LE CLERC, A. : Bulletin des modes.- La Mode, revue politique et littéraire, 17eme année, 15 janvier 1846.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (03.VI.2003) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque André Malraux (BmLx : nc). Bulletin des modes
15 janvier 1846
A.Le Clerc
~~~~Là où l’on danse, les robes de bals ont les manches très courtes et très garnies. Les volans et les berthes en font toujours les principaux ornemens. Les corsages drapés sont devenus plus rares. Les robes de satin se sont ouvertes à quelques soirées d’apparat sur des jupes de drap d’argent garnies de réseaux de Venise, également en argent. Une femme aussi distinguée par son nom que par sa grâce, portait une robe de satin vert brodée d’argent, ayant de chaque côté deux grandes écharpes avec chefs et franges d’argent. Les manches ouvertes, retenues par des noeuds d’argent et le corsage drapé avec de la dentelle lamée. Lady Arabelle W…. embellissait, l’autre semaine, une charmante parure. La robe était de satin blanc parsemé de boutons de rose à feuillage d’or. Cette robe avait le corsage juste, et sept agrafes de diamans partaient du bas de la taille et, en augmentant de largeur, se terminaient à une draperie de dentelle lamée d’or. Sur ses cheveux blonds, lady W….. avait posé gracieusement une couronne de fleurs dont l’or faisait encore le feuillage. Pour les jeunes personnes qui ont encore peu dansé, mais qui se proposent de réparer le temps perdu, parce que, cette année, le carnaval est long, se brodent ou se peignent de charmantes robes de crêpe. Nous venons d’en voir peintes par M. de Bémy (aîné), fond blanc avec semis de groseilles rouges et feuillage naturel. Une guirlande de groseilles termine le bas de la robe et les grappes du fruit retombant, forment comme une frange de corail. Une autre, du même genre, sur fond rose, est semée de convolvulus, bleu-ciel ; une guirlande tourne aussi tout au bas de la jupe. Les modèles de ces robes si habilement et naturellement peintes, ainsi que beaucoup d’autres dessins variés, se trouvent chez de Bémy (aîné) n° 291, rue St-Honoré. Cet artiste sait aussi mieux que personne faire ou monter les écrans à feu et à mains. La tulle illusion conserve toujours sa vogue et on l’emploie beaucoup pour les robes à jupes superposées. Les fleurs qui ornent ces jupes vaporeuses doivent être d’une extrême légèreté, et ce n’est point sur elles qu’il faut placer les roses à cent feuilles, reines de nos jardins. Nous avons vu sur trois jupes de tulle bleu comme un firmament de petites étoiles d’argent. Une robe de satin blanc recouverte de deux jupes de gaze moirée d’or. On le voit, l’or et l’argent, passion du siècle, font aujourd’hui invasion dans les toilettes. Les robes ne sont plus seulement busquées par devant, mais elles commencent à l’être par derrière. A quelques unes de ces robes, la garniture forme le principal et la garniture l’accessoire. Ainsi, nous avons remarqué une robe de moire rose, dont la garniture se composait de huit bouillons de tulle superposés et diminuant de hauteur à mesure qu’ils s’élevaient ; au lieu d’une berthe de dentelle, c’étaient six petits bouillons pareils à ceux de la jupe qui tombaient sur le dos, sur les épaules et sur une partie de la poitrine. Des noeuds de satin rose à longs bouts flottans, terminaient les manches. Toujours même liberté pour les coiffures en cheveux. Les tire-bouchons et les bandeaux bombés luttent ensemble, et nous ne savons encore laquelle des deux coiffures deviendra celle de la majorité. Lemonnier-Pelvey triomphe maintenant. Ses résilles espagnoles, ses toquets orientaux, ses calottes grecques, ses turbans marocains, ses toques moyen-âge, ses chaperons à petits bords se voient maintenant partout où la haute fashion se rassemble. Si cette haute fashion brille et resplendit, nous savons où elle est allée choisir les riches étoffes qui la revêtent. Avant de voir ces soyeux et riches tissus briller sous l’éclat des lustres, nous les avions admirés dans les inépuisables galeries de la maison Gagelin. Si beaucoup des charmans choix ont été faits là, il en reste encore beaucoup à y faire. A peine une merveille est elle enlevée, qu’une autre la remplace. Aussi c’est un continuel flux et reflux de beau monde que l’on voit entrer et sortir de ce magasin si justement renommé. Dans toutes les réunions, les plumes de Zacharie se reconnaissent ; car, nous le répétons, pour leur donner une blancheur non pareille, Zacharie n’a dit son secret à personne. Mayer ne fait pas seulement des gants pour les bals, pour les bals aussi il s’est mis à faire de ravissantes coiffures, toquets et résilles en fils d’or, en jais et en argent ; bourses d’une façon toute nouvelle et tours de gants qui ne se trouvent que chez lui. La Crèche de Tulasne-Ledoux est toujours visitée par les mères de famille et les jeunes femmes qui entrent en ménage. Il est juste que ce magasin attire la foule élégante et dorée, car nulle part la lingerie n’est plus belle et plus soignée. Là s’achète le bonnet du matin, la chemisette du négligé, en même temps que l’on y commande des layettes et des trousseaux et de somptueux services de table. La Hoche pourrait nous dire aujourd’hui quel prodigieux enlèvement de buires, de coupes, d’aiguières, d’hanaps, de brocs, de cornets, de potiches, de cabarets, de tête-à-tête, de vis-à-vis, de solitaires en cristal, en verre de Bohême, en porcelaine de Sèvres, de Saxe, de Birmingham, du Japon et de la Chine, a été fait depuis le commencement de la dernière semaine de l’an 1845 jusqu’au 15 janvier 1846. La saison des bals est le printemps des fleurs de Cartier fils. Toutes les jeunes têtes en ornent leur coiffure et tous les lustres de plus nobles hôtels laissent tomber leurs clartés sur ces guirlandes si légères et si fraîches. Auprès des fleurs qui parent et qui enbellissent la beauté, il faut placer dans ce bulletin des modes l’utile et l’indispensable. Or, parmi les choses indispensables et utiles, nous n’en connaissons pas de mieux inventées que les draps imperméables de Becker jeune. Cette utilité n’est pas le seul mérite qui doive attirer chez Becker. Son talent de tailleur est fait aussi pour lui amener bonne et nombreuse clientèle. Muot, le célèbre confiseur de la rue de Choiseul, lance journellement dans le monde autant de mazarines que Cartier et Constantin y répandent de bouquets. Ces délicieuses mazarines, comme nous l’avons dit cet été, ne sont pas commandées seulement pour les dîners, on les voit figurer encore et on les goûte avec non moins de plaisir aux thés du soir. Chapron et Dubois : ces deux noms sont souvent répétés quand deux femmes élégantes se rencontrent ; le matin c’est à propos des mouchoirs à larges ourlets, le soir c’est en admirant des mouchoirs duchesse et marquise et les mouchoirs catalans, que les noms que nous venons de citer sont répétés avec éloge par les femmes qui savent le mieux se mettre et qui font autorité par leur bon goût reconnu. Guerlain, s’il en avait le temps, pourrait aussi nous donner l’idée de ses succès au moment où 1845 mourait pour faire place à l’année que nous tenons ou plutôt qui nous tient. Que de flots de parfums Guerlain a répandu dans des flacons de cristal. Combien de pâtes et de poudres embaumées ont été mises par lui dans des coffrets de porcelaine. Combien d’oléïnes émulsives, combien de colds-creams, combien de lotions de Gowland ont été distribuées dans son splendide magasin de la rue de la Paix. Ne croyez pas que ces envois n’aient été que de la rue de la Paix à d’autres rues de Paris. Non, non ! la renommée de Guerlain a de trop grandes ailes pour se borner à un cercle si petit. Les parfums de Guerlain dépassent les frontières et les mers. Drapier, en voilà encore un dont le nom est connu hors de France. Nous avons dit plus d’une fois la noble clientèle qu’il a là-bas et celle qu’il a ici : il les mérite toutes les deux. Par le monde il y a beaucoup d’habits noirs, des robes et des manteaux de deuils. A l’Orpheline, rue du Bac, n° 11, MM. Doumbios et Radulphe se chargent avec succès de vêtir toutes les douleurs, les grandes comme les petites, les vraies comme les simulées. Les passementeries de Mignon, 25, rue de la Chaussée-d’Antin, conservent à juste titre leur faveur. Nulle part, nous pouvons l’assurer, elles ne sont mieux et plus élégamment confectionnées. Les chaussures d’Hoffmann, rue du Dauphin, ne déclinent pas non plus dans l’opinion du monde qui aime à la fois ses aises et l’élégance. Les brodequins d’hiver, les souliers de bals méritent autant d’être vantés que ses bottines d’été pour les chemins et les promenades de campagne. Le froid est tout-à-fait venu en aide à M. Gon, fourreur de la rue Vivienne, que nous recommandons souvent. La bise glacée n’aurait pas commencé à souffler que ses belles pelleteries auraient eu, quand même, un grand débit, car rien de plus noble qu’un manteau de velours noir, superfin, avec col et haute garniture de renard bleu. Nous recommandons toujours aussi M. Cior, tailleur, rue Richelieu, 47 bis, qui peut à juste titre réclamer le titre d’ami des enfans, qui allait si bien à Berquin, de douce et honnête mémoire ; car personne ne sait habiller les jolis petits garçons avec une plus coquette élégance. M. Gillion, qui vient d’ouvrir un si riche magasin d’orfèvrerie sur le boulevard des Italiens, n. 9, a reçu aussi, dans ces dernières semaines, de belles et nombreuses visites. Des bagues en brillans, des colliers de perles, des bijoux de toute sorte montés avec un goût parfait, ont été choisis dans ses écrins pour être offerts à l’occasion du coûteux retour de l’an. Là se trouvent aussi de ces somptueux surtouts et services de table, qui par l’éclat qu’ils répandent dans un festin, rendent en quelque sorte les bons dîners meilleurs ; car comme l’homme ne vit pas seulement de pain, le gourmet ne mange pas seulement de la bouche, il savoure aussi des yeux. Arrière, arrière les festins où le maître de la maison ne pense qu’à l’estomac. Mesdames Drouet et Marx, 21, boulevard des Italiens, travaillent aussi pour les yeux, car leur spécialité est toute de parure. Elles font pour le matin des chapeaux qui vous garantissent du froid de la rue, et pour le soir des coiffures qui vous embellissent : Mesdames, allez donc chez mesdames Drouet et Marx. On trouve aussi à la Providence, N° 4, cour du Commerce, rue St-André-des-Arts, chez madame Bouvy-Sainsaullieux, lingerie fine et belle, bonnets du matin et du soir, coiffures pour bals, et en même temps tout ce qui compose de fashionnables négligés. Madame Bouvy-Sainsaullieux mérite d’autant plus d’être recommandée par nous, qu’elle n’ouvre point son magasin le dimanche ; elle rend au monde ce qui est au monde et à Dieu ce qui est à Dieu. On pourrait croire que les galeries d’Alph. Giroux sont à peu près vides, à présent que le coup de feu des étrennes est passé. Mais non : en toutes choses il y a des empressés et des retardataires. Il y a quatre jours que l’on se coudoyait encore dans le salon des enfans et dans celui des albums et des keepseakes. Giroux a fait ce qui nous étonne toujours : il s’est surpassé en1846, comme il l’avait fait les années précédentes, et comme il fera toujours de plus en plus. Cachemires. – MM. Frainais et Gramagnac, 32, rue Feydeau, ont reçu de Bombay et de Lahore, où séjourne alternativement leur acheteur, un assortiment de cachemires des Indes, double de celui de la saison dernière. Cet assortiment, composé de châles longs et carrés dans tous les prix, est remarquable par les couleurs les plus variées et les plus rares. De très beaux cachemires oranges, blancs, multicolores, y étalent un luxe inconnu de nuances qui donnent au dessin une beauté idéale. Leur fabrique de cachemires français d’Origny-Sainte-Benoîte (Aisne), dont nous avons déjà parlé, a pris l’immense développement que nous avions prévu. Tous les produits de cette fabrique, recherchés pour la pureté des tissus, la beauté et la distinction des dessins, ne se vendent qu’au siége de leur établissement. Les salons de la Maison de commission Lassalle continuent à être visités chaque jour par les amateurs des belles porcelaines de Chine, qui viennent admirer la belle collection de vases qui est réunie dans les salons de la rue Louis-le-Grand. Par l’activité toujours croissante qui règne dans les ateliers de la Maison Lassalle, on peut juger tout de suite des avantages qu’elle offre à sa nombreuse clientèle, car nulle part ailleurs on ne verra réunis de plus beaux cachemires, de plus magnifiques dentelles, et tout ce qui peut entrer dans la composition d’une corbeille de mariage. Tous ces objets réunis et choisis avec soin, sont journellement expédiés sur la simple demande qui en est faite à la Maison Lassalle, et l’on peut ainsi, à deux cents lieues de Paris, faire soi-même le choix de tous les objets qu’on désire avant de rien acheter. A cette époque des bals et du renouvellement des toilettes d’hiver, rien de plus commode que de pouvoir écrire à cette maison digne de toute confiance, qui vous enverra sur-le-champ les parures et toilettes les plus élégantes et les objets de toute sorte adoptés par la bonne compagnie. Nous le répétons, les plus petites commandes sont exécutées par la Maison de commission Lassalle avec le même soin, le même zèle, la même exactitude que les commissions de la plus haute importance et du plus grand prix. ______________
Les salons, où fleurissent les traditions du plaisir élégant, étaient fort embarrassés sur le choix d’une danse pour cet hiver. La valse à deux temps n’a toujours été qu’un charmant contre-sens ; la valse à trois temps paraît vieillie et monotone ; la polka a eu de tels écarts qu’il est devenu presque difficile de la recevoir ; la mazurka demande trop d’application ; d’ailleurs, quel que soit le charme que puissent avoir ces danses, elles sont connues, et c’est du nouveau qu’il faut à tout prix. M. Laborde, auquel le monde a déjà tant d’obligations, a résolu ce problème ; il a fait adopter une danse nouvelle, la redowa, dont il est, à la fois, le parrain et l’instituteur. La redowa est de la famille des danses germaniques ; elle participe de la valse à trois temps, dont elle a la mesure et l’attitude ; mais elle a un attrait qui lui est propre, c’est une douce et délicieuse suavité. Elle mêle à la ravissante mollesse de ses poses une légèreté ravissante et une allure vive qui coupe son mouvement, sans en altérer l’adorable douceur. Nous avons vu la redowa exécutée dans le beau local de la rue de la Victoire, 22, où M. Laborde vient de fonder une classe de danse ; nous n’hésitons pas à affirmer qu’il n’est rien de plus favorable aux grâces du maintien et aux agrémens des personnes qui exécutent cette danse, molle, flexible et animée, qui glisse et se balance avec des attitudes variées, sans causer aucune lassitude et aucune émotion fatigante. Elle a trouvé dans M. Laborde un patron dévoué et intelligent, dont le zèle éclairé lui assure le succès. Un compositeur distingué, M. Dumouchel, a fait des redowas qui sont adaptées avec bonheur à la méthode du professeur, dont les soins et le goût ont embelli ce qu’il enseigne ; ces compositions, dont le caractère est mélodieux et charmant, ont été éditées par Troupenas. M. Laborde, par reconnaissance pour le bon accueil que la société d’élite a fait à la redowa, lui prépare, dans les salons de sa classe, une nuit radieuse, où tous les danseurs de distinction verront, aux accens du bel orchestre de Strauss, les femmes dont le nom est le plus cher aux arts, leur présenter la redowa. A. LE CLERC. |