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Miguel de Cervantes y Saavedra - Don Quijote de la Mancha - Ebook:
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E. Pottier : Chants révolutionnaires (1887) POTTIER, Eugène (1816-1887) : Chants révolutionnaires (1887).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (15.III.2000)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Textes établis et extraits d'un exemplaire de l'édition Dentu, Paris 1887, des Chants révolutionnaires d'Eugène Pottier (Bm Lx : 26892).
 
Chants révolutionnaires
par
Eugène Pottier

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JEAN MISÈRE

 
A Henri ROCHEFORT
 
Décharné, de haillons vêtu,
Fou de fièvre, au coin d'un impasse,
Jean Misère s'est abattu.
«Douleur, dit-il, n'es-tu pas lasse ?»
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Pas un astre et pas un ami !
La place est déserte et perdue.
S'il faisait sec, j'aurais dormi,
Il pleut de la neige fondue.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Est-ce la fin, mon vieux pavé ?
Tu vois : ni gîte, ni pitance,
Ah ! la poche au fiel a crevé ;
Je voudrais vomir l'existence.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Je fus bon ouvrier tailleur.
Vieux, que suis-je ? une loque immonde.
C'est l'histoire du travailleur,
Depuis que notre monde est monde.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Maigre salaire et nul repos,
Il faut qu'on s'y fasse ou qu'on crève,
Bonnets carrés et chassepots
Ne se mettent jamais en grève.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Malheur ! ils nous font la leçon,
Ils prêchent l'ordre et la famille ;
Leur guerre a tué mon garçon,
Leur luxe a débauché ma fille !
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
De ces détrousseurs inhumains,
L'Église bénit les sacoches ;
Et leur bon Dieu nous tient les mains
Pendant qu'on fouille dans nos poches.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Un jour, le Ciel s'est éclairé,
Le soleiil a lui dans mon bouge ;
J'ai pris l'arme d'un fédéré
Et j'ai suivi le drapeau rouge.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Mais, par mille on nous coucha bas ;
C'était sinistre au clair de lune ;
Quand on m'a retiré du tas,
J'ai crié : Vive la Commune !
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Adieu, martyrs de Satory,
Adieu, nos châteaux en Espagne !
Ah ! mourons !... ce monde est pourri ;
On en sort comme on sort d'un bagne.
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
A la morgue on coucha son corps,
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts :
Les Otages de la misère !
        Ah ! mais...
Ça ne finira donc jamais ?...
 
Paris, 1880.
    

 
*
**

 
LA TOILE D'ARAIGNÉE

 
A mon ami le Docteur GOUPIL, membre de la Commune.
 
     De sa rosace immense encombrant le ciel bleu,
Il est un monstre amorphe, intangible et farouche ;
Ce cauchemar du vide affole ce qu'il touche
Et répand un venin qui met la terre en feu.
 
Ce parasite ignore et le temps et le lieu,
Rend l'univers bancal et la nature louche,
Et, liant la raison comme une faible mouche,
Il lui boit le cerveau. Ce vampire, c'est Dieu !
 
Ce néant a fourbi les griffes de nos maîtres,
De sa chiasse immonde il enfanta les prêtres,
Il barre de ses fils nos paradis déçus.
 
Homme, n'attends pas d'être englué dans ses toiles
Et, crevant ce haillon qui s'accroche aux étoiles,
Déniche l'araignée, et mets le pied dessus !
 
New-York, 1875.
    

 
*
**

 
A NAPOLÉON Ier

 
A Félix PYAT.
 
     Les Droits de l'Homme avaient tracé
Son nouvel orbite à la terre.
Ton aventure militaire
La replongea dans le passé.
 
Ton crime fut héréditaire
Et Décembre t'a dépassé.
La Commune te mit par terre,
Mais depuis - on t'a ramassé !
 
O bandit de la grande espèce,
S'il faut que l'avenir connaisse
Tes forfaits et ton nom flétri,
 
Viens, forçat, qu'on te reboulonne.
Et, debout, sur cette colonne
Reste toujours au pilori !
 
18 brumaire an 91
    

 
*
**

 
ABONDANCE

 
A Ferdinand GAMBON, membre de la Commune
 
     Toute une mer d'épis ondule et les sillons
Portent à la famine un défi ; l'été brille,
De chauds aromes d'ambre emplissent les rayons ;
Les blés mûrs, pleins et lourds, attendent la faucille.
 
Les moineaux, les mulots festinent ; les grillons
Poussent un choeur strident comme un feu qui pétille.
La brute semble croire à ce que nous croyons,
On entend tout chanter l'Abondance en famille.
 
Du sein de la nourrice, il coule en ce beau jour
Une inondation d'existence et d'amour.
Tout est fécondité, tout pullule et foisonne !
 
Mais, rentrant au faubourg, mon pied heurte en chemin
Un enfant et sa mère en haillons ! - morts de faim !
Qu'en dites-vous, blés mûrs, et qui donc vous moissonne ?
 
Paris, juillet 1883.
    

 
*
**

 
LA SAINTE TRINITÉ

 
A HOVELACQUE, Conseiller municipal
 
     Primo Religion : - La vieille grimacière
Qui vous la fait, jobards, au dogme, au sacrement,
Qui tient l'homme à genoux en l'appelant : Poussière
Et vous vend du miracle en sachant qu'elle ment.
 
Propriété : - Mais moi, mobilière ou foncière
Je proviens du travail ! - Oui, c'est ton boniment ;
Mais le travail s'en plaint, honnête financière,
Tu l'as dévalisé par ton prélèvement.
 
Ordre enfin ! - Un César, un général qui sacre,
Qui maintient au dedans la paix par le massacre
Et la guerre au dehors sans risquer un cheveu.
 
Très Sainte Trinité, c'est toi qui nous rançonnes !
Prêtre, usurier, soudard ; sur terre en trois personnes
Le mensonge, le vol et le meurtre sont Dieu.
 
Paris, 1882.
    

 
*
**

 
BLANQUI

 
A EUDES, membre de la Commune
 
             Contre une classe sans entraillles,
        Luttant pour le peuple sans pain,
        Il eut, vivant, quatre murailles,
        Mort, quatre planches de sapin !

 
La chambre mortuaire était au quatrième ;
Et la foule, à pas lents, gravissait l'escalier :
Le Paris du travail, en blouse d'atelier,
Des femmes, des enfants ; plus d'un visage blême.
 
Ce grand deuil prévalait sur le soin journalier
Du pain de la famille ; il eut, trois jours, la même
Affluence d'amis pour cet adieu suprême.
- Moi, j'attendais mon tour, rêvant sur le palier.
 
Ce coeur qui ne bat plus battait pour une idée :
L'Égalité !... Gens sourds ! Terre, esclave ridée
Qui tournes dans ta cage ainsi que l'écureuil,
 
A présent qu'il est mort, tu l'entendras... peut-être !
Ce combattant, passant de la geôle au cercueil,
Du fond de son silence, il dit : Ni Dieu, ni maître !
 
4 janvier 1881.
    

 
*
**

 
DROITS ET DEVOIRS

 
Au citoyen OTTIN père, statuaire.
 
     «Les forts auront les droits, les faibles les devoirs !»
On grava sur le roc cette loi sociale
Et l'autorité fut l'Idole colossale
Écrasant sous son char ses croyants blancs et noirs.
 
Le pontife endormeur fuma ses encensoirs
Et la foule peina, misérable et vassale.
Alors, l'Égalité pris sa torche et, fatale,
Incendia la caste et brûla les manoirs.
 
- ... Avenir ! Oh ! quelle est cette mère ravie
Qui sourit à l'enfant qui tette et boit sa vie ?
C'est toi, société future en qui je crois !
 
Le sang a submergé ta devise première
Et tu viens de tracer en lettres de lumière :
«Les forts ont les devoirs et les faibles les droits !»
 
 
Paris, 1884.
    

 
*
**

 
MANGIN

 
... Tas d'imbéciles qui m'écoutez.
(Mangin)
 
     Jadis Mangin, froid, sous son casque,
Crossait les badauds de Paris ;
J'aimais son boniment fantasque,
J'aimais l'orgue de Vert-de-Gris.
 
J'aime à Notre-Dame, en carême,
Un prédicateur virulent ;
Certes, son orgue est plus ronflant,
Mais son boniment, c'est le même !
 
«Pêcheurs, achetez nos pardons,
»La sainte Église attend vos dons ;
»Soyez fervents, soyez dociles !
 
»Et, confits dans ces vérités,
»O mes frères qui m'écoutez,
Allez en paix ! - Tas d'imbéciles !»
 
Newartk, N. J., 1876
    

 
*
**

 
MARGUERITE

 
A ma fille M. P.
 
     Marguerite a cinq ans et n'est pas baptisée,
La petite païenne ! Elle a le gai réveil
Des oiseaux gazouillant : Bonjour, mon beau soleil !
Et lui pose un baiser sur sa lèvre rosée.
 
C'est toute sa prière. Est-il Credo pareil ?
Elle admire le ciel, la flamme et la rosée :
Un nuage la tient une heure à la croisée ;
Elle aime ton drapeau, Commune, il est vermeil !
 
Elle ignore l'Église ! et va voir le dimanche
Les fragiles bourgeons qui s'ouvrent sur la branche ;
La nature lui parle et forme son esprit.
 
Elle devine un sens à tout. Si l'on lui donne
Une pousse de chou que le printemps chiffonne :
- Oh ! regardez ! dit-elle, on dirait qu'elle rit !
 
South-Boston, 1877.
    

 
*
**

 
LES BÊTES FÉROCES

 
Au citoyen L'HOMMEAU, secrétaire de la Ligue
de l'Intérêt public.
 
     Je vis à l'Hippodrome un dompteur et son fauve,
C'était un lion roux, l'oeil injecté de sang,
Sa gueule rouge ouvrait un antre menaçant :
Le dompteur reposait sa tête en cette alcôve.
 
Je vis à la tribune un monsieur bien pensant,
Sénateur, marguillier, propriétaire et chauve ;
Sa spécialité : soutien de l'ordre ! il sauve !!
Blanc cravaté du reste et le débit cassant :
 
«Pour sauver la famille et la foi de nos pères
»Et la propriété !! votons des lois sévères,
»Extirpons sans pitié l'élément corrupteur !»
 
De tous les carnassiers, c'est le plus réfractaire :
On peut apprivoiser lion, tigre ou panthère,
On n'apprivoise pas un vieux conservateur !
 
Paris, janvier 1881.
    

 
*
**

 
L'INTERNATIONALE

 
Au citoyen LEFRANÇAIS, membre de la Commune.
 
         C'est la lutte finale :
    Groupons-nous, et demain,
    L'Internationale
    Sera le genre humain.
 
Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C'est l'irruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !
 
Il n'est pas de sauveurs suprêmes :
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !
 
L'État comprime et la loi triche ;
L'Impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s'impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux.
C'est assez languir en tutelle,
L'Égalité veut d'autres lois ;
«Pas de droits sans devoirs, dit-elle,
»Égaux, pas de devoirs sans droits !»
 
Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la bande
Ce qu'il a créé s'est fondu.
En décrétant qu'on le lui rende
Le peuple ne veut que son dû.
 
Les Rois nous soulaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l'air et rompons les rangs !
S'ils s'obstinent, ces cannibales,
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
 
Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n'appartient qu'aux hommes,
L'oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais, si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins, disparaissent,
Le soleil brillera toujours !
 
    C'est la lutte finale :
    Groupons-nous, et demain,
    L'internationale
    Sera le genre humain.
 
Paris, juin 1871.
    

 
*
**

 
L'ENFANTEMENT

 
A Adolphe DOUAI, à New-York.
 
     Les flancs tout en lambeaux, la mère
Est en travail sur son lit de misère,
Notre siècle est un dénouement.
L'humanité, notre âme-mère,
Est en travail sur son lit de misère.
Peuples, voici l'enfantement !
 
Elle attendait sa délivrance
Depuis bien des jours ! Mais : voici !...
Son coeur qui s'appelle la France,
Devine un mâle et dit : merci !
«Qu'importent mes douleurs profondes,
»Voici mon temps, voici mon lieu !»
Et dans l'infini noir, les mondes
La veillent d'un regard de feu.
 
Chair qu'on dégrade et qu'on immole
Dans un passé presqu'inconnu,
Ce fut d'abord la vierge folle
Se livrant au premier venu.
Assez d'orgie et de batailles,
Assez d'esclavage muet,
Elle a senti dans ses entrailles
Quelque chose qui remuait.
 
Il lui fallut percer les ombres,
Traverser les bûchers ardents,
Des dieux balayer les décombres,
Gravir la route épée aux dents.
Triompher des rois et des castes
Et, dans ce combat éternel,
Pendant mille siècles néfastes,
Traîner son fardeau maternel.
 
Près d'elle un groupe de tout âge,
Le plus jeune a le fer en main.
«Employons le forceps, courage,
»Que tout s'achève avant demain !»
Ah ! jeune homme, en cette heure amère,
La science te le défend,
Tu risques de blesser la mère,
Tu risques de tuer l'enfant.
 
Des pièces de cent sous vivantes
Se parlent bas : «S'il vient à bien,
»Agio, banque, achats et ventes,
»Tout est fini : l'Or n'est plus rien.
»Si ce n'est qu'une fausse couche,
»On verra la Bourse monter,
»Grimpons à pieds joints sur sa couche,
»Tâchons de la faire avorter !»
 
Place aux derniers, aux misérables,
Aux va-nu-pieds, aux rejetés,
Peuplant par foules innombrables
Les campagnes et les cités.
«Il n'est plus d'ennemi qui bouge,
»Mère, mère, l'heure a sonné,
»Couvre de notre drapeau rouge
»Le berceau de ton nouveau-né !»
 
Paris, juin 1848.
    

 
*
**

 
JEAN LEBRAS
 
Au citoyen Charles BOUGRAT.

 
     Jean Lebras fut un pauvre hère,
Issu de pauvres père et mère,
     Par accident,
   A leur corps défendant.
L'amour a triché la misère.
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Un jour tu te reposeras !
 
Timide et chétif de nature,
Tout malingre, à la filature,
     Il fut placé,
   Sans savoir l'a.b.c.
Il n'apprit que la courbature....
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Un jour tu te reposeras !
 
Sans métier, poussant dans la gêne,
Homme, il devint homme de peine,
     Peine en tout point,
   Car, de dimanches point,
Ce fut pour lui toujours semaine.
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Un jour tu te reposeras !
 
Il eut pour surcroît de besogne
Soeur idiote et père ivrogne,
     Au bout le bout,
   Peut-on suffire à tout ?
Sur le pain, le sommeil, on rogne.
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Un jour tu te reposeras !
 
Pour un salaire des plus maigres,
Il passa ses jours les plus aigres,
     En vrai cheval,
   Chez un gros libéral :
- Son patron plaignait fort les nègres. -
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Un jour tu te reposeras !
 
Tout en courant, mangeant sa miche,
De son mal il n'était pas chiche...
     Se sentant vieux,
   Il devint envieux...
Du chien... qui dormait dans sa niche.
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Un jour tu te reposeras !
 
Il n'eut pas l'amour qui soulage.
Un lourd colis dans un roulage,
     Raide étendu,
   Coucha l'individu.
On coud sa toile d'emballage.
     Jean Lebras,
    Pauvre Jean Lebras !
Enfin tu te reposeras !
 
Gravesend, 1872.
    

 
*
**

 
LA MORT D'UN GLOBE

 
A. B. MALON, membre de la Commune.
 
     Aux mers d'azur où nagent les étoiles,
Notre oeil de chair se noie en se plongeant,
Mais l'infini parfois lève ses voiles
Pour notre esprit, cet oeil intelligent.
Peuples du ciel, les astres ont une âme,
Leur tourbillon peut jouir ou souffrir,
L'amour unit tous ces frères de flamme :
Pleurez, soleils, un globe va mourir !
 
Il pivotait dans son noble équilibre,
Pour que jamais on n'y connût la faim.
L'homme groupé pouvait, heureux et libre,
Tirer de lui des récoltes sans fin.
Mais ses erreurs ont causé ses désastres,
Sous la contrainte il s'est laissé pourrir,
De son typhus il gangrène les astres,
Pleurez, soleils, un globe va mourir !
 
Fleuve de sang, la guerre s'y promène,
L'Idée y porte un bâillon outrageant,
L'anthropophage y vit de chair humaine,
De chair humaine y vit l'homme d'argent.
C'est le bourreau qui, dans ses mains infâmes,
Porte ce globe et qui semble l'offrir
Au Dieu vengeur, au dieu bourreau des âmes,
Pleurez, soleils, un globe va mourir !
 
Pourtant le code est écrit dans nos veines ;
L'attrait conduit les esprits et les corps.
Du grand concert des volontés humaines
Les passions sont les divins accords.
Non, le poids ment ! l'âme à tort se dilate,
En amputant la hache croit guérir :
De Prométhée on fait un cul-de-jatte !
Pleurez, soleils, un globe va mourir !
 
On entendra comme un sanglot qui navre,
Dernier soupir du condamné géant,
L'Éternité prendra ce grand cadavre
Pour l'enfouir aux fosses du néant.
Les univers, au sein des nuits profondes,
Cherchant ses os les pourront découvrir
Au champ de lait, cimetière des mondes.
Pleurez, soleils, un globe va mourir !
 
Jouy-en-Josas, 1849.
    

 
*
**

 
PROPAGANDE DES CHANSONS

 
A Gustave NADAUD.
 
     Le monde va changer de peau.
    Misère, il fuit ton bagne
Chacun met cocarde au chapeau,
    L'ornière et la montagne,
Sac au dos, bourrez vos caissons!
    Entrez vite en campagne !
          Chansons !
    Entrez vite en campagne !
 
Avec vous, montant aux greniers,
    Que l'espoir s'y hasarde !
Grabats sans draps, pieds sans souliers,
    Froid qui mord, pain qui tarde :
On y meurt de bien des façons !...
    Entrez dans la mansarde
          Chansons !
    Entrez dans la mansarde !
 
Que le laboureur indigent
    Voie à votre lumière
Si la faulx des prêteurs d'argent
    Tond ses blés la première.
Mieux vaudrait la grêle aux moissons...
    Entrez dans la chaumière !
          Chansons !
    Entrez dans la chaumière !
 
Les marchands sont notre embarras,
    L'esprit démocratique
Tombe à zéro, - souvant plus bas ! -
    Chez l'homme qui trafique.
Tirez du feu de ces glaçons !...
    Entrez dans la boutique !
          Chansons !
    Entrez dans la boutique !
 
On vous prendra, dit le rusé,
    Propriété, famille.
Le propriétaire abusé
    S'enferme et croit qu'on pille.
Pour guérir ces colimaçons...
    Entrez dans leur coquille !
          Chansons !
    Entrez dans leur coquille !
 
En paix, l'armée est un écrou
    Dans la main qui gouverne,
Pour serrer le carcan au cou
    Du peuple sans giberne.
Cet écrou, nous le dévissons...
    Entrez dans la caserne !
          Chansons!
    Entrez dans la caserne !
 
Paris, 1848.
    

 
*
**

 
TUER L'ENNUI !

 
A Émile ZOLA.
 
        La fabrique est sale et morose,
   L'air infect et la vitre en deuil ;
   J'y fais toujours la même chose,
   J'y tourne comme l'écureuil.
   Aussi j'ai du plomb dans la veine,
   Je me rouille dans mon étui.
   La ribotte a bu ma quinzaine.
Que voulez-vous ? Il faut tuer l'ennui !
 
   Oh ! vivre sous le ciel d'Afrique,
   Arabe ou lion, librement !...
   Je ne sais rien en politique,
   Mais j'ai besoin de mouvement !
   La rue éclate en fusillades,
   Le peuple va droit devant lui ;
   Allons faire des barricades !...
Que voulez-vous ? il faut tuer l'ennui !
 
   Feu ! toujours feu ! je suis la foudre,
   Mon âme bout dans mon fusil ;
   On met la gloire dans la poudre,
   On ne la met pas dans l'outil.
   Mais je tombe comme un homme ivre,
   Une balle au flanc - bonne nuit ! -
   Mourir ainsi, du moins c'est vivre.
Que voulez-vous ? il faut tuer l'ennui !
 
Paris, juin 1848.
    

 
*
**

 
LA GUERRE

 
A Eugène BAILLET (Lice chansonnière).
 
     On vient de déclarer la guerre :
«Allons-y ! disent les vautours ;
»Mais cela ne nous change guère,
»N'est-ce pas guerre tous les jours ?»
 
Du moins elle jette son masque,
En riant d'un rire insensé,
Le squelette a coiffé son casque,
Son cheval-squelette est lancé.
 
Elle couvait, aussi perverse,
De classe à classe, à tous degrés :
Ici, guet-apens du commerce ;
Là, famille à couteaux tirés.
 
Privé d'essor, le brigandage
Chutait au bagne à tous propos ;
On ne tolérait le pillage
Qu'à titre de banque et d'impôts.
 
On sevrait la soif sanguinaire ;
On réprimait le fauve instinct ;
On inquiétait Lacenaire,
On chagrinait ce bon Castaing.
 
Ah ! nous blâmions l'infanticide !
Nos fils ont vingt ans... et ce soir
Le conseil des bouchers décide
Lesquels sont bons pour l'abattoir.
 
Emplumés, tatoués, nous sommes
Des Peaux-Rouges, des clans rivaux.
Jetons au sol un fumier d'hommes,
«La terre en produit de nouveaux !»
 
Souffleté, l'Évangile émigre,
Les apôtres s'en vont bernés,
O patrie ! un reste de tigre
Rugit dans tous les «coeurs bien nés !»
 
On chauffe à blanc votre colère,
Peuples sans solidarité,
Mis au régime cellulaire
De la nationalité.
 
L'obus déchire la nuit noire,
Le feu dévore la cité ;
Le sang est tiré... viens le boire !
Toi, qu'on nomme l'Humanité.
 
Le droit de la force et du nombre
Piaffe sur les vaincus meurtris ;
La gloire étend sur le ciel sombre
Ses ailes de chauve-souris.
 
Guerre ! guerre ! mais qu'attend-elle
Pour broyer la chair et les os ?
Elle attend la feuille nouvelle,
Le mois des fleurs et des oiseaux.
 
Paris, 1857.
    

 
*
**

 
LE DÉFILÉ DE L'EMPIRE

 
Au citoyen PETIT-PIERRE (Lice chansonnière).
 
     Cloches et canons... c'est fête !
Un brouillard couvre Paris.
Des ombres, musique en tête,
S'estompent sur ce fond gris.
Quel long cortège fossile,
Invalides et vieillards,
C'est l'Empire qui défile,
Défile dans les brouillards !
 
Vieille et pieuse réclame !
Le vieux monde officiel
Dans la vieille Notre-Dame
Va rende grâce au vieux ciel.
Décembre a sauvé Basile,
Vautour échappe aux pillards...
Va, vieil Empire, défile,
Défile dans les brouillards !
 
Les gros bonnets de l'armée,
Chasseurs de bonnes maisons,
Piaffent, la tête emplumée,
Aux gages des trahisons.
Dieu ! que la guerre civile
A galonné ces Bayards !
Va, vieil Empire, défile,
Défile dans les brouillards !
 
Place à la magistrature !
Ces vieux jugeurs à faux poids
Font tenir la dictature
Dans le caoutchouc des lois.
Chez nous la toge servile
Cède aux armes des Césars.
Va, vieil Empire, défile,
Défile dans les brouillards !
 
Viennent les Académies,
Routines au col brodé.
Par ces vieilles ennemies
Tout génie est lapidé.
On châtre en leur vieux concile
Sciences, lettres, beaux-arts.
Va, vieil Empire, défile,
Défile dans les brouillards !
 
Voici la honteuse plaie,
La Banque et ses rois puissants,
Ces gens de fausse monnaie
Que l'on nomme commerçants.
Leur peau d'eunuque distille
Le vert-de-gris des vieux liards.
Va, vieil Empire, défile,
Défile dans les brouillards !
 
Le clergé remplit l'église.
Là, sous les cieux obscurcis,
Rome à prix d'or canonise
Les coups d'État réussis.
On vend au tigre, au reptile,
Des Te Deum nasillards.
Va, vieil Empire, défile,
Défile dans les brouillards !
 
Mais la science émancipe
La jeunesse au teint vermeil.
L'épais brouillard se dissipe
Devant un jeune soleil.
Et la vieillesse imbécile,
En de pompeux corbillards,
Avec l'Empire défile
Et file avec les brouillards !
 
Janvier 1852.
    

 
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LA GRÈVE DES FEMMES

 
A Édouard HACHIN (Lice chansonnière)
 
     Il surgit une autre Pucelle.
Insurgeant la femme, elle dit :
«Jusqu'à la paix universelle
»Tenons l'amour en interdit.
 
»A bas la guerre ! en grève ! en grève !
»La femme doit briser le glaive.
»Nargue à l'époux, nargue à l'amant !
    »Jusqu'au désarmement :
    »Les femmes sont en grève !
 
»Coeurs dévoués, brunes ou blondes,
»Que le sang versé révolta ;
»O citoyennes des deux mondes,
»Faisons notre grand coup d'État !
 
»Puisque la guerre inassouvie
»Entasse morts et mutilés,
»Nous, sur les portes de la vie,
»Dès ce soir posons les scellés !
 
»Ce noble but, chastes coquettes,
»Nous l'atteindrons les bras croisés !
»En rayant le droit de conquêtes,
»En rayant le droit aux baisers !
 
»Monsieur, je suis votre servante,
»Exercez-vous au chassepot !
»Le lit conjugal est en vente
»Pour cause de refus d'impôt.
 
»Épouses, mères, que nous sommes,
»Laissons ces héros maugréer.
»Tous ceux qui massacrent les hommes
»Ne sont pas dignes d'en créer.
 
»Quoi, mettre au monde et, folle et fière,
»Allaiter mes bébés joufflus,
»Pour les jeter dans la carrière
»Quand leurs aînés n'y seront plus ?
 
»S'il faut recruter vos milices,
»Fécondez tigresse ou guenon.
»Nous ne sommes plus vos complices
»Pour fournir la chair à canon.
 
»Dieu de paix, bénis ce chômage,
»Et, pour l'honneur des temps nouveaux,
»Nous ferons l'homme à ton image
»A la reprise des travaux.
 
»A bas la guerre ! en grève ! en grève !
»La femme doit briser le glaive.
»Nargue à l'époux, nargue à l'amant !
    »Jusqu'au désarmement :
    »Les femmes sont en grève !»
 
Paris, 1867.
    

 
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DON QUICHOTTE

 
A FLOURENS, assassiné.
 
     Rencontrant la chaîne des bagnes,
Le plus grand héros des Espagnes,
Don Quichotte, accourt, lance au poing !
Sancho voudrait n'en être point !
L'argousin fuit ; le fou sublime
Des fers arrache une victime.
«- Monsieur, disait Sancho Paça,
»Laissez donc la chaîne au forçat !
 
»- Ami Sancho, je fais mon oeuvre,
»Ce vieux forçat, c'est le manoeuvre,
»Outil dans sa rouille ébréché
»Et d'un vil salaire emmanché.
»L'argent, ce maître sans entrailles,
»L'use, puis le jette aux ferrailles.
»- Monsieur, disait Sancho Pança,
» Laissez donc la chaîne au forçat !
 
»- Sancho, je délivre et protège
»Ce petit forçat du collège,
»Nourri d'un savoir recraché
»Par les pédants qui l'ont mâché.
»Cet esprit dont ils font un cancre
»N'est qu'un cahier barbouillé d'encre...
»- Monsieur, disait Sancho Pança,
»Laissez donc la chaîne au forçat !
 
»- Sors aussi, forçat de caserne,
»Ta cervelle est une giberne,
»Ta conscience, un mousqueton ;
»Tu n'es plus qu'un homme à piston.
»Pour ce métier de cannibales
»On vous fond dans un moule à balles...
»- Monsieur, disait Sancho Pança,
»Laissez donc la chaîne au forçat !
 
»Et toi, forçat des sacristies,
»Jette la soutane aux orties,
»Le cloître a fait pousser en toi
»Les moisissures de la Foi.
»Rome lymphatique propage
»Les scrofules du moyen âge.....
»- Monsieur, disait Sancho Pança,
»Laissez donc la chaîne au forçat !
 
»- Toi, surtout, femme infortunée,
»Incomparable Dulcinée,
»Qui gémit aux mains des géants
»Et des enchanteurs mécréants,
»Du coeur la loi rompt l'équilibre,
»Il demande l'union libre.
»- Monsieur, disait Sancho Pança,
»Laissez donc la chaîne au forçat !»
 
O fleur de la chevalerie !
Dis-je alors dans ma rêverie,
Attaque ces géants de front
Malgré ton écuyer poltron.
Car, jusqu'au jour où ton épée
Aura clos la grande Épopée,
«- Monsieur, dira Sancho Pança,
»Laissez donc la chaîne au forçat !»
 
Paris, 1869.
    

 
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DÉFENDS-TOI, PARIS !

 
A URBAIN, membre de la Commune.
 
     Entends-tu les pas d'une armée,
Paris, quels sombres châtiments !
Sur tes coteaux vois la fumée
Des avant-postes allemands.
Voilà ce que l'Empire coûte,
La défaite et le désarroi.
Mais tu vas leur barrer la route.
Défends-toi ! Paris, défends-toi !
 
En un seul jour tomber du faîte
Grâce au culte des Intérêts,
C'est la France que nous a faite
Le règne des coupe-jarrets.
Mais tu vas rouvrir l'épopée,
Et comme ce gâteux sans foi,
Toi, tu ne rends pas ton épée.
Défends-toi, Paris, défends-toi !
 
S'ils entraient ! la tâche est ardue,
Quand tous les coeurs sont soulevés.
Les femmes ont la poix fondue,
Gavroche roule les pavés.
Allons, Paris, vieux camarade,
Tire la corde du beffroi,
Sois de granit..., sois barricade !
Défends-toi, Paris, défends-toi !
 
Jette Babylone aux orties.
Chasse dans tes sombres fureurs
Les catins et les dynasties,
Les marlous et les empereurs.
Insurge une France française,
Redeviens en ces jours d'effroi
Le volcan de quatre-vingt-treize.
Défends-toi, Paris, défends-toi !
 
Septembre 1870.
    

 
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GUILLAUME ET PARIS

 
Insérée au Combat, de Félix Pyat.
 
    
GUILLAUME
 
Paris, comprends ton danger :
J'ai pris ton armée au piège.
Ouvre, ou je vais t'assiéger !
 
PARIS
 
- Assiège !
 
GUILLAUME
 
Tu verras se consumer
Le vieillard, l'enfant, la femme :
Ouvre, ou je vais t'affamer !
 
PARIS
 
- Affame !
 
GUILLAUME
 
Un cratère va flamber,
Brûlant palais et mansarde.
Ouvre, ou je vais bombarder.
 
PARIS
 
- Bombarde !
 
GUILLAUME
 
Tous n'ont pas même raideur.
Pour la Paix qu'on maquignonne,
Quel est ton ambassadeur ?
 
PARIS
 
- Cambronne !
 
Novembre 1870.
    

 
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LA MONTAGNE

 
A GOUPIL fils.
 
     Fils de mon hôte, âme rêveuse et franche,
Un homme en vous grandit sous l'écolier.
Vous souvient-il qu'on nous vit un dimanche
Gravir le roc comme un grand escalier ?
Printemps, congé, votre âge et la campagne
Vous font oiseau, je grimpe, vous sautez ;
Pour vous l'étude est une autre montagne !
Montez gaîment, mon jeune ami, montez !
 
La pierre aiguë obstruait le voyage
Et les buissons dardant leurs ongles secs,
D'autres buissons vous barrent le passage :
Équations, vers latins, thèmes grecs.
Pour enjamber que d'efforts il en coûte ;
Mais regardez la cime aux reflets d'or ;
Un coeur vaillant ne peut rester en route,
Mon jeune ami, montez, montez encor !
 
Vous accrochant aux pousses du mélèze,
Dans les zigzags que le sentier décrit,
Vous me disiez : Comme on respire à l'aise !
Pour qu'il respire, élevons notre esprit
Loin des bas-fonds où l'erreur se promène ;
La vérité ne se prend qu'à l'assaut ;
C'est le grand air pour la pensée humaine,
Mon jeune ami, montez, montez plus haut !
 
Voyez ces troncs disposés en arcades,
Ces blocs taillés par un sculpteur brutal :
Au crâne nu d'un rocher, la cascade
Met en tombant des cheveux de cristal.
Par notre soif la source en fut bénie,
Ce filet d'eau sera fleuve en son cours.
Pour aller boire aux sources du génie,
Mon jeune ami, montez, montez toujours !
 
Autour de vous que d'ici votre oeil plonge
Tout fasciné d'espace et de soleil.
Les eaux, les bois, les lointains, c'est un songe,
As-tu, féerie, un spectacle pareil ?
L'homme grandit pour l'infini qu'il sonde,
Sur ses hauteurs la Science l'admet.
Là, face à face, il contemple le monde,
Mon jeune ami, montez jusqu'au sommet !
 
Grenoble, 1849.
    

 
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LE POLITICIEN

 
     Rédigeons : la phrase est utile.
Les journaux sont des marchepieds.
A fond de train poussons le style ;
Qu'il fasse feu des quatre pieds !
Forçons la note, enflons la gamme !
Promettons, - sans nous enferrer, -
Troussons galamment le programme :
Tout vient à qui sait rédiger.
 
Nous voici «classe dirigeante».
Laissons beugler les convaincus.
Dans notre caisse intransigeante
Dirigeons d'abord les écus.
Bien diriger, c'est sur nos têtes
Placer le monde en viager...
Le troupeau bêle ! ah ! sottes bêtes,
Qu'on a de mal à diriger !
 
Digérons... sans cesser de geindre.
Notre règne est un long repas.
Des millions à plein cylindre,
Dieu fasse qu'il ne pète pas !...
Tout beau !... carcasses décharnées,
Crevez la faim ! sans murmurer. -
Nous veillons sur vos destinées.
Laissez-nous en paix digérer !
    

 
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MADELEINE ET MARIE

 
A Louise MICHEL.
 
     Dans un faubourg tout brumeux d'industrie,
Où grouille l'homme, où grondent les métiers,
Deux blondes soeurs, Madeleine et Marie,
Faisaient penser aux fleurs des églantiers.
Elles poussaient dans la ville malsaine,
Pures d'instinct, chants d'oiseaux, rires fous,
L'homme a tué Marie et Madeleine.
Ah ! que la honte en retombe sur nous !
 
Ce lit d'hospice a les plis d'un suaire :
C'est Madeleine, elle est morte à vingt ans.
Déjà squelette avant qu'un peu de terre
Couvre son corps du linceul du printemps.
Voici sa carte !... Une fille de joie,
Joie ? ah ! voyez !... la ville a des égouts,
Et sous nos yeux, un pauvre enfant s'y noie.
Ah ! que la honte en retombe sur nous !
 
Marie aussi, chaste comme pas une,
Du travail âpre a bu l'épuisement.
Fleurs d'oranger, sur la fosse commune,
Vos brins fanés sont tout son monument.
L'aiguille est lourde à la main qui la tire ;
Marie, usant ses nuits pour quelques sous,
Est au métier morte vierge et martyre,
Ah ! que la honte en retombe sur nous !
 
Marie, ô toi, qui filais de la laine,
Repose bien tes jours inachevés.
Dors bien aussi, ma pauvre Madeleine,
Qui de leurs lits tombas sur les pavés.
Et tous les jours, Madeleine et Marie,
Quand des milliers succombent comme vous,
Rien dans nos coeurs ne se révolte et crie :
«Ah ! que la honte en retombe sur nous !»
 
1857.
    

 
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VENTRE CREUX

 
A Albert GOULÉ.
 
     J'ai faim, disait Ventre creux
   Devenu sceptique,
Je suis las des fruits véreux
   De la politique.
   Tiens ! je paie assez
   Les vieux pots cassés.
      Les partis
      Sont petits.
   Chacun a sa bande,
   J'aime mieux la viande !
 
Peuple, me dit en tout lieu
   Roi qui sollicite,
On ne fait bon pot-au-feu
   Que dans ma marmite.
   - Mais, grugeur d'impôt,
   De ta poule au pot
      Lorsque j'ai
      L'os rongé,
   C'est par contrebande,
   J'aime mieux la viande !
 
Un gras marguillier sans fiel,
   Monsieur Durosaire,
Me dit : Tu gagnes le ciel.
   Bénis ta misère.
   - Quoi ! pour mon salut
   Ce jeûne absolu,
      C'est très bien,
      Très chrétien !
   Que Dieu vous le rende,
   J'aime mieux la viande !
 
Un meneur fort amical
   Me dit : Prolétaire,
Prends un Bourgeois radical
   Pour ton mandataire.
   - Tout Bourgeois, mon cher,
   Nourri de ma chair,
      Sur mon gain,
      Sur ma faim
   Touche un dividende,
   J'aime mieux la viande !
 
Pour qui ces torches là-bas,
   Ces prêtres bizarres ?
Quel est ce dieu ? - le boeuf gras !
   Sonnez les fanfares !
   Animal divin,
   Terrassant la faim,
      Tu nourris
      Nos esprits.
   Que chacun m'entende !
   J'aime mieux la viande !
 
1874.
    

 
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L'ANTHROPOPHAGE

 
Au comte Albert de NEUVILLE.
 
     As-tu le coeur bardé de fer ?
N'as-tu rien d'humain que la face ?
Es-tu de marbre, es-tu de glace ?
Alors suis-moi dans mon Enfer.
 
Je suis la vieille anthropophage
Travestie en société ;
Vois mes mains rouges de carnage,
Mon oeil de luxure injecté.
J'ai plus d'un coin dans mon repaire
Plein de charogne et d'ossements ;
Viens les voir ! j'ai mangé ton père
Et je mangerai tes enfants.
 
Ici, c'est un champ de bataille,
On a fauché pendant trois jours ;
La Faucheuse était la mitraille,
Tous ces glaneurs sont les vautours.
Le blé, dans ces plaines superbes,
Étendait son jaune tapis....
Affamés, triez pour vos gerbes
Ces corps morts d'avec les épis.
 
Ceci c'est la maison de filles :
La morgue de l'amour malsain ;
Pour elle, écrémant les familles,
Le luxe a raccroché la faim.
Vois, sous le gaz, la pauvre infâme
Faire ses yeux morts agaçants,
Rouler son corps, vautrer son âme
Dans tous les crachats des passants.
 
Voici les prisons et les bagnes,
Les protestants par le couteau,
Comptant leurs crimes pour campagnes,
Et rusant avec le bourreau.
Au bagne on met l'homme qui vole
Dès qu'il épelle seulement,
Et quand il sort de cette école
Il assassine couramment !
 
Entrons dans les manufactures,
Les autres bagnes font moins peur :
On passe là des créatures
Au laminoir de la vapeur.
C'est une force qu'on dépense,
Corps, âme, esprit : reste un damné.
Là, c'est la machine qui pense
Et l'homme qui tourne engrené.
 
J'ai bien d'autres enfers encore,
Veux-tu que j'ouvre les cerveaux ?
Le virus de l'ennui dévore
La matrice de vos travaux.
Veux-tu que j'ouvre l'âme humaine ?
Le muscle intime en est tordu ;
L'amour aigri, qu'on nomme Haine,
Y fait couler du plomb fondu.
 
Je suis la vieille anthropophage
Travestie en société ;
Les deux masques de mon visage
Sont : Famille et Propriété.
L'homme parqué dans mon repaire
Manque à ses destins triomphants ;
Je le tiens, j'ai mangé ton père
Et je mangerai tes enfants !
    

 
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CE QUE DIT LE PAIN

 
A Léon OTTIN.
 
     J'entends les plaisants répéter :
Que dit le pain quand on le coupe ?
Bien aisé serait d'écouter.
Rien d'éloquent comme la soupe.
Fleur de froment ou sarrasin
A notre estomac qu'il convie,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : «Mangez, je suis la vie !»
 
Qui sait ce que coûte le blé,
Hors les boeufs reprenant haleine
Et l'homme au visage brûlé
Qui creuse un sillon dans la plaine ?
Au grand monde inutile et vain
Qui, sans travailler le savoure,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : «Gloire au bras qui laboure !»
 
Le progrès veut nos dévouements,
But large impose tâche amère.
Hélas ! tous les enfantements
Font saigner les flancs de la mère.
Pour stimuler l'effort humain,
Pour retremper une âme veule,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : «J'ai passé sous la meule !»
 
Travailleur, quand verras-tu clair ?
Ta boulangère est dame Usure :
Mais pas plus que le jour et l'air
Le pain ne veut qu'on le mesure.
Au long vertige de la faim,
Quand la misère est condamnée,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : «Fais ta grande fournée !»
 
Nous pompons nos gouttes de sang
Dans les sucs de la nourriture ;
Notre corps, toujours renaissant,
S'assimile ainsi la nature.
Quand il devient par cet hymen
Cerveau qui médite et chair rose,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : «C'est mon apothéose !»
 
1867.
    

 
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31 OCTOBRE

 
Au citoyen Élie MAY.
 
     Le peuple sent qu'il est trahi,
C'est trop aboyer à la lune.
L'Hôtel de Ville est envahi,
Paris, proclame ta Commune !
 
A-t-on pris à Sainte-Périne
Tous ces dictateurs impotents ?
Leur ton dolent, leur voix chagrine,
Déconcertent les combattants.
On les voit, quand la France expire,
Reboucler avec onction
La muselière de l'Empire,
A notre Révolution.
 
Sont-ils idiots ou complices ?
Leur comité, peuplé d'ânons,
Brait, quand on parle d'armistices,
Et fond, à regret, les canons.
Morigénant la populace,
Qu'ils craignent plus que l'étranger,
lls laissent, dans leur main mollasse,
Quatre-vingt-treize se figer.
 
L'accapareur, âpre vermine,
Fait le vide dans les marchés,
Et, souliers percés, la Famine
Fait queue, aux portes des bouchers.
Révoltez-vous, sombres familles,
Vous, meurt-de-faim, toujours déçus,
Éclatez comme des torpilles,
Puisqu'on veut vous marcher dessus.
 
Chez les chamarrés, rien ne bouge.
Va-nu-pieds, marchons de l'avant,
Nommons une Commune rouge,
Rouge, comme un soleil levant !
Quittant la tactique enclouée
De nos généraux de carton,
Nous irons faire une trouée,
Guidés par l'ombre de Danton !
 
Et dès ce soir, ivresse folle,
Favre et Trochu sont conspués ;
Paris danse la Carmagnole
Autour des murs évacués ;
Et l'on verra la plèbe saine,
Traquant les francs-fileurs bourgeois,
Brancher la race des Bazaine,
A tous les vieux chênes gaulois.
 
Le peuple sent qu'il est trahi,
C'est trop aboyer à la lune.
L'Hôtel de Ville est envahi,
Paris, proclame ta Commune !
 
1er novembre 1870.
    

 
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LE CHOMAGE

 
A Léon CLADEL.
 
     Mon patron n'a plus d'ouvrage
Et nous n'avons plus de bois :
C'est l'hiver, c'est le chômage.
Toutes les morts à la fois !
 
Pas un pouce de besogne.
Il neige : le ciel est gris ;
A chaque atelier je cogne,
J'ai déjà fait tout Paris.
Plus de crédit, rien à vendre
Et le loyer sur les bras.
Partout on me dit d'attendre,
Et la faim qui n'attend pas !
 
Des riches (Dieu leur pardonne !)
M'ont dit souvent : Mon ami,
Il faut, quand l'ouvrage donne,
Faire comme la fourmi !
Épargner ? Mais c'est à peine
Si l'on gagne pour manger :
Quand on touche sa quinzaine,
On la doit au boulanger.
 
La nuit est dure aux mansardes ;
Pas de soupers réchauffants ;
La mère en vain de ses hardes
Couvre le lit des enfants.
Les petites créatures
Hier ont bien grelotté.
Dire que nos couvertures
Sont au mont-de-piété !
 
L'autre hiver, mon coeur en crève,
J'ai perdu le tout petit ;
C'est rare qu'on les élève
Quand la mère a tant pâti.
Avant peu, je dois le craindre,
Nos deux jumeaux le suivront...
Après tout, les plus à plaindre
Ne sont pas ceux qui s'en vont !
 
Combien, chargés de famille,
Qui boivent pour s'étourdir !
Mon aînée est une fille,
J'ai peur de la voir grandir.
Dieu veuille qu'elle se tienne,
Car, à seize ans, pour un bal,
Pour une robe d'indienne,
Un pauvre enfant tourne à mal !
 
Je ne veux plus, quand je marche,
Le soir, passer sur le pont,
A l'eau qui gémit sous l'arche,
Quelque chose en moi répond :
Dans ton gouffre noir, vieux fleuve,
Est-ce l'homme que tu plains ?
Avec tes soupirs de veuve
Et tes sanglots d'orphelins !
 
Mon patron n'a plus d'ouvrage
Et nous n'avons plus de bois :
C'est l'hiver, c'est le chômage,
Toutes les morts à la fois !
    

 
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CASERNE ET FORÊT

 
A Paul AVENEL (Lice chansonnière)
 
     J'espérais à Fontainebleau
Savourer les bois solitaires,
Mais par malheur ce lieu si beau
     Grouille de militaires.
 
Parmi la feuille et le granit,
Dès l'aube en soldat malhonnête
Réveille l'oiseau dans son nid,
     Au son de la trompette.
 
Le silence étend son velours
Dans le creux d'un vallon sauvage ;
Mais sur les rochers, des tambours
     Font leur apprentissage.
 
Refaisant le monde et chantant
L'avenir large et l'espérance,
On s'éveille en sursaut, heurtant
     Un pantalon garance.
 
Puant fort le vin et l'amour,
Des femmes à soldats font tache
Sur des prés où jusqu'à ce jour
     J'ai vu paître la vache.
 
Ne pourrions-nous pas - en secret -
Sans nuire au pouvoir qui gouverne,
Une nuit porter la forêt
     Bien loin de la caserne ?...
Fontainebleau, août 1867.
    

 
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LE FILS DE LA FANGE
 
A Lucien-Victor MEUNIER, auteur des Clameurs du pavé.

 
     Elle traîne à demi rongée
Sa vieillesse de dix-sept ans ;
Sa robe de haillons frangée,
Ses bas troués, ses seins pendants.
Du tapis franc, c'est la femelle.
Eh quoi ! cette éponge à vin bleu,
Cette fille, cette femelle,
Elle est enceinte ! ah ! nom de Dieu !
 
    Pauvre petit être
    Que rien ne défend,
    Eh quoi ! tu vas naître
    Comme un autre enfant ?
 
Ta mère, inscrite à la police,
Lasse de sa maternité,
Va mettre bas dans un hospice
Ta jeune âme et ton sang gâté.
Tu ne sauras rien de ton père :
Le vice en rut, le hasard gris,
Un soir, ont payé pour te faire,
Quelques sous pleins de vert-de-gris.
 
Maraudant l'ordure à la halle,
T'abrutissant par l'alcool,
Tu seras l'enfant de la balle,
Du vagabondage et du vol.
On t'ouvrira le séminaire
De l'escarpe et du chourineur,
Des élèves de Lacenaire
T'enseigneront le point d'honneur.
 
Au crime tout te prédestine.
Frère ! les mains rouges de sang,
Si tu meurs sur la guillotine,
Nul ne s'en peut croire innocent.
Tu vas où ton milieu te pousse,
Fils de la Fange, sang gâté,
Ah ! qu'au moins ta vie éclabousse
Le front de la société !
 
    Pauvre petit être
    Que rien ne défend
    Eh quoi ! tu vas naître
    Comme un autre enfant ?
    

 
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SENTIER DES BOIS

 
A Ernest CHEROUX (Lice chansonnière)
 
     Comme un ruban jaune étendu
Sous ta voûte de calme et d'ombre,
Petit sentier, dans le bois sombre,
Tu vas indécis et perdu.
Cerveau malade, âme ravie,
Entre la ronce et l'églantier,
Je vais comme toi dans la vie...
Où mènes-tu, petit sentier ?
 
Je vais au frais sans savoir où.
Je vais garantissant ma tête
Du soleil que j'aime en poète,
Du soleil méchant qui rend fou....
Me mènes-tu dans ma vallée ?
Vais-je y trouver un oreiller,
Pour ma pauvre tête fêlée ?...
Où mènes-tu, petit sentier ?
 
Me mènes-tu dans la prison,
Dans la prison qu'on nomme ville ?...
Là, des cris de guerre civile
M'ont ôté mon peu de raison.
Au hasard des forces brutales,
Jouant l'avenir tout entier,
L'apôtre même y fond des balles...
Où mènes-tu, petit sentier ?
 
Chênes brodés et talus verts,
Muets quand passe l'égoïste,
Vous faites pour le pauvre artiste
Pousser les dessins et les vers.
Verve ou douleur, mon front s'allume !
Me mènes-tu dans l'atelier
Où sont mes fusains et ma plume ?
Où mènes-tu, petit sentier ?
 
Sous des touffes pleines de voix,
Comme des lèvres sous des voiles,
Plus nombreuses que les étoiles,
Ont rougi les fraises des bois.
Un jour de sauvage ambroisie,
Puis demain... plus rien au fraisier,
Ainsi s'en va ma poésie !...
Où mènes-tu, petit sentier ?
    

 
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J'AI FAIM

 
Au citoyen FAUVETY.
 
     J'ai faim ! j'ai faim ! dit le corps,
Je n'ai pas le nécessaire ;
Le ver ronge moins les morts
Que les vivants, la misère.
Quand donc aurais-je du pain ?
J'ai faim, dit le corps, j'ai faim !
 
J'ai faim ! j'ai faim ! dit l'esprit,
Je ne vais pas à l'école ;
En vain la nature écrit,
On croit l'erreur sur parole.
Quand donc aurai-je du pain ?
J'ai faim, dit l'esprit, j'ai faim !
 
J'ai faim ! j'ai faim ! dit le coeur,
Et je n'ai pas de famille ;
Mon fils est un escroqueur
Et ma fille est une fille.
Quand donc aurai-je du pain ?
J'ai faim, dit le coeur, j'ai faim !
 
J'ai faim ! j'ai faim ! dit le tout,
Faim d'amour et de justice ;
Sème ton grain, que partout
La triple moisson jaunisse.
Alors l'homme aura du pain,
Nature n'aura plus faim !
 
Mars 1848.
    

 
*
**

 
VIEILLE MAISON A DÉMOLIR

 
A CAMÉLINAT, membre de la Commune.
 
     Voyez ce bâtiment doré,
Des badauds si fort admiré,
Mais de solidité factice.
Cave tassant, gros mur fendu,
L'étayer serait temps perdu.
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Un banquier loge à l'entresol :
Là, de l'industrie et du sol,
Il pompe tout le bénéfice.
Des lingots que l'usure y fond,
Le tas monte jusqu'au plafond.
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Un spéculateur au premier,
En baisse égorgeant le fermier
De la grêle se fait complice.
Le mur fait ventre sous le grain,
Pour vendre, il attend... qu'on ait faim
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Une belle aux yeux lucratifs
Attire au second les oisifs,
Son luxe y chatouille le vice ;
Concerts et bals, dans la saison,
Font la nuit trembler la maison...
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Au-dessus pèse un gros rentier.
De naissance il fait ce métier,
Mange, boit, prend de l'exercice.
Sans impôt, ce bon citoyen
Consomme en paix, ne produit rien.
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Toute la famille à l'étroit
Grelotte sans pain sous le toit,
Déjà le père est à l'hospice ;
Par la tuile ouverte, la mort
Se glisse avec le vent du nord...
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Un grand corps de garde est en bas,
Ces pauvres diables de soldats
Bâillent en faisant leur service.
La sentinelle nuit et jour
Y garde en vain monsieur Vautour....
    Cette propriété
    Croule de vétusté,
Il est temps qu'on la démolisse !
 
Paris, 1848.
    

 
*
**

 
LEUR BON DIEU

 
Au citoyen Joseph DURAND, de Lyon.
 
     Dieu jaloux, sombre turlutaine,
Cauchemar d'enfants hébétés,
Il est temps, vieux croquemitaine,
De te dire tes vérités.
Le Ciel, l'Enfer : fables vieillottes,
Font sourire un libre penseur.
   Bon dieu des bigotes
   Tu n'es qu'un farceur.
 
Tu nous fis enseigner par Rome
En face du disque vermeil,
Que Josué, foi d'astronome,
Un jour arrêta le soleil.
Ton monde, en six jours tu le bâcles,
O tout puissant Ignorantin.
   Bon dieu des miracles,
   Tu n'es qu'un crétin.
 
La guerre se fait par ton ordre,
On t'invoque dans les deux camps.
Comme à deux chiens prêts à se mordre,
Tu fais kss kss à ces brigands.
Les chefs assassins tu les sacres,
Tu les soûles de ta fureur.
   Bon dieu des massacres,
   Tu n'es qu'un sabreur !
 
On connaît tes capucinades
Et l'on te voit, mon bel ami,
Te pourlécher des dragonnades,
Humer les Saint-Barthélemy.
Bûchers flambants font tes délices,
Tu fournis la torche à Rodin.
   Bon dieu des supplices,
   Tu n'es qu'un gredin.
 
Macaire t'a graissé la patte.
Larrons en foire sont d'accord.
Saint Pierre tire la savate
Sitôt qu'on s'attaque au veau d'or.
Des compères de Bas-Empire,
C'est encor toi le plus marlou.
   Bon dieu des vampires,
   Tu n'es qu'un filou.
    

 
*
**

 
JUIN 1848

 
A feu COURNET, membre de la Commune.
 
     Il faut mourir ! mourons ! c'est notre faute !
Courbons la tête et croisons-nous les bras !
Notre salaire est la vie, on nous l'ôte,
Nous n'avons plus droit de vivre ici-bas !
Allons nous-en ! mourons de bonne grâce,
Nous gênons ceux qui peuvent se nourrir.
A ce banquet nous n'avons pas de place.
      Il faut mourir !
    Frères, il faut mourir !
 
Il faut mourir ! plus de travail au monde.
Quoi ? l'atelier ? la machine à vapeur,
Les champs, la ville et le soleil et l'onde
Sont arrêtés ? l'argent vient d'avoir peur.
L'entraille chôme et la baisse ou la hausse
Glace la veine où le sang veut courir,
Sans un outil pour creuser notre fosse.
      Il faut mourir !
    Frères ! il faut mourir !
 
Il faut mourir ! mais les blés sont superbes !
Il faut mourir ! mais le raison mûrit.
Il faut mourir ! mais l'insecte des herbes
Trouble le gîte et le grain qui nourrit.
Le ciel s'étend sur toute créature,
En est-il donc qui naissent pour souffrir ?
Sous les scellés qui donc tient la nature ?
      Il faut mourir !
    Frères ! il faut mourir !
 
Le désespoir a vidé la mamelle.
Ne tette plus ! Meurs ! petit citoyen.
Ton père eut tort, ta mère est criminelle,
On ne fait pas d'enfant quand on n'a rien.
La fièvre gagne et le faubourg s'irrite !
Venez fusils, canons, venez guérir,
La mort de faim ne va pas assez vite !
      Il faut mourir !
    Frères ! il faut mourir !
 
Allons, misère, à tes rangs, bas les armes !
Qu'à pleine rue on nous achève enfin.
Femmes, venez, pas de cris, pas de larmes !
Enfants, venez, puisque vous avez faim.
Tueurs en chef, achevez la campagne,
Puisse avec nous notre race périr !
Au travailleurs ne léguons pas le bagne.
      Il faut mourir !
    Frères ! il faut mourir !
 
30 juin 1848.
    

 

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