PORTO-RICHE, Georges
de (1849-1930) :
Nuée de
babys, nuée de pierrots,
(1884).
Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (30.VII.2005) Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (coll.part.) des Histoires débraillées par l’auteur de Pommes d’Eve illustrées par de joyeux artistes publiées à Paris par Ed. Monnier en 1884. Nuée
de babys, nuée de pierrots
par
Georges de Porto-Riche
~~~~Février !
Et pourtant au travers du nuage noir soudain a filtré un rayon d'or. C'est un beau jour d'hiver, au ciel tout resplendissant de clarté. Dans les Tuileries, les vieux arbres découpent majestueusement, sur l'horizon luminueux, leurs silhouettes violettes et nues, les eaux des bassins s'irisent, sous le soleil, comme des cristaux précieux, et la pluie des gerbes jaillissantes retombe en diamants. Les statues semblent ciselées dans l'ivoire, le sable est de vermeil et les gazons d'émeraudes. Dans l'air vif courent de nombreux enfants, volent d'innombrables oiseaux. Nuée de babys ! Nuée de pierrots ! Sur un banc de pierre, que défend, glaive au vent, un Romain vêtu de son casque, vient aussi de s'asseoir, un vieillard à barbe blanche. Tout aussitôt, des quatre coins du ciel, les pierrots, charmés, volent à lui. Il leur jette quelques miettes de gâteau, et les voilà qui perchent sur l'homme becquetant ses lèvres. A côté, une fille, belle après la faute, la robe ouverte, la poitrine à l'air, offre son sein blanc à un baby rose. Sous son bonnet de nourrice, aux longs rubans ponceau, ses cheveux semblent d'encre, son front de papier, ses yeux de turquoises, ses lèvres de cire rouge. C'est à elle que Dumanet conte fleurette. Maintenant voici les pierrots qui s'abattent sur le panier de la marchande de plaisirs, et ils s'étendent bientôt tout à l'entour, chipant quelques bribes au goûter des marmots. Parmi ces enfants, les uns jouent à colin-maillard, aux quatre coins, aux billes, au cheval ; les autres fouaillent des toupies, sautent à la corde, dansent, jouent à la dame. - C'est votre mari, madame ? - Non, madame, je suis comme petite mère, je n'ai que des amants. - Ah ! et vous avez des enfants ? - Non, parce que petite mère l'a dit : ça déforme. Ils font et elles font des mines, tous ces pantins, toutes ces poupées, que c'est plaisir de les voir. J'en connais de vingt mois qui se savent comtes ou marquises. L'autre jour, un bourgeon de général, de quatre ou cinq ans, voulait la croix d'honneur « pour être comme papa, na ! » Il est vrai que, là aussi, j'ai vu, à certaine heure, appelant vainement sa gouvernante retenue en galant entretien, un prince du sang qui attendait, sous l'orme, sa culotte à la main. ................................................................................................
Puis, les moineaux en bande,
après avoir picoré à bec que veux-tu les tartines
de confiture, s'abattent sur les bords des bassins pour s'y
désaltérer.
Enfin, un couple s'avance. Une femme toute jeune, toute jolie, ayant encore sur son visage comme un dernier reflet de virginité. C'est une épousée de la veille, charmante dans sa toilette neuve. Elle lui donne le bras, à lui, beau, jeune et tendre. Ils marchent droit devant eux, confiants dans l'espace comme dans l'avenir. Des enfants causent et rient sur leurs pas. Alors, il lui dit, dans un sourire calin : « Quand ce seront les nôtres. » Sans répondre, elle rougit et lui presse la main. C'est oui. Déjà, voici le soir. Là-bas, à l'Occident, au revers de la lumière et dans le jour qui baisse, la masse sombre et gigantesque de l'Arc-de-Triomphe fait alcôve au soleil qui se couche derrière une immense draperie grenat éclatant. Alors l'air, qui refroidit, pique aux joues et aux mains les babys qui grelottent, tandis que les pierrots se blotissent, la tête sous l'aile dans le dernier tas de feuilles sèches. Bientôt il gèlera et demain quand le jet d'eau ne sera plus que glace, on trouvera au milieu des banquises du bassin des Tuileries, un navire de trois francs lâchement abandonné par son petit capitaine. C'est l'heure, il faut partir. Une pension entière de fillettes gentilles, reforme le bataillon au premier commandement, pour défiler silencieuses et uniformes à travers Paris bruyant et multicolore. Cinquante petites capotes de peluche blanche sur cinquante petites têtes blondes. A la grille, nourrices et marmots montent dans les coupés qui attendent, hèlent les voitures, les omnibus. Durant ce temps, les oiseaux s'envolent. Dans quelques heures enfin, sous la lune, les pierrots nicheront dans les corniches profondes de l'Orangerie, tandis qu'à la lueur de riches veilleuses en porcelaine de Sèvres, les babys dormiront sur des coussins de dentelles et sous des rideaux de guipure, dans « la petite chapelle blanche ». |