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G. Sand : Lettre aux membres du Comité central (1848) SAND, George (1804-1876) : Lettre aux membres du Comité central (ca avril 1848).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (11.X.1999)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 7216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire de l'édition de Souvenirs et idées donnée à Paris en 1904 par Calmann-Lévy, dans la collection des oeuvres complètes de George Sand.
Sur les positions politiques de George Sand et ce texte on lira avec profit l'article de Michelle Perrot Sand une femme en politique paru dans son recueil Les femmes ou les silences de l'histoire.- Paris : Flammarion, 1998. pp 313-347.

 
 
Lettre aux membres du Comité central
par
George Sand

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Je ne viens pas vous remercier d'avoir admis mon nom sur une quarantaine de listes au Comité central. La connaissance que j'ai de moi-même ne me permet pas de croire que vous avez voulu m'encourager à présenter une candidature impossible, chose à laquelle je n'ai jamais songé. Vous avez voulu consacrer un principe qu'apparemment vous avez adopté. Permettez-moi donc de vous présenter sur ce principe même quelques considérations que le moment est peut-être venu de discuter et de peser sérieusement.

Il ne m'a jamais semblé possible que l'homme et la femme fussent deux êtres absolument distincts. Il y a diversité d'organisation et non pas différence. Il y a donc égalité et non point similitude. J'admets physiologiquement que le caractère a un sexe comme le corps, mais non pas l'intelligence. Je crois les femmes aptes à toutes les sciences, à tous les arts et même à toutes les fonctions comme les hommes. Mais je crois que leur caractère qui tient à leur organisation donnera toujours en elles un certain aspect particulier à leurs manifestations dans la science, dans l'art et dans la fonction. Il n'y aurait point de mal à cela. L'art, la science et la fonction pourraient gagner à devenir le domaine des deux sexes.

Il faut que la femme conserve son sexe et ne supprime de ses habitudes et de ses occupations rien de ce qui peut le manifester. Il serait monstrueux qu'elle retranchât de sa vie et de ses devoirs, les soins de l'intérieur et de la famille. Je voudrais au contraire agrandir pour elle ce domaine que je trouve trop restreint. Je voudrais qu'elle pût s'occuper davantage de l'éducation de ses enfants, compléter celle de ses filles et préparer celle que ses fils doivent recevoir de l'État à un certain âge. Je voudrais qu'elles fussent admises à de certaines fonctions de comptabilité patientes et minutieuses qui me paraissent ouvrages et préoccupations de femmes plus que d'hommes. Je voudrais qu'elles pussent apprendre et exercer la médecine, la chirurgie et la pharmacie. Elles me paraissent admirablement douées par la nature pour remplir ces fonctions, et la morale publique, la pudeur semblent commander que les jeunes filles et les jeunes femmes ne soient pas interrogées, examinées et touchées par des hommes.

En y réfléchissant, on trouverait beaucoup d'autres fonctions auxquelles les femmes sont appelées par la nature et la Providence ; mais lorsqu'il s'agit de leur attribuer des droits politiques de la même nature que ceux des hommes, il y a beaucoup à dire, pour et contre.

Les femmes doivent-elles participer un jour à la vie politique ? Oui, un jour, je le crois avec vous, mais ce jour est-il proche ? Non, je ne le crois pas, et pour que la condition des femmes soit ainsi transformée, il faut que la société soit transformée radicalement.

Nous sommes peut-être déjà d'accord sur ces deux points. Mais il s'en présente un troisième. Quelques femmes ont soulevé cette question : Pour que la société soit transformée, ne faut-il pas que la femme intervienne politiquement dès aujourd'hui dans les affaires publiques ? J'ose répondre qu'il ne le faut pas, parce que les conditions sociales sont telles que les femmes ne pourraient pas remplir honorablement et loyalement un mandat politique.

La femme étant sous la tutelle et dans la dépendance de l'homme par le mariage, il est absolument impossible qu'elle présente des garanties d'indépendance politique, à moins de briser individuellement et au mépris des lois et des moeurs, cette tutelle que les moeurs et les lois consacrent.

Il me paraît donc insensé, j'en demande pardon aux personnes de mon sexe qui ont cru devoir procéder ainsi, de commencer par où l'on doit finir, pour finir apparemment par où l'on eût dû commencer.

Mais voyez ce que ce commencement même exige de temps, de réflexions, de lumières nouvelles et de progrès dans les moeurs.

Serais-je même d'accord sur le point de départ avec les personnes qui se font les champions de l'affranchissement de la femme ? Je ne le crois pas, et avant tout il faudrait s'expliquer très sincèrement sur ce point essentiel.

Comment ces dames entendent-elles l'affranchissement de la femme ? Est-ce comme Saint-Simon, Enfantin ou Fourrier ? Prétendent-elles détruire le mariage et proclamer la promiscuité ?

S'il en est ainsi, à la bonne heure, je les trouve très logiques, dans leurs prétentions à la vie politique, mais je déclare que je me sépare personnellement et absolument de leur cause, qui, sous cet aspect, me devient étrangère. Alors je n'ai plus rien à dire. Je ne réplique pas, je ne discute rien. Je m'éloigne, et laisse à la morale publique le soin de faire justice de cette déplorable fantaisie. Vous comprendrez, citoyens, que je ne veuille point accepter la moindre solidarité apparente avec une tentative sur laquelle je n'ai pas été consultée. Vos suffrages me deviennent une injure et je me plains à votre conscience même de les avoir réunis à mon insu.

Mais je ne crois pas qu'il en soit ainsi, ce serait, hélas ! donner trop raison à ceux qui nous reprochent de vouloir, comme socialistes, la destruction de la famille. Non, non, les femmes qui ont soulevé imprudemment la question de leurs droits politiques, ne viennent pas au nom de Fourrier briguer vos suffrages, avec cette doctrine immonde, ce dogme ésotérique de la promiscuité, caché dans les plis de leur écharpe. Si, comme je le crois, elles ne veulent pas détruire la sainteté de l'amour sur la terre, elles doivent alors se demander si elles n'ont pas fait une campagne électorale un peu hasardée, et si cette tentative est bien ce qu'il fallait faire pour prouver qu'elles avaient autant de jugement et de logique que les hommes.

Pour ne pas laisser d'ambiguïté dans ces considérations que j'apporte, je dirai toute ma pensée sur ce fameux affranchissement de la femme dont on a tant parlé dans ce temps-ci. Je le crois facile et immédiatement réalisable, dans la mesure que l'état de nos moeurs comporte. Il consiste simplement à rendre à la femme les droits civils que le mariage seul lui enlève, que le célibat seul lui conserve ; erreur détestable de notre législation qui place en effet la femme dans la dépendance cupide de l'homme, et qui fait du mariage une condition d'éternelle minorité, tandis qu'elle déciderait la plupart des jeunes filles à ne se jamais marier si elles avaient la moindre notion de la législation civile à l'âge où elles renoncent à leurs droits. Il est étrange que les conservateurs de l'ordre ancien accolent toujours avec affectation dans leur devise menteuse ces mots de famille et de propriété, puisque le pacte du mariage, tel qu'ils l'admirent et le proclament, brise absolument les droits de propriété de tout un sexe.Ou la propriété n'est pas une chose sacrée comme ils l'affirment, ou le mariage n'est pas une chose également sacrée, et réciproquement. Deux choses sacrées ne peuvent se détruire l'une l'autre.

Cette réforme est très possible et très prochaine, j'en ai la certitude. C'est une des premières questions dont une république socialiste aura à s'occuper, et je ne vois pas qu'elle puisse porter la moindre atteinte à la fidélité conjugale ou à la bonne harmonie domestique, à moins qu'on ne regarde l'égalité comme une condition de désordre et de discorde. Nous croyons le contraire, et l'humanité en a jugé ainsi définitivement.

On demande où sera le principe d'autorité nécessaire à l'existence de la famille, si cette autorité est partagée également entre le père et la mère. Nous disons que l'autorité ne sera pas immobilisée dans les mains de celui qui peut impunément avoir toujours tort, mais qu'elle se transportera de l'un à l'autre, suivant l'arbitrage du sentiment ou de la raison, et lorsqu'il s'agira de l'intérêt des enfants, je ne vois pas pourquoi l'on se méfierait de la sollicitude de la mère puisqu'on reconnaît que c'est elle qui a l'amour le plus vif et le plus soutenu de la progéniture.

Au reste, quand on demande comment pourra subsister une association conjugale dont le mari ne sera pas le chef absolu et juge et partie, sans appel, c'est comme quand on demande comment l'homme libre pourra se passer de maître et la république de roi. Le principe d'autorité individuelle sans contrôle s'en va avec le droit divin, et les hommes ne sont pas généralement aussi féroces envers les femmes qu'il plaît à quelques-unes d'entre elles de le répéter à tout propos. Cela se dit une ou deux fois dans la vie, à l'occasion, mais elles seraient bien plus dans le vrai et dans la justice si elles reconnaissaient que la plupart des hommes sont très disposés en fait, au temps où nous vivons, à faire de l'égalité conjugale la base de leur bonheur. Tous ne sont pas assez logiques pour admettre en théorie cette égalité qu'ils seraient bien malheureux de pouvoir détruire dans leur intérieur, mais elle est passée dans les moeurs et l'homme qui maltraite et humilie sa compagne n'est point estimé des autres hommes. En attendant que la loi consacre cette égalité civile, il est certain qu'il y a des abus exceptionnels et intolérables de l'autorité maritale. Il est certain aussi que la mère de famille, mineure à quatre-vingts ans, est dans une situation ridicule et humiliante. Il est certain que le seul droit de despotisme attribue au mari son droit de refus de souscrire aux conditions matérielles du bonheur de la femme et des enfants, son droit d'adultère hors du domicile conjugal, son droit de meurtre sur la femme infidèle, son droit de diriger à l'exclusion de sa femme l'éducation des enfants, celui de les corrompre par de mauvais exemples ou de mauvais principes, en leur donnant ses maîtresses pour gouvernantes comme cela s'est vu dans d'illustres familles ; le droit de commander dans la maison et d'ordonner aux domestiques, aux servantes surtout d'insulter la mère de famille ; celui de chasser les parents de la femme et de lui imposer ceux du mari, le droit de la réduire aux privations de la misère tout en gaspillant avec des filles le revenu ou le capital qui lui appartiennent, le droit de la battre et de repousser ses plaintes par un tribunal si elle ne peut produire de témoins ou si elle recule devant le scandale ; enfin le droit de la déshonorer par des soupçons injustes ou de la faire punir pour des fautes réelles. Ce sont là des droits sauvages, atroces, anti-humains et les seules causes, j'ose le dire, des infidélités, des querelles, des scandales et des crimes qui ont souillé si souvent le sanctuaire de la famille, et qui le souilleront encore, ô pauvres humains, jusqu'à ce que vous brisiez à la fois l'échafaud et la chaîne du bagne pour le criminel, l'insulte et l'esclavage intérieur, la prison et la honte publique pour la femme infidèle. Jusque-là, la femme aura toujours les vices de l'opprimé, c'est-à-dire les vices de l'esclave et ceux de vous qui ne pourront pas être tyrans, seront ce qu'ils sont aujourd'hui en si grand nombre, les esclaves ridicules de leurs esclaves vindicatifs.

Oui, la femme est esclave en principe et c'est parce qu'elle commence à ne plus l'être en fait, c'est parce qu'il n'y a plus guère de milieu pour elle entre un esclavage qui l'exaspère et une tyrannie qui avilit son époux, que le moment est venu de reconnaître en principe ses droits à l'égalité civile et de les consacrer dans les développements que l'avenir donnera, prochainement peut-être, à la constitution sociale. Puisque les moeurs en sont arrivées à ce point que la femme règne dans le plus grand nombre des familles, et qu'il y a abus dans cette autorité conquise par l'adresse, la ténacité et la ruse, il n'y a pas à craindre que la loi se trouve en avant sur les moeurs. Au contraire, selon moi, elle est en arrière.

La femme s'est corrompue dans cette usurpation de l'autorité qu'on lui déniait et qu'elle n'a pas ressaisi légitimement. L'esclavage homme peut se révolter contre son maître et reprendre franchement et ouvertement sa liberté et sa dignité. L'esclave femme ne peut que tromper son maître et reprendre sournoisement et traîtreusement, une liberté et une dignité fausses et détournées de leur véritable but.

En effet, quelle est la liberté dont la femme peut s'emparer par fraude ? celle de l'adultère. Quelle est la dignité dont elle peut se targuer à l'insu de son mari ? la fausse dignité d'un ascendant ridicule pour elle comme pour lui. Il faut que cet abus cesse et que le bon mari ne soit plus le type du niais que l'on dupe et dont ses amis se moquent avec sa femme. Il faut aussi que la femme douce, loyale et pieuse, ne soit pas la dupe de son dévouement et qu'elle ne soit pas exploitée et tyrannisée. Il faut enfin que la femme coupable un jour par entraînement, ne soit pas flétrie et punie publiquement, déshonorée aux yeux de ses enfants, mise ainsi dans l'impossibilité de revenir au bien, et dans la nécessité de haïr à jamais l'auteur de son châtiment et de sa honte.

Punir l'adultère, on ne saurait trop insister sur ce point délicat, le plus sérieux et le moins sérieusement traité par l'opinion, punir l'adultère est une loi sauvage et faite pour perpétuer et multiplier l'adultère. L'adultère porte en lui-même son châtiment, son remords et ses ineffaçables regrets. Il faut qu'il soit une cause suffisante de divorce ou de séparation pour le mari qui ne peut en supporter l'outrage. Mais cette loi qui permet à l'homme de reprendre sa femme déshonorée et mise par lui en prison, cette loi qui force la femme à revenir savourer goutte à goutte le martyre de sa dégradation et à le subir à toute heure en présence de ses enfants, c'est là une loi infâme, odieuse, et qui déshonore encore plus l'homme qui l'invoque que la femme qu'elle frappe. C'est une loi de haine et de vengeance personnelle. Les résultats de son application c'est le scandale, la honte de la famille, une tache indélébile sur ses enfants. Mieux vaut celle qui permet au mari d'assassiner sa femme surprise en flagrant délit, mieux vaut celle des Orientaux qui peuvent jeter leurs femmes cousues dans un sac à la mer ou dans un puits. La mort n'est rien au prix de l'existence d'une esclave condamnée à subir les embrassements du maître qui l'a foulée aux pieds.

Oui, l'égalité civile, l'égalité dans le mariage, l'égalité dans la famille, voilà ce que vous pouvez, ce que vous devez demander, réclamer. Mais que ce soit avec le profond sentiment de la sainteté du mariage, de la fidélité conjugale, et de l'amour de la famille. Veuillez être les égales de vos maris pour ne plus être exposées par l'entraînement de vos passions et les déchirements de votre vie domestique, à les tromper et à les trahir. Veuillez être leurs égales afin de renoncer à ce lâche plaisir de les dominer par la ruse. Veuillez être leurs égales afin de tenir avec joie ce serment de fidélité qui est l'idéal de l'amour et le besoin de la conscience dans un pacte d'égalité. Veuillez être leurs égales afin de savoir pardonner un jour d'égarement et de savoir accepter le pardon à votre tour, chose beaucoup plus difficile. Veuillez être leurs égales, au nom même de ce sentiment chrétien de l'humilité qui ne signifie pas autre chose que le respect du droit des autres à l'égalité.

Il n'y a rien d'orgueilleux comme l'esclave, rien de vain comme le valet, rien d'insolent comme la femme qui gouverne en feignant d'obéir. Il ne faut pas qu'un homme obéisse à une femme, c'est monstrueux. Il ne faut pas qu'un homme commande à une femme, c'est lâche. Il faut que l'homme et la femme obéissent à leurs serments, à l'honneur, à la raison, à leur amour pour leurs enfants. Ce sont là des liens sacrés, des lois supérieures aux conseils de notre orgueil et aux entraînements des passions humaines. Du moment que la femme ne relèvera que de ces lois sociales et divines dont un homme ne peut se faire le représentant sans outrager Dieu, la nature et la société, les infidélités seront bien autrement sérieuses dans le mariage. Elles n'auront plus d'excuse, elles ne s'appelleront plus faiblesses, mais crimes. Elles n'attireront plus l'intérêt des poètes et des romanciers. Elles n'exciteront plus les désirs des libertins ou la curiosité des désoeuvrés. La cruauté de l'époux qui se venge ne sera plus la justification de la femme qui expie. Une éternelle douleur, d'autant plus profonde qu'elle sera plus secrète, s'attachera au coeur de la femme qui aura trahi sa foi et failli à ses devoirs. Jusque-là, n'attendez pas que votre société corrompue s'amende. Plus vous invoquerez les lois répressives, plus vous provoquerez l'oubli des lois morales. Plus vous déclamerez contre l'adultère, plus vous vous en moquerez vous-mêmes, car qui commet l'adultère, qui trouble la paix des ménages, qui trompe son meilleur ami, qui répond aux provocations de la femme galante, qui profite de l'inexpérience de la femme naïve, qui se moque des maris trompés si ce n'est vous, hommes de peu de foi ?

Mais peut-être aimez-vous mieux que les choses restent comme elles sont, hommes du monde, oisifs et libertins, heureux du siècle, qui mettez à mal la femme d'autrui et qui faites bon marché de l'honneur de la vôtre puisque vous l'avez prise ou comptez la prendre non pour son honneur, mais pour son argent, c'est vous certainement qui vous regimberez le plus quand on vous proposera de décréter l'égalité des sexes. Je crois fermement que le peuple n'en jugera pas ainsi et qu'il prendra plus au sérieux que vous la dignité et la sécurité de la famille.

Quant à vous, femmes, qui prétendez débuter par l'exercice des droits politiques, permettez-moi de vous dire encore que vous vous amusez à un enfantillage. Votre maison brûle, votre foyer domestique est en péril et vous voulez aller vous exposer aux railleries et aux affronts publics, quand il s'agirait de défendre votre intérieur et d'y relever vos pénates outragés ? Quel bizarre caprice vous pousse aux luttes parlementaires, vous qui ne pouvez pas seulement y apporter l'exercice de votre indépendance personnelle ? Quoi, votre mari siégera sur ce banc, votre amant peut-être sur cet autre, et vous prétendrez représenter quelque chose, quand vous n'êtes pas seulement la représentation de vous-mêmes ?

Une mauvaise loi fait de vous la moitié d'un homme, les moeurs pires que les lois en font très souvent la moitié d'un autre homme, et vous croyez pouvoir offrir une responsabilité quelconque à d'autres hommes ? à quelles ridicules attaques, à quels immondes scandales peut-être, donnerait lieu une pareille innovation ? Le bon sens la repousse, et la fierté que votre sexe devrait avoir vous fait presque un crime de songer à en braver les outrages.

Pardonnez-moi de vous parler avec cette vivacité, mon âge mûr et peut-être quelques services rendus à la cause de mon sexe par de nombreux écrits me donnent le droit de remontrance. Ne l'eussé-je pas sur vous, ce droit, auquel je ne tiens guère, je l'ai pour moi-même.

Oui, j'ai le droit, comme femme, et comme femme qui a vivement senti l'injustice des lois et des préjugés, de m'émouvoir quand je vois reculer, par des tentatives fâcheuses, la réparation qui nous est due. Puisque vous avez du talent, puisque vous savez écrire, puisque vous faites des journaux, puisque vous avez, dit-on, un certain talent de parole, publiez vos opinions et discutez-les avec vos amis ou dans des réunions non politiques et officielles où vous serez écoutées sans préventions. Mais ne proposez pas vos candidatures de femmes, car elles ne peuvent pas être prises au sérieux, et c'est en soulevant des problèmes que l'opinion refuse d'examiner que vous faites faire à cette opinion maîtresse du monde, maîtresse de l'avenir puisqu'elle seule décide en dernier ressort de l'opportunité des réformes, une confusion étrange et funeste.

Si dans vos écrits vous plaidiez la cause de l'égalité civile, vous seriez écoutées.

Il est beaucoup d'hommes sincères qui se feraient vos avocats, parce que la vérité est arrivée sur ce point à régner dans les consciences éclairées. Mais on voit que vous demandez d'emblée l'exercice des droits politiques, on croit que vous demandez encore autre chose, la liberté des passions, et, dès lors, on repousse toute idée de réforme. Vous êtes donc coupables d'avoir retardé, depuis vingt ans que vous prêchez sans discernement, sans goût et sans lumière l'affranchissement de la femme, d'avoir éloigné et ajourné indéfiniment l'examen de la question.

Solidaire auprès des railleurs, de tout ce qu'il y a eu d'extravagant et d'impudique dans plusieurs de ces tentatives, croyez que j'en prends fort bien mon parti et que les sarcasmes ne modifieront jamais ma croyance. Je sais que la moquerie est rarement de bonne foi et qu'elle est toujours au moins hasardée dans ses jugements. C'est pour cela qu'elle a peu d'importance, que son effet n'est pas durable et que vous faites assez bien de ne vous en point soucier... [Cette lettre est restée inachevée]


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