Audiobooks by Valerio Di Stefano: Single Download - Complete Download [TAR] [WIM] [ZIP] [RAR] - Alphabetical Download  [TAR] [WIM] [ZIP] [RAR] - Download Instructions

Miguel de Cervantes y Saavedra - Don Quijote de la Mancha - Ebook:
HTML+ZIP- TXT - TXT+ZIP

Wikipedia for Schools (ES) - Static Wikipedia (ES) 2006
CLASSICISTRANIERI HOME PAGE - YOUTUBE CHANNEL
SITEMAP
Make a donation: IBAN: IT36M0708677020000000008016 - BIC/SWIFT:  ICRAITRRU60 - VALERIO DI STEFANO or
Privacy Policy Cookie Policy Terms and Conditions
C. Mendès : Monstres parisiens - X (1883)
MENDÈS, Catulle (1841-1909) : Monstres parisiens. X : Le Lâche ; Les Ingénus ; La Tueuse d'écho (1883).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.V.2012)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros] obogros@cclisieuxpaysdauge.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (coll. part.) des Monstres parisiens (Paris : chez tous les libraires, 1883.– 10 fascicules en 2 tomes in-32, 242 + 232 p.)
 
Monstres parisiens
X
par
Catulle Mendès

~*~

LE LÂCHE

DANS l'alcôve silencieuse, que blanchit à peine la lueur des lampes baissées, pendant que M. d'Argelès sommeille, un peu las, sous les cheveux de sa maîtresse, elle le regarde, heureuse. C'est terrible, ce qu'elle a osé. Elle, honnête femme, qu'environnaient tous les respects, mariée à un homme dont elle était l'unique joie et le plus bel orgueil, elle a quitté, furtive, à la nuit tombante, la maison conjugale, jetant aux domestiques, pour prétexte, qu'elle allait voir sa mère ; elle est descendue d'un fiacre devant le mur d'un jardin ; tremblante de peur, tournant la tête, avec l'angoisse d'un voleur qui crochète une porte, elle a ouvert la grille, au moyen d'une petite clé que M. d'Argelès lui avait remise, la veille, à l'Opéra, pendant le dernier entr'acte ; et, la pelouse traversée, un escalier monté, elle s'est trouvée dans une chambre inconnue où, pour la première fois, épouvantée, extasiée, elle a subi le criminel délice de l'étreinte adultère ! Lamentable aventure. Car, non seulement elle a perdu à jamais l'honneur, le respect de soi-même, les bons sommeils paisibles, mais ceci s'achèvera sans doute dans une catastrophe. Son mari, cœur violent et bras résolu, est incapable de se courber sous l'affront ; il la tuera, dans la rage de son désespoir, ou se tuera lui-même. Elle sera une morte, ou pleurera près d'un cadavre. Eh bien ! n'importe ! elle ne veut pas s'émouvoir de cet avenir sinistre. Elle chasse les noirs soucis. Elle est toute à l'ivresse d'aimer et d'être aimée. Le bonheur qu'elle a connu, qu'elle connaîtra encore, n'est pas payé trop cher même au prix de la vie. Oh ! l'heure divine des lèvres unies, des haleines mêlées ! Comme il la serrait étroitement tout à l'heure, avec des promesses d'éternel amour! Même morte, il lui restera fidèle. Jusqu'à ce jour, elle ne l'ignore pas, M. d'Argelès a eu le cœur frivole, et on lui attribuait volontiers, en riant derrière l'éventail, plus d'une galante aventure. Mais, l'homme qu'il a été, il a cessé de l'être. Il aime, maintenant, il aime ! il le jure, et il l'a prouvé pendant six mois de tenace attente et de supplications douloureuses. Il est à elle comme elle est à lui, entièrement, éperdument ; et ce que leur tendresse a de coupable sera racheté par ce qu'elle aura de sublime ! Ils se réhabiliteront à force de bonheur.

Tandis qu'elle s'enorgueillit ainsi dans son crime heureux, une pendule sonne douze coups, et M. d'Argelès, éveillé dans un bâillement, dit à sa maîtresse, tout bas, parmi la caresse parfumée des cheveux :

- Comme les belles heures passent vite ! Hélas, ma bien-aimée, voici le moment où il faut que tu me quittes.

Elle s'écarte un peu, dans un frisson le considère, étonnée, comme ne comprenant pas.

- Moi te quitter ? dit-elle.

- Sans doute, ma chérie ! pour ne pas inspirer de soupçons à tes domestiques, pour être rentrée avant que ton mari soit revenu du cercle.

*
* *

Elle a poussé un cri, elle est hors de l'alcôve, dans sa robe reprise à la hâte ; puis, de loin, très pâle, les yeux grands ouverts, avec des paroles saccadées :

- Es-tu fou ? te quitter ? m'en aller ? pour ne pas inspirer de soupçons ? à cause de mes domestiques, et de mon mari ? Quels domestiques, quel mari ? Est-ce que j'ai des gens, à présent, est-ce que je me souviens d'avoir été mariée ? Tu m'as dit : « Viens, » je suis venue ; y a-t-il un retour possible, après un tel départ ? Je ne puis sortir d'ici que pour aller où tu iras, avec toi. J'ai une maison : la tienne ; j'ai un lit : le tien. Si tu n'avais pas de chevet où reposer ta tète, je serais une vagabonde. Te quitter ? Oh ! j'ai mal entendu. 'Tu n'as pas dit cette parole, ou je l'ai mal comprise. Comment ! tu ne réponds rien ? Tu détournes la tête? C'est donc vrai, tu veux que je m'en aille, et que je revienne demain, sans doute, pour repartir encore, comme ce soir ? Tu veux que je dise à mon mari, en rentrant : « Ma mère va beaucoup mieux, une indisposition, rien de plus », et qu'en m'endormant auprès de lui, je cherche un nouveau prétexte pour la prochaine sortie ? Oh! misérable, et, moi, malheureuse ! Tu as compté que je serais ta maîtresse sans cesser d'être la femme d'un autre. Nous nous aimerions quand je pourrais m'échapper. Je serais à toi, après avoir été à lui. C'est à son désir assouvi que nous devrions nos plaisirs. Ton baiser m'accepterait, tiède encore du sien, et moi je rapporterais tes lèvres à sa bouche ! Oui, oui, je vois les choses. Ce que tu me demandes, c'est un amour prudent, qui a peur, qui se cache, qui prend des précautions, c'est de mentir, c'est de trahir, lui pour toi, toi pour lui, en souriant ! Je sais qu'il est des femmes capables d'une telle bassesse ; quelques-unes, qui s'inquiètent peu de leur propre estime pourvu qu'elles ne s'aliènent point le respect courtois du monde, ont cette hypocrisie abjecte ! On peut tout se permettre, sauf de se compromettre. Sous couleur d'un bain ou d'une messe, aller en fiacre aux rendez-vous, la voilette baissée, sans oublier la boîte de poudre de riz pour cacher, au retour, la rougeur des baisers, surveiller sa parole, ses gestes, son regard, feindre de connaître à peine qui l'on aime, ne jamais écrire, ne jamais laisser traîner de lettres, c'est de cela qu'est faite leur vertu ; et s'il leur arrive de rentrer un peu tard, il leur faut se coucher si vite, avant l'arrivée du mari, qu'elles n'ont pas toujours le temps de remplacer la chemise adultère ! Sache que je ne suis point pareille à ces femmes. Je me suis livrée, entière, à jamais. Ce que je t'ai donné, ce n'est pas une heure, c'est ma vie. J'ai rompu avec tout mon passé ; derrière moi, il ne reste plus rien de moi. J'ai consenti au crime, pas à la honte. Je ne veux pas me partager, je ne veux pas mentir ! J'accepte, je désire les railleries, les mépris, les colères. J'ai pu être coupable, je ne saurais être vile; l'aveu hautain de mon amour est la seule excuse qui m'en reste ! Et je prétends que ton audace égale la mienne. Mon cœur, mon corps, l'ivresse que tu m'as due, valent que tu t'enorgueillisses, et que tu proclames ton bonheur. Déshonore-moi si tu m'adores ! Es-tu lâche, ou ne m'aimes-tu pas ?

Elle parle, parle encore, debout, frémissante ; ses gestes ont l'air de jeter au vent, comme des haillons méprisables, le vain honneur du nom, les fausses pudeurs mondaines, et tous les préjugés hypocrites.

*
* *

Cependant, elle se tait, et M. d'Argelès se comporte comme un fort habile homme. Il n'a eu garde d'interrompre sa maîtresse ! Mais, à présent, il s'approche, s'agenouille, lui prend les mains, doucement. « Elle sait qu'elle est adorée, que, sur un signe d'elle, il mourrait avec joie ! Eh bien ! à cause même de cette tendresse, il doit épargner à son amie les déboires et les périls. Il ne demanderait pas mieux, lui, que d'être toujours auprès d'elle. Ne plus se quitter, quel rêve ! Aucun danger, aucune responsabilité ne pourraient le faire hésiter, s'il ne s'agissait que de lui-même. Ne devine-t-elle pas ses jalousies, ses cruels désirs de la posséder seul ? Mais, au prix même des pires angoisses, il faut qu'il la conserve honorée, estimée de tous. Il n'a pas le droit de l'entraîner dans la vie irrégulière, de faire d'elle une femme que l'on montre du doigt. Le monde est redoutable, se venge cruellement de celles qui le bravent. Il est des nécessités terribles, auxquelles on ne saurait se dérober. » Et M. d'Argelès dit ces choses, beaucoup d'autres encore, avec une si adroite insistance, fait à son amie un tableau si effrayant des tristesses d'une existence déclassée, joint à ce pénible discours de si câlines tendresses, que la belle jeune femme baisse la tête, d'un air résigné, convaincue. Seulement, elle demande de ne pas partir sitôt, ce soir. Elle peut rester encore, sans aucun inconvénient pour sa réputation. Elle va écrire à son mari qu'elle demeurera une partie de la nuit auprès de sa mère plus souffrante, et M. d'Argelès remettra la lettre à son valet de chambre qui la fera porter au cercle par un commissionnaire. «  Oh ! la bonne pensée ! dit l'amant, et comme vous êtes bonne ! » Elle s'assied, elle écrit, cachette la lettre, la donne elle-même, par la porte entrebâillée, au domestique, avec des instructions rapides. Puis, souriante, ayant perdu le souvenir des amertumes et des colères, elle entoure de ses deux bras nus, - car où donc est la robe ? - le cou de M. d'Argelès, parle bas à son amant, penchée, et le baise, avec un petit bruit de lèvres, dans les cheveux.

*
* *

Elle est toute autre, en vérité. Après l'amour farouche, qui s'exalte, c'est l'amour un peu frivole qui s'amuse. Elle rit, elle a de mignonnes moues. Elle ne demande plus, d'une voix ardente : « Tu m'aimeras toujours, n'est-ce pas ? » elle dit, coquette : « Me trouves-tu jolie? » Même elle avoue qu'elle a été bien romanesque tout à l'heure. Les grands sentiments sont beaucoup mieux à leur place dans les livres que dans la vie. C'est fort heureux qu'il soit raisonnable, lui, qu'il l'ait empêchée de faire des folies. Elle le remercie. Ne pas rentrer, quitter son mari, afficher sa liaison, comment avait-elle pu imaginer des énormités semblables ? Désormais elle fera ce qu'il voudra, sans révolte. Et ce sera charmant. Ils seront heureux, sans inquiétude. Ils se cacheront si bien ! Il verra comme elle sera ingénieuse à trouver des occasions de le voir mystérieusement. « Mon mari ne se doutera de rien, tant je serai adroite. Même, pour dérouter ses soupçons, je serai, auprès de lui, plus attentionnée, plus tendre qu'autrefois. Oh! la bonne dupe ! Quand je lui aurai joué un bon tour, c'est nous qui rirons, tous les deux. Ce sera drôle, dis ? » M. d'Argelès écoute avec des signes qui approuvent. Il est tout à fait content de la voir revenue à des idées pratiques ; n'étant pas homme à s'accommoder d'une femme hautaine et trop magnanimement passionnée. Sa bonne humeur déteste d'être secouée par de furieux élans de passion. Telle qu'elle se fait voir à cette heure, sa maîtresse lui plaît tout à fait. Il est même décidé à prolonger quelque peu cette intrigue, pas compromettante, sans responsabilité ; et, en songeant de la sorte, il baise avec une ardeur à peu près sincère les neigeuses épaules d'où glissent des dentelles, et se grise, avec satisfaction, de la tiède odeur de santal qui émane des beaux bras levés.

Mais un bruit de pas, tout à coup, sonne derrière le mur, sur l'escalier qui monte du jardin.

- Qui vient là ? dit M. d'Argelès.

Alors, elle se dresse, elle a les yeux pleins de flammes, elle crie :

- Celui qui vient, c'est mon mari ! à qui j'ai tout avoué, à qui j'ai envoyé la clé qui ouvre la grille de ton jardin !

Puis, tandis que la porte cède sous une poussée furieuse, elle ajoute, terrible, dans la joie de son amour vengé :

- Mon mari ! qui nous tuera tous deux, moi, l'adultère, et toi le lâche !


LES INGÉNUS

LA COMTESSE : AH ! c'est vous ? Tant mieux. Venez là. Asseyez-vous. J'avais besoin de vous voir, vous, mon vrai, mon seul ami, de vous voir et de tout vous dire. Je souffre tant. Vous me regardez, j'ai les yeux rouges ? Pendant une nuit et un jour, j'ai pleuré à chaudes larmes. C'est qu'il m'est arrivé une chose affreuse, une chose que je n'aurais jamais crue possible. Vous savez, vous, combien j'aimais le comte? Mon cœur, ma pensée, ma vie, je me donnais entière, comme on jette des fleurs devant une idole. Hélas ! l'idole a marché sur les fleurs et elle les a toutes écrasées. Mon mari me trompe! C'est horrible.

LE BARON : Vous êtes sûre? ...

LA COMTESSE : Voulez-vous lire les lettres de mademoiselle Constance Chaput ?

LE BARON : Comment, c'est pour la grosse Constance ?. . .

LA COMTESSE : Des Bouffes. Une fille. Pas jolie, n'est-ce pas ? Et sotte. Si vous lisiez ses lettres ! une orthographe de cuisinière. Dites-moi la vérité : est-ce que je suis laide, est-ce que je suis bête ? Non ? Eh bien! il me préfère cette créature. Ah ! c'est épouvantable.

LE BARON : Oui, épouvantable. Mais, je vous en conjure, calmez-vous, soyez moins nerveuse.

LA COMTESSE : Ah! cela est bien facile à dire !

LE BARON : Je verrai votre mari, je lui ferai comprendre toute l'horreur et toute l'absurdité de sa conduite.

LA COMTESSE : Je vous défends de le voir! Son repentir serait inutile. Ma résolution est prise.

LE BARON : Quelle résolution? que voulez-vous faire ? Le quitter ? C'est impossible. Quand on est de votre race et de votre monde, on ne brave pas le scandale d'une séparation.

LA COMTESSE : Je ne le quitterai pas.

LE BARON : Que ferez-vous donc ?

LA COMTESSE : Je me vengerai.

LE BARON : Vous prendrez un amant ?

LA COMTESSE : Oui !

LE BARON : Je vous en défie. Allons donc! rêvez vous ? êtes-vous folle ? Est-ce que vous êtes capable, vous pieuse et pure, de vous avilir jusqu'à l'adultère ? Ce n'est pas à moi que vous le ferez croire.

LA COMTESSE : Croyez ce qu'il vous plaira. J'aurai un amant, - puisque le comte a une maîtresse !

LE BARON : Non !

LA COMTESSE : Ah! vraiment, je resterai seule à la maison, dédaignée, abandonnée, pendant qu'il se divertira loin de moi, lui ? N'y comptez pas ! je n'ai point tant de vertu. Ne me faites pas meilleure que je suis. Pieuse, sans doute, puisque je pratique ; et pure, soit,- encore. Mais hier n'implique pas demain. Eh ! mon ami, nous sommes dans un temps et dans un monde où les candeurs et les honnêtetés de la première jeunesse ne tardent pas à s'évanouir. Neiges de printemps qui fondent vite. Je suis une femme pareille à beaucoup de femmes. Ce qu'elles font, pourquoi ne le ferais-je pas ? pourquoi pleurer quand elles rient ?

LE BARON : Ce rire les déshonore.

LA COMTESSE : Voilà un bien gros mot ! Qui parle de se déshonorer ? Un peu de folie n'exclut pas beaucoup de prudence. On ne raconte pas ses affaires aux gens. Est-ce qu'il n'est pas possible de se cacher ? Et puis, à présent, le scandale lui-même n'est pas toujours la honte. La société moderne a de grandes miséricordes ; qui donc repousse brutalement les personnes les plus compromises, lorsqu'elles portent un beau nom et qu'elles ont une grande fortune ? Ma réputation est inattaquée, n'est-ce pas ? Eh bien ! j'étais au Bois, avant-hier, avec madame de Ruremonde, et je dîne demain chez madame de Lurcy-Sevi. Les indulgences qu'on a pour d'autres, on les aura pour moi.

LE BARON : L'irritation vous égare ! Vous ne voudriez point de ces indulgences, car vous n'ignorez pas ce qu'elles contiennent de mépris. On a l'air de se taire ; non, c'est qu'on parle bas. Oh ! les cruelles paroles ! que les femmes sans vertu devinent, si elles ne les entendent pas ! Il y a des mouvements de lèvres, surpris, qui font qu'elles rougissent tout à coup et que leur cœur se serre. Le monde, en somme, ne les accueille que pour les mieux punir ; et s'il feint de prodiguer ses pardons, il y a une chose qu'il réserve : c'est son estime.

LA COMTESSE : N'importe! elles sont heureuses.

LE BARON : Heureuses ?

LA COMTESSE : Oui.

LE BARON : Parce qu'elles ont des amants ?

LA COMTESSE : Oui.

LE BARON : Madame, avez-vous lu le Hasard du coin du feu ?

LA COMTESSE : Je ne sais pas. Peut-être.

LE BARON : Dans le Hasard du coin du feu, la marquise dit à Célie : « L'amour promet plus de bonheur qu'il n'en procure, et la vertu en procure toujours plus encore qu'elle n'en promet. »

LA COMTESSE : Je ne savais pas que vous fussiez, Crébillon et vous, de si austères moralistes.

LE BARON : Il ne s'agit pas seulement de morale, ici ; il s'agit des intérêts bien entendus de votre bonheur. Toute femme mariée qui cesse d'être honnête parce qu'elle aime ou parce qu'elle croit aimer, se livre, en effet, aux pires tourments, et l'amour coupable est une des portes de l'enfer d'ici-bas. Croyez-vous donc que l'homme cesse d'être l'homme, parce qu'il est l'amant au lieu d'être le mari ? Ce que vous détestez dans celui-ci, espérez-vous ne pas le retrouver dans celui-là ? Illusion, madame. L'un et l'autre, - l'amant plus tôt que le mari, car les lunes de miel de l'adultère sont plus courtes que celles du mariage, - ont ces indifférences, ces silences, ces rudesses même, ces abandons qui désolent le cœur de la femme. Si votre mari vous a trompée pour Constance Chaput, des Bouffes, votre amant vous trompera pour Rose Mousson, des Nouveautés. Et à l'angoisse d'être trahie s'ajoutera l'horreur d'avoir trahi.

LA COMTESSE : Cependant, elles se montrent satisfaites, elles sourient, elles triomphent, les femmes que vous jugez si à plaindre.

LE BARON : Elles sont obligées à cette hypocrisie  et elles essayent de se mentir à elles-mêmes, comme elles mentent aux autres. Pourquoi ? parce que le bonheur est la seule excuse possible de leur faute. A une femme qui avait, depuis quelques semaines, un amant jeune, riche, intelligent et beau, je demandais un jour : « Au moins êtes-vous heureuse ? - Il le faut bien ! » me répondit-elle en fondant en larmes.

LA COMTESSE : Vous blasphémez l'amour ! J'accorde que la plupart de ceux qu'on aime ne valent pas mieux que la plupart de ceux qu'on épouse. Mais il est des exceptions, j'en suis sûre ! Oui, il est des hommes bons et tendres, respectueux et ardents, capables d'aimer fidèlement, éperdument, éternellement, et de faire oublier à celle qui leur a mal résisté, le remords de sa chute, à force de délicates ivresses et d'adoration fervente.

LE BARON : Vous croyez qu'il en existe beaucoup, de ces romanesques héros ?

LA COMTESSE : Je crois qu'il en existe au moins... un !

LE BARON : Eh ! qui donc est-ce, madame ?

LA COMTESSE : - Oh ! baron, me contraindrez-vous à le dire ?

LE BARON : Comtesse ! comtesse ! Ah ! Félicienne ! vous me rendez fou de joie. Je tombe à vos genoux, j'implore mon pardon. Oui, oui, c'est vrai, j'ai blasphémé l'amour, j'ai mérité tous les châtiments en niant le seul bonheur possible ici-bas ! Mais comment aurais-je pu espérer que, par une adorable miséricorde, vous daigneriez abaisser jusqu'à moi...

LA COMTESSE (à part) : Il ne s'imagine pas, au moins, que j'ai été sa dupe, et que je ne voyais point, depuis une heure, où il voulait me conduire avec son impertinente morale ?

LE BARON (à part) : Pense-t-elle que j'ai cru un seul instant au caprice du comte pour la grosse Constance, et que je ne voyais pas, depuis une heure, où elle en voulait venir ?


LA TUEUSE D'ÉCHO

C'était dans le sous-sol d'une de ces sales brasseries où la police tolère que l'on boive encore après que tous les cafés et tous les débits de vin sont fermés. A des tables de bois, sous la poussière jaune du gaz, s'accoudaient les lassitudes saoules des rôdeuses nocturnes qui avaient fini leur besogne et de quelques hommes qui les avaient attendues tout le soir ; elles, fardées, eux, très blêmes et rasés de près comme des cabotins.

Comme nous allions sortir, écoeurés de notre curiosité satisfaite :

- Regarde, me dit mon compagnon.

Il me désignait, seule, assise au fond de la salle, une femme très grande, très grasse, dont les cheveux roux en touffes bouffaient hors d'une toque à plume. Plus lasse que vieille, et la gorge tombant dans la soie lâche du corsage, elle avait dû être belle, elle l'était encore par la blancheur laiteuse de sa peau, par ses larges yeux noirs, profonds, fixes, où l'hébétude s'animait quelquefois d'un reste de pensée. Une fille, certainement, comme ses voisines ; on voyait de la crotte de trottoir au bas de son jupon, à la semelle de ses bottines ; mais, énorme, et pesamment assise avec l'air d'une colossale idole, elle semblait, cette créature, le type exagéré, la personnification presque grandiose de toute une espèce.

Etonnés, nous approchâmes.

D'une voix enrouée, très forte, qui domina tout le chuchotement des conversations à voix basse, elle nous demanda de lui payer à boire. Elle se fit servir quatre verres de genièvre qu'elle versa dans une chope où restait de la bière, et vida la chope d'un seul trait. Puis elle se mit à chanter le refrain d'une chanson de café-concert. Ce fut un râle rauque, gras, avec des traînements faubouriens, un geignement étranglé d'ivrogne. « A la bonne heure ! » dit-elle en éclatant de rire. Puis familière, elle nous parla.

*
* *

« Il n'y en a pas une pour boire autant que moi. Une bouteille d'eau-de-vie, après douze bocks, ne me fait pas peur, et je ne me grise jamais. Je connais des femmes qu'on ramasse tous les soirs, ivres, au coin des rues ; moi, je marche plus droit quand je sors de chez le marchand de poivre ; la boisson, ça me leste. Mais il ne faut pas croire que je boive pour mon plaisir. Ah ! bien, oui. Je n'aime pas la bière, ni l'absinthe, ni le rogomme ; il y a des moments où je donnerais je ne sais quoi pour avaler un verre d'eau pure, bien claire, qui me caresserait la gorge et me mettrait de la fraîcheur dans l'estomac. Et, si je bois, ce n'est pas non plus pour être amusante ! Je fais mon métier tout juste. Je donne ce qu'on m'achète, pas autre chose. Est-ce que je suis obligée d'être de bonne humeur, d'avoir des mots drôles, de faire rire les gens par dessus le marché ? Il ne manquerait plus que ça. Ils croient peut-être qu'ils m'amusent, eux ? Non, si j'ai pris l'habitude de m'en fourrer jusque-là, de l'alcool à trois sous le verre, c'est pour une autre raison, et ça ne regarde personne. »

Elle parlait bas, maintenant, comme pleine d'une pensée triste, et, détournée à demi, elle prit sa tête entre ses larges mains grasses, la fit pencher à droite, la fit pencher à gauche, berçant son front comme on berce un enfant malade.

Puis, bien que nous ne l'eussions pas interrogée, elle continua sans nous regarder.

*
* *

« Oui, pour une autre raison. Si vous voulez la savoir, je veux bien vous la dire. Il faut que je vous explique une chose : ce n'est pas gai tous les jours, ni toutes les nuits, la vie que je mène. Patauger dans la boue de neuf heures du soir à deux heures du matin, parler aux gens qui rentrent chez eux, être rudoyée de coups de coude quand les passants sont de mauvaise humeur, retirer son corset dans une chambre d'hôtel garni où il n'y a pas toujours de feu, redescendre l'escalier, recommencer la promenade sous la pluie, ce sont des amusements dont je me passerais bien. Dans les commencements, surtout, c'était dur. Au moment d'aller sur le boulevard, j'avais des envies de sortir par la fenêtre. Mais quoi ? que voulez-vous ? il fallait manger, n'est-ce pas ? et je vous demande un peu si j'aurais trouvé du travail ailleurs que dans l'atelier des quatre vents ? Quand on est tombée où je suis, plus moyen de s'en tirer ; c'est un glu qui tient ferme, la crotte du ruisseau. Enfin, peu à peu, je me suis habituée. Tous les métiers ont quelque chose de désagréable. A présent, je me suis faite a mien. Si on me mettait dans mes meubles, si je n'étais plus obligée de descendre dans la rue, je ne saurais peut-être pas à quoi passer le temps ; ça me manquerait de ne pas être mouillée par la pluie, salie par la boue, battue par le vent, bousculée par les hommes. Bref, je vous dis que j'ai pris mon parti, et puisque c'est comme ça, tant pis, voilà, c'est comme ça. Ah ! seulement, il y a une chose à laquelle je n'ai jamais pu m'habituer. Pour que les gens fassent attention à vous le soir, il faut leur parler, n'est-ce pas ? Eh ! bien, chaque fois que je parle à quelqu'un en le tirant par le bras, - les mots que nous disons, vous les savez bien, - je ne puis m'empêcher, c'est plus fort que moi, d'avoir le coeur serré, affreusement, comme si j'allais mourir, et j'ai toutes les peines du monde à ne pas pleurer toutes les larmes de mon corps. Ce n'est pas à cause des paroles que je dis, oh ! non, ni à cause de la honte de faire ce que je fais, - je ne suis pas si bête, bien sûr ! - mais c'est à cause de ma voix, que j'entends. Quand je me suis bien reposée, quand j'ai dormi toute la journée, ma voix n'est pas rauque et grasse ; je l'entends très douce au contraire, très pure comme elle était autrefois, du temps que j'étais gamine, chez nous, à la campagne. Elle me tue, cette voix-là ! je la reconnais, elle me rappelle les choses qu'elle disait. Je me souviens de la maison du père et de la mère, et des petites soeurs, qui ne sont pas venues à Paris, elles, qui se sont mariées au pays ; elle me fait pensez aussi aux rendez-vous que j'avais derrière la haie avec le fils du forgeron, un beau gars qui m'embrassait à plein bras, me baisait bruyamment la bouche, - vous savez, nous, on ne nous baise pas sur les lèvres, - et qui m'aimait, pour sûr, et que j'aimais aussi. Ça me rend folle de demander : « Vous ne montez pas chez moi, beau blond ? » avec la voix qui disait à ma mère : « Bonjour, maman », avec la voix qui disait à mon amoureux que je ne le quitterais jamais. J'essaye de parler bas, pour ne pas m'entendre, ou de rire aux éclats, tout en parlant. Ça ne sert à rien. Je la reconnais toujours, la voix d'autrefois, et je me cache la tête entre les mains, et je ne prononce plus un mot, et je m'en vais avec la peur d'être suivie, d'être obligée de répondre à l'homme qui me suivrait.

*
* *

Dans un sanglot, ses grands yeux pleins de larmes, la triste fille se tut. Autour de nous, on ne prenait point garde à ce désespoir ; sans doute, on pensait qu'elle était ivre.

Elle ajouta lentement :

- Voilà pourquoi je bois autant que je puis. L'absinthe enroue, le genièvre aussi. Après avoir bu, je n'ai plus le son de parole que j'avais dans le temps. Et, à force d'avaler tout ce qui sèche et brûle la gorge, j'espère bien arriver à ne jamais plus entendre, quand je tire le bras aux hommes de la rue, la voie douce dont j'appelais maman et dont je disais que je l'aimais à mon premier amoureux. »



Static Wikipedia 2008 (no images)

aa - ab - af - ak - als - am - an - ang - ar - arc - as - ast - av - ay - az - ba - bar - bat_smg - bcl - be - be_x_old - bg - bh - bi - bm - bn - bo - bpy - br - bs - bug - bxr - ca - cbk_zam - cdo - ce - ceb - ch - cho - chr - chy - co - cr - crh - cs - csb - cu - cv - cy - da - de - diq - dsb - dv - dz - ee - el - eml - en - eo - es - et - eu - ext - fa - ff - fi - fiu_vro - fj - fo - fr - frp - fur - fy - ga - gan - gd - gl - glk - gn - got - gu - gv - ha - hak - haw - he - hi - hif - ho - hr - hsb - ht - hu - hy - hz - ia - id - ie - ig - ii - ik - ilo - io - is - it - iu - ja - jbo - jv - ka - kaa - kab - kg - ki - kj - kk - kl - km - kn - ko - kr - ks - ksh - ku - kv - kw - ky - la - lad - lb - lbe - lg - li - lij - lmo - ln - lo - lt - lv - map_bms - mdf - mg - mh - mi - mk - ml - mn - mo - mr - mt - mus - my - myv - mzn - na - nah - nap - nds - nds_nl - ne - new - ng - nl - nn - no - nov - nrm - nv - ny - oc - om - or - os - pa - pag - pam - pap - pdc - pi - pih - pl - pms - ps - pt - qu - quality - rm - rmy - rn - ro - roa_rup - roa_tara - ru - rw - sa - sah - sc - scn - sco - sd - se - sg - sh - si - simple - sk - sl - sm - sn - so - sr - srn - ss - st - stq - su - sv - sw - szl - ta - te - tet - tg - th - ti - tk - tl - tlh - tn - to - tpi - tr - ts - tt - tum - tw - ty - udm - ug - uk - ur - uz - ve - vec - vi - vls - vo - wa - war - wo - wuu - xal - xh - yi - yo - za - zea - zh - zh_classical - zh_min_nan - zh_yue - zu -

Static Wikipedia 2007 (no images)

aa - ab - af - ak - als - am - an - ang - ar - arc - as - ast - av - ay - az - ba - bar - bat_smg - bcl - be - be_x_old - bg - bh - bi - bm - bn - bo - bpy - br - bs - bug - bxr - ca - cbk_zam - cdo - ce - ceb - ch - cho - chr - chy - co - cr - crh - cs - csb - cu - cv - cy - da - de - diq - dsb - dv - dz - ee - el - eml - en - eo - es - et - eu - ext - fa - ff - fi - fiu_vro - fj - fo - fr - frp - fur - fy - ga - gan - gd - gl - glk - gn - got - gu - gv - ha - hak - haw - he - hi - hif - ho - hr - hsb - ht - hu - hy - hz - ia - id - ie - ig - ii - ik - ilo - io - is - it - iu - ja - jbo - jv - ka - kaa - kab - kg - ki - kj - kk - kl - km - kn - ko - kr - ks - ksh - ku - kv - kw - ky - la - lad - lb - lbe - lg - li - lij - lmo - ln - lo - lt - lv - map_bms - mdf - mg - mh - mi - mk - ml - mn - mo - mr - mt - mus - my - myv - mzn - na - nah - nap - nds - nds_nl - ne - new - ng - nl - nn - no - nov - nrm - nv - ny - oc - om - or - os - pa - pag - pam - pap - pdc - pi - pih - pl - pms - ps - pt - qu - quality - rm - rmy - rn - ro - roa_rup - roa_tara - ru - rw - sa - sah - sc - scn - sco - sd - se - sg - sh - si - simple - sk - sl - sm - sn - so - sr - srn - ss - st - stq - su - sv - sw - szl - ta - te - tet - tg - th - ti - tk - tl - tlh - tn - to - tpi - tr - ts - tt - tum - tw - ty - udm - ug - uk - ur - uz - ve - vec - vi - vls - vo - wa - war - wo - wuu - xal - xh - yi - yo - za - zea - zh - zh_classical - zh_min_nan - zh_yue - zu -

Static Wikipedia 2006 (no images)

aa - ab - af - ak - als - am - an - ang - ar - arc - as - ast - av - ay - az - ba - bar - bat_smg - bcl - be - be_x_old - bg - bh - bi - bm - bn - bo - bpy - br - bs - bug - bxr - ca - cbk_zam - cdo - ce - ceb - ch - cho - chr - chy - co - cr - crh - cs - csb - cu - cv - cy - da - de - diq - dsb - dv - dz - ee - el - eml - eo - es - et - eu - ext - fa - ff - fi - fiu_vro - fj - fo - fr - frp - fur - fy - ga - gan - gd - gl - glk - gn - got - gu - gv - ha - hak - haw - he - hi - hif - ho - hr - hsb - ht - hu - hy - hz - ia - id - ie - ig - ii - ik - ilo - io - is - it - iu - ja - jbo - jv - ka - kaa - kab - kg - ki - kj - kk - kl - km - kn - ko - kr - ks - ksh - ku - kv - kw - ky - la - lad - lb - lbe - lg - li - lij - lmo - ln - lo - lt - lv - map_bms - mdf - mg - mh - mi - mk - ml - mn - mo - mr - mt - mus - my - myv - mzn - na - nah - nap - nds - nds_nl - ne - new - ng - nl - nn - no - nov - nrm - nv - ny - oc - om - or - os - pa - pag - pam - pap - pdc - pi - pih - pl - pms - ps - pt - qu - quality - rm - rmy - rn - ro - roa_rup - roa_tara - ru - rw - sa - sah - sc - scn - sco - sd - se - sg - sh - si - simple - sk - sl - sm - sn - so - sr - srn - ss - st - stq - su - sv - sw - szl - ta - te - tet - tg - th - ti - tk - tl - tlh - tn - to - tpi - tr - ts - tt - tum - tw - ty - udm - ug - uk - ur - uz - ve - vec - vi - vls - vo - wa - war - wo - wuu - xal - xh - yi - yo - za - zea - zh - zh_classical - zh_min_nan - zh_yue - zu -

Sub-domains

CDRoms - Magnatune - Librivox - Liber Liber - Encyclopaedia Britannica - Project Gutenberg - Wikipedia 2008 - Wikipedia 2007 - Wikipedia 2006 -

Other Domains

https://www.classicistranieri.it - https://www.ebooksgratis.com - https://www.gutenbergaustralia.com - https://www.englishwikipedia.com - https://www.wikipediazim.com - https://www.wikisourcezim.com - https://www.projectgutenberg.net - https://www.projectgutenberg.es - https://www.radioascolto.com - https://www.debitoformativo.it - https://www.wikipediaforschools.org - https://www.projectgutenbergzim.com