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Honneur à la liberté qui sur tous les théâtres de la capitale,
ressuscite le grand homme dont l'ombre seule effrayait le gouvernement
anti-national que la valeur des immortels enfans de Lutèce vient de
renverser.
Les destinées de Napoléon sont accomplies ; il n'est plus ! Cependant,
il est encore de ces hommes à qui la nature sembler n'avoir donné des
yeux que pour`ne point voir, qui demandent ce que deviendra sa mémoire ?
C'est en résumant ce que le vainqueur des Rois de l'Europe a fait de
grand, que nous répondons.
Il a quitté la terre, le guerrier étonnant qui disait à ses soldats, en
leur montrant les pyramides : «
Songez que du haut de ces
monumens,
quarante siècles nous contemplent ! ! »
C'est en vain que quelques détracteurs de sa gloire, dont les
assertions mensongères sont démenties par la voix du monde entier,
voudraient encore contester les talens militaires de Napoléon. Sans
affirmer avec tant de doctes écrivains, qu'il a surpassé Aléxandre et
César, admirant le génie du grand capitaine qui honora la France, nous
laissons à l'impartiale postérité le soin de confirmer le jugement des
contemporains, en nous bornant à retracer une esquisse des nombreux
exploits de l'homme du siècle. Nymphes de l'Adige et du Tagliamento,
les échos de vos rives rediront aux races futures que Napoléon a
conquis deux fois la superbe Italie ! que
la première conquête (1), procura à la France la paix, trente millions,
et les chefs-d’oeuvre immortels que l'invasion de 1815 nous a ravis.
Après avoir cueilli les palmes du Jourdain, il revint au bord de la
Seine écraser l'hydre dont les mille têtes menaçaient de dévorer la
France.
Nouvel Annibal, il a franchi le front glacé du
Saint-Bernard, pour
tomber comme la foudre sur l'ennemi surpris.
Napoléon a subjugué tous les états de l'Allemagne ; il a posé les
couronnes de Naples, d'Espagne, de Hollande et de Westphalie sur la
tête de ses frères ; après qu'il se fut placé lui-même, par son courage
sur le premier trône de l'univers ! Enfin, il a fait triompher les
enseignes de la France sur les bords de l'
Éridan, du
Tibre, du
Danube, du
Nil, du
Jourdain, de l'
Ebre, du
Tage, du
Rhin,
de l'
Oder
et de la
Moskova
; et toujours le premier, à la tête de
ses invincibles colonnes, il a combattu de sa personne dans
cinquante-sept batailles,
et ajouté vingt-trois départemens à
l'Empire Français.
Quelques personnes prétendent que Napoléon ne fut pas aussi grand
politique que grand guerrier ; cependant il a terrassé l'anarchie,
enchaîné la discorde, relevé les autels, fait taire toutes les
passions, ôté et donné des trônes, et forcé pendant quinze ans tous les
Rois de l'Europe à reconnaître sa puissance.
On lui reproche de grands torts, et l'on paraît assez généralement
persuadé que son ambition démesurée a causé sa perte. Mais quel est
l'homme qui, dans le haut rang où il était monté, pourrait gouverner
trente millions d'hommes sans qu'on lui adressât des reproches plus ou
moins fondés ? Quel, est le conquérant qui n'eût point d'ambition ?
Napoléon, disent les anciens partisans de la république, avait enchaîné
la liberté ; il gouverna à la manière des despotes. Le reproche est
spécieux. Mais à l'époque où il prit les rênes du gouvernement, il n'y
avait peut-être que ce moyen pour comprimer les partis toujours prêts à
s'entre-déchirer ; ailleurs le temps a prouvé que sans cette volonté
altière qui déconcerta plus d'une fois les projets de la malveillance,
son règne ne se fût pas prolongé au-delà de la première année.
Mais disent les royalistes, Napoléon avait usurpé le trône. La
révolution avait détruit la monarchie ; le trône était renversé ; ses
possesseurs, qu'ils appelaient légitimes, n'avaient point été
dépossédés par Napoléon. Il releva le trône pour lui, et peut-être sans
lui ne le serait-il pas encore. Napoléon ne doit donc point être
considéré comme usurpateur. Si, à la rigueur, on voulait lui appliquer
ce titre, il ne pourrait l'être qu'à l'époque des
cent jours,
puisqu'alors il avait solennellement abdiqué ; mais qui doute que cette
abdication ne fût qu'un sacrifice fait aux circonstances ?
On reproche à Napoléon le sang que sa passion des conquêtes a fait
couler. On oublie ou l'on feint d'oublier que ses ennemis vaincus, ne
remplissant jamais fidèlement les conditions que leur imposait la
victoire, le forçaient toujours a recommencer la guerre ; or, quelle
que fut son ambition, il n'est pas exact de dire qu'il a prodigué des
flots de sang pour le seul plaisir de faire des conquêtes : c'est au
malheur des temps encore plus qu'à lui, qu'il faut attribuer la mort de
tant de victimes, immolées à la politique des souverains ; mais
personne ne peut nier que Napoléon, en plaçant la France au premier
rang des nations, avait su la rendre florissante ; aucun de nos
vieillards ne pourrait dire qu'il a vu une époque plus brillante que
celle où la fille des Césars vint s'unir à l'empereur des Français.
Les ennemis de Napoléon l'accusent d'avoir, pour consolider sa
puissance, employé des moyens odieux et criminels.
Sans examiner jusqu'à quel point l'accusation est fondée, nous
répondons : l'intérêt des gouvernemens que l'on décore pompeusement du
nom de politiques, quelquefois même l'impérieuse nécessité de veiller à
leur propre conservation, commandent des mesures que la justice et
l'humanité réprouvent également, auxquelles, tout odieuses qu'elles
sont, des princes réputés bons ont trop souvent eu recours. Au surplus,
entouré de toutes les illusions du pouvoir et des basses adulations de
ses faux amis, Napoléon n'était pas un dieu ; en le plaçant au rang des
plus grands hommes, nous sommes loin de vouloir justifier toutes ses
actions ; mous croyons même que quelques-unes sont injustifiables.
Cependant ses détracteurs ne peuvent empêcher qu'on ne reconnaisse en
lui des vertus, au premier rang desquelles il faut placer la générosité
et la clémence. Né sait-on pas que c'est à la première que des
monarques vaincus et sans espoir ont dû la conservation de leurs
couronnes ? Ne sait-on pas qu'à diverses époques il pardonna et fit
grâce de la vie à plusieurs de ceux qui avaient conspiré contre la
sienne ? Hélas ! on sait aussi que la plus noire ingratitude arma de
nouveau contre lui ceux qu'il avait sauvés (2).
Après avoir étonné le monde pendant vingt ans, Napoléon est tombé par
un concours de circonstances telles que l'histoire, à aucune époque,
n'en présente de semblables. Le vainqueur des rois, le dominateur des
nations, vit les élémens conjurés arrêter tout à coup le cours de ses
triomphes ! La honteuse défection de ses alliés, dix-sept armées
marchant contre lui, et la déloyauté de plusieurs de ceux qu'il avait
comblés de biens et d'honneurs, achevèrent ce que les flammes de Moscou
et les frimats du nord avaient commencé.
Cependant Napoléon avec soixante mille braves, faibles débris de son
invincible armée, défendant pied à pied le sol de la patrie, tint
encore en échec, pendant trois mois, toutes les forces de l'Europe. La
campagne de France fut pour les guerriers français l'époque des
prodiges, et la trahison seule empêcha la destruction des Tartares que
les plaines de Saint-Denis, des Vertus et de Pantin devaient tous
engloutir.
Napoléon, voyant la capitale de son empire, ainsi que Lyon et Bordeaux,
livrée à l'ennemi, abdiqua pour ne point prolonger, peut-être
inutilement, l'effusion du sang humain.
Relégué dans une île de la Méditerranée, tout le inonde connaît les
causes qui, un an plus tard, le firent reparaître sur la grande scène
politique de l'Europe ; tout le monde sait que l'impéritie et la
mauvaise foi des Bourbons, en excitant le mécontentement général,
préparèrent son retour. Par un de ces événemens que la postérité aura
peine à croire, il sortit de son île accompagné seulement de huit cents
grenadiers de son invincible vieille garde ; et c'est avec cette faible
escorte qu'il parvint à se replacer sur le trône sans brûler une
amorce. Mais ses destins étaient changés sans retour ; la fortune
n'avait voulu le favoriser qu'un moment, et ce colosse formidable fut
définitivement brisé à
Waterloo
(3) où périrent les premiers soldats
du monde.
C'est alors que Napoléon, par une de ces résolutions que lui
seul était capable de prendre, après avoir abdiqué la suprême puissance
une seconde fois, alla se livrer à ses plus cruels ennemis. Il croyait
les trouver grands et généreux, il se trompa. Loin de lui permettre de
se reposer sur le sol britannique, on le priva de sa liberté, et le
héros malheureux fut conduit sur le rocher brûlant qui devait lui
servir de tombeau.
Depuis cette époque, Napoléon, prisonnier dans une île au sein des mers
de l'Afrique, ne devait plus inspirer aucune crainte ; il était mort
civilement, mais le souvenir de ce qu'il avait été ne pouvait pas
mourir. Tant de choses parlent pour lui à l'oreille, aux yeux et à la
pensée ! ! ! Le
Code
civil de la France, adopté presque généralement
par tous les peuples de l'Europe, suffirait pour immortaliser son nom,
s'il n'avait tant d'autres droits à l'admiration des mortels. Napoléon
protégea les arts, encouragea les savans, et fut lui-même jugé digne
d'être admis pariai eux en qualité de membre de l’Institut.
Le nombre des travaux exécutés pendant le cours de son règne est
immense. Nous ne citerons que les principaux. On lui doit la belle
route du Simplon, la fondation d’une ville dans la Vendée, la
confection du port de Cherbourg, les grands travaux exécutés à
Dunkerque et à Anvers, les nombreux embellissemens de Lyon et de
Bordeaux, plusieurs canaux rendus navigables, etc,
Il a fondé l’ordre de la Légion d'honneur, la Maison dés orphelines de
cette Légion, l'
École
polytechnique et l'École mi1itaire de
Saint-Cyr. C'est aussi à Napoléon qu'on doit la première exposition des
produits de l'industrie française, ordonnée par un arrêté du 13 ventôse
an 9 (4 mars 1801), et les médailles d'or, accordées à titre
d'encouragement aux fabricans et aux chefs de manufactures.
Les monumens qu'il a fait exécuter ou dont il a ordonné la construction
dans Paris, sont deux arcs de triomphe, deux temples, quatre palais,
dix marchés, quatorze fontaines monumentales, soixante d'une moindre
grandeur destinées à l'arrosement des principales rues, des abattoirs
publics, des abreuvoirs, le bassin de la Villette, quatre ponts, des
quais magnifiques, des aqueducs, des greniers d'abondance, la superbe
colonne de la place Vendôme, faite avec les canons d'Austerlitz ; celle
de la place du Châtelet, qui retrace aussi nos victoires ; la
restauration du Luxembourg, celle de la porte Saint-Denis et
l'achèvement du Louvre.
A Saint-Denis il a fait élever des autels expiatoires aux trois races
de rois dont, pendant la révolution, on avait profané les tombeaux.
Napoléon a fait abattre la colonne de Rosbach, élevée pour perpétuer le
souvenir d'une défaite des Français ; il a reconquis en Espagne, l'épée
de François Ier, rendue par ce monarque lorsqu’on le fit prisonnier à
Pavie. La prise de Berlin le mit en possession de celle du grand
Frédéric, et l'épée de Thomas Kouli-Kan fut déposée à ses pieds par des
ambassadeurs de Perse.
Voilà ce que fit celui à qui le successeur des Césars donna sa fille,
celui que le chef de l'Eglise était venu couronner, celui, enfin que
les rois avaient consenti de nommer leur frère ! Banni de sa patrie,
loin de son épouse et de son fils bien-aimé, Napoléon n'a point cessé
d'être grand dans son malheur. Il est mort en faisant des voeux pour la
France, en tournant ses regards vers elle. Et ce qui prouve qu'il ne
fut point méchant, c'est que des amis, dont l'antiquité n'offre point
le modèle, s'étant volontairement attachés à sa mauvaise fortune, ont
recueilli ses derniers soupirs.
Mais quoi ! le règne d'un prince ami de
la gloire nationale, des législateurs prévenus ou timides, ont repoussé
du Panthéon français les cendres du grand Napoléon ! Espérons qu'elles
n'en seront point exclues (4) sans retour ; en attendant le jour de son
apothéose, celui qui le premier salua la nation du nom de grande, est
au Panthéon de l'histoire, dont l'envie et la haine ne peuvent arracher
les pages immortelles.
NOTES
:
(1) Pour faire cette conquête il détruisit successivement, avec une
armée qui d'abord manquait de tout, cinq armées disciplinées,
commandées par les meilleurs généraux de l'Europe. Il avait alors
vingt-six ans.
(2)De ce nombre est Polignac, l’un des coopérateurs de la machine
infernale du 3 nivose, et l'un des complices de Georges Cadoudal et de
Pichegru.
(3) On sait que la trahison ne fut pas étrangère à ce grand désastre.
(4) Ce n'est point du Panthéon que les cendres de Napoléon ont été
exclues ; mais s'opposer à ce quelles reposassent sous la colonne qui
retrace notre gloire et la sienne, nous semble l'équivalent de
l'exclusion du Panthéon.