CANAL, Séverin (1885-19..) : Les Fonctionnaires et la Natalité (1924). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (14.II.2015) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux : nc) du Mercure de France. 35e Année, Tome CLXXVI, 1er décembre 1924. Les Fonctionnaires
et la Natalité
par Séverin Canal ~ * ~Les fonctionnaires des diverses administrations de l'Etat suivent depuis plusieurs mois avec attention les travaux de la Commission spéciale présidée par M. Hébrard de Villeneuve et, dont l'objet doit être la révision des traitements qui ne correspondent plus au coût actuel de la vie. Sur le principe même de ce « réajustement », aucune contestation ne pouvait s'élever. Les chiffres actuels ont été fixés à la fin de 1919, dans un temps où la courbe ascendante des prix était loin d'avoir atteint son maximum. Par suite, les fonctionnaires publics ont été particulièrement mal traités, puisque leurs appointements se sont trouvés stabilisés, alors que les autres travailleurs ont connu depuis des relèvements de salaires parfaitement justifiés. D'autre part, les échelles établies en 1919 par les diverses administrations ne. correspondaient même pas au coût de la vie à cette époque, — en d'autres termes, si l'on exprimait, en francs-or l'indice général des, prix d'une part, le taux des salaires de l'autre, il faudrait reconnaître que, pour nombre de services, les nouveaux traitements représentaient une capacité d'acquisition moindre que ceux de 1914, et par conséquent, correspondaient en fait non à une augmentation, mais à une diminution... Au reste, cette situation n'avait pas été, sans frapper l'attention des pouvoirs publics, et dès 1920, il était entendu qu'il serait procédé à un réajustement des traitements avant le 1er janvier 1925. La Chambre du Bloc national avait été amenée à confirmer cette promesse, lorsque devant l'opposition formelle de M. de Lasteyrie, elle refusa de porter de 720 à 1.800 francs l'indemnité de vie chère des fonctionnaires de l'Etat ; elle se borna à augmenter le taux des indemnités familiales, surtout de celles qui étaient accordées aux agents pères de trois enfants et plus. Mais, par contre, elle décida que la révision des traitements se ferait dès 1924, et que la question serait étudiée par une commission spéciale, comptant dans son sein un certain nombre de représentants des intéressés. Le gouvernement d'alors ne mit, d'ailleurs, aucun empressement à constituer cette commission... C'est seulement le Ministère actuel qui, pour se conformer aux engagements pris lors des élections du 11 mai, s'est occupé de cette importante question. La commission a été formée. Elle a travaillé ! Grand bruit a été fait autour de certains conflits ! Et si, à cette heure, l'accord semble réalisé entre les fonctionnaires et le gouvernement, nul ne peut dire ce que sera en dernière analyse la décision du Parlement, souverain en la matière.Il est, en effet, comme on dit aujourd'hui, un facteur qui jouera un grand rôle dans la détermination des coefficients d'augmentation, la situation budgétaire. Elle n'est pas brillante, et elle ne le sera sans doute pas de sitôt. Or, s'il est vrai que le relèvement de l'indemnité de vie chère de 720 fr. à 1.800 fr. se serait traduit par une nouvelle charge budgétaire de près d'un milliard, on voit à quels chiffres mènerait — malgré les dénégations des intéressés — le décalage général de 2 à 3.000 francs, dont certains ont parlé récemment. Pas d'inflation, pas d'emprunt, crie-t-on à juste titre de tous côtés ! Il ne reste donc que deux alternatives : simplifier les services et réduire le nombre des fonctionnaires — ce qui, pour bien des raisons qui relèvent de la plus élémentaire psychologie des partis politiques, ne paraît pas devoir être l'oeuvre de la majorité actuelle, — ou bien recourir à l'impôt. Or, on ne voit pas bien le contribuable français appelé à acquitter 2 milliards au bas mot de taxes supplémentaires pour améliorer les traitements des agents des services publics. Dans ces conditions, que fera-t-on, si on veut réellement un « réajustement » sérieux, capable d'atténuer vraiment pour les fonctionnaires les conséquence de la vie chère ? Il semble que les pouvoirs publics devraient être amenés à chercher la solution du problème dans la direction même que lui ont indiquée les législateurs de 1919-1920, lorsqu'ils ont posé ce principe que la revision de 1925 aurait lieu notamment en tenant compte des charges de famille du fonctionnaire... Mais si légitime que soit cette considération puisqu'il saute aux yeux que la vie chère, dure pour tous, l'est en raison directe du nombre de personnes à la charge de chacun, elle rencontrera, i1 n'en faut pas douter, une forte opposition de la part des groupements syndicaux, qui la combattront au nom de la vieille formule : à travail égal, salaire égal. *
* * Un incident qui remonte à l'an dernier est singulièrement significatif à cet égard. C'est l'accueil fait par la Fédération des syndicats de fonctionnaires à la proposition de loi de MM. Landry et Isaac, vivement appuyés par le professeur Pinard, tendant à régler le montant de l'indemnité de vie chère des agents des services publics sur le nombre des enfants encore à leur charge... La Fédération émit un ordre du jour des plus véhéments contre cette proposition, qui se serait traduite par une diminution de 8o fr. par an pour le fonctionnaire célibataire ou marié sans enfant, — moyennant quoi, le père de famille aurait bénéficié d'un relèvement de 120 francs par enfant à partir du second. L'ordre du jour invitait notamment « tous les syndicats fédérés, ainsi que les sections départementales, à faire immédiatement la pression nécessaire auprès des membres du Parlement ». Cette délibération est doublement intéressante à rappeler. D'abord, elle nous permet de saisir sur le vif le curieux esprit qui règne dans les milieux dont elle émane. Pour peu, les porte-paroles des syndicats de fonctionnaires s'écrieraient : « Ces questions-là ne vous regardent pas ! Si ceux qui ont des enfants trouvent la charge trop lourde, ils n'avaient qu'à les laisser où ils étaient ; qu'ils sedébrouillent comme ils pourront ! » Deuxième constatation, et combien inquiétante. Il eût suffi d'enlever 80 francs par an aux célibataires et agents sans enfants, pour faire bénéficier de 120 francs par enfant tous ceux, qui en ont plus d'un. Il y a donc beaucoup de célibataires et de ménages sans postérité chez les agents des services publics ? Beaucoup aussi de ménages à enfant unique ? La statistique suivante, dressée en 1922 pour faire connaître le nombre et la répartition des indemnités familiales servies aux fonctionnaires de l'Etat, va répondre : 1. Célibataires
200.000
2. Mariés sans enfants 280.000 3. Touchant une allocation 184.000 4. Touchant deux allocations 94.000. 5. Touchant trois allocations 32.550 6. Touchant quatre allocations 12.505 7. Touchant cinq allocations 3.118 8. Touchant six allocations 1.495 9. Touchant plus de six allocations 940 -------- 808.608 A vrai dire, ces chiffres n'ont pas une valeur absolue, car il n'y a été tenu compte que des enfants de moins de 16 ans. Peut-être conviendrait-il de grossir les catégories 2 et 3, de 20 à 30.000 — au maximun. Néanmoins, les proportions sont intéressantes et bien caractéristiques. Veut-on des exemples plus précis ? On n'a que l'embarras du choix. Dans le département de la Seine, un grand bureau de poste comprend 125 agents : deux seulement ont plus de 2 enfants. Dans le département de Seine-et-Oise, les P.T.T. comptent 943 agents de tout grade : 27 pères de 3 enfants et plus... En Seine-et-Marne, une grande administration se compose de 100 fonctionnaires, hommes ou femmes, en tout et pour tont quatre pères ou mères de 3 enfants et plus ! Dans le même département, 500 instituteurs ou institutrices touchent les indernnités familiales : le nombre total des enfants est de 733 ; 66 reçoivent des indemnités pour 3 enfants et plus. Enfin, pour arrêter là ces exemples qu'on pourrait prendre aussi bien dans tout autre département, les Deux-Sèvres comptent 2.091 fonctionnaires : 123 pères de 3 enfants et plus, soit 6,1 % (1). Ainsi, la leçon se dégage très nette : les fonctionnaires représentent la classe de la population française où la stérilité systématique se rencontre avec ses caractères les plus marqués... Au fond, pour qui veut bien se donner la peine d'y réfléchir, il n'y a rien là d'étonnant. D'abord, reconnaissons-le, il faut tenir compte d'une cause occasionnelle. Les traitements des fonctionnaires n'ont pas suivi, jusqu'ici, nous l'avons vu, la progression normale des salaires depuis 1914, celle qui est en quelque sorte mesurée par la dévalorisation du franc, autrement dit par l'augmentation du prix de la vie... Ce renchérissement universel est particulièrement pénible pour les budgétivores, et il faut songer que nombre d'entre eux ont un rang à tenir, sous peine de se voir mal notés ! Quoi de surprenant donc à ce que les enfants soient considérés comme un luxe coûteux, et que ce luxe soit supprimé le premier ? Mais, répétons-le, cet état d'esprit n'est pas nouveau chez les fonctionnaires. Il date de longtemps : les moyennes antérieures à la guerre n'étaient guère moins inquiétantes. Déjà, le recensement de 1891, classant sous la rubrique « Administrations publiques » 240.000 individus, ne comptait pour leur famille (femmes et enfants) que 425.000 personnes. L'explication saute aux yeux. Tout a été dit sur le goût des Français pour les fonctions publiques — petites ou grosses. Des observateurs ont signalé le mouvement qui pousse les travailleurs des champs à se faire cheminots ou postiers, qui fait que tel fils de petit propriétaire, au lieu de se tourner vers les risques féconds du commerce, de l'industrie, des affaires, préfère la magistrature ou l'enseignement, qui veut que le Français aille assez facilement dans les colonies comme administrateur et presque jamais comme colon, qui fait enfin que les carrières publiques pompent sans discontinuer les travailleurs des divers corps d'État et ne leur rendent jamais rien. Pourquoi ce succès, dont s'étonnent les étrangers — les Américains, par exemple ? C'est que ces carrières ne comportent aucun aléa : elles sont sûres, elles sont de tout repos, et, en outre, agrémentées souvent d'un certain lustre...Le milieu familial où l'enfant a grandi souvent seul — puisque c'est là un type de foyer qui tend de plus en plus à prédominer — a contribué encore à l'amollir, parce qu'éminemment impropre à former des caractères. Alors, on va manger au grand râtelier du budget, car on sait que là, rien ne viendra troubler la digestion. Il n'y a pas de gros profits à attendre, c'est entendu ! Tant pis ! Avant tout la sécurité. Arrière les ambitions, puisqu'elles apportent avec elles les déconvenues souvent, et les soucis toujours ! C'est tout un genre de vie que cette mentalité suppose ou détermine. Le moyen fonctionnaire, ou même le haut, recherchera — ce en quoi il est bien d'accord avec son temps — avant tout les aises, toutes les aises matérielles que son salaire pourra lui apporter. Le petit fonctionnaire s'efforcera de l'imiter dans toute la mesure où il le pourra. Pour les uns et pour les autres, surtout dans un temps comme le nôtre, les enfants sont une lourde charge, et au surplus une cause de tracas dont s'accommodent mal des caractères aveulis et égoïstes. On supprimera donc les enfants. On n'en aura qu'un ! On n'en aura pas ! Tant il est vrai que le mot viril ne se comprend bien qu'en remontant à son sens originel : les énergies impuissantes vont de pair avec la stérilité des unions. N'est-il pas, d'ailleurs, symptomatique de voir des sociétés immobilières construire de véritables cités de 4 ou 500 appartements pour les classes moyennes, de préférence pour les fonctionnaires, et ne prévoir aucun logement comprenant plus de 4 pièces. Rien n'a été oublié pour le confort ! Mais visiblement — et les constructeurs le savent bien — chez cette clientèle, la salle de bain et l'ascenseur ont éliminé le berceau... Et voilà pourquoi on peut dire sans aucune exagération que les fonctionnaires sont aujourd'hui en France les porte-drapeaux du néo-malthusianisme. Mais, il ne suffit pas de caractériser le mal et d'en déterminer les causes. Il faut voir aussi quelles en sont les conséquences sociales. Les fonctionnaires des deux sexes sont aujourd'hui en France près d'un million, forte proportion si l'on n'envisage, comme il convient, que les Français en âge d'exercer une profession. De plus, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en afflige, les fonctionnaires jouissent d'un certain prestige, d'une certaine considération dans les classes auxquelles ils appartiennent. S'il s'agit de ce qu'on appelle aujourd'hui les travailleurs intellectuels, ingénieurs, universitaires, magistrats, ils représentent, personne ne le conteste, une catégorie de l'élite intellectuelle de la Nation. On voit le danger. Comme le dit excellemment M. de Roux dans son beau livre L'État et la natalité (2) : La classe des fonctionnaires
donne, du reste, le ton à toutes les classes moyennes et surtout à
cette partie du peuple qui s'efforce à vivre bourgeoisement...
L'exemple est déplorable, et, en outre, facile à suivre. Il ne l'a été que trop : après s'être infectés les uns les autres, les fonctionnaires ont contribué à étendre les ravages de la tare dans le sein de toute la population française. Pour qui connaît le rôle que joue l'imitation dans les phénomènes sociaux, il n'y a rien là qui doive surprendre. Déjà, le philosophe Gabriel de Tarde l'avait noté... Elle [la statistique
sociologique] laisserait par exemple aux naturalistes le soin de
dresser la statistique, purement anthropologique par ses résultats, des
exemptions pour le service militaire dans les divers départements
français, ou d'établir les tables de mortalité (je
ne dis pas dénatalité, car ici l'exemple d'autrui intervient
puissamment pour restreindre ou stimuler la fécondité de la race...) (3).
Les esprits clairvoyants peuvent mesurer ainsi les conséquences très graves qu'entraîne la stérilité voulue des citoyens revêtus des fonctions publiques. Ils n'ont donc pu, il y a deux ans, qu'applaudir à la préoccupation qui avait guidé les rédacteurs de l'amendement à la loi de finances dont s'irritait si fort la Fédération des syndicats de fonctionnaires... Mais, à vrai dire, si on veut obtenir des résultats et faire que les agents des services publics ne reculent plus devant les charges familiales, il faut d'autres mesures, et plus opérantes. Chez eux, on ne peut pas compter sur les résultats de certaines modifications projetées dans notre droit successoral. Autant l'établissement de la liberté de tester peut agir utilement sur l'esprit et les habitudes des propriétaires ruraux, autant il serait vain d'en escompter quoi que ce soit en ce qui concerne les fonctionnaires. Evidemment, là comme ailleurs, la médication morale a son importance, mais ceci est une autre affaire ! S'il est permis d'invoquer des considérations tirées de l'intérêt national, comme semble l'autoriser la générosité avec laquelle les intellectuels ont versé leur sang pendant la guerre, cela ne saurait suffire, car dans une classé de travailleurs où les chances d'accroître ses revenus sont forcément très limitées, quelque soit l'esprit d'initiative ou l'activité dont-ils peuvent faire preuve, on arrivera toujours très vite au moment où les gens diront : Des enfants, j'en veux bien, mais ce n'est pas avec les quelques centaines de francs par an que m'alloue l'Etat lorsqu'il m'en vient un nouveau, que je pourrai élever un garçon ou une fille jusqu'à l'âge où je n'en sentirai plus la charge... — Il faut donc faire plus ! Il faut que le fonctionnaire trouve dans le traitement qu'il reçoit les moyens matériels de supporter le fardeau supplémentaire qu'entraîne la naissance de tout nouvel enfant. Il convient — et l'occasion est particulièrement favorable — de substituer aux maigres allocations familiales des majorations de traitements qui correspondent vraiment à leur objet. Déjà, au cours de la législature de 1914-1919, à l'heure où la Chambre allait procéder au réajustement des traitements, rendu inévitable par les progrès déjà considerables de la vie chère, MM. Landry, Honnorat et J.-L. Breton avaient fait décider en principe que la révision aurait lieu en prenant pour base essentielle les charges de la famiile pesant sur le contribuable... Par malheur, on était alors à la veille immédiate des élections : les députés qui auraient adopté le système proposé risquaient de mécontenter l'immense majorité des fonctionnaires. Finalement, le souci de l'intérêt national et de la justice passa une fois de plus après celui de la réélection : on accorda des augmentations dont le taux varia suivant les fonctrionaaires de 100 à 300 %, et pour les familles nombreuses le Parlement maintint sans changement les taux établis avant la revision des traitements ! Aujourd'hui où, de nouveau, la question se pose dans toute son ampleur, il serait lamentable que l'erreur de 1919 fût encore commise, et cette fois l'erreur n'aurait pas l'ombre d'une excuse : à tous égards, ce serait autant qu'une injustice, une très grosse faute. Ce que l'on doit souhaiter, c'est la suppression des indemnités de vie chère et des indemnités familiales, telles qu'elles fonctionnent actuellement. En leur lieu et place, il faut créer une indemnité familiale en prenant le traitement pour base. Ce serait, jusqu'à 5.000 francs, une majoration du 1/5 pour chaque enfant vivant, à partir du premier bien entendu. Cette majoration décroîtrait progressivement, pour n'être plus par exemple que d'un vingtième à partir de 30.000 francs. De plus, ces majorations ne seraient pas supprimées comme aujourd'hui à partir de 16 ans, mais subsisteraient aussi longtemps que l'enfant resterait à la charge de ses parents, sans pouvoir être maintenues au-delà de 21 ans. L'âge-limite de 16 ans paraît avoir été choisi, en effet, pour coïncider avec celui de la prolongation extrême des allocations aux familles nombreuses nécessiteuses instituées par la loi de 1913. Or le cas est différent : c'est au contraire lorsque les enfants deviennent des adolescents que la charge pèse plus lourdement sur les épaules du fonctionnaire sans fortune. Il est donc absurde de le frapper d'une véritable diminution de traitement. Si l'on approuve cette réduction, il faut être logique, et dire : ou bien le fonctionnaire devra renoncer à maintenir ses enfants au même niveau social que lui-même et les mettre au travail — manuel — dès l'âge de 13 ans, ou bien, s'il ne se résigne pas.à cette déchéance, il n'aura qu'à faire comme tout le monde et limiter sa descendance à un ou deux enfants au maximum. Il faut encore que toute survenance d'enfant fasse gagner au fonctionnaire une année pour l'avancement, à l'ancienneté, qu'à titre égal soit pour l'ancienneté soit pour le choix, la priorité soit accordée à celui qui a la famille la plus nombreuse, et qu'enfin les retenues pour la retraite soient appliquées aux majorations pour charges de famille, de manière à bonifier plus tard la pension d'une façon exactement proportionnelle (4). Ce n'est pas tout encore. Dans les villes, et surtout à Paris, un obstacle sérieux à ce que les ménages de fonctionnaires comptent beaucoup d'enfants est la difficulté de loger convenablement et sainement la famille nombreuse dont les ressources sont limitées : essayez donc d'avoir des enfants, lorsque, dans les immeubles à loyers modérés, la moindre pièce de 12 mètres carrés vaut 1.000 francs. Il est donc nécessaire que l'Etat intervienne ici également : le moyen le plus simple est la construction d'immeubles réservés aux familles de fonctionnaires d'au moins trois enfants— à titre onéreux, bien entendu, un peu à la manière des officiers ou autres fonctionnaires qui sont actuellement logés dans les bâtiments publics. En résumé, si l'on veut éviter que les agents des services publics continuent à aggraver le péril mortel de la dépopulation et par leur propre fait et par l'exemple qu'ils donnent à leurs concitoyens, il y a lieu d'édicter et mettre en vigueur sans retard un ensemble de mesures, un véritable système cohérent, simple mais complet, destiné à donner au fonctionnaire néo-malthusien l'impression, et même la conviction profonde que son camarade, qui consent à donner la vie à de nombreux enfants, acquiert désormais non seulement l'estime et la considération de ses chefs, mais aussi des avantages matériels dont nul ne peut faire fi. Est-ce à dire que du jour au lendemain, les moeurs se modifieront, et que les services publics deviendront tout de suite une pépinière de familles nombreuses ? Non, hélas ! pas plus ici qu'ailleurs, car ici comme ailleurs, le fait de mettre un enfant au monde, même chez les privilégiés de la fortune, est un acte de foi, — acte de foi dans la Providence, ou tout au moins dans la vie, Il faut croire à la vertu de l'effort, et savoir goûter, au surplus, les joies rudes du sacrifice. Ceci n'est pas donné à tous ! Mais le moins que l'Etat puisse faire, c'est d'aider et d'encourager ceux dont la virilité est intacte. NOTES : (1) On compte que pour 1'ensemble des familles franaises, celles qui sont composées de plus de 2 enfants sont dans la proportion d'un tiers — 30 à 33 %. (2) Page 128. (3) G de Tarde : Les Lois de l'imitation, 3e éd., pages 119-120. (4) Ce système nous parait plus équitable que celui qui a inspiré le 6e paragraphe de l'article 2 de la loi du 14 avril 1924, dite loi des Pensions. Celui-ci ne tient compte des enfants qu'à partir du 3e, et pratiquement — en raison de la limitation de la pension, dans tous les cas, aux 3/4 du traitement moyen — la progressivité s'arrête au 5e ou au 6e enfant. |