Sans pouvoir préciser d'une manière certaine l'époque de l'invention
des instrumens propres à maîtriser des animaux sauvages, dangereux,
d'autres aussi soumis à la domesticité , nous rappellerons que depuis
plusieurs siècles l'homme fait usage d'un moyen qui force certains
quadrupèdes à lui obéir, et qu'il est quelques uns de ces animaux qu'il
y doit habituer dès leurs premières années pour en continuer ensuite
l'emploi toute leur vie.
« L'ours qui a de l'âge , dit Buffon, ne s'apprivoise, ne se contient
plus, il est naturellement intrépide ou du moins indifférent aux
dangers. » Quelques habitans des contrées où vit cet animal ont, au
risque de leur vie, la témerité de s'introduire dans les cavernes, et,
en l'absence du père et de la mère, d'enlever les jeunes oursons,
qu'ils instruisent ensuite plus ou moins à force de contrainte et de
persévérance, pour s'en servir comme de machines industrielles.
Parmi les moyens qu'ils ont imaginés dans ce but, et employés avec le
plus de succès, se remarque un anneau de fer, tourné en forme d'S
presque fermée, qu'ils passent dans le bout du nez de ces animaux, et
auquel on fixe une chaîne en fer qui sert à les conduire.
Dans certaines localités on a suivi et l'on suit encore cet exemple,
pour empêcher l'un de nos quadrupèdes domestiques les plus gloutons, et
qui ne rend de services réels qu'après sa mort, de nuire aux récoltes
pendant sa vie. On lui met une espèce d'anneau en fer, quelquefois même
un ou deux clous à lame longue et fine, ou un fil de métal qui lui
traverse le bout du nez , de dessous en dessus ; puis on roule ou l'on
fait joindre les deux extrémités, en les tordant avec des tenailles ;
la présence de ce morceau de métal, qui ne peut s'échapper, cause à
l'animal une douleur qui l'empêche de fouiller la terre avec son
boutoir.
Ce moyen un peu perfectionné, est aussi pratiqué sur les Bufles
domestiques, qu'on emploie en Italie pour l'agriculture ; ces animaux,
originaires des contrées les plus chaudes de l'Asie et de l'Afrique,
ont été introduits dans ce royaume vers le septième siècle (1) ; leur
aspect indique une stupidité farouche ; aussi ne les rend-on obéissans
que par des moyens violents, car la domesticité a fort peu influé sur
leur caractère originel. Pour les faire marcher attelés, on se sert
d'un anneau en fer, de la forme d'un 8 de chiffre, que l'on mettait
d'abord à l'une des ailes du nez , mais qu'on passe maintenant à
travers la membrane qui divise les cavités nasales près du mufle, et,
auquel on fixe une corde pour conduire l'animal.
Ces procédés, dont nous venons de voir l'invention remonter bien haut ,
pour soumettre à l'homme certains animaux, ou empêcher certains autres
de nuire aux récoltes ; ce morceau de fer, que nous avons vu façonné de
diverses manions, soit qu'on l'ait primitivement appliqué à des
quadrupèdes domestiques, ou à des animaux sauvages , toujours est-il
que c'est depuis peu d'années seulement, et après avoir éprouvé de
grandes modifications , qu'il a été mis en pratique sur l'un des
animaux indispensables à l'agriculture dans nos contrées.
Des exemples trop nombreux nous prouvent combien la brutalité de
quelques taureaux cause de malheurs. Dernièrement encore (2), un père
de famille, propriétaire à la commune de Bures, près Versailles, a été
tué par un de ces animaux, de la manière la plus terrible. L'animal,
que son maître éloignait d'une meule de grains, à coups de houssine,
lui obéit d'abord sans difficulté ; mais, après s'être un peu éloigné,
il revient sur le malheureux, qui s'en retournait à la maison, le prend
entre les jambes , avec ses cornes, le terrasse, le culbute jusque dans
un fossé, en poussant des beuglemens effrayans, et ne quitte sa victime
qu'après avoir semblé s'assurer qu'elle n'existait plus.
C'est donc au grand avantage de tous ceux qui sont obligés de soigner,
d'approcher ces animaux, que se montre dans toute son évidence un
perfectionnement que nous devons en partie à M. Bella, directeur de
l'établissement agronomique de Grignon , qui consiste dans un anneau en
fer, cannelé dans toute son étendue, rivé par le moyen d'une goupille
et soutenu au-dessus du mufle de l'animal par une têtière en cuir avec
son montant ; non seulement ce procédé les préservera des catastrophes
les plus funestes, mais encore devra leur laisser une entière sécurité.
Le service signalé que ce progrès rend à l'humanité rejaillit encore
sur l'agriculture ; car le taureau, ainsi soumis à la puissance de
l'homme, peut être attelé, sans qu'on doive avoir aucune crainte, soit
seul, soit côté d'un bœuf et même d'une vache, et alors il peut être
employé à la fois à la reproduction de son espèce et aux travaux
agricoles.
Ce moyen, appliqué avec tant de succès, et dont un grand nombre de
propriétaires de plusieurs départemens connaissent déjà l'efficacité,
sera, nous n'en doutons pas, mis en usage par les éleveurs et les
fermiers des pays limitrophes.
Depuis peu même, nous avons appris que cette méthode de maîtriser les
taureaux par l'anneau cannelé s'était introduite dans les Pays-Bas et
dans la Grande Bretagne, ce qui confirme encore l'utilité de ce moyen
nouveau.
L'opération, qui consiste à fixer l'anneau dans le nez du taureau, doit
être faite avec dextérité, après avoir pris les précautions convenables
et assujetti l'animal de la manière suivante :
On passe autour des cornes une corde solide de la grosseur du doigt ou
à peu près, dont un des bouts longe ensuite le côté gauche de la tête
du taureau ; puis, l'introduisant dans sa bouche, on lui fait faire le
tour de la mâchoire inférieure en demi-nœud ; on la fait ensuite tenir
par un aide fort et vigoureux. Une seconde corde semblable, fixée de
même aux cornes, sert à attacher l'animal à un poteau, à un arbre, ou,
ce qui vaut encore mieux, dans un travail, si l'on peut s'en procurer
un. Toutefois il faut avoir soin que la tête soit un peu horizontale,
et le nez porté en avant, afin de faciliter l'opérateur.
Ce dernier, muni d'un trocar à ponction pour les ruminans à grosses
cornes, qui doit être un peu plus fort que le calibre de l'anneau, et
renfermé dans sa gaine en cuivre (ce qui est plus rationnel et plus
commode qu'un emporte-pièce , malgré ce que quelques personnes ont pu
en dire ), l'introduit dans la cavité nasale droite, près du mufle,
sans le toucher, et, soutenant ce dernier avec l'index et le pouce de
la main gauche, la main droite pousse par une forte secousse
l'instrument et sa gaine, qui doivent traverser ensemble d'outre en
outre et d'un seul coup la membrane. Cela fait, on retire le trocar en
laissant la gaine dans la plaie ; alors l'extrémité la plus
petite de l'anneau doit être introduite dans ladite gaine, et, en la
retirant dans le même sens où elle a été introduite , on pousse
l'anneau qui doit la remplacer dans l'ouverture faite à la membrane ;
après qu'il y est entré , on le ferme, puis on y met la goupille, qui
doit être rivée avec soin à l'aide d'un petit marteau et des tricoises.
Enfin, on place la têtière en cuir, qui doit être fixée sur les cornes
au moyen d'une boucle, et le montant qui longe le chanfrein soutient
l'anneau relevé au-dessus du mufle.
Depuis quelque temps, nous avons essayé de remplacer la goupille de
l'anneau par un ressort ; mais l'expérience nous a prouvé que le
premier moyen offre beaucoup plus de sécurité.
Si l'on est obligé d'abattre le taureau pour faire l'opération, ce qui
arrive souvent, il faut avoir soin de placer les entraves de façon à ce
qu'il tombe sur le côté gauche, et de lui faire tenir la tête par deux
aides qui doivent prendre leur point d'appui sur les cornes ; un
troisième aide doit prendre la corde qui passe dans la bouche de
l'animal autour de la mâchoire inférieure, afin de tenir la tête et le
mufle tendus pour faciliter à placer l'anneau. Ici, comme dans tous les
procédés opératoires, se présente dans toute sa justesse cette
réflexion du célèbre Bourgelat. « Un art , dit-il, dans
l'exercice duquel l'esprit doit sans cesse diriger la main ne saura
rait être constamment asservi à des modèles ; mais les principes une
fois établis, c'est à l'homme instruit à les étendre , à les resserrer,
à les combiner, à en imaginer de nouveaux dans le besoin, à se frayer
en un mot des routes qui le rendent supérieur à toutes les difficultés
et à tous les obstacles (3). »
Dans l'intention de mieux nous faire comprendre et afin de parler aux
yeux, nous avons fait lithographier la tête d'un taureau, dessinée par
M. Bella fils, laquelle est garnie d'une têtière en cuir, avec son
montant, qui soutient l'anneau perfectionné dans la position qu'il doit
occuper après l'opération.
Sur la même planche annexée à ce petit mémoire se trouvent ces diverses
pièces séparées les unes des autres, ainsi que les instrumens
nécessaires à l'opération ; tous sont numérotés dans l'ordre suivant :

N° 1. Tête de taureau, garnie d'une têtière avec son montant qui
soutient l'anneau fixé dans le nez.
N° 2. Têtière séparée de la tête de
l'animal.
N° 3. Montant de la têtière.
N° 4. Anneau libre fermé et rivé, soutenu par le montant dont on
aperçoit la boucle et les passans.
N° 5. Pointe du trocar ou
trois-quarts, renfermée dans la gaine
traversant la membrane du nez.
N° 6. Manche du
trois-quarts.
N° 7. Gaine du trocar seule, traversant la membrane, et dans laquelle
est engagée l'une des extrémités de l'anneau.
N° 8. Anneau ouvert, près d'être introduit à travers la membrane du nez.
N° 9. Anneau introduit à travers ladite membrane, fermé et rivé, sans
être soutenu par le montant de la têtière.
N° 10. Goupille qui sert de rivet à l'anneau, afin d'en réunir les deux
extrémités.
N° 11. Marteau
brochoir, qui sert à river la goupille.
N° 12 . Tenaille
tricoise, qui aide à river cette goupille.
Versailles, 1er Mars 1835.
BERGER-PERRIÈRE,
Médecin-Vétérinaire, et Professeur à l'institut agronomique de Grignon.
NOTES :(1) Silvestre, nouveau Cours d'Agriculture.
(2) Mois d'Octobre 1832.
(3) Essai sur les Bandages propres aux quadrupèdes , 1770.