'entendirent dans un accord de complicité admirable pour faire éprouver à mon intransigeant... des choses sur lesquelles je ne comptais absolument pas. Bientôt il n'y eut qu'un concert effréné de chaque région de mon corps, et aucune de celles nommées par notre mère supérieure n'oublia de vibrer dans le jeu harmonique et ensorcelant des régions les moins soupçonnées, au point que je ne sus en réalité de quel côté partait le plaisir ; je crois qu'il naissait de tous les côtés à la fois. Du reste, ma chère, il me fut facile de me rendre compte de la vérité ; car la singularité de ces sensations paraissait dépendre d'une sensation antérieure qui, un instant avant, les avait soudain invitées, entraînées ; après, les autres s'étaient montrées promptes à la riposte, sans avoir besoin d'y être sollicitées... Enfin, à l'étrangeté du plaisir succéda une telle prostration, que je me rendormis. Et le jour flamboyait à mes paupières, quand je me réveillai ; tu comprends que le vicomte disparut certainement dès l'aube.

Malgré mes occupations, cette nuit, cette nuit merveilleuse, hallucinante, extraordinaire, hantait si vivement mes souvenirs, que je ne pouvais cesser d'y penser.

Dans la journée, je m'aperçus que le jeune Edgard de Juvisy prenait quelque complaisance à me regarder. J'éprouvais tant d'affectueuse attirance vers lui ; je devinais si complètement qu'il devait être mon allié que, dans un moment de courage, je lui fis signe d'approcher ; ce à quoi il s'empressa d'obéir.

- De quoi s'agit-il, Mademoiselle ? me demanda-t-il très-respectueusement.

- Monsieur, lui répliquai-je, vous êtes le seul de tous ces messieurs à qui j'ose adresser la parole ; car vous êtes bon, vous êtes pieux, vous avez une élévation d'idées qui...

Je m'arrêtai dans l'énumération de ses qualités, en le voyant baisser les yeux par modestie.

- Achevez, Mademoiselle, achevez, de grâce ! murmura-t-il en me coulant un regard qui dégrafa mes vêtements de la nuque à la pointe des pieds.

- Eh bien, Monsieur, je voudrais que vous me répondissiez franchement.

- Sur quoi, Mademoiselle ?

- Sur un sujet tellement inattendu, tellement surprenant..., que, peut-être, vous n'y avez jamais pensé.

- Tant mieux, Mademoiselle ! j'aurai le plaisir de l'approfondir avec vous.

Et il se rapprocha si près de moi que, sous je ne sais quelle bizarre association d'idées, la sensation de la nuit précédente me courut à fleur de peau. Comme je gardais le silence, il poursuivit :

- Ne voulez-vous point m'informer de ce qui vous inquiète, de ce qui vous tourmente ?

Que sa voix était douce et enivrante ! ce n'est pas mon confesseur, le P. Ventru, qui déployait une si délicieuse façon de m'encourager à l'aveu d'une faute ; il me criait, au contraire :

- Allons, allons, ma fille, est-ce que vous comptez me faire coucher ici ? Du courage, et enlevons cette confession vigoureusement.

Non, mille fois non ! Cet organe, d'une suavité pénétrante, ne pouvait offrir aucun rapport et supporter aucune comparaison à côté de la grosse voix des hommes vénérés que, toi et moi, avons tant de fois entendue résonner sous les murs saints de notre couvent. Alors, levant les yeux vers le vicomte, je pris le parti de lui demander, d'une façon détournée, si, par hasard, certains rêves... assez agréables ne le hantaient pas quelquefois l'espace d'une journée, au point de ne les pouvoir chasser de sa mémoire.

Il m'avoua aussitôt qu'en effet, cela lui arrivait souvent ; et, pour m'épargner la peine de lui en expliquer davantage, il reprit :

- Vous êtes sans doute sous l'empire d'un de ces rêves, n'est-ce pas, Mademoiselle ? Et c'est ce qui est cause que vous vous absorbez, comme vous le faites depuis ce matin, dans vos méditations.

- Précisément, Monsieur. Et ce qu'il y a de bizarre, c'est qu'il me semble que si ce rêve ne recommençait point pour moi chaque nuit, je serais désespérée.

Cette fois il me contempla d'un air si étrange, si scrutateur, si narquois et en même temps si tendre, que je restai bouche close. A mon tour je lui demandai à quoi il pensait. Il répliqua, en se levant comme sous l'empire d'une exaltation contenue :

- Et vous avez été très-heureuse... dans ce rêve, n'est-ce pas ?

- Dieu, si j'ai été heureuse ! C'est-à-dire que je manque absolument de signes et de mots pour vous le traduire.

- Et vous souhaiteriez que toutes les nuits il revînt... vous toucher à la même place ?

- Ne m'en parlez pas ! S'il cesse de me hanter, je demande au Seigneur la grâce de mourir.

Il s'approchait de ma chaise en tremblant ; et moi, interdite par son attitude, je me sentais la respiration entrecoupée, lorsque tout à coup, et comme il ouvrait les lèvres, ma tante accourut :

- Berthe, ma chère enfant, que signifie votre fuite du salon depuis ce matin ? Venez donc accompagner Juliette qui va nous chanter la Gazza Ladra. Et vous, vicomte, le P. Z.... vous demande instamment.

C'était, ma pauvre amie, un ordre de nous séparer. Et nous le comprîmes l'un et l'autre aussitôt, car le vicomte se leva et, m'ayant saluée, non sans émotion, sortit du boudoir à la hâte.

Ma tante, qui, un instant avant, s'apprêtait, j'en suis certaine, à me faire quelques observations, m'emmena alors sans prononcer un mot.

L'attitude tremblante de M. de Juvisy, les regards de ma tante, la nuit dont je ne cessais de me rappeler, quelque chose qui se trouvait en moi et qui, je m'en souvenais parfaitement, n'y était pas la veille : tout cela, ah ! vois-tu, tout cela m'agitait jusqu'à la fièvre. C'est au point que, quittant le piano, et ne sachant que devenir, j'avisai le P. Z... qui venait d'entretenir le vicomte, et lui demandai de m'entendre de suite en confession.

- Sur l'heure, mon enfant, sur l'heure ! me répliqua ce brave homme. Allez m'attendre à la chapelle.

J'étais décidée à tenter l'impossible afin d'avoir l'explication de la pensée qui m'obsédait. Un tel rêve n'était-il pas une prédisposition merveilleuse à l'état de sainteté qui m'attendait ? Et n'expliquait-il pas les ineffables jouissances que l'on devait retirer à être l'épouse du Christ ? Si cela existait, si je ne me trompais point, je devais abréger mon épreuve mondaine et retourner au couvent immédiatement.

Tu peux t'imaginer mon saisissement, quand l'abbé, m'ayant entendue, se contenta de me jeter... un bizarre et intraduisible regard.

- Vous parlez sérieusement, mon enfant ?

- Oh ! grand Dieu ! mon père, supposez-vous que je mente, ici, au tribunal de la pénitence ?

- Et vous m'assurez que «les délices de l'Esprit-Saint...» et votre «intransigeant» eurent une telle entente entre eux que cela a été comme une symphonie céleste de votre personne entière ?

- Symphonie n'exprime pas assez. C'est torrent de volupté, c'est abîme de plaisir qu'on devrait dire.

- Ma fille, il faut vous marier, fit gravement l'abbé.

L'hébétement me cloua sur place. Me marier ! moi ! pour cesser d'éprouver pareille jouissance ! Me marier ! Quelle plaisanterie amère, quelle torture pouvait-on m'infliger qui équivalût à celle-là ?

- Mon père, repris-je en me redressant, je ne renoncerai jamais à ne pas retrouver cette nuit phénoménale, cette nuit délirante, cette nuit où j'ai été véritablement considérée avec complaisance par l'Esprit-Saint, qui a fait de moi un banquet de délices où il m'a invitée à m'asseoir... Une nuit, mon père...

L'abbé ferma si brusquement le guichet que je fus obligée de me retirer. Stupéfiée d'un pareil accueil, je sortis du confessionnal. On ne pouvait être plus malheureuse, plus perplexe, plus désespérée. Alors, je m'enfuis de la chapelle et allai me réfugier dans ma chambre.

Il n'y avait pas un quart d'heure que je m'y trouvais, lorsque soeur Perpétue entra comme une folle.

- Bon Dieu ! ma soeur, quel malheur venez-vous m'annoncer ?

- Ah ! Mademoiselle ! je vous cherche depuis ce matin. Vous pouvez me rendre le calme. Répondez-moi aussi vite que possible. Dites, répondez-moi.

- Je ne demande pas mieux. Mais indiquez-moi le sujet sur lequel j'ai à vous répondre.

- C'est assez scabreux, Mademoiselle. Seulement, ici vous êtes chez vous... et puis nous sommes venues ensemble ; alors, vous m'éclairerez certainement, car vous ne pouvez pas avoir changé pour moi...

- Ma soeur, revenez à vous, je suis tout oreilles.

- Voici le fait. C'est fort simple. Hier, madame votre tante m'appelle : - Soeur Perpétue, vous allez mettre une bassinoire très-chaude dans le lit de M. le comte de Saint-Aignan. Moi, je tire une révérence et je vais trouver Catherine : - Donnez-moi donc votre bassinoire, Catherine, c'est madame qui m'ordonne de la prendre. - Qu'en voulez-vous faire ? - Pardi ! je veux bassiner le lit de M. le comte de Saint-Aignan. - Nenni da ! s'exclame Catherine. Ma bassinoire est pour le jeune M. de Rosez qui, lui, ne lésine pas comme votre Saint-Aignan. Il s'en passera, je vous le jure ! - J'ai beau faire ; j'ai beau insister, cette fille tient bon. Du reste, Mademoiselle, je cherchais aux murs : pas plus de bassinoire que... sur moi. - C'est-à-dire, non, je me trompe, j'ai une «bassinoire» par derrière ; alors, ma comparaison n'est point juste. - J'insiste uniquement pour vous répéter qu'il n'y avait aucun ustensile de ce genre dans la cuisine.

- Ma soeur, je vous en prie, arrivez au fait.

- Au fait, au fait ; c'est facile à demander. Quand je me vis dans l'impossibilité de bassiner le lit de M. de Saint-Aignan, je me tins ce raisonnement : Avant tout, l'obéissance. Donc, je dois bassiner le lit de M. le comte ; donc, pour cela, je vais me servir de la chaleur de ma propre «bassinoire» à moi. - Dame ! n'auriez-vous point agi ainsi, Mademoiselle ?

- Mais continuez donc, soeur Perpétue !

- Doux Jésus ! comme Mademoiselle s'impatiente ! J'allai donc à la chambre de M. de Saint-Aignan, et là, ma foi, faute de mieux, je me répétai encore : - Ce bon vieillard a besoin d'avoir chaud ; au nom de la très-sainte charité, je vais faire servir mon corps à cette oeuvre de bienfaisance. Là-dessus, je m'insinuai sous la couverture et me roulai consciencieusement dans tous les endroits froids des draps. Quand une place était tiède, paf ! je me glissais dans une autre, tant et si absolument que le lit devint bientôt un brasier.

- Abrégeons, abrégeons, ma soeur. Que vous arriva-t-il ?

- Il arriva, Mademoiselle, que je m'endormis, et qu'au milieu de mon sommeil... Jésus !...

- Vous me faites frémir... Poursuivez, poursuivez.

Soeur Perpétue s'essuya le front. Au bout d'une minute, elle continua d'une voix étranglée :

- Au milieu de mon sommeil, j'éprouvai distinctement la sensation d'une étreinte très-accentuée autour de ma «bassinoire».

- C'est affreux ! m'écriai-je. Et vous vous débarrassâtes de l'importun qui s'était permis une telle privauté, n'est-ce pas ?

Soeur Perpétue baissa les yeux.

- Hélas ! finit-elle par dire, mon bon ange voulut que là où je ne devais ressentir que de l'horreur, ce fut, au contraire, une impression délicieuse qui m'étreignit de la tête aux pieds. Il m'advint, si je puis m'exprimer ainsi, la même chose qu'à ces vierges martyres qui, lancées au milieu d'un bûcher, au lieu d'être dévorées par les flammes vives, se trouvaient baisées par les colombes.

- Dieu a permis ce miracle, ma soeur, n'en doutez pas. C'est sa protection auguste qui s'est étendue entre vous et un odieux attentat commis sur... votre «bassinoire». - Voilà donc pourquoi je vous ai entendu crier cette nuit dans le couloir ?

- Ah ! vous m'avez entendu ? murmura soeur Perpétue assez confuse...

- Croyez-moi, mettons-nous à genoux et remercions le Seigneur de ne nous avoir point abandonnées.

Soeur Perpétue me comprit à merveille et vint s'agenouiller à mes côtés. Alors, nous récitâmes dévotement un Pater et un Ave en guise d'actions de grâces au Seigneur qui nous avait servies cette nuit extraordinaire d'une façon si éclatante. Après quoi nous nous embrassâmes.

- La paix soit avec vous, ma soeur !

- Amen ! répliqua soeur Perpétue en se retirant.

Comme elle sortait, ma tante entra à son tour.

C'était décidé, on en voulait à mon repos.

- Ma fille, écoutez le P. Z..., murmura-t-elle doucement en m'attirant ; il ne veut que votre bonheur.

- Ma tante, le P. Z.... désire me voir renoncer à être l'épouse de Jésus-Christ. Jamais je n'y consentirai.

- Même pour le vicomte ? interrogea ma tante, en me considérant fixement.

Ce «même pour le vicomte» eut comme résultat de me coller la langue au palais.

- J'aurais dû, continua-t-elle toute en larmes, j'aurais dû me douter qu'à votre âge l'esprit est prompt et la chair est faible. Mais, qui aurait cru que ce jeune homme, un élève du P. Z... abuserait ainsi de notre hospitalité ? Enfin !... Il est heureux que sa famille et la vôtre puissent s'entendre ; sans cela quel irréparable malheur !

J'eus positivement la pensée que ma pauvre tante divaguait.

- Encore une fois, ma tante, je veux être l'épouse de Jésus-Christ.

- Je vais vous envoyer M. de Juvisy, ajouta-t-elle d'un ton indigné, et vous réfléchirez, au nom de votre propre dignité, si votre famille n'entre pour rien dans vos décisions.

- Seraient-ils tous devenus fous, en punition de leurs fautes passées ? me répétais-je en joignant les mains. Seigneur, préservez-moi de la contagion. Il y a là-dessous quelque chose d'abominable.

En ce moment le vicomte poussait doucement la porte de ma chambre.

- On dit que je vous épouse, Mademoiselle, fit-il en me baisant la main.

- On le dit, en effet, Monsieur ; mais vous m'expliquerez peut-être pourquoi, hier, nous connaissant à peine, il survient qu'aujourd'hui on trouve qu'il est nécessaire de nous allier ?

- Nécessaire..., murmura-t-il ; ne mettriez-vous pas autre chose que ce mot dans une promesse d'union avec moi ?

- Vous me rappelez ce jeu de nos veillées au couvent : - Je vous vends mon corbillon. - Qu'y met-on ?

- Le pardon, répliqua tout bas le vicomte, en recommençant à me baiser les doigts.

- Mais... vous ne m'avez point fait de mal, et je n'ai rien à vous pardonner.

- J'achève, alors. Sachez, Mademoiselle, qu'être l'épouse de Jésus-Christ ou la mienne, cela reviendra exactement au même.

Il me sembla que le vicomte commettait un sacrilège.

- Écoutez-moi, reprit-il en posant un genou en terre, écoutez-moi, ma chère Berthe. Ce qui est fait est fait ; ne récriminons pas, j'ai eu tort. Mais que vous étiez si chaste dans votre sommeil que.... tout élève du P. Z... que je sois..., mon Dieu !... nous sommes tous faibles, n'est-ce pas ? et sujets à pécher sept fois par jour.

- Sans doute, répliquai-je très-émue, en recommençant à sentir le même vertige qui m'avait enveloppée la nuit précédente. Mais enfin, en quoi mon mariage peut-il arriver ici comme le résultat d'une faute commise par vous ?

Cette fois, il se releva brusquement plongea son oeil d'aigle dans mes yeux, me tint sous la projection de son regard pendant une minute, et répéta à voix basse ces mots incompréhensibles :

- Eh bien, vrai, jamais je ne l'aurais cru !

Soudain, ce singulier vicomte, que je supposais si édifiant de conduite et de discours, approcha sa bouche de mon oreille, et, sous l'empire de je ne sais quelle diabolique pensée, murmura presque dans mon cou :

- Si vous n'avez jamais laissé tomber Athalie pour prendre un autre livre ; si vous n'avez jamais brodé de bourse bleue ; si la journée s'est toujours terminée pour vous aussitôt votre prière à la chapelle ; si vous n'avez rien interrompu d'agréable dans vos pensées chaque fois qu'on vous ordonnait d'ouvrir votre livre de messe ; si le gland de soie que vous cousiez pour le bonnet grec de votre grand-père ne vous a jamais chatouillé les doigts ; si, au moins instinctivement, vous n'avez point cherché, sous votre guimpe de religieuse, le petit morceau de papier étroit, chiffonné, imperceptible, où la main d'un étourdi aura griffonné : «Je vous aime...» alors, oh ! alors... vous avez raison, Berthe ; le divin Mutilé dont vous portez l'image sur la poitrine peut seul vous convenir...

Comme j'étais résignée à entendre chacun extravaguer ce jour-là, je me contentai de le laisser parler entre ses dents tant qu'il voulut.

Ce que voyant, il changea de ton, et poursuivit :

- Je vous assure, Berthe, que si cela vous fait le moindre plaisir, lorsque vous serez ma femme, il vous sera loisible d'être tout à votre aise l'épouse de Jésus-Christ. Je prends l'engagement de vous laisser en tête-à-tête avec mon rival, jusqu'au jour où vous me demanderez de le faire cesser.

- Dans ces conditions-là, Monsieur... je pense, je veux dire... j'espère que notre mariage deviendrait possible.

Croirais-tu qu'au lieu de rester quelques instants près de moi, il me serra presque respectueusement dans ses bras et sortit en courant ?

Trois semaines après, ma chère, en revenant de l'église où mon mariage s'était célébré à minuit, je quittais ma robe de faille blanche et je me disposais à entrer dans ce même lit où j'avais déjà couché cette bienheureuse nuit, me répétant intérieurement :

- Nous allons voir si ce que mon mari m'a assuré est sérieux, et si, comme je n'ai pas lieu de douter de sa loyauté, je passerai une heure aussi agréable que le jour mémorable qui a suivi l'instant fameux où mon mariage a été décidé.

Il n'y avait pas dix minutes que je sommeillais, quand le vicomte m'appelait et se penchait sur moi pour m'embrasser.

- Monsieur, dis-je très-sévèrement, Monsieur, je vous croyais un honnête garçon ?

- Est-ce que Jésus-Christ n'est pas encore venu, Madame ? me demanda M. de Juvisy sans s'émouvoir.

- Pas encore venu... que signifie ?

- Je vois de suite que non. Permettez-moi, je vous prie, de prendre sa place. S'il fait mine seulement de se montrer, je vous jure que je suis trop bien né pour ne pas la lui céder. D'ailleurs, vous savez, ma chère, rien ne donne envie à un absent trop supplié, comme de se présenter dès qu'on ne l'attend plus.

Naturellement, j'avais le rouge au visage. Mais mon mari continua imperturbablement :

- Croyez-moi, dès qu'il verra l'endroit occupé, votre céleste infidèle se décidera à me sommer de partir immédiatement.

..................................................................

Ma chère, c'est au milieu de la nuit que le même phénomène se produisit pour la seconde fois... C'est au milieu de la nuit que la prédiction du vicomte se réalisa. Mais qu'ajouterai-je ? Rien que tu ne devines, sans doute. Toutes les intransigeances s'étaient trouvées foudroyées dans ma couche nuptiale, et il est absolument certain que la vérité fondit autour de ma personne, l'abîma d'évidences, la combla de délices. On irait comme cela jusqu'à la vie éternelle, avec la même fureur que la grâce s'abattit sur saint Paul, sans crier gare.

Si tu es sur le point de prononcer tes voeux, viens me voir avant. J'ai déjà averti soeur Perpétue qui doit épouser notre intendant. Pour toi, ma chérie, le P. Z... a encore d'autres élèves.

A toi toujours,
Vsse DE JUVISY.


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