La vraie philosophie est de voir les choses telles
qu’elles sont ; le sentiment intérieur serait toujours
d’accord avec cette philosophie s’il n’était perverti
par les illusions de
l’imagination. BUFFON.
A Monsieur Francisque Sarcey.
I
Vous n’êtes pas heureux quand vous parlez musique, monsieur et
très-honoré confrère. Vous la comprenez mal. Il est vrai que vous
l’avez apprise sur le tard, par la méthode Chevé.
Il y a quelques semaines, vous écriviez un article sur les orphéons
dont les conclusions étaient celles-ci :
1° Les orphéonistes ne se réunissent que pour aller au cabaret, ce qui
est très-fâcheux ;
2° Il ne faut pas dire du mal du cabaret, c’est une excellente chose.
Aujourd’hui (1er juin) vous prenez votre plume de Tolède - un peu
émoussée peut-être par des assauts quotidiens - pour nous dire que
seuls les philosophes sont capables de comprendre la valeur d’une
méthode de solfége, et que les musiciens, compositeurs et professeurs
n’y entendent absolument rien.
Courage ! vous tenez le filon d’une veine de gaieté inépuisable.
Demain vous nous prouverez que les professeurs de solfége sont seuls
capables d’enseigner la philosophie, et que les philosophes n’y
comprennent rien. A quoi pensait donc Beaumarchais lorsqu’il dit
ironiquement : « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui
l’obtint ? »
C’est, en effet, d’après votre philosophie, un danseur qui doit faire
autorité quand il s’agit de calcul.
Vous êtes philosophe, et vous prenez soin de le déclarer, monsieur et
très-honoré confrère. Je vous en fais mon compliment, bien que Mme du
Deffant, - philosophe, elle aussi, - ait dit avec beaucoup de
délicatesse : « Soyez assez philosophe pour vous soucier peu de le
paraître. » Mais nous appartenons à une époque où il faut louer ses
propres qualités, et vous vous conformez à la règle. Donc, vous êtes
philosophe, et sans nous apprendre si vous appartenez à l’école
ionique, italique, éléatique, atomistique, sophistique, cyrénaïque,
aristotélicienne, platonicienne, stoïcienne, épicurienne, sceptique,
éclectique ou empirique, vous vous décernez un brevet de sagesse et
dites modestement : « M. Ambroise Thomas est moins apte que je ne le
serais à juger la question et à la décider. » (
Il s’agit de
l’enseignement du solfége.)
En lisant cet aveu, je ne dissimule pas avoir éprouvé un doux accès
d’hilarité.
Pourriez-vous seulement nous dire au juste ce qu’est la philosophie ?
Schelling la définit la science de l’absolu. Hégel veut que ce soit la
science de la raison par les idées. Cicéron dit que c’est la science
des choses divines et humaines. D’autres la donnent comme la
connaissance des choses par les causes et leurs effets, et Fichte,
entrant dans le détail, écrit que la philosophie est la science des
raisons de nos opinions, de nos conjectures et de nos convictions sur
nous-mêmes et sur tout ce qui est en rapport avec nous. On serait tenté
de croire, en lisant votre article du
Gaulois, intitulé
Musiciens et
Philosophes, que vous avez défini la philosophie : La connaissance du
solfége par le chiffre.
II
Quoiqu’il en soit, c’est la philosophie qui, d’après vous, doit être la
première et la plus indispensable étude pour tout musicien qui prétend
s’élever à la dignité de professeur de solfége. J’imagine la petite
scène suivante entre un professeur de musique qui aspire à tenir une
classe de solfége au Conservatoire et le directeur de cet établissement.
- J’ai appris, monsieur le directeur, qu’une place de professeur de
musique élémentaire était vacante au Conservatoire, et je viens vous
proposer mes services.
- Fort bien, monsieur, quels sont vos titres ?
- Je suis, monsieur, lauréat de l’école.
- Quelle école ? Idéaliste, kantienne, écossaise, sensualiste,
cartésienne ?
- Non, monsieur, du Conservatoire.
- Bagatelle, quand il s’agit d’enseigner le solfége. Après ?
- A ma sortie du Conservatoire, j’ai suivi la carrière du professorat
et j’ai aujourd’hui vingt-cinq ans d’expérience.
- L’expérience en fait d’enseignement ne signifie rien du tout.
- Par exemple !
- Non, rien ; car ce sont les théories philosophiques, si sûres, comme
chacun sait, qui seules peuvent faire reconnaître si un élève chante
faux ou juste, et s’il bat correctement la mesure. C’est la philosophie
aussi, et non point l’expérience ni les études spéciales, qui doit
guider le professeur dans le choix des moyens à employer pour permettre
à ses élèves d’atteindre ce but glorieux, solfier !
- Vous m’étonnez.
- C’est comme j’ai l’honneur de vous dire. Êtes-vous philosophe ? Tout
est là. Votre prix du Conservatoire et vos vingt-cinq années
d’expérience du professorat ne vous nuiront pas dans mon opinion, tant
je suis bienveillant, si pour occuper la place de professeur de
solfége, vous vous montrez philosophe distingué, comme M. Francisque
Sarcey, par exemple. Voilà un professeur de solfége qui me conviendrait
à merveille, car il est philosophe, lui, et il n’est point professeur
de musique.
- Monsieur le directeur veut rire, je pense ?
- Je ne ris jamais. Voyons, avez-vous approfondi Bacon ? Condillac
est-il votre homme ? Pensez-vous avec Descartes que le cheval soit un
automate qui ne sente pas les coups de fouet que lui administre le
charretier ? Spinosa fait-il frissonner d’épouvante votre âme
immortelle ? Et Leibnitz, quel effet vous produit-il ? Parlez,
croyez-vous que la suprême sagesse et le suprême sentiment d’une
méthode de solfége ait pu toucher à la folie chez l’immortel buveur de
ciguë ? Causons d’Aristote et de sa docte cabale, et veuillez
m’expliquer clairement les attributions du moi et du non-moi, du
subjectif et de l’objectif.
- Mais, monsieur, la philosophie n’est pas la musique et la musique
n’est pas la philosophie.
- C’est le contraire, monsieur. Le solfége est la science de la raison
humaine, et la philosophie est l’art de combiner les sons d’une manière
agréable à l’oreille.
III
Mais parlons sérieusement. En défendant contre les musiciens, et pour
glorifier la philosophie, une méthode de musique dont l’essai se fait
depuis trente-cinq ans déjà sans résultat décisif en sa faveur (1),
vous plaidez une mauvaise cause, monsieur et très-honoré confrère. Vous
aurez beau jongler avec des paradoxes, vous ne ferez pas que les hommes
compétents ne le soient pas sur les objets de leur compétence, et vous
ne persuaderez jamais les gens sensés que les professeurs de musique ne
sachent pas mieux que les simples philosophes, discerner ce qui est bon
ou mauvais pour hâter le progrès des élèves et les maintenir dans la
bonne voie de leurs études musicales.
Écrivez tant qu’il vous plaira en l’honneur de la philosophie contre
les musiciens - qui ne sont pas si dépourvus de philosophie que vous le
pensez (2), - vous n’aurez rien fait pour la notation en chiffres et la
langue modale, tant que les médecins seront consultés sur les maladies,
les astronomes sur l’astronomie, les chimistes sur la chimie, les
marins sur la marine, les journalistes sur les journaux, les cuisiniers
sur la cuisine et les professeurs de solfége sur le solfége.
Croyez-vous bonnement, avec votre philosophie, avoir seul raison contre
tous les musiciens du monde entier sur une question d’enseignement
élémentaire de l’art ? Comment ne vous êtes-vous pas dit que ce
système, qui fait votre admiration comme philosophe, devait cacher
quelque vice radical au point de vue purement musical, puisque tous les
compositeurs d’Europe et d’Amérique, tous les professeurs et critiques
compétents, à très-peu d’exception près, l’ont condamné hautement ? Si
la méthode Chevé n’était ni bonne ni mauvaise, si elle était simplement
nulle, appliquée à l’enseignement d’enfants destinés à devenir
artistes, peut-être, quant à moi, ne me serais-je pas opposé à son
introduction dans notre école nationale ; mais elle est dangereuse,
empirique, absolument contraire, par ses bases fondamentales, à toute
doctrine scientifique, à toute bonne éducation de l’oreille, et toute
considération de personne devait s’effacer devant les considérations
d’intérêt général, qui sont l’honneur même de l’école.
Je sais qu’il n’est pas pire sourd que le philosophe qui ne veut pas
entendre ; cependant je veux essayer de vous convaincre des dangers, au
Conservatoire, d’un système qui a été conçu dans le but unique de
mettre les masses, - les organisations ordinaires, suivant l’expression
de M. Chevé lui-même, - à même de lire dans le moins de temps possible
une partie dans un choeur, en escamotant toutes les difficultés
inhérentes à la tonalité, à la modulation. M. Chevé a pensé qu’il
valait mieux pour un ouvrier qui n’a qu’une demi-heure à consacrer par
semaine à l’étude de la musique, l’apprendre ainsi que ne pas
l’apprendre du tout.
Il aurait eu grandement raison de raisonner ainsi si la musique était
aussi difficile à apprendre qu’il l’a dit dans ses nombreux écrits, et
si les
douze cent mille orphéonistes qui chantent dans toute l’Europe
et en Amérique pour se récréer, n’avaient très-aisément surmonté les
difficultés de l’
affreux grimoire, comme pour lui prouver son erreur.
IV
La méthode Galin-Pâris-Chevé a pour bases fondamentales la notation par
chiffres et le système des soudures dont l’objet est de reporter tous
les tons majeurs au seul ton d’
ut, et tous les tons mineurs au seul
ton de
la.
La notation par chiffres est très-ancienne, et l’idée de solfier toute
la musique en
ut ou en
la n’est pas nouvelle. Le temps et
l’expérience des praticiens ont fait justice de ces moyens insuffisants
ou vicieux. La première idée des chiffres pour représenter les notes de
la musique appartient au père Souhaitty, si elle n’est de l’Espagnol
Uloa. J.J. Rousseau s’empara de cette idée, et perdit plusieurs années
de sa vie à composer au système d’écriture chiffrée très-ingénieux et
très-inutile, que Galin n’a fait que modifier légèrement. Rousseau crut
avoir enfanté un chef-d’oeuvre, jusqu’au jour où un musicien pratique
mit en quelques mots cette belle théorie à néant. Il faut lire et
relire dans les
Confessions comment Rameau opéra ce miracle
merveilleux entre tous de prouver à un inventeur de système que son
système ne vaut rien. Ce passage est en faveur de Rousseau autant et
plus que de Rameau, et la conclusion qui s’y trouve en forme de
moralité n’a rien perdu de sa valeur. Elle semble écrite d’hier.
Veuillez en juger, monsieur Francisque Sarcey :
« J’eus lieu de remarquer, dit le philosophe genevois (un philosophe
qui ne pensait pas comme mon très-honoré confrère, rédacteur du
Gaulois), combien la connaissance
unique mais profonde de la chose
est préférable, pour en bien juger, à toutes les lumières que donne la
culture des sciences lorsqu’on n’y a point joint l’étude particulière
de celle dont il s’agit ; la seule objection
solide qu’il y eût à
faire à mon système y fut faite par Rameau. A peine le lui eus-je
expliqué, qu’il en vit le côté faible.
» Vos signes, dit-il, sont très-bons en ce qu’ils représentent
nettement les intervalles et montrent toujours le simple dans le
redoublé ; mais
ils sont mauvais en ce qu’ils exigent, pour chaque
intervalle, une opération de l’esprit qui ne peut suivre la rapidité de
l’exécution.
» La position de nos notes, continua-t-il, se peint à l’oeil
sans le concours de cette opération. Si deux notes, l’une très-haute,
l’autre très-basse, sont jointes par une tirade de notes
intermédiaires, je vois du premier coup d’oeil que l’une est jointe à
l’autre par degrés conjoints ; mais, pour m’assurer chez vous de cette
tirade, il faut nécessairement que j’épelle tous vos chiffres l’un
après l’autre, le coup d’oeil ne peut suppléer à rien. L’objection me
parut sans réplique et j’en convins à l’instant.
» Quoiqu’elle soit simple et frappante, il n’y a qu’une grande pratique
de l’art qui puisse la suggérer ; et il n’est pas étonnant qu’elle ne
soit venue à aucun académicien ; mais il l’est que tous ces grands
savants, qui savent tant de choses, sachent si peu que chacun ne
devrait juger que de son métier. »
Eh bien ! monsieur Sarcey, qu’en dites-vous ? J’aurais pu, il me
semble, pour vous répondre, me borner à citer cet excellent passage
d’un véritable philosophe, celui-là ; mais puisque le vin est tiré, il
faut le boire. Buvons donc sans trop faire la grimace.
Après la condamnation du chiffre comme notation par l’inventeur même de
cette notation, Galin, qui la reprend, avoue que c’est de
pure
fantaisie qu’il enseigne cette notation à ses élèves,
sans prétendre
la substituer à l’écriture vulgaire.
Mais comme simple moyen pédagogique, les chiffres ont de graves
inconvénients, et je veux laisser parler à ce sujet l’élève le plus
distingué de Galin et son continuateur, Edouard Jue, l’inventeur de
l’alphabet monogamique.
« Si l’emploi des chiffres comme notation a l’avantage de réduire
l’étude à une seule gamme (
nous allons voir que cet avantage est une
monstruosité musicale), il a, d’un autre côté, le grave inconvénient
de ne point conduire à la lecture familière de la portée, et même d’en
éloigner étrangement par leur incompatibilité et par le secours qu’ils
offrent à la
paresse… Les chiffres tournent la difficulté sans la
renverser ; ils font ressortir les inconvénients du système reçu, mais
ils n’enseignent point à s’en accommoder, et c’est pourtant là qu’est
la question, puisqu’il est impossible de s’y soustraire, quelque habile
qu’on soit d’ailleurs. »
Il y a longtemps que les musiciens savent cela ; mais je parle à des
philosophes, et il me faut insister pour prouver l’évidence.
Absolument impraticable pour les instruments, cette notation ne peut
trouver son emploi que pour la voix humaine, à deux conditions
toutefois : que le chant ne sera pas fleuri, et qu’il ne modulera pas
ou qu’il modulera peu. Le chiffre n’est pas seulement un moyen
pédagogique dans la méthode de Galin-Pâris-Chevé, c’est une notation
complète que MM. Chevé et Pâris préconisent comme excellente, et qu’ils
espèrent bien voir triompher du
grimoire ; car si M. Chevé confesse
dans sa 38e lettre sur la musique, publiée dans
le Franc-Juge, que le
chiffre a une supériorité immense sur la portée quand il s’agit
d’écrire pour les voix, - mais qu’il est absolument mauvais pour les
instruments, - il se ravise dans sa brochure
la Routine et le Bon
Sens, et dit, pages 41 et 43, que le chiffre peut rendre toutes les
complications d’une partition d’opéra.
Quel livre de banque, quel tableau de logarithmes ! Mais écoutons
parler MM. Chevé et Pâris, puisqu’il a été question de leur ouvrir les
portes du Conservatoire.
« Jamais, écrit M. Chevé, on n’abandonnera la cause du système chiffré
! On a tiré l’épée ! On en a jeté au vent le fourreau. C’est fatal !
Nous l’avons voulu ! »
De son côté, M. Aimé Pâris ayant été mis en demeure par M. le comte de
Morny de prouver que les élèves de M. Chevé lisaient sur la portée,
répondit :
« Non, monsieur le comte, nous ne voulons pas de la portée, nous
repoussons la portée. »
Serait-ce, par hasard, que M. Pâris croyait les élèves de la méthode
incapables de lire sur la portée ? C’est possible, mais comment
concilier cette crainte avec l’affirmation suivante, qu’on peut lire à
la page 30 de la brochure de M. Chevé intitulée :
Coup de grâce à la
routine musicale ? « Nos élèves savent lire sur la portée, sur toutes
les clefs, avec un nombre quelconque de dièses ou de bémols, mieux que
ne sauraient le faire tous les élèves, tous les professeurs et tous les
directeurs de conservatoires, M. Aubert en tête. »
Voilà, je pense, qui est concluant : c’est la notation chiffrée se
substituant, au moins pour le chant, à la notation ordinaire sur la
portée. Le Conservatoire, je le demande aux plus savants philosophes
eux-mêmes, pouvait-il tolérer qu’on vînt dans ses classes prêcher une
semblable réforme, qui aurait fait la risée de toute l’Europe musicale ?
V
Le Conservatoire de Paris a été jusqu’à présent et doit continuer
d’être l’asile inviolable de la science honnête, sûre, indiscutable.
C’est quand l’art se vulgarise chaque jour davantage, et que pour
beaucoup il est devenu misérablement l’objet d’une spéculation
mercantile, qu’il faut craindre l’abaissement du niveau des études un
peu partout, et par suite la diminution des compositeurs, des
chanteurs, des instrumentistes et des professeurs dignes du nom
d’artiste.
Notre École nationale de musique n’a donc pas et ne saurait avoir pour
but de fournir régulièrement de nombreux musiciens de pacotille ; c’est
à diriger les élèves doués de sérieuses dispositions dans la voie
régulière, austère même de l’art, qui n’est jamais une voie facile et
prompte, que doit s’attacher le Conservatoire. Il faut laisser à
certains amateurs, hommes du monde, le privilége de composer de la
musique suivant certains procédés, après quinze jours de leçon. Le
Conservatoire, lui, devra, je crois, s’estimer toujours heureux de
former des compositeurs en plusieurs années d’un travail assidu et même
opiniâtre. N’oublions pas que Cherubini, septuagénaire, écrivait
régulièrement des leçons de contre-point. Il avait, disait-il, peur de
l’oublier. Est-ce qu’on pourra jamais trouver des méthodes pour
dispenser du travail dans un art de cette difficulté ?
Aussi qu’elle n’a pas été la stupéfaction des musiciens en lisant, dans
le compte rendu d’une séance du Corps législatif, ces paroles du plus
illustre de nos orateurs, peut-être, et aussi grandement estimé par la
loyauté de son caractère que par son admirable talent :
« Des savants, a dit M. Jules Favre, ont, dans ces derniers temps,
inventé des méthodes pour rendre facile la composition ; j’ai été
moi-même témoin de résultats concluants : des personnes dénuées de
toute notion de musique sont parvenues, au bout de quinze jours, à
composer des airs. » (Mouvements divers.)
Et voilà comment les esprits les plus éminents peuvent se laisser
prendre aux apparences et tomber dans l’enfantillage, quand ils ont
l’imprudence de juger en maîtres de matières spéciales auxquelles ils
sont étrangers. Qu’aurait pensé M. Jules Favre dans cette discussion
qui avait, comme aujourd’hui, le Conservatoire pour objet, si, après
les paroles que je viens de citer, un député, compositeur de musique,
parlant de nos écoles de droit, sans être ni avocat ni orateur, avait
annoncé solennellement à la Chambre la nouvelle suivante :
« Des savants ont dans ces derniers temps inventé des méthodes pour
rendre facile la connaissance du droit et l’éloquence ; j’ai été
moi-même témoin de résultats concluants : des personnes dénuées de
toute notion de grammaire sont parvenues, au bout de quinze jours, à
composer des discours sur la jurisprudence. »
On aurait ri, sans doute, d’une semblable naïveté. Eh bien, il n’est
pas plus facile de composer de bonne musique que d’écrire ou de
prononcer de bons discours ; et quant aux compositions puériles,
ridicules, niaises, comme en peuvent produire, par un procédé
quelconque des ignorants en musique, ils ne méritent pas plus que les
discours du même genre qu’on cherche à en propager le nombre en
recommandant les méthodes qui en donnent la clef.
Que le Conservatoire ne serve jamais de théâtre complaisant aux
expériences des innovateurs. Le progrès dans les arts s’impose, il ne
se décrète pas. Sa puissance, toute son action, sont en lui-même, quand
il lui est possible de se manifester librement. En musique comme en
toute autre chose, c’est de la liberté qu’il faut attendre la
manifestation du progrès et sa consécration.
Mais il y a deux sortes de progrès comme il y a deux sortes de vérités,
d’après Beaumarchais. Il y a le vrai progrès et le progrès faux. Il
serait aussi impossible d’arrêter le premier au seuil de la porte du
Conservatoire qu’il serait vain ou dangereux d’y accueillir
complaisamment le second. Que dans les États gouvernés despotiquement
le bon plaisir du chef ordonne de suivre ce qu’il croit ou voudrait
faire croire être le progrès, il n’y a rien à dire, bien que le
despotisme et le progrès marchent rarement ensemble ; mais dans les
États où règne la liberté, le temps, qui, d’après une maxime du duc de
Lévis, use le mensonge et polit la vérité, le temps seul doit imposer
le progrès, comme tout progrès réel s’impose, doucement, sûrement, sans
tyrannie aucune, et par la seule force des choses.
On l’a dit et il faut le répéter, pour un inventeur de génie, cinq
cents fous, mille vaniteux impuissants et dix mille dupes des fous et
des vaniteux.
La tradition des grands maîtres dans leurs oeuvres et dans
l’enseignement qu’ils ont suivi, voilà pour le Conservatoire la loi et
les prophètes. Qu’il nous donne, s’il se peut, en collaboration avec la
nature, des compositeurs de génie, des chanteurs accomplis ; son devoir
rigide, sa raison d’être, est de maintenir au milieu de toutes les
théories dissolvantes qui se produisent, de toute la chétive et
misérable musique qui s’imprime chaque jour, de tous les spéculateurs
en doubles croches qui font des miracles à prix fixe, un niveau musical
élevé, en fournissant de bons chanteurs pour nos théâtres, de bon
exécutants pour nos orchestres, des virtuoses hors ligne, si c’est
possible, et des professeurs qui, en sortant de l’école, iront à leur
tour dans les différentes villes de France propager et entretenir les
bonnes traditions.
VI
Je me résume. Les dangers de l’introduction du chiffre au Conservatoire
seraient, les faits le prouvent surabondamment :
1° D’éloigner les élèves de la lecture ordinaire sur la portée, qui est
la seule lecture utile ;
2° De tourner les difficultés sans les renverser, en apportant un
aliment à la paresse : Édouard Jue nous l’a dit ;
3° D’entretenir au sein de l’école un véritable schisme musical, quand
la notation vulgaire jouit de cet avantage immense d’être une seule et
même écriture pour les musiciens de tous les pays, applicable à tous
les instruments, et si merveilleusement imaginée dans ses parties
essentielles, que, malgré certains défauts de détail qu’on pourra
corriger quand on le voudra, elle se plie à toutes les exigences de
l’art et permet de lire d’un coup d’oeil la partition d’orchestre la
plus compliquée.
Je passe, car le temps presse et mon papier devient rare, au système
des soudures qui a pour objet de reporter tous les tons majeurs au seul
ton d’
ut et tous les tons mineurs au seul ton de
la.
Ce système est encore, à mon sens, bien autrement anti-musical que la
notation par le chiffre, qui pourtant ne vaut rien. Ah ! si j’ose me
montrer aussi affirmatif, c’est que je ne me suis pas borné à apprendre
la musique dans les livres, ni même au Conservatoire ; c’est que je
l’ai enseignée aux autres pendant quinze ans de ma vie, ce qui est en
réalité la seule manière d’achever de l’apprendre soi-même.
Croyez-le bien, monsieur et très-honoré confrère, ce système qui
constitue presque tout le mérite de la méthode Chevé, en réduisant à
une tonique mineure toutes les toniques majeures et les toniques
mineures de la notation usuelle, est de tous les faux progrès que je
connaisse le plus intolérable, le plus dangereux, le plus inadmissible.
C’est un masque trompeur de l’oreille par les yeux, un mensonge, un
trouble, un chaos, le contraire de l’éducation musicale de l’ouïe.
J’espère rendre en peu de mots cette vérité saisissable pour tous.
VII
Plus que jamais, aujourd’hui la musique est faite de modulations ; Il
est donc indispensable que de bonne heure l’élève s’applique à
comprendre le rapport des modulations entre elles, qu’il en saisisse
les lois, qu’il en suive l’enchaînement en contrôlant les impressions
de son oreille par le témoignage de ses yeux, lisant ce qu’il écoute,
voyant ce qu’il entend. Comment pourra-t-il faire cette éducation si
indispensable de l’oreille, comment pourra-t-il exercer ce contrôle de
l’ouïe par la vue, si la notation
ment à la musique, et qu’au lieu de
noter fidèlement les divers jalons de la route en les appelant par leur
nom, elle les dissimule sous une dénomination invariable ?
Si je suis en
ut, d’après le diapason, et que d’
ut je passe en
la
bémol, l’écriture ordinaire, l’
affreux grimoire me dit que je suis en
la bémol ; mais le système des soudures apportant son masque
mensonger couvre cette nouvelle tonique du nom de l’ancienne, et je
suis encore en
ut. Mon oreille aura beau se révolter, il me faudra
dire
ut quand j’entendrai
la bémol. Si de cette dernière tonique je
passe par l’enharmonique en
mi majeur, la méthode Chevé me dit que je
suis encore en
ut. Je vais de
mi en
sol ; ce
sol est encore
ut. Enfin, si, par un enchaînement de modulations savantes, je
parcours tous les degrés de l’échelle en faisant de chacun d’eux une
tonique, c’est
ut, toujours, de manière que
ut, ré, mi, fa, sol, la,
si, ut, je les appellerai
ut, ut, ut, ut, ut, ut, ut, ut.
Philosophes, c’est à vous que je m’adresse : comment, avec une écriture
contre laquelle proteste mon oreille, pourrai-je analyser ce que je
crois sentir, étudier la route parcourue, développer mon instinct
musical, acquérir cette mémoire de l’ouïe qui fait que le musicien
donne à la note qu’il entend son véritable nom, et qu’il lui assigne
dans l’harmonie son rôle véritable ? Est-ce avec de semblables moyens
qu’on forme des artistes ?
L’empirisme de la méthode Chevé est plus choquant encore en ce qui
concerne le mode mineur. Dans le mode majeur, c’est le n° 1 qui indique
la tonique, et c’est le n° 5 qui indique la dominante ; c’est
rationnel. Mais, dans le mode mineur, c’est le n° 6 qui indique la
première note de la gamme et c’est le n° 3 qui indique la 5e. Ne
dirait-on pas vraiment que cette notation a été inventée par des gens
pour qui le mode mineur n’existe pas, et qui avaient oublié qu’on
modulât en musique.
Quand un élève du Conservatoire entend et voit qu’il chante en
ut
mineur, en
ré mineur, en
mi mineur, en
fa mineur,
etc., l’élève
de M. Chevé a perdu le sentiment de ce parcours harmonique et se croit
toujours en
la qu’il chiffre par un 6, lequel ne répond à rien.
Mais, disent les partisans de l’école Chevé, - les philosophes, - il
n’y a pas de ton absolu ; dès lors qu’importe qu’on appelle ut ou la toutes les toniques majeures ou mineures ?
A la bonne heure, mais il y a un point de départ conventionnel qui est
le diapason, et ce point de départ une fois donné, toutes les notes de
l’échelle des sons se fixent invariables, comme une échelle numérique.
Bien que entre 1 et 2, par exemple, il y ait les mêmes rapports de
proportion qu’entre 6 et 7, 1 n’est pas 6, et 2 n’est pas 7, et il ne
faut pas, quand je suis à 7 pour l’oreille, que je lise ou que j’écrive
2.
VIII
Veuillez me croire, monsieur et très-honoré philosophe, et me pardonner
si j’insiste sur ce point : les méthodes merveilleuses n’ont fait et ne
feront merveille que parmi les amateurs, heureux de tout apprendre sans
rien étudier. Les artistes, eux, ne croient point à ces méthodes. Ils
savent, par expérience, que les moyens expéditifs, dans les arts comme
dans les sciences, sont toujours des moyens illusoires ; que tôt ou
tard il faudra aborder les difficultés qu’on aura momentanément
écartées, et que rien de bon, de sincère, de durable, n’est possible
sans la collaboration du temps, ce suprême professeur.
Les classes de solfége au Conservatoire n’ont cessé de faire
l’admiration des maîtres français et étrangers qui ont eu occasion de
les suivre, d’en étudier le véritable esprit et d’en constater les
effets. Mendelssohn, entre autres, - dont l’hostilité pour tout ce qui
tient à la musique en France perce dans ses écrits, - Mendelssohn n’a
pu dissimuler sa vive satisfaction de la manière dont on étudie le
solfége à notre École nationale de musique. Chaque année, en effet, des
concours mettent en présence des légions d’enfants de dix à douze ans
qui lisent avec l’aplomb de vieux musiciens des leçons de solfége où se
trouvent entassées toutes les difficultés de la lecture musicale :
difficultés d’intonation, difficultés de rhythme, difficultés de
mesure, changements subits de clefs, modulations enharmoniques, etc.
Rien ne manque à ces leçons écrites pour la circonstance, pas même le
charme de la mélodie, car elles sont signées de M. Auber. Comment, je
me le demande, et je le demande aux philosophes, de si méchants
procédés d’instruction musicale élémentaire ont-ils pu donner jusqu’ici
de si nombreux et si excellents résultats ? Ne faut-il donc plus juger
l’arbre à ses fruits ?
Certes, si l’on pouvait croire notre école de musique à l’abri d’un
reproche, c’est bien celui d’avoir conservé intactes les traditions des
maîtres illustres qui ont écrit les solféges d’Italie et les solféges
du Conservatoire. En apprenant à lire dans ces livres, que les
inventeurs de nouveaux systèmes ne parviendront jamais à déconsidérer
aux yeux de tout musicien instruit et impartial, les élèves
n’apprennent pas seulement à lire : ils se forment le goût, s’infusent
en quelque sorte le beau style classique, et ce commencement
d’éducation musicale détermine souvent leur vocation en les
préparant, mieux que par les raisonnements des docteurs, à entrer dans
le vif du sentiment musical qui est tout l’artiste.
IX
En vérité, je croirais faire injure à M. Sarcey lui-même si j’insistais
davantage sur les inconvénients de la notation par chiffres et de la
langue module, pour servir de bases aux sérieuses études que tout élève
du Conservatoire doit recevoir dans cet établissement. Du reste, des
hommes dont l’opinion fait autorité en matière musicale, des
compositeurs illustres, des théoriciens savants, des professeurs
expérimentés, ont depuis longtemps réfuté victorieusement
l’enseignement mis en question aujourd’hui dans une brochure intitulée
modestement :
Observations de quelques musiciens et
de quelques
amateurs sur la méthode de musique par M. le docteur Chevé.
Ces quelques musiciens et ces quelques amateurs se nomment Auber,
Carafa, Clapisson, Ermel, Foucher, Gide, Gounod, Halévy, Verdi, Jomard,
le général Mellinet, Monnais, Niedermeyer, Rodrigues, Ambroise Thomas,
Varcollier, Berlioz, Dietsch, Georges Kastner, d’Ortigue, Bazin,
Pasdeloup.
A côté de ces hommes si distingués, quelques compositeurs éminents
semblent avoir adhéré aux principes de la méthode Chevé ; ce sont, avec
Rossini (3), MM. Félicien David, Gevaert, le prince Poniatowski, le
prince Polignac, Offenbach, de Lajarte, Membrée, et deux ou trois
autres encore ; mais je me trompe fort, ou ces messieurs, dont le
caractère est à la hauteur du talent, avaient en vue, en patronant
cette méthode, la vulgarisation de la musique parmi les classes
ouvrières, et non point la condamnation des principes qui sont la base
de l’enseignement au Conservatoire, au profit des procédés du chiffre
et de la confusion de tous les tons en un seul ton.
MM. Guéroult et Francisque Sarcey seuls, avec toute la généreuse
passion de néophytes ardents, ont pu s’y tromper, car J.-J. Rousseau
l’a dit, pardon de le répéter : « J’eus lieu de remarquer en cette
occasion combien la connaissance
unique, mais profonde de la chose,
est préférable, pour en bien juger, à toutes les lumières que donne la
culture des sciences lorsqu’on n’y a pas joint l’étude particulière de
celle dont il s’agit. »
Recevez, monsieur et très-honoré confrère, l’assurance de la
considération distinguée de celui qui ne croit point, comme Pangloss,
que tout est pour le mieux dans le monde de la pédagogie musicale, mais
qui croit fermement que Newton en savait moins que son cordonnier sur
l’art de confectionner les doubles semelles, et qu’en matière musicale
la simple affirmation de M. Ambroise Thomas, par exemple, vaut mieux
que cent colonnes de contradictions signées Francisque Sarcey.
OSCAR COMETTANT.
NOTES :
(1) On voudrait une expérience de la méthode Chevé au Conservatoire.
Sont-ce donc les moyens de se produire qui ont manqué à cette méthode ?
On peut dire, en toute vérité, que jamais novateur ne fut autant
favorisé que M. Chevé. C’est lui-même qui prend le soin de nous
l’apprendre. Je le laisse parler :
« … En 1847, conversion à mes idées de la moitié des professeurs
officiels des écoles communales… »
« … En 1849, l’Association polytechnique adopte la méthode et me prie
de faire un de ses cours… »
« En 1849, M. Magin-Morrens, maire-adjoint du XIe arrondissement, me
demanda d’ouvrir un cours à l’École de médecine… »
« En 1849, adoption officielle de la méthode pour toutes les écoles
communales de la ville de Rouen… »
« En 1850, fondation de la société chorale, qui a fait une immense
propagande et un très-grand nombre de conversions et de prosélytes… »
« En 1852, la méthode avait fait déjà assez de progrès pour qu’un jury,
pris exclusivement dans l’école officielle, voulût bien, sur ma
demande, organiser un concours international… »
« Le 12 juin 1853, les expériences furent subies… Ce concours fut un
coup terrible pour la vieille école… »
« A la suite du concours de Paris, M. le ministre de la guerre me
confia l’éducation musicale des élèves militaires du Gymnase de la
Faisanderie… »
« En 1857, la méthode est introduite à l’École normale supérieure et à
l’École préparatoire de Sainte-Barbe… »
« En 1858, la méthode est introduite à l’École polytechnique… »
« En 1858, aussi, M. le comte Sollohub, chambellan de l’empereur de
Russie, adopte, après mûr examen, la méthode Galin-Pâris-Chevé pour la
Russie. Appelé par le gouvernement russe, des circonstances
particulières m’ont retenu en France… »
En 1859, vingt membres de notre société chorale forment, sous la
direction de M. Amand Chevé, la chapelle russe, qui devient une
chapelle modèle…
« En 1859, également, M. le duc de Morny forme une société de patronage
pour la propagation de la méthode… »
« En 1860 et 1861, trois grandes séances ont eu lieu au Cirque
Napoléon, ainsi qu’une séance expérimentale au lycée Louis-le Grand,
sous les auspices du comité de patronage. C’est à l’une de ces séances
que M. Rouland, ministre de l’instruction publique, pressant
publiquement ma main dans les siennes, me dit avec énergie : « Courage
! Monsieur Chevé, courage ! »
« En 1861, par les soins de M. le pasteur Montandon, la ville de Genève
adopte la méthode pour tout le canton. Le conseil d’Etat me donne
l’inspection de ses écoles. »
« En 1861, le ministre de l’instruction publique, M. Rouland, me charge
d’expérimenter la méthode à l’École normale de Versailles. »
« En 1861, aussi, le ministre de la guerre me charge d’enseigner la
méthode à l’École militaire de Saint-Cyr. »
« En 1861, l’Athénée des Arts nous décerne une médaille en or. »
« En 1861, la méthode est rendue obligatoire au Prytanée de La Flèche. »
« En 1861, la méthode est introduite à Haïti par M. Sicard. »
Nous ne sommes qu’en 1861 et les faveurs exceptionnelles qui ont comblé
cette méthode, jusqu’en la présente année 1870, ne se sont pas arrêtées.
L’expérience n’est plus à faire.
Mais le jugement porté sur elle, par la presque unanimité des musiciens
de tous les pays, ne lui a pas été favorable.
On l’a repoussée de toutes les écoles sérieuses où elle aurait pu être
accueillie
librement, et même au point de vue de l’enseignement des
masses elle est loin d’avoir tenu ce qu’elle promettait. Je pourrais
citer une liste de cent cinquante sociétés chorales libres, qui,
après avoir expérimenté la nouvelle méthode, l’ont abandonnée pour
revenir à l’ancienne, qui est la bonne.
(2) Tous les grands compositeurs ont été des philosophes.
Qu’on lise, pour s’en convaincre, les lettres ou préfaces de Gluck, de
Haydn, de Mozart, de Grétry, de Berton, de Méhul, de Lesueur, de
Beethoven, de Weber, de Mendelssohn, d’Halévy, de Meyerbeer, de Gounod,
de Berlioz, etc.
Et en ce qui concerne M. Ambroise Thomas, pourrait-on croire que
l’artiste éminent qui a conçu la partition d’
Hamlet, celle du
Songe
d’une nuit d’été et celle de
Mignon, puisse être dépourvu de
sentiment philosophique ?
(3) Rossini a légué son immense fortune, à la mort de Mme Rossini, pour
la fondation en Italie d’un Conservatoire de musique ; mais il oublie
de mentionner dans son testament la création d’une chaire spéciale pour
l’enseignement du chiffre. S’il croyait à cet enseignement, on voit
qu’il n’y croyait guère.