QUOI ! charmante z'Isabelle, j'apprens que vous allez t'épouser Monsieur Cassandre. Où est la foi que vous m'avez promise ? Où est l'amour, où est le bien que vous me portiez ?

Taisez-vous donc, mon cher Liandre, si vous ne voulez t'empêcher mon établissement ; car enfin je vous aime plus que lui, mais il a plus de moyen que vous.

Mamselle, tout cela z'est bel et bon, mais enfin il vaut mieux faire plaisir d'un pied à une honnête personne, que d'un doigt à un sot et à un vieux comme il est.

Mais vraiment, mon cher Liandre, je sens bien ce qu'en vaut l'aune. Aussi ce n'est point la badinerie qui me fait prendre le parti, c'est l'envie d'avoir de quoi, je compte bien toujours vous voir.

Non, Mamselle, je ne veux point que vous soyez Madame Cassandre. Je veux moi même faire votre fortune, et il ne sera pas dit que l'on m'aura passé le bec par la plume.

Mais, mon Pere, charmant Liandre, que dira-t-il ?

J'aurai toujours pour sa personne beaucoup de considération, mais je lui donnerai vingt coups de pieds dans le vendre, s'il ne fait pas ce je veux.

Vous êtes assurément bien le maître de faire ce qu'il vous plaira, si vous croyez que ce soit pour le mieux.

Je sçais que Monsieur Cassandre va venir pour vous épouser, faites comme si de rien n'étoit et laissez-moi faire.

Oui, mon cher z'Amant, vous ferez toujours comme vous voudrez et tant qu'il vous plaira.

ENFIN je viens ici pour épouser.

Oui, mais non pas pour épousseter.

Veux-tu bien m'écouter ? Je veux faire une fin.

Pardienne, Monsieur, elle est toute faite et vous voulez stapendant épouser Mamselle z'Isabelle.

Oui bien assurément.

Je ne parle pas pour elle, mais les filles de ce pays sont quelquefois si sçavantes, qu'elles n'apprennent rien de nouveau la premiere nuit de leurs nôces.

Oh nous sçavons cela, mais il y a fille et fille.

Oui, Monsieur, il y en a de la grande et petite espéce : mais, Monsieur, voulez-vous sçavoir ce qui vient par-tout ?

Oui dea, je suis toujours bien aise de m'instruire.

Monsieur, ce sont des cornes ; car il n'y a point de terre qui ne produise des cocus.

C'est vraiment bien le tems de me tenir ces propos.

Si vous voulez j'imposerai silence à mes paroles, mais aussi voulez-vous que j'attende que vous ayez voyagé en Cornouailles, et que l'on vous appelle Monsieur Corneille.

Ce malheur ne peut m'arriver, z'Isabelle est belle, elle est sage, elle est fille de mon bon ami Villebrequin.

Oui elle est belle, mais un homme qui a une belle femme, tout le monde est son cousin.

Hé bien tant mieux, on me fera plus d'honneur.

Mais pardienne, ne sçavez-vous donc pas qu'une bonne chevre, une bonne mule, et une bonne femme, font trois mauvaises bêtes.

Enfin, je te demande conseil, mais ce n'est pas pour me contredire.

Monsieur, puisque vous le prenez par-là, je vous baise bien les mains ; baisez-moi les fesses.

Tout cela est bon ; va t'en dire à mon compere Villebrequin que je l'attens ici pour lui faire visite comme l'honneteté le désire.

J'y vesse, mais pardienne, par les mamelles de mon cul, vous faites là une grande folie. (appercevant Villebrequin). Taye, taye, taye, Monsieur Villebrequin.

VOILA Monsieur Cassandre qui vient pour vous trousser son compliment, et pour trousser Mamselle z'Isabelle.

Ah ! bon jour mon Compere et mon bon ami.

Vous me voyez frais, gaillard, et dispôt, et je viens pour terminer la petite affaire dont nous avons parlé.

Et quand la voulez-vous faire ?

Tout à l'heure.

J'y consens. Isabelle, hola ; ho, Isabelle.

PLAIT-Il, mon Pere ? Qu'est-ce que vos commandemens m'ordonnent ?

Qu'elle est bien élevée ! Quelle modestie !

Saluez mon bon ami Monsieur Cassandre, il vient pour vous prendre à femme.

Ah ! mon cher Papa, je ne pourrai jamais.

Pardienne, c'est lui bien plutôt qui ne le pourra pas.

Mademoiselle, vous voyez un homme qui voudroit avoir tout l'or d'un pays pour le soumettre à vos pieds, et pour mériter votre consentement.

Monsieur, tout ce que mon cher Papa ordonne, je le fais toujours.

Vous me charmez ; (à Villebrequin) allons donc mon beau pere.

Monsieur Villebrequin n'est donc plus votre Compere, vous verrez que c'est Mamselle.

Oui, je t'assure, qu'elle m'est tout ce qu'on peut être pour moi.

Tenez, ma fille, voilà mon bourson, allez acheter tout ce qu'il vous faudra, prenez un fiacre pour avoir plutôt fait, (à Cassandre) vous verrez tout ce qu'elle achetera.

Si vous voulez prendre ma bourse aussi ?

Non, laissez, vous vous mocquez de moi. Elle a suffisamment de quoi, je lui donne plus de quinze francs. Vous verrez, vous verrez, vous dis-je, laissez la faire.

Oui, mon cher Papa, je m'y en vais, ne vous impatientez pas.

EN vérité votre Isabelle est une charmante personne.

Il est vrai, c'est une créature qui est fort bonne ; toutes nos voisines la montrent pour exemple.

Et tous nos voisins la montent.

Jamais de bruit avec elle, c'est la complaisance même.

Oui, quand on fait ce qu'elle veut.

Que je vais vivre une vie agréable et joyeuse !

Et cornue.

Te tairas-tu z'insolent. Par mon âme, si j'entendois ce que tu dis, je crois que je te battrois.

Va t'en, mon ami, voir quand le fiacre sera de retour, et viens nous avertir.

Va, je te prie, car je brûle d'impatience de la revoir.

Je vous prens toujours à témoin que ce n'est pas ma faute, si vous en faites la folie.

Très-assurement je te battrai, si tu ne m'obéis pas, et si tu parles encore.

JE vous demande excuse pour ce mien serviteur, il a de l'esprit, mais il ne sçait pas toujours ce qu'il dit.

Oh ! vous vous moquez, ces sortes de gens ne peuvent z'avoir autant de bien disance, ni tant d'esprit que nous en avons..... Enfin vous êtes donc content de ma charmante z'Isabelle.

On ne peut z'avoir plus de joie t'au coeur que vous m'en donnez, mon cher beau-pere.

MONSIEUR, Monsieur.

He bien ?

Le fiacre est à la porte.

Allons donc au-devant de ma fille.

Monsieur, je ne crois pas que cela vous soit nécessaire, non plus qu'à elle.

Eh pourquoi donc ?

Ecoutez-moi bien.

Que nous va-t-il dire ?

Le carrosse est bien à la porte comme je viens de vous le dire ; les glaces de bois sont bien fermées, le fiacre va bien, mais les chevaux ne marchent point.

Comment ! Qu'est-ce que cela veut dire ?

Cela me paroit incompréhensible.

Oh pardienne, je le comprens bien moi.

Expliques-toi donc.

Parle donc promptement.

Par le masque de mon derriere, je crois qu'ils faisoient le manége dans le carrosse.

Comment ?

Pardienne oui. Le manége se fait là sans éperons, et les écuiers n'ont besoin que d'une baguette de six ou sept pouces de long.

Je commence à me douter de ce qu'il veut dire, mais je ne puis le croire. Je m'en vais voir qu'est-ce que c'est. Attendez-moi ici.

TOUT ceci commence à me mettre z'un tant soit peu en cervelle à me donner du souci. Gilles auroit-il raison ? Mais non, une personne t'aussi-bien élevée, aussi modeste comme Mamselle z'Isabelle, et la fille du Compère Villebrequin.... Oh non, cela n'est pas possible.

LA voici que je vous ramene.

Pardienne il les a fait sortir tous deux du carrosse.

Qui ?

Pardienne, le Fiacre et vot'Maîtresse.

Je causois avec lui, je faisois mon marché.

Cela est vrai, ils étoient tous deux dans le carrosse. (Au Fiacre) Mais mon ami que voulez-vous de plus ? Est-ce que vous n'êtes pas content ?

Non mordi, je ne le suis pas, j'en veux encore, je veux avoir mon reste.

Et le premier qui branche ici, je lui casse mon fouet sur le corps.

Sainte merde !

Jerusalem.

Ma fille donne-lui tout ce qu'il demandera, et qu'il nous laisse en repos.

Mon cher papa, je lui en ai donné tant qu'il a voulu ; ce n'est pas ma faute, je vous en assure, s'il en veut encore.

Non, Monsieur, je n'en ai point z'assez. Je ne suis point tel que je parois figuré à vos yeux. J'ai emprunté le carrosse d'un de mes amis, pour témoigner à la charmante z'Isabelle combien j'ai de passion pour elle. Je suis Monsieur Leandre.

Monsieur, vous en êtes bien le maître.

Monsieur, je vous laisse tout mon droit.

Pardienne, Monsieur, vous ne laissez pas grand chose.

Allons profiter d'un déguisement, qui m'a fait vous obtenir de Messieurs vos parens.

Allons faire la nôce. Voulez-vous venir avec nous, mon Compere ?

Pour le présent, je vous suis bien obligé.

PARDIENNE, Monsieur, j'avois bien raison, ce n'étoit pas ma faute.

Tais-toi, tu me sens le vieux battu.

Et vous le vieux cocu.

Oh pour le coup, si je n'avois peur de casser mon bâton.....

Donnez, donnez, je ne crains que les coups de votre tête, car elle est trop bien armée.

Voilà pour toi. (Gilles s'enfuit, et Cassandre court après).