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Miguel de Cervantes y Saavedra - Don Quijote de la Mancha - Ebook:
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E. Blémont : Flaubert et la passion de la Prose (1905)
BLÉMONT, Léon Petitdidier pseud. Émile (1839-1927) : Flaubert et la passion de la Prose, (1905).
Saisie du texte et relecture : J.F. Lefebure pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (29.IX.2004)
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur des exemplaires (BM Lisieux : nc) des numéros 9 & 10 de la Revue Le Penseur, 5ème année, septembre et octobre 1905.
 
Flaubert et la passion de la Prose
par
Émile Blémont

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I

Gustave Flaubert naquit, en 1821, à Rouen, où son père était chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu. Il fit brillamment ses classes et commença l'étude de la médecine. Mais ses goûts et ses aptitudes le portaient irrésistiblement vers la carrière des lettres.

Le romantisme brillait de toute sa splendeur. Flaubert fut éperdument romantique. Il se sentait une surabondance de forces vives, qu'il brûlait d'épancher en généreux efforts. Il fit des vers. Il avait pour camarade Louis Bouilhet ; et tous deux, jeunes, passionnés, enthousiastes, insouciants et fiers, ils allaient à travers champs, traçant, dit-on, et marquant de leur sang sur l'écorce des arbres le nom de Victor Hugo. Le chirurgien en chef mourut en 1846 ; il laissait à son fils une fortune plus que suffisante, une indépendance complète.
  
Riche, libre, épris de l'art, Flaubert voyagea. De 1848 à 1852, il visita l'Italie, l'Egypte, la Palestine, l'Asie Mineure. Quand il revint, l'Empire était fait. En 1856, i1 publia Madame Bovary. Comment le poète épris des splendeurs idéales était-il devenu l'implacable prosateur de la réalité ? Les fleurs de la première jeunesse étaient tombées. Dans la patrie désenchantée, l'audacieux chercheur revenait, mordu, lui aussi, par le poison subtil et violent de la désillusion.
 
Il s'enferma dans l'art comme dans une citadelle haute, d'où il pouvait braver la marée montante des passions vulgaires.

Madame Bovary, accusée d'immoralité, fut poursuivie par la magistrature. « L'art sans règle n'est plus l'art insinua M. Pinard en son réquisitoire ; c'est comme une femme qui quitterait tout vêtement... On ne grandit qu'avec une règle. » Étrange affirmation d'un homme resté si petit ! Madame Bovary fut acquittée, eut un immense succès, fit école. Cette lamentable et admirable évocation hanta toutes les pensées.

Flaubert en voua un culte plus fervent encore à l'art, et une haine plus vigoureuse à la sottise, à l'envahissante et intolérable médiocrité bourgeoise. Cette haine ne fit, par la suite, que croître et embellir. Elle devint un trait saillant de sa nature. Il considéra la bêtise argentée comme son ennemie personnelle.

Las des gens et des choses du jour, il chercha la grandeur dans un monde plus primitif, plus énergique, plus éclatant. Il écrivit Salammbô. Cette création inouïe, aussi splendide qu'une légende symbolique, aussi précise que l'histoire, aussi poignante qu'une hallucination, plut à la société napoléonienne, par sa couleur ardente et son parfum aphrodisiaque. Ce fut le deuxième, mais le dernier grand succès de Flaubert. L'Education sentimentale parut inférieure à Madame Bovary. C'était en 1869. L'an d'après, guerre et invasion. Frappé dans beaucoup de ses amitiés, Flaubert vit ses derniers rêves s'évanouir au milieu du cataclysme. La paix signée, les questions littéraires furent fatalement reléguées au second plan. Il en souffrit. « Nous sommes de trop, écrivait-il après la mort de Gautier. Je me sens à la fois écrasé et enragé. »
  
La Tentation de saint Antoine, où sont peut-être ses plus belles pages et dont chaque description réveille tout un monde grandiose de sensations évanouies, ne réussit complètement qu'auprès des lettrés et des artistes. Le Candidat échoua tristement sur les planches du Vaudeville. Les Trois Contes furent bien accueillis, sans soulever aucune émotion neuve. Flaubert pourtant reprenait possession de lui-même. Il travaillait avec acharnement à un nouveau roman : Bouvard et Pécuchet. Il semblait plein de santé, de verdeur, de renaissance, quand brutalement la mort lui sauta à la gorge et le renversa au tombeau.

II


S'il haïssait le bourgeois, il n'avait pas renoncé, comme Hamlet, à aimer l'homme et la femme. Pour ses proches et ses amis, il avait une grande tendresse. Il était généreux jusqu'à l'abnégation. L'humanité lui resta chère du premier au dernier jour. Il l'aima du fond de ses entrailles, du fond de son coeur, de toute sa force.
 
Ce n'est donc pas l'humanité qu'il attaque lorsqu'il nous déroule impitoyablement les misères et les turpitudes d'ici bas. Il vise plus loin. Son oeuvre entier, on peut le dire, est un acte d'accusation laborieusement et scrupuleusement dressé contre le mal, contre l'iniquité du destin, contre la cruelle fatalité qui poursuit les êtres innocents, contre l'idée d'une Providence qui aurait créé et laisserait subsister tout ce dont nous souffrons.
 
En plaidant pour Madame Bovary, Me Senard affirmait ceci : « L'auteur y enseigne que la vie est, non la réalisation de rêves chimériques, mais quelque chose de prosaïque dont il faut s'accommoder. » Est-ce la suppression de la poésie que réclamait ce poète ? Son point de départ avait du rapport avec celui de Cervantes. Il voulait, lui aussi, dénoncer l'idéal, l'esprit chevaleresque, l'esprit de fraternité héroïque, qui est pourtant le véritable esprit social. Imagine-t-on une société uniquement fondée sur les intérêts et la raison abstraite ? Cervantes se révolta contre son oeuvre, et finit par glorifier implicitement ce qu'il avait commencé par vouer au ridicule. Flaubert n'a pas eu le temps d'achever la même évolution.
 
Balzac, en extase devant les forces, a du moins idéalisé le monde en faisant de la volonté la force la plus haute et la plus puissante. Flaubert nous présenta la volonté brisée, écrasée, aplatie par les influences extérieures et intérieures. Il substitua ainsi le roman des tempéraments au roman des caractères.

En outre et par complément, il introduisit dans l'art le procédé de la science. L'art et la science tendent également à rendre l'homme plus heureux et meilleur, mais vont au même but par des voies différentes. L'art dégage le beau ; la science, le vrai. Les procédés sont contraires. L'art est une combinaison rythmique d'éléments, la constitution d'un ensemble équilibré, une harmonie. La science est une désagrégation, un émiettement, une dissolution, la réduction d'un tout en indivisibles atomes, un isolement. L'art recompose, la science décompose. Or, de même que divers savants, pour organiser et généraliser la science, pour en coordonner les expériences en vastes et utiles théories, lui ont appliqué le procédé essentiel de l'art, de même Flaubert, pour donner à l'art des assises plus profondes, une base plus sûre, des matériaux plus solides, a trouvé bon de lui appliquer le procédé essentiel de la science.
 
L'héroïne, dans Madame Bovary, est un sujet, un cas. L'auteur dissèque le modèle avant de pétrir la statue. Certains expérimentateurs illuminent le corps des poissons vivants, en leur faisant avaler des substances phosphorescentes, de telle manière que l'animal devient transparent et qu'on peut suivre jusqu'au fond de son organisme l'évolution de la vie. Flaubert arrive à un effet analogue, et l'on peut observer en ses personnages, éclairés de part en part, tous les phénomènes de l'existence physique et morale. Aussi, comme ses personnages sont inoubliables ! Avec quelle force de concentration il a incarné toute la suffisance mercantile dans le pharmacien Homais, toute la basse férocité du fonctionnarisme dans l'agent de police Sénécal, et toute l'impuissance de la bourgeoisie française dans le Frédéric de l'Education sentimentale, qui ne sait ni conquérir la femme qu'il aime ni accepter celle dont il est aimé, de sorte que sa vie entière est une suite d'avortements !

III


Le style a naturellement, comme la conception, le double caractère artistique et scientifique. Il est incisif et éclatant. A certains moments, un trait, un mot résume un être, un aspect de la nature. Les grands yeux noirs de la fille d'Hamilcar sont pareils sous ses hauts sourcils « à des soleils sous des arcs de triomphe ». Le serpent sacré de Carthage glisse vers nous lentement « comme une goutte d'eau qui coule le long d'un mur ». Citons encore « le râle métallique » de l'horloge normande, et « ce geste hideux et doux des agonisants qui semblent déjà vouloir se recouvrir du linceul ». Là se révèle l'artiste incomparable. Salammbô est une stupéfiante évocation, une résurrection prodigieuse, une oeuvre souverainement intuitive.
  
On retrouve l'homme de science à maintes expressions spéciales. Non content du mot propre, Flaubert cherche le mot technique. Le but est parfois dépassé. L'opérateur laisse voir le bout de la ficelle. J'aime peu les yeux de Mme Arnoux « dont brille la sclérotique ». En ces passages, Flaubert rappelle trop son pharmacien Homais, qui ne disait jamais une saignée, mais toujours une phlébotomie.

Sa phrase, si simple soit-elle, est toujours travaillée. C'est une lente cristallisation ou c'est une laborieuse quintessence. Tout est cherché, voulu. Il soumettait sa prose à une singulière épreuve. Après l'avoir laborieusement déterminée, établie, fixée, il la vociférait. Il la faisait passer, disait-il, au gueuloir. Après la solidité et l'éclat, il voulait en constater la sonorité.
 
Il aime à nous promener rapidement à travers une succession de tableaux de genre, intérieurs et paysages. Tout y est généralement sec et brillant comme une mosaïque minérale. On dirait du métal et de l'émail. On pense aux cloisonnés japonais, à certaines créations de l'art byzantin. S'il est des pages qui font songer â la chaude peinture de Regnault, maintes descriptions correspondent à ce qu’on nomme la peinture photographique. Flaubert se glorifiait de n'avoir jamais été chez un photographe ; mais lui-même, quel étonnant objectif il avait dans le cerveau !

Un Coeur simple, le premier de ses « Trois contes », dit la vie et la mort d'une servante dans une petite ville normande. Très humble histoire et des moins romanesques. Mais l'art de l'écrivain donne à ces banalités un relief extraordinaire, les accuse avec une ironie douloureuse, avec une âpre pitié. Rien que des choses et des faits, très sobrement indiqués. D'abord, s'offre une suite de portraits enlevés en quelques phrases courtes ; puis vient une série de petites scènes d'une précision minutieuse. C'est d'une exactitude si intense, si pénétrante, si aiguë, que l'effet est presque toujours saisissant.
 
Cela fait penser aux fantaisies les plus froidement et les plus furieusement exaspérées de Swift ; cela fait imaginer, invraisemblable image, un Rabelais maigre, un Rabelais vinaigré. Derrière le masque d'impassibilité sarcastique, on sent, il est vrai, un esprit droit, une conscience incapable de transaction, un immense besoin de vérité supérieure, une révolte passionnée contre les sottises et les petitesses d'ici-bas; on entrevoit les plus hautes et les plus ardentes aspirations aux prises avec toutes les désespérances.
  
La Légende de saint Julien l'Hospitalier semble un rêve, décrit avec la précision simple et profonde d'un halluciné. La foi de l'artiste y supplée à la foi du croyant. La vision, farouche et tendre tour à tour, est plus vive que la vie, plus réelle que la réalité. Il y règne un charme sauvage et doux. On se croirait dans un autre monde, plus naïf et plus limpide que le nôtre. Tout s'y détache sous la blancheur d'un clair de lune mystique, avec la même pureté de lignes qu'en plein jour.
 
Le dernier des « Trois Contes », Hérodias, est une suite d'apparitions voluptueuses et sanglantes, parmi des paysages d'Orient qui suent le soleil.

IV


La Tentation de saint Antoine peut être regardée comme l'oeuvre la plus largement personnelle de Flaubert.

Est-ce Antoine dans la Thébaïde que nous voyons, que nous entendons ? Peut-être ! mais, certainement, c'est aussi Gustave Flaubert dans la France du XIXe siècle. Il s'est déguisé en saint, il a disposé autour de lui un décor oriental ; mais nous le reconnaissons bien. C'est lui le solitaire, c'est lui le visionnaire, c'est lui qui lutte et qui souffre.
 
Voici d'abord les souvenirs, les regrets : « Que la vie de famille était douce! Que ma mère était bonne et ma fiancée attrayante ! Si j'étais resté là-bas, près d'elles ! Si je m'étais fait grammairien, philosophe ou marchand, ou même soldat ! Je suis seul, seul ! Malheur à ceux qui sont seuls ! a dit l'Ecclésiaste. » Et voilà l'ermite en proie aux hallucinations. Les sept péchés capitaux sont déchaînés en lui. Son coeur bondit dans sa poitrine comme une bête affamée, comme un monstre à sept têtes qui s'éveille en son antre et cherche quoi dévorer.
 
Le temps passe ; la crise s'apaise. Les appétits matériels s'endorment. Hilarion survient. Hilarion, c'est le démon de la curiosité ; c'est la Science. Après les instincts matériels, les instincts spirituels ; après les appétits du corps, les appétits de l'esprit.

La raison livre bataille à la foi. Le Catholicisme est pris en flagrants délits de plagiats et de contradictions. Les hérésies lui disputent l'héritage du Christ. « Le Saint Esprit est féminin ! » s'écrient ceux-ci. « Les parties inférieures du corps, s'écrient ceux-là, ont été faites par le Diable et lui appartiennent ; buvons, mangeons, forniquons. » Et puis : « Les crimes sont des besoins au-dessous du regard de Dieu. »

Les uns ne trouvent rien de mieux que de soûler la matière pour la dompter ; les autres arrivent à l'extase par l'inassouvissement, par la mutilation. Simon et Apollonius font des miracles. Tous ont des prières, des élans d'amour, des exaltations, des révélations, des preuves, des prodiges, et puis des évangiles, des apôtres, des victimes volontaires. Sans pitié, la Science explique le mécanisme et donne la comédie du Martyre.

Toutes les divinités défilent sur les cimes pour tomber dans les précipices. Des ébauches de dieux apparaissent et disparaissent. C'est Oannés, le dieu poisson ; c'est Bellus et sa femelle, adorés sous la forme d'un organe féminin ; c'est le boeuf Apis ; c'est Isis, pleurant la virilité d'Osiris. Atys, dans sa frénésie sensuelle, s'émascule devant Cybèle. Ormuz et Ahrimane se combattent. Le Bouddha révèle sa vie, sa doctrine ; et à chacune de ses phrases répond si bien un verset des évangiles chrétiens, que le Christ ne reste plus qu'un pâle reflet du prophète hindou. L'Olympe rayonne et s'éteint. Les dieux étruriens pullulent. Crépitus et Jéhovah se suivent et semblablement s'évanouissent.

Toutes les conceptions de l'esprit humain, même les plus pures, même les plus radieuses, tombent en pourriture, corrompues par les instincts matériels qui s'y mêlent fatalement. Tous les mysticismes finissent en orgies mortelles. Toutes les hypothèses aboutissent à l'absurde, à la monstrueuse Absurdité, comme tous les fleuves à l'Océan. Toutes les religions ne sont que vains mirages, que vaines exaltations des appétits humains.

Devant le solitaire, sur les débris des superstitions, reste Hilarion, la Science, le Diable. L'ermite s'abandonne à ce redoutable Pouvoir, qui l'enlève dans les airs, au-dessus du soleil, au-dessus des planètes, et l'accable du spectacle de l'infini. Il sent l'idée de Dieu lui échapper au bord du gouffre. Dieu se perd dans la Substance immense et indivisible. Pourquoi le mal, pourquoi le monde ? Les organes humains sont impuissants, l'esprit se trouble. Le doute envahit l'espace. La Science est aussi vide que la Foi.

C'est l'instant de la lassitude et du dégoût. La Luxure et la Mort font leur entrée. Elles se disputent le visionnaire. Elles s'enlacent, se pénètrent, flottent, s'évaporent. L'Inconnu, le grand Sphinx surgit ; l'Imagination, la Chimère en rut, autour de lui papillonne ; elle veut s'accoupler à lui, elle est engloutie sous son poids.

Toutes les formes animales surgissent, passent, s'effacent. Toutes les sottises, toutes les laideurs de l'humanité disent leur mot, jettent leur cri. Des monstres fantastiques frappent du pied la terre, s'enfuient, s'enfoncent ou s'envolent. Les bêtes de la mer envahissent la scène. Tout grouille, tout s'anime, tout s'émeut, tout se mêle. Les végétaux, les minéraux tremblent, vibrent, palpitent, vivent. Les règnes de la nature se confondent. Après le vertige de l'infiniment grand, le vertige de l'infiniment petit. Après l'immense éternité sidérale, le mystère des générations microscopiques.
 
« 0 bonheur ! bonheur ! j'ai vu naître la vie, j'ai vu le mouvement commencer ! » s'écrie avec une fatuité naïve le solitaire. « Le sang de mes veines bat si fort qu'il va les rompre. J'ai envie de voler, de nager, d'aboyer, de beugler, de hurler. Je voudrais avoir des ailes, une carapace, une écorce, souffler de la fumée, porter une trompe, tordre mon corps, me diviser partout, être en tout, m'émaner avec les odeurs, me développer comme les plantes, couler comme l'eau, vibrer comme le son, briller comme la lumière, me blottir sur toutes les formes, pénétrer chaque atome, descendre jusqu'au fond de la matière, - être la matière ! »
  
Là s'arrêtent les visions ; quelques lignes terminent le volume. Le jour enfin parait ; il était temps. Dans le disque du soleil rayonne la face de Jésus-Christ ; Antoine fait le signe de croix et se remet en prière.

V


Jésus-Christ, Antoine, la prière ? Masques et artifices que tout cela. Dites : l'art, Flaubert et le travail ; vous serez dans la réalité. L'allégorie est transparente pour qui a de bons yeux et se donne la peine de voir. Le délire religieux n'est ici que le faux nez du délire littéraire ; sous la tunique en peau de chèvre de l'ascète, s'agite et se raidit l'artiste grisé de solitude. La pensée de l'auteur, la conclusion du livre, la voici : « Tout est vanité, la foi, le martyre, la science, la raison, la matière elle-même. Pour supporter l'existence, il faut être fou, fou de littérature ou de religion, ou de n'importe quoi. »

Jeunes gens et vieillards, ne cherchez là ni enthousiasme, ni idéal, ni consolation ; pas même un oubli durable. Comme à la porte de l'Enfer du Dante, il faut, au seuil de ce livre, lâcher toute espérance. Le seul refuge que vous y trouverez, c'est une résignation peu sûre, une résignation fausse, mal assise sur le désespoir et l'ironie.

En feuilletant la Tentation, on pense aux plus grandes conceptions littéraires des temps modernes. On se rappelle la Divine Comédie du vieux Florentin ; mais où donc est Béatrice ? On se souvient de Faust ; mais où donc est l'Éternel féminin ? On évoque le Satyre de la Légende des Siècles ; mais où donc est le « rayonnement de l'âme universelle » ? On songe à la Bible de l'Humanité ; mais où donc sont la Justice et l'immuable Amour ? L'Espérance ici tombe et meurt. On ne saurait d'ailleurs la noyer dans une plus étincelante rivière de pierreries.

Comme ce livre est bien de notre temps ! On pourrait l'appeler « le livre des désenchantements ». L'auteur appartient à cette race de sceptiques qu'a engendrée un siècle de rebellions terribles et inefficaces. Tant de Révolutions et de Restaurations inutiles, tant d'impiétés au nom de la Religion, tant de despotismes au nom de la Liberté, tant de crimes au nom de la Vertu, tant de partis déchirant la Patrie, tant de convoitises déchirant la Famille, une halte si longue, un croupissement si morbide de l'Humanité dans les bas-fonds et les fanges de l’Hypocrisie ! Devant ce spectacle, Flaubert s'est pris à douter de tout.

Sur ses pas, au lieu d'une Béatrice, s'est trouvée une Bovary. Au lieu de demander au ciel le secret de l'amour, il l'a demandé à l'hôpital. L'hystérie est devenue son Eternel féminin. Las et dégoûté de l'univers entier comme un Romain de la décadence, il s'est jeté dans l'Art ainsi qu'on se jette dans la Religion. Il s'est fait prêtre de la littérature. Il a cru que ce culte lui pourrait tenir lieu de tout. Les émotions patriotiques, les affections familiales, il n'a guère su les apprécier à leur haute valeur que vers la fin de sa vie. Il en a méprisé les côtés ridicules, haï les obligations mesquines, méconnu les grandeurs calmes et les douleurs fécondes. Les devoirs inventés par les hommes lui semblaient trop étroits. Pourquoi canaliser son existence ? Il l'a laissé rouler comme un torrent ; et que de ruines autour de lui !

En parcourant la Tentation de saint Antoine, nous avons senti revenir en nous une sensation lointaine de notre fiévreuse adolescence. Il nous semblait être, comme autrefois, dans un bal masqué, un soir de carnaval. Des femmes, des tentatrices, portant des déguisements de tous les siècles et de tous les pays, passaient, vives et provocantes. Nous suivions l'une, l'autre ; nous levions les masques, nous regardions les visages ; nous cherchions une aventure acceptable, une illusion possible : nous ne trouvions que vénalité et corruption. L'aube se levait ; et nous revenions lentement, écoeuré, las, désespéré, nous enfermer dans le cercle restreint des occupations domestiques, et tourner comme un cheval aveugle une mécanique quelconque.

Depuis l'époque où remontent ces souvenirs, nous avons appris ce qu'est l'amour, ce qu'est la patrie, ce qu'est la famille, et, malgré les douleurs inhérentes à toute condition humaine, nous savons encore ce qu'est l'espérance. Flaubert semble ne plus même s'en douter ; c'est Rabelais sans la gaîté, c'est Pascal sans la foi, c'est Musset sans l'inspiration poétique. Chose assez remarquable, le mouvement de la Tentation de saint Antoine est absolument le même que celui de la célèbre pièce de Musset intitulée : L'Espoir en Dieu. Avant le prosateur, le poète s'est écrié :

Voilà donc les débris de l'humaine science !


Et il a ajouté comme lui :

Quand  mon coeur fatigué du rêve qui l'obsède,
A la réalité revient pour s'assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût que je me sens mourir.


Le poème s'achève par un magnifique élan d'amour désespéré, car son vrai titre serait : le Désespoir en Dieu. Le volume de prose se termine au contraire par un tranchant accès d'ironie. La prière finale d'Antoine n'est que le retour machinal d'une attitude ; c'est une pratique, c'est un renoncement, c'est une abdication effarée.

VI


Ce livre n'est, on le voit, ni selon notre esprit, ni selon notre coeur. Et pourtant l'auteur nous inspire une profonde admiration, une invincible sympathie. Nous savons les rudes batailles qu'ont livrées, les utiles services qu'ont rendus ces hommes grands et désintéressés : les Flaubert, les Goncourt, que nous avons vus si accablés, si brisés par nos malheurs publics, et si douloureusement tristes sous leurs cheveux blanchissants. Nous les saluons avec respect ; nous leur gardons, si nous pouvons le dire, une affectueuse reconnaissance ; mais nous n'acceptons pas, nous ne pouvons accepter le découragement qui semble les opprimer.

Les fermes penseurs, les historiens vivifiants, les poètes sublimes, sont et restent nos maîtres. Ils nous disent : Justice, Amour, Travail. Ils nous encouragent à reconstituer la famille, à faire du foyer l'autel. Ils nous demandent « une sûreté et de moeurs et de caractère, une austérité pure, dont ce temps a peu d'idée ». Tâchons de suivre ces bons conseils et ces hauts exemples.

Grand désenchanteur par le fond, Flaubert fut un grand enchanteur par la forme. Balzac a plus de puissance, Flaubert plus de méthode. Balzac est inimitable, étant éminemment personnel, profondément complexe. Flaubert est une force réfléchie, lucide, nette et positive. Balzac renouvelait sans cesse, insaisissable Protée, son style avec sa pensée. Chez Flaubert, le procédé est définitif, apparent, palpable. II a donné la formule absolue d'un genre.

Le procédé ! C'est ce que Gautier appelait « le moule à gaufres ». C'est la machine substituée au prime saut. C'est la mécanique de l'art mise à la portée de tous. Flaubert s'offrait à l'imitation. On l'a imité de toutes parts. On a exagéré sa manière, poussé sa formule à outrance. Des charlatans de lettres, très éloignés de sa probité sévère et de son énergique réserve, lui ont dérobé son instrument, son doigté, et ont joué, virtuoses prétentieux, des variations à n'en plus finir sur son thème si sobre et si mâle. Il était agacé et amusé ensemble par les grimaces de cette bande simiesque de plagiaires et de caricaturistes. Il disait avec une hautaine et souriante ironie : « On me prend pour Berquin, maintenant. »

Il essaya du théâtre sans succès. L'art de la scène est par excellence l'art social, et Flaubert fut surtout un indépendant, un isolé. II n'était pas l'homme des foules. Jamais il ne s'assimila bien l'âme du peuple, l'âme de Paris.

Il est mort trop tôt. Il nous devait une oeuvre qui fût à ses autres livres ce qu'est la seconde partie de Don Quichotte à la première. « Je voudrais, dit-il comme conclusion de la Tentation de saint Antoine, pénétrer chaque atome, descendre jusqu'au fond de la matière, être la matière. »

Il est mort. On l'a muré dans un étroit caveau. Nous aurions voulu qu'on lui fit des funérailles à la façon antique, et qu'on brûlât son corps sur un bûcher parfumé, d'où les éléments de son être, délivrés par la flamme, eussent pris l'essor en pleine immensité.

VII


 Si Edmond de Goncourt a eu pleinement raison de flétrir l'article d'un journal littéraire qui reprochait à Flaubert, de son vivant, un style épileptique, on ne comprend pas bien pourquoi Guy de Maupassant blâmait avec tant d'amertume Maxime du Camp d'avoir révélé au public la terrible maladie de Flaubert, et d'avoir cherché à établir un rapport entre la nature artiste du romancier et l'épilepsie.
 
Maxime du Camp n'a peut-être pas établi ce rapport d'une façon irréprochable. Mais a-t-il eu tort de faire cette révélation ? C'est un document humain, cela. Et un document capital. L'école documentaire lui devrait des remerciements. Est-ce que M. de Goncourt n'a pas, toute sa vie, pris des notes plus ou moins discrètes, dans des coins plus ou moins obscurs, sur tous ses amis ? Est-ce que son Journal ne contient pas toutes sortes de révélations intimes ?

Pour notre part, le fait constaté publiquement par Maxime du Camp nous semble avoir la plus haute importance dans l'histoire littéraire. Sans cela, il serait impossible d'expliquer Flaubert. Cela le justifie, cela le rend sympathique. Grâce à cette lumière nouvelle, on comprend tout de lui, et particulièrement sa fameuse passion pour la prose, avec ses deux aspects contradictoires d'enthousiasme et d'ironie.
 
A chaque page de sa correspondance éclate cette étrange contradiction. « Il y a en moi, littéralement, deux bonshommes distincts : un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée ; un autre qui creuse et fouille le vrai tant qu'il peut, qui aime à accuser le petit fait aussi puissamment que le grand, qui voudrait vous faire sentir presque matériellement les choses qu'il reproduit... Le fond de ma nature est, quoi qu'on en dise, le saltimbanque. Moi, j'admire le clinquant autant que l'or. La poésie du clinquant est même supérieure, en ce qu'elle est plus triste... Je suis, avant tout, l'homme de la fantaisie, du caprice, du décousu. »
 
Cette tendresse pour les choses tristes, ce décousu, on en sait l'origine maintenant. On est en présence d'un génie malade, incomplet, dont la force florissante est sujette à des coups de folie. Est-il ravi à lui-même par quelque chose de grand, il retrouve sa candeur héroïque. Dès que lui revient la conscience de son infirmité, l'univers s'assombrit. Il est attiré par tout ce qui ressemble à son tempérament d'antithèse : « Je veux qu'il y ait une amertume à tout, un éternel coup de sifflet au milieu de nos triomphes, et que la désolation même soit dans l'enthousiasme. Cela  me rappelle Jaffa où, en entrant, je humais à la fois l'odeur des citronniers et celle des cadavres... Cette poésie est complète, c'est la grande synthèse. »

C'est la synthèse de sa vie, en effet. Le docteur Hardy l'appelle « une femme hystérique ». Et il s'appelle lui-même « un homme naturellement malsain ». Sa révolte vient de sa souffrance. Une sottise le réjouit. II s'écrie « Quelle immense bouffonnerie que tout, mais une bouffonnerie peu gaie ! » Il se plaît à constater l'ordure ; il écrit à sa mère : « Il y avait en même temps que nous dans le café un âne qui chiait et un monsieur qui pissait dans un coin. » Il n'est pas en extase devant les forces de la nature comme Balzac. Il semble écrasé par elles. Tel un Titan qui lutte contre les dieux de l'Olympe ! Même manque de bonheur, même ironie satanique que dans Swift. Il adore les violents contrastes du drame shakespearien, les convulsions du roi Lear. Il trouve « Corneille, Racine et autres gens d'esprit embêtants à crever ». Cela le fait rugir : « Je voudrais les broyer dans un pilon, pour peindre ensuite avec les résidus les murailles des latrines. »
  
Dante l'ennuie. Il ne comprend pas Béatrice. Il n'a connu que la Bovary. La science, la foi, tout est vanité. Tout aboutit à l'immense océan de l'absurde. Pour lui, le monde n'a pas de sens. Il n'y marche pas librement. « J'étais né pour toutes les tendresses ; mais on ne fait pas sa destinée, on la subit. J'ai été lâche dans ma jeunesse, j'ai eu peur de la vie. Tout se paye. »
 
Il n'y a que les vaillants pour s'accuser ainsi de lâcheté. Il lutta héroïquement contre des fatalités invincibles. Il ne s'abandonna pas. II ne fut point « un poète mort jeune à qui l'homme survit ». Non ! il garda toujours cette naïveté d'enfant, cette fraîcheur jeune, cette fleur du coeur, qui sont le signe et la condition du génie ; il resta poète jusqu'à la fin. Mais poète malade, poète à qui manquait le mens sana in corpore sano, poète incapable de goûter en sa plénitude l'universelle harmonie, poète privé du rythme normal, poète en prose.

VIII


Ses vers de jeunesse, il dut ne pas en être content. Il sentit vite qu'il n'était pas doué. Il tenta la prose, elle lui fut favorable, et pour elle il prit cette belle passion qui domina son existence. Il put alors se retirer du siècle ; il eut un asile, une consolation. Il se réfugia en son rêve, se jeta dans l'art comme on se jette dans la religion, devint un moine de lettres. Il ne connut plus que le style. Il en sentit les joies et les affres. Hors du style, point de salut !

« L'existence n'est tolérable, dit-il, que si on oublie sa misérable personne... Le délire littéraire aide seul à supporter la vie. »
 
La vie, il la réduit au minimum ; il tâche de lui substituer partout la littérature. Il sait combien cet état est anormal. « L'artiste, selon moi, est une monstruosité, quelque chose hors nature. » II persiste, s'acharne, se crée des théories spécieuses. Il prétend que, pour tout peindre, il faut ne rien éprouver. « Mêlé à la vie, on la voit mal, on en souffre ou on en jouit trop... Moins on sent une chose, plus on est apte à l'exprimer comme elle est... Quand est-ce qu'on écrira les faits, au point de vue d'une blague supérieure, c'est-à-dire comme le bon Dieu les voit d'en haut ? »
  
Il oublie que, si l'artiste doit ne plus être troublé par les choses pour les reproduire fidèlement, il doit, d'autre part, avoir sincèrement éprouvé les émotions pour les bien exprimer.
 
Du réel, il entend ne garder que la forme, que l'apparence affranchie de la matière. Il veut se fabriquer un instrument d'art qui reproduira cette apparence d'une façon parfaitement adéquate. La prose sera cet instrument. Il rêve « un style rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des modulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettes de feu ; un style qui vous entrerait dans l'idée comme un coup de stylet, et où notre pensée voyagerait sur des surfaces lisses, comme lorsqu'on file en canot, avec bon vent arrière. » Et il s'écrie naïvement : « La prose est née d'hier. Le vers est la forme par excellence des littératures anciennes. Toutes les combinaisons prosodiques ont été faites ;  mais celles de la prose, tant s'en faut ! »

Sa conviction est si profonde, si ingénue, qu'il ne voit pas combien est invraisemblable, impossible, cet épuisement de toutes les combinaisons poétiques. Vous êtes prosateur, monsieur Flaubert.
  
Véritable esprit français, simpliste, radical, logique à outrance, il procède a priori et reprend tout à l'origine, selon la méthode de Descartes et de J.-J. Rousseau. Il fait table rase de l'effort, de l'expérience, de la science des siècles. Il veut tout recommencer, tout reconstruire lui-même, à son usage, selon ses facultés. Mais l'instrument supérieur d'évocation littéraire qu'il cherche, c'est précisément le vers, perfectionné de siècle en siècle, de peuple en peuple, et où les générations successives ont lentement réuni et fondu les plus puissants moyens d'expression. Et vainement il essaiera de rythmer la prose comme le vers, parce qu'il manque à la prose un des éléments du rythme.
  
Le but originel du vers a été de fortifier le principe essentiel du langage, qui est l'expression, en accentuant le rythme de la parole humaine.
 
Le rythme crée l'ordre dans l'univers. Il est la force réfléchie, balancée ; il est le mouvement revenant sur lui-même, prenant équilibre et conscience. Son procédé unique,  mais infiniment variable, est la répétition. Il adopte un élément quelconque, simple ou complexe, et fait naître l'harmonie par le retour périodique de cet élément qui, exactement répété devient la mesure, la règle, le mètre.

C'est ainsi que, dans le perpétuel devenir de la nature, il arrête le noeud de l'évolution vitale, organise et fixe un moment la substance, lui donne l'individualité, la pensée, l'amour. Le rôle qu'il joue dans la nature, il le joue dans la poésie également, par la répétition de ce qui exprime la vie, c'est-à-dire des sons, des syllabes, des mots, des phrases, et par le retour régulier de la mesure, pied métrique, hémistiche, vers ou strophe.
  
La mesure est l'élément absolu de l'art, dont la cadence est l'élément relatif ou différentiel. Ce qui caractérise le vers et le distingue essentiellement de la prose, c'est la mesure, unité élémentaire et quasi mathématique par laquelle la poésie atteint à la justesse de la musique. Le vers a cette qualité d'être un, cette existence distincte parmi des semblables, condition nécessaire du nombre, de la série, de l'ordre, de l'harmonie, du progrès stable et fécond. La poésie est une série d'unités élémentaires. La mesure y fournit le canevas uniforme, sur lequel court et revient librement le fil d'or de la mélodie.
  
La prose a la cadence, la diversité. Mais l'autre principe d'organisation, l'unité, lui manque. Elle n'a pas la commune mesure, le pivot fixe, le retour régulier, la pondération et la gravitation de la vie. De là son instabilité, sa fluidité. Pour acquérir force et durée, elle doit emprunter au vers ses procédés et ses cadres.
 
La poésie est le règne de l'harmonie supérieure, du rythme normal. C'est la haute et vaste synthèse où se concilient l'ordre et la liberté. Elle a toutes les puissances d'expression de la prose, et beaucoup d'autres moyens, beaucoup d'autres nuances encore. Elle est moins facile à manier ; mais, avec qui sait s'en servir, elle est incomparable. Elle est faite pour offrir la plus grande variété dans la plus forte unité, pour produire le plus d'effet en exigeant le moins d'effort. Elle résume, coordonne, illumine tout. Elle illustre merveilleusement l'universelle  analogie, l'identité primordiale de la substance. Elle s'impose aux sens, au coeur, à l'intelligence, à la mémoire. Musique et pensée, elle a les deux ailes pour conquérir l'espace.
   
Une école nouvelle tend aujourd'hui à la décomposer. Est-ce impuissance, inquiétude ou erreur ? D'une part, on isole la pensée dans la prose, et d'autre part on réduit la poésie à une simple sonorité musicale où les mots ne sont plus que des notes. Si ce système venait à prévaloir, l'esprit humain serait privé de son plus précieux instrument d'expression.
  
Chateaubriand, le plus grand de nos prosateurs modernes, a reconnu la supériorité du vers. « Le poète, dit-il; est toujours l'homme par excellence, et dix volumes entiers de prose descriptive ne valent pas cinquante beaux vers d'Homère, de Virgile et de Racine. »
  
Taine a fait la même constatation : « L'Iphigénie de Goethe fut écrite d'abord en prose, puis en vers. Elle est belle en prose. Mais en vers, quelle différence ! C'est l'introduction du rythme et du mètre qui communique à l'oeuvre son accent incomparable, cette sublimité sereine, ce large chant tragique et soutenu, au son duquel l'esprit s'élève au-dessus des vulgarités de la vie ordinaire. »
  
Vous rappelez-vous aussi les vers que Victor Hugo dans les Quatre vents de l'esprit adresse A un écrivain :

.... La prose poétique
Est une ornière, où geint le vieux Pégase étique...
La prose en vain essaie un effort assommant.
Le vers s'envole au ciel tout naturellement ;
Il monte ; il est le vers, je ne sais quoi de frêle
Et d'éternel, qui chante et plane et bat de l'aile...
La prose, c'est toujours le sermo pedestris.
Tu crois être Ariel et tu n'es que Vestris.


IX


Pauvre et grand Flaubert ! Ce n'est certainement pas lui que vise ce poème. Mais que de fois n'a-t-il pas dû s'écrier avec désespoir : « Des ailes ! des ailes ! qui me donnera des ailes ! » La sublime angoisse qu'il éprouva toute sa vie, en fait un être sacré entre tous. Le vautour au coeur, il fut un moderne Prométhée.

Je l'ai peu connu ; mais j'ai conservé de lui deux inoubliables visions. Je le rencontrai pour la première fois, il y a une trentaine d'années, par un soir de mars. C'était fête littéraire chez l'excellent éditeur Georges Charpentier. Il y avait une telle foule, que je me retirai dans la pièce d'entrée.
 
Là j'aperçus, appuyé au mur, parmi quelques habits noirs, un homme de haute taille, de solide carrure, de belle prestance, à la tête puissante, aux traits énergiques, aux longs cheveux grisonnants, aux yeux bleus comme une eau profonde et limpide, au teint enflammé, à la forte et tranchante moustache gauloise. Il écoutait d'un air absent, répondait peu, regardait vaguement par-dessus ses interlocuteurs, remuait machinalement les épaules, et semblait ne rester là, ganté, cravaté de blanc, qu'avec une condescendance distraite et une assez pénible résignation. Continuellement survenaient des invités. La salle d'entrée se remplissait. « On ne respire plus ici, dit-il ; allons sur le palier ! » On l'y suivit. La foule augmentait. Bientôt on fut sur les marches de l'escalier. Au bout de dix minutes, on était sous la porte cochère. Au bout de dix autres minutes, on assistait à la soirée sur le trottoir.
 
Par une belle après-midi d'été, au Palais-Royal, je rencontrai pour la dernière fois l'auteur de Salammbô. Je le vis venir de loin, sous les arbres du jardin, l'air cavalier, en pantalon à la hussarde, le chapeau aux larges bords crânement affermi sur le front. Il marchait à grands pas, ne voyait personne, déclamait tout haut et gesticulait en déclamant. Les enfants s'arrêtaient à le regarder. Lui, bon géant, sans y prendre garde, absorbé, rutilant, truculent, continuait sa promenade et suivait sa pensée. Tel Gulliver à Lilliput.
  
« Je me rappelle, dit-il dans une de ses lettres d'Égypte, un baigneur qui avait au bras gauche un bracelet d'argent et à l'autre un vésicatoire. » En évoquant son souvenir, on éprouve une sensation analogue à celle qu'il dut alors éprouver. Il me semble le voir, le titan généreux, paré de bracelets et de torques comme ses aïeux gaulois, mais cruellement marqué par les destins, qui nage sur un océan d'amertume, malgré la bise et la houle, vers la rive enchantée où croît le laurier toujours vert.

ÉMILE BLÉMONT.

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