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Georges Eekhoud : La Dernière lettre du matelot EEKHOUD, Georges (1854-1927) : La Dernière lettre du matelot
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (29.01.1997)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55
E-mail : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com
http://ourworld.compuserve.com/homepages/bib_lisieux/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

La Dernière lettre du matelot
par
Georges Eekhoud

~~~~

A Eugène Demolder

Ames enfantines et mystiques ne goûtant
pas le plaisir sans une sourdine d'intimité et
de ferveur.

«A propos, l'ami Marius, espèce de samaritain de lettres, j'ai conservé quelque chose pour vous !» me dit à la fin d'un dîner, où nous avions beaucoup causé marine et navigation, le courtier et armateur Josse Deridder, du quai Ortélius, à Anvers, chez qui j'étais allé passer mon congé de Noël. «C'est la copie d'une lettre d'un marin d'ici à sa grande soeur qui demeure avec leurs vieux parents et une flopée d'enfants puînés, en bas âge, comme on en trouve toujours chez les pauvres gens, ruelle de la Coupe, près du Poids de Fer, au coeur de ce grouilleux quartier Saint-André qu'on appelait si pittoresquement autrefois le Marché-aux-Poux, et où je vous conduirai à votre prochaine visite... Si le gaillard a écrit à cette soeur plutôt qu'à son père ou à sa mère, c'est parce qu'en dehors de lui elle est la seule de la famille qui sache à peu près tenir une plume et déchiffrer un griffonnage. Toutefois, il faut croire que la mâtine s'est vantée ou que son frère entretient trop haute opinion de sa science, car elle est venue, au bureau, nous demander de lire la missive dont nous avons alors gardé copie à votre intention».

Josse Deridder est un des rares négociants qui aient quelque idée de la valeur d'un livre sincère et artiste et qui n'assimile point nécessairement un écrivain à un vagabond et à un repris de justice. Enormité qu'il a toutes les peines à se faire pardonner par la gent mercantile : il s'essaie lui-même à coucher sur le papier des idées autres que celles de son journal et rédigées en une langue moins cursive. Ainsi il est arrivé à tourner assez proprement le vers. Josse Deridder lit beaucoup et comprend même ce qu'il lit, phénomène peut-être plus rare encore que celui d'un négociant poète. A côté de plusieurs bons tableaux signés de noms qui ne sont point exclusivement ceux de quelques favoris d'un chauvinisme ignare et provincial, il possède une bibliothèque bien fournie et dont on ne craint point, en la consultant, de détériorer les riches reliures. Homme d'éducation, de naissance patricienne, amphitryon fastueux quoique cordial, Josse Deridder compte parmi les dix à vingt négociants qui nous réconcilient avec une engeance essentiellement malhonnête et arrogante. Si vous acceptez à dîner chez lui, ne craignez point qu'il vous dise à chaque plat ce que celui-ci coûte, ou qu'en vous versant à boire il constate que vous n'avez point l'habitude de humer pareil nectar, ou qu'il étale sur la table toute l'argenterie de ses dressoirs, ou qu'il se fasse apporter, au milieu du repas, comme par hasard, une immense pile de louis d'or, une encaisse qu'il s'agit de vérifier d'urgence. Non, jamais Deridder ne parlera de sa profession que pour rapporter des faits et des circonstances qu'il sait devoir intéresser ses convives ; aussi ai-je toujours tiré profit de mes familières causeries avec ce right et gentleman, et accueillis-je comme de précieuses aubaines ses charmantes offres d'hospitalité.

Dans les circonstances présentes, il avait encore une fois deviné juste et trouvé le moyen de m'obliger en réservant pour mon reliquaire cette fruste épître d'un gars du peuple, ce document si instructif et si édifiant pour celui qu'il venait d'appeler avec bonhomie un samaritain de lettres.

L'épître en question, datée du 12 octobre, venait de Santos, un port de la côte brésilienne, et était conçue en ces termes :

«Chère soeur, - je mets la plume à la main pour vous faire connaître l'état de ma santé qui n'est malheureusement pas aussi bonne que je le voudrais, mais j'espère qu'il en va autrement chez nous, à la maison, et que tous vous vous portez comme poissons dans l'eau.

«Voilà six mois déjà que nous relâchons à Santos, mais nous allons enfin lever l'ancre la semaine prochaine. Ce n'est, fichtre, pas malheureux, car il fait si malsain ici que chaque jour des matelots meurent des fièvres. Si vous n'êtes pas très solide de la poitrine, c'est à peine si vous pourrez résister à cette vilaine maladie. Depuis trois semaines elle me guette et tourne autour de moi comme un de ces vilains serpents ou de ces grosses chauves-souris, buveuses de sang, qui font le charme de ce pays. Heureusement, je suis plus malin et plus fort que le monstre jaune et j'ai déjoué ses feintes ou même gardé le dessus lorsqu'il m'attaquait de front.

«En ce moment, il y a encore un Belge de l'équipage en traitement à l'hôpital. C'est notre second timonier, un garçon d'Anvers, un sinjoor comme moi, qui s'appelle Emile Lauwers et qui demeure rue Falcon, n° 13. Je t'envoie son adresse car il est trop malade pour écrire et il m'a même demandé, chère soeur, de te prier d'aller porter de sa part un bonjour à ses petits vieux. Tu feras cela, n'est-ce pas, Mariette, car c'est un brave garçon.

«Je vous souhaite à tous une bonne et heureuse année, au père, à la mère, à tous les petits. Julleke a-t-il pu faire sa première communion ? S'il est bien sage, je lui rapporterai un perroquet vivant avec des plumes rouges, vertes, de toutes les couleurs, comme il s'en trouve à la Zoologie ! Netje travaille-t-elle déjà chez la repasseuse et a-t-elle fini de tousser ?

«Ne soyez point étonnés que je vous envoie déjà mes souhaits pour l'année nouvelle, mais c'est parce que, si robuste que l'on soit, on n'est jamais sûr, pour le motif que je te disais plus haut, d'avoir encore la force de tenir une plume le lendemain. Je souhaite donc que vous puissiez passer de nombreuses années dans la joie et le plaisir et je compte bien qu'il en sera de même pour moi, sitôt de retour à Anvers. J'espère aussi, chère soeur, que tout ira mieux pour toi, alors ! Je sais que tu es malheureuse à présent et que tu as déjà deux enfants de ce Jaak, le cigarier. Le guignon, c'est que je ne puis encore rien t'envoyer pour te tirer de peine ; mais patiente encore un peu, jusqu'à ce que nous débarquions à Anvers et alors, s'il plaît au bon Dieu, je te donnerai certes quelque chose pour te sauver d'embarras et je ferai aussi entendre raison à ce damné coureur de filles ; oui, il faudra bien qu'il t'épouse ou je ne m'appellerai plus Frans Selderslag.

«A présent, je ne dispose pas même d'un liard quoique j'aie de bon à peu près une affaire de trois cents francs. Croirais-tu que je suis déjà sept mois sur ce navire ? Et j'apporterai aussi une caisse pleine de curieux objets d'ici.

«Chère soeur, n'oublie donc pas de te rendre à la maison de ce Lauwers ; car le garçon est si bas qu'il a peur de ne plus jamais revoir les siens. Il ne faut pas les effrayer et leur dire qu'il est tellement malade, tu comprends, n'est-ce pas ? Mais mieux que moi tu sais comment t'y prendre.

«Maintenant j'ai encore autre chose à te demander et ceci est pour mon compte, et se rapporte à notre voisine de l'impasse du Glaive, Dolphine Plaschmans, la trieuse de café. Etes-vous toujours liées ? La nouvelle que je vais t'annoncer ne t'étonnera pas fort. Ecoute, je vois cette fille si volontiers que je donnerais bien cent francs si elle voulait de moi pour son bon ami ! Aucune nuit ne se passe sans que je la voie dans mon rêve aussi belle que lorsqu'elle venait prendre l'air sur la plage du Poids-de-Fer et batifoler, tête nue, avec toi et d'autres filles de votre âge en vous tenant par le bras. Demande-lui, veux-tu ? si elle se rappelle la fois où nous avons dansé ensemble à la grande kermesse, une seule danse au «Saint-Michel», dans la rue du Couvent ? Demande-lui aussi comment elle me trouve, si je suis à son goût. Tu lui diras une bonne parole pour moi, car tu sais bien, toi, que je ne suis pas un mauvais garçon. Dis-lui que si elle voulait de moi je l'habillerais tout à neuf, sans oublier les bijoux et le reste, mais il me faut d'abord savoir si je lui plais. Et si elle répond que oui, tu peux lui donner une de mes photographies, que je fis faire l'autre fois près du canal des Brasseurs.

«Il y en a encore deux à la maison. D'ailleurs, je pourrais en faire tirer d'autres. On garde les clichés. C'est mis en quatre langues au dos de chaque carte, même en suédois : Pladen opbewaard for Efterbestelling. Depuis que je suis à bord du Prosit je parle presque aussi bien cette langue que le flamand.

«Donc, chère soeur, dis un bonjour pour moi à Dolphine Plaschmans de l'impasse du Glaive, à père, à mère, aux frères, aux soeurs, particulièrement à Julleke et Netje, à mes camarades Flup et Rikus, même à ce coureur de Jaak, enfin à toutes les connaissances, mais surtout à Dolphine Plaschmans. Là-dessus je finis en me disant votre affectionné.

FRANS SELDERSLAG.

«Ecrivez à cette adresse : F.S., à bord de la barque Prosit capitaine Hanssen, Barberus, îles Barbades, Indes occidentales.

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«Toutes ces croix sont des baisers».

Mon ami Josse Deridder ne s'était point trompé.

Je lus cette épître avec plus d'intérêt que l'on n'en accorde généralement aux confidences de gens qui, pour parler en égoïste, ne nous touchent ni de près ni de loin. J'avouerai même que je la lus et la relus, sans parvenir à en détacher les yeux, comme s'il s'agissait d'une personne bien connue, voire d'une personne mystérieusement chère.

Après le dîner le courtier m'entraîna, au port et aux docks, sur des navires dont il connaissait les capitaines. Dans les dispositions d'esprit où m'avait plongé la lettre du matelot, aucunes pérégrinations n'auraient pu m'être plus agréables ; d'ailleurs, j'ai toujours aimé les grands fleuves, l'océan, les havres, les vaisseaux et les marins. Longtemps les soldats, ces autres déshérités du bonheur bourgeois, ces autres pitoyables ilotes d'un régime de proscription et de parquage, se partagèrent ma compatissante sympathie, mais plus nobles et plus droits, les matelots répudient le mensonge, l'oisiveté, les pilleries, et pour ce motif à présent je les préfère aux soldats. Leur vie est toujours une lutte et souvent un péril, leurs combats ne se livrent pas contre leurs semblables, et sauf dans de rares corps à corps loyaux et sanglants, ils ne s'acharnent que contre les éléments et ne se mesurent qu'avec les tempêtes. Leur rude métier, héroïque entre tous, est peut-être celui qui rapproche le plus l'homme de ses destinées originelles, de ses vertus primordiales, de l'alliance de son Dieu.

Comme à toutes les Noëls, le port présentait une physionomie de grande fête. Les navires en rade et dans les bassins avaient fait parade et des drapeaux, des pavillons, de multicolores carrés d'étoffe brandillaient joyeusement le long des agrès et des cordages. A bord, les hommes de quart et de vigie répondaient par des chants mélancoliques ou de vagues ritournelles d'accordéon aux musiques violentes des bastringues du quai, et souvent un mousse étranger, songeant à la patrie lointaine, et se sentant troublé par le mal du pays, secouait sa morale malaria, en se livrant, à lui tout seul sur le pont goudronné, à quelque gigue ou frénétique tarentelle.

Le temps mi-frisquet, un peu gris, tissé de brumes légères prêtait à la rêverie et aussi aux déduits du jour. Au passage des nues, au remous des flots, le ciel et le fleuve alternaient leurs colorations et leurs formes suggestives presque aussi rapidement que le cours des souvenirs et des espoirs.

La plupart des navires sur lesquels je montai avec mon hôte se trouvaient être de nationalité scandinave et, dussé-je être taxé de puérilité, j'avouerai que ma présence à bord de ces bâtiments me semblait plus importante et plus opportune que dans nombre de circonstances analogues. Etait-ce parce que le Prosit, la barque sur laquelle manoeuvrait Frans Selderslag, naviguait sous pavillon norvégien ? Avec quelle curiosité enfantine j'étudiais l'aménagement et la disposition des lieux, j'examinais les moindres objets, je m'absorbais dans de divinatoires extases, ne prêtant qu'une attention apparente aux explications pourtant bien instructives et un rien arides que me fournissait mon obligeant compagnon, mais sur ce chapitre topique, sur la partie où sa compétence était extrême, j'en savais ou plutôt j'en devinais plus long que lui-même, en ce moment. Toutes choses maritimes revêtaient une bien autre signification à mon esprit que l'utilité et l'emploi que les prétendus initiés leur assignent. Je prenais plaisir à entendre le langage des marins ; sans toujours comprendre les mots, je goûtais la musique copieuse et virile des âpres voix du Nord. Elles s'associaient aux énergiques et tonifiants effluves du varech et du goudron comme aussi aux relents des cajutes, des cambuses et de ce quintelage, le pauvre trousseau du vagabond de l'océan, presque aussi dérisoire, aussi imprégné et culotté de ferments aventureux et pathétiques que le bagage des rôdeurs de grand-routes.

Le soir qui n'avait point tardé à tomber nous surprit dans nos observations absorbantes. Comme des lucioles les fanaux s'allumèrent le long des vergues et mêlèrent l'impromptu de leurs couleurs chatoyantes à la fantaisie multicolore des drapelets. Les eaux doucement clapotantes répétaient l'illumination des quais et des navires ; la course d'une allège ou d'un canot de ballade éclairé par des torches amorçait dans son sillage comme un banc de poissons de feu, et, fatigués d'accordéonies et de saltarelles, les vigies solitaires consignées à bord correspondaient à présent avec les turbulentes bordées tirées sur la rive par les équipages, en projetant vers les cieux de mélancoliques et furtives chandelles romaines.

Obsession de corrélation singulière, je continuais à rapporter ces objets, cette atmosphère et ces tableaux à la très infime lettre lue tout à l'heure. Cette après-midi de Noël me représentait une illustration assez corsée, une poignante synthèse de la vie de ce Frans Selderslag. Il serait difficile de préciser et de noter les infinitésimales périodes de sensibilité par lesquelles je passais.

Le plus souvent je croyais faire partie de l'équipage : la barque mettait à la voile, j'aspirais au départ vers des pays dont la cale et les soutes du navire recelaient encore de capiteux et peut-être pervers effluves. Je ne sais qui m'appelait, qui me désirait là-bas et, pour me le dire, recourait à toutes ces subtiles annonciations.

A d'autres moments je me figurais que nous venions d'arriver et j'allais mettre pied à terre en me chargeant de quelques exotiques cadeaux pour les miens. Mais quels étaient, à présent, *les miens !* A force de m'assimiler le tempérament, l'orientation et les contingences du marin, je ne me rendais plus un compte très précis de mon propre rôle dans le monde.

Toutefois, rien de ces perturbations intérieures ne perçait au dehors. Mon hôte, Josse Deridder, dut me trouver de très belle humeur, d'autant plus que par un dédoublement que j'observai sur moi-même, dans plus d'une circonstance de la vie, où mes affinités émotionnelles sont très actives et bouillonnent même jusqu'à l'hyperesthésie, où l'aimantation de mon être par des courants surnaturels atteint des proportions insolites, j'étais à la fois à une conversation très anodine et accessoire avec mon ami actuel et je communiais avec des âmes lointaines plus troublantes que le son, la lumière et l'arôme, plus fluides et plus électriques encore que la saveur du baiser.

Mon compagnon, flatté par mon attention concentrée aux explications techniques qu'il me prodiguait au cours de nos diverses étapes, me trouvait très en verve, très sociable et pour m'entretenir dans cet état d'aménité, il me fit goûter à des liqueurs variées du Nord et des tropiques, âcres ou chatouilleuses, arak, kwas et kummel ou cachiri, larkin et scubac, sans se douter, le brave homme, qu'il exaspérait encore ce cas de double vie, même de multiple vie, qui se produisait depuis plusieurs heures déjà en son visiteur.

Chez lui ce boire cosmopolite détermina une humeur de réveillon et jusque bien tard dans la nuit nous nous éternisâmes au sein de ce quartier maritime, errant de musicos en guinguettes, de dispensaires en sailors-homes, d'alcoolisme en végétarisme.

A la fin j'étais tombé dans un état de prostration ou plutôt de pâmoison, et ne répondais que par des paroles de plus en plus rares et sibyllines aux propos intarissables et de portée immédiate de mon excellent pilote. J'avais même hâte de rentrer, de me recueillir, de me trouver seul dans ma chambre.

Avant de me mettre au lit je relus la lettre de Frans Selderslag, m'étant couché je la repris encore. Quelle occulte et impérieuse éloquence contractaient ces lignes naïves ! Chaque mot me découvrait les dessous d'une tendresse nostalgique plus tiède, plus enivrante qu'une promenade à deux avec l'être aimé sous la cerisaie en fleur.

On aurait dit un clavier à chaque touche duquel correspondait non pas une note mais la fibre ultrasensible d'un grand coeur aimant, pantelant de désir, éperdu de jouissance partagée. En mes dispositions de réceptivité extrême, cette lettre m'offrait un thème infiniment sincère et mélodieux qu'une sympathie spontanée enrichissait d'harmonies périodiques, inépuisables comme les marées de l'océan.

A la faveur d'une dernière protestation de mon sens strictement terrestre, de ma conscience réduite aux réalités de la vie, contre cet épanchement houleux de mes facultés imaginatives, je convins de l'importance vraiment par trop extravagante qu'affectait cette lettre et l'ayant repoussée loin de moi, j'éteignis ma bougie pour ne plus être tenté de la reprendre ; puis je me plongeai sous mes draps, m'efforçant de songer à des choses très pratiques et très positives, par exemple à l'argent qu'il me faudrait emprunter à mon hôte pour prendre le train et regagner ma résidence...

Mais j'avais compté sans ma mémoire : je savais la lettre par coeur. L'obsession s'exaspéra, plus immatérielle que jamais. Je répétais, en les scandant, les phrases fatidiques ; je me surpris même à les prononcer tout haut, comme des incantations.

A quel miracle tendait cette thaumaturgie inconsciente et passive ? Combien de fois répétai-je ces conjurations, oh ! d'une voix de plus en plus pressante, d'une voix donnant, comme la tierce, la note harmonique de notes bien lointaines et si passionnées malgré les grands vides des espaces et les atlantiques désespérants ! On aurait dit que je me chantais un duo à moi-même. Par instants, l'une des notes de l'accord paraissait vouloir s'éloigner de sa jumelle, l'accord allait se briser, mais l'autre note finissait toujours par rattraper la fugitive, s'y accrochait désespérément pour être sa seule réponse dans l'éternité. Les efforts que les deux voix complémentaires faisaient pour se joindre seraient comparables aussi au dialogue des enterrés vifs et de leurs sauveteurs.

Cette veille finissant par devenir plus accablante qu'un cauchemar, je me rhabillai dans l'obscurité et m'efforçant de faire le moins de bruit possible je gagnai la rue. L'air de la nuit aurait sans doute raison de cette intoxication sentimentale, de cette saturation des facultés amatives. J'irais prendre un bain de foule et de populaire, m'étourdir et m'achever dans un de ces bals canailles dont parlait précisément la lettre du matelot. Au fait, pourquoi ne pousserais-je pas au «Saint-Michel» dans la rue du Couvent, le bastringue où Frans Selderslag avait dansé sa première valse avec Dolphine Plaschmans ? Peut-être au moyen de quelque brutale équipée, parviendrai-je à arracher mon coeur à cette inconcevable possession. J'ai vu arracher ainsi des poids formidables aux insidieuses ventouses de l'aimant.

Moi qui étais rarement venu à Anvers - il me faut insister sur ce point - et qui ne connaissais en fait de quartiers excentriques que la zone maritime explorée l'après-midi en compagnie de Josse Deridder, je me trouvai bientôt tout à l'autre bout de la ville, mêlé à une cohue de faubouriens et d'ouvrières qui garnissaient la vaste salle même, évoquée par Selderslag.

Deux cents personnes au moins se trémoussaient aux accords d'une musique cavalière et cavalante, que les cuivres éperonnaient de leurs stridences aiguës. Mais dans cette foule moutonnante, estompée par la fumée et la sueur, je ne distinguai, je ne suivis qu'un seul couple.

C'était un beau garçon d'une vingtaine d'années, très vigoureux, très musclé, la tête brune et crépue rejetant crânement en arrière une casquette marine à large visière plate et cirée ; le visage épanoui avec des traits d'une sympathique rudesse ; le teint hâlé mais préservant tout de même les roses et le duvet de l'adolescence ; de grosses lèvres fraîches comme une aube de baiser ; des yeux expansifs tout constellés de joie ; avec cela l'air un peu paysan et d'allures un tantinet balourdes dans sa brune culotte de velours à côtes très serrée, son tricot gros bleu de matelot fortement échancré au cou et comme tatoué sur la poitrine d'une immense ancre rouge ; les vêtements accusant encore le charnu du torse et des membres.

Sa compagne, d'une couple d'années plus âgée que lui, représentait une de ces noiraudes au type espagnol comme il s'en rencontre beaucoup dans les ports de mer septentrionaux, le teint mat et légèrement ambré, l'oreille menue, les yeux troubleurs, la bouche pimentée, la chevelure ramenée en accroche-coeur et en frisons, Flamande par les hanches larges et rubéniennes, par la fraîcheur de la pulpe et de la carnation, mais Andalouse par la vivacité des prunelles et l'affriolante mobilité de la gorge, des paupières, des narines et des lèvres, vraiment la femelle victorieuse pour laquelle les francs bougres affronteraient les coups de couteau, les nuits au poste et même, si elle existait encore chez nous, la machine coupeuse de têtes.

Quel instinct m'avertit d'emblée que c'était là Frans Selderslag avec sa Dolphine Plaschmans ?

«Tant mieux ! me dis-je, sincèrement ravi, il sera revenu de Santos et des Barbades. Le voilà guéri, entièrement radoubé ; un fier brin de mâle !»

Et continuant à monologuer à part moi : «A quand les noces ? La soeur a dû parler pour lui, de sorte qu'à son retour la fière voisine a consenti à être sa bonne amie. Sans doute une partie des trois cents francs du prêt aura servi à parer la jolie fille de popeline et d'or plaqué !»

En ce moment ils repassaient devant moi, portés par leur élan serpentin et le courant des danseurs de la foule : «Mais non, je me trompe ; la toilette de la belle est assez maigre ; sa robe est usée et elle n'arbore point le moindre colifichet !»

«Pourquoi, aussi, me disais-je en pousuivant mon très inquisitorial examen, ne se traitent-ils point avec plus de familiarité ? C'est à peine s'ils tournent enlacés et si en se pressant les mains ils se hasardent plus haut que les poignets. Quelle extrême réserve ! Tous deux semblent embarrassés, très gauches, comme s'ils se voyaient pour la première fois et, sur ma parole, n'était l'expression idolâtre de leurs regards et l'imperceptible tressaillement de leur derme, ce frisson, cette petite mort qui affleure à la chair de ceux qui vont se donner l'un à l'autre, et que je suis peut-être seul à saisir en dehors d'eux, on gagerait qu'ils ne s'aiment pas encore, qu'ils cabriolent et toupillent, friande garce et rude gars, sans y attacher plus d'importance que le passereau à la cerise qu'il picore et la fleur au papillon qui la chiffonne. Diable ! leurs affaires n'auraient-elles pas encore fait plus de chemin ! On est cependant expéditif dans le monde des marins, surtout qu'ils n'ont pas des mois à perdre en madrigaux et en tourterellisme. Allons morbleu, Frans, à l'abordage ! Ou si tu ne jettes l'ancre pour de bon, il est temps de faire escale !»

Je ne sais combien dura leur danse, mais je lus très longuement dans leurs deux âmes, surtout dans celle du jeune pilotin. Je parfumai mortellement la mienne aux fragances de ce désir et de cette sève ! je respirai à en défaillir leurs perspectives de bonheur...

La musique s'interrompit. Ils firent quelques pas, presque cérémonieux, ensemble. Soudain un remous les bouscula et je vis un gaillard de l'âge de Frans, un joli garçon vulgaire, aborder la coquette Dolphine avec une liberté de camarade, car c'était avec lui qu'elle était engagée pour la danse à venir.

Frans se contenta de prolonger l'étreinte de ses doigts tandis que rieuse, mutine, sans se hâter toutefois, elle suivait son nouveau cavalier, et, en manière de consolation, elle décocha au candide affronteur de naufrage, si timide devant la tempête de ces noires prunelles de femme, une électrique et lumineuse oeillade.

Il l'observa toujours, insatiablement ; ne détachant plus les yeux du couple qui tanguait et roulait comme la goélette le Prosit sur cet océan de houleuse chair humaine ; il la regardait comme un navire en détresse verrait s'éloigner l'arche de salut, le phare providentiel, oh ! si tristement, et si ingénument, que pris d'une compassion infinie, je me faufilai au premier rang de la galerie et me plaçai à côté de lui pour le réconforter... Mais je ne me rappelle plus ce que je lui dis, ou si je me risquai seulement à lui adresser la parole. Tout ce que je sais c'est que sa chère pensée concertait avec la mienne comme si j'avais toujours été son matelot...

Nous assistâmes à toutes les danses qu'elle dansa avec le drille qui l'avait réclamée après Frans ou avec d'autres non moins indifférents, triviaux et de façons rogues, à toutes ces danses qu'elle aurait dû refuser pour les donner toutes à son Frans.

Poussé par une sympathie crispante, j'avais accroché mon bras à son noueux biceps, et sans qu'il y prît garde, je lui dédiai mon âme, mêlant aux rosées de son grand coeur auroral les ardents orages du couchant de ma jeunesse... Aussi, en quelle adoration s'aggravait son caprice pour cette folâtre fillette !

J'avais bien deviné, ils devaient encore en être au trouble de la première rencontre, avant le balbutiement des aveux et, de là, chez mon délectable compagnon, une sorte de jalousie anticipée, ou plutôt cette inquiétude de l'amant qui ne s'est pas encore déclaré et qui ne possède encore aucun droit sur celle qu'il voudrait faire indissolublement sienne. Ah ! si elle en avait déjà aimé, déjà connu un autre ! Et telle était l'intensité de cette angoisse en mon camarade que je ne songeais pas alors à l'invraisemblance de son attitude si platonique et que je m'abandonnai complètement à mon spasme de pitié et de balsamique dévouement... Pourquoi me paraissait-il si précieux, si rare, si digne de vivre et d'aimer, ce jeune Frans Selderslag ?

Combien de danses avions-nous comptées lorsqu'on éteignit le luminaire ainsi que la voix des orchestrions, et que le courant de la sortie nous enchevêtra dans un rassemblement où, toujours sans que personne m'eût averti, je reconnus Mariette, la grande soeur de mon Frans, et Jaak le cigarier, et Flup, et Rikus, et d'autres encore mentionnés dans la lettre, et beaucoup de filles dégingandées et piaillantes, les batifoleuses des soirs d'été sur la place du Poids-de-Fer, tous et toutes en train de dégager la belle Dolphine de la nuée des galants de carrefour qui s'attardaient en se disputant la faveur de la reconduire ?

Seul Frans ne se présenta point et quand Dolphine eut été rendue à son escorte de compagnes, que lurons et luronnes se furent éloignés, en deux bandes, éraillant les ténèbres de leurs chants et de leurs rires, non sans se pourchasser de bourrades et de chatouilles, nous nous engageâmes à leur suite, mais à distance, à travers le dédale des venelles et des impasses. Dans le hourvari des voix graveleuses et effarouchées, nous distinguions le rire lutin et perlé, un vrai rire de Noël, de la belle fille, et sous les sombres voûtes des ruelles sordides nous suivions ce rire argentin comme les bergers et les mages avaient suivi dans les cieux le sillage de l'étoile miraculeuse...

Et quand cette voix s'éteignit au bas d'un charbonneux escalier de l'impasse du Glaive, mon Frans demeura longtemps devant le seuil, transi, irrésolu, sur le point de monter à sa suite, mais se ravisant alors et le coeur délivré d'une horrible inquiétude à l'idée qu'elle était rentrée seule...

L'état de Frans m'alarmait ; je sentais la fièvre courir en ses veines et, ne voulant pas l'abandonner en pareil courant d'exaltation, je l'entraînai vers la ruelle de la Coupe et grimpai sans lumière avec lui, dans le galetas où, depuis le soir sans doute, la respiration flûtée d'une nichée de marmots accompagnait les ronflements graves des aïeux et des parents.

Pour la première fois que nous étions ensemble, je fus distrait de mon idée, de ma sympathie fixe : une chaleur insupportable, un air asphyxiant régnaient dans cette étroite mansarde et tandis que mon compagnon, aussi titubant qu'un ivrogne, s'était laissé tomber sur une vague literie, sans même se déshabiller, je me traînai, presque jugulé, vers la fenêtre en tabatière que je soulevai pour laisser pénétrer l'oxygène respirable.

A ma profonde surprise, cette fenêtre, brusquement élargie, s'ouvrit sur un ciel d'un bleu estival et livra passage à des bouffées d'un air chaud, presque orageux, chargé de parfums disparates, d'irritantes et capiteuses épices, comme si des débardeurs maladroits venaient d'éventrer, en les culbutant sur les quais, des tonnes de gingembre, de vanille et de canelle. De plus, au lieu du silence dans lequel nous avions laissé le quartier après la dernière fusée de rire de Dolphine, voici que la nuit résonnait d'appels en une langue exotique et romanesque, de langoureuses sérénades, de pizzicati de mandolines et de guitares, de vibrations voluptueuses et cruelles.

Déjà je m'abandonnais au charme inattendu de ce mirage illusionnant tous mes sens à la fois, quand un cri de douleur, le râle d'une voix qui m'eût arraché aux plus suaves extases musicales, me rappela Frans Selderslag, me rappela à ma vraie vie.

Je me retournai et, dans une étrange phosphorescence dénaturant l'aspect qu'aurait dû revêtir normalement cette mansarde de miséreux, j'aperçus mon Frans se débattant sur sa couche. Une créature hideuse, de formes démesurées, vampire ou papillon, voletait au-dessus de lui en l'effleurant de ses ailes crochues. Le reflet cadavérique qui nimbait le matelot d'un jaune putride, d'un jaune paludéen, d'un pulvérin de miasmes, provenait du corps fulgurant de la sinistre bête. Tandis que l'horreur me paralysait un instant et m'empêchait de porter secours à mon ami, je me rappelai les mots extrêmement évocatifs de sa lettre : «Depuis six semaines la maladie me guette et tourne autour de moi comme un de ces vilains serpents ou de ces grosses chauves-souris, buveuses de sang, qui font le charme de ce pays. Heureusement je suis plus malin et plus fort que le monstre jaune !...»

En cette atroce extrémité, je me jetai sur Frans pour lui faire une barrière de mon corps, pour empêcher le nauséeux fulgore de lui donner le baiser du trépas. Mais le monstre jaune nous narguait tous deux de ses ailes poisseuses et hypnotisantes et dans son horrible tête de poulpe, au bec crochu, luisaient des yeux d'un or encore plus pourri et plus pestiféré que le fétide incendie de son thorax.

Uniquement préoccupé du sort de Frans, réunissant toutes mes forces, je repoussai de mes deux poings convulsés la masse impure. Horreur, je sentis mes doigts s'enfoncer dans cette vivante charogne, un liquide infect m'inonda et, aveuglé, étouffé, brûlé, je me réveillai dans... la plus confortable des chambres à coucher, chez l'hospitalier Josse Deridder.

Le croirait-on ? Contrairement à ce qui arrive au sortir d'un cauchemar, au lieu d'éprouver le soulagement de la délivrance et du salut, je fus encore plus navré et plus triste qu'un suicidé rappelé malgré lui à l'existence. Aucune comparaison ne me ferait dépeindre l'indicible regret de ce réveil. Pourquoi me fallait-il survivre à Frans Selderslag ? Jamais je n'avais tant chéri mon semblable qu'en ce fortuit compagnon d'une nuit. Dans la succession des jours futurs, je ne rencontrerais aucun être que je pourrais exalter avec cette idolâtrie, cette abnégation, ce renoncement à moi-même, ce mépris de tout préjugé et de toute convention...

Mais aussi pourquoi boire à s'halluciner ainsi !

Je me levai très tard après avoir dormi d'un sommeil de malheureux, d'un de ces sommeils de plomb, qui réparent les nerfs démolis et qui ont raison des plus grandes douleurs et des pires remords.

Lorsque je descendis, je trouvai mon ami Deridder en train de siroter son café et de dépouiller son courrier avec une fébrilité professionnelle. Soudain, comme il venait de décacheter une enveloppe et de parcourir le pli qu'elle contenait, il fit un soubresaut :

- En voilà une forte ! Tu te rappelles le marin qui écrivit une si jolie lettre...
- Eh bien ?
- Curieuse coïncidence ! Il est mort !

Et il me tendit une lettre du capitaine Hanssen. Elle venait des îles Barbades et, entre autres nouvelles brèves et laconiques, elle annonçait que le matelot Frans Selderslag avait succombé à une attaque de fièvre jaune.

Humain, Deridder prit un air contrarié, qui n'était pas, je le constate à son honneur, un air de circonstance.

Quant à moi, à en juger par les tiraillements de mon coeur, je devais avoir la mine d'un moribond ou d'un criminel. Heureusement, il arrêta longtemps ses regards sur la lettre qu'il avait reprise... S'il était stupéfait, que dire de ma consternation !

Je fus sur le point de mettre le comble à son ébahissement en lui racontant mon rêve, mais je me tus par une sorte de pudeur et de jalousie. Je ne me croyais point le droit de divulguer à un profane ces confidences , cette manifestation d'un amour, d'un attachement posthume qui avait revêtu une violence et une intensité, une plénitude généralement inconnues à nos affections terrestres. Dans tous les cas, pour ma part, jamais je ne m'étais passionné ainsi de mon prochain.

Donc, loin de faire part à Deridder de cet extraordinaire cas de télépathie, je fis tous mes efforts pour reprendre contenance et lui cacher mon trouble, et ne pas avoir l'air de me chagriner outre mesure du décès prématuré de ce matelot, de ce pauvre diable, qui, s'il ressemblait au fier adolescent qui m'avait visité, était bâti pour durer un siècle ! Bast ! il en crève tant de matelots ! Pourquoi portai-je justement un intérêt si absolu à celui-là ?

Deridder ne sut donc rien alors de ma longue et pathétique conjonction avec l'amoureux de Dolphine, avec cet inoubliable succube de mes affinités, de mes facultés amatives.

Mais, malgré mon déchirement affectif, une curiosité, une tentation me venait : celle de vérifier jusqu'à quel point tous les détails des scènes de ma vision touchaient à la réalité.

Aussi, quand mon ami me proposa d'aller porter avec lui la triste nouvelle au foyer du pauvre garçon, j'acceptai avec un empressement non exempt d'anxiété.

Lorsque nous nous fûmes engagés dans le quartier Saint-André, je ne tardais pas à reconnaître les rues où j'avais passé en songe avec Frans, je refaisais le trajet qu'il avait parcouru en marchant derrière la désirable Dolphine, la nuit où il avait dansé la première, la seule, la dernière fois avec elle. Et à présent, je m'expliquai pourquoi il était si timide, si peu entreprenant ! J'avais assisté, quoique bien des mois après, à leur rencontre initiale, à cette danse suprême qu'il évoquait dans la dernière lettre à sa soeur !

Je retrouvais même si bien mon chemin que je tournais les coins de rue avant que mon ami qui prétendait me guider m'eût averti de la direction à prendre. Une fois encore qu'il allait se tromper de route, je l'arrêtai par le bras en lui disant :

- Par ici ! et en l'entraînant de l'autre côté.
- Tiens, dit-il, vous savez donc le chemin ?
- Non, fis-je un peu troublé, mais j'ai entendu tout à l'heure un agent de police indiquer la route à un passant qui avait aussi affaire dans ces parages.

Quelque implausible que fût cette explication, d'ailleurs outrageusement bredouillée, mon hôte était trop préoccupé par ce qu'il allait devoir dire à la mère du défunt pour s'en étonner.

Nous approchions. En passant devant l'impasse du Glaive je scrutai la sombre voûte d'entrée d'un long regard et ne pus m'empêcher de murmurer le nom de Dolphine.

Deridder m'entendit :

- Celle qu'il aimait demeure en effet là ! Pauvre fille !

Et il ne fut pas autrement surpris de mon extraordinaire mémoire.

Deux secondes après nous enfilions la ruelle de la Coupe et, plus essoufflés par l'angoisse, moi du moins, que par l'ascension de l'escalier, nous frappions à la porte de la mansarde où j'avais conduit mon ami d'outre-tombe. En entrant, la première chose qui attira mon regard fut un objet que je n'avais pas vu à cause de l'obscurité : une grossière photographie accorchée au mur dans un petit cadre de trois sous.

Je le reconnus. C'était bien lui, le beau gars avec sa jolie tête brune, ses traits avenants quoique rudes, ses lèvres fraîches comme une aube de baisers, et ses grands yeux ravis tout constellés de joie.

Devant ce portrait, véritable image de dévotion, le pauvre portrait dont on garderait longtemps les clichés, - Pladen opbewaard for Efterbestelling, - affaissées autour d'une table en des poses de Madeleines au pied de la croix, étaient la mère, la grande soeur, les petiotes, une autre jeune femme encore, la plus prostrée de toutes.

Elles savaient donc la nouvelle.

Emile Lauwers, celui-là même qui avait été à l'agonie et aux parents de qui la soeur de Frans avait apporté un triste bonjour, - l'adieu présumé d'un mourant, - leur faisait part de la mort du plus rude-à-cuire de l'équipage...

A notre entrée les femmes nous dévisagèrent comme les martyrs regardaient les messagers des derniers supplices.

En la plus accablée de ces malheureuses, je reconnus la fière Dolphine. Nous échangeâmes un indéfinissable regard, un regard aussi énigmatique, aussi intrigué que celui qu'on échange pendant une confrontation criminelle, un regard dont aucune parole ne pourrait condenser le fluide spécieux. Lesquels de nos yeux, des siens ou des miens, semblaient vouloir ravir les uns aux autres le dernier reflet, la suprême image du matelot bien-aimé ?


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