BALZAC, Honoré de (1799-1850)
: Physiologie
du cigare
(1831).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (18.VIII.2015) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière de l'ouvrage Les Parisiens comme ils sont : 1830-1846 dans l'édition donnée par André Billy à Genève chez La Palatine en 1947. Physiologie du cigare (La Caricature, 10 novembre 1831) par Honoré de Balzac _____
Les Parisiennes n'ont que deux antipathies : les crapauds et la fumée de tabac. Je renoncerais à la plus belle maîtresse plutôt qu'à mon cigare ! UN FUMEUR. Fumer, c'est voyager dans son fauteuil. LAUTOUR-MÉZERAY. SEMBLABLE à une jolie femme, le Cigare a aussi ses adorateurs, ses favoris, ses victimes et ses détracteurs. Il séduit d'abord, enivre ensuite, et parfois entraîne à des excès nuisibles ceux qui s'y livrent. On voit le Cigare, et l'on désire en essayer ; on hésite, mais on en goûte ; on y retourne, et l'on s'y habitue. Bientôt après commence le chapitre des inconvénients. Chaque jour, ils se renouvellent, et l'on s'en aperçoit. Toujours ils augmentent, et l'on songe à s'en débarrasser. Mais alors, il n'est plus temps : l'usage du cigare, caprice passager, devenu une habitude, est une nécessité, et, comme une maîtresse absolue, il tyrannise quand il a cessé de charmer, jusqu'à ce qu'enfin il soit sacrifié à un commencement de passion plus violente que celle qui s'éteint. Le Cigare est une source de jouissances toutes personnelles et internes. Comme les liqueurs, le tabac en poudre, l'opium, il ne procure d'agrément qu'à celui qui en use, et éloigne les autres. C'est ce qui fait que les fumeurs ont tant de peine à y renoncer, et sont continuellement en butte aux reproches de ceux qui ont un goût différent, parce qu'un des principes de notre belle nature, c'est d'être intolérant pour les travers d'autrui. Le fait est que, dans les pays où fumer n'est point coutume générale, pour une personne qui fait usage du Cigare, on en trouvera cent qui en redoutent l'odeur. Aussi, par égard pour cette considération, doit-on fumer chez soi ou dans les lieux consacrés ad hoc, et non point en promenades publiques, où, pour satisfaire un besoin égoïste, on incommode un grand nombre d'individus, surtout les femmes, qui préfèrent assez généralement l'odeur du musc à celle du tabac. Dans tout ce que fait un animal raisonnable, il existe un motif qui le guide, et l'homme doit toujours faire en sorte que ce motif soit bon. Comme on ne vient pas au monde avec un Cigare à la bouche, et qu'il n'y a pas d'article de la Charte qui contraigne à l'y mettre, on n'est point, après tout, absolument obligé de l'adopter ici-bas, où, comme chacun sait, l'on peut fumer sans pipe. Ainsi donc, avant de se décider à prendre le titre de fumeur, il faut au moins avoir quelque raison qui y engage fortement. Plusieurs individus emploient le Cigare comme un remède, soit pour adoucir les maux de dents, soit pour soulager leur canal respirateur. Que ceux-là fument, c'est très-bien ; qu'ils guérissent même, si c'est possible, et ce sera mieux encore. Mais, comme tous les animaux ne sont pas également raisonnables, il en est bon nombre qui, sans motif aucun, s'implantent un Cigare dans la bouche, et qui, non contents d'en humer la fumée, de l'avaler même à s'en rendre malades, s'en vont jeter le peu qu'ils ne confisquent pas au détriment de leur santé à travers la physionomie de gens que cela n'amuse nullement. Chez les uns, c'est désoeuvrement ; et, pour ceux-là, humer, entretenir et surtout voir tourbillonner la fumée d'un cigare, c'est tout à la fois un sujet d'occupation, d'amusement et d'admiration. Heureuses organisations ! Chez d'autres, comme chez les adolescents, par exemple, c'est un ton prématuré, un moyen de se donner l'air homme. Pour ces derniers, ils feront bien de renoncer à cette habitude, parce qu'elle est d'un pauvre genre là où elle n'est pas d'usage ; et puis, mieux vaut qu'ils fassent l'application de leurs dispositions viriles sur des choses plus utiles, et surtout moins nuisibles à leurs poumons. Il est une circonstance, la seule où je fume, où l'emploi rare et modéré du cigare trouve un motif plausible, en ce qu'il procure une jouissance véritable, mais seulement à ceux qui ne sont point fumeurs de profession. C'est dans ces moments d'abattement moral où l'esprit, engourdi, refuse toute activité à l'imagination et jette l'âme dans la mélancolie. Alors, il suffit de fumer un Cigare pendant quelques instants, d'en avaler quelques gorgées, et aussitôt, comme par enchantement, la tête se débrouille, l'esprit s'éclaircit, une émotion tumultueuse vient remplacer l'insouciance des sens, et un pouvoir inconnu ranime toutes les facultés auparavant assoupies. C'est-à-dire que la fumée, qui produit le même effet que les vapeurs du vin, commence à opérer, et c'est le moment de cesser, sous peine de ressentir bientôt les inconvénients de l'ivresse. Pour continuer à éprouver le bienfait de cette espèce de remède, il faut en user rarement, et toujours avec modération ; car, autrement, chaque nouvel essai lui faisant perdre un degré de son intensité, il finirait par dégénérer en habitude, et par ne plus produire les mêmes résultats. Il est certains pays, principalement ceux à température brûlante, où fumer est une fonction dont chacun s'acquitte comme de boire et de manger, et il n'est même pas rare de voir quelques femmes du peuple le cigare à la bouche. Là, tous les lieux publics ou de réunion sont transformés en autant de tabagies. Au théâtre, dès que le rideau est tombé, chacun fait sa cigarette, toutes les loges brillent du feu de mille étincelles lancées par les briquets, les cigares sont allumés, et, pendant l'entr'acte, la salle est remplie de fumée. Elle n'incommode nullement les habitants, qui naissent, vivent et meurent au milieu de cette vapeur nécessaire à la purification d'un air malsain. Mais elle est désagréable pour les étrangers qui n'en ont pas l'habitude. Jamais je ne fus plus étonné de l'emploi que je vis faire du Cigare qu'à Mexico, lors du voyage que j'y fis. Invité à une soirée, chez l'Alcade, où devait se trouver toute la noblesse de la ville, je m'y rends pour observer les moeurs de la haute société. Arrivé dans les anti-chambres, je sens une odeur de tabac qui me surprend ; étonné qu'on permette aux valets un passe-temps si incommode pour les maîtres, je parviens vite dans la salle du bal... Elle était remplie de fumée, et ce n'était qu'à travers un léger nuage formé par cette vapeur qu'on pouvait distinguer les objets. J'y fus témoin d'une valse très-vive et très-animée, pendant laquelle les danseurs fumaient, changeant alternativement leur Cigare de main avec autant de grâce que d'agilité, pour enlacer la taille de leurs danseuses, et celles-ci, emportées par l'ardeur de la danse, enivrées par l'odeur du tabac et le bruit des instruments, s'abandonnaient avec complaisance, et semblaient savourer avec volupté les épaisses bouffées que lançaient leurs cavaliers. Proposez donc une valse à la cigarette aux coquettes de France et d'Angleterre. — Ah ! fi donc ! quelle horreur ! vous répondent-elles.
Autres pays, autres moeurs. |