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Xavier Forneret : Le Diamant de l'herbe FORNERET, Xavier (1809-1884) : Le Diamant de l'herbe, 1859.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (17.01.1997)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55
E-mail : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com
http://ourworld.compuserve.com/homepages/bib_lisieux/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Le Diamant de l'herbe
par
Xavier Forneret

Selon, je crois, des dires, le ver luisant annonce par son apparition plus ou moins lumineuse, plus ou moins renouvelée, plus ou moins près de certain endroit, plus ou moins multipliée, car, toujours selon les dires, il se meut sous l'influence de ce qui doit advenir, le ver luisant présage ou une tempête sur mer, ou une révolution sur terre : alors il est sombre, se rallume et s'éteint ; puis un miracle : alors on le voit à peine ; puis un meurtre : il est rougeâtre ; puis de la neige : ses pattes deviennent noires ; du froid : il est d'un vif éclat sans cesse ; de la pluie : il change de place ; des fêtes publiques : il frémit dans l'herbe et s'épanche en innombrables petits jets de lumière ; de la grêle : il se remue par saccades ; du vent : il semble s'enfoncer en terre ; un beau ciel pour le lendemain : il est bleu ; une belle nuit : il étoile l'herbe à peu près comme pour les fêtes publiques, seulement il ne frémit pas. Pour une enfant qui naît, le ver est blanc ; enfin, à l'heure où s'accomplit une étrange destinée, le ver luisant est jaune.

Je ne sais jusqu'à quel point ces dires doivent être crus ; mais voici : je raconte.

Par un soir où tout le souffle des anges volait sur la figure des hommes ; par un de ces soirs où l'on voudrait avoir mille poumons pour leur donner à tous cet air qui semble venir des jardins du ciel ; sous d'énormes et vieux arbres plantés dans des brins d'herbe, un pavillon étalait à la lune ses ailes oblongues et délabrées.

Il y avait là de l'eau qui pleurait en passant sur un lit d'épines. Il y avait là bien des pierres verdâtres où les doigts du temps avaient fait de gros trous ; bien de la mousse autour des pierres ; bien des feuilles sèches de trois ou quatre années peut-être ; bien du mystère, bien du silence, bien de l'éloignement de tout ce qui a vie humaine. Là, un homme aurait pu se croire le premier ou le dernier homme, à la création ou au jugement de Dieu. Oh ! comme la lune paraissait offrir à chaque feuille des vieux arbres, à chaque pierre du pavillon, à l'eau qui s'en allait, aux ronces qui l'arrêtaient, sa mélancolie grave et ses larmes blanches ! Mais bientôt elle se lassa de regarder la terre, se couvrit pour un instant d'un voile presque noir, et alors il n'y eut plus pour éclairer les choses du lieu abandonné qu'un léger feu sur l'herbe. C'était un petit ver luisant qui jaillissait de tous côtés en étoiles ; il prédisait beau jour, après la nuit qui passait.

Du chèvrefeuille venait, par le toit du pavillon, se glisser à travers ses fenêtres, se tordant et se laissant choir de vieillesse ; et quand la lune reparut, le pavillon ressemblait à une tête blanche, ayant à son sommet de longues tresses de cheveux verts qui allaient caresser des yeux remplis de larmes de pierre.

Sur le pavé saupoudré de poussière et de vieux plâtre se décollant du plafond et des murs de la demeure en ruine, on apercevait des pas d'homme fraîchement empreints, on voyait des marques fines et légères qui annonçaient qu'un pied de femme avait aussi effleuré cet endroit de solitude profonde.

Une lampe de cuivre, retenue par un cordon de soie rose, vacillait imperceptiblement au milieu de la masure. Ses mèches étaient en état de donner de la lumière, et l'on reconnaissait facilement qu'elles avaient brûlé la précédente nuit.

A cette lampe il y avait un abat-jour comme à une lanterne sourde ; et à cet abat-jour, un ruban, de couleur brune, attaché au seul bras qui restât à un fauteuil ; l'autre s'était sans doute perdu à une bataille d'années.

Sur le fauteuil, très large, et habillé d'une étoffe autrefois velours amarante, deux places étaient marquées ; l'interstice laissait observer que les deux personnes qui s'y asseyaient se tenaient fort rapprochées l'une de l'autre. Bien des endroits du fauteuil étaient couverts de poussière, tandis qu'ailleurs tout reluisait, frotté, ciré, presque usé par les corps qui semblaient en prendre souvent possession.

Le fauteuil faisait face à la lampe qui pendait à peu de distance de la terre et de lui.

Outre de l'écoulement de l'eau en dehors, on entendait au-dedans du pavillon quelque chose qui frémissait dans tous ses coins ; et quand le regard de la lune en éclairait quelques-uns, l'oeil distinguait des objets semblables à de larges traces d'encre bien noire, auxquelles le hasard fait des pattes, sur la blancheur d'un papier ; des objets marchant, s'arrêtant, puis remuant de nouveau, et marquant sous eux des traînées à reflets comme ceux que lancent des ailes de cigale en joie, ou des bulles de savon au soleil, ou des écailles de poisson vues à certain point du jour, un clan d'araignées en famille, avec son trousseau de toile, désespoir des mouches et secours des doigts coupés. L'araignée se pavanait, là, d'indépendance, n'ayant point à redouter ni les cris d'enfant et de femme qui décèlent sa présence, ni alors l'époussette du valet qui l'étourdit, ni les semelles de souliers ou de pantoufles qui l'écrasent, ni encore la langue d'une bougie qui la brûle. L'araignée vivait là, en toute sécurité dans son domaine poudreux. Le ver luisant ne devait pas revêtir pour elle sa nuance d'étrange destin, sa nuance jaune. L'araignée se filait un bonheur de soie, doux, uniforme, de tous les jours, de toutes les heures, de chaque minute, de chaque seconde, de chaque tierce.

Des fleurs étaient effeuillées sur le fauteuil et dans tout le pavillon. Un petit banc, recouvert d'un coussin touchait les pieds de devant du siège de repos, et ne servait que pour la place à droite ; du moins, on pouvait le supposer. Le bras restant du fauteuil était aussi à droite.

Sous l'appui du petit banc, disposé en forme de tiroir, existait un coffret en ussasi, qu'on dérangeait et remettait souvent dans sa case ; ses angles s'émoussaient, s'esquillaient, s'arrondissaient à force d'être touchés, retouchés, encore, encore.

Neuf heures sonnaient au moment où la lune donnait son regard où l'araignée filait, où le ver luisant luisait.

L'eau coulait comme le temps passe, toujours.

Bientôt apparut, dans la ligne de terre et de sable d'un sentier, une femme jeune. Sa robe était blanche et volait sous la bouche du vent. Ses cheveux s'agitaient comme des flots dorés, sur sa poitrine pâle comme sa robe et haletante comme ses cheveux. Sa bouche, oh ! sa bouche, vous eussiez dit qu'elle se posait sur des lèvres, tant elle était frémissante, tant y était appliquée cette agitation voluptueuse qui n'existe que quand lèvres sont sur lèvres, que lorsque coeur est sur coeur. Dans tous ses traits, il y avait toute l'espérance ; dans le plus caché de ses regards, il y avait la mort que donne souvent un bonheur ; vous savez, cette mort qui vous arrive par un frisson qui vous gagne, par un serrement qui lie vos veines, par cette extase qui arrête votre vie et vous laisse la chaleur de votre sang ; vous savez ?

C'est que, voyez-vous, cette femme allait à un rendez-vous d'amour. Elle croyait bien à Dieu, allez ; à Dieu, aux saints, aux anges, à tout ; oh ! oui, elle croyait. Si vous aviez pu voir son coeur sauter dans sa poitrine au milieu de ses saintes croyances, vous vous seriez dit : «Qu'a donc cette femme ? Oh ! mais, qu'à donc cette femme ?» Et si fort et si armé que vous eussiez été, si elle avait pu lire vos pensées à travers votre visage, elle vous aurait répondu : «Arrière ! arrière ! que je passe ! Je vais à mon rendez-vous d'amour, et dussé-je en passant vous laisser une partie de mon corps sur votre épée, plusieurs de mes os cassés, brisés, moulus, à cette partie de mon corps, pourvu qu'il m'en reste assez pour pouvoir porter mon coeur sur celui de mon amant ; pourvu que j'aie encore à donner un souffle à son baiser, un sourire à sa bouche, un regard à ses yeux, une larme à son âme ; eh bien ! que mon sang coule après sous la pointe de votre arme ; que ma chair se sépare et s'épanche sous son tranchant, peu m'importe, voyez-vous, peu m'importe ! Mais par grâce, mon Dieu ! mon Dieu ! que j'aille à mon rendez-vous d'amour, que j'aille au paradis du ciel !»

Et elle allait, elle allait, la jeune femme, caressant la terre de ses pieds, comme si elle l'eût baisée, parfumant, de son passage, les fleurs et l'air, laissant partout un peu de ses yeux, un peu de son souffle, un peu de son âme.

Elle disait : «Je vais donc le regarder, lui parler, l'entendre, le toucher ! Oh ! oui, j'aurai tout cela. Ma voix se mêlera à la sienne ; mais la sienne est plus douce mille fois. Oh ! si vous l'entendiez, vraiment il me fait mourir avec les mots de son coeur, vraiment. Vous ne pouvez penser comment il dit : «Je t'aime !»

Non, car il ne le dit jamais et je l'entends sans cesse. Le soleil échauffe les veines de la terre, lui calcine les miennes. Mon Dieu ! comment veux-je donc raconter ce que j'éprouve ? Je suis bien embarrassée. Il y a quelque chose, quand il est là, de tout transparent, de tout illuminé, de tout suave, qui réjouit, qui étonne, qui accable. J'entends des sons qui mordent d'abord l'oreille, puis la caressent ensuite, puis l'enveloppent de mélodie. J'entends des baisers, cet argent des lèvres, qui sonnent tout autour de moi ; puis des cris qui commencent, suivent, s'enflent, ondulent et s'en vont en s'éteignant. Est-ce là ce que j'éprouve, ce que j'entends, ce que je vois ? Non, ce ne peut être encore cela. Parfois des images, à minces feuillés d'or, semblent passer sur ma tête ; des tourbillons d'esprits, avec des ailes qui ne font ombre nulle part, viennent effleurer mon visage ; des rubans, à nuances d'un nombre infini, se déroulent, s'épanchent, se froissent, brillent et tombent je ne sais où ; un Génie que Dieu seul connaît et envoie m'entoure d'une impulsion qui tantôt me heurte, me retient, me rend froide, me ranime, me fond. C'est comme si je recevais trois ou quatre fois la vie, trois ou quatre fois la mort».

La jeune femme regardait les pierres, les buissons, les herbes, et leur murmurait ce qui s'agitait en elle.

Bientôt le sentier se perdit au lieu du pavillon, et amena la jeune femme. Elle écouta son eau, ressentit quelque chose de bien doux, bien doux, et sourit à son petit ver qui venait de cacher la lune.

Elle entra.

Le petit ver devenait jaune.

Aussitôt elle tomba à genoux, se signa et parut béante devant une des places du fauteuil. Ses doigts se mêlaient doucement à des touffes de violette et de jasmin, et séparaient de leurs tiges leurs fleurs blanches et bleues ; puis elle les jetait sur le fauteuil comme un petit abbé encense pour la Fête-Dieu. Une barrière pesait sur son souffle, et un voile de larmes était à ses yeux.

Cette adoration dura à peu près le temps qu'il faut pour dire cinq fois Pater noster, quatre fois Ave Maria...

Après quoi la jeune femme se leva, s'assit, n'alluma pas la lampe, car déjà elle ne s'occupait plus de rien ; déjà elle ne ressemblait plus qu'à une machine encore un peu mobile. Elle était inquiète, haletante, entourée de frissons, car elle attendait et personne ne venait. A peine elle sortit de sa petite cachette le coffret d'ussasi, pour le baiser sur toutes ses faces, sur toutes ses parties, sur tous ses recoins.

Nous n'entreprendrons pas de dire ce qu'elle ressentit pendant une heure, en ne voyant rien entrer dans le pavillon ; ce serait aussi difficile à raconter que le monde à refaire. Nous croyons seulement qu'une lourde fumée l'étouffait, que des dents la rongeaient, que des cordes de feu serraient son coeur, qu'elle se débattait, languissait, se mourait sous quelque chose d'affreux.

Tout à coup la peur la prit quand elle aperçut, un peu au-dessus de la lampe obscure, des yeux qui regardaient.

Quelque temps, elle resta fixée au fauteuil par ces deux clous mouvants ; mais un effort subit la tira par sa robe, et la fit fuir en semant de ses lèvres : «Oh ! s'il était mort ! Oh ! s'il allait être mort !» Et elle courut, elle courut, et tomba sur son amant qui venait d'être assassiné.

Il y avait sur la lampe du pavillon une chouette qui se balançait gravement et qui, au moment de la sortie de la jeune femme, se mirait dans le petit ver.

Le lendemain, à la même heure, ce ver, qui avait jauni pour l'homme, jaunissait pour la femme ; elle s'empoisonnait où elle était tombée.


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