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T. Derème : Decalandrier (1927)
X*** [DEREME,Tristan, Philippe Huc  pseud. (1889-1941)] : Decalandrier ou l’autobus Passy-Bourse à la poésie pure (1927).

Saisie du texte : Sylvie Pestel  pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (25.IX.2013)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : n.c.)  de l'édition donnée à Paris en 1927 à la Cité des Livres dans la collection L'Alphabet des Lettres.



DECALANDRIER

OU

DE L’AUTOBUS PASSY-BOURSE
A LA POÉSIE PURE

PAR

X***


~ * ~


A PAUL TACHOU



    PASSY-BOURSE, autobus, tumulte ;
    On se couche au petit matin ;
    Lyrisme et besognes, cumul, te
    Dis-je, roses sous un ciel incertain.

    O beau rêve ! loisir et calme…
    Le vent siffle dans le grenier ;
    L’exil décolore la palme ;
    On perd sa vie à la gagner.

            THÉODORE DECALANDRE




J’EN demande bien pardon à M. Tristan Derème, mais j’ai voulu, moi aussi, entendre et publier les propos de M. Théodore Decalandre.

Sous le prétexte de lui rapporter un parapluie qu’il avait oublié au restaurant, j’ai sonné à la porte de son ermitage de Passy. J’ai passé une après-midi avec cet homme, qui, d’une pipe noire, enfume sa barbe blanche. Dans sa chambre, qui lui sert de cabinet de travail, de vestibule et de salon, et dont les murs sont tapissés d’un papier rouge où chantent mille mésanges noires, j’ai recueilli quelques-unes de ses harangues. Car il ne parle point : il harangue. J’ai rencontré, autour de lui, Mme Baramel et M. Lalouette. J’ai pris, à la dérobée, des notes sur mes manchettes.

C’est ainsi que j’ai fait ce petit livre ; et si, par un sourire des destins, il trouve des acheteurs, je ne manquerai pas d’offrir une pipe neuve à M. Decalandre.

NOTRE époque est bien singulière, murmura M. Théodore Decalandre. On a licence de le dire et de l’écrire autant qu’on veut ; mais il serait peut-être sage de ne le pas croire également, si l’on songe que les hommes des siècles passés ont volontiers porté le même jugement sur les saisons où le destin leur avait donné de vivre. Toujours, on s’est plaint ; toujours on a regretté l’époque enfuie qui eût pu nous donner le bonheur.

    Bons fut li siècles al tems ancienour.

L’histoire n’est pas neuve.

Ce serait belle matière à philosopher. Mais peut-on, sans sourire, entendre un philosophe, quand on pense qu’à l’instant qu’il épanche ses propos, il se tient en équilibre sur une boule qui tourne dans le vide ?... Nous faisons tous de même, à vrai dire ; et, quand nous voyons sur la piste d’un cirque, quelque acrobate, une guitare aux doigts et qui chante, le pied posé sur une sphère incertaine de métal ou de carton, n’avons-nous point, sous les yeux, le spectacle charmant de l’humanité qui répand sa musique, sa science et ses élégies, l’orteil appuyé à notre vieille terre, qui roule dans l’immobile azur ?

Pourtant, notre étonnement, au tumulte de notre époque, est-ce rien de nouveau ? Nous pouvons bien lever les bras au ciel, en contemplant, d’un étroit refuge, la rue muée en un fleuve sonore qui charrie des autobus, des taxis, des camions et mille autres véhicules, dans une odeur d’essence et d’huile et parmi le vacarme des moteurs et des trompes qui déchirent l’air et nos oreilles.  Boileau ne se plaignait-il pas déjà des embarras de Paris et des carrosses qui encombraient la chaussée ? Notre époque fertile en inventions a mis, en quelque manière, les chevaux dans les carrosses ; et le fer des quadrupèdes n’use plus guère le pavé de Paris. Mais laissez au sablier couler quelques années ; les aéroplanes glisseront entre les derniers arbres du boulevard, pour se poser aux balcons : et si, dans ce temps, courant d’un trottoir à l’autre, entre deux troupeaux d’automobiles mugissantes, et, pour ne point mouiller votre pied en une flaque, vous faites un menu saut, pensez-vous que vous ne serez pas en grand danger de heurter quelque hélice aérienne ou d’abandonner votre chapeau à l’aile d’un avion ? Car nos boulevards seront alors pourvus d’un mouvant plafond de carrosses volants et les hommes du futur souriront de nos plaintes, comme nous sourions des vers grognons du vieux Boileau.

Paris… combien je préfère mes gaves à la Seine ! Combien j’aime mieux l’Adour, les Nestes, la Garonne et toutes les rivières et les ruisseaux et les ruisselets qui font tourner les moulins sous nos noisetiers et qui abreuvent les rossignols dont le chant enivre les nuits provinciales ! Et nous voilà partis sur l’aile des oiseaux, vers nos montagnes, nos vallons et nos collines !... Mais allez donc rêver, en ce Paris, au charme de la terre natale, à l’azur léger du Béarn et à l’air attiédi qui fait doucement tourner les girouettes sur nos toits d’ardoises, où roucoulent de langoureuses colombes. Notre songerie ne s’est pas plutôt embarquée pour ce voyage sentimental et chimérique, que le bruit d’un autobus qui ronfle, grogne, grince et corne sous nos fenêtres, nous rappelle brusquement que nous ne sommes pas au calme des campagnes où la lune rit dans les troènes.

On nous dit que Paris était pourtant, autrefois, un lieu de tranquillité, où l’on pouvait songer dans la quiétude. On le dit ; et vous alléguerez, sans doute, qu’il le faut croire, puisque aussi bien, nous n’avons pas vécu dans ces années lointaines et que nous ne pouvons dès lors que nous incliner au témoignage des personnes qui évoquent, avec une douce mélancolie, de si anciens souvenirs. A suivre leurs propos, on en vient aisément à penser qu’il fut un temps où l’on pouvait, à cinq heures de l’après-midi, traverser la place de l’Opéra, tout en lisant quelque gazette ou les œuvres de M. Taine, et s’arrêter au milieu de la chaussée pour deviser spirituellement avec les amis que la bienveillance des dieux faisait passer au même paysage. Tentez l’aventure, aujourd’hui, mon cher Lalouette, ou plutôt ne la tentez pas, car nul de nous ne voudrait que votre personne se trouvât, de la sorte, offerte en pâture à mille chevaux-vapeur, qui hennissent et qui hurlent comme pour mieux effrayer les malheureux piétons de notre temps. La marche à pied est bien compromise, et il faudra, sans doute, que les mortels, qui s’obstinent à traverser nos carrefours d’une semelle nue, se bardent bientôt d’un triple airain, qu’ils se couvrent de coussins moelleux et ne manquent point de se munir d’une trompette ou d’un sonore oliphant, pour que soit leur présence signalée au délire des taxis, limousines, torpédos, autobus et autres engins dont le furieux caprice a fait de Paris une manière d’autodrome.

Où est le temps, ce temps de naguère ou de jadis, que nous ne connaissons que par le récit de vieillards heureux ?

    Et j’écoutais rouler les fiacres dans la rue,

disait François Coppée. Ah ! l’heureux homme ! Entendez-vous encore rouler un fiacre quand vous êtes en votre salon ? Autant vous demander si vous n’entendez point les mouches, quand elles éternuent ; et nous voilà perdus en un fort grand vacarme, tumulte et hourvari, que souligne, accompagne et complète le roulement souterrain du métro, dont tremble mon fauteuil, cependant que je prononce ma harangue.

Je voudrais, si le sort me donnait du loisir, consacrer quelque sage poème à ce brouhaha. Je n’aurais qu’à chanter le spectacle que j’ai, dix fois le jour, sous ma fenêtre :

Là, sur un camion, une poutre branlante,
Vient, menaçant de loin la foule qu’elle augmente :
Le moteur qui s’épuise à ce fardeau pesant
A peine à l’émouvoir sur le pavé glissant ;
Mais d’une limousine il accroche une roue,
Et du choc la renverse en un grand tas de boue ;
Quand une autre à l’instant s’efforçant de passer
Dans le même embarras se vient embarrasser.
Vingt autobus bientôt arrivant à la file
Y sont en moins de rien suivis de plus de mille…

- Mille autobus ! s’écria Mme Baramel, quelle exagération ! On voit bien que vous êtes béarnais, et né en Gascogne.

- C’est le danger de ces petites entreprises, répondit en riant M. Decalandre, et je vois bien, Madame, qu’il ne suffit point qu’on remplace, aux vers de Boileau, la charrette par un camion, les chevaux par un moteur, les carrosses par une limousine ou par des autobus, pour qu’on puisse espérer de vous plaire, tant, malgré votre goût de la vie moderne, fleurit en votre critique le souci de la vérité.

Mille autobus, pourtant, est-ce trop dire ? C’est peut-être une poétique emphase, mais qui s’accorde assez bien au tour de mes pensées ; car nous vivons sur une sorte de volcan, cependant que le métro tourne dans son terrier ; mais notre volcan, si je le puis dire, est agité de main d’homme. Où est le temps des carrosses ? – et les chevaux, du moins, dormaient la nuit !

Vous me répondrez que c’est le progrès, comme on parle ; que nous sommes fort aises, pour nos courses, de nous asseoir en des voitures automues, et que, s’il nous fallait aller de Passy à la rue Saint-Sulpice, au rythme de quatre sabots de corne, la vie parisienne, telle qu’on la pratique aux jours que nous vivons, se devrait ranger dans la cage où rêvent les chimères, hippogriffes et autres bêtes légendaires. C'est encore vrai. Mais je vous demanderai, moi, pour peu que vous m’en donniez licence, si c’est là vraiment un progrès, je veux dire s’il est vrai que notre sort soit meilleur et plus agréable qu’il eût été jadis, au calme de ces époques qui semblent à certains quasi-barbares, encore qu’elles aient connu dans sa fleur et dans sa perfection l’essentiel de notre pensée. Bref, nos ancêtres étaient-ils moins heureux que nous ?

Que leur manquait-il ?

- Les automobiles, répondit Mme Baramel ; et je pense que voilà une réplique qui n’est point dénuée de précision.

- Voulez-vous que nous disions qu’ils n’avaient pas d’automobiles ? Soit. Quant à déclarer, comme vous faites, que les automobiles leur manquaient, qu’ils éprouvaient quelque chagrin à n’être point pourvus d’automobiles, c’est une tout autre affaire, – et c’est la principale. Ils perdaient… ils consacraient, veux-je dire, huit de leurs journées à un voyage qui dévore maintenant huit ou dix de nos heures. En souffraient-ils ?

Non point ! puisqu’ils ne concevaient, en aucune manière, que l’on pût substituer, à leurs chevaux charnus, ces animaux fabuleux que nous avons appelés chevaux-vapeur… Vous n’êtes pas convaincue ?... Souffrez-vous beaucoup de ne point voir au bout du fil le visage dont les oreilles entendent votre voix, quand vous parlez au téléphone ? Souffrez-vous beaucoup de ne pouvoir vous rendre en la lune ? Vous souriez, car la pensée ne vous est guère venue d’aller poser le pied au sol de ce pâle satellite. Eh ! bien, j’imagine aisément, – il est si facile d’imaginer ! – qu’un temps viendra où les hommes, en un étrange véhicule, s’entasseront, comme sardines en la boîte ou harengs au panier, pour aller boire, après dîner, quelque liqueur nouvelle dans la lune. Ils reviendront, avant le premier coup de minuit, et diront, parfois, en un sourire de pitié : « Ces malheureux, qui végétaient, en 1927, et, de loin, contemplaient la lune !... Comme ils devaient regretter de n’y pas pouvoir monter !... Le progrès… » Ces malheureux, c’est vous et moi ; c’est nous, Madame. Mais où sont nos regrets ?

Vous souriez aux propos de ces futurs voyageurs du nocturne éther, et nous tenons pourtant de comparables discours à l’égard des générations anciennes, qui n’ont pas connu nos moteurs ni nos pneus. Le beau malheur ! Elles vivaient heureuses, autant qu’on peut goûter le bonheur sous l’azur ! Elles ne pensaient pas qu’il pût y avoir des pneus ni des moteurs ; elles ne se posaient même pas, si ce n’est peut-être en riant, une question à ce propos, pas plus que nous ne rêvons d’échasses si longues qu’elles nous permettent d’accrocher notre chapeau à quelque étoile.

Vous pensez bien que je ne demande pas aux destins que l’on supprime les automobiles ! Ce serait belle folie ! Nous y avons trop bien pris goût… Je soutiens seulement que si on ne les avait pas inventées, nous ne vivrions pas moins heureux – mais nous respirerions dans un silence plus aimable et, si je puis le dire, dans une charmante absence d’agitation. Mais quoi ! s’agiter, n’est-ce point le propre de la vie qu’on mène en nos jours ?

On ne devrait, poursuivit-il, tandis qu’il souriait dans sa barbe, – on devrait interdire les inventions et seulement permettre les découvertes qui nous pussent alléger de nos maux. Était-ce donc un mal que la vie paisible, dans la maison familiale où les générations se succédaient et cultivaient le même bien ?...

- Et ceux qui n’avaient point de bien ? fit Mme Baramel.

- Oui, je sais ; et j’ouvrirais, s’il le fallait, mon vieux Salluste du Bartas :

Car mon vers chante l’heur du bien aisé rustique.
Dont l’honnête maison semble une république…

Mais avons-nous tous du bien, aujourd’hui ? Vivons-nous tous sous des plafonds sculptés, dans de larges fauteuils, entre de précieuses tapisseries ?... Cette existence calme, que je tentais d’évoquer tout à l’heure, ce n’est plus maintenant qu’image du passé ; la rapidité des véhicules éparpille les enfants ; et je sais, en ce temps, une famille béarnaise, dont les fils et les filles, répandus comme graines entre les horizons, s’éveillent à Paris, à Tunis, à Bordeaux, à Dakar, à Muret, à Sao-Paulo du Brésil, – et la vie familiale, le vieux lien ne reste plus noué que par les soins obligeants de l’Administration des P. T. T. … Moi-même, à Paris, – sur ces bords fleuris, ou, du moins, qui l’étaient autrefois – je ne suis qu’un exilé ; et mes lointaines prairies et mes montagnes sont plus douces à mon cœur que cette ville fiévreuse et la Seine avec tous ses bateaux du dimanche. Mais ne faut-il quitter sa province natale pour la mieux aimer ? Vous le savez, c’est quand on est privé des choses qu’on en sent tout le prix ; et tandis qu’en ce tumulte, les hauts parleurs déclament parmi les mille lampes multicolores et changeantes des boulevards, j’évoque les tranquilles paysages de mon enfance et de ma jeunesse et la lune lente qui monte dans l’odeur des foins coupés.

Au fond, reprit M. Théodore Decalandre, qu’est-ce que le progrès – j’entends le progrès matériel, par la bonne raison qu’il n’en est point d’autre – ce progrès dont certains ne parlent qu’en une sorte d’ivresse ?... Il n’a d’autre fin que de donner à l’homme les qualités de l’animal.

- Vous ne parlez point sérieusement, dit M. Lalouette.

- Peut-être ; mais c’est pour mieux me faire entendre. Vous volez par les airs : c’est emprunter la qualité de l’oiseau. Vous voyagez, non plus seulement sur les flots, mais dans la mer : c’est vous égaler au poisson. Et tout votre progrès, ce n’est, au vrai, que de faire de l’homme un esturgeon sans branchies comme un pigeon dénué de plumage.

Que ne faites-vous aussi la taupe, poursuivit en riant M. Decalandre ; et dans le métro ne sommes-nous tous un peu taupe ? Que ne cheminez-vous sous les champs, sous les fleuves, sous les prairies ? En mes jeunes années, et comme s’ébrouaient les premières voitures automobiles, j’avais inventé le sous-terrain, – le sous-terrain à pétrole.

Le sous-terrain, ainsi que son nom vous le laisse deviner, est un appareil qui se meut dans la terre, comme le sous-marin se meut dans la mer. Il est, à l’avant, muni d’une énorme vis, dont le diamètre à la base est de deux mètres environ. Actionnée par le moteur, cette vis tourne avec une effrayante rapidité : elle se visse dans le sol, traînant après soi la voiture aux anciens empires de Pluton. Il ne faut qu’une bonne lampe, une boussole et une carte terrestre pour diriger ce véhicule dans les ténèbres du sous-sol… Je ne doute point qu’un savant ne tire bientôt mon engin du chimérique domaine où je le laisse errer au gré de mes caprices. Ce sera un beau jour, où l’on pourra pénétrer dans les maisons en passant par la cave.

Mais ne pensez-vous pas déjà que dix mille sous-terrain courent sous nos demeures. Quel bruit, et quel spectacle dans nos rues ! Annonces lumineuses qu’une seconde abolit et que l’autre seconde ranime ; averses de nouvelles, accourues de tous les coins du monde, des golfes lointains où sommeillent les perles, et des presqu’îles quasi-fabuleuses où la terre tremble, où les fleuves s’élancent dans l’azur à la manière des geysers, – annonces qui courent en lettres de feu sur les toits d’ardoises et de métal, et qui mêlent, en quelque sorte, les Cordillères et les Ganges, les mers et les continents ; cinématographes ; images qui se succèdent comme pour nous éblouir tour à tour ; gerbes continuelles d’éclairs ; et notre malheureux chapeau qui, par mille invisibles fils, semble relié à tous les nerfs de l’Univers, c’est notre époque ; ou du moins, c’en est le visage ; ou, pour mieux dire, c’en est le masque.

Le masque, dis-je, et je ne veux certes point insinuer que notre siècle s’évertue à dissimuler, sous quelque loup, ses colères ni ses allégresses. Mais tout ce frémissement, toute cette agitation, les voit-on qui touchent au profond du cœur humain ? Et, derrière toute cette fièvre, l’âme des mortels n’est-elle plus ce qu’elle était il y a vingt siècles ? Nous allons, vous disais-je, de Paris aux Pyrénées en une nuit, quand il fallait jadis, pour ce même voyage, huit journées et huit nuits, et des chevaux, et des postillons qui faisaient claquer leur fouet en arrivant aux auberges des relais ; mais ne sommes-nous point, au secret de nous-mêmes, pareils, sur nos rails, aux voyageurs des diligences ? Le problème de notre destinée a-t-il varié ? Nos passions ne sont-elles plus les mêmes, et goûtons-nous moins tendrement le charme campagnard de la glycine et des troènes, à l’automne ? Ne sommes-nous plus ces mêmes hommes qui se trouvent peints aux pages d’Homère ou d’Ovide – poètes qui n’avaient point accoutumé de voiturer leurs lyres en des taxis ni de perdre leurs manuscrits dans l’autobus !

En doutez-vous ? Peut-être. Il est, en effet, si agréable de penser que notre temps est une merveille, qu’il est tout fleuri de miracles, et que la destinée a résolu de situer notre existence dans le plus surprenant de ses décors ! Songeant à nos petites misères et à nos courtes joies, – petites et courtes, mais qui nous importent tellement, pour ce qu’elles sont les nôtres ! – comment n’accepterions-nous pas, comment n’exigerions-nous pas qu’elles fussent logées dans un monde si profondément transformé qu’il en devînt neuf, afin que nous ayons, si l’on peut dire, notre Univers à nous ! Ce n’est plus l’Univers de Boileau ; ce n’est plus celui de Lamartine ; ce n’est plus celui de Verlaine : c’est le nôtre.

Ainsi va le cœur des hommes, ce cœur inquiet, ce cœur tout plein d’illusions, qui, partout, suspend des guirlandes et qui noue à toutes les branches l’escarpolette de ses rêves. Nous sommes pareils à ces personnes nonchalantes qui, dans un ample fauteuil et la fenêtre ouverte sur les jardins, fument de douces cigarettes. Un nuage bleu les environne, où elles respirent mollement ; et le monde autour d’elles a bientôt pris les teintes de leur azur. Ainsi, de nos songes, nous colorons les objets, et l’univers finit par prendre la teinte de nos pensées les plus heureuses, – comme de nos mélancolies.

Mais si nous oublions, ne fût-ce que durant le quart d’une heure, le tumulte et l’agitation de notre époque, ne voyons-nous pas, autour de nous, les mêmes hommes que nous eussions rencontrés au bord du Tibre ancien ou sur les rives de la Seine, au temps que Villon était jugé à mourir ? Ce sont les mêmes ; ils riaient comme nous rions et pour les mêmes causes, qui sont toujours vivantes et qui vivront aussi longtemps que les mortels seront pourvus d’une tête et d’un cœur. En doutez-vous encore ? Vous me répondrez qu’il ne suffit point d’affirmer et qu’il conviendrait d’apporter quelque preuve.

Comme il vous plaira, et ce n’est certes point chose si malaisée. Relisez donc une page de Bossuet ou une page de La Fontaine. Ne sont-elles point belles et vraies ? Ne sont-elles point comme si, par miracle, on les avait écrites ce matin ? Qu’en déduire, sinon qu’elles nous touchent, nous pressent, nous entraînent tout de même que si nous vivions au temps où elles furent composées ? Et n’est-ce à dire, dès lors, que le fond de notre esprit, comme le fond de notre cœur, est sensible aux mêmes idées, aux mêmes images, aux mêmes cadences qui enchantaient et liaient les esprits et les cœurs il y a plus de deux siècles, et que les tourbillons de notre existence actuelle n’enfoncent point leurs spirales jusqu’en ces régions mystérieuses de l’homme, – qui sont l’homme même.

Nous respirons encore à la façon de nos ancêtres ; pourquoi ne sentirions-nous pas et ne penserions-nous pas comme ils faisaient ? Les ouvrages qu’ils nous ont laissés nous donnent, en notre nouvel univers, une charmante leçon de modestie ; et nul ne soutiendra, je pense, que si Ronsard eût reçu d’Hélène des nouvelles par le moyen d’un avion, il eût écrit de plus beaux sonnets. Par avion ?...

Un pigeon voyageur suffirait aisément,
Qui taperait du bec aux vitres du poète…..

Une leçon de modestie… Mais qui, de nos jours, la voudrait entendre ? Et certains allégueront sans doute que les hommes autrefois étaient plus intelligents et que nous avons bien dégénéré. Le XVIIe, vous dira-t-on, il n’est que de rappeler quelques noms : c’est Corneille, c’est Descartes, et Pascal, et Boileau, et La Fontaine, et la Bruyère, et Bossuet…. quel siècle !...

Eh ! oserais-je répondre, vous ne me dites pas trente noms. Ce siècle était-ce donc un désert ? Et je suis persuadé que les gens qui rentraient, en ce temps, leur foin aux granges du Béarn ou qui vendaient des souliers et du drap à Bayonne ou dans la capitale des Quatre Vallées, – c’est Arreau, que je veux dire, et qui est en Bigorre, – ces gens se souciaient fort peu de Bérénice  et du Discours de la Méthode, qu’ils ignoraient d’ailleurs ; mais je suis également persuadé que si on leur eût parlé de ces ouvrages, ils n’eussent point osé donner leur opinion touchant Descartes et Racine. En ce siècle, on savait ce que l’on savait ; mais l’on savait aussi, et c’est fort important, que l’on ne savait point ce que l’on ignorait.

En nos saisons, sous le prétexte qu’il n’est plus un œil qui ne déchiffre la lettre imprimée, chacun pense qu’il n’est plus un domaine où il ne soit en possession d’instituer son tribunal. Nous sommes tous gens de qualité et savons toutes choses, sans avoir jamais rien appris. Le marchand de plumeaux juge une sonate, une tragédie, un projet de loi et les lignes et volumes d’une cathédrale, avec une sérénité qui est la plus comique du monde. Ne sait-on plus que tout art – en employant ce mot au sens le plus large – est chose secrète et qu’on ne connaît point si l’on ne l’a longuement étudiée ? Un Gascon, qui naguère fleurit la tribune française de mille propos spirituels, mon ami Lasies a coutume de dire : « La politique, c’est comme le violoncelle : cela s’apprend… » Mais qui veut apprendre, en nos temps ? Il n’est plus personne qui, sans rien savoir, ni soit tout prêt à rendre des arrêts souverains.

L’inculture, dirai-je, demeure la même. Pensez-vous que l’on puisse jamais défricher tous les esprits pour y semer du blé, pour y planter des roses fragiles et de beaux lilas ? C’est la rêverie de quelques têtes et ce serait une ridicule entreprise. Le public des Muses comprend, au vrai, quinze cents ou trois mille personnes. Le reste fait semblant de lire et ne sait point du tout de quoi il est question aux pages des beaux livres. Ces quinze cents personnes respiraient sous Louis XIV, comme elles respirent sous M. Gaston Doumergue. Mais les autres, quel bruit elles font ! C’est autre troupe d’autobus ! On n’entend qu’elles aux carrefours. Ce n’est point à dire qu’elles n’aiment que les mauvais ouvrages. Non point. Elles lisent au petit bonheur, comme on parle, et ne distinguent point Jean Aicard de Jean de La Fontaine. Mais elles rendent arrêts sur arrêts, et, tandis qu’aux siècles passés, les ignorants avaient la pudeur de se taire, ceux, en notre temps, qui ne savent que lire, font retentir les airs de leurs opinions politiques et littéraires. C’est encore un beau vacarme, – et j’aime mieux sous mes pommiers, et loin des villes, déjeuner sur l’herbe avec quelques amis.

- Allez-vous fuir encore Paris ? demanda Mme Baramel.

- C’est déjà fait, Madame. Ce n’est plus que mon corps que vous voyez devant vous. Mon cœur et mon esprit déjà sont là-bas…

- Et, dans le calme, vous composez, sans doute, quelque Traité de Prosodie

- Que n’êtes-vous avec moi ! Ce n’est que belles branches, prairies douces, maison paisible, et dans quelques semaines, car nous touchons à l’automne, les grands vols de palombes et de cygnes glisseront dans l’air plus léger, vers l’azur des Pyrénées et vers l’Afrique lointaine. Et vous m’allez demander si je ne suis point déçu, si je ne regrette point Paris ! Et vous me demanderez encore si ces paysages charmants demeurent sur moi sans influence. C’est par eux que je vis ; c’est à leurs ruisseaux que boivent mes Muses, et elles cueillent ici les pommes rouges aux pommiers verts, tandis que les troènes, tout bourdonnant d’abeilles, balancent dans la chaleur leurs belles grappes blanches.

Et pourtant, encore que vous m’imaginiez déjà, et comme vous venez de faire, une plume à la main, vous l’avouerai-je ? je ne fais rien. Déjeuner sur l’herbe, écouter les oiseaux et contempler la girouette qui tourne en grinçant, est-ce méditer ? Est-ce écrire ? Ce n’est point qu’en ce voyage imaginaire, je n’aie emporté des livres et des notes dans mes valises ; – et j’avais une malle toute pleine de si beaux projets ! Mais quoi ! lorsque l’on est heureux, prend-on son porte-plume ? On ne songe qu’à goûter son bonheur.

La poésie, ce n’est, je pense, qu’une réclamation. Lamartine, quand lève-t-il sa belle lyre, au bord du lac ? C’est quand Elvire est éloignée des bras qui l’ont tendrement pressée. La poésie, c’est la voix de ceux qui n’ont point ou qui n’ont plus ce qu’ils désirent. C’est un appel. Appelle-t-on quelqu’un lorsque l’on est heureux ?

- C’est un vers, dit Mme Baramel qui souriait en rougissant.

- On ne compose jamais de vers que dans la mélancolie. Comment donc penserais-je à construire une strophe en ce moment ?

Vous allez triompher, et me dire, car vous êtes bienveillante, que je perds mon temps, et que, j’eusse mieux fait, sans doute, de demeurer à Passy, près de mon encrier où parfois se viennent mirer les Muses. Il n’en est rien. Je fais, si je puis dire, mes provisions. Je me baigne ici – là-bas ! – dans la nature ; je ramasse des images à pleines mains et sans que j’y prenne garde, et je regarde, en rêvant, le soir, Cassiopée qui s’allume au-dessus du figuier, qui est noir dans l’ombre. Le matin, quand je m’éveille, les capucines vertes et jaunes sourient entre mes contrevents bleus. Quand je regagnerai Paris, avec mes notes et mes livres, dans mes valises que je n’aurai point ouvertes, tout ce décor refleurira au bord de la Seine d’hiver. Me trompé-je, Madame ? Mes roses grimperont autour de la Tour Eiffel ; je reverrai mes sureaux sur la place de l’Opéra et c’est de mon encirer, quand je serai seul au coin du feu, que s’élèvera doucement une lune ronde et lumineuse.

Mais me voici parmi vous revenu, dit M. Decalandre, en frappant le bras de son fauteuil. N’ai-je encore quelque brin d’herbe à l’épaule ou une marguerite dans la barbe ?

EN ce siècle si agité, dont je vous parlais naguère, et qui est le nôtre, reprit M. Decalandre, il est quelques hommes pourtant qui ont résolu le problème de la tranquillité. Ils ont construit à leur usage des manières de maisonnettes où n’entre pas du tout le bruit de nos agitations coutumières. J’entends bien que le vacarme des autobus n’arrête point, par miracle, ses ondes au seuil de leur logis, non plus qu’à leurs fenêtres, mais je voudrais dire que les soucis ordinaires de nos contemporains n’ont point d’accès entre les murailles qui abritent les journées et les nuits de ces mortels heureux. Ne leur demandez point qui est ministre, ambassadeur ou préfet. Ils l’ignorent et tiennent à l’ignorer. Ce sont des bibliophiles. Ce sont des érudits.

Il ne faut pas manquer de noter qu’ils ont, peut-être, et tout simplement, déplacé le champ où les hommes communément cultivent leur curiosité. Ils ne vivent plus au présent.

Celui-ci, qui ne sait point le nom du maire de Lyon et qui vit tout enfoui dans les bibliothèques du XVIe, vous dira sur-le-champ, qui était maire de Bordeaux le jour que Montaigne vint au monde ; et vous l’entendez qui prend part et non sans véhémence, avec deux farouches et doctes latinistes, à quelque dispute touchant un vers de Tibulle. Ces latinistes sont morts depuis belle heure – ou depuis belle heurette, ou encore depuis belle lurette, ainsi qu’on parle en nos temps – et, plus de deux cent fois, les roses ont refleuri sur leurs tombeaux. Mais il les tient pour vivants et manie leurs livres avec colère, tout de même que si ces ouvrages étaient hier sortis de l’imprimerie.

Cet autre hésite entre Garasse et Théophile. Il les couvre, tantôt l’un, tantôt l’autre des plus effroyables injures, et puis des paroles les plus chaleureuses. A chaque document qu’il découvre, ou qu’il pense découvrir, il va confier sa joie ou son courroux à ses amis. Êtes-vous pour Théophile ? Êtes-vous pour Garasse ? Il se faut déclarer ; si non, il doutera de votre amitié. Que d’urnes, pourtant, et pleines d’onde, les Naïades ont vidées aux sources de ce fleuve où se mirent les ponts de Paris, depuis que Théophile et Garasse ont quitté les rivages où nous respirons sous un ciel d’allégresse ou de mélancolie ! Peut-être, en quelque azur, se sont-ils embrassés.

Et ces autres, qui ne parlent plus de La Fontaine et de Molière que comme de magnifiques compagnons ; ils les ont encore rencontrés ce matin ; ils les reverront ce soir, et songent, tandis qu’ils glissent entre les voitures, qu’il est l’heure où Bossuet monte en chaire. Madame est morte le mois dernier. Ils ne respirent plus qu’en ce pays du temps ancien, ainsi que, les vacances venues, vous vous réfugiez en quelque île.

Ce n’est point à dire, et vous l’entendez bien, qu’on ne puisse voir se lever aux pages des livres anciens, mille problèmes qui sont de notre temps. Non, certes ; et tous les points d’interrogation, qui nous troublent encore, étaient, depuis longtemps, dessinés au moment que nous ouvrions les yeux à la lumière du monde. Il n’est rien de nouveau, sous l’antique soleil, – et non pas même d’en faire la remarque. Mais la chose étonnante, la chose admirable, c’est que les érudits se passionnent non point seulement à l’égard des doctrines qu’ils rencontrent aux vieux volumes, mais encore à l’endroit des écrivains qui les confièrent jadis au papier. Ces écrivains, ils les ressuscitent, et, dans un beau rêve, qui les enchante mieux que les aventures réelles, ils deviennent leurs adversaires ou leurs amis. Ils savent tout d’eux, le petit nom de leur grand-père et s’ils n’avaient pas un oncle employé aux gabelles. Ils se créent ainsi toute une amicale famille, et il ne faudrait point médire devant eux de la tante de Racan ou de la nièce de Furetière, si l’on ne se voulait exposer à mettre le pistolet au poing sur quelque pré matinal.

Ils aiment les livres. Qui les en pourrait blâmer ? Aimant les livres ils se prennent à chérir la mémoire de ceux qui les ont écrits. Qui penserait à leur en faire quelque reproche ? Personne, certes. Mais il ne vous échappe guère que si l’on aime quelqu’un, on aspire à le connaître tout entier : on veut savoir ses aventures, ses goûts, ses mystérieuses pensées, ses péchés anciens et jusques à ses manies. Or, selon quelle méthode en apprendrait-on mieux le détail qu’en recueillant ses confidences – ses vraies confidences ! – et celles des personnes qui l’ont connu ?

Un catalogue de librairie charmait M. Bergeret. Qu’eût-il dit d’un catalogue d’autographes ! L’ivresse eût fait frémir sa barbe douce ; elle a frémi, sans doute, bien des fois ; car les catalogues de ce genre fournissent mille décors à nos rêveries et à nos pensées. Ils soulèvent bien des rideaux ; ils écartent bien des feuillages…

J’en ai un, – vous le voyez sur ma table – et que, de temps en temps, je regarde, cependant que je m’entretiens avec vous. Ce n’est point une sèche nomenclature. On a pris soin d’analyser et de décrire les pièces qui sont, de la sorte, offertes à la curiosité des amateurs. C’est ainsi que l’on nous entretient d’une lettre de Paul Verlaine : au Figaro cet enfant douloureux et barbu d’Apollon offre plusieurs poésies, afin de rembourser une avance que ce journal lui avait consentie. C’était une avance que vous penserez considérable, quelques milliers de francs, peut-être… Non point. Où vous égarez-vous ? Et pour que je vous dise ici la somme, pas n’est besoin d’aucun zéro ; un chiffre unique suffira. C’était une avance de cinq francs. Si vous songez que cet épitre vaut, à l’heure où nous sommes, deux cent cinquante francs, vous rêverez, un instant, au sort mélancolique de Verlaine et vous songerez ensuite que notre siècle rend un furieux hommage à la poésie, aux Muses, et à l’ombre des poètes.

Ainsi errent les manuscrits, et il en est certains, comme vous ne l’ignorez guère, qu’on ne peut emporter sans laisser au marchand une petite fortune. Je me souviens qu’un jour mon ami Pierre Audiat me demanda de trousser quelques vers, sur ce propos. – « Je les publierai dans Paris-Midi, me dit-il ; mais de grâce ne vous abandonnez pas à l’alexandrin. Je sais bien qu’il ne faut point mettre de barrières à la danse des Nymphes, mais nos colonnes sont si étroites !... » A quoi bon, lui répondis-je,

    A quoi bon pousser mille cris
    Dont sourit le calme des astres !
    Mieux vaudrait lancer mille piastres
    A ces marchands de manuscrits.
    Car dans les saisons où nous sommes,
    On rencontre encore des hommes
    Qui sont prêts à verser des sommes,
    Dont on paierait d’amples terrains,
    Pour un sonnet ou deux quatrains,
    Ou pour trois mots en quelque marge…
    J’en ferais des alexandrins,
    Si la colonne était plus large.

- N’est-ce point, dit Mme Baramel un fort grand honneur qui se trouve, de la sorte, rendu aux poètes défunts ?

- Eh ! vous parle-t-on d’eux seulement ?

- Quoi ? les papiers des vivants ?...

- Oui, Madame, les papiers des vivants sont également mis en vente. On ne peut imprimer trois lignes de ma main, si je n’y consens ; mais on peut exposer l’intimité de mes lettres à la vitrine ; on en peut publier des extraits dans les catalogues ; on les peut vendre à qui le veut. Eh ! que dis-je, les lettres !... Nous verrons bientôt aux librairies nos polices d’assurance et les ordonnances de nos médecins ! Vous croyez que j’exagère ; mais n’ai-je pas vu glisser au feu des enchères, comme on parle, la « copie sur papier ministre, I p. ½ » d’un traité que j’avais passé avec je ne sais plus quel éditeur pour la publication d’un volume de vers. Ah ! souvenirs lointains de ma jeunesse mélancolique !... J’ai revu cette feuille, et non sans être ému, où l’éditeur…

- … faisait pleuvoir sur vous des perles et de l’or…

- … où l’éditeur s’engageait à ne point me demander d’argent… Un traité !... Ne verrons-nous bientôt paraître aux catalogues les actes de mariage, le relevé des punitions et quelques certificats de bonne conduite. Vous savez qu’il est des auteurs qui ont décidé de n’écrire plus leurs lettres qu’à la machine et de ne les plus signer que par le moyen d’une griffe caoutchoutée, si je puis ainsi parler. On vend tout, et si vous tracez quatre lignes, ce soir, ne vous étonnez point de les rencontrer, dans huit jours, sous le cristal de quelque devanture.

Un quidam, dans ce salon où nous sommes, me vint un jour trouver :

- N’avez-vous point, me dit-il tout de go, quelques-unes de vos lettres d’amour ? J’entends, non point des lettres que vous ayez reçues, mais des lettres de votre main. Je vous en donnerais un prix dont vous vous trouveriez satisfait.

- Mes lettres d’amour ?... lui répondis-je. Mais, Monsieur, comment en aurais-je une seule ? Je les ai toutes envoyées…

Et je vous prie de songer que cela n’est pas une fable. Vous pouvez consigner cette anecdote pour l’histoire de notre temps ; elle amusera, sans doute, les moralistes des saisons futures. Mais que dis-je ! En leur époque, et pour peu que les choses continuent de ce train, elle semblera toute fleurie de banalité.

Bref, je connais des gens qui, avant de cacheter leurs lettres, ne manquent point de les relire trois fois. Ils pensent au catalogue d’autographes. Hélas ! Il en est beaucoup, parmi eux, dont les épîtres ne seront jamais recueillies ni recherchées. Mais quoi ! maudissant l’indiscrétion du siècle, ils se bercent pourtant d’une douce illusion ; et, vous l’avouerai-je ? cette vague et vaine espérance n’est point tout à fait inutile. Elle sert : elle incite ces écrivains à rectifier leurs fautes d’orthographe.

Au fond, les amateurs de livres et d’autographes, ce sont les plus charmants des hommes ; et s’ils ont, sous leur glycine, quelque volière, tenez pour assuré qu’ils y nourrissent moins de grasses volailles que de surprenantes chimères. Ils n’aiment point seulement les écrivains, mais encore les héros qui vivent aux pages des livres. Ces personnages s’élancent tout vivants hors des paragraphes et se mêlent à la foule des mortels. Ils vivent, ma foi, plus longtemps que beaucoup d’entre eux. Et n’est-ce point Léon Treich qui, en son admirable Almanach des Lettres Françaises et Étrangères, nous conviait à nous rappeler, le 13 avril, que c’est l’anniversaire de l’arrivée aux Dunes de Gulliver, qui revenait en 1702 de Lilliput, comme il nous invitait à n’oublier point, le 4 Mai, qu’en ce même jour, en 1660, Robinson commençait « à pêcher avec une ligne faite de fil de cordage et sans hameçon » ? Et pendant que je rêvais l’autre soir, à l’aimable frénésie des érudits, tandis que je tournais les feuillets d’un Chateaubriand, je m’endormis dans mon fauteuil. L’un d’eux m’apparut aussitôt et s’excusa, dès l’abord, d’être entré chez moi sans avoir ouvert la porte. Je le priai qu’il me fît l’honneur de prendre un siège à mes côtés et n’eus garde de le gourmander pour la manière dont il s’était glissé sous mon toit, car les personnages de nos songes n’ont point accoutumé de tourner les loquets ni de frapper aux portes. C’était un rêve agréable, – un de ces rêves où l’on sait que l’on rêve, sans que l’on soit pourtant certain d’être tout à fait éveillé.

- Je suis venu, Monsieur, me dit-il, pour que nous protestions ensemble contre un livre qui ne peut que nuire à la vérité de l’Histoire.

- Et quel livre ? lui demandai-je. Est-ce quelque libelle qui circule sous le manteau et qui maltraite notre pays ?

- Non, Monsieur. Il s’agit des Aventures du dernier Abencérage, de M. de Chateaubriand.

- Cet ouvrage n’est qu’une fiction romanesque, lui dis-je, et s’il peint heureusement le délire et les scrupules de deux cœurs, que lui pourrions-nous demander encore ?

- Nous pourrions lui demander, Monsieur, qu’il ne désignât point son héros, Aben-Hamet, comme le dernier des Abencérages, alors qu’il ne fut point du tout le dernier enfant de cette tribu.

- Vous voulez plaisanter, sans doute, et soutenir que le dernier Abencérage est mort à notre époque, ainsi que l’a chanté mon ami Jean Pellerin. Dois-je vous rappeler ses quatre vers :

    Les dieux s’en vont, s’en vont au trot,
        Jeanne se décourage,
    Et le dernier Abencérage
        Est mort dans le métro…..

Mais Jean Pellerin voulait exprimer seulement, je pense, par ces paroles ailées, que le romanesque ne pouvait plus que périr au fracas de nos transports souterrains.

- Je ne plaisante jamais, Monsieur. Mais je dis que, selon Chateaubriand, lorsque Aben-Hamet s’embarque à l’échelle de Tunis pour s’élancer vers Blanca, qu’il ignore encore, vingt-quatre ans ont coulé à tous les sabliers depuis la prise de Grenade. Nous sommes donc en 1516, un an après Marignan, s’il est vrai que Grenade ait succombé en 1492, la même année que Colomb découvrait l’Amérique.

J’ouvris de grands yeux, ou pensai, du moins, les ouvrir, devant cet homme qui semblait porter en sa parole le calendrier de tous les temps. Il continua :

- Si donc je démontre qu’il existait, un siècle après le voyage d’Aben-Hamet, un autre Abencérage, nous tomberons d’accord, sans doute, qu’Aben-Hamet ne fut pas le fils dernier de cette race illustre. Eh ! bien, ce cadet d’Aben-Hamet a parfaitement existé. Il a composé des vers français. Il a chanté sa maison de campagne :

    Ce n’est rien moins qu’un partisan
    Qui fit ces cascades, – et vive
    La nature naïve !
    L’art est trop courtisan…

Vous ne le reconnaissez point ?... Il a fait l’un de nos plus fameux sonnets :

    Job, de mille tourments atteint,
    Vous rendra ma douleur connue…

- C’est Benserade ! m’écriai-je.

- Lui-même. Et son nom ne vous éclairera-t-il point ? Et ne lisons-nous pas dans Tallemant des Réaux que ce poète était un Abencérage ?...

- Benserade… Abencérage… me pris-je à murmurer. Il faudrait ici quelque homme docte et habile à suivre les mots en leurs variations. André Thérive ferait merveille. Au demeurant, on se pourrait nommer M. Polonais ou M. Castillan sans être du tout enfant de la Castille ou de la Pologne. Mais il est bien vrai que Tallemant a noté en son ouvrage que Benserade alléguait qu’il était Abencérage et comme le petit roman de Chateaubriand n’était point encore, en ce temps, aux devantures des libraires, on ne saurait accuser le poète d’avoir tenté, par vain orgueil et fatuité, d’accréditer une fable à son profit.....

- Vous y viendrez, me dit mon érudit. J’ai longtemps pesé le problème et j’affirme que le dernier Abencérage est mort en 1691, alors qu’Aben-Hamet reposait, je pense, depuis plus d’un siècle, en son tombeau mystérieux sous un palmier, près des ruines de Carthage. Je vais fonder la Société des Amis du dernier Abencérage…..

- Comme j’ouvrais les yeux, il disparut. Mais les Historiettes de Tallemant des Réaux, que je pris aussitôt dans ma bibliothèque, me dirent que je n’avais point tout à fait rêvé.

POURTANT, dit M. Lalouette, malgré ce vacarme que vous nous avez peint et que nous entendons de reste, la poésie parvient, dans Paris, à faire entendre sa musique. Il est, en notre ville, deux ou trois cents joueurs de lyre, et certains voient leurs harmonies fort doctement commentées. On discute, on se bat, on se prend aux cheveux et c’est plaisir de constater que le tumulte de la cité n’empêche pas les luths les plus modestes d’être ouïs.

Je rentre à peine d’un long voyage aux rives de la Chine et l’on me dit qu’il n’est bruit à Paris que de Poésie et de Poésie pure, que ce sont deux déesses et qu’elles n’ont point les mêmes fidèles.

- L’anti-Boileau est parmi nous, répondit M. Théodore Decalandre. M. Henri Bremond noircit de nouvelles pages et répand toute son encre sur le secret des Muses et le mystère qui frémit aux antres, cavernes, bosquets et pelouses du Parnasse bicéphale. Poésie, poésie… C’est une belle fontaine. Certains y peuvent boire. Il n’est point défendu que les autres en dissertent. C’est un objet inépuisable ; il convient tous les autres et l’on en pourrait donc discuter durant des années ; on ne se l’est d’ailleurs point interdit, depuis des siècles, – depuis qu’il y a des poètes et des amateurs de poésie.

Quel est le cœur de la poésie ? D’où jaillissent sa flamme et sa lumière ? On avait jadis coutume de se pencher sur les poèmes pour démêler le secret de leur beauté. Nous avons changé tout cela. « De quoi, se demandait-on, est fait tel poème ? « M. Bremond déclare que cette méthode a manifestement échoué, et que « depuis le préromantisme, l’esthétique se tourne d’un autre côté. » Soit ! Nous ne demandons qu’à nous tourner aussi, puisqu’on nous donne quelque espoir de contempler ce soleil qui luit, dit-on, dans notre dos. Que faut-il donc faire ? Il convient, nous dit-on, de rechercher « non plus de quoi est fait, mais comment se fait un poème, en scrutant le mystère, non plus du poème, mais du poète. » Soit ! encore. Nous allons donc demander aux poètes de nous confier le secret de leur aventure poétique. Mais la plupart sont morts, me direz-vous. C’étaient les plus fameux.

    Dites-moi où, n’en quel pays,
    Gitent Ronsard et Baudelaire…..
    Mort les a de chez nous bannis ;
    Ils ont quitté notre galère…..

- Mais il nous reste les vivants. Il n’est que de les convier au téléphone.

- Vous n’y êtes point du tout. M. Henri Bremond use d’autre méthode. Et, d’abord, il ne consent à entendre les poètes que s’ils sont philosophes. Sinon, ce qu’ils nous disent, touchant leur art, ne doit être ouï qu’à titre de témoignage, ou, plutôt, de simple renseignement. Le Tribunal appréciera. Il précise cette opinion en disant que l’Académie des Sciences, si elle ouvrait un débat sur le vol des oiseaux n’y convierait ni les goélands ni les hirondelles ; mais il ajoute qu’elle inviterait « l’oiseau miraculeux qui serait aussi docteur ès-sciences. » Et, – pour faire bref – il conclut : « J’aime mieux savoir ce que M. Bergson pense de la poésie, en soi, que ce qu’en pense Villon. » Nous ne discutons pas. Nous prenons note. Que fera donc M. Bremond ?

Les grands poètes qui sont, en même temps, grands esthéticiens, ne courant point les rues, vous pensez qu’il va descendre son escalier et s’élancer chez les philosophes de notre temps. Il n’en est rien. M.Bremond restera chez lui. Renonce-t-il donc à son enquête ? Non point ; et, fermant sa fenêtre au bruit des autobus, il va relire les poètes.

- C’est la vieille méthode…..

- Vous n’y êtes encore point du tout. Il va « lire poétiquement les poètes… » Et il ajoute que « c’est leur ressembler peu ou prou.  ̶  « Il ne s’agit plus que d’interpréter une expérience humaine…, dit-il encore. Le mystère du poète, c’est aussi mon propre mystère. » Nous ne demandons qu’à le suivre en ses méditations – mais il est, je pense, et demeure entendu que le mystère de la poésie, tel qu’on va nous le révéler, – si l’on nous le révèle, – c’est le mystère poétique de M. Bremond.

M. Bremond pose en principe qu’en chacun de nous, il y a deux âmes. Entendons-nous bien ; ce n’est que manière de parler, puisque, aussi bien, il nous dira au chapitre IX de Prière et Poésie : « C’est une seule et même âme indivisible. » Mais cette âme a deux aspects ; tantôt, elle raisonne – et c’est Animus et, tantôt, elle  possède – et c’est Anima. Il nous faut bien adopter ce langage, afin de suivre notre auteur. Donc, une seule âme, mais que, suivant la manière dont elle se comporte, nous pouvons considérer de deux façons ; tout de même que nous dirions, si on nous en donnait licence, qu’un litre d’eau est un poids et qu’il est aussi un volume, étant entendu que poids et volume sont à ce point liés, à ce point un, en quelque manière, que si l’on supprime l’un, l’autre, au même instant, disparaît.

Cette fable – rendons à César…, comme le fait d’ailleurs M. Bremond – cette parabole, non point celle du litre d’eau, mais celle d’Animus et d’Anima,  ̶  cette parabole nous vient de M. Paul Claudel, cœur magnifique et poète barbare, qui en donna le dessin dans un article du 1er Octobre 1925, « pour faire comprendre, disait-il, certaines poésies d’Arthur Rimbaud. » Animus, pour lui, c’était l’esprit ; Anima, l’âme. Ne discutons point sur les termes ; nous sommes d’accord ; mais notons que M. Claudel écrivait : « L’âme se tait dès que l’esprit la regarde. » C’est une lampe qui nous éclairera, tout à l’heure.

L’homme, pourrait-on dire, n’est que désir et volupté de connaître ou désespoir de ne connaître point. Égaré dans l’univers, il veut savoir. Savoir est un mot bien étroit, bien sec, et qui ne saurait satisfaire qu’Animus, la raison. Mais il veut, en outre, sentir,  ̶  sentir, non point par la voie des sens, mais se sentir porté au rythme des mondes, sentir qu’il vit, sentir qu’il est selon ce rythme, qu’il est ce rythme même. Cela est fort obscur, et les mots nous suivent malaisément dès que nous en voulons parler. Mais vous entendez bien qu’il s’agit de « définir l’indéfinissable. » Qui parle ainsi ? C’est M. Bremond lui-même et que je commente ici.

A côté de la connaissance rationnelle, il y a donc, si nous le suivons, la connaissance poétique, dont le but obscur et profond est celui que je viens d’indiquer. « Encore une fois, déclare notre auteur, il ne s’agit pas de vous faire comprendre en quoi consiste l’activité poétique, mais, au contraire, de vous amener à réaliser l’impossibilité où nous sommes de la comprendre jamais, puis à déduire – oh ! très rationnellement – de cette impossibilité elle-même quelques lueurs sur l’expérience poétique. » Donc, inutile d’en parler davantage, mais retenons qu’il s’agit, en quelque manière, d’une possession du monde, sinon de Dieu,  ̶  possession que M. Bremond éclaire au phare des mystiques. L’intelligence, ici, n’a point accès. Qu’elle reste à la porte avec ses syllogismes. Anima, quand elle est vraiment Anima, il lui est interdit de « réfléchir, comprendre, raisonner, sentir, agir, parler, écrire….. »

    Qu’ Anima goûte le laurier,
    Qu’au fond des gouffres l’on voit luire ;
    Anima n’a point d’encrier
    Ni de plume pour nous écrire.

Mais, si nous ne savons point ce qu’est la vie d’Anima, ne saurons-nous du moins ce qu’elle est elle-même, ce qu’est ce moi profond, et de qui nous parlons quand nous parlons de lui ?

« Aucune des attitudes par où il se manifeste au dehors ne le définit », nous dit M. Bremond. Il est plus mystérieux que le centaure, l’hircocerf, le jumart, la licorne et l’hippogriffe. C’est invisible couleuvre et qui glisse aux doigts ; et nous ne pouvons que considérer d’un œil insatisfait et impatient « le noir fossé qui sépare la connaissance rationnelle de la connaissance poétique ».

Mais nous ne quitterons pas ce terrain, sans avoir inscrit sur nos tablettes que, suivant M. Bremond, Anima est « avant tout, puissance d’aimer » et que, si – « prouesse irréalisable »  ̶  elle se débarrassait de son Animus, il la faudrait, dès lors, classer « un peu au-dessous de l’instinct des animaux ». Notez bien qu’on la tient pourtant pour la source de la poésie et rappelez-vous le mot de M. Claudel que nous citions tout à l’heure – et notez encore qu’il ne nous déplaît point du tout d’entendre proclamer de la sorte que la poésie jaillit de nos nappes les plus profondes,  ̶  de ces nappes que certaines personnes se plaisent à nommer les plus basses, et qui sont le réservoir de nos sentiments les plus nobles, de nos pensées les plus élevées, de nos actes les mieux colorés d’azur.

Bref, cette connaissance, cette expérience poétiques, dont on ne nous enseigne quasi rien, sinon qu’elle est informulable, c’est la lyre du poète. Il n’est plus que d’en jouer.

Mais comment le poète nous conterait-il ce qui lui est arrivé : j’étais là ; telle chose m’avint….. puisqu’au sortir de l’antre, notre héros ne porte au cœur que la mémoire d’une fête dont le propre est qu’on n’en puisse  faire le compte rendu ? « Informulable », vous dis-je.

C’est ici qu’intervient la fable du courant électrique. Ce courant, M. Bremond, depuis son discours académique, l’a retrouvé dans un article de Charles Magnin que publia la Revue des Deux Mondes le 1er Décembre 1833. Quelle est cette parabole, selon Prière et Poésie ?

Le poète, nous dit M. Bremond, ne peut pas traduire, mais il peut communiquer son expérience.

Expliquons-nous, à notre manière : le poète est une pile. Une pile ne parle pas et n’écrit point. Mais que cette pile soit munie d’un fil de cuivre, et touchez le fil de cuivre : vous recevez un choc. Ce choc ne s’est pas adressé à votre raison ; la pile n’a pas traduit rationnellement le secret de son être : elle vous l’a communiqué. C’est ce que veut dire M. Bremond.

Si le poète est une pile, qu’est-ce que son fil de cuivre ? C’est le langage ; ce sont les phrases, ce sont les mots ; et c’est ici que nous allons toucher à la magie.

La poésie se communique, dit M. Bremond, par « l’intermédiaire quasi-magique des mots ». Pourquoi magique ? direz-vous ; elle fait comme tout le monde, comme l’orateur, comme le conducteur d’autobus et le crieur de journaux ; comme je fais en ce moment… Vous n’y êtes encore point du tout. Si elle emploie des mots, c’est qu’elle ne peut faire autrement – nous sommes logés à même enseigne,  ̶  c’est qu’elle ne dispose d’aucun autre moyen de toucher nos yeux ou nos oreilles pour atteindre ensuite nos cœurs. Mais ils ne sont que son fil conducteur. Est-ce le cuivre du fil ou bien si c’est le courant qui, tout à l’heure, vous a fait frémir ? C’est le courant ; et les mots ne sont ici que le porte-courant d’Anima : « Elle a le secret de les associer tels quels à son activité propre, de leur transmettre ses propres vibrations, de leur insuffler sa propre vie. » Si le poète écrit néflier, cela veut bien dire néflier ; le poète n’enlève rien aux mots « de ce qui fait leur substance, à savoir la propriété de représenter des idées « ; mais il importe assez peu….. Néflier permet au courant de passer, comme le cuivre ; troène pourrait être de paraffine. Il est des mots isolants ; il est des mots conducteurs ; et à ceux-ci le poète imprime « une vertu nouvelle, qui ne leur appartient pas en propre, que nulle convention ne pourrait leur assigner. Vertu que nous appelons magique, soit pour la distinguer de la vertu naturelle des mots, soit pour symboliser l’étrange pouvoir que le poète leur confère, ce pourvoir de rayonnement, de contagion qui fait qu’à entendre ces mots, nous nous trouvons soudain, non pas seulement enrichis des idées que ces mots transmettent, mais remués dans nos profondeurs. » C’est Anima qui est émue par une autre Anima !

Les discours d’ Animus ne sont qu’un téléphone,

comme a dit le poète, ou du moins, il l’aurait pu dire.

On discuterait longtemps et volontiers cette hypothèse, car ce n’est qu’une hypothèse et qui est parée des colorations charmantes d’une bulle de savon au clair de lune. On demanderait pourquoi seules les phrases, qui peuvent satisfaire la raison, peuvent aussi conduire le courant.

- Eh ! Eh ! fit M. Lalouette.

- Comme vous dites ; et il y faudrait un autre livre ; mais qui nous empêche de considérer que c’est le sens des vers, leur signification rationnelle qui est d’abord émouvante ? Qu’en est-il besoin d’aller chercher  du mystère là-dessous ; – il peut être ailleurs ; et connaissez-vous un seul beau vers et qui nous touche, sans qu’un dictionnaire ne puisse rendre compte de notre émotion ? Nous l’avons montré naguère, à propos de l’un des vers les plus fameux de Malherbe :

Et les fruits passeront la promesse des fleurs ;

et ne serait-il pas plus simple, et ne viendrait-on pas sans peine à bout de le prouver, que si le poète emploie les mots de tout le monde, – 

Beaux vers françois, avec les mots de tous les jours.

disait Clymène, – il en use de telle sorte qu’il leur redonne leur sens plein, le sens qu’ils avaient quand ils étaient jeunes, quand ils n’étaient pas encore monnaies usées qui passent au comptoir de nos propos, sans qu’on ait, aujourd’hui, la peine de les considérer longuement, tant on les connaît, ou croit les connaître. Le mot pommier ne vous émeut guère, si vous l’entendez au hasard de la conversation ; mais l’art du poète est de le situer de telle façon que vous ayez un pommier devant vous, un pommier vert, avec de belles pommes rouges, dans une lumière parfumée où chantent mille oiseaux. Le mot pommier n’est point ce signe sec et vain par lui-même, ce morceau de cuivre : il devient, en quelque manière, un véritable pommier, avec des branches, du feuillage et des fruits.

Donner un sens plus pur aux mots de la tribu,

dit Mallarmé, poète de huitième ordre ; mais sur ce point, dans cette indication, sans doute, il a raison. C’est là qu’est la puissance du poète, qui est de rajeunir les mots et de faire épanouir cette vie qui est enfermée en eux. Il remet, en quelque sorte, les choses dans les mots ; et les mots en son si gonflés qu’ils éclatent sous les yeux du lecteur et laissent se répandre sur sa table le spectacle de l’Univers.

- L’Anti-Boileau, disiez-vous.

- L’Anti-Boileau ! Et je n’avais point tort de le dire, quand je pense encore que M. Bremond vient de lancer sur Paris et les provinces, qui n’avaient point mérité telle peine, deux livres où il pense avoir enfermé ses doctrines touchant les Muses qui ont accoutumé de danser et de rêver sous les arbres fleuris, comme aux forêts d’octobre.

Doctrines excellentes en ce sens, et en ce sens seulement, qu’elles offrent mille cibles aux flèches des bons archers. Les dards volent de toutes parts ; l’air en est obscurci, et il faut louer notre temps, qui n’est pas si barbare qu’on le craint, et qui s’anime et se passionne dès qu’on lui parle de poésie.

- Et dès qu’on lui parle de grammaire, murmura M. Lalouette.

- On croyait que les lyres étaient mortes ; on le proclamait volontiers ; mais il n’est que de parler d’elles, pour que mille champions plongent aussitôt leurs plumes dans l’encrier et vident leur carquois.

Il est, je l’avoue, fort malaisé de disserter des ouvrages de M. Bremond. Il les faut d’abord lire… Il les faut relire encore, et le crayon à la main, pour ce que sa pensée est tellement sinueuse et se dérobe si bien, qu’à l’instant qu’on la pense tenir, elle est à cent toises de vos doigts. Elle semble parfois, et de page en page, être au point de se contredire et de montrer plusieurs visages ; et, ces livres à la main, on pense fouler une prairie tout envahie de monstrueuses aiguilles. Elles glissent sous vos semelles, cependant que vous tournez les feuillets, et vous mettent en grand danger que vous tombiez assis dans l’herbe pour la joie de M. Bremond.

Il jongle ; inlassablement, il jongle avec un javelot, une épingle et une noix. La noix vole, retombe, s’envole encore. Cette noix, c’est la poésie : il ne l’ouvre point.

Il ne l’ouvrira jamais. Il déclare qu’on ne la pourra jamais ouvrir ou, du moins et pour être plus précis, il affirme que cette coquille résiste aux pinces les plus solides, aux canifs les plus aigus de la raison. On ne peut que jongler avec elle.

Il est, au demeurant, fort habile jouteur et opiniâtre. On lui voudrait, en certains temps, rendre les armes. Puis-je, sur ce propos, vous conter une historiette ?... Il m’arriva, ces jours derniers, et dans Candide, de consacrer une étude à ses nouveaux ouvrages. J’avoue que ce n’était point pour les louer. La semaine suivante, on voyait au même endroit, un placard de publicité, comme on parle, où, sous le nom de M. Bremond et sous le titre de son traité, on pouvait lire l’une des phrases de mon article, – celle-ci : « On voudrait, pour commenter ce livre, noircir tout un volume, tant la matière est riche. » Et les badauds de rire. Je le pense, du moins ; mais, seulement les badauds. Je vous confierai que j’ai moi-même beaucoup ri. J’aime l’habileté, même si elle dirige ses flèches vers mon encrier. Bien joué, me disais-je ; et si l’on veut soutenir une muraille, il est fort profitable de prendre une poutre au pavillon de l’adversaire. Les poutres sont, à l’accoutumée, de bois ; mais le diable porte pierre, dit-on ; et c’est tout un. J’étais le diable, en cette affaire.

Mais cette phrase, dont on s’est fait un étendard, pensez-vous que je la veuille nier et renier ? Point du tout ! Je vous prie seulement que vous la relisiez. Que dit-elle ? Elle dit, et ne dit point autre chose, que, dans son ouvrage, M. Bremond a traité d’une matière fort riche. Je suis prêt à le dire et redire encore, puisqu’aussi bien, il a trait de poésie ; et vous conviendrez, sans doute, que la poésie est l’un des moins pauvres objets du monde. Ne sommes-nous pas tous d’accord sur ce point ? Et le problème était de savoir comment, cette matière, M. Bremond l’avait traitée sur ses fourneaux, dans ses cornues, pour la distiller enfin au serpentin de son alambic. Car il est permis à tout homme de parler de poésie et de ciseler les métaux précieux, mais l’essentiel est de savoir comme ils en parlent et comme ils les cisèlent, – quelle que puisse être d’ailleurs leur allégresse quand ils contemplent le résultat de leurs travaux, les enfants de leur verve et les œuvres de leur dialectique et de leurs ciseaux. Leur allégresse…. « c’est le contentement que doivent attendre même les mauvais ouvriers, en maniant une bonne étoffe. » Vous vous rappelez cette phrase. Sainte-Beuve déjà l’a citée ; elle est dans une lettre que Du Plessy-Mornay adressait à Du Bartas.

Vous n’ignorez plus en quel mépris M. Bremond tient les sentiments et les idées, j’entends en poésie. Ce ne sont pour lui que des véhicules. C’est le train des équipages d’Anima.

Si vous habitez Bordeaux et que je veuille aller vous voir, pour ce que vous êtes mon ami, je monte en wagon. Cette voiture m’apporte jusqu’à vous, mais nul ne prétendra jamais qu’elle soit un organe essentiel de notre amitié. De même, notre amie la poésie – la  Poésie Pure ! – vient  à nous sur les roues des idées et sur les banquettes des sentiments. Idées et sentiments la transportent ; ils n’ont point d’autre office.

Vous me répondrez, je pense, car vous n’aimez point à chasser le jaguar avec un filet à papillons, vous me répondrez, dis-je, que si d’un poème nous supprimons les sentiments et les idées, il ne reste plus rien, il ne reste plus qu’une page blanche ; qu’on chercherait vainement sur la candeur de la feuille un grain de poésie ; et qu’il faudrait, peut-être, de cet événement, déduire que la poésie n’est point chose si distincte des sentiments et des idées, puisqu’en les expulsant on l’expulse du même coup ; – tandis que je puis bien ne prendre pas le train pour me rendre auprès de vous : notre amitié n’en subsistera pas moins ; ce qui tendrait à prouver, et je l’ose à peine avancer, que l’amitié est beaucoup plus distincte des wagons que l’art des Muses ne l’est du sens que nous donnons aux mots.

Vous allez me dire que mon langage est bien singulier, mais il vous paraîtrait moins étonnant, si vous aviez lu les ouvrages de M. Bremond. Il ne parle que par images. C’est un poète…..

Je vous avouerai qu’il n’a pas accroché la poésie – la Poésie Pure – derrière  une locomotive. Il ne l’a point fait rouler sur des rails ; mais il a pensé, comme je vous l’ai confié tout à l’heure, qu’elle suivrait plus volontiers un fil électrique.

Que la poésie coure le long d’un fil et que ce fil soit formé de l’alliage des sentiments et des idées, – ou des mots qui les représentent – nous le voulons bien croire. Nous serions heureux pourtant qu’on nous le démontrât ; car, si l’on nous dit que les poètes, en tant que poètes sont inaptes à prouver, on ne nous dit point, au contraire, que la critique soit inhabile à manier les armes de la raison. Nous errons donc aux chariots capricieux de l’hypothèse et de l’aventure.

Il ne vous a point échappé que M. Bremond a mis toute sa tendresse en cette poésie – la Poésie Pure – si  mystérieuse et si secrète que personne n’a jamais vu le bout de son aile. Ne me faites point blasphémer ! Je sais fort bien qu’il est un mystère en poésie et qu’une poésie sans mystère, c’est une amphore vide, un vase creux – et, partant, fort aisément sonore. Mais ce mystère éclairé à l’électricité ne m’enchante guère.

Quel est ce mystère, selon M. Bremond ? Je ne le sais pas. Il ne le sait pas davantage. Ce n’est pas une épigramme. Loin de moi la pensée d’un si coupable attentat ; mais n’est-ce point lui-même qui insiste sur l’impossibilité où nous sommes de comprendre jamais en quoi consiste l’activité poétique ? C’est la noix qu’il n’ouvrira point.

Eh ! si nous ne pouvons pénétrer ce mystère, – ce dont je doute – il n’est plus que de chanter de beaux vers, et non plus de gaspiller encre et papier à commenter leur inconnaissable secret ! C’est la logique même. Vous occupez-vous de labourer les champs de la lune ou de pêcher les carpes aux fleuves de Sirius ? Quel savant se peut attacher à trouver la solution d’un problème insoluble, – j’entends  que le savant dit lui-même insoluble ? Et là-dessus, ce mystère clos étant tout – ce qu’on lui concède de bon cœur – comment notre critique aimerait-il Boileau ?

Ce Boileau !... Un régent, qui ne parle que de règles, qui traite des trois unités, de la péripétie, des limites de la satire, de la rime et de la raison, de la cadence, de l’hiatus et de la césure !... Beau potage, en effet, qui nous est servi là, quand on ne nous devrait entretenir que de l’inspiration et de ce feu qui couve en nous et qui se veut répandre dans tous les cœurs de l’Univers par le truchement des oreilles ! Ce Boileau, on dirait un zingueur. Il ne parle que de canalisations et de creux cylindres de fer mis bout à bout. Que ne nous chanterait-il le torrent et sa source prodigieuse ? Car, enfin, s’il n’y avait point de torrent, de quoi serviraient vos tuyaux, pauvre homme ? Ils n’enfermeraient plus que du vent ! Allez, allez rêver dans le jardin d’Auteuil !

- Mes tuyaux, répondra le satirique, je les préfère peut-être à votre fil de cuivre. J’ai fait un art poétique. Ai-je nié, dès l’abord, le mystère de la poésie ? De quoi m’accusez-vous ? N’ai-je senti du ciel l’influence secrète ? N’en ai-je point parlé ? Certes si, et vous l’avez noté d’ailleurs en votre ouvrage. Mais devais-je donc en parler tout au long de mon poème, quand vous dites, vous-même, qu’on n’en peut rien savoir ? Qu’en aurais-je pu dire ? Et l’on me doit gré, sans doute, de n’avoir pas entassé pages sur pages et chapitres sur chapitres autour de ce mystère que tous les éclaircissements ne peuvent éclaircir, à vous entendre. Je n’aime point à parler de ce que j’ignore. C’est temps perdu pour tout le monde, pour le lecteur comme pour l’écrivain.

Mais la poésie est une chose et l’art poétique en est une autre. Il est mille cœurs qui sont gonflés d’un sentiment superbe ; est-ce à dire qu’ils sachent faire des vers ? J’ai un chien, sous mes chèvrefeuilles, qui est parfois comme ivre de bonheur et de courroux ; il est quasi inspiré. Je l’écoute : il aboie. Vous vous moquez de mes tuyaux, mais n’est-ce point par eux que l’inspiration peut descendre du poète dans la ville ? Ou bien faut-il que le poète aboie ? Ce serait poésie pure et barbarie ? Ce serait beau spectacle aux antres du Parnasse. Et, vous-même, quand vous parlez de votre fil électrique, ne me donnez-vous pas raison ? Suivant les mots, dites-vous, le courant passe ou ne passe pas. N’y a-t-il donc pas un art de choisir les mots et de les lier, et ne faut-il pas dès lors se soucier de l’hiatus et de la césure ; et devais-je composer autrement mon art poétique ?

Vous avez pris soin de noter, car vous entendez l’anglois, que Keats avait d’abord écrit :

    A thing of beauty is a constant joy ;

et qu’il écrivit ensuite :

    A thing of beauty is a joy for ever.

Et vous dites que le second vers est incomparablement plus beau. Certes ! – mais on n’a fait que changer quelques sons ! C’est, si je l’ose dire, une correction matérielle ; et me reprochez-vous encore de m’occuper, comme je fais, de la forme des vers et de l’art de les bien composer ?

Ce n’est pas un jeu chinois. C’est un art où la dignité de la pensée est engagée, et qui, s’il réussit, permet aux âmes de communiquer entre elles. Vous avouerez que l’on s’en peut bien soucier ; et n’avez-vous pas écrit que « le poète, en tant que poète, n’a qu’un souci : rencontrer l’heureuse disposition de mots qui fera passer le courant. » Disposition de mots… Eh ! oui, c’est l’un des grands secrets de la poésie ; et j’ai tenté d’y promener cette petite lampe que je tenais d’un poing solide. Car il importe que les vers soient bien faits, comme il importe que les murailles soient verticales et les billards horizontaux.

J’entends d’ici des murmures, des cris. On me va dire que je suis défenseur d’une poésie morte, immobile et carrée, et l’on fondera pour me confondre, le parti de la poésie frissonnante et du billard vivant, dont le tapis vert ondule au caprice des brises parfumées.

Je n’en démordrai pas. L’inspiration, – usons de ce mot commode – l’inspiration est tout, certes ; et qui le nie ? Mais, seule, elle n’est rien. Comme vous l’avez écrit vous-même, les visites de la Muse sont fréquentes – « et même aux plus médiocres. A ceux-ci, en effet, ordinairement, ce n’est pas l’inspiration qui manque, mais le talent ou la vertu. » C’est fort bien dit, et il n’est pas d’homme, je pense, qui n’ait ses désespoirs, ses extases et ses mélancolies. C’est richesse commune, et mon chien lui-même n’en est pas dépourvu. Mais ces bouillonnements de l’esprit et du cœur, et ces langueurs, il les faut faire passer en d’autres âmes. Sera-ce par des cris et par des aboiements ? Je ne le pense guère, ni vous, ni personne ; et c’est là, en ce point précis, qu’intervient mon art poétique.

L’inspiration, c’est la vendange foulée et dont l’odeur nous fait tourner la tête et chavirer l’esprit. Mais il la faut mettre en bouteilles, si l’on veut qu’aux villes lointaines et aux années futures, les hommes boivent le bon vin. J’enseigne comme il faut fabriquer les bouteilles, et, sans mon secours, nous n’aurions plus que le spectacle mélancolique et vain d’une pourpre qui ruisselle sur le sol, parmi les grappes écrasées, et qui pourrit dans le vent tiède des automnes.

Le bruit des autobus ébranlait les croisées.

- Il faut la vigne et la bouteille, dit M. Decalandre ; il faut la bride et le cheval.

Un instant, il rêva ; puis bourrant sa vieille pipe :

- La poésie pure, murmura-t-il, c’est comme l’amour pur.

- Et l’amour pur ? demanda Mme Baramel.

- C’est celui qu’on ne fait pas.


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