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J.-V. Billoux : Le Garçon de bureau (1840)
BILLIOUX, J.-V. (18..-18..) : Le garçon de bureau (1840).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (05.XII.2009)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 2 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
Le garçon de bureau
par
J.-V. Billioux

~ * ~

ON est destiné par son aptitude ou sa vocation à prendre place dans la société soit comme magistrat, prêtre, soldat, industriel ou artisan : mais je ne sache pas qu’un jeune homme ait jamais été élevé dans la vue d’en faire un employé ou garçon de bureau, deux états sans apprentissage que l’on n’embrasse, d’ordinaire, qu’après avoir manqué ou usé plusieurs carrières, et parce que pour vivre il faut bien qu’on fasse quelque chose. Emparons-nous du garçon de bureau.

Sous l’empire, cette grande époque des longues et glorieuses guerres et des mutilations sans nombre, le type des hommes destinés à cet emploi était bien moins varié qu’aujourd’hui. Napoléon avait voulu qu’on réservât aux soldats qui lui étaient devenus inutiles le privilége de ces places très-subalternes, il est vrai, mais non entachées de domesticité, puisqu’elles comportent uniquement un service rendu à l’état, et payé par l’état. Dans ce temps, disons-nous, les bureaux pouvaient être regardés comme une troisième succursale de l’hôtel des Invalides. Mais depuis que le rétablissement du gouvernement constitutionnel est venu rendre à nos chambres une si grande prépondérance dans le règlement des affaires du pays ; depuis que les ministères ont été mis en coupe réglée, et pour ainsi dire annuelle, depuis enfin qu’une infinité de législateurs ont admis, en principe, que le complément de la confection des lois était l’obtention de toutes les places pour des protégés ou des parents, la cause des vieux soldats s’est amoindrie ; leurs intérêts ont été négligés, et, qu’on me passe la trivialité de l’expression, le troupier a été vaincu par le valet de chambre.

Quoi ! pour des places infimes de garçon de bureau ?... Cela vous étonne, n’est-ce pas ? Eh bien, moi, je vous le déclare, et j’appelle en témoignage tous les hauts barons de l’administration, il est moins difficile d’enlever une sous-préfecture qu’une place de garçon de bureau, et voici pourquoi.

D’abord, répondez-moi, jeunes lauréats aux couronnes déjà effeuillées, jeunes avocats sans causes, vous tous solliciteurs aux démarches instantes et multipliées, qu’avez-vous obtenu des protecteurs puissants qui vous avaient promis tant et de si belles choses ? De simples apostilles sur vos placets, apostilles banales et décolorées, qui bientôt ont été rejoindre leurs cent mille soeurs dans les cartons hécatombes des ministères. Mais pour un vieux domestique, un fidèle Caleb qui a rendu à l’homme qui navigue dans les eaux du pouvoir de ces services de tous les instants, de ces services dont on aperçoit le terme et qu’il faudrait récompenser d’une pension alimentaire, qu’il est si commode et si doux de mettre à la charge de l’état ; oh ! pour ce vieux serviteur-là, c’est différent, on ne se borne pas à apostiller ses pétitions, on se dérange, on marche, on court, on vient voir le ministre, on y retourne, on revient dix fois, cent fois, on importune et on obtient.

Et puis les ministres eux-mêmes, qui ont passé plus ou moins rapidement aux affaires, n’ont-ils pas eu à récompenser les gens de leurs maisons privées et les dévouements intimes qu’ils ont eu l’occasion de mettre à l’épreuve ? A cet égard, Dieu sait s’ils s’en sont fait faute ! à ce point, que si quelque historien avait besoin de recourir à la chronologie ministérielle de ces vingt-cinq dernières années, je lui conseillerais d’entrer dans le premier ministère qui se trouverait sur sa route, de demander qu’on en fît ranger tous les garçons de bureau par ordre d’ancienneté, puis de leur faire nommer le bienveillant patron qui les a pourvus de leur charge individuelle. A part plusieurs doubles emplois, mon historien aurait sa chronologie avec la plus rare exactitude.

Vous comprenez que cette diversité de provenances a causé celle des types : aussi de nos jours le garçon de bureau se présente-t-il sous des faces bien diverses et avec le caractère, les qualités et les défauts qui sont le décalque des précédents de sa vie.

Voulez-vous me suivre un instant ? venez avec moi dans un hôtel ministériel dont je connais les détours : placez-vous derrière cette porte vitrée, d’où vous pourrez tout voir et tout entendre ; ils sont là dans cette pièce (il n’y a plus d’antichambre), six garçons de bureau, dont on peut dire ce qu’on dit des moines : ils sont entrés sans se connaître ; ils vivent ensemble sans s’aimer ; ils se quitteront sans se regretter.

Examinez d’abord le seul qui soit debout et toujours debout : quel aplomb, quelle assurance, quel contentement de lui-même ! C’est le mouvement perpétuel, c’est la mouche du coche, c’est l’audiencier général. Il s’occupe de tout, répond à tout, excepté pourtant à la sonnette des chefs de bureau, dont il a délégué le service à ceux que nous appelons ses camarades, et qui pour lui ne sont que des inférieurs. Remarquez encore, je vous prie, comme cette plume mouillée d’encre est fichée avec art le long de sa tempe droite, et comme elle fait valoir le brillant de ces lunettes en chrysocale qui se meuvent du front au nez, et vice versa, selon la gravité de l’interlocution. Dans ce moment il éconduit deux solliciteurs de province qui ont la complaisance s’incliner devant sa grandeur, et dont les têtes respectueusement découvertes semblent en se baissant porter sur un ressort qui fait relever d’autant celle du garçon de bureau. Retenez bien la formule du refus d’entrée qu’il répète dix fois sans y rien changer : « Non, messieurs, vous n’irez pas plus loin ; j’ai mes ordres, et je ne puis rien y subroger. »

Cet homme a nom André Pellerin. Il a servi pendant vingt-cinq années en qualité de maître-d’hôtel au Rocher de Cancale : il a assisté à bien des repas politiques de diverses nuances ; il a pu voir inter pocula bien des séductions de tous genres ; il a vu des hommes réputés bien forts devenir subitement bien faibles. Enfin André Pellerin, en servant le monde, l’a étudié avec assez d’intelligence pour remplir avec la dignité que vous lui connaissez une place de garçon de bureau que lui a fait obtenir, en souvenance d’une longue suite d’attentions prévoyantes et confortables, un vieux conseiller gourmet, frère d’une de nos excellences passées.

Ainsi, par ses précédents, Pellerin a de la tenue et de l’aplomb : il est beau parleur par habitude, actif par devoir, adroit quand son intérêt l’exige. Toutes ces qualités résumées font de lui un homme important.

Un garçon de bureau important ! Cela vous étonne ? ce n’est pas lui qui s’est fait ainsi, c’est sa position, ce sont nos lois, c’est la société dans laquelle il vit. Il est important ! j’en connais dix qui le sont à moins de frais que lui.

Sachez donc qu’en cumulant vingt-cinq années de grasses économies culinaires, André Pellerin s’est fait propriétaire dans la banlieue, qu’il a pignon sur rue, qu’il dit Ma maison et Mes locataires ; sachez encore qu’il est électeur, et qu’à ce titre il a été visité, sollicité par les plus notables champions du combat électoral. Il vous fera lire, pour peu que vous le désiriez, trente lettres où l’on invoque ses hautes capacités intellectuelles et ses lumières patriotiques. On vous dira qu’un jour, ayant une discussion avec un employé, il la rompit par ces paroles qu’il jeta avec majesté : Sachez, monsieur, que vous ne faites que des lettres, et que moi je fais des députés !

J’ignore le nom de celui qui est assis devant ce bureau où sont déposés des dossiers sur lesquels André Pellerin n’a pas encore jeté son coup d’oeil investigateur ; mais ce que ce garçon de bureau fait en ce moment, il le fait tant que la journée dure, il mange. C’est un fricoteur perpétuel, et l’on a peine à comprendre que dents et estomac d’homme puissent suffire à une telle mastication. Ce gaillard-là use à se faire des cure-dents plus de paquets de plumes que l’écrivain le plus laborieux. Ses approvisionnements de bouche, toujours copieux et souvent très-recherchés, lui viennent de l’office ministériel qu’il dessert en extra les jours de grand gala. Il fournit au chef de cuisine du papier pour ses enfants qui vont à l’école, et celui-ci, par réciprocité de bons procédés, lui repasse les débris opulents qui occupent son appétit dévorant. Regardez la table de ce garçon de bureau, il en a fait un petit buffet à compartiments. Rien n’y manque, pas même un fourneau économique sur lequel on réchauffe les salmis et les émincés : et quand parfois on lui demande d’où peut provenir l’odeur extra-bureaucratique qu’exhale cette cuisine privée, il ne manque pas de répondre avec audace et malignité : « Ça vient de chez le ministre ! » Il ne ment pas.

Voici venir maître Colin, qui résume en lui la malpropreté, le bavardage, la curiosité. Il a débuté dans le monde par l’état de perruquier-coiffeur. Dans sa jeunesse, il obtint le service du théâtre de sa petite ville ; et, comme des coulisses à la scène il n’y a qu’un pas, et que d’ailleurs le terrain est glissant, Colin, quittant la savonnette et la houppe, se lança dans l’emploi des amoureux de son nom, chanta l’opéra-comique de l’époque, et se fit surtout applaudir dans Blaise et Babet.

Le Colin que vous voyez est tant soit peu déformé ; cependant il reste encore vestige de comédien sur cette face légèrement ridée et sur cette antique perruque à frisure hebdomadaire : mais avez-vous rien vu de pareil à la saleté de son accoutrement ? Ce malheureux porte depuis quinze ans au moins le même habit. Toutes les fournitures qu’on lui fait, toutes ses économies sont employées au soutien d’une moderne Babet, qu’il idolâtre en souvenir de ses anciens succès. Aussi l’habit de ce malheureux n’est que pièces, et quand il est obligé d’en remplacer une, il coud en chantant avec un long soupir l’air de Dezède :

C’est pour toi que je les arrange !

Si Colin n’était malpropre que sur lui et seulement au profit de sa passion artistique, il n’y aurait pas trop à se récrier, car enfin il est célibataire et libre dans ses affections ; mais ce qui est plus grave et ce qui lui attire des réprimandes fréquentes, c’est son indifférence complète pour le soin de ses bureaux ; un balai lui dure encore plus qu’un habit, et on n’a jamais eu à lui reprocher la dégradation d’aucun meuble. Un jour, l’un de ses chefs, fatigué d’une telle nonchalance, écrivit avec le doigt sur la glace du bureau couverte d’une couche épaisse de poussière, ces mots qu’un moment de légitime colère peut bien faire excuser :

« Vous êtes un cochon ! »

Vous pensez peut-être qu’après avoir lu ce reproche, Colin va se l’adresser à lui-même ; pas du tout : il le laisse subsister, et le lendemain il attend l’arrivée du chef pour lui dire en confidence : « Monsieur, je ne sais quel est l’employé qui a été assez osé pour vous écrire de pareilles injures : ce qu’il y a de certain, c’est qu’hier soir j’ai bien fermé les portes sans toucher à rien. – Je le crois facilement, répliqua le chef qui, pour dissiper tous les doutes de son garçon de bureau, ajouta le soir au haut de la même glace :

« Monsieur Colin, vous êtes un cochon ! »

Notre ci-devant Blaise fut très-piqué de ce reproche, car il était devenu sale comme Sédaine a prouvé qu’on peut être philosophe, c’est-à-dire sans le savoir. Sa mauvaise humeur éclata dans un propos qui aurait pu lui coûter sa place avec un chef moins paternel : « Eh bien, monsieur, s’écria-t-il, puisque vous êtes si ridicule, – je veux dire si exigeant, – demandez donc pour le service une fontaine filtrée comme on en donne partout. Il n’y a plus que dans votre bureau qu’on voit des cruches ! »

Colin est encore plus curieux que malpropre ; il passe à lire les pancartes des employés le temps qu’il devrait mettre à les ranger et à les nettoyer ; et à cet égard sa naïveté et son imperturbable assurance vont jusqu’à lui faire dire à ses supérieurs l’objet des lettres cachetées qu’il leur remet. « Monsieur, voilà de bonnes nouvelles ; » ou bien : « C’est des invitations pour dîner. »

Si Colin n’avait pas conservé les goûts de son ancien emploi théâtral, s’il n’était pas toujours amoureux, il n’aurait pas cherché à suppléer par une certaine adresse à l’insuffisance des ressources de son médiocre état, qui ne rapporte plus ce qu’il produisait autrefois.

Depuis que le système des adjudications publiques a prévalu sur celui des marchés de gré à gré, les petits bénéfices des garçons de bureau ont considérablement diminué. Lorsqu’un traitant sortait du cabinet directorial ou ministériel, avec la concession d’une vaste entreprise dont les résultats avantageux étaient certains, puisque les prix n’en avaient été que faiblement discutés, sa générosité allait au-devant de toutes les exigences de la servitude bureaucratique. Mais à présent que les opérations de cette nature se font à la clarté du jour et au milieu d’une lutte acharnée, l’adjudicataire qui en sort vainqueur, mais vainqueur épuisé, ne se croit obligé à aucune rémunération gracieuse, qui deviendrait un surcroît de pertes et de sacrifices. Il est bien vrai que tous les abus de l’ancien système ne sont pas encore entièrement déracinés, et que, de temps à autre, on entend encore parler de pots-de-vin. Sans nier le fait, nous affirmons que les garçons de bureau ont cessé d’y avoir part.

Colin, pressé par les besoins de sa position, a jugé les funestes effets de cette révolution administrative, et il s’est appliqué à les conjurer. Tout aussi au fait de la correspondance que le ministre qui la signe, il en prend soigneuse note ; et le soir, en faisant son courrier, il abandonne aux facteurs les lettres insignifiantes ou de reproches ; mais il se réserve les dépêches qu’il juge agréables, et avant tout celles de ces dépêches qui annoncent aux fournisseurs et aux banquiers de prochaines remises de fonds. Il les porte lui-même pour ne les rendre autant que possible qu’en mains propres, et se fait annoncer en qualité d’employé (les garçons de bureau n’en prennent jamais d’autres). Ces démarches porteront leurs fruits à l’époque des étrennes, et Babet aura son tartan, peut-être un cachemire Ternaux : Colin croit à la puissance des écus et aux profits de ceux qui en annoncent la venue. Il est vrai que, dans son bon temps, on ne chantait pas, comme dans les opéras de nos jours :

L’or n’est qu’une chimère !

Le gros Auguste, qui arrive tout essoufflé avec sa serviette sous le bras, comme un garçon de restaurant, est aussi propre, aussi soigneux que son collègue est négligé. Essuyer ce qui se trouve sous sa main est pour lui l’occupation de tous les instants. Ce n’est point un travail, c’est une habitude. Cet homme a toute sa vie été valet de chambre, et dans l’administration il est resté valet de chambre. Comme ces personnes qui, en causant avec vous, ont la manie de vous défaire les boutons de votre gilet, lui, s’il a à donner quelques renseignements, il utilise envers son interlocuteur la serviette qui ne le quitte jamais, et tout en parlant, lui essuie ses boutons, son habit, voire même ses souliers. Auguste n’est pas du reste sans intelligence et sans malice, vous allez en juger.

« Je désirerais parler à monsieur le directeur, lui dit un jeune solliciteur fort empressé. – Monsieur le directeur n’est pas visible les jours d’audience publique. Écrivez pour demander un rendez-vous. – Mais je repars demain ! (Auguste lui a pris son chapeau et l’essuie avec sa serviette.) – Qu’y puis-je faire ? – Quel contretemps ! moi, le fils d’un de ses meilleurs amis ! – Cependant... reprend Auguste, je vais voir si monsieur le directeur consent. »

Entre l’assertion je suis le fils d’un ancien ami et le cependant d’Auguste, il s’est opéré une manoeuvre habile, une démonstration efficace, qui n’ont point échappé à l’oeil exercé du garçon de bureau : la clef du cabinet directorial a passé de la poche du jeune solliciteur dans la main d’Auguste, qui va s’en servir.

« Monsieur le directeur ! » – Eh bien, qu’est-ce ? – Le fils d’un ancien ami. – Auguste, vous m’obsédez ! – Monsieur, le fils d’un ancien... Jeune homme, donnez-vous la peine d’entrer. » La place est emportée d’assaut ; mais il faut croire qu’on ne put s’entendre sur les articles de la capitulation, car le solliciteur sortit avec l’air du mécontentement ; et quand il fut parti, la bruyante sonnette rappela Auguste, qui reçut l’ordre très-sévère de ne plus désormais introduire son protégé, ce qui le fit s’exclamer : « Le fils d’un ancien ami consigné ! je parie qu’il lui aura demandé quelque chose ! »

Auguste a pour collègue un pauvre diable, espèce d’hébété, dont l’infirmité est d’écorcher tous les noms propres qu’il est chargé d’annoncer. Pas un n’est épargné. Je crois qu’il estropie même celui de Napoléon. Je ne lui connais de comparable que l’huissier de la direction des postes qui a transformé M. Pozzo di Borgo, en M. de la poste de Bordeaux, et M. Dédelay d’Agier, en M. le dey d’Alger. Il y a peu de jours, M. Marec, un des plus habiles et des plus consciencieux travailleurs du conseil d’État (je lui demande excuse de me servir de son honorable nom), ayant à conférer avec le président de sa section, dut s’adresser, pour être introduit, au garçon de bureau dont il est question. Celui-ci rapporte immédiatement du cabinet de M. de H cette inconcevable réponse qu’il brode à sa façon : « Mon brave homme, vous pouvez vous retirer, monsieur le comte ne fera pas danser cet hiver. – Comment danser ? – Fichtre... » Enfin tout s’explique : notre impitoyable écorcheur, au lieu de M. Marec, maître des requêtes, avait annoncé M. Marc, maître d’orchestre.

Cet autre est une victime des besoins de son incommensurable nez ; il est devenu chipeur pour satisfaire aux menues dépenses de son tabac, dont il fait un usage presque immodéré ; il récolte tous les vieux papiers, et chaque soir s’en fait une cuirasse qui sert à dissimuler son innocent larcin : je dis innocent, car pour beaucoup d’individus ce n’est pas voler que voler le gouvernement ; ce qui fait que notre garçon de bureau se permet parfois d’entasser pêle-mêle les morts et les vivants, et de jeter au vieux papier des pièces que leur importance devrait préserver d’un trépas aussi prématuré : par bonheur, les élucubrations ministérielles ne sont pas comme les fleuves qui ne remontent jamais à leur source : elles y reviennent, flétries il est vrai, mais elles y reviennent par l’entremise d’un charcutier qui en a enveloppé des saucisses ; la fruitière, du beurre ; l’épicier, du fromage ; vaisselle plate des malheureux commis qui font à leur bureau le modeste repas du matin.

Il y a des gens qui deviennent fou de leur propre fortune, celui-là est devenu grotesquement orgueilleux de celle des autres. En effet, tant qu’il n’a été attaché qu’à un simple chef de bureau, il était d’une fréquentation facile ; mais depuis que ce chef est devenu conseiller d’état et député, B... s’est fait une dignité parallèle à celle de son supérieur, et il se croit obligé de passer la durée des sessions législatives dans la salle des conférences.

N’êtes-vous pas encore assez édifié ? suivez-moi : tenez, regardez dans ce corridor ce grand gaillard qui vient à nous ; s’il y avait place dans son coeur pour les remords, il serait accablé du poids de ceux qui le rongeraient : il a fait, dans son temps, une horrible consommation d’employés ; il a desséché plus de poitrines que tous les plus habiles médecins de France n’en ont guéri : et si la Providence est juste, il sera condamné au feu éternel.

Cet homme aurait brûlé le ministère pour faire de la cendre à l’époque où la cendre des foyers était l’immunité des garçons de bureau. Les feux de cuisine de Corcelet, de Véfour et du Café de Paris ne sont rien en comparaison de ceux qu’il préparait et entretenait pour ses profits cinéraires ; on eût dit qu’il avait pris à tâche de réaliser de nos jours cette prédiction un peu hasardée de Sully, que la France périrait par les bois.

Peu lui importait, à cet infernal rôtisseur d’employés, que les thermomètres indiquassent que le degré de la chaleur de ses bureaux dépassait celui qui est nécessaire pour faire éclore les vers à soie, le feu ne cessait d’augmenter d’intensité, malgré les réclamations et les plaintes des commis à moitié consumés, et qui, de guerre lasse, se seraient vus forcés de se faire assurer, si l’on n’eût mis ordre à une telle dilapidation des bûches de l’état.

Depuis que les cendres administratives sont devenues la propriété du domaine qui les vend pour le compte du trésor public, notre impitoyable chauffeur s’est mis à combattre les spéculations du fisc et fait maintenant de la braise au profit du fourneau de sa ménagère ; pour se procurer cette braise le moins ostensiblement possible, il faut la retirer des feux allumés en dernier lieu, et alors, contrairement au passé, les foyers restent dans un abandon presque complet durant toute la séance, et ne sont alimentés qu’une demi-heure avant la clôture des bureaux. Puis lorsque les employés sont tous partis, on retire la braise, on la met en cornets dans son chapeau, dans ses poches, pour se soustraire à la surveillance du portier ; quelquefois aussi le transport s’en effectue dans un immense portefeuille qui est censé contenir le travail du soir de messieurs les supérieurs.

Mais ce genre de larcin n’est pas sans danger, et il advint un jour que notre chauffeur faillit subir la peine du talion. La braise entassée dans ses poches avait été mal étouffée, et, à peine arrivé sous le péristyle, une fumée noirâtre sortait des basques de son habit enflammées déjà dans l’intérieur. A cette vue, le factionnaire, donnant une interprétation générale à sa consigne, se met à crier : Au feu ! Hors la garde ! Le délinquant, qui ne voit et ne sent encore la cause de cette clameur, tourne plusieurs fois sur lui-même en regardant le haut des cheminées, et se prend aussi à crier : Au feu ! au feu ! lorsqu’enfin deux seaux d’eau bien mesurés et lancés en nappes sur son individu lui indiquent qu’il porte avec lui le foyer d’un mobile incendie.

Tenez, avant de nous quitter, contemplez ce vieillard dont la tête est encore si belle et si martiale. Saluons-le ; car s’il nous eût aperçus le premier, il se serait levé de son siége et nous eût fait le salut militaire : c’est un hommage qu’il ne refuse à personne, pas même aux employés. Cet homme est un des rares débris de la glorieuse armée d’Égypte : c’est dans l’administration le dernier survivant des protégés de l’empereur. Il est décoré de longue date ; mais il ne porte sa croix que le dimanche sur ses habits de fête et en famille. On doit dire, à la louange de ses chefs, que, par suite de la considération qu’ils lui portent, son travail est à peu près volontaire. Mais voyez comme on n’est jamais parfaitement heureux : le sort a donné pour collègue à notre vieux soldat un ancien valet de chambre, que les événements de la révolution ont jeté à la suite de l’émigration, et qui, plus tard, a pris du service dans les troupes autrichiennes. Tant qu’il n’est pas question du passé, les deux garçons de bureau vivent pacifiquement ensemble ; mais une fois que le mot de dragon de la Tour est lâché, le vieil Égyptien rugit comme un lion, s’empare des bâtons ou des règles qu’il trouve sous sa main, et se met en devoir de charger, comme s’il était encore en Italie ou à Wagram.

En dehors de ces différents types, il ne nous reste que la classe insignifiante des garçons de bureau hommes d’état. Entendons-nous : hommes d’état, c’est-à-dire exerçant, durant les repos que laissent les sonnettes, des professions manuelles, telles que brossiers, cartonniers, tresseurs de chaussons, etc. Parfois aussi les antichambres des ministères sont transformées en ateliers de peinture dont les artistes ont exposé au salon, ce qui ne prouve pas qu’ils puissent renoncer au trop modique traitement qui leur est attribué.

Pris en masse et dans leurs habitudes générales, les garçons de bureau sont, comme les employés, jaloux et défiants l’un de l’autre, égoïstes par-dessus tout. Une bonne aubaine en réunit parfois quelques-uns à la buvette clandestine contre laquelle sont déchaînés tous les marchands de vin patentés du quartier. Mais ces réunions ne survivent pas aux circonstances éventuelles qui les font naître. Ainsi point d’esprit ni d’amitié de corporation et de position identique. Et puis la politique est un obstacle à ce que ces hommes puissent s’accorder. Notez que chacun d’eux représente un système qu’il défend avec acharnement, parce que c’était celui du ministre qui l’a fait placer. Or, comptez combien depuis vingt-cinq ans nous avons eu de systèmes et de ministres. C’est à ne pas s’y reconnaître ; c’est à se jeter les bouteilles par la tête. Il faudrait que les maîtres pussent enfin s’entendre pour amener la réconciliation des valets. A ce compte il est fort à craindre que la désunion des garçons de bureau ne dure encore longtemps.

J. V. BILLIOUX.

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