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Miguel de Cervantes y Saavedra - Don Quijote de la Mancha - Ebook:
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J. Tellier : A propos de Victor Hugo, 4 articles (1887-1889)
TELLIER, Jules (1863-1889) : A propos de Victor Hugo, quatre articles (1887-1889).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (12.IV.2002)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Textes établis sur un exemplaire (coll. part.) du recueil posthume Jules Tellier : ses oeuvres publiées par Raymond de La Tailhède (Paris : Emile-Paul, 1923-1925.- 2 vol.).
 
Aux caveaux du Panthéon
(Le Parti National, 15 septembre 1887)
par
Jules Tellier

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Donc, la Patrie, reconnaissante aux grands hommes, a élevé en leur honneur un monument d’un style contestable, et les a enfermés dans ses caveaux. Il y dorment, rangés au fond des cryptes froides. On les visite en s’éclairant d’une chandelle. O l’ingénieuse idée, d’enfouir le plus bas ceux qui ont le plus haut plané, et de dérober au jour ceux qui devraient être exposés sans cesse aux yeux des hommes ! Mais, puisque enfin on les a mis là, il est bon de les y aller voir de temps en temps, par piété, et pour distraire leur solitude. Et puis, il y a parmi eux quelqu’un de très grand qu’on oublie un peu, et dont j’aime à me souvenir…

Pauvre Hugo ! Des critiques s’attaquent à sa gloire, et l’on nous disait naguère que des rats s’attaquaient à ses couronnes, et un peu, je crois à son cercueil. A peine entré dans la grande salle, j’interroge un gardien :

Ce n’étaient pas des rats, me dit-il, mais de bien petites, bien petites souris. Elles avaient trouvé moyen d’entrer en se glissant sous la porte, et elles s’étaient logées dans une des couronnes, qui est toute en paille. Quand la chose a été révélée par le Figaro, plus de vingt personnes, monsieur, sont venues proposer des trappes pour les détruire. Mais je m’en suis bien chargé tout seul, et il y a beau temps qu’il n’en vient plus.

Rassuré à demi, je questionne pourtant un autre gardien, vieux et décoré. Celui-là me répond sévèrement que « c’est des bêtises », et qu’il n’y a jamais eu de rats dans le Panthéon. Ils sont bien optimistes, ces gardiens. - Ce qui est sûr, c’est que les couronnes sont toujours aux mêmes places, recouvrant presque (pourquoi ?) les noms dorés des combattants des Trois Glorieuses. Seulement, leurs voiles noirs sont déchirés çà et là, et remplacés par d’autres voiles qui n’ont pas été tissés de main humaine. Il peut être content, le poète qui a écrit :

J’aime l’araignée et j’aime l’ortie
Parce qu’on les hait…

On respecte les bêtes qu’il aima. La sollicitude de l’administration va peut-être jusqu’à chasser les rongeurs, non jusqu’à troubler les arachnides.

Nous descendons aux caveaux. « La Patrie reconnaissante » y a mis deux ou trois grands hommes, et beaucoup de petits autour. Connaissez-vous le vice-amiral comte de Winter, et le général Ebenezer Reynier ? Entendîtes-vous parler du cardinal Erskine, ou du capitaine Mareri, évêque de Sabine, ou du cardinal Caprara, archevêque de Milan ? ou encore de Treilhard, qui dirigea en son temps la section de législation du Conseil d’Etat ? Sinon, vous ferez ici leur connaissance. Il paraît que les « grands hommes » étaient trente-neuf il y a deux ans. Hugo, qui fait à présent le quarantième, doit trouver que l’immortalité n’est guère mieux répartie chez les morts que chez les vivants, et que la société n’est pas moins mêlée dans les panthéons que dans les académies.

Le cercueil de Hugo est, comme on sait, un cercueil triple, de sapin, de plomb et de chêne, recouvert de velours orné de clous d’argent. Nous nous massons devant la grille de bois qui ferme le petit caveau où il est déposé ; et le gardien nous débite un discours, en scandant ses mots, avec un geste lyrique :

« Victor Hugo, poète français, sénateur ! Le cercueil que vous voyez fut exposé sous l’Arc de Triomphe. Depuis son « transfèrement » ici, il est resté le même. Il est d’une valeur unique au monde. Mais bientôt vous ne le verrez plus. A cette place sera le tombeau de marbre du poète. Alors le cercueil ne sera plus visible. Il sera « fermé » intérieurement. Au-dessus du tombeau sera la statue de Victor Hugo. Elle le représentera les yeux au ciel, tenant à la main un livre de poésie. »

Il dit « poésie » d’un ton mystérieux et saugrenu. Et, à trois pas de-là, il nous range contre le mur, pose sa lanterne à terre, et nous fait entendre « l’écho ». Il lui adresse la parole en termes familiers, et l’écho les répète. Puis il frappe d’une baguette sur une manière de tambour, et des roulements se répercutent d’un bout à l’autre de la voûte. Le public est plein de joie.

Moi, je me souviens de cette hôtesse de Waterloo, qui racontait à l’auteur des Misérables ses souvenirs sur la bataille : « J’étais toute petite, et j’imitais le bruit du canon, en faisant : Boum ! boum ! » Lui aussi, le pauvre grand poète, il a accompagné du tapage des ses vers le fracas de tous les événements du siècle. Et voici qu’il est puni par où il a péché, et que le « boum-boum » dont il abusa pendant sa vie le poursuit après sa mort…

Je souris, et je m’en blâme. On est si ingrat pour le Maître, et les rangs de ses fidèles se sont tant éclaircis ! Aujourd’hui, parmi les lettrés, les timides affectent de lui préférer Lamartine, et les hardis, Baudelaire. Il fut pourtant un bien grand et bien divertissant versificateur. Et ne fut-il que cela ? Des gens déclarent qu’il manquait de pensée. Je le veux croire, sur leur parole. Mais écoutez une anecdote.

Il y a peu de mois, M. Renan et M. Lemaître dînaient côte à côte. La conversation tomba sur Hugo.

- C’était, dit M. Renan, un esprit bien philosophique !

M. Lemaître a ce léger travers (c’en est un, je pense) de croire que M. Renan se moque toujours, ou presque.

Il s’inquiéta :

- Mais en quoi, philosophique ? Et où ?

- Dans bien des pages. Il avait tout à fait le sens de l’inconscient. C’était un métaphysicien, point un simple lettré.

- Et quelle est sa philosophie ? La vôtre ?

- Elle en diffère moins qu’on ne croirait. Au fond, c’est le panthéisme pour soi, et le déisme pour les autres.

Croyez-vous que M. Renan s’amusât en parlant ainsi ? Je crois, moi, qu’il était fort sincère. La valeur philosophique de Hugo (M. Dupuy l’a très bien vu), n’est guère contestée des philosophes. M. Renouvier n’a pas dédaigné d’écrire des articles sur la métaphysique des Contemplations. Il se pourrait que ce ne fût point tant une naïveté de considérer Hugo comme notre plus grand penseur. Il faudrait seulement s’entendre, et surtout l’entendre, dégager le sens intime de son œuvre si vaste et si touffue…

Mais le vent n’y est point. L’élite échappe au vieux maître. Pour la foule, elle l’admire par habitude, et ne le lit pas. Sa gloire va évidemment subir une éclipse passagère. Et c’est parce que je m’en afflige que j’ai voulu vous conduire aujourd’hui devant le cercueil de celui qui, malgré tout, sera tenu pour le plus grand peut-être, et sûrement pour le plus « amusant » des poètes.


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Un parodiste de Victor Hugo
(Le Parti National, 15 octobre 1888)
par
Jules Tellier

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Avez-vous, je ne dis pas lu, mais seulement ouvert, le recueil d'articles de défunt M. Caro qu'on vient de publier sous le titre de Poètes et Romanciers ? Si oui, vous y aurez aperçu des pages sur les Contemplations, qui sont bien étranges. Etranges pour moi, du moins, car les jugements n'y diffèrent guère de ceux qui sont de mode à présent, et, normaliens ou décadents, nos jeunes n'en seront nullement effarouchés. Pour M. Caro, les Contemplations sont une déception. Les satyres qu’on y trouve sont « grotesquement furibondes », les pièces philosophiques, absurdes ; des pièces d’amour, on pourrait applaudir une ou deux, si ces riens « étaient signés Parny, ou même Béranger ». Au reste le style est partout « étrange ; et pour les appositions de substantifs qui se rencontrent çà et là dans le livre (cheval aurore, gibet misère) et qui sont comme des raccourcis violents de comparaisons, « ces unions font rougir la langue française ». Mais le mot décisif est celui-ci :

Il y a à la fin des Contemplations une page admirable, où, comme Zoroastre imaginait Ormuzd et Ahriman réconciliés à la fin des temps, et « l’enfer même devenant un lieu de délices », Victor Hugo aussi imagine l’esprit du mal transfiguré dans l’avenir, et conduit par Jésus devant le trône de Dieu :

Et vers Dieu, par la main, il conduira ce frère,
Et, quand ils seront près des degrés de lumière,
          Par nous seuls aperçus,
Tous deux seront si beaux que Dieu, dont l’œil flamboie,
Ne pourra distinguer, père ébloui de joie,
          Bélial de Jésus !…

M. Caro cite la page ; et savez-vous comme il l’annonce ? « Ici, dit-il, il faut citer textuellement. On croirait que nous inventons. » Oh ! non, on ne l’aurait pas cru…

Notez que M. Caro n’était point un détracteur de parti pris. C’était un critique tout à fait poli et bienveillant. Il n’aurait pas demandé mieux que d’admirer. Mais tout cela lui semblait si parfaitement exécrable ! Tous les livres de Hugo ont été jugés absurdes à leur apparition. Je comprends, pour moi, que le poète, exaspéré de tant d’inintelligence, ait fini par s’arrêter à cette idée sommaire que tous les critiques étaient des sots ou des Zoïle. Sans doute, il avait tort de le croire, mais on avait tout fait pour qu’il le crût. A propos de l’Année terrible, M. Louis Étienne écrivait : « M. Hugo tombe à chaque page dans la platitude, cet écueil des talents appauvris. »

Le même Louis Étienne avait distingué dans la première série de la Légende des Siècles « dix-sept bons vers ». Il ne disait pas « dix-sept beaux vers ». Pour beaucoup de critiques et pour M. Eugène Veuillot, notamment, c’est de cette première série de la Légende des Siècles que date la « décadence » de Victor Hugo. Pour d’autres, elle avait commencé depuis longtemps déjà. Gustave Planche au début de son article sur Ruy Blas (1828) déclarait que l’auteur d’une telle œuvre était « tombé au-dessous de la critique littéraire ». En 1834, M. Nisard qualifiait le poète des Feuilles d’automne de « jeune homme déchu ». Voilà une déchéance précoce et de quand datait-elle donc, si elle était en 1834 un fait accompli ? J’apprends par un article de Sainte-Beuve que, lorsque parut la seconde série des Odes et Ballades, on fut généralement d’avis qu’elle était loin de tenir les promesses de la première. Ainsi, c’est de 1824 que date, contre Victor Hugo, l’accusation de « déchéance » et de « décadence ». Il avait vingt-deux ans. On conviendra qu’il eût été malaisé de s’y prendre plus tôt.

Mais, de tant de recueils, aucun ne fut aussi maltraité que les Contemplations. Soyez sûrs qu’en son temps l’article de M. Caro parut modéré, et plutôt optimiste. Lisez ceux de Gustave Planche, de Louis Veuillot, de Barbey d’Aurevilly… Ils n’y vont pas de main légère, et M. Barbey résume d’un mot l’impression générale : « Victor Hugo est mort… »

Comme je me promenais sur les quais, occupé de ces souvenirs dont se réjouissait mon incurable hugolâtrie, j’ai découvert un petit livre que je crois tout à fait ignoré. Il m’a coûté vingt-cinq sous, et je ne les regrette pas, car il m’a diverti. C’est une parodie des Contemplations. Elle a pour titre : les Recontemplations, avec ce sous-titre : Moins de douze mille vers. Cela est signé Van Il… Une dédicace m’apprend que ce pseudonyme cache un personnage considérable, M. L. Alvin, « conservateur en chef de la Bibliothèque royale de Belgique » [L. Joseph Van IL(Louis-Joseph Alvin).- Les Recontemplations, moins de douze mille vers...- Bruxelles : Bruylant-Christophe, 1856.-In-12, 195 p.]. Pour épigraphe, ces trois vers de La Fontaine :

Quand l’absurde est outré, l’on lui fait trop d’honneur
De vouloir par raison combattre son erreur ;
Enchérir est plus court, sans s’échauffer la bile.

Cela est net, comme vous voyez.

La fantaisie de M. Alvin en vaut d’autres. Il y a à la fin du livre un lexique de la langue de Victor Hugo, avec exemples empruntés aux Contemplations. Quelques lignes sont amusantes :

ALPHABET. - Se dit très bien de tout ce qui présente un peu d’obscurité :
 

Les constellations, sombre alphabet qui luit…
O nature, alphabet des grandes lettres d’ombre !

BORNE ARISTOTE. - Médiocre philosophe :
 

Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent. Je montai sur la borne Aristote…

EFFARÉS. - Se dit très bien des choses inanimées (les astres effarés, les objets effarés). Se dit aussi très bien des personnages particulièrement connus pour leur sérénité calme. Exemples :
 

A Racine effaré nous préférons Molière…
Les Abrahams effarés…

MÉMOIRE ANTÉRIEURE. - Faculté au moyen de laquelle on parvient à oublier. Exemple :
 

Et la mémoire antérieure
Qui le remplit d’un vaste oubli…

Cela n’est point très méchant, et on s’en peut réjouir un instant, tout en admirant profondément le poète. De même, pour les vers. Naturellement le parodiste emploie à toutes les lignes ces appositions de substantifs qui révoltaient la pudeur de M. Caro :

Car celui qui, livrant le combat ignorance,
S’est enfui quand venait le combat vérité,
Ne te cueillera point, verte palme Espérance,
Qui croît sur l’arbre Eternité !

Et naturellement aussi, les pitiés bizarres de Hugo, et ses sympathies paradoxales (J’aime l’araignée et j’aime l’ortie), servent de thème à des plaisanteries faciles :

J’aime la tortue, en sa carapace
          Retirant son cou ;
J’aime le butor, la buse rapace.
          Et le kangourou.
 
Le chabot me va, car il est difforme
          Et tout contrefait…
 
Je ne te hais point, lentille punaise,
          Ni toi, poinçon pou !

Mais la première pièce du livre n’est pas une parodie. C’est une satire, une apostrophe directe à Hugo. Elle témoigne de peu de sens critique. Mais ou je me trompe, ou les vers ne vous paraîtront point si gauches, pour être d’un inconnu :

Ta muse, fantasque Erato,
De la libellule a les ailes,
Comme un autre Benvenuto,
Ta strophe, tu nous la cisèles ;
 
Ton vers au rythme indéfini
Se disloque en triple césure
Ainsi qu’un clown de Franconi
Dont le corps n’est qu’une jointure.
 
De Boileau narguant la leçon,
Ta baguette, vaillante à l’œuvre,
Frappe et sépare en maint tronçon,
L’alexandrin, pauvre couleuvre.
De l’idéal et du réel,
Confus amas, triste mélange,
Lorsque ta tête est dans le ciel,
Ton pied patauge dans la fange ;
 
Exaltant ce qu’on a honni,
Couvrant d’ombre ce qui rayonne,
Mêlant les roses de Parny
Aux fleurs dont la mort se couronne,
 
Tu butines sur les sommets,
Tu sais moissonner dans le vide,
Mais la saine raison jamais,
Sombre songeur, ne fut ton guide…
 
Autour du cirque Emilien
On peut rencontrer d’aventure
Un ouvrier ciselant bien
L’ondoiement d’une chevelure,
 
Un ongle, une plume, une fleur,
Qui sous le moindre souffle tremble,
« Mais, dit Horace, le malheur,
C’est qu’il ne peut faire un ensemble ! »

Vit-il encore, M. Alvin ? S’il vit, il doit être bien vieux. Mais il me plaît de penser qu’il passe encore ses journées parmi les livres, à la Bibliothèque royale, et qu’il relit son Horace. Ce doit être un petit vieillard, malin, propret et suranné. J’imagine que les Belges d’à présent l’effarent, avec leurs tristesses, leur mysticisme, leurs perversités. Sûrement il ne parle qu’avec effroi de Rodenbach, et de Verhaeren, et des vers où M. Maeterlinck décrit les hyènes rouges de ses haines et les chiens verts de ses péchés, et des poèmes symboliques et « instrumentés » de M. René Ghil. Et peut-être qu’aujourd’hui, s’il resonge à ces Contemplations qu’il a moquées, dans le lointain où elles lui apparaissent, elles lui semblent comme plus proches des œuvres classiques. Peut-être qu’il est près de les considérer, à voir qu’on les néglige, et qu’il aime à dire que, tout de même, le mauvais de ce temps-là valait mieux que le bon d’à-présent…

Je ne veux pas surfaire ma trouvaille. Elle m’a amusé un instant, et j’ai pensé qu’elle vous amuserait de même. Mais les « Ennemis de Victor Hugo » ne pourraient-ils fournir matière à un livre intéressant ? Je crois que oui, et qu’on l’écrira. Dès maintenant nous avons des chercheurs qui se font une spécialité d’étudier la vie et l’œuvre de Victor Hugo, - M. Macé de Challes, par exemple, de qui le Figaro a publié de curieux articles. Nous aurons sous peu tout un clan d’hugoïstes (est-ce ainsi qu’on dira ?) comme nous en avons un de moliéristes. Je suivrai, quant à moi, leurs études avec intérêt. Et, malgré les dédains de nos critiques d’aujourd’hui (qui ressemblent de près à ceux d’autrefois), je veux espérer que je ne serai pas seul…


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Le culte de Victor Hugo
(Le Parti National, 18 mai 1889)
par
Jules Tellier

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Vous savez qu’on a aménagé en musée la maison de Hugo. Et, tous, tant que nous sommes, on nous prie d’apporter ce que nous pourrions avoir de documents propres à établir « la biographie, la bibliographie et l’iconographie du grand écrivain ». O me dit qu’un perruquier a apporté une mèche de cheveux blancs, qu’il avait conservée. Il aura considéré que cet objet pouvait servir à la biographie du poète, en nous apprenant qu’il atteignit un âge avancé, et à son iconographie aussi, en nous prouvant que, dans sa vieillesse, il avait conservé des cheveux. On trouvera dans la maison sacrée beaucoup d’autres reliques précieuses. Et les étrangers qui la visiteront ne pourront être qu’édifiés de notre piété littéraire.

D’autres marques de cette piété les pourront édifier encore. Il ne paraît pas que le culte de Hugo soit près de s’éteindre parmi nous. Avez-vous entendu parler des concours de prose et de poésie organisés en l’honneur du « Maître » par l’Académie champenoise ? L’excellent président de l’Académie, M. Armand Bourgeois, m’écrit que trois cents concurrents ont répondu à son appel. A vrai dire, il en avait réuni douze cents, lorsqu’en 1884, il avait proposé comme sujet « l’éloge du vin de Champagne » et vous voyez les conclusions qu’une étroite logique pourrait tirer de-là. Mais trois cents concurrents, c’est un chiffre tout de même. Et puis, je suis frappé par les noms des deux principaux lauréats. L’un est agrégé de l’Université ; l’autre est un ecclésiastique. Cela n’est-il pas touchant, quand on se rappelle de quelle façon le poète traita les universitaires et le clergé ? et ne pourrait-on croire qu’il n’a plus d’ennemis, et que tous ont désarmé devant son génie ?

On le pourrait croire aussi, à lire nos journaux. Pas de jour où des hommes de tous les partis ne citent Hugo à propos de toutes choses, et avec un inaltérable respect. On ne l’honore pas moins à la Presse qu’à la République française ; et il est aussi vénéré du Gaulois que du Radical. Son œuvre est le bréviaire de M. Reinach, et la bible de M. Rochefort, et c’est merveille de voir, comme d’un même texte, ces deux écrivains tirent des conclusions différentes. Il n’est pas jusqu’à M. le général Boulanger qui ne se plaise à citer les Châtiments, encore qu’il ne les ait pas lus. Il n’y a pas longtemps qu’il ornait une de ses harangues de ces deux vers, que lui avait soufflés M. Rochefort :

Cette bande s’embrasse et se livre à des joies
: Bon ménage touchant des vautours et des oies !

Et je ne sais si, en récitant ce distique, M. Boulanger saisissait bien à quel point il était spirituel à M. Rochefort de le lui avoir soufflé…

Quoi qu’il en soit, rien de plus beau que ce culte universel pour le génie. Et, comme je disais, les étrangers ne sauraient manquer d’en être édifiés…

Eh bien ! non. Les étrangers ne seront pas tant édifiés que cela. Pour peu que la curiosité leur vienne de parcourir les livres que publient les plus raffinés de nos lettrés, ils auront des surprises. Ils ouvriront, j’imagine, les Esquisses et Impressions, de M. Paul Desjardins. Un Homme libre, de M. Maurice Barrès, le dernier recueil d’articles de M. Jules Lemaître ; et ils n’en croiront pas leurs yeux. M. Desjardins n’a pour Hugo que dédains et pitiés. M. Lemaître l’appelle avec sérénité « le pauvre Hugo ». M. Maurice Barrès est plus dur encore : « Etre boiteux ou manchot ! s’écrie-t-il en un endroit où il veut exprimer son horreur des difformités physiques, j’aimerais autant qu’on me vît le tour d’esprit de Victor Hugo. »

Je disais tout à l’heure que Hugo n’avait plus d’ennemis. Le lettré le plus extraordinaire de ce siècle n’a plus d’ennemis, en effet, sinon les lettrés. Parcourez ce qu’ont écrit depuis quatre ans nos critiques sur Hugo. Vous verrez que leur sentiment à tous peut se résumer en ces quelques mots : « Ce fut un triple sot. Mais il savait sa langue, et il rimait bien. »

Ce sentiment bizarre, ils l’appuient sur deux raisons principales.

D'abord ils ont fait cette découverte que celui à qui nous devons tout n'a rien inventé. Ce malheureux était à ce point dépourvu de toute initiative que jamais il n'eût songé à écrire les beaux fragments épiques de la Légende des siècles, si Lamartine n'eût composé au préalable une manière d'informe et d'illisible épopée (la Chute d'un ange). Il n'eût jamais écrit de poèmes néo-grecs sans Gautier et Banville. (Des poèmes néo-grecs, il y en a dans les Odes et Ballades, et je serais curieux qu'on m'indiquât où sont ceux de Gautier.)

Michelet et George Sand ont eu avant lui l'amour mystique du peuple et le culte de la Révolution. (Il serait aisé de montrer que c'est là une erreur de fait. Mais, quand ce serait vrai, qu'est-ce donc qu'on en prétendrait conclure ? Et l'étrange idée qu'on se fait ici de l'invention poétique ? Dante fut guelfe avant d'être gibelin, et il ne paraît pas qu'il ait inventé, plus que Hugo, sa doctrine religieuse et politique. Je le dénonce aux dédains de nos lettrés. Et je leur dénonce aussi le versificateur Lucrèce, à la charge duquel j'ai relevé ce fait accablant, qu'il ne devint épicurien qu'après qu'on lui eut enseigné la doctrine d'Epicure...)

Et ils ont fait cette autre découverte, que Hugo ne s'entendît nullement en philosophie. Là-dessus il souffriront que je ne les croie point. Cette folie de s'imaginer qu'un homme par le mystérieux univers au point où l'était ce rare poète, n'eût point en lui plus de « matière philosophique » que n'en ont les professeurs. Hugo fut un très grand philosophe, si, comme je le crois, la philosophie n'est autre chose que la conscience et l'obsession de l'universel.

Notez que ceux qui le méprisent le respecteraient fort, s'il eût pris seulement la peine de versifier quelques propositions matérialistes et pessimistes, comme on en trouve à la douzaine dans les livres spéciaux. Mais qui ne voit que cette morne et courte sagesse, il en était capable autant que d'autres, et qu'il s'y fût tenu s'il avait eu moins de sève et de force, un moins puissant orgueil, un moins magnifique amour de vivre ? Qui ne voit que sa grandeur fut justement de ne s'y vouloir point tenir, et que le pessimisme fût-il le vrai, son optimisme exalté et laborieux resterait la plus fière des protestations contre la nouvelle absurdité des choses ?

O les plaisants sceptiques ! A y regarder de près, la tranquillité de leur mépris sans bornes pour le panthéisme et l'optimisme de Hugo, suppose en eux deux convictions qui sont les plus candides du monde : la première, qu'il y a une vérité et qu'ils la connaissent ; la seconde, qu'à supposer la vérité connue, ceux qui l'ont aperçue une fois et s'y sont tenus, doivent être considérés comme de plus grands esprits que ceux qui l'ont dépassée...

Je me laisse entraîner. Je ne voulais que signaler une fois de plus l'étrange désaccord où continuent d'être à l'endroit de Hugo, le « peuple » et les « habiles ». Je n'ai pu m'empêcher de vous montrer que, s'il fallait choisir, « j'étais peuple ». J'ai cette infirmité de ne me point croire un plus grand écrivain que le poète du Satyre, ni même un profond penseur. C'est dire qu'on ne me saurait compter parmi les gens d'esprit. Pour un peu, j'ajouterais que j'en suis bien aise.


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L’anniversaire de Victor Hugo
(Le Parti National, 188?)
par
Jules Tellier

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Avez-vous remarqué dans quel silence, et j’oserai dire dans quelle indifférence on l’a célébré cette année ? La Comédie-Française a donné Ruy Blas et Hernani. On n’a guère fait de réflexions. Ç’a été tout. L’année dernière, nous avions eu du moins un article de M. Jules Lemaître, qui avait fait tapage, et même scandale. Cette année, on n’attaque même plus le vieux poète : on l’oublie ; et M. Lemaître comme les autres.

Me pardonnera-t-il mon indiscrétion, si je vous conte une anecdote récente ? J’étais chez l’excellent critique, et je le félicitais de ce ruban rouge qu’il a gagné si vite et si bien :

- Ainsi, lui disais-je, on vous décore avec Brunetière. Tels Lamartine et Hugo décorés le même jour…

M. Lemaître est un esprit naturellement placide. Il ne s’étonne guère. Il eut pourtant un mouvement de surprise :

- Hein ? me dit-il. Got ? Vous dites que Got a été décoré en même temps que Lamartine ?

Il oubliait jusqu’au nom du poète de la Légende des siècles

Je ne sais si nos autres critiques en sont là, mais le fait est qu’ils ne s’intéressent guère à Hugo. M. Brunetière ne le goûte point extrêmement. M; Anatole France, à ce qu’on me dit, ne peut pas le souffrir. M. Bourget n’a pas de tendresse particulière pour lui. Voilà, je pense, avec M. Jules Lemaître et M. Sarcey, les esprits critiques les plus distingués de ce temps. Pas un n’a tenté seulement de fixer la valeur de l’œuvre de Hugo en quelque étude d’ensemble. Déjà, Sainte-Beuve et Taine avaient fait de même. Abstentions curieuses, où il entre à la fois du dédain et de la crainte… Et les jeunes gens aussi méprisent Hugo, ou affectent de le dédaigner. Demandez à un symboliste ce qu’il pense des Contemplations. Vous verrez de quel air il vous répondra ! Hugo n’a plus guère pour lui que les provinces. (Tel Brébeuf au temps de Boileau.) Ou, pour mieux dire, il a, dans les provinces comme à Paris, la foule, - qui, d’ailleurs, se contente de le vénérer et se garde de le lire. Et comme, tôt ou tard, c’est toujours l’opinion des lettrés qui s’impose aux autres, on peut prévoir que dans dix ans sa popularité aura bien décru. Pour ma part, la chose m’apparaît certaine, et je m’en afflige.

On me dit : s’affliger est vain, et il serait vain de s’étonner aussi. Hugo a de son vivant trop fatigué les oreilles des hommes, pour qu’on ne le lui fît pas payer un peu après sa mort. Il ne croyait pas dire si juste, en disant qu’il allait désencombrer son siècle. C’est avec un soupir de soulagement que beaucoup l’on vu partir. Et comment les en blâmer ? Si ce fut un grand poète, et un grand rhéteur surtout, ce fut aussi un grand charlatan. Combien de fois ne nous a-t-il pas annoncé qu’il allait éclairer « le fond du grand cratère », percer tout les voiles, éclaircir tous les problèmes. En fait, il n’éclaircissait rien. Quels airs farouches il prenait pour ne point dire grand’chose ! Et s’il arrive souvent que sa grandeur n’est qu’emphase, combien de fois il arrive aussi que sa sensibilité n’est que sensiblerie, et que sa grâce n’est que manière ! Puis, il avait trouvé moyen de se construire, en dehors de toute littérature, je ne sais quelle étrange réputation d’érudit et de penseur, d’homme d’État et d’apôtre. Et cela ne nous paraît-il pas juste qu’il reste enfin comme accablé sous l’énorme amas de réclame sotte qu’il avait lui-même jeté sur sa véritable gloire.

Eh bien, non, je ne le trouve pas juste. D’abord, tout n’est pas chez lui grandeur fausse, ni gentillesse affectée. Comme çà et là il est tendre et profond ! Comme telles de ses petites chansons nous est indulgente et nous va au cœur :

Un hymne harmonieux sort des feuilles du tremble.
Les voyageurs craintifs, qui vont la nuit ensemble,
Haussent la voix dans l’ombre où l’on doit se hâter.

N’est-ce pas qu’elle est toute charmante, cette indulgence de nos faiblesses et cette pensée de nous plaindre d’avoir peur la nuit ? Un Grec l’aurait eue. Musée dit de Léandre : « A la vérité il trembla d’abord. » - Des choses aussi douces, combien j’en pourrais citer de lui où l’on ne veut voir qu’un rhéteur ?

Et n’eût-il été qu’un rhéteur, après tout ? Les anciens vénérèrent Isocrate. M. Brunetière déclare les derniers livres de Hugo tout à fait négligeables. « On y trouve, dit-il, nulle autre chose qu’une rhétorique prodigieuse. » Et, si cette rhétorique est prodigieuse, que ne m’explique-t-il en quoi elle l’est ? Que n’en étudie-t-il les procédés et les ressources ? Une rhétorique prodigieuse, cela peut avoir son intérêt.

Rhéteur ou non, ce poète a eu la plus grande influence qu’un homme ait eue jamais sur une littérature, et la plus heureuse. Il a recréé le vers français. Il nous a laissé pour modèles, à nous, les Châtiments et la Légende des siècles. Nous sommes bien venus à le dédaigner après cela ! De tous nos poètes, depuis cinquante ans, il n’en est pas un dont l’œuvre serait ce qu’elle est si Hugo n’eût existé. Tous parlent sa langue, usent de ses rimes et de ses coupes, vivent sur le fonds d’expressions et d’images apporté par lui. Chez M. Leconte de Lisle, chez M. de Banville, les emprunts à Hugo sont continuels. M. Georges Duval nous donnait récemment un dictionnaire des métaphores d’Hugo ; et l’œuvre avait son intérêt sûrement. En veut-il faire une qui soit plus intéressante encore ? Qu’il dresse la liste de tous les emprunts que nos poètes ont faits à Hugo. Le recueil sera pour réjouir les fidèles, et pour confondre les « obscurs blasphémateurs. »

Mais il ne les convertira point, car ils ne veulent pas l’être. L’influence de Hugo sur les poètes va en diminuant. Elle sera bientôt presque nulle. Je ne sais si les choses en iront mieux. Beaucoup de jeunes qui dédaignent Hugo ne feraient pas mal de le lire. Il sut sa grammaire et sa quantité. Il pourrait les leur apprendre. Au reste, ce n’est point le dédain seulement de Hugo qui est à la mode parmi nos « jeunes », mais celui de tous leurs aînés aussi. Il en résultera ce qui doit en résulter. Dès à présent, il me semble qu’il y a, en moyenne, moins de conscience et de sûreté de factures dans les volumes des débutants d’aujourd’hui que dans ceux des débutants d’il y a dix ans. Nous allons tout doucement à la barbarie. Ce sera la vengeance de Hugo, que le mouvement poétique auquel il présida aille décroissant et s‘épuisant à mesure que nous cesseront de l’admirer.


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