VILLANELLE Quand viendra la saison nouvelle, Quand auront disparu les froids, Tous les deux nous irons, ma belle, Pour cueillir le muguet aux bois ; Sous nos pieds égrenant les perles, Que l'on voit au matin trembler, Nous irons écouter les merles Nous irons écouter les merles siffler. Le printemps est, venu ma belle, C'est le mois des amants béni, Et l'oiseau, satinant son aile, Dit des vers au rebord du nid. Oh! viens, donc, sur ce banc de mousse Pour parler de nos beaux amours, Et dis-moi de ta voix si douce, Et dis-moi de ta voix si douce : "Toujours". loin, bien loin, égarant nos courses, Faisant fuir le lapin caché, Et le daim au miroir des sources Admirant son grand bois penché ; Puis chez nous, tout heureux, tout aises, En panier enlaçant nos doigts, Revenons rapportant des fraises Revenons rapportant des fraises des bois. |
LE SPECTRE DE LA ROSE Soulève la paupière close Qu'effleure un songe virginal, Je suis le spectre d'une rose Que tu portais hier au bal. Tu me pris encore emperlée Des pleurs d'argent de l'arrosoir, Et parmi la fête étoilée Tu me promenas tout le soir. O toi, qui de ma mort fut cause, Sans que tu puisses le chasser, Toutes lesnuits mon spectre rose A ton chevet viendra danser. Mais ne crains rien , je ne réclame Ni messe ni De Profundis ; Ce léger parfum est mon âme, Et j'arrive du Paradis. Mon destin fut digne d'envie, Et pour avoir un sort si beau Plus d'un aurait donné sa vie, Car sur ton sein j'ai mon tombeau, Et sur l'albâtre où je repose Un poète avec un baiser Ecrivit : Ci-gît une rose Que tous les rois vont jalouser. |
SUR LES LAGUNES (Lamento) Ma belle amie est morte : Je pleurerai toujours ; Sous la tombe elle emporte Mon âme et mes amours. Dans le ciel, sans m'attendre, Elle s'en retourna ; L'ange qui l'emmena Ne voulut pas me prendre. Que mon sort est amer ! Ah ! sans amour, s'en aller sur la mer ! La blanche créature Est couchée au cercueil ; Comme dans la nature Tout me paraît en deuil ! La colombe oubliée Pleure et songe à l'absent, Mon âme pleure et sent Qu'elle est dépareillée. Que mon sort est amer ! Ah ! sans amour, s'en aller sur la mer ! Sur moi la nuit immense S'étend comme un linceul ; Je chante ma romance Que le ciel entend seul. |
ABSENCE Reviens, reviens ma bien-aimée ! Comme une fleur loin du soleil ; La fleur de ma vie est fermée, Loin de ton sourire vermeil. Entre nos coeurs quelle distance ; Tant d'espace entre nos baisers. O sort amer ! O dure absence ! O grands désirs inapaisées ! Reviens, reviens ma bien-aimée !... etc. D'ici là-bas, que de campagnes, Que de villes et de hameaux, Que de vallons et de montagnes, A lasser le pied des chevaux ! Reviens, reviens ma bien-aimée !... etc. |
AU CIMETIERE (Clair de Lune) Connaissez-vous la blanche tombe, Où flotte avec un son plaintif L'ombre d'un if ? Sur l'if, une pâle colombe, Triste et seule, au soleil couchant, Chante son chant. Un air maladivement tendre, A la fois charmant et fatal, Qui vous fait mal, Et qu'on voudrait toujours entendre, Un air, comme en soupire aux cieux L'ange amoureux. On dirait que l'âme éveillée Pleure sous terre à l'unisson de la chanson, Et du malheur d'être oubliée, Se plaint dans un roucoulement Bien doucement. Sur les ailes de la musique On sent lentement revenir Un souvenir ; Une ombre, une forme angélique Passe dans un rayon tremblant, En voile blanc. Les belles de nuit, demi-closes, Jettent leur parfum faible et doux Autour de vous, Et le fantôme aux molles poses Murmure en vous tendant les bras : "Tu reviendras !" Oh ! jamais plus, près de la tombe, Je n'irai, quand descend le soir Au manteau noir, Ecouter la pâle colombe Chanter, sur la pointe de l'if, Son chant plaintif. |
L'ILE INCONNUE Dites, la jeune belle ! Où voulez-vous aller ? La voile enfle son aile, La brise va souffler ! L'aviron est d'ivoire, Le pavillon de moire, Le gouvernail d'or fin ; J'ai pour lest une orange, Pour voile une aile d'ange ; Pour mousse un séraphin. Dites, la jeune belle, etc... Est-ce dans la Baltique ? Dans la mer Pacifique, Dans l'île de Java ? Ou bien est-ce en norvège Cueillir la fleur de neige, Ou la fleur d'Angoska ? Dites, dites, la jeune belle, Dites, où voulez-vous aller ? Menez-moi, dit la belle, A la rive fidèle Où l'on aime toujours. Cette rive, ma chère, On la connait guerre Au pays de l'amour. Où voulez-vous aller ? La brise va souffler. |