DARNIS, Pierre Bos-Darnis, pseud. (1809-1869)
: Histoire
des chemins de fer, leur origine, premiers chemins de fer, comparaison
des diverses voies de communication, tarif des chemins de fer en
Europe, chemins de fer de la France, de l'Angleterre, de la Belgique,
de l'Allemagne et des Etats-Unis, parcours et stations des chemins de
fer français, description complète de la locomotive (avec plusieurs
figures), courbes, pentes, travaux d'art, accidents, divers systèmes
des chemis de fer [suivi de] Itinéraires pittoresques et descriptifs des chemins de fer de Paris à Orléans et de Paris à Rouen avec deux cartes.-
Deuxième édition.- Paris : Administration et rédaction du Journal des
connaissances utiles, MDCCCXLIII [1843].- 32 p. : ill. ; 28 cm. Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (31.X.2014) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (BM Lisieux : 4388 ). Version Pdf à télécharger qui permet de mieux visualier les gravures et les cartes. HISTOIRE DES CHEMINS DE FER LEUR ORIGINE. — PREMIERS CHEMINS DE FER. COMPARAISON DES DIVERSES VOIES DE COMMUNICATION. TARIFS DFS CHEMINS DE FER EN EUROPE. CHEMINS DE FER DE LA FRANCE, DE L'ANGLETERRE, DE LA BELGIQUE, DE L'ALLEMAGNE ET DES ÉTATS-UNIS. — PARCOURS ET STATIONS DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS. DESCRIPTION COMPLETE DE LA LOCOMOTIVE (AVEC PLUSIEURS FIGURES). COURBES. — PENTES. — TRAVAUX D'ART. — ACCIDENTS. DIVERS SYSTÈMES DE CHEMINS DE FER. ITINÉRAIRES PITTORESQUES ET DESCRIPTIFS DES CHEMINS DES FER De Paris à Orléans et de Paris à Rouen, AVEC DEUX CARTES, PAR M. DARNIS, Rédacteur en chef du Journal des Connaissances utiles. DEUXIÈME ÉDITION. Paris, Administration et Rédaction du Journal des Connaissances utiles, Rue du Faubourg-Montmartre, 25. MDCCCXLIII ~ * ~ Les chemins de fer sont la conquête la plus extraordinaire, la plus importante, la plus féconde du dix-neuvième siècle. Qui a inventé les chemins de fer ? Une telle innovation ne pouvait sortir complète de la tête d'un seul inventeur ; il a fallu plusieurs perfectionnements successifs, le travail de plusieurs hommes de génie, pour l'amener à l'état où nous la voyons aujourd'hui. L'idée de faciliter le tirage des voitures en plaçant sous le passage des roues un corps dur et uni était si simple et devait se présenter si naturellement aux hommes les moins ingénieux, qu'il ne serait même pas possible de lui assigner une date. Que l'on ait employé successivement à cet effet des dalles en pierre, des pièces de bois, et enfin des bandes de fer, ce sont autant de perfectionnements qu'a subis la construction des voies, mais dont l'usage ne se répandit pas d'abord. Ce n'était, au reste, qu'un premier pas vers l'invention du mode de transport dont nous obtenons aujourd'hui de si admirables résultats. Il parait que des chemins à rails en bois (1) étaient établis à Newcastle-sur-Tyne, dans le comté de Durham, en Angleterre, dès l'année 1649 : on en obtenait une telle diminution de la résistance au tirage, que sur une route en plaine un seul cheval pouvait traîner 10,000 kilogrammes de houille ; mais la prompte détérioration de ces rails opposait au service de graves inconvénients. Pour y obvier, M. Reynolds, l'un des intéressés dans la grande fonderie de Colebrook-Dale, dans le Shropshire, eut l'idée de substituer aux pièces de bois des rails en fonte de fer. Il proposa à ses coassociés de faire à ce sujet une expérience, qui eut lieu le 13 novembre 1767, sur la quantité de cinq à six tonneaux de rails seulement. Ces rails étaient plats, avec un rebord soit intérieur, soit extérieur, pour maintenir dans la voie les roues des wagons. Ils étaient fixés, par des chevilles de fer ou par des clous à vis, sur des pièces en bois placées en travers de la voie. Mais la poussière et la boue, s'accumulant dans l'angle que formait le rebord, nuisaient à la circulation, et M. Sessop imagina, en 1789, de transporter ce rebord sur les roues. Par suite de cette modification, la forme des roues et des rails, et la manière d'assembler ces derniers sur des chairs en fonte de fer et des dés en pierre ou des traverses en bois, se trouvèrent à peu de chose près ce qu'elles sont aujourd'hui. En 1820, la fabrication du fer malléable ayant reçu en Angleterre des perfectionnements qui en firent considérablement baisser le prix, M. John Birkinshaw, des forges de Bedlington, obtint une patente pour faire des rails en fer, ondulés, et d'une longueur de 15 pieds anglais. Son procédé consistait à faire passer des barres de fer rouge par une série de cannelures creusées sur un cylindre. Les cannelures offrant une profondeur qui croissait et décroissait alternativement, le rail, au sortir de ce moule, présentait à la partie inférieure une suite de segments égaux chacun au développement du cylindre. Les coussinets destinés à supporter le rail se plaçaient au point de jonction des segments. Depuis cette époque on n'a plus à signaler aucun progrès sensible, ni dans la fabrication des rails, ni dans la manière de les assujettir. Ce n'est pas que le système de la voie ne puisse être encore amélioré ; mais les efforts qui ont été faits dans ce sens n'ont presque rien produit. Toutefois, cet intéressant problème industriel est poursuivi par un grand nombre d'hommes savants et éclairés, et l'on peut espérer que leurs recherches ne seront pas toujours infructueuses (2). Déjà M. Poncelet, ingénieur belge, a proposé de remplacer les pièces de bois placées en travers de la voie par des pièces de fer, éminemment propres à établir et à conserver le parallélisme des rails. Mais la construction de la voie, dans les chemins de fer, n'occupe qu'une place secondaire ; aujourd’hui, c'est la locomotive qui est tout, et c'est elle qui préoccupe le plus le public et même les ingénieurs. Les premiers chemins de fer ne furent destinés qu'au service des mines. Ce ne fut que lorsqu'on eut vérifié leur solidité, leurs facilités et leurs avantages qu'on pensa à les faire servir au transport des voyageurs et des marchandises. Le chemin de fer de Darlington à Stokton est le premier qui ait été établi sous l'empire de ces idées : il fut entrepris en 1825. Les wagons furent d'abord traînés par des chevaux. On eut bientôt l'idée de leur adjoindre des machines. Cette idée est plus importante que l'idée même des chemins de fer. Cependant ces moteurs étaient si lourds et si imparfaits, qu'ils produisaient à peine assez de vapeur pour fournir une vitesse de 4 à 5 milles anglais à l'heure (6 à 7 kilomètres), ou 2 mètres environ par seconde. Une telle lenteur, si elle eût été inévitable, eût considérablement restreint l'utilité des chemins de fer. M. Séguin aîné, ingénieur français, avait entrevu la possibilité de perfectionner le système des moteurs, et il eut la gloire d'inventer les chaudières à tubes générateurs, qu'il livra à l'industrie en 1827. A l'aide de ce système on peut, tout en diminuant le poids de la machine, obtenir une quantité beaucoup plus considérable de vapeur, et par conséquent de puissance. Ce fut en 1830, lorsqu'on mit en activité le chemin de fer de Manchester à Liverpool, que les nouvelles chaudières furent pour la première fois appliquées aux locomotives. Elles fournirent immédiatement une vitesse qui dépassait tout ce qu'auparavant on eût jugé possible. Dès les premières expériences, faites le 15 septembre 1830, cette vitesse fut portée à 15 lieues à l'heure ; dans des essais postérieurs, elle fut poussée jusqu'à 25 lieues. Mais la crainte des accidents ne permit pas qu'on profitât de toute cette force, et l'on jugea prudent de régulariser la marche sur une moyenne de 12 lieues à l'heure. Dès lors l'avenir des chemins de fer ne fut plus douteux : des moyens de locomotion, presque rapides comme le vent, pouvant transporter en un jour, en quelques heures, et à de très-grandes distances, un nombre indéfini de voyageurs et des quantités immenses de marchandises, cela ne tient pas seulement du prodige, c'est encore une énorme économie de la première de toutes les valeurs, du temps. A peine ouvert, le chemin de fer de Manchester à Liverpool vit le nombre des voyageurs doubler, tripler, et peu à peu quadrupler. Depuis, sans toutefois suivre cette progression, ce nombre n'a pas cessé d'augmenter. Sur les autres chemins de fer, les résultats obtenus ont été à peu près les mêmes. Aussi, on peut l'avancer sans crainte de mécomptes, les chemins de fer sont destinés à opérer de grandes révolutions économiques dans le monde. Presque toutes les grandes nations ont aujourd'hui quelques chemins de fer. En Angleterre, ils ont été exécutés par des compagnies ; aux États-Unis, les uns par les Etats, les autres par des compagnies ; en Belgique, par le gouvernement ; en Allemagne, par des compagnies ; et en France, quelques-uns par le gouvernement, le plus grand nombre par des compagnies. *
* * Les voies de communication se divisent aujourd'hui, en France, en plusieurs classes. Les routes ordinaires sont les voies de communication les plus répandues et les plus nécessaires. Sur les bonnes chaussées pavées, et pour les voitures ordinaires, le rapport de l'effort de traction au poids traîné varie d'environ 1/40à 1/60 ; sur les bons empierrements, ce rapport varie de 1/25 à 1/50. La longueur des routes royales est environ de 35,000 kilomètres, celle des routes départementales, de 40,000, celle des chemins vicinaux de grande communication de 48,000, et celle des chemins vicinaux proprement dits de 800,000. — A ces voies de communication il faut ajouter 200 lieues de chemins de fer et 1,100 lieues de canaux. — Les prix de transport sur les routes à l'état ordinaire d'entretien sont de 20 cent, par tonne et par kilomètre par le roulage ordinaire, qui parcourt 28 à 30 kilomètres par jour ; de 35 c. par le roulage accéléré, qui parcourt 65 à 70 kilomètres ; de 75 c. à 1 fr. par les diligences, qui ont une vitesse de 8 à 12 kilomètres par heure. Les voyageurs payent moyennement, dans ces dernières, 15 cent, par kilomètre aux premières places, 12 cent, aux secondes, 9 cent, aux troisièmes. Les malles-postes prennent 19 cent. — Sur les chemins de fer, le rapport de l'effort de traction au poids traîné n'étant guère que de 1/200 pour les parties rectilignes et pour des vitesses modérées, les frais de transport sont considérablement moindres que sur les roules ordinaires ; l'économie est d'autant plus sensible que la régularité de la voie et l'absence de chocs violents permettent des vitesses très-considérables. Les tarifs des chemins de fer offrent une assez grande différence : nous allons faire connaître ce qu'ils sont en Angleterre, en Belgique et en France. Les tarifs anglais sont doubles des nôtres. Les tarifs belges, pour les places de troisième classe, sont environ moitié. Les tarifs allemands se rapprochent en moyenne de ceux des chemins de fer français. On pourra en juger par le tableau suivant, dans lequel sont rapportés à une même unité monétaire les droits perçus dans les différents pays sur les principaux chemins. On voit que la tarification française se rapproche beaucoup de celle de l'Allemagne, et que généralement les droits anglais sont doubles des nôtres. Les voies navigables sont celles qui offrent le plus d'économie pour le transport des marchandises lourdes et encombrantes. Le tirage ne s'y élève qu'à 1/1200 du poids lorsqu'il est opéré lentement ; il augmente plus rapidement que le carré de la vitesse jusqu'à une certaine limite (3 m. à 3 m. 150 par seconde), au-dessous de laquelle il diminue pour augmenter ensuite de nouveau. C'est sur cette diminution remarquable que l'on a fondé le halage des bateaux, sur les voies navigables, par le moyen de chevaux galopant. Le bateau-poste de Paris à Meaux est traîné, sur le canal de l'Ourcq, avec une vitesse de 4 m. environ par seconde. Les canaux à point de partage servent à réunir des rivières dont les eaux se jettent quelquefois dans des mers différentes. Les bateaux peuvent, en les suivant, franchir les chaînes de montagnes au moyen d’écluses à sas. — L'intervalle entre les deux écluses ou barrages s'appelle un bief ; les biefs montent par échelons sur les deux versants de la chaîne que le canal traverse, jusqu'au bief de partage, qui est le point culminant du canal, et qui doit être le point le plus bas de la chaîne. — Un tarif de 6 c. par tonne et par kilomètre ne ferait guère que couvrir les intérêts à 5 pour 100 d'un capital employé à la construction d'un canal ; il faut donc spéculer sur un fret de 8 c. au moins. — Sur les rivières, le fret est de 2 c. 1 /2 à 3 e. pour les transports ordinaires, et de 5 à 15 c. pour les transports effectués à l'aide des bateaux à vapeur. Sur ceux de ces derniers consacrés au transport des personnes, le prix des places est, par kilomètre, d'environ 7 c. aux premières et 4 c. aux secondes. CHEMINS DE FER DE LA FRANCE.
Voici l'indication des chemins de fer aujourd'hui construits en France (3). Chemins de fer exécutés par les compagnies aidées ou non aidées par le gouvernement.
(2) Ce chemin de fer, à cause des pentes, n'est pas dans les conditions ordinaires. Outre les services directs qui parcourent le chemin de fer dans toute sa longueur, il y a des services pour Givors et Rive-de-Gier. De Lyon à Rive-de-Gier, la traction est faite par des locomotives, et de Rive-de-Gier à Saint-Etienne, par des chevaux. La descente de Saint-Etienne à Givors a lieu par la gravité, et de Givors à Lyon par des locomotives. (3) Les chemins de fer de Saint-Etienne à Andrezieux et à Roanne, sur lesquels le transport se fait par les chevaux, ont dix stations : Saint-Etienne, Renardière pour Andrezieux, Saint-Galmier, Montrond, Feurs, Babigny, Nullise, Saint-Symphorien, Lhôpital et Roanne. (4) Le chemin de fer de Paris à Saint-Germain a cinq stations : Paris, Asnières, Nanterre, Chatou et Saint-Germain. (5) Le chemin de fer de Paris à Versailles (rive droite) a neuf stations : Paris, Asnières, Puteaux, Suresnes, Chaville, Viroflay, Sèvres, Ville-d'Avray, Courbevoie et Versailles. (6) Le chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche) a huit stations : Paris, Clamart, Meudon, Bellevue, Sèvres, Chaville, Viroflay et Versailles. (7) Le chemin de fer de Mulhouse à Thann a cinq stations : Mulhouse, Dornach, Lutterbach, Cernay et Thann. (a) 4,000,000 fr. fournis par l'Etat. — (b) 50,000 fr. fournis par l'Etat. — (c) 5,000,000 fr. fournis par l'Etat. (1) Le chemin de fer de Strasbourg à Bâle a vingt-quatre stations : Strasbourg, Kœnigshoffen , Geispolsheim, Fegersheim, Limersheim, Ersteini, Malzenheim, Benfeld, Cogenheim , Ebecrshcim, Schelestadt, Saint-Hippolyte, Ribeauvillé, Oslheim, Bennwihr, Colmar, Eguisheim, Mulhouse , Rixheim, Habsheim , Schlierbach, Sierentz, Bartenheim et Saint-Louis. (2) Le chemin de fer de Montpellier à Cette a cinq stations : Montpellier, Villeneuve, Maureilhau, Frontignan et Cette. (3) Le chemin de fer d'Alais à Beaucaire a cinq stations : Beaucaire, Nîmes, Alais et la Grand'Combe. (4) Le chemin de fer de Bordeaux à la Teste a vingt-deux stations : Bordeaux, la Mission, Pessac, Saint-Médard, Gazinet, Toktouchau, Pierrotou, Verderi, Miot, Testemaire, Biars, Argentière, Canolei, Camelei, Facture, La Leire, Le Teich, Mestras, Guzan, Meiran et la Teste. (a) 12,600,000 fr. fournis par l'Etat. — (b) 14,000,000 fournis par l'Etat. — (c) Sur cette somme totale, l'Etat a fourni 35,650,000 fr. Chemins de fer exécutés par le gouvernement.
Nos deux principales lignes, aujourd'hui, sont le chemin de fer de Paris à Orléans (4) et le chemin de fer de Paris à Rouen (5). CHEMIN DE FER DE PARIS A ORLÉANS.
Le chemin de fer de Paris à Orléans semble être appelé à de grandes destinées. Il relie le nord et le midi de la France, par le point capital, Paris. Une fois les eaux indociles de la Loiremaîtrisées, le service de la navigation à la vapeur étendu, le système de canalisation complété, et les chemins de fer en projet votés et construits, Orléans sera le plus considérable entrepôt intérieur, et le chemin de fer de Paris à Orléans, la route naturelle de plus d'un cinquième des voyageurs entre le midi et le nord de la France. Le chemin de fer d'Orléans a un embranchement sur Corbeil. Cet embranchement part de Juvisy. Il a dix-sept stations ; Paris, Choisy, Ablon, Juvisy, Villemoisson et Epinay, Saint-Michel, Brétigny, Marolles, Bouray, Lardy, Etrechy, Etampes, Angerville, Toury, Artenay, Chevilly et Orléans. CHEMIN DE FER DE PARIS A ROUEN.
Le chemin de fer de Paris à Rouen, et bientôt de Paris à la mer, est tout à la fois une voie de communication de grande utilité publique et une magnifique promenade. La Seine depuis Paris jusqu'à Rouen n'est qu'une suite de zigzags, un fleuve à refaire pour le transport économique des marchandises et pour la navigation rapide des voyageurs. Aussi, nous n'en doutons pas, elle ne soutiendra pas la concurrence du chemin de fer. Non-seulement celui-ci met Elbeuf à trois heures et Rouen à quatre heures de Paris, mais encore il conduit au Havre et à la mer rapidement, économiquement et en toutes saisons. Nous devons ajouter que ce chemin de fer est presque tout entier dans la vallée de la Seine, délicieuse vallée, aussi remarquable par ses sites que par ses souvenirs historiques. Le chemin de fer de Paris à Rouen a quatorze stations : Paris, Colombes, Maison, Poissy, Triel, les Mureaux, Epones, Manies, Bonnières, Saint-Pierre-la-Garenne, Vernon, Saint-Pierre-de-Vauvray, Tourville, La Rivière et Rouen. CHEMINS DE FER ANGLAIS.
Les chemins de fer de la Grande-Bretagne, de l'Ecosse et de l'Irlande, exécutés ou en voie d'exécution, ont un total de 4,900 kilomètres (1,200 lieues). Ils sont la propriété de 108 sociétés par actions. Le railway le Great-Western, qui conduit de Londres à Bristol, est le plus considérable : il a 40 lieues. Celui de Grand-Junction, ou de Birmingham à Liverpool et à Manchester, a 45 lieues. On a calculé qu'un individu qui aurait pris, dans l'origine, une action des dix grands chemins de fer anglais, aurait dépensé 20,595 fr., et qu'il vendrait aujourd'hui ces dix actions 25,912 fr. ; c'est-à-dire qu'il aurait fait un bénéfice de 5,317 fr. Le capital engagé aujourd'hui dans les chemins de fer anglais s'élève à la somme de quinze cents millions, ou 400,000 fr. environ par kilomètre. CHEMINS DE FER DES ETATS-UNIS DE L'AMERIQUE.
La longueur totale des chemins de fer actuellement achevés dépasse 6,000 kilomètres (1,500 lieues). La longueur totale des chemins de fer exploités et en voie d'exécution est de 15,077 kilomètres (près de 4,000 lieues ! ) ; et déjà près de 4,000 kilomètres des chemins à terminer n'attendent plus que les rails. CHEMINS DE FER DE L'ALLEMAGNE.
Autriche. Le développement total des chemins de fer décrétés ou concédés est aujourd'hui de 2,755 kilomètres (700 lieues). Ce réseau ne comprend pas le chemin de fer destiné à réunir Vienne à la capitale de la Hongrie, qui n'est pas encore classé. Bavière. La Bavière est le premier pays du continent qui ait possédé un chemin de fer desservi par la vapeur. Le développement de ses chemins de fer est de 390 kilomètres (100 lieues). Saxe et Hesse, Les chemins de fer décrétés ou concédés ont un développement de 627 kilomètres (156 lieues). Prusse. Les lignes achevées et concédées s'élèvent à 1,464 kilomètres (306 lieues). CHEMINS DE FER DE LA BELGIQUE.
Le réseau des chemins de fer belges est à peu près complet : il a un développement de 561 kilomètres (140 lieues). En Belgique, les chemins de fer ont été construits et sont exploités par l'Etat. En 1841, l'Etat a perçu près de trois pour cent sur le capital dépensé. Si l'on remarque que les tarifs belges sont très-peu élevés, on ne peut s'empêcher de reconnaître que la spéculation du gouvernement belge a été très-profitable au pays. *
* * Comme la locomotive dans les chemins de fer, ainsi que nous l'avons indiqué en commençant, occupe avec raison la première place, nous croyons devoir la faire connaître de notre mieux. Nous voulons qu'avec les gravures que nous plaçons ici, et la description dont nous les accompagnons, tout le monde puisse suivre et voir le jeu de ce chef-d'œuvre de la mécanique moderne. Il y a dans les locomotives plusieurs parties principales : ce sont la grille, le foyer, la chaudière, la cheminée, les tuyaux d'admission de la vapeur, la distribution de la vapeur, les tiroirs, les cylindres à vapeur, les pistons à vapeur, les bielles, l'arbre ou essieu moteur, les excentriques et le mouvement de la distribution à vapeur, les appareils d'alimentation et de sûreté, et enfin le bâtis de la machine. Nous allons examiner successivement toutes ces parties de la locomotive (6). Le foyer est cette forme rectangulaire A que l'on voit, à la figure 2, entre les deux roues de l'arrière ; il est ordinairement en feuilles de cuivre assemblées au moyen de clous rivés. C'est là qu'on jette le coke, le combustible des locomotives, par la porte B. La grille du foyer se compose de treize barreaux en fer, placés parallèlement et dans le sens de la longueur de la machine ; ces barreaux ne font que poser sur le cadre en fer qui est fixé dans la partie inférieure et contre les parois du foyer, afin de permettre de les enlever facilement toutes les fois qu'il est nécessaire d'éteindre le feu immédiatement. Cette machine n'a pas de cendrier au-dessous de la grille, ce qui laisse plus de commodité pour la nettoyer, enlever le feu et les barreaux, et pénétrer dans le foyer. Les escarbilles tombent sur la route. Au-dessus du foyer A, et jusqu'à la cheminée G se trouve la chaudière C C; c'est là que se trouve l'eau destinée à former la vapeur. A2, au-dessus de la partie de la chaudière qui se trouve sur le foyer, est une grande tubulure destinée à servir de trou-d'homme, pour, au besoin, entrer dans la chaudière. Sur le couvercle on a fixé le sifflet S2. En tournant la poignée S2, il sort à la partie supérieure une lame mince de vapeur qui, correspondant immédiatement au-dessous de la sonnette fixée sur le sifflet, produit le son aigu qui peut s'entendre à une si grande distance. Le principal corps de la chaudière C C, qui est de forme cylindrique, 1 mètre 11 cent, de diamètre intérieur. Elle renferme 145 tubes qui sont placés symétriquement, et en occupent environ la moitié inférieure. Ils ont un diamètre intérieur de 35 millimètres. Lorsque le foyer est allumé, la chaleur et la flamme pénètrent dans ces tubes, et la production de la chaleur devient ainsi fort considérable. La fumée du foyer passe à travers ces tubes et sort par la cheminée en tôle G. — Nous devons ajouter que, pour que la production de la vapeur soit aussi grande que possible, l'eau entoure le foyer, excepté à la partie inférieure et à la porte B. Passons maintenant à l'admission de la vapeur et au mouvement des tiroirs de distribution. Le machiniste est placé au-dessus de l'essieu de la dernière roue, sur une espèce de balcon avec barreaux. Dans la locomotive dont nous donnons le dessin, l'admission de la vapeur aux boites de distribution se fait au moyen d'un disque en cuivre J, présentant la forme d'un double secteur monté à l'extrémité de la longue tige horizontale a4 a4, sur laquelle il est retenu par un écrou. Cette tige porte à l'autre bout le levier n, qui est placé à la disposition du machiniste. Ce double secteur est renfermé dans une boîte en cuivre J2, dont une ouverture établit la communication avec le tuyau d'admission I, qui reçoit la vapeur en F, et qui, à son centre, est traversé par la tige. Cette boîte porte intérieurement un diaphragme contre lequel le disque s'appuie, et qui est percé de deux ouvertures également en forme de secteur ; ces ouvertures sont directement en communication avec les tubulures latérales, qui sont liées aux deux tuyaux I et I2 par lesquels la vapeur peut se rendre aux boîtes de distribution R. Nous devons faire remarquer ici que la partie verticale du tuyau est très-importante pour le travail de la machine ; il est facile de concevoir en effet que, par la marche du convoi, l'eau renfermée dans la chaudière est constamment en mouvement par les secousses de la voiture , et comme le tuyau I est placé horizontalement à peu de distance au-dessus du niveau habituel, s'il était tout simplement ouvert à son extrémité pour l'introduction de la vapeur, l'eau y pénétrerait en même temps ; mais en obligeant la vapeur de s'élever jusqu'au sommet de cette partie verticale du tuyau pour pouvoir s'y introduire, l'eau ne peut évidemment la suivre jusqu'à cette hauteur. Arrivée ici, la vapeur entre par l'orifice t, se rend dans le cylindre de la machine à vapeur, et pousse le piston N dans la direction indiquée par les deux flèches. C'est là l'effet utile de la vapeur. Mais dès que le piston N est descendu jusqu'au fond du cylindre, il faut qu'il revienne sur ses pas, et qu'en continuant ces deux marches, il établisse ce va-et-vient que les machines à vapeur ont pour but de produire. Pour faire voir comment ces mouvements alternatifs s'établissent régulièrement et comment on en retire les résultats attendus, nous devons donner ici quelques explications. Dans les locomotives, soit à quatre, soit à six roues, il n'y a que deux roues qui reçoivent la puissance motrice ou que la vapeur mette en mouvement, ce sont celles qui sont placées au milieu dans les dessins que nous publions R. On conçoit que celles-ci roulant, les autres ne peuvent rester en repos, et sont obligées de les suivre. Pour mettre ces deux roues en mouvement, il faut deux machines à vapeur, c'est-à-dire deux pistons dans deux cylindres avec le mouvement de va-et-vient. Dans la figure 2, on voit un piston N O, et le cylindre dans lequel il fonctionne L. L'autre cylindre et l'autre piston sont en tout semblables à ceux-ci. Les deux roues du milieu, pour recevoir la puissance motrice, ne peuvent avoir et n'ont pas un essieu libre et droit comme les roues ordinaires ; elles ont un essieu qui tourne avec elles et qui, à ses deux entrées dans leurs moyeux, forme deux manivelles. Cet essieu, à cause de ces deux manivelles, est appelé essieu coudé. Dans les locomotives il joue un très-grand rôle. En effet, c'est en prenant les deux manivelles de cet essieu, par le moyen d'une bielle, que chaque piston à vapeur met l'essieu en mouvement et en même temps les deux roues elles-mêmes, puisque, comme nous l'avons dit, l'essieu et les deux roues sont solidaires. Ce n'est pas tout. Toutes les fois que les deux roues du milieu font un quart de révolution, le piston N doit descendre ou monter une fois le cylindre L. Mais pour que cela se fasse, il faut que tour à tour la vapeur puisse passer à droite et à gauche du piston, que la vapeur puisse entrer tantôt par l'orifice t et tantôt par l'orifice t1. Il faut encore que, lorsque la vapeur entre par l'un des deux orifices, elle puisse s'échapper par l'autre et s'en aller par le tube M dans la cheminée G. Or, tout cela se fait avec la plus grande facilité, avec la plus grande régularité, par le moyen de l'excentrique S, par le moyen des tirants en fer plat U et U1, et par un système de bielles et de leviers 3, 4, 5, 6, 7, 8,9, etc., qui aboutissent au tiroir p, et qui, à l'aide de la tige g, le placent tantôt au-dessus de l'orifice t1, comme dans la figure, et tantôt au-dessus de l'orifice t. Il suit de là que si le mouvement des pistons à vapeur est nécessaire pour donner le mouvement aux roues, le mouvement des roues est nécessaire pour le mouvement des pistons à vapeur. Une fois cela compris et étudié, il nous sera facile de faire comprendre, sur le dessin, le jeu de là locomotive. En effet, supposons que le machiniste, sur son balcon, au moyen de la manivelle n, fasse tourner la longue tige horizontale a4 a4 et ouvre un passage à la vapeur par le moyen du disque J : aussitôt la vapeur entre au point F, descend par le tube I I2, et va se rendre, si le tiroir p est placé comme dans le dessin, à la droite du piston N, et pousser ce piston jusqu'au fond du cylindre. Mais en descendant, le piston, par le moyen de sa tige O et par le moyen de la bielle P P, fait tourner la manivelle de l'essieu Q. L'essieu, en tournant, fait suivre l'excentrique S, et, par ce mouvement, le tirant de fer U qui entoure l'excentrique est porté tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, c'est-à-dire que le tiroir p passe tantôt sur l'orifice t1 et tantôt sur l'orifice t. Maintenant, qu'on se rappelle que ce qui se fait sur la manivelle Q, à gauche, se fait aussi sur la manivelle Q, à droite, par le piston à vapeur qui la commande et qui n'est pas figuré sur le dessin, et l'on verra que les manivelles n'étant pas sur la même ligne, mais formant un angle droit, chaque coup de piston doit provoquer sur les deux roues du milieu une demi-révolution, et que deux coups de piston provoquent une révolution entière. — Les coudes formant manivelles sont disposés à angle droit, afin de se trouver constamment dans des positions différentes pendant le mouvement de la machine. Ainsi, l'un correspond à une position extrême du premier piston, par exemple, et l'autre à une position milieu du second. Il en résulte que lorsque la bielle, la manivelle et la tige d'un piston se trouvent toutes sur une même ligne, la bielle, la manivelle et la tige de l'autre se trouvent dans une position telle qu'elles reçoivent et transmettent la plus grande action à l'essieu moteur. Avec ces données, on peut très-bien suivre et comprendre le jeu des locomotives ; nous allons maintenant essayer d'expliquer quelques autres parties essentielles pour avoir une idée complète de ces appareils. Les locomotives dépensent beaucoup d'eau et beaucoup de coke ; aussi ont-elles toujours besoin d'un approvisionnement considérable. Cet approvisionnement est placé à portée de la locomotive, sur le tender ou fourgon d'approvisionnement qui suit toujours la locomotive, avec laquelle il est attaché. Le machiniste et le chauffeur peuvent facilement passer de leur balcon sur ce magasin de charbon et sur ce réservoir d'eau. Le tender a la forme d'un fer à cheval. Pour faire passer l'eau du tender dans la chaudière, on se sert de tuyaux A1 A1 et de pompes Y Z. (Dans la figure on ne peut voir qu'une de ces pompes.) Pour reconnaître si la pompe fonctionne bien, on a adapté un petit robinet e3, dans un corps de pompe qui est mis à la portée du machiniste par la longue clef d3. Les pistons de ces pompes reçoivent leur mouvement alternatif par des excentriques séparées, fixées sur l'essieu des roues de derrière. Ces excentriques sont des disques circulaires en fonte, embrassés par des bagues en cuivre, en deux parties, assemblées et liées aux tirants en fer u2, auxquels ils communiquent un mouvement de va-et-vient. Or, chacun de ces derniers se trouve attaché, par circulation, au levier r2 qui est fixé sur un axe horizontal, adapté aux tringles d'écartement U2. Deux autres leviers r1, également fixés sur le même axe et placés dans une direction perpendiculaire à celle des premiers, sont liés par articulation à deux bielles verticales q1, lesquelles se réunissent à leur partie supérieure par une traverse en fer qui porte la tige du piston ; ainsi le mouvement alternatif donné aux tirants par les excentriques se transmet à ce piston par la réunion de ces bielles et leviers, et, afin que celui-ci ne dévie pas de la ligne verticale qu'il doit parcourir, sa tige z1 passe dans un collier en fer qui lui sert de guide et que l'on voit adapté contre la chaudière par trois boulons. On voit à b3 un robinet avec poignée destiné à ouvrir et à fermer le tuyau de la pompe. Avec, de telles dispositions, à proportion que la chaudière perd de l'eau en fournissant de la vapeur, elle en reçoit par le jeu des pompes commandées par les roues de derrière de la locomotive. Les deux roues motrices des locomotives n'ont pas de rebord à l'intérieur ; les autres roues ont un rebord considérable, comme on le voit sur trois figures. Ces rebords ont pour but d'empêcher la locomotive de sortir de la voie. Les roues du milieu sont fixées à l'extrémité de l'essieu moteur, et sont liées aux deux roues de l'arrière par des bielles de jonction. Ainsi cet essieu porte à chaque extrémité une manivelle en fer R2 plus longue que celles qui communiquent aux liges des pistons. Une manivelle semblable est placée à chaque extrémité de l'axe Q, et se trouve assemblée avec la première par la bielle en fer P2, garnie de ses coussinets. Par cette disposition, les quatre roues sont tellement unies entre elles qu'il ne peut y avoir de glissement de l'une plutôt que de l'autre ; car elles marchent nécessairement toutes avec la même vitesse et elles ont l'avantage d'augmenter l'adhérence sur les rails du chemin, ce qui est important lorsque la locomotive doit remorquer de fortes charges. Les roues placées à l'avant de la voiture sont plus petites de diamètre que les quatre précédentes : leur axe est nécessairement indépendant des deux autres, mais tournant cependant comme ceux-ci dans des coussinets en bronze, sur lesquels s'exerce la pression des ressorts N2. Sur la chaudière des machines locomotives, comme en général sur toutes les chaudières à vapeur, on exige l'application de deux soupapes : elles sont représentées par les lettres H2, et renfermées sous les tuyaux G 1 G1. La pression de ces soupapes se fait au moyen d'un levier h3. L'extrémité de ce levier est traversée par une tige verticale i1, destinée à régler la pression. Le conducteur, pour connaître le niveau de l'eau, peut regarder le tube en verre J1, placé à côté de lui, ou plutôt l'un des deux robinets L1 et L2, qui sont placés à des hauteurs différentes. Le premier, lorsqu'on l'ouvre, doit donner de la vapeur, le second de l'eau. La machine est entourée d'un cadre M1 et M2. Le cadre porte la chaudière ; elle y est attachée par les supports en fer V2. La force et la consommation des locomotives varient énormément selon leur vitesse. Ainsi, l'effet utile, considéré indépendamment du combustible employé, atteint son maximum pour une vitesse moyenne entre 6 et 7 mètres par seconde; à la vitesse de 12 mètres 50 l'effet utile est diminué de moitié ; il l'est de plus des trois quarts a la vitesse de 14 mètres. De même le poids de charbon dépensé pour transporter une tonne de marchandises à un kilomètre est le moindre possible pour une vitesse d'environ 4 mètres par seconde. Ce poids augmente d'abord assez lentement pour des vitesses croissant jusqu'à 7 mètres où il n'excède que d'un dixième le minimum, puis un peu plus vite jusqu'à une vitesse de 9 mètres où il augmente d'un tiers, et enfin, à partir de là, d'une manière progressivement si rapide, qu'à une vitesse de 14 mètres il est plus que sextuplé relativement au minimum, et presque doublé relativement à la vitesse de 13 mètres. Dans les cas les plus favorables, les meilleures locomotives n'ont jamais dépensé moins de 6 à 7 kilogrammes de combustible par heure et par force de cheval. — Les locomotives parcourent ordinairement 40 kilomètres (10 lieues) à l'heure. Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, une locomotive est toujours accompagnée d'un tender, destiné à porter le coke et l'eau que la machine doit consommer dans sa marche, jusqu'à ce qu'arrivée à une autre station, elle puisse renouveler ses provisions. Le tender est en outre muni d'un frein, qui, en agissant sur les roues, les empêche de tourner et favorise l'arrêt de la locomotive dans un lieu déterminé. Les locomotives coûtent en France de 35 à 40,000 fr. *
* * Les roues des locomotives et des wagons ont un rebord. Ce rebord est toujours placé en dedans des rails, afin que les roues ne puissent pas sortir de la voie. Au-dessous des roues se trouvent les rails. On les voit dans la figure ci-dessus, en coupe. Ils sont assujettis par des coussinets sur des barres de bois placées en travers de la voie. Ces coussinets sont en fer et entourent les rails dans leur partie inférieure, comme on le voit dans la figure. Les premiers chemins de fer furent construits avec des rails trop faibles ; ils ne pesaient que douze à quinze kilogrammes le mètre courant ; aujourd'hui ils pèsent de vingt-cinq à trente kilogrammes. Il y a des chemins de fer à une voie et des chemins de fer à deux voies. Les chemins de fer à une voie sont ceux sur lesquels un seul convoi, c'est-à-dire une locomotive avec un certain nombre de wagons, peut circulera la fois. Aux Etats-Unis presque tous les chemins de fer sont encore à une voie. Les chemins de fer à deux voies sont ceux sur lesquels deux convois peuvent marcher en sens contraire sans se rencontrer. Nous plaçons ci-dessous la figure d'un chemin de fer à deux voies. Pour aller d'une voie sur une autre on se sert d'aiguilles, c'est-à-dire de rails obliques allant d'une voie à l'autre voie (voir la fig. qui précède). Dans la figure il y a discontinuité entre les rails ; il n'y en a pas lorsqu'un convoi passe, on remplit les vides convenablement avec une tige qui joint les rails obliques. Dans les grandes stations on a un autre moyen pour changer de voie et pour retourner les locomotives, c'est l'usage des plate-formes. Une plate-forme est un grand plateau mobile sur lequel on peut placer une locomotive avec son tender et la faire tourner à volonté pour prendre une route d'un angle quelconque. Ce n'est que dans les stations de peu d'importance pour débarrasser les voies que l'on se sert des aiguilles. Les locomotives remorquent un plus ou moins grand nombre de wagons ou voitures, selon les besoins : une locomotive ordinaire peut remorquer, en moyenne, vingt-cinq voitures. Lorsque le tirage est trop faible et qu'on ne veut cependant former qu'un seul convoi, on place deux locomotives l'une à la suite de l'autre, ou l'une à la tête et l'autre à la fin du convoi. Plusieurs ingénieurs condamnent l'emploi simultané de deux locomotives. Quant aux voitures des chemins de fer, il y en a de plusieurs classes. Celles de première classe, comme on le voit dans la figure ci-dessous, sont très-belles et très-commodes ; celle de la dernière classe, qu'on appelle ordinairement wagons, ne sont pas fermées avec, des glaces et laissent beaucoup à désirer comparativement aux premières. — Entre toutes les voitures, comme on le voit à la diligence ci-dessous, il y a des tampons à l'avant et à l'arrière, afin d'amortir les secousses aux moments d'arrêt et en cas d'accident. Les chemins de fer, ainsi que
nous l'avons dit, ne sont pas nés à l'état parfait : la pratique a
démontré que plusieurs calculs théoriques étaient faux, et
l'observation a conduit à des innovations aussi inattendues
qu'importantes.
Lorsqu'on proposa d'appliquer des machines à vapeur sur les chemins de fer, il y eut des ingénieurs qui prétendirent, qui démontrèrent que les roues de la locomotive, à cause de la vitesse, n'avanceraient pas, tourneraient sur-place, comme un volant ordinaire. Ces déductions théoriques, fort heureusement, ne furent pas adoptées par les praticiens, et la première locomotive lancée sur un chemin de fer, au lieu de rester immobile, alla en avant, aussi rapidement que le permettaient la quantité de vapeur produite, la circonférence des roues motrices, et la charge qui pesait sur ces roues. La charge qu'une locomotive est capable de traîner sur un chemin de fer est proportionnelle à la puissance mécanique dont cette machine est animée ; elle dépend aussi de la plus ou moins grande adhérence des roues sur les rails. D'après les expériences de M. de Pambour, une machine locomotive du poids total de 8 tonnes 20, dont 5 t. 5 étaient portées sur les deux roues de derrière, produisit, dans un temps beau et sec, une adhérence suffisante pour servir de point d'appui au mouvement de 244 tonnes, c'est-à-dire d'un poids 44 fois et demie plus considérable que le poids adhérent 5 t. 5. Or, la charge de 244 tonnes produisait une résistance de 1,952 livres, ou 886 kilogrammes ; l'adhérence des roues sur les rails était donc au moins égale à cette force de traction de 886 kilog. ; et comme le poids 5t. 5 est égal à 5,586 kilog., ou peut donc en conclure que la force d'adhérence était d'environ le sixième du poids adhérent. Toutefois par un temps humide, lorsque les rails sont gras et boueux, la force d'adhérence diminue d'une manière bien sensible. Mais si l'adhérence des roues sur un chemin de fer est une limite à la charge que peut tirer une locomotive, la résistance des voitures sur les routes ordinaires en met une bien plus grande ; car, suivant les expériences de M. Telfort, faites sur le chemin de Liverpool à Holyhead, la force nécessaire pour mouvoir un poids de 1 tonneau métrique est ainsi qu'il suit : 1° Sur un pavé bien établi, de....................................................... 15 kil. 25
2° Sur une route ferrée, fondée sur pierres de quartz,.................... 30 kil. 3° Sur une route ferrée, fondée sur pavés bruts,............................ 21 kil. 25 4° Sur une route ferrée, portant sur un fond de gravier et ciment,... 21 kil. 25 5° Sur une roule gravelée,............................................................. 68 kil. 75 La traction moyenne est donc de................................................... 31 kil. 75 Or, nous avons dit qu'un tonneau métrique n'exige, sur un chemin de fer de niveau, que 3 kilog. 64 de traction. Le tirage sur une route ordinaire prend donc plus de huit fois la force exigée sur les railways, Mais, pour les chemins de fer, il n'en est ainsi que sur la ligne droite et horizontale, celle sur laquelle il n'y a ni pente à gravir ni courbe à décrire. Or, un chemin de fer, une ligne parfaitement droite et horizontale, est presque impossible : non-seulement sur notre terre il y a beaucoup de montagnes, mais encore on ne fait des chemins de fer que pour aller d'un lieu à un autre lieu malgré les différences de niveau, les montagnes et les vallées. Le tracé primitif d'un chemin de fer est toujours composé uniquement de lignes droites accolées les unes aux autres, et formant entre elles des angles plus ou moins grands. Ce n'est que par une opération postérieure et entièrement indépendante de la première, qu'on s'occupe de les réunir par des courbes qui leur sont tangentes. Ces courbes doivent toujours être développées sur le plus grand rayon possible. Mais souvent l'économie commanderait des courbes d'un petit rayon. Il n'y a aucune difficulté à faire ces dernières courbes, mais on en a rencontré de sérieuses à faire manœuvrer sur elles les convois sans danger et sans une trop grande perle de force. Deux inventions remarquables ont été faites dans le but de permettre de diminuer le rayon des courbes : la première est due à M. Renaud de Vilback, ancien officier d'artillerie, la seconde à M. B. Laignel, ingénieur civil. Celle de M. de Vilback consiste à rompre, à l'entrée dans les courbes, le parallélisme des essieux des locomotives et des wagons. On conçoit, en effet, que si par un moyen quelconque on parvient à régler mathématiquement les roues selon la courbe à décrire, de manière que les roues tendent sans aucun frottement à suivre la ligne tracée, le problème posé est résolu. Pour rompre et rétablir le parallélisme des essieux, M. de Vilback se sert, à l'entrée et à la sortie des courbes, d'une petite manivelle qui, aux points indiqués, est commandée par un appareil placé sur la voie et indépendant de la manœuvre des conducteurs. Le système de M. Laignel ne repose pas sur le même principe. Cet ingénieur observa que pour faire rouler les wagons sur des courbes aussi facilement que sur des droites, il suffirait d'augmenter le rayon de la roue qui porte sur la courbe extérieure, relativement au rayon de la roue opposée, dans le même rapport qui existe entre les rayons des deux courbes, intérieure et extérieure, que forme la voie. Il pensa donc que l'on pourrait résoudre la question, en ajoutant à la roue une seconde plate-bande qui servirait de boudin pour la retenir sur les rails dans les boites, et qui dans les courbes porterait sur un élargissement du rail extérieur. Les essais de ce système ont été couronnés d'un succès complet ; il a été adopté dans les chemins de fer construits par l'industrie privée. On a proposé et beaucoup vanté un troisième système, imaginé par M. Arnoux ; mais il est fort compliqué, peu solide, et par conséquent inapplicable. Quant à la régularité de la pente, à l'horizontalité de la voie, il n'est pas toujours possible et profitable de l'obtenir. Les ingénieurs anglais se sont d'abord prononcés pour de très-faibles pentes. En France, nous avons été, sur ce point, beaucoup plus loin qu'en Angleterre : plusieurs de nos ingénieurs, et l'administration des ponts et chaussées elle-même, se sont prononcés contre les pentes au-delà de 5 et 6 millimètres par mètre. Mais l'expérience est venue ici, comme presque partout ailleurs, corriger la théorie : le plus grand partisan anglais des faibles pentes, M. Stephenson, est parvenu à reconnaître, après des calculs décisifs, que les fortes pentes, les pentes de 9, 10, 11, et même 15 millimètres par mètre pourraient souvent être admises avec profit. Il est vrai, avec de faibles pentes, le tirage est moins considérable ; mais les dépenses de construction sont plus fortes, le trajet à parcourir est ordinairement plus long, et comme la dépense de la vapeur n'est pas seulement eu raison des pentes, mais aussi en raison de l'espace à parcourir, le prétendu bénéfice de la ligne horizontale est presque toujours une véritable perte. Quelquefois une pente même considérable ne suffit pas pour racheter la différence de niveau entre deux points donnés : dans ce cas, on a recours aux plans inclinés. Le plan incliné de Liège, en Belgique, fonctionne avec une très-grande précision. Les convois parcourent les plans inclinés à la descente par l'effet seul de la pente. On régularise la marche avec des freins puissants. Pour remorquer les convois à la montée, on emploie des câbles qui sont mis en mouvement par des machines à vapeur fixes. Chaque plan incliné est muni d'un câble sans fin ; la machine qui manœuvre le câble du plan inférieur est, suivant l'usage généralement suivi, placée au sommet, tandis que la machine destinée à la manœuvre du plan supérieur est placée au pied de ce plan. Cette innovation, particulière aux plans inclinés de Liège, présente plusieurs avantages qui méritent d'être cités. Les machines, étant réunies, peuvent, par une disposition très-heureuse, se suppléer en cas de réparation, et dispensent ainsi des machines de réserve, qui auraient doublé les frais d'établissement ; elle produit une grande économie de combustible en permettant de réduire le nombre de chaudières qu'il aurait fallu tenir en feu si les machines avaient été séparées ; en effet, les mêmes chaudières, après avoir activé la machine du plan inférieur, continuent à produire de la vapeur qui sert à mettre en mouvement la machine du plan supérieur. *
* * Il arrive fort peu d'accidents
sur les chemins de fer. Ils peuvent être le résultat de la vitesse, qui
d'un faible obstacle fait un obstacle très-grand et très-dangereux, de
la sortie des convois hors de la voie dans les courbes, de la mauvaise
construction des locomotives, el enfin des manœuvres des conducteurs.
On a de la peine d'abord à se familiariser avec tant de causes de
grandes catastrophes. En vérité, les premiers qui se sont livrés à ces
terribles moteurs ont porté le courage jusqu'à une audacieuse témérité.
Mais l'influence de l'exemple est miraculeuse ; ce qu'un homme isolé
n'oserait faire, dix simultanément vont le tenter. Chaque voiture
renfermait un certain nombre de compagnons qui se donnaient
mutuellement de la force, et ils oubliaient que le moindre dérangement
des locomotives serait pour tous le signal d'une mort terrible et
presque inévitable. La plus grande catastrophe arrivée jusqu'à ce jour
sur les chemins de fer est celle du 8 mai 1842, sur le chemin de fer de
Paris à Versailles (rive gauche). On s'est alors livré à la recherche
des moyens de sécurité dans toutes les parties de l'Europe : l'esprit
des inventeurs n'a pas été stérile, mais la plupart des chemins de fer
appartiennent à des compagnies, et les administrations de ces
compagnies ont plus à cœur l'agiotage des actions que la sécurité des
voyageurs. Du reste, le gouvernement français et l'Académie des
sciences ont nommé des commissions spéciales pour examiner les moyens
proposés pour prévenir tous les accidents sur les chemins de fer.
Quoiqu'on ne puisse pas espérer que le problème soit complétement
résolu, que l'on puisse prévenir les fâcheuses suites de la négligence
et les funestes desseins de la scélératesse, et arriver à des
constructions précises comme le calcul, nous ne doutons pas qu'on ne
trouve, parmi tous les projets présentés, des perfectionnements
remarquables, des inventions importantes. Une fois de nouveaux moyens
de sécurité constatés, le gouvernement commettrait une très-grande
faute s'il n'en imposait pas l'adoption aux compagnies.
*
* * Les travaux de construction des
chemins de fer sont fort considérables ; ils consistent surtout en
déblais, remblais, tranchées, percements, maçonnerie, établissement de
la voie, pose des supports, des chairs, etc. Dans les pays plats, peu
accidentés, les travaux des chemins de fer sont peu dispendieux ; dans
les pays de montagnes, ils sont excessifs. Aussi les chemins de fer ne
conviennent pas à tous les pays. Lorsqu'on rencontre une élévation, il
faut ou la percer de part en part, ou la tourner, ou faire une
tranchée. Les percements ou tunnels sont difficiles à exécuter. Toutes
les fois qu'on le peut, on leur préfère les tranchées. Le chemin de fer
de Paris à Orléans n'a pas un seul tunnel. Celui de Paris à Rouen en a
cinq. L'un d'eux, à Rolleboise, a une longueur de 2,025 mètres (plus
d'une demi-lieue).
Comme nous l'avons dit, sur la voie, une fois faite, on place des traverses en bois, sur les traverses de bois les coussinets, et sur les coussinets les rails. Mais toutes les terres n'ont pas la même densité, la même résistance : aussi un chemin de fer n'est jamais fini, il y a toujours des réparations. Les réparations les plus ordinaires sont celles provenant des inégalités du niveau des rails. On a cherché à prévenir ces réparations incessantes, mais on n'a rien trouvé de digne de mention. * * * Autrefois, sur les chemins de
fer, on employait les chevaux, aujourd'hui on se sert de locomotives.
On a trouvé que les chevaux n'allaient plus assez vite pour nos besoins
actuels. La force que l'on peut obtenir d'un cheval varie suivant la
vitesse avec laquelle on utilise la quantité de mouvement qu'il est
susceptible de développer, suivant la constitution physique de
l'animal, son âge, l'habitude qu'il a du travail auquel il est destiné,
la manière dont il est nourri, et l'espace de temps que l'on emploie à
user sa vie, en l'assujettissant à un travail qui détermine sa perte
dans un laps plus ou moins long.
A la vitesse de 4,000 mètres à l'heure, un bon cheval pourra faire, sur une bonne route, 32 kilomètres, en transportant 1,600 kilogr., y compris le poids de la voiture. A la vitesse de 10,000 mètres à l'heure et en faisant des relais de 6,000 mètres, il transporte 900 kilogr. à 25 kilomètres. A la vitesse de 10,000 mètres (4 lieues), il transportera 500 kilogr. à 10 kilomètres seulement. Comme la constitution physique des chevaux est très-variable, et qu'il est en outre d'autres causes qui influent sur la quantité de puissance mécanique qu'ils sont susceptibles de produire dans un temps donné, qu'il est difficile de fixer aucune limite que l'on puisse regarder comme une unité propre à représenter leur force ; aussi ne doit-on regarder les appréciations données que comme des moyennes dont les extrêmes sont susceptibles d'assez grandes variations (7). *
* * Il n'y a aujourd'hui qu'un système de chemins de fer ; mais on en a proposé plusieurs systèmes.
*M. Palmer, ingénieur anglais, imagina, il y a quelques années, un chemin de fer qui, s'il était construit au milieu d'une campagne, se présenterait aux yeux du voyageur comme un mur ordinaire. Ce chemin de fer, du reste, n'est qu'un véritable mur, sur lequel on a placé des bandes de fer. Ces bandes sont le chemin de l'ingénieur anglais. Il ne le destine pas à des voilures, mais simplement à deux caisses, l'une à droite et l'autre à gauche de la voie, liées ensemble par un chariot, et placées sur le mur à bandes de fer comme une charge ordinaire sur un âne. Ce n'était pas avec des locomotives, mais avec des chevaux que M. Palmer voulait faire le service de ce chemin de fer. Il pensait que comme c'est la charge qui fait le frottement, il y aurait un très-grand profit à la faire marcher ainsi sur des bandes de fer unies. Le système proposé par M. Palmer n'a pas été adopté. En Fiance, M. Nepveu a présenté un système de chemin de fer qui a beaucoup d'analogie avec celui de M. Palmer. Le chemin de M. Nepveu n'est destiné qu'au transport des matériaux, des bois de construction, des minerais, etc. Dans ce système, le chemin, c'est une suite d'arbres, équarris, suspendus à des piliers et recouverts de deux bandes de fer aux deux bords supérieurs. Au moyen d'un chariot en forme de fer à cheval, les deux bouts tournés en haut et portant chacun une petite roue pouvant tourner sur les bandes de fer dont nous avons parlé, on peut charger des fardeaux très-lourds et les transporter assez facilement sur la suite d'arbres qui forment le chemin. Ce chemin, facile à monter et à démonter, pourrait donner de grandes économies dans l'exploitation de certaines forêts et de certaines mines. Nous devons ajouter que les menuisiers les moins habiles pourraient le construire et le réparer. M. Shers de Strasbourg, ayant constaté la grande résistance des fils de fer, crut que l'on pourrait s'en servir comme moyen de transport, à peu près comme l'on se sert de câbles pour traverser un bac. Dans le système de M. Shers, les fils de fer étaient fixés sur des poteaux placés à des distances convenables. Une charge quelconque, suspendue à un chariot ou poulie, à peu près disposée comme dans le système de M. Palmer, et lancée d'un poteau quelconque, parcourait rapidement plus de la moitié de la distance qui existait entre deux poteaux. Aussitôt après son passage au-delà de moitié de cette distance, un treuil soulevait le fil de fer et poussait ainsi la charge vers le second poteau et même au-delà. Ce chemin de fer avait un inconvénient fort grave : quand la charge passait sur la tête des poteaux, sur le fil de fer fixe, il se produisait, une secousse très-forte, capable de tout rompre. Mais un homme de talent pourrait peut-être tirer un grand parti de l'ingénieuse idée de M. Shers. En Angleterre, depuis deux ans, il existe un chemin de fer atmosphérique que les ingénieurs regardent comme une importante innovation. La voie de ce chemin de fer est semblable à la voie de nos chemins de fer. Mais au milieu des deux rails et à une certaine hauteur se trouve un tube, une suite de tubes parfaitement ajustés. Si, au moyen de machines à vapeur fixes, on fait le vide dans ce tube, on peut, à l'aide d'un piston convenablement disposé et attaché à la première voiture d'un convoi, remorquer à la fois plusieurs voitures, un convoi assez considérable. On le sait, les locomotives coûtent cher et dépensent beaucoup : peut-être le chemin de fer atmosphérique est-il le premier pas vers un autre système de chemins de fer tout aussi rapides et non-seulement moins coûteux, mais aussi plus sûrs (8). *
Les chemins de fer ont leurs propriétés distinctives et, si l'on peut
ainsi parler, leurs vertus particulières. Bien mieux que les canaux,
ils sont à l'abri de toutes les irrégularités de la circulation. Ils ne
connaissent, pour ainsi dire, ni les climats, ni les saisons, ni les
gelées, ni les orages.* * Les chemins de fer ont sur les canaux et les routes ordinaires cet immense avantage, qu'au lieu de chevaux on y emploie pour la traction un agent mécanique, la vapeur. Dès lors disparaissent les obstacles qui, avec les moteurs animés, limitent naturellement la célérité du mouvement. Cet agent mécanique possède d'ailleurs, sous un faible volume, une puissance immense et de beaucoup supérieure à la somme des forces qu'on peut appliquer à la traction avec des moteurs animés. Il n'est pas avantageux, il est même incommode d'atteler plus de six chevaux à une diligence ou à une voiture de roulage ; tandis que c'est une assez faible machine locomotive que celle qui a une force nominale de vingt-cinq chevaux, et un cheval de vapeur, tous comptes faits, a une force double de celle d'un cheval en chair et en os. Comme d'ailleurs la résistance est dix fois moindre sur un chemin de fer que sur une route, il résulte de toutes ces différences, qu'une petite locomotive, placée en tête d'un convoi, fournit une force effective quatre-vingts fois plus considérable que la force maximum appliquée à une diligence. Que serait-ce avec une puissante locomotive ? On en construit aujourd'hui d'une force de plus de cent chevaux ! La puissance de la force motrice, la faiblesse de la résistance, et l'avantage de remplacer par un moteur mécanique les moteurs animés dont la vélocité est naturellement bornée, ont ce résultat (et c'est l'attribut caractéristique des chemins de fer), c'est que la locomotive sur ces voies rapides atteint une vitesse qu'on pourrait en quelque sorte rendre illimitée. Dans la pratique, on y circule à raison de dix lieues à l'heure, et à raison de quatre à cinq lieues quand on transporte de la marchandise. Cette célérité incomparable est surtout d'un avantage inappréciable pour le déplacement, des hommes ; car le temps, selon le bonhomme Richard, c'est l'étoffe dont la vie est faite. C'est par là que les chemins de fer sont appelés à influer principalement sur les sociétés, non-seulement dans leur commerce et dans leur économie publique, mais encore dans leur état moral et politique. Circuler à raison de dix lieues à l'heure, se transporter, entre le lever et le coucher du soleil, du centre à l'extrémité d'un royaume grand comme la France, on eût considéré cela, il y a vingt ans, comme une chimère, une folie ; et cette folie, les chemins de fer la réalisent : ce n'est rien moins qu'une révolution dans les relations des hommes et des peuples entre eux, qui changera la face du monde (9). *
* * La mesure des services que les chemins de fer rendent aux diverses classes des citoyens n'est pas facile à déterminer. Cependant, en prenant pour comparaison l'Angleterre et la Belgique, on arrive à des résultats fort significatifs. Ces deux pays, en effet, résument séparément les systèmes les plus opposés en matière de travaux publics. En Angleterre, les chemins de fer sont, sans exception, l'ouvrage et la propriété des compagnies ; en Belgique, c'est l'Etat qui les a lui-même entrepris à ses frais et qui les exploite pour son compte. Là, par conséquent, ils sont gérés dans l'unique vue des dividendes qu'ils pourront donner et qu'on tâche de rendre le plus considérable qu'il est possible ; ici, au contraire, on se préoccupe avant tout de l'intérêt de la communauté. L'Angleterre, enfin, est le pays du monde où on a le plus cherché dans l'exploitation des chemins de fer à obtenir de beaux produits par l'élévation des tarifs : en Belgique on a agi comme si des tarifs très-bas devaient procurer, sinon les plus gros profils, au moins des profits satisfaisants. (2) Ce réseau unit Bruxelles, Malines, Anvers, Hall, Tubise, Termonde, Gand, Courtray, Bruges, Ostende, Louvain, Tirlemont, Saint-Trond, Varemme, Liège. (3) Ce réseau unit Londres, Birmingham, Liverpool, Manchester. Cette comparaison entre les chemins de fer anglais et belges a été faite par M. Bazaine. Voici le rapprochement qu'il a établi entre une notable fraction du réseau belge et la grande ligne qui joint Londres à Liverpool et à Manchester, d'un développement à peu près pareil, en raisonnant sur l'exercice de 1840. Voilà donc la mesure des services que les chemins de fer belges et anglais rendent aux diverses classes des voyageurs : sur 100 voyageurs, les premiers en reçoivent 59 de la 3e classe ; pour les seconds, les voyageurs de cette classe sont en nombre insignifiant : sur les chemins belges, les voyageurs de 2e classe sont environ trois fois plus nombreux que ceux de la 1e classe, et sur les chemins anglais il y a parité entre la 1e et la 2e classe ; sauf, cependant, une légère différence à l'avantage de la première. Ces chiffres sont éloquents. Ils montrent que les chemins de fer belges sont une entreprise exploitée nationalement, une création utile à tous, dont toutes les classes de citoyens partagent les bienfaits. Le système d'exploitation pratiqué jusqu'à ce jour sur les grandes lignes anglaises a fait de celles-ci une création à l'avantage exclusif des classes riches ou aisées (10). *
* * En face de l'admirable invention des chemins de fer, le poète et l'économiste ne s'arrêtent pas seuls étonnés, émus ; les yeux tournés vers l'avenir, le prêtre éprouve les mêmes sentiments, se livre aux mêmes espérances. Voici les paroles éloquentes que Mgr l'évêque d'Orléans a prononcées à l'inauguration du chemin de fer d'Orléans à Paris : « La nouveauté du spectacle que nous avons sous les yeux éveille dans l'esprit de grandes pensées. En présence de ces miraculeux travaux, qui bientôt ne feront plus de la France qu'une grande ville entourée de faubourgs magnifiques, on est frappé d'admiration pour le génie de l'homme, capable de réaliser des prodiges que, dans ses rêves les plus brillants, l'imagination elle-même naguère n'aurait pu se représenter. « Que l'homme est grand, messieurs, et que l'auteur de son être l'a élevé par son intelligence au-dessus de tous les ouvrages sortis de ses mains ! « Il dompte toutes les puissances de la nature, il les maîtrise, il les réunit ou les sépare, selon ses besoins, et quelquefois selon ses caprices. « Roi de la terre, il la couvre à son gré de villes, de villages, de monuments, d'arbres et de moissons ; il force tous les animaux de les cultiver pour lui et son empire, de le servir, de l'amuser, ou de disparaître. « Roi de la mer, il se balance en riant sur ses abîmes ; il pose des digues à sa furie ; il pille ses trésors, et il commande à ses vagues écumantes de transporter au loin les produits de son industrie, ou de servir de route à ses découvertes. « Roi des éléments, le feu, l'air, la lumière, l'eau, esclaves dociles de sa volonté souveraine, se laissent emprisonner dans ses ateliers et ses manufactures, et même atteler à ces chars qu'ils entraînent, coursiers invisibles, aussi vite que la pensée. « Que de grandeur et de puissance dans un être fragile qui ne vit qu'un jour, et qui ne semble qu'un atome imperceptible au milieu de cet univers qu'il gouverne avec tant d'empire! « Mais cette créature si petite et si faible a reçu une âme intelligente et raisonnable, elle est animée d'un souffle divin, et, seule entre toutes les autres, elle jouit de l'étonnant avantage de puiser la lumière au foyer de la lumière, et de briller de l'éclat de l'esprit au milieu des mondes qui ne brillent que des pâles reflets de la matière. « L'empire du monde lui a été donné, parce que son âme, plus grande que le monde, le mesure, l'admire, l'explique et le comprend. « La nature lui a été soumise, parce qu'il sait pénétrer le merveilleux mécanisme de ses lois, découvrir ses plus impénétrables secrets et lui arracher tous les trésors qu'elle renferme dans son sein. » *
* * Les chemins de fer et la navigation à la vapeur opéreront tôt ou tard dans le monde d'immenses révolutions. Paris à 6 heures de Lille, à 4 heures du Havre, à 14 heures de Bordeaux, à 11 heures de Lyon, à 20 heures de Marseille, à 11 heures de Strasbourg, c'est toute la France aux portes de la capitale, c'est le gouvernement rendu plus facile, c'est le commerce mis à même d'opérer des bénéfices plus considérables, c'est l'industrie pouvant tout voir et pouvant profiter de tout, c'est la vie, l'activité, la richesse, la civilisation circulant partout et pouvant partout pénétrer. Mais pour les relations de peuple à peuple, pour les progrès de l'alliance des nations, pour le bien-être de l'humanité, les chemins de fer donneront encore des résultats plus beaux, plus admirables que pour chaque peuple en particulier : ce que n'ont pu faire jusqu'ici ni les philosophes, ni les diplomates, ni la logique humaine, nous le devrons, n'en doutons pas, à la navigation à la vapeur et aux chemins de fer. Quand on pourra venir à Paris de Londres en 12 heures, d'Amsterdam en 15 heures, de Bruxelles en 7 heures, du centre de l'Allemagne, de la Suisse et de l'Italie en 15 ou 20 heures, les Français, les Anglais, les Belges, les Allemands, les Italiens et les Espagnols se connaîtront autrement que par les journaux, et seront liés autrement que par des traités politiques : il s'établira entre eux des relations, désintérêts, des alliances, des idées et des sympathies communes, et, dès lors, il sera aussi difficile de faire la guerre qu'il l'a été jusqu'ici de maintenir la paix ; les peuples auront obéi enfin à la voix du poète, ils se seront donné la main. *
* * On peut, sans avoir mis le pied dans un débarcadère et sans avoir vu passer un convoi, se faire une idée du spectacle que présente un chemin de fer. (Voir la planche) Lorsqu'on veut mettre un convoi en marche, on approvisionne d'eau et de coke une locomotive et son tender, on allume le feu au foyer de la locomotive, et on attend qu'on ait de la vapeur en quantité suffisante. Ces préparatifs sont fort longs. Quand la vapeur est arrivée, ce que l'on reconnaît au manomètre, on vérifie si la locomotive est en bon état et si elle fonctionne bien. Pour cela, on lui fait faire quelques pas en avant et quelques pas en arrière. Cela fait, on la conduit à la tête des voitures qu'on veut lui faire remorquer. Il y a deux espèces principales de voitures sur les chemins de fer, celles destinées aux voyageurs, et celles destinées aux animaux et aux choses. Il y a trois classes de voitures pour les voyageurs sur les chemins de fer français : 1° les voitures couvertes et garnies ( diligences à coupé); 2° les voitures couvertes mais non garnies (diligences de deuxième classe); 3° enfin les voitures découvertes (wagons). Les voitures de la première classe ne laissent rien à désirer : elles sont spacieuses et très-confortables. Les secondes, quoique bonnes, sentent le calcul des spéculateurs. Pour les troisièmes, ce sont de véritables tombereaux en planches, sans aucun abri contre le soleil, la pluie et la neige. C'est le cynisme effronté de la spéculation. Les voitures destinées aux bagages, aux marchandises, aux animaux, aux diligences, etc., sont simples et ne présentent rien à signaler. Les voitures des chemins de fer n'ont ni devant ni derrière : c'est afin qu'on n'ait pas besoin de les retourner. Elles peuvent toutes s'attacher les unes aux autres facilement, solidement et en peu de temps. Lorsque dans un convoi on a des voitures de toutes les espèces, on place tout après le tender celles qui portent les marchandises et les bagages, puis celles de troisième classe, ensuite celles de deuxième classe, et enfin celles de la première. On fait ainsi afin d'éloigner le plus possible ceux qui payent le plus, de l'incommodité de la fumée et des malheurs des accidents. La fumée est souvent considérable ; on a des moyens d'en avoir très-peu, mais on ne s'en sert pas. Quant aux accidents, la prudence parviendra tôt ou tard, n'en doutons pas, à les prévenir presque tous. Aussitôt que la locomotive et son tender ont été placés à la tête du convoi et que les voyageurs ont pris leurs places, un simple tour de manivelle peut tout mettre en marche. Lorsque le cavalier va partir, son cheval hennit, frappe la terre des pieds, ne peut maîtriser son impatience ; il en est de même de la locomotive : au moment du départ, elle crie, elle exhale de sa poitrine ardente, avec un torrent de vapeur, un sifflement épouvantable. Enfin elle s'ébranle. En même temps l'impulsion se communique successivement et rapidement à tout le convoi. D'abord, malgré les efforts apparents de la machine, on ne semble marcher qu'à pas comptés. Mais le mouvement s'accroît, la vitesse augmente à chaque instant. Le monstre est enfin lancé. Dès lors rien ne l'arrête : il va plus vite que les nuages du ciel, il semble être conduit par la foudre. A ne pas en douter, la locomotive est le chef-d'œuvre du génie de l'homme, et les chemins de fer, l'invention qui nous porte le plus en avant des temps passés. Donner la vie à un appareil de fer, le douer d'une force prodigieuse, lui commander de transporter des centaines d'individus d'une frontière à une autre frontière du royaume, avec une vitesse de dix, de vingt lieues à l'heure, cela n'avait paru jusqu'ici qu'au pouvoir des fées, et voilà qu'aujourd'hui nous aspirons déjà à de nouvelles et de plus importantes conquêtes ! Convenons-en, il y a loin de cette admirable invention à toutes celles que nous ont laissées nos pères, et ce serait désormais une folie que d'assigner des limites à la puissance de l'homme, qui, de progrès en progrès et par des voies inconnues, semble conduire l'humanité à de nouvelles destinées. Aussi, en voyant un convoi de nos chemins, rasant à peine la terre et dévorant l'espace, on ne peut s'empêcher de s'écrier : Voilà le plus beau spectacle qu'il ait été encore donné à l'homme de voir ; notre plus grande victoire contre la matière ! Et cependant les chemins de fer ont encore des détracteurs ! En cela les chemins de fer éprouvent le sort de tous les nouveaux venus sur la terre, auxquels l'opinion n'accorde qu'à la longue le droit de cité. Les innovations causent tant de dérangements ! ils contrarient tant d'intérêts anciens ! Cependant les avantages des nouvelles voies de communication ne sont pas difficiles à être constatés. Tous nos grands chemins de fer auront au moins deux cents locomotives, dont la force sera de plus de 20,000 chevaux. Ces 20,000 chevaux de vapeur, sur les chemins de fer, valent 60 fois 20,000 chevaux sur les routes ordinaires, c'est-à-dire, 1,200,000. En d'autres termes, avec les machines d'une seule compagnie on pourra, sur un chemin de fer, suffire à une masse de transport qui exigerait 1,200,000 chevaux sur les routes ordinaires. Multipliez ces résultats par 6, par 8, par le nombre des grandes lignes que nous aurons tôt ou tard, et vous aurez à peine une idée de la force que les chemins de fer pourront un jour mettre à la disposition du gouvernement pour le transport de ses troupes, du commerce pour le transport de ses marchandises, et du public pour aller en quelques heures d'une frontière à l'autre frontière du royaume ! * * ITINÉRAIRE DES CHEMINS DE FER De PARIS à ROUEN. Le chemin de fer de Paris à
Rouen, à Paris, a le même débarcadère que les chemins de fer de Paris à
Versailles (rive droite), et de Paris à Saint-Germain. Ce débarcadère
est situé rue Saint-Lazare, presque en face de la rue Tronchet, si on
la continuait assez loin. Les abords en sont encore affreux : des rues
étroites, des maisons vieilles et laides et des chantiers de bois,
voilà ce qu'on trouve aujourd'hui aux portes de ce débarcadère. Mais à
peine est-on arrivé, la scène change : trois entrées, l'une pour les
voitures, par une cour spacieuse et belle, deux pour les piétons par
deux galeries couvertes, et d'un style gracieux, se présentent d'abord
aux regards. On se croirait dans un édifice monumental, si à droite et
à gauche, dans les galeries, on ne voyait des magasins qui indiquent la
spéculation. De la cour et des galeries on monte, par de très-beaux
escaliers en pierre, à la salle des billets. Aussitôt qu'on a payé le
péage, on monte encore et l'on arrive aux salles d'attente,
très-spacieuses, fort élevées et d'une très-belle élégance. Là,
lorsqu'on donne le signal, on court, on galope par bandes, qui dans les
wagons, qui dans les diligences, qui sur les impériales. Il faut
l'avouer, dans la prise de possession des places, il n'y a aucun ordre,
aucune régularité : la première place appartient à qui a les meilleures
jambes et qui ne craint pas de renverser ses compagnons. Nous espérons
qu'on trouvera le moyen de mettre un peu d'ordre dans cette véritable
course au clocher. Aussitôt que chacun est entré comme il a pu dans une
voiture, on ferme à clef les portes des voitures, à l'extérieur, et le
convoi part. Mais, à l'endroit des bagages, c'est bien autre chose :
pour les livrer, il faut une heure ; pour les reprendre, il en faut
près du double ! Avec un tel service, s'il n'était pas amélioré, on
perdrait à attendre sa malle le temps que l'on gagnerait sur les
messageries.
*En partant de Paris, on trouve deux tunnels ; le dernier, celui sous les Batignolles, est assez long. A peine en est-on sorti, on voit une belle plaine, qui à droite touche aux buttes de Montmartre, s'étend jusqu'à Saint-Denis, et qui à gauche part du bois de Boulogne pour se perdre vers Saint-Ouen et au-delà. Presque jusqu'à Asnières, le chemin de fer est exhaussé au-dessus du niveau du sol, et les regards du voyageur peuvent s'étendre au loin dans la campagne. Clichy-la-Garenne.— A droite, et avant d'arriver à Asnières, on aperçoit Clichy-la-Garenne. Ce village, devenu presque une ville, est fort ancien : Dagobert se plaisait à habiter son château de Clichy, où se célébra son mariage et où se tint en sa présence un concile provincial. Asnières. — Ce village d'Asnières, situé dans une position agréable, possède plusieurs belles maisons de campagne, et un château qui a appartenu au comte d'Argenson. Un peu au-delà d'Asnières, le chemin de fer de Paris à Rouen se sépare de celui de Paris à Saint-Germain. Colombes. — A droite, on voit Colombes et, peu après, Besons, par-delà la Seine. Colombes fut un fief de l'abbaye de Saint-Denis jusqu'en 1248. Henriette d'Angleterre, fille de Henri IV, celle dont Bossuet prononça l'éloge funèbre, y mourut en 1669. Besons, sous la première race, était un hôtel de monnaies ; aujourd'hui, c'est là où se tient la grande foire de Saint-Fiacre. Maisons. —Traversons le fleuve et nous serons à Maisons. Maisons a un château, bâti d'après les plans de Mansard au commencement du règne de Louis XIV, pour René de Longueil, surintendant des finances. Avant la révolution, il faisait partie des domaines du comte d'Artois. Napoléon le donna au maréchal Lannes. Aujourd'hui il appartient à M.J. Laffitte. Voltaire y séjournait souvent, et il faillit y mourir de la petite vérole. Voici deux passages d'une des lettres à M. de Breteuil, sur sa maladie et sur Maisons : — «... On m'annonça que le curé de Maisons, qui s'intéressait à ma santé, et qui ne craignait point la petite vérole, demandait s'il pouvait me voir sans m'incommoder ; je le fis entrer aussitôt, je me confessai et je fis mon testament, qui, comme vous le croyez bien, ne fut pas long. Après cela, j'attendis la mort avec assez de tranquillité, non toutefois sans regretter de n'avoir pas mis la dernière main à mon poëme (la Henriade) et à Marianne, ni sans être un peu fâché de quitter mes amis de si bonne heure... Enfin je fus en état d'être transporté à Paris le 1er décembre. Voici, Monsieur, un moment bien funeste. A peine suis-je à deux cents pas du château, qu'une partie du plancher de la chambre où j'avais été tombe tout enflammé. Les chambres voisines, les appartements qui étaient au-dessous, les meubles précieux dont ils étaient ornés, tout fut consumé par le feu : la perte monte à près de cent mille livres ; et, sans le secours des pompes qu'on envoya chercher à Paris, un des plus beaux édifices du royaume allait être entièrement détruit. Je ne pouvais concevoir comment le feu avait pu prendre si brusquement dans ma chambre où je n'avais laissé qu'un tison presque éteint ; j'appris que la cause de cet embrasement était une poutre qui passait précisément sous la cheminée. C'est un défaut dont on s'est corrigé dans la structure des bâtiments d'aujourd'hui ; et même les fréquents embrasements qui en arrivaient ont obligé d'avoir recours aux lois pour défendre cette façon dangereuse de bâtir. La poutre dont je parle s'était embrasée peu à peu par la chaleur de l'âtre, qui portait immédiatement, sur elle ; et par une destinée singulière, dont assurément je n'ai pas goûté le bonheur, le feu, qui couvait depuis deux jours, n'éclata qu'un moment après mon départ. » Saint-Germain. — Nous voilà au milieu de la forêt de Saint-Germain. Ah ! si Louis XIV nous voyait ! Sur un coteau, à gauche, est Saint-Germain-en-Laye, jolie ville et bien peuplée, que le voisinage de Paris enrichit d'une société agréable et bien choisie : la beauté des environs, la richesse des sites, la pureté de l'air en feront toujours un des séjours les plus enchanteurs de France. Louis le Gros et ses successeurs y habitèrent souvent, comme on le voit par plusieurs diplômes datés de ce lieu. François Ier y fit construire le vieux château sur l'emplacement de la maison de Jacques Coitier, médecin de Louis XI. Ce palais que l'on voit encore sur le sommet de la montagne servit de retraite aux amours de Mme de La Vallière, et d'asile aux malheureux Stuart. La terrasse qui borde la forêt est la plus belle promenade dont on puisse jouir sous le rapport de la richesse et de l'étendue de la vue. Ce qui détermina Louis XIV à quitter le château de Saint-Germain, c'était, dit-on, la triste impression qu'il éprouvait toutes les fois que, du haut de la terrasse, ses regards découvraient le clocher de Saint-Denis, dernière et lugubre habitation de nos rois : faiblesse qu'il est bien permis de supposer dans le superstitieux auteur des Dragonnades. Etoile-de-Conflans. — Le chemin de fer passe un peu loin de Conflans. Ce village possédait autrefois un monastère où l'on conservait les restes sacrés de sainte Honorine, dont on ignore les actes et la vie. L'apparition des pirates normands, qui se dirigeaient vers Lutèce en côtoyant les bords du fleuve, jeta l'épouvante parmi les moines de ce couvent ; ils s'enfuirent emportant avec eux les reliques de la vierge martyre, et les confièrent en dépôt aux habitants de Graville, près Harfleur. La présence de la sainte ne tarda pas à se révéler par des miracles ; et comme elle rendait surtout, dit une vieille chronique, la liberté aux captifs, les paladins, les archers, les gens d'armes y affluaient sans cesse sous le costume de pèlerins. Jaloux de la prospérité de Gravide, le diocèse de Paris réclama les précieuses reliques qui furent apportées en grande pompe à Conflans ; mais la foule continua de se porter au sarcophage resté à Graville, et Conflans n'y gagna que des cendres, tant est vraie la fable des Devineresses. Ce village doit son nom au confluent de l'Oise. Il possède un château magnifique entouré par la forêt de Saint-Germain. Poissy. — 2,880 habitants (Seine-et-Oise). Celle petite ville est fort ancienne. Les premiers rois de la troisième race y avaient un palais dans lequel saint Louis reçut la naissance et le baptême, et ce prince aimait à prendre le titre de Louis de Poissy. Philippe le Hardi fit bâtir une magnifique église sur l'emplacement du château, et choisit, pour le grand-autel, l'endroit même où était le lit de la reine Blanche lorsqu'elle accoucha de saint Louis. Aussi le chevet de l'église n'est pas tourné vers l'Orient, selon l'usage, autrefois général, d'affecter cette position. Poissy est encore illustre par le fameux colloque où le cardinal de Lorraine plaida la cause des catholiques, et Théodore de Bèze celle des protestants. Leur éloquence n'empêcha pas cette assemblée d'aigrir, pour tout résultat, l'animosité des deux partis qu'on voulait concilier. Il se tient toutes les semaines à Poissy un marché de bestiaux pour l'approvisionnement de la capitale, et il y a une caisse de commerce où, pour un modique intérêt, les bouchers peuvent acheter à crédit, sous la responsabilité solidaire de tous les membres de la corporation. Triel. — A droite on voit Triel, bâti sur le penchant d'une colline. On remarque dans l'intérieur de l'église un tableau original du Poussin représentant l'adoration des mages ; le pape l'avait donné à Christine de Suède pendant son séjour à Rome ; après la mort de cette princesse, un de ses valets de chambre, nommé Poiltenet, en fit présent à Triel, son pays natal. On distingue encore la beauté du chœur, que l'on croit avoir été bâti par François Ier, et sous lequel passe une rue au moyen d'une voûte qui le supporte. Après Triel on trouve Vaux, et après Vaux, Meulan : le nom de Vaux a donné naissance à un jeu de mots répandu dans le pays : Triel, Vaux, Meulan, énumération géographique qui donne à Triel une importance dont il est loin d'être digne. Meulan.— 1,941 habitants (Seine-et-Oise). La ville de Meulan, bâtie en amphithéâtre sur la rive droite du fleuve, était autrefois une place très-forte qui avait ses comtes. Réunie à la couronne sous Philippe-Auguste avec tout le comté, cette ville n'en resta pas moins la capitale du Pincerais, pays qui s'étendait depuis Poissy jusqu'à Mantes. Elle eut beaucoup à souffrir surtout des ravages des Normands, qui s'en emparèrent, massacrèrent les seigneurs et le comte du pays, et passèrent la garnison au fil de l'épée. Les poètes du moyen âge n'ont pas manqué de célébrer ses désastres... Donc ont porpris Meullent et toute la contée,
Les barons ont occis et la terre gastée... dit Vace dans son roman du Rou. Epones. — Village de 900 habitants : on n'y a placé une station que parce qu'il se trouve sur une route de quelque importance. Mantes. — 3,818 habitants (Seine-et-Oise). La belle situation de Mantes lui a fait donner le surnom de jolie ; ses maisons de campagne et ses environs charmants lui ont confirmé ce titre. La Seine, en entrant dans Mantes, reçoit la petite rivière de Vaucouleurs et embrasse quelques îles, dont la plus belle porte le nom d'Ile d'Amour, auquel elle a des droits incontestables ; plusieurs allées d'ormes y forment une espèce de cours, et vont aboutir a l'un des plus beaux ponts de France, composé de trois arches de cent vingt pieds de longueur chacune, qui conduit sur la rive droite où est situé Limay, que l'on pourrait appeler un faubourg de la ville. Mantes était autrefois défendue par une citadelle que Henri IV fit détruire à la prière des habitants, et on voit des restes de fortifications et de vieux murs qui faisaient jadis son enceinte ; sa fondation remonte, dit-on, au temps des druides, et l'on cite à l'appui de celte assertion le gui de chêne qu'elle avait pour armoiries, et auquel Charles VII ajouta la moitié de ses armes composées d'une seule fleur de lis. Mantes fut brûlée par Guillaume le Conquérant, prise par Charles le Mauvais, reprise par Duguesclin, et se distingua surtout par les troubles de la ligue. Rosny. — En sortant de Mantes, on trouve les bois que Sully vendit pour aider son maître à reconquérir le trône. Au milieu de ces bois sont situés le village et le château de Rosny, qu'a possédé Mme la duchesse de Berri. La princesse se plut à l'embellir ; elle y fit élever une chapelle où fut déposé le cœur de son auguste époux, et fonda un hospice tout à côté : rapprochement juste et touchant, car la bienfaisance est la source la plus féconde des consolations terrestres. Sully est né à Rosny. C'est là qu'avec Olivier de Serres, le patriarche de notre agriculture, il fit le premier essai de la culture du mûrier et de l'éducation des vers à soie. Tout le monde sait ce que vaut aujourd'hui à la France l'industrie séricicole. Rolleboise. — Ce village qui, selon Charles Nodier, n'avait d'autre célébrité que sa galiote qui venait de Poissy et ses pataches qui menaient à Rouen, possède aujourd'hui un tunnel de 2,625 mètres, le plus grand qu'on ait encore fait en France. Bonnières. — En sortant du tunnel, on se trouve à Bonnières, petit village sans souvenirs historiques, ni curiosités à voir. Vernon (Eure), 5,300 habitants. — Cette petite ville est ancienne et commerçante. Elle communique avec Vernonnet, l'un de ses faubourgs, par un pont de vingt-deux arches. Elle était autrefois très-fortifiée, et possède encore une grosse tour où sont conservées les archives. Placée sur les confins des possessions des rois de France et d'Angleterre, elle eut beaucoup à souffrir de leurs longues rivalités. C'est contre un seigneur de cette ville que fut rendu, sous Saint Louis, un arrêt remarquable, par lequel le sire de Vernon fut condamné à dédommager un marchand qui avait été dévalisé en plein jour dans l'étendue de sa juridiction seigneuriale. Une loi, qui remontait aux capitulaires de Charlemagne, obligeait les seigneurs à garder les chemins depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, à cause du droit de péage qu'ils percevaient. Gaillon. — Le chemin de fer ne touche pas à Gaillon. Ce bourg a un beau château et une fontaine dans laquelle les objets déposés s'incrustent d'une couche de pierre. Près de ce bourg est le village d'Abbeville, où est mort Marmontel en 1799. Si nous suivions la Seine, un peu plus loin que le village de Courcelles que nous voyons à droite, nous verrions distinctement les ruines imposantes de Château-Gaillard, dont le nom indiquait la force. Bâti par Richard Cœur-de-Lion, pour dominer la navigation de la Seine et couvrir la Normandie, ce château a pris un rang illustre dans les fastes civils et militaires. Le sang des braves ruissela maintes fois au pied de ses murs, et celui de royales victimes arrosa ses fossés profonds et ses sombres cachots. La reine de France, Marguerite de Bourgogne, y fut étranglée avec ses cheveux ou avec un linceul par les sicaires de son époux, Louis le Hutin, justement irrité de ses débordements. Charles de Melun y fut voué aux plus épouvantables supplices par la vengeance du cardinal de La Balue, qui ne put jamais pardonner ni à lui, ni à plusieurs autres, d'avoir été ses protecteurs. Saint-Pierre de Vouvray. — Petit village, sur la route de Louviers au chemin de fer. Si, au lieu de suivre le chemin de fer, nous suivions le fleuve jusqu'à Amfreville, nous nous trouverions au pied d'un coteau qui aurait un mystère d'amour à nous raconter. Sur le petit revers de ce coteau, où s'étendent maintenant les maisons rustiques d'Amfreville, se déployaient jadis les hautes murailles d'un puissant château, dont les ruines ont disparu depuis longtemps. Là régnait un tyran ; sa fille, d'une rare beauté, inspira une passion violente à un chevalier du voisinage, qu'elle aimait. Le père de la damoiseile, voyant leur amour d'un œil défavorable, attacha à leur union une condition, dont les caprices féroces du pouvoir blasé expliquent à peine la brutale folie. Le chevalier ne devait obtenir le titre d'époux qu'après avoir, sans se reposer ni s'arrêter, porté son amante sur les épaules, du pied de la côte au sommet par le sentier rapide qui s'élève audacieusement vers le ciel. Rien n'étonne son courage, n'affaiblit sa résolution. Il part ; Déjà de ce coteau le plus rude est franchi,
Son pas n'a point changé, son corps n'a pas fléchi ; Son fardeau le soutient. Ducis. Il est près d'arriver aux pavillons magnifiques élevés sur la plate-forme où les juges l'attendent pour le couronner : tout à coup il chancelle, il tombe ; la jeune fille le relève, et, voyant que ce n'est plus qu'un cadavre, elle le prend dans ses bras et se précipite avec lui du haut de la roche. Le vieux châtelain, accablé de douleur, fit élever sur la plate-forme, une chapelle funéraire qui devint un vaste moutier, appelé le prieuré des Deux-Amants. Une maison de plaisance a remplacé l'édifice religieux, dont il ne reste plus rien, pas même ces débris enlacés de vieux lierres qui inspirèrent à Ducis les belles pages du poëme où il célèbre l'infortune des deux amants d'Amfreville. Pont-de-L’Arche.— (Eure), 1674 habitants. De loin on aperçoit les clochers et les tours ruinées de cette petite ville. L'empereur Charles le Chauve en est le fondateur ; il lui a donné un nom qui embarrasse les étymologistes, malgré son apparente simplicité. Ce roi y assembla deux conciles en 862 el 869. Longtemps l'une de nos meilleures places fortes, Pont-de-l'Arche fut avide de gloire militaire et soutint plusieurs sièges illustres. Ses habitants réclament avec orgueil l'honneur d'avoir les premiers ouvert leurs portes à Henri IV, forcé de reconquérir son royaume. Un pont de vingt-deux arches sert de passage à la route de Rouen. On voit encore à l'extrémité de ce pont les traces du château et de la tour qui en défendaient l'entrée. La marée se fait déjà sentir au Pont-de-l'Arche. Tourville-la-Rivière. — C'est la dernière station avant d'arriver à Rouen : ce sera la station d'Elbeuf si le chemin de fer parvient à faire une concurrence aux bateaux à vapeur. De cette ville sans nulle importance on aperçoit, au-dessus du village de Port-Saint-Ouen, la côte que la malheureuse Nina gravit pendant quarante ans, malgré les neiges, les glaces, la chaleur et les orages, pour aller chaque jour demander et attendre sur la route le bien-aimé que la mort lui avait ravi dans des pays lointains. Mais nous voilà à Rouen, la capitale de la Normandie. Rouen. — Pour avoir une idée de Rouen, allons à l'extrémité du Cours Dauphin, aujourd'hui Cours de Paris, et prenons Charles Nodier pour interprète. Devant nous, entre une double chaîne de collines, se déploie Rouen avec ses larges boulevards, ses vastes faubourgs et ses nombreux monuments qui relèvent la tête au-dessus des maisons entassées comme pour respirer à l'aise. A nos pieds surgissent d'abord les casernes de Martainville, qui règnent sur le Champ-de-Mars, l'église de Saint-Paul, construite sur les restes du temple d'Adonis, et celle de Saint-Maclou, dont la couverture maussade regrette la flèche légère qui surmontait autrefois sa lanterne. Derrière elles, se grandissent les tours jumelles de la cathédrale, privées quelque temps de leur sœur aînée, pyramide élégante et légère qui devint la proie des flammes en 1822, et qui vient d'être reconstruite en fer. La tour carrée, connue sous le nom de Saint-Romain, renfermait une sonnerie très-harmonieuse, composée de onze cloches ; il ne lui en reste plus que trois. L'autre tour, couronnée par une galerie, s'appelle la tour de Beurre, parce qu'elle fut construite des deniers ou aumônes perçues dans le diocèse pour obtenir la permission de se servir de beurre en carême. Dans cette tour était la fameuse cloche Georges d'Amboise, du nom du cardinal qui l'avait donnée. Cette masse, pesant quarante milliers, se fêla au passage de Louis XVI revenant de Cherbourg, et fut fondue quelques années plus tard pour les canons de la république. C'était la plus grosse cloche connue après celle de Moscou, dont on n'a pu faire aucun usage. Plus loin, le regard est arrêté par la haute nef de Saint-Ouen et son petit clocher qui attend encore la construction des tours. Dans le fond et sur la droite se groupent la tour gothique et délicate de Saint-Laurent, le clocher de Saint-Godard, l'église de Saint-Vivien et une foule d'autres, dont plusieurs sont transformées en magasins. Mais gardons-nous de confondre avec ces monuments religieux deux édifices que nous apercevons dans le quartier du sud-ouest : l'un est le Palais de Justice, bâti sous le ministère du cardinal d'Amboise, pour l'échiquier rendu permanent en cette ville ; l'autre, c'est l'ancien Hôtel-de-Ville et la tour à beffroi, où sont placées la principale horloge de Rouen et la cloche d'argent, que l'on sonne tous les soirs à neuf heures, suivant l'usage du couvre-feu. De notre observatoire, nous ne voyons que la superficie de la ville ; il nous faut maintenant sonder son intérieur et nous engager dans ses rues étroites, tortueuses et mal bâties, où il règne toujours une admirable activité : nous traverserons la place de la Pucelle, où les Anglais firent brûler Jeanne-d'Arc par une affreuse vengeance qui déshonora les bourreaux et immortalisa la victime. A l'ouest de la place, nous admirerons la sculpture de l'ancien hôtel de Bourgtheroulde, bâti au quinzième siècle, et où logea François Ier, allant à l'entrevue du camp du Drap-d'Or, qui est représentée dans les bas-reliefs. Nous irons ensuite visiter la Bourse, l'Hôtel des Monnaies, celui de la préfecture et les traces du château de Philippe-Auguste. Quand nous serons las d'interroger les monuments de pierre, l'histoire civile de Rouen nous apprendra que cette cité est l'une des plus anciennes de la Gaule, et que l'on ignore l'étymologie de son nom latin Rothomagus, que quelques-uns rapportent au roi Magus, son fondateur, et d'autres aux mots celtiques roth, fleuve, et magus, bourgade. César ne parle pas de Rouen dans ses Commentaires ; mais un siècle plus tard Ptolémée en fait mention comme de la capitale des Vélocasses. Elle fut longtemps soumise aux druides, qui gouvernaient alors ces contrées sous les Romains ; elle fut comprise dans la deuxième Lyonnaise ; sous les Francs, elle devint chrétienne et fit partie de la Neustrie. Elle partagea désormais le sort de cette province, et passa sous la domination des Normands, lorsque Charles le Simple fut obligé de céder à Rollon sa fille et une partie de son royaume. Les premiers ducs de Normandie agrandirent beaucoup Rouen du côté de la Seine. Le lit du fleuve s'avançait alors jusqu'au port Morand, auprès de la cathédrale, et embrassait plusieurs îles, où avaient été construites des églises. Les successeurs de Rollon réunirent les îles à la rive en comblant le canal qui les en séparait, entourèrent Rouen de fortifications, qui en firent une des meilleures places fortes de l'époque. Guillaume le Conquérant réunit le duché de Normandie à la couronne d'Angleterre, et les rois de la Grande-Bretagne devinrent vassaux des rois de France. Après avoir longtemps disputé à nos voisins la possession de cette riche province, nous en sommes restés définitivement les maîtres, sous Charles VII, par l'expulsion des Anglais du continent. Rouen n'a eu depuis d'autres guerres à soutenir que les guerres de religion. Antoine de Bourbon, roi de Navarre, fut blessé mortellement en ouvrant la tranchée devant cette ville huguenote ; Henri IV, son fils, y entra sans coup férir après son abjuration. On célébrait autrefois à Rouen une solennité bizarre, appelée la fêt de la Gargouille, ou la Fierté, dont on ignore la véritable origine. Le jour de l'Ascension, l'image du dragon de la Gargouille était portée en grande pompe par les rues de la ville, et l'un des criminels condamnés à mort était conduit processionnellement par le chapitre de Notre-Dame sur le premier palier de la chapelle de Saint-Romain, à l'entrée des halles, où était placée la châsse ou fierté du saint, que le meurtrier soulevait en signe de grâce et de délivrance. La chronique populaire dit que cette cérémonie avait été instituée pour célébrer la victoire de saint Romain sur ce terrible dragon qui ravageait les environs de Rouen. Le saint l'attaqua dans la forêt de Roumare, sa retraite, et le précipita dans les eaux de la Seine, qui l'engloutirent. Mais si nous consultons les annales religieuses, elles nous donneront à penser que cette solennité rappelait la conversion du pays au christianisme ; car l'erreur était représentée ordinairement sous la forme du dragon, et celle fête symbolique avait lieu dans plusieurs endroits de la France. *
* *
De PARIS à ORLÉANS
Voici comme on voyageait autrefois, en 1750, de Paris à Orléans ; nous
dirons plus loin comment on peut y aller aujourd'hui. « Mon cher comte,
je viens d'achever mon long voyage, ou plutôt la longue navigation que
j'ai entreprise de la capitale de la France à la capitale de
l'Orléanais. Ecrire le détail de toutes les ornières où nous avons
versé, de toutes les mares où nous en avons eu jusqu'à l'essieu, de
tous les mille accidents qui nous sont survenus à chaque pas, ce serait
écrire une litanie de lamentations longue comme la distance qui nous
sépare. J'ai tué un de mes chevaux, éreinté l'autre, vidé complètement
ma bourse, attrapé un rhume que je conserve, et, de plus, failli mourir
de faim aux deux tiers de la route ; mais comme, en somme, je n'ai mis
que trois jours et demi à faire mon voyage, que je l'ai amené à bien
sans côtes enfoncées, et sans rencontre de figures par trop
patibulaires, je le considère comme très-heureux, et en souhaite un
semblable au porteur de la présente (11). »Aujourd'hui on fait ce voyage en trois heures, et si le vieux Stephenson voit ses espérances se réaliser, on le fera en moins d'une heure (12) ! L'embarcadère du chemin de fer de Paris à Orléans est situé sur le boulevard de l'Hôpital, à quelques pas du Jardin des Plantes, et pas loin de Bercy, qu'on voit sur la gauche. Cet embarcadère est vaste, bien distribué : on voit qu'on a coupé en plein drap. Il se compose d'un hangar à trois nefs, l'une pour deux voies de service, et les deux autres pour les départs et pour les arrivées des voyageurs. Les salles d'attente, donnant sur une cour immense, sont très-bien disposées et très-belles. Il y a loin de cette élégance, de ce luxe, aux cabinets petits et mesquins de nos entreprises de messageries. Qu'il est regrettable que cette institution des chemins de fer, si grande, si puissante, à cause des compagnies, par le seul fait de la spéculation, ne soit pas en France, comme en Belgique, pour tout le monde, pour les pauvres comme pour les riches ! Mais partons, et allons un peu plus vite que le chevalier de Chastenet. Bercy. — 3,000 habitants. C'est une ville ; et que peu de villes ont cette animation, cette vie ! Autrefois il n'y avait guère là que deux châteaux ; aujourd'hui c'est le second, peut-être même le premier marché de vin de Paris. De féodal, Bercy s'est fait industriel ; il faut bien être de son époque. Mais Bercy ne se contente pas de vendre du vin ; il en produit ! Avec un peu de lie, un peu d'alcool, et une solution des grappes de sureau, Bercy fait beaucoup de vin sans raisins. Bercy est fort coupable, mais la Chambre des députés n'est peut-être pas innocente : pourquoi ne pas qualifier de délit la vente d'un produit qui n'est pas ce qu'on le dit ? Bercy est fort beau de loin ; mais, à moins de ne pas avoir l'odorat sensible, il ne faut pas le visiter. La Gare qui est en face de Bercy est un peloton de petits cabarets qui essayent de lui faire la concurrence des matelottes. Ivry-sur-Seine. — Avant d'arriver à ce village, nous trouvons à droite et à gauche l'enceinte continue, et nous voyons à gauche le fort de Charenton et à droite le fort d'Ivry, tous deux hors de terre, et presque déjà achevés. On a beaucoup dit et écrit contre les fortifications de Paris : ce n'est peut-être pas sans de bonnes raisons. Mais, qu'on en convienne, dès qu'elles seront finies, le siège de de Paris ne sera pas facile. Pendant les troubles qui suivirent la captivité du roi Jean, le dauphin son fils jeta sur la Seine un pont de bateaux pour aller assiéger Paris. Mais à l'extrémité de ce pont, du côté de la plaine d'Ivry, il fut obligé de livrer un combat sanglant aux révoltés qui étaient venus à sa rencontre. Ivry a de charmantes maisons de campagne. Vitry-sur-Seine. — Joli village avec un château et de superbes pépinières, à la droite du chemin de fer. Port-à-l'Anglais. — Encore à droite. Le nom de ce hameau indique sa triste origine. Ce fut au temps de Charles VI, que les Anglais, mis en possession de la capitale par la trahison des Bourguignons, établirent un camp en cet endroit pour protéger Paris et intercepter les communications que le dauphin aurait pu entretenir par la Seine avec les habitants de la capitale. Charenton. — A gauche, entre la Seine et la Marne. Ce triple bourg est fort ancien, mais il n'a guère aujourd'hui, pour les curieux, que son hôpital d'aliénés, fondé en 1741, et encore existant. Choisy-le-Roi.— 3,000 habitants. Ce bourg possédait autrefois une maison de plaisance, bâtie pour Mlle de Montpensier. Après la mort de cette princesse, elle passa au dauphin, fils de Louis XIV, et fut échangée contre Meudon que possédait Mme de Louvois. On n'y voit plus maintenant la moindre trace de ce château, où Louis XV se rendait souvent avec Mme de Pompadour. « La maison royale de Choisy, dit Dulaure, se composait de plusieurs bâtiments fastueux, le grand et le petit château. C'est dans ce dernier que l'on voyait cette table qui s'abaissait à l'étage inférieur, et s'élevait toute servie dans la salle à manger, où les royaux convives étaient à l'abri des regards de la domesticité : monument de l'habileté et de la dépravation de la cour. » Le soc de la charrue a passé sur les bosquets de ces châteaux et sur leurs jardins enchanteurs. Des manufactures de maroquin, de faïence et d'acides minéraux ont été établies sur un sol naguère consacré aux plaisirs. Gentil-Bernard, l'auteur de l’Art d'aimer, et Rouget de l'Isle, l'auteur de la Marseillaise, sont morts à Choisy-le-Roi. Villeneuve-le-Roi et Villleneuve-Saint-Georges. — Le premier est à droite et le second à gauche. Villeneuve-le-Boi a eu pour seigneur Philippe-Auguste ; il passa ensuite aux Chartreux, sous l'obligation de nourrir les chiens du roi. Il y a une jolie église. Sous la Ligue, les troupes pillèrent Villeneuve-Saint-Georges et forcèrent, le poignard sur la gorge, à baptiser sous le nom de carpes et de brochets des veaux et des cochons, dont ils n'auraient pas osé manger sans cela le vendredi et le samedi. Quantité de maisons charmantes donnent à ce village l'aspect le plus agréable. Ablon. — Ablon a pris un rang assez élevé parmi les villages des environs de la capitale depuis les guerres de religion. Les protestants y avaient un temple, où ils obtinrent de Henri IV le libre exercice de leur culte malgré la clause du traité de réduction de Paris, qui exigeait au moins 5 lieues de distance, et Ablon n'était qu'à 4 lieues et demie. On rapporte que Sully, lorsqu'il était établi à Ablon, se transportait tous les dimanches dans ce temple ; cela ne l'empêchait pas, lorsqu'il revenait à Paris, de présenter le pain bénit à l'église de Saint-Paul, sa paroisse. Athis-Mons.—Deux rois de France, Louis IX et Philippe le Bel, ont habité Athis. Au douzième siècle, on y transporta de Paris la châsse de sainte Geneviève pour la soustraire à la vindicte des Normands. A côté d'Athis, avant de se perdre dans la Seine, passe la petite rivière d'Orge, après avoir arrosé Dourdan et Montlhéry, villes toutes deux illustrées par les antiques débris de leurs manoirs seigneuriaux. Juvisy. — A droite du chemin de fer, était autrefois la limite qui séparait les deux royaumes de Paris et d'Orléans. Près de Juvisy, et sur la grande route, est la Cour-de-France. On sait que c'est là que, le 30 mars 1814, l'empereur apprit la trahison de Raguse et la capitulation de Paris, et qu'il se décida à se retirer à Fontainebleau, pour n'être pas attaqué par les partis de cavalerie russe et prussienne, déjà répandus dans la campagne. A Juvisy, le chemin de fer se divise en deux lignes, l'une à gauche, vers Corbeil ; l'autre à droite, vers Orléans. Comme de Juvisy à Corbeil le voyage est court, nous croyons devoir l'entreprendre. Corbeil. — Après Juvisy, sur le chemin de Corbeil, on trouve Châtillon, Ris et Evry-sur-Seine. Châtillon est dans une belle position, sur une éminence qui domine un magnifique tableau. Ris a un très-beau pont suspendu. Aguado, qui l'a fait construire à ses dépens, ne pouvant l'entretenir avec les recettes du péage, le lui donna. Ris n'a pas vu là un acte de grande générosité. A Ris, le chemin de fer traverse la belle propriété de Fromont, où M. Soulange-Bodin a fait des expériences d'agriculture et d'horticulture si nombreuses et si fécondes. Après Fromont, c'est Petit-Bourg, l'ancienne propriété d'Aguado, qu'il vendit parce que le chemin de fer coupait son parc auprès de la rivière. Un grand seigneur se fût à coup sûr montré moins exigeant que le banquier espagnol. Le château de Petit-Bourg a été bâti par le duc d'Antin, qui y logea Mme de Montespan ; celle-ci y reçut Louis XIV. Louis XV s'y arrêtait lorsqu'il allait chasser dans la forêt de Sénart. Après son mariage, Louis XVI y alla séjourner avec sa famille. Aujourd'hui, le château de Petit-Bourg appartient à des spéculateurs. Evry serait inconnu sans son château. Corbeil, que la Seine sépare en deux, est le chef-lieu d'arrondissement de Seine-et-Oise, et le siège d'un tribunal de première instance. Cette petite cité (3,500 habitants] possède une bibliothèque publique, un petit théâtre, un hospice civil, un vaste dépôt de farine, et de très-beaux moulins que fait mouvoir la rivière d'Essonne. Le vieux Corbeil, ou quartier Saint-Léonard, qui doit son nom à une église peu remarquable, est situé sur la rive droite du fleuve et faisait partie de la Brie française. Le nouveau Corbeil, ou quartier saint Spire, est coupé en deux par la rivière d'Essonne. On y remarque une église sous l'invocation de Saint-Spire, fondée, dit-on, au onzième siècle par Aimon, premier comte de Corbeil. Un incendie la détruisit en 1140. Sa reconstruction ne fut achevée qu'en 1407. Corbeil, autrefois place forte et importante par sa position, remonte à une haute antiquité. Elle fut assiégée inutilement par les Bourguignons et les Anglais ligués contre Charles VII encore dauphin. Sous Charles IX, les catholiques s'y défendirent vaillamment contre les huguenots, et les repoussèrent. Enfin, par un retour de fortune surprenant, devenue huguenote sous Henri IV, elle fut prise par le duc de Parme à la tête des ligueurs et de l'armée espagnole. Son importance commerciale et industrielle la console maintenant de la gloire militaire qu'elle a perdue. Corbeil et ses environs ont des filatures et des manufactures de châles et de linge damassé. Nous nous sommes éloignés de notre route ; revenons sur nos pas. Epinay-sur-Orge et Villemoisson. — Epinay a un parc, un château et une église à montrer à ses visiteurs. Un tableau de cette église est attribué à Murillo ou au Guide. Villemoisson ressemble à tous les villages ni beaux ni laids. Saint-Michel-sur-Orge. Ce village a une station, et un puits artésien. Mais, ce qui vaut mieux pour les voyageurs, de ce village on voit la tour de Montlhéry. La tour de Montlhéry, placée au sommet d'une hauteur, comme un plumet sur un bonnet de grenadier, selon l'heureuse comparaison de Charles Nodier, notre guide jusqu'ici, fixe surtout les regards des voyageurs. On l'aperçoit des hauteurs qui avoisinent Corbeil ; à Paris, on peut la voir encore de la coupole de Sainte-Geneviève, car elle n'embrasse pas moins d'une quinzaine de lieues d'horizon. Voici comme en parle La Fontaine, dans ses lettres à sa femme sur son voyage en Limousin : « On laisse en sortant du Bourg-la-Reine, Sceaux à droite, et à quelques lieues de là Chilly à la gauche, puis Montlhéry du même côté. Est-ce Montlhéry qu'il faut dire, ou Montlehéry ? C'est Montlehéry quand le vers est trop court, et Montlhéry quand le vers est trop long. Montlhéry donc ou Montlehéry, comme vous voudrez, était jadis une forteresse que les Anglais, lorsqu'ils étaient maîtres de la France, avaient fait bâtir sur une colline assez élevée. Au pied de cette colline est un bourg qui en a gardé le nom. Pour la forteresse, elle est démolie, non point par les ans ; ce qui en reste, qui est une tour fort haute, ne se dément point, bien qu'on en ait ruiné un côté ; il y a un escalier qui subsiste et deux chambres où l'on voit des peintures anglaises, ce qui fait foi de l'antiquité et de l'origine du lieu. Voilà ce que j'en ai appris de votre oncle qui dit avoir entré dans les chambres ; pour moi, je n'en ai rien vu ; le cocher ne voulait arrêter qu'à Chartres, petite ville qui appartient à M. de Condé, l'un de nos grands maîtres (13).» Brétigny. — Le nom de ce village rappelle une triste page de notre histoire, le traité imposé au roi Jean par Edouard, roi d'Angleterre, alors maître de la plus belle partie de la France. Marolles et Arpajon. — Marolles est un petit village à gauche, et Arpajon une petite ville à droite du chemin de fer. Arpajon a porté le nom de Chôtres. En 1720, Louis de Saverne fit ériger ses domaines en marquisat d'Arpajon. Pour apprendre ce nouveau nom à ses serfs, il les faisait assommer à coups de bâton. Ilss auraient eu la tête dure, si ce système d'enseignement ne leur avait pas fait retenir le nom d'Arpajon. Arpajon est une jolie petite ville. Lardy et Bouray. — Deux villages dont on n'a pas à garder le souvenir. Etrechy. — Le bourg d'Etrechy était autrefois presque toujours accompagné de l'épithète de larron. Il paraît que les voleurs infestaient les forêts qui l'avoisinaient. La Fontaine, dans son dernier voyage en Limousin, déjà cité, s'exprime ainsi sur la vallée de Tréfou, en tout semblable à celle d'Etrechy et sa voisine : « Tant que le chemin dura, je ne parlai d'autre chose que des commodités de la guerre ; en effet, si elle produit des voleurs, elle les occupe ; ce qui est un grand bien pour tout le monde, et particulièrement pour moi, qui crains naturellement de les rencontrer. On dit que ce bois que nous côtoyâmes en fourmille : cela n'est pas bien, il mériterait qu'on le brûlât. République de loups, asile de brigands,
Faut-il que tu sois dans le monde ? Tu favorises les méchants Par ton ombre épaisse et profonde. Ils égorgent celui que Thémis, ou le gain, Ou le désir de voir, fait sortir de sa terre. En combien de façons, hélas ! le genre humain Se fait à soi-même la guerre ! Puisse le feu du ciel désoler ton enceinte. Jamais celui d'amour ne s'y fasse sentir, Ni ne s'y laisse amortir! Qu'au lieu d'Amarillis, de Diane et d'Aminthe, On ne trouve chez toi que vilains bûcherons, Charbonniers noirs comme démons, Qui t'accommodent de manière Que tu sois à tous les larrons Ce qu'on appelle un cimetière! » En sortant d'Etrechy, et avant d'arriver à Etampes, on voit Morigny où les Bénédictins avaient une abbaye qui fut très-florissante. Etampes. (7896 habitants. Seine-et-Oise). Cette ville est fort ancienne. Rollon, avant d'être duc, s'en empara : elle fut complètement ravagée en 911. La reine Constance, épouse du roi Robert, aimait beaucoup Etampes, et y fit construire un château dont on voit encore les débris. C'est dans ce château que Philippe-Auguste fit enfermer sa seconde épouse, Ingelburge, fille de Waldemar, le grand roi de Danemarck, pour vivre plus commodément avec la rivale qu'il lui avait choisie. Etampes, avant et pendant les guerres de religion, a été le théâtre de quelques luttes et de plusieurs événements. Cette ville n'a qu'une rue de deux kilomètres de longueur. Elle est aujourd'hui assez bien bâtie, ses principaux édifices sont quatre églises, et un grenier de réserve pouvant contenir 14,000 quintaux métriques de blé. La Fontaine n'en fait pas un portrait flatteur. « Nous regardâmes, dit-il, avec pitié les faubourgs d'Etampes. Imaginez-vous une suite de maisons sans toits, sans fenêtres, percées de tous les côtés : il n'y a rien de plus laid et de plus hideux. Cela me remet en mémoire les ruines de Troie la grande. En vérité la fortune se moque bien du travail des hommes. J'en entretins le soir notre compagnie, et le lendemain nous traversâmes la Beauce, pays ennuyeux, et qui, outre l'inclination que j'ai à dormir, nous en fournissait un très-beau sujet. » Etampes a de nombreux moulins, et diverses fabriques. Il s'y fait un très-grand commerce de grain. Angerville. — (Seine-et-Oise). Pas d'anciens souvenirs historiques ; un grand commerce de bestiaux et de grains. En 1815, ce fut là que se tint le grand conseil de guerre de l'armée de la Loire, présidé par le maréchal prince d'Eckmül. Toury. — (Eure-et-Loir). Ce bourg a une raffinerie de sucre indigène et une fabrique de bonneterie. Artenay. — 1,168 habitants (Loiret). Il y a une belle fabrique de couteaux. Chevilly. — 1,387 habitants. Ce bourg est sur la lisière de la forêt d'Orléans, une des plus belles de France. Orléans. — 40,272 habitants. Cette ville a été bâtie par les Carnutes. César la brûla. Aurélien la reconstruisit. Attila et plus lard Odoacre l'assiégèrent et ne purent la prendre. Clovis y assembla le premier concile de France, Louis le Gros s'y fit sacrer. Louis le Jeune, après avoir répudié Eléonore de Guyenne, y épousa Constance, fille du roi d'Espagne. Sous les Capétiens, Orléans fut donnée comme apanage aux seconds fils de nos rois et devint la propriété des ducs d'Orléans, qui, presque tous, ont joué un rôle important dans notre histoire nationale. Des querelles entre les maisons d'Orléans et de Bourgogne. Le roi d'Angleterre descend en France. La bataille d'Azincourt perdue, renouvelle tous les malheurs de Crécy et de Poitiers. Les Anglais s'emparent de Rouen. Bientôt ils assiègent Orléans. La ville allait être prise : Jeanne paraît et la patrie est sauvée. « On trouve dans le caractère de Jeanne d'Arc la naïveté de la paysanne, la faiblesse de la femme, l'inspiration de la sainte, le courage de l'héroïne. » CHATEAUBRIAND. Lorsqu'elle eut conduit Charles VII à Reims et l'eut fait sacrer, elle voulut retourner garder les troupeaux de son père : on la retint. Elle tomba aux mains des Bourguignons, dans une sortie vigoureuse qu'elle fit à la tête de la garnison de Compiègne. Le duc de Belfort ordonna de chanter un Te Deum, et crut que la France entière était à lui. Les Bourguignons conduisirent la Pucelle aux Anglais pour une somme de 10,000 francs. Elle fut transportée à Rouen, dans une cage de fer, et emprisonnée dans la grosse tour du château. Son procès commença : l'évêque de Beauvais et un chanoine de Béarnais conduisirent la procédure. « Ceste fille si simple, disent les historiens, que tout au plus savait-elle son PATER et son AVE, ne se troubla pas un instant et fit souvent des réponses sublimes. » Condamnée à être brûlée vive comme sorcière, la sentence fut exécutée le30 mai 1431. La ville d'Orléans a élevé une statue à l'illustre héroïne : ce monument n'est digne ni d'Orléans, ni de Jeanne d'Arc. Les guerres religieuses furent terribles à Orléans : Orléans, le jour de saint Barthélémy,
Y avait plus de Huguenots morts que vifs. Plus de huit cents à mort y furent mis, a dit un poëte contemporain. Depuis l'édit de Nantes, la population d'Orléans a diminué : elle était alors de 54,000 habitants. Mais le chemin de fer, à n'en pas douter, va lui donner et des habitants nouveaux et une importance plus grande. Orléans possède beaucoup de monuments anciens : la cathédrale est une des plus belles de France. Son commerce est important. Voici comment cette ville se présenta à La Fontaine en 1663. « ...Je vis la Pucelle, mais ma foi ce fut sans plaisir ; je ne lui trouvai ni l'air, ni la taille, ni le visage d'une amazone. L'infante Gra de Fillée en vaut dix comme elle : et si ce n'était que M. Chapelain est son chroniqueur, je ne sais si j'en ferais mention. Je la regardai, pour l'amour de lui, plus longtemps que je ne l'aurais fait. Elle est à genoux devant une croix, et le roi Charles en même posture vis-à-vis d'elle, le tout fait chétif et de petite apparence. C'est un monument qui se sent de la pauvreté de son siècle. « Le pont d'Orléans ne me parut pas non plus d'une largeur ni d'une majesté proportionnées à la noblesse de son emploi et à la place qu'il occupe dans l'univers. Ce n'est pas petite gloire
Que d'être pont sur la Loire. On voit à ses pieds rouler La plus belle des rivières, Que de ses vastes carrières Phoebus regarde couler. « Elle est près de trois fois aussi large à Orléans que la Seine l'est à Paris ; l'horizon très-beau de tous les côtés est borné comme il le doit être. Si bien que cette rivière était basse à proportion, des eaux fort claires, son cours sans replis ; on dirait que c'est un canal. De chaque côté du pont, on voit continuellement des barques qui vont à voiles : les unes montent, les autres descendent ; et comme le bord n'est pas si grand qu'à Paris, rien n'empêche qu'on ne les distingue toutes : on les compte, on remarque à quelle distance elles sont les unes des autres, c'est ce qui fait une de ses beautés : en effet, ce serait dommage qu'une eau si pure fût entièrement couverte par des bateaux. Les voiles de ceux-ci sont fort amples : cela leur donne une majesté de navires, et je m'imaginai voirie port de Constantinople en petit. D'ailleurs Orléans, à le regarder de la Sologne, est d'un bel aspect. Comme la ville va en montant, on la découvre quasi tout entière. Le mail et les autres arbres qu'on a plantés en beaucoup d'endroits le long du rempart font qu'elle paraît à demi fermée de murailles vertes ; et à mon avis cela lui sied bien. De la particulariser en dedans, je vous ennuierais, car c'est déjà trop pour vous de cette matière. Vous saurez pourtant que le quartier par où nous descendions au pont est fort laid, le reste assez beau ; des rues spacieuses, nettes, agréables et qui sentent leur bonne ville. Je n'eus pas assez de temps pour voir le rempart, mais je m'en suis laissé dire beaucoup de bien, ainsi que de l'église Sainte-Croix. Enfin notre compagnie, qui s'était dispersée de tous côtés, revint satisfaite. L'un parla d'une chose, l'autre d'une autre. L'heure du souper venue, chevaliers et dames se firent servir à leurs tables assez mal servies, se mirent au lit incontinent, comme on peut penser, et sur ce le chroniqueur fait fin au présent chapitre. » * * ACCIDENTS SUR LES CHEMINS DE FER
Nos lecteurs trouveront sans doute ici avec plaisir un aperçu statistique des accidents qui ont été constatés officiellement sur les chemins de fer anglais depuis deux ans et demi. Ces voies de communication sont encore d'un usage trop récent en France pour que le gouvernement ait pu déjà recueillir les documents nécessaires à un relevé de ce genre. En Angleterre même on n'a commencé qu'à partir du 1er août 1840, à prendre note exacte de tous les accidents pour en faire un rapport qui est publié par le Board of Trade. Depuis cette époque on n'a publié que deux relevés officiels : le premier embrasse dix-sept mois, du 1e août 1840 au 31 décembre 1841 ; l'autre comprend l'année 1842. Il serait fort intéressant de pouvoir comparer le nombre et la nature des accidents arrivés sur les routes ordinaires avec ceux qui ont été signalés sur les rail-ways : ce serait le véritable moyen de rassurer les personnes les plus timorées qui attribuent aux chemins de fer un degré de danger beaucoup plus grand qu'aux roules ordinaires. Malheureusement l'on n'a jamais fait de relevés de ce genre en France, et je ne crois pas qu'il en existe même en Angleterre. Il paraîtrait pourtant, d'après des calculs de plusieurs statisticiens anglais, que le nombre des personnes tuées ou blessées dans les diligences et voitures ordinaires faisant le service sur les routes, peut être évalué à 1 par 10,000 pour les voyageurs tués, et à 1 par 2,000 pour les voyageurs blessés, tandis qu'il n'y a eu, pendant deux ans et demi, qu'un seul voyageur tué pour 253,370, et un voyageur blessé pour 123,317 personnes qui ont parcouru les chemins de fer de la Grande-Bretagne, c'est-à-dire que la chance est 25.337 plus forte sur les routes ordinaires que sur les chemins de fer pour les personnes qui ont été tuées, et 61.1317 plus forte pour les personnes blessées. Voici maintenant en peu de mots l'analyse de deux rapports officiels publiés par le Board of Trade. Le nombre des voyageurs transportés du 1er juillet 1841 au 1er juillet 1822 , s'est élevé à 18,453,504 pour 50 lignes de chemin de fer ; sur ce chiffre, 2,920,980 appartenaient aux voyageurs de 1e classe, 7,611,966 à ceux de 2e classe, 5,332,501 à ceux de 3e classe, et 2,582,057 à ceux dont la classe n'est pas spécifiée. Cinq ou six chemins n'ont pas envoyé leurs rapports, et en ajoutant leurs relevés au chiffre précédent, on arrive à un total de 19 millions au moins de voyageurs pour l'année, ou 9 millions et demi par chaque semestre. Le premier rapport, qui commence le 1er août 1840 et qui comprend 17 mois jusqu'au 31 décembre 1841 , constate 207 accidents, dont 125 appartiennent aux 12 mois de l'année 1841 et 7 7 aux 5 derniers mois de 1840. Le nombre total des morts a été, pour les
5 mois de 1840, de 36 Il a été, pour l'année 1841, de 69 Total. 105 Le nombre total des blessés a été, pour les 5 mois de 1840, de 167 294 Il a été, pour l'année 1841, de 127 Total. 294 Il y a eu par conséquent, pendant la période de 17 mois, 105 tués et 294 blessés pour un nombre de voyageurs qui a dépassé 16 millions pour 32 lignes, et 18 à 20 millions pour les 50 lignes de la Grande-Bretagne. Nous ferons observer que sur ce nombre de 399 victimes, tant tuées que blessées, il y en a 108 employés de chemins de fer, et que ceux-ci sont plus exposés que les voyageurs, puisqu'ils sont présents à tous les convois et à toutes les opérations les plus dangereuses. Sur les 207 accidents, 117 n'ont entraîné que des blessures plus ou moins graves, 6 seulement ont occasionné la mort de 2 personnes, et 81 ont amené la mort d'un voyageur. Un seul, arrivé le 24 décembre 1840, sur le Great-Vestern, par suite d'un éboulement, a donné lieu à la mort de 9 voyageurs ; 12 personnes ont été blessées. C'est la catastrophe la plus terrible que l'on ait eu à déplorer en Angleterre depuis deux ans et demi. Le deuxième rapport, qui comprend l'année 1842, finissant le 31 décembre, est encore plus satisfaisant que le premier ; il prouve que l'expérience a fait prendre des mesures de précaution efficaces, puisque le nombre des accidents et celui des victimes a considérablement diminué. Le nombre des accidents s'est élevé à 134, celui des tués à 73, et celui des blessés à 71. Il y a donc eu une diminution sur l'année 1840, savoir : pour les tués, de 4
pour les blessés, de 56 Il est vrai que nous avons une augmentation de 9 accidents ; mais d'une part, on voit que les accidents ont eu moins de gravité, puisqu'ils ont donné lieu à moins de morts et à moins de blessés ; et en outre, le deuxième rapport a pu être dressé avec plus d'exactitude, et comprendre tous les accidents, tandis que quelques-uns ont dû être omis dans le premier rapport. Sur les 134 accidents, il n'y en a pas un seul qui ait entraîné la mort de plus d'un individu. Les accidents sur lesquels on doit principalement s'arrêter sont ceux qui ont eu lieu par suite d'une cause indépendante des voyageurs, et par la faute des mécaniciens ou des autres agents des Compagnies. Ce genre d'accidents, qui avait été pendant les cinq derniers mois de 1840 de 28, dont 22 morts et 131 blessés, et pendant les douze mois de 1841 de 29, dont 4 morts et 71 blessés, se trouve réduit, pourl842, à 10,dont 5 morts et 14 blessés seulement. Le rapport a soin même de faire observer que, sur ces 5 personnes tuées, UNE SEULE avait observé les précautions convenables. Ici l'on peut voir facilement avec quelle rapidité la proportion des personnes tuées ou blessées va en décroissant à mesure que l'on acquiert de l'expérience dans les précautions à prendre pour la sûreté des voyageurs. Les accidents arrivés par suite de l'imprudence ou de la négligence des voyageurs, qui avaient donné lieu à 23 lues et à 29 blessés pendant les dix-sept mois du premier rapport, présentent, en 1 842, un total de 26 tués et 22 blessés. Ceux qui ont atteint les employés des compagnies comprenaient, dans le premier rapport, 46 tués et 62 blessés. Ils forment, en 1842, un total de 77 accidents, dont 42 tués et 35 blessés. Ainsi, la seule catégorie où le nombre des tués présente une augmentation est celle des voyageurs imprudents. On comprendra facilement qu'on ne peut pas imputer ces accidents à la compagnie, lorsque l'on saura que la plupart de ces voyageurs, tués ou blessés, se précipitaient hors des wagons en mouvement pour courir après leurs chapeaux, passaient la moitié de leur corps en dehors des portières au moment où l'on allait entrer sous un pont ou pénétrer dans un tunnel. Comme on ne découvrira probablement jamais un moyen d'empêcher des imprudents d'exposer bénévolement leur vie, on aura toujours à constater ce genre d'accidents, qu'on peut d'ailleurs signaler de même dans l'ancienne manière de voyager avec les diligences et les chevaux de poste. On n'a pas de chiffres officiels pour la recette totale des chemins de fer anglais en 1841 ; mais pendant l'année 1842, les recettes brutes des cinquante chemins de fer se sont élevées à 2,731,687 liv. ster. (68,292,175 fr.) pour les voyageurs, et à 1,088,835 liv. st.(25,220,875f.) pour les marchandises. Chaque jour le nombre des lignes ferrées augmente dans la Grande-Bretagne, el, à l'exception de l'Irlande, où les chemins de fer ont de la peine à s'acclimater, toutes les autres parties du royaume sont tellement sillonnées par ces voies rapides de communication, que les diligences à chevaux n'ont presque plus de lignes à desservir. Il n'y a plus maintenant que onze malles postes qui partent journellement de Londres pour les divers comtés, tandis qu'il y a quinze ans, avant qu'il fût question des chemins de fer, ou du moins lorsqu'on commençait à peine à les construire, près de quatre-vingts malles postes partaient tous les jours du General-Post-Office de Londres. Ce fait prouve d'une manière évidente que cette méthode de voyager est entrée très-avant dans les habitudes sociales de la Grande-Bretagne, et que l'on ne s'effraye pas plus maintenant d'apprendre qu'un accident est arrivé sur telle ou telle ligne, et a donné lieu à la mort de cinq ou six individus, qu'on ne s'épouvante chez nous lorsque les journaux nous apprennent qu'une diligence a versé et que plusieurs voyageurs ont été tués ou blessés. Ces catastrophes n'ont jamais empêché de monter en diligence ; pourquoi donc ferait-on porter davantage au système des railways, la faute de quelques accidents isolés? Le gouvernement anglais a pris d'ailleurs une mesure qui a beaucoup contribué à rassurer les esprits. Toutes les fois qu'un accident survient sur une ligne quelconque, la compagnie du chemin de fer est obligée d'adresser immédiatement au Board of Trade un rapport détaillé de l'accident et des causes qui y ont donné lieu. Ce rapport doit même être envoyé quand on n'a signalé aucune blessure et aucune contusion. C'est ainsi que le Board of Trade se trouve à même, à la fin de l'année, de faire le relevé exact de tous les accidents des chemins de fer du Royaume-Uni. *
* * TARIFS DES CHEMINS DE FER. En France, les chemins de fer paraissent avoir été plus faits pour leurs actionnaires et surtout pour leurs administrateurs, que pour le public : les tarifs y sont excessivement élevés. Il n'en est pas de même en Belgique : c'est que là, pour la construction des chemins, on n'a pas eu recours à la spéculation, qui estime plus un écu que le bien-être général. Et non-seulement les tarifs des chemins de fer, en France, sont trop élevés, mais encore, pour que la recette soit plus forte, les compagnies ont recours à des moyens indignes, qui déshonoreraient un simple particulier et qui paraissent tout innocents à des compagnies anonymes. Le chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, un arrêt de la Cour royale de cette dernière ville vient de le constater, établit des préférences, cherche à enrichir celui-ci et à ruiner celui-là : les compagnies de Rouen et d'Orléans, afin qu'on passe des troisièmes places, aux deuxièmes et aux premières, font souvent semblant de n'avoir plus de wagons de la troisième classe, et au lieu de couvrir ces derniers d'une simple toile pour préserver les voyageurs du soleil ou de la pluie, elles arguent de leurs cahiers des charges pour prouver qu'elles ont le droit de traiter comme il leur convient tous ceux qui ne leur payent pas la plus forte redevance possible, tous ceux qui ne sont pas aux deuxièmes et aux premières places. Nous ne savons ce qu'il adviendra de cette spéculation sauvage, mais nous serions fort étonnés qu'elle profitât beaucoup à ceux qui l'exercent : il est certains coups d'escamotage qu'il ne faut jamais faire trop ostensiblement. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, à Paris, on voyage à plus bas prix sur les voitures de place que sur nos chemins de fer ! Chaque voyageur peut porter avec lui un bagage dont le poids n'excède pas 15 kilogrammes sans être tenu à un supplément de prix. Il y a une très-grande différence entre les tarifs de ces deux chemins de fer : la compagnie d'Orléans s'est contentée d'un tarif moins élevé, en échange d'une garantie de 4 pour 100 par le gouvernement sur le capital dépensé ; celle de Rouen n'ayant pas pu obtenir la garantie du gouvernement, a demandé et on lui a accordé un tarif tellement exagéré qu'elle sera obligée de le réduire, non pas par intérêt pour le public, mais pour ruiner la concurrence des messageries et des bateaux à vapeur. Les chemins de fer ne seront tout ce qu'ils peuvent et doivent être que lorsqu'on en aura calculé les tarifs, non pas d'après les intérêts des spéculateurs, mais d'après les intérêts du public. Un peu plus tôt, un peu plus tard, il n'en faut pas douter, la France en viendra à ce système. NOTES : (1) Les ingénieurs français ont adopté le mot rail pour signifier les barres de fer forgé ou laminé sur lesquelles doivent rouler les roues des locomotives et des voitures. Ils empruntent aussi aux Anglais quelques autres expressions : c'est ainsi qu'ils nomment chairs les coussinets de fer fondu sur lesquels reposent les bandes de fer, les rails, et wagons les chariots dont on se sert sur les chemins de fer. (2) Séguin aîné. (3) Pour les chemins de fer à construire, voyez le Journal des Connaissances utiles, année 1842, p. 162. (4) Inauguré le 2 mai 1843. Prix des places : coupé, 18 fr.; diligences, 12 fr. 60 ; voitures couvertes, 9 fr. 50 ; voilures découvertes, 6 fr. 35. (5) Inauguré le 3 mai 1843. Prix des places : voitures de 1e classe, 16 fr. ; de 2e classe, 13fr.; de 3e classe, 10 fr. (6) Observation importante. Dans les deux grandes ligures 1 et 2, ci-après, pages 6 et 7, les mêmes lettres indiquent les mêmes objets. (7) On estime ordinairement que la force d'un cheval équivaut à un poids de 75 kilog. élevé à un mètre de hauteur dans chaque seconde de temps, pendant huit heures, ce qui équivaut à un travail représenté en kilogrammes élevés à un mètre, qui est exprimé par 75 + 8 + 60 + 60 = 2,160,000 kilog. mais cette donnée est trop élevée ; elle est plutôt le résultat d'une convention propre à servir de point de comparaison que le résultat moyen d'expériences faites sur un grand nombre d'individus. Les locomotives ont une force ordinaire de 60 chevaux, et par cheval, il faut entendre la force désignée ci-dessus. (8) Voir le Journal des Connaissantes Utiles, année 1842, page 376. (9) Michel Chevalier. (10) Michel Chevalier. (11) Lettre du chevalier de Chastenet. (12) Le vieux Stephenson assure qu'il ne sera content que quand il se sera fait transporter à raison de 40 lieues à l'heure. Or, le tour du monde n'est que de dix mille lieues, pas davantage. Cavons au plus bas et calculons sur le pied de dix lieues : à ce compte, combien faudra-t-il de temps pour faire le tour du monde ? Quarante-deux jours. Prenons pour base la vitesse actuelle du chemin de fer de Carlisle; de 42 jours nous tombons à 17. Au calcul de M. Stephenson, ce ne serait plus que 11 jours pour ce voyage, que nul n'avait osé croire possible avant le seizième siècle, qui a valu à Magellan une immense renommée d'audace, et qui, aujourd'hui encore, dure un an. » MICHEL CHEVALIER, (13) La relation d'un voyage de Paris en Limousin, de La Fontaine à Mme de La Fontaine, est si curieuse et contraste tant avec notre manière de voyager, que nous ne pouvons nous empêcher d'en citer l'extrait suivant : « Nous partîmes donc de Paris le 23 du courant (août 1663). La fantaisie de voyager m'était entrée quelque temps auparavant dans l'esprit, comme si j'eusse eu des pressentiments de l'ordre du roi. Il y avait plu de quinze jours que je ne parlais d'autre chose que d'aller tantôt à Saint-Cloud, tantôt à Charonne ; et j'étais honteux d'avoir tant vécu sans rien voir. Cela ne me sera plus reproché, grâce à Dieu ! On nous a dit, entre autres merveilles, que beaucoup de Limousines de la première bourgeoisie portent des chaperons de drap rose-sèche sur des cales de velours noir. Si je trouve quelqu'un de ces chaperons qui couvre une jolie tête, je pourrai m'y amuser en passant, et par curiosité seulement. Quoi qu'il en soit, j'ai tout à fait bonne opinion de notre voyage : nous avons déjà fait trois lieues sans aucun mauvais accident, sinon que l'épée de M. Jeannart s'est rompue. Mais comme nous sommes gens à profiter de tous nos malheurs, nous avons trouvé qu'aussi bien elle était trop longue, et l'embarrassait. Présentement nous sommes à Clamart, au-dessous de cette fameuse montagne où est situé Meudon ; là nous devons nous rafraîchir deux ou trois jours. En vérité, c'est un plaisir que de voyager : on rencontre toujours quelque chose de remarquable. Vous ne sauriez croire combien est excellent le beurre que nous mangeons. Nous partirons de Clamart demain 26, et nous irons prendre au Bourg-La-Reine, la commodité du carrosse de Poitiers, qui y passe tous les dimanches. Là se doit trouver un valet de pied du roi qui a ordre de nous accompagner jusqu'à Limoges. Je vous écrirai ce qui nous arrivera en chemin et ce qui me semblera digne d'être observé…. » |