BALZAC, Honoré de (1799-1850)
: Physiologie
de la toilette
(1830).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (19.VIII.2015) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière de l'ouvrage Les Parisiens comme ils sont : 1830-1846 dans l'édition donnée par André Billy à Genève chez La Palatine en 1947. Physiologie de la toilette (La Silhouette, 3 juin, 8 & 15 juillet 1830) par Honoré de Balzac _____ DE LA CRAVATE, CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME ET DANS SES RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ ET LES INDIVIDUS Une cravate bien mise répand comme un parfum exquis dans toute la toilette ; elle est à la toilette ce que la truffe est à un dîner. LA Révolution fut pour la toilette, comme pour l'ordre civil et politique, un temps de crise et d'anarchie ; elle amena pour la cravate en particulier un de ces changements organiques qui viennent, à des siècles d'intervalles, renouveler la face des choses. Sous l'ancien régime, chaque classe de la société avait son costume ; on reconnaissait à l'habit le seigneur, le bourgeois, l'artisan. Alors, la cravate (si l'on peut donner ce nom au col de mousseline et au morceau de dentelle dont nos pères enveloppaient leurs cous) n'était rien qu'un vêtement nécessaire, d'étoffe plus ou moins riche, mais sans considération, comme sans importance personnelle. Enfin les Français devinrent tous égaux dans leurs droits, et aussi dans leur toilette, et la différence dans l'étoffe ou la coupe des habits ne distingua plus les conditions. Comment alors se reconnaître au milieu de cette uniformité ? Par quel signe extérieur distinguer le rang de chaque individu ? Dès lors était réservée à la cravate une destinée nouvelle : de ce jour, elle est née à la vie publique, elle a acquis une importance sociale ; car elle fut appelée à rétablir les nuances entièrement effacées dans la toilette, elle devint le critérium auquel on reconnaîtrait l'homme comme il faut et l'homme sans éducation. En effet, de toutes les parties de la toilette, la cravate est la seule qui appartienne à l'homme, la seule où se trouve l'individualité. De votre chapeau, de votre habit, de vos bottes, tout le mérite revient au chapelier, au tailleur, au bottier, qui vous les ont livrés dans tout leur éclat ; vous n'y avez rien mis du vôtre. Mais, pour la cravate, vous n'avez ni aide ni appui ; vous êtes abandonné à vous-même ; c'est en vous qu'il faut trouver toutes vos ressources. La blanchisseuse vous livre un morceau de batiste empesé ; selon ce que vous savez faire, vous en tirerez parti ; c'est le bloc de marbre entre les mains de Phidias ou d'un tailleur de pierres. Tant vaut l'homme, tant vaut la cravate. Et, à vrai dire, la cravate, c'est l'homme ; c'est par elle que l'homme se révèle et se manifeste. Aussi est-ce une chose reconnue aujourd'hui de tous les esprits qui réfléchissent, que par la cravate on peut juger celui qui la porte et que, pour connaître un homme, il suffit de jeter un coup d'oeil sur cette partie de lui-même qui unit la tête à la poitrine. Ainsi, cette cravate empesée, raide, droite, sans un pli, au noeud plat, carré, symétrique, comme si le compas du géomètre y avait passé, vous annonce un homme exact, sec, égoïste. Cette cravate en mousseline claire, sans empois, onduleuse, avec une rosette bouffante et prétentieuse, c'est un parleur élégant, diffus, fade ; un noticier. Cette cravate en batiste, ni trop élevée, ni trop basse, assez lâche pour laisser au cou et à la tête toute la liberté de leurs mouvements, avec un noeud gracieux, mais naïf et simple, c'est un poète élégiaque. Je m'arrête, pour ne pas déflorer en quelques lignes un sujet digne d'inspirer des volumes, tant il a d'intérêt, d'étendue et d'importance. Considérés sous le rapport de la cravate, les hommes se divisent naturellement en trois grandes catégories. D'abord, pour commencer par celle qui mérite le moins notre attention, se présente cette classe nombreuse d'hommes qui portent la cravate sans la sentir, ni la comprendre, qui chaque matin tournent un morceau d'étoffe autour de leur cou, comme on fait d'une corde ; puis, tout le jour, se promènent, mangent, vaquent à leurs affaires, et, le soir, se couchent et s'endorment, sans scrupule, sans remords, parfaitement satisfaits d'eux-mêmes, comme si leur cravate eût été mise le mieux du monde. Gens sans actualité, continuant le XVIIIe siècle au milieu du XIXe ; anachronismes vivants, trop nombreux, hélas ! à la honte du siècle de lumière, et que nous ne mentionnons ici que pour mémoire ; car, relativement à la cravate, ce sont des êtres négatifs. Au-dessus d'eux immédiatement viennent ceux qui entrevoient ce qu'il y a de bien dans la cravate et ce qu'on en peut faire, mais qui, n'en pouvant tirer aucun parti par eux-mêmes, sont réduits à copier autrui. Esprits étroits, stériles, sans imagination, sans une seule idée à eux, ils étudient chaque jour le noeud qu'ils reproduiront le lendemain. Quelle estime faire de ce servum pecus de la cravate ? Je les comparerai à ces hommes frivoles qui cherchent chaque matin, dans les gazettes, les idées qu'ils auront toute la journée, ou aux mendiants qui vivent des charités d'autrui. Au premier rang, enfin, se placent ces hommes forts et solides par eux-mêmes, qui sentent et comprennent la cravate, qui la comprennent dans ce qu'elle a d'essentiel et d'intime, avec cette énergie d'intelligence, cette puissance de génie, départies à ces mortels privilégiés quos oequus amavit Jupiter. Ceux-là n'ont ni maîtres ni modèles, ils trouvent en eux de grandes, de nobles ressources ; ils n'écoutent qu'eux-mêmes, ils sont véritablement créateurs. Car la cravate ne vit que d'originalité et de naïveté ; l'imitation, l'assujettissement aux règles la décolorent, la glacent, la tuent. Ce n'est ni par étude ni par travail qu'on arrive à bien ; c'est spontanément, c'est d'instinct, d'inspiration que se met la cravate. Une cravate bien mise, c'est un de ces traits de génie qui se sentent, s'admirent, mais ne s'analysent ni ne s'enseignent. Aussi, j'ose le dire avec toute la force de la conviction, la cravate est romantique dans son essence ; du jour où elle subira des règles générales, des principes fixes, elle aura cessé d'exister. Et cependant, il s'est trouvé de par le monde un baron de l'Empesé qui a publié l'Art de mettre sa cravate ! Art et cravate, voilà de ces mots qui hurlent de se voir accouplés. Quelle confusion d'idées, et comme on juge un homme par un pareil trait ! Aussi faut-il le voir, ce baron de l'Empesé, avec son col en pointe, sa cravate droite comme un carton, son noeud sec et plat, les bouts ramassés en avant et attachés avec une épingle ; enfin tout ce qui se peut imaginer de plus rococo. Et son livre ! c'est à faire naître un ris inextinguible. Des divisions, des séparations de genres, des classifications, des prohibitions, toute une législation aristotélique, un véritable Code à la Boileau... Voilà comme on prépare des entraves au génie ; comme on l'emmaillote des langes de la routine ; comme on fournit des arguments et des textes à la médiocrité ; comme on pervertirait le goût public, s'il ne se trouvait des esprits fermes pour braver de ridicules obstacles, pour marcher en avant d'un pas assuré, et maintenir la cravate dans sa liberté native et dans son éclat. Parmi eux, nous citerons un seul exemple, qui est des plus illustres, et qu'il sera toujours honorable de suivre. M. le prince de R..., aujourd'hui archevêque et cardinal, fut longtemps la gloire de la cravate. Vous ne l'eussiez pas vu défaire, essayer, recommencer à plusieurs reprises le noeud d'une même cravate. Il mettait dans cette partie de la toilette une ampleur, un grandiose qu'un petit esprit ne saurait comprendre. Vingt cravates étaient préparées devant lui ; il en prenait une, la mettait à son cou et la nouait d'une main sûre qui ne connaissait pas l'hésitation. Le noeud lui déplaisait-il ? il jetait la première cravate, en prenait une autre. Quelquefois, il en essayait jusqu'à dix, quinze, avant d'être satisfait de son oeuvre ; car la cravate, expression de la pensée comme le style, est souvent rebelle comme lui. Mais, quand il était parvenu à reproduire, dans sa cravate ce type sans pareil qu'il avait dans l'esprit, on admirait, on s'extasiait. Son âme était passée dans le tissu léger, et s'y manifestait tout entière. On y voyait cette aisance, cette liberté d'esprit, sans laquelle il n'est pas d'originalité, et surtout cette chaleur d'âme, ce feu brûlant qui se développa plus tard en zèle religieux, et devint une vocation au cardinalat.
DES HABITS REMBOURRÉS Les meilleurs esprits de nos jours réclament une réforme dans la toilette, mais je ne sache pas que, jusqu'ici, personne ait indiqué l'abus d'où naissent tous les autres, le vice fondamental qu'il faut corriger avant d'espérer aucune amélioration ; je veux dire l'ignorance complète où est le tailleur de l'importance de sa profession. Bien peu, sous ce rapport, s'élèvent au-dessus de l'artisan ; tous, ou peu s'en faut, font un habit, comme d'autres font des chaises et des tables. Et cependant, depuis que l'homme est sorti de l'état sauvage pour vivre en société, de quelle grave fonction se trouve chargé le tailleur ? Qu'on se figure aujourd'hui un homme nu, ses semblables le fuient, la société le repousse, il est condamné à vivre isolé, à retourner à l'état sauvage. Car qui dit homme, dans la civilisation, dit homme habillé ; l'homme sorti nu des mains de la nature est inachevé, pour l'ordre de choses où nous vivons ; c'est le tailleur qui est appelé à le compléter. Nous ne pouvons entrer dans le monde, y accomplir notre destinée qu'à la condition de passer par ses mains ; aussi, à peine sommes-nous jetés dans la vie, qu'il nous saisit, nous suit toujours, nous retient et nous enserre par tous les côtés ; nous ne lui échappons que pour entrer dans notre lit de mort. Et quel tailleur a jamais réfléchi à l'importance de pareilles fonctions ? Quel a jamais songé combien le sort d'un homme était étroitement lié à son habillement ? Voyez-les dans les rues, se rendant chez leurs pratiques, auraient-ils si peu de noblesse et de dignité, s'ils comprenaient que, dans leur foulard, sous leur bras, ils portent un des éléments les plus essentiels d'une destinée d'homme ? Or, s'ils ne sentent point l'importance de leur profession, quelles études, quels soins, quels progrès pouvons-nous espérer d'eux ? quelle perfection attendre jamais de leurs travaux ? Ainsi donc, pour quiconque désire sincèrement la régénération de la toilette, la première chose, c'est de faire sentir aux tailleurs toute la gravité de leurs fonctions ; qu'ils comprennent que, forcés d'avoir sans cesse recours à leur art, nous avons de grands devoirs à exiger d'eux ; qu'appelés par la société à revêtir le corps humain, tous leurs travaux, tous leurs efforts doivent tendre à en faire ressortir la grâce et la beauté. Alors seulement, ils s'élèveront jusqu'aux grands principes qui dominent leur art, ils en étudieront avec ardeur toutes les ressources, ils se feront hommes de conscience ; et bientôt nous verrons disparaître ces vêtements sans goût qui rendent l'homme difforme ou ridicule, et la toilette marchera d'un pas rapide vers la réforme où elle aspire. Peut-être quelque jour traiterons-nous ex-professo de cette réforme ; aujourd'hui, nous n'en toucherons qu'une partie, nous n'attaquerons qu'un seul abus, mais grossier, et dont la persistance est toujours pour nous un grave sujet d'étonnement. Ces habits à collets et à revers rembourrés, drap au dehors, carton en dedans, ne sont-ils pas le produit de la plus étrange aberration d'esprit ? Quel tailleur eût jamais imaginé d'affubler un homme d'un attiral si lourd, si disgracieux, s'il eût eu quelque sentiment du beau ? Que quelqu'un vous conseille de renoncer à tout ce que vous pouvez avoir de grâce et d'aisance, pour prendre un air de raideur et de gêne, vous croirez qu'il a perdu le sens ; car, sans l'aisance et la grâce, que reste-t-il à la beauté ? Eh ! bien, ce que cet homme vous conseillerait, vous le faites de vous-même, vous qui mettez un habit bourré de grosse toile et de laine. Ayez en effet autour du cou un collet aussi épais, aussi compact, aussi dur que le collier d'un cheval ; au-devant de la poitrine, deux sortes d'ouvrages avancés, bombés en hémisphères, fermes, solides, et qui ne sauraient fléchir à moins d'un coup de poing ; puis, avec cela, essayez de donner quelque souplesse à vos bras, quelque grâce à votre corps : vous aurez toujours l'air raide, guindé et lourd comme l'habit qui vous couvre. Pour moi, je suis encore à concevoir comment deux hommes ainsi vêtus peuvent se regarder sans rire. Un habit souple et flexible, au contraire, gracieux par lui-même, ne peut que donner une nouvelle grâce au corps ; il en suit tous les mouvements ; il prend toutes les formes qu'on lui veut donner. Je ne veux point agiter ici 'l'importante et difficile question de savoir si l'habit doit se porter ouvert ou fermé sur la poitrine, ni décider entre le style épanoui et le style boutonné ; quoi qu'il en soit du mérite de ces deux genres, il est incontestable que l'habit sans bourre n'a d'engagement exclusif avec aucun des deux, et qu'il convient, sous tous les points, à l'un et à l'autre. Aimez-vous à avoir la poitrine à découvert ? vous rejetez sur vos épaules vos revers sans bourrures, ils s'y tiendront renversés. Voulez-vous que la chemise et le gilet soient entièrement cachés ? votre habit souple et flexible se boutonne avec aisance, et vous n'aurez point la poitrine flanquée d'une cuirasse piquée et rembourrée comme le plastron d'un maître d'armes. Si le système que je soutiens avait besoin de l'appui de quelque autorité, je pourrais citer l'exemple d'une nation entière, de l'Angleterre, cette terre classique des habits souples et sans bourrures. Peut-être quelques esprits étroits vont-ils m'accuser ici de manquer de nationalité, parce que je vais chercher mes modèles hors de mon pays. Mais je repousse les sots préjugés de haines nationales qui ne nous permettraient pas d'imiter ce qui est bien en quelque lieu qu'il soit. Tous les peuples sont frères, la philosophie l'a proclamé, et, s'ils sont encore séparés par des barrières factices, peut-être la toilette est-elle appelée à renverser ces barrières ; peut-être est-ce par des rapprochements dans le costume que commencera la fusion ; peut-être les peuples se traiteront-ils en frères, quand l'habillement ne les distinguera plus. Le sultan Mahmoud, par un instinct de génie, semble avoir senti cette vérité, lui qui, voulant incorpo rer son peuple à l'Europe, a commencé par le revêtir du frac européen. Au reste, il ne faudrait pas remonter bien haut dans notre histoire pour y trouver l'habit sans bourrures dans son éclat.. Qui ne connaît la souplesse de ce vêtement sous le Directoire et le Consulat ? Alors, les habits étaient aussi éloignés de toute roideur que les mœurs. Comment donc de ce qui était bien avons-nous rétrogradé vers ce qui était mal ? Comment l'habit bourré est-il venu à prévaloir ? J'ai consulté sur ce point un homme érudit en cette matière ; s'il faut l'en croire, cette mode daterait de 1815 : c'est aux poitrines rembourrées des officiers russes de l'armée alliée que nous aurions emprunté nos bourrures ; selon lui, ce serait un des plus funestes effets de l'invasion. Le manque d'originalité, qui fait la honte du caractère français, notre défaut de goût et d'habileté dans l'imitation, rendent cette origine assez peu probable. Toutefois, sans en contester la réalité, je ne veux voir là qu'une cause seconde et accidentelle, et je pense qu'il faut se placer dans un point de vue plus élevé pour découvrir la véritable cause, la raison philosophique. En effet, dans l'état actuel des choses, la bourrure des habits n'est point un fait isolé, sans analogie ; elle me semble avoir sa cause dans un fait général du même genre, dans une certaine roideur qu'on remarque de toute part autour de nous, dans les moeurs, dans les lettres, dans les arts. Cette grosse toile gommée qui sert à rendre si ferme nos revers d'habits, s'appelle en langue technique, du bougran ; c'est le bougran qui donne aux choses simples et aisées en elles-mêmes une roideur artificielle. Eh ! bien, de tous côtés, sous mille noms, sous mille formes différentes, nous retrouvons le bougran. Ce respect des convenances, cette hypocrisie puritaine qui pare les dehors sans améliorer les moeurs, c'est du bougran moral. Cette empreinte politique qui s'applique à tout ce qui nous entoure, qui répand partout un froid ennui..., bougran constitutionnel. Ces esprits consciencieux, solides, judicieux, mais ayant un vocabulaire à eux, parlant un langage scientifique, souvent obscur, prononçant avec morgue et d'un ton tranchant..., bougran philosophique. La tragédie classique avec ses héros tout d'une pièce et ses tirades à effets..., bougran dramatique. Ces écrivains corrects et purs, mais lourds et empesés..., bougran académique. Ces tableaux à personnages si bien taillés, si bien fendus, si bien posés..., bougran de la peinture. La danse noble avec ses poses lourdes, ses mouvements apprêtés, ses ritournelles de pirouettes..., bougran chorégraphique. Mettez un peu de bougran dans les membres de mademoiselle Taglioni, c'en est fait de son divin talent. Je serais entraîné trop loin si je voulais poursuivre cette énumération. J'en ai dit assez pour montrer que les bourrures des habits tiennent à un fait général et périront avec lui. Déjà une guerre lui est universellement déclarée ; de tous côtés le bougran est battu en brèche. En littérature, en peinture, une nouvelle école combat avec ardeur pour la réforme. La régénération de la toilette a aussi de fervents apôtres. Tous les bons esprits ont rejeté les habits rembourrés ; je ne sais si je puis me féliciter d'avoir converti quelques retardataires. Dans tout ce qui tient au sentiment du beau, comment convaincre ? Beaucoup peut-être s'écrieront, après m'avoir lu : « Qu'est-ce que cela prouve ? » A cela je n'ai rien à répondre. Par quels arguments établir que telle chose est pleine de grâce, que telle autre est lourde et pesante ? Je n'ai pu que dire : ouvrez les yeux et regardez. Celui qui n'a point vu, c'est qu'il manque du sixième sens. Je le plains, mais je n'y puis que faire. Heureusement, c'est une loi de l'ordre moral, que les esprits intelligents et éclairés marchent en avant et indiquent la route ; la masse les suit bon gré mal gré, plus ou moins vite ; elle adopte ce qui est bien, et le pratique souvent à son insu, sans le comprendre. Fions-nous donc au temps et à la marche nécessaire des choses pour établir et achever l'édifice des idées nouvelles en toilette. Déjà des mains habiles préparent et assemblent les matériaux ; heureux si je puis dire aussi, moi chétif, que j'ai apporté une pierre toute taillée au seuil du temple ! |