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J. Destrée : Les Villes dépeuplant les Campagnes (1903)
DESTRÉE, Jules (1863-1936) : Les Villes dépeuplant les Campagnes (1903).

Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (03.III.2015)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux : nc) de La Revue socialiste, 19e Année, Numéro 223 - Tome 38, Juillet 1903.
 
Les Villes dépeuplant les Campagnes
Un phénomène social moderne vu par un poète (ÉMILE VERHAEREN) et par un économiste (ÉMILE VANDERVELDE)
par
Jules Destrée

~ * ~


Les Campagnes hallucinéees, les Villes tentaculaires, les Aubes, trois volumes, par Emile Verhaeren, publiés par l'éditeur Ed. Deman, à Bruxelles. — L'Exode, rural et le retour aux champs, un volume, par Emile Vandervelde, publié chez l'éditeur Alcan, à Paris.

I

L'accroissement extrême des agglomérations urbaines est un des phénomènes sociaux les plus marquants du dix-neuvième siècle. Sans doute, les âges antérieurs ont connu des capitales extraordinairement peuplées, mais il n'est pas de temps dans l'histoire du monde où l'augmentation de la population des villes ait subi une progression plus rapide et plus constante. L'observation peut en être faite non seulement pour des pays neufs, à prospérité exceptionnelle (par exemple, les Etats-Unis : New-York qui a aujourd'hui trois millions et demi d'habitants, en avait, au début du siècle, soixante mille seulement ; Chicago, qui a aujourd'hui dix-sept cent mille habitants n'existait pas ; et Philadelphie, qui dépasse aujourd'hui le million, en avait soixante-dix mille à peine) ; mais encore chez les vieilles nations d'Europe : Berlin, de 172.000 en 1800, est passé plus de deux millions, si l'on y comprend Charlottenburg, Schoeneberg et Rixdorf ; Paris, de 548.000, à près de quatre millions ; et Londres de 958.000, à six millions et demi. Ce phénomène, si frappant pour ces grands centres, s'atteste de la même manière pour toute une série de cités de moindre importance, et cela sur toute l'étendue du globe où règne la civilisation moderne. Il semble que ce soit là un des traits caractéristiques et nécessaires de la phase capitaliste de l'évolution sociale.

Tandis que les villes ainsi se congestionnent, les campagnes se dépeuplent, la population agricole diminue, les cultivateurs se lamentent et il est devenu banal de déplorer que l'agriculture manque de bras. La pénurie de la main-d'oeuvre rend la situation des fermiers de plus en plus difficile et l'existence rurale devient de plus en plus pénible. Les paysans, misérables, affamés, quittent leurs glèbes pour accourir vers les régions industrielles et les séductions des cités. Les campagnes sont, dans leur détresse, hallucinées par l'illusion d'un bonheur facile ; et les villes paraissent allonger par toute la terre des tentacules irrésistibles pour s'emparer de la force, de la santé, de la vertu des champs.

Quelles sont les causes de ce phénomène singulier ? Quelles en sont les formes ? Quelles en sont les conséquences ? Celles-ci sont-elles bonnes ou mauvaises ? Vers quels destins nous conduit cette transformation prodigieuse ? Et dans la faible limite où l'effort de l'homme peut agir sur les phénomènes généraux de la civilisation, quelles sont les mesures auxquelles il faut recourir pour tirer de cette évolution le minimum d'inconvénients, le maximum d'avantages ? Telles sont les questions, du plus vif intérêt, que s'est posées Emile Vandervelde dans la belle étude démographique que vient de publier Alcan.

II

Le sociologue avait été précédé par un poète. Et comme témoignage de la sympathie fraternelle de ces deux esprits, chacune des parties de l'Exode rural porte en épigraphe quelques vers des Campagnes hallucinées, des Villes Tentaculaires ou des Aubes.

Emile Verhaeren est, à l'heure présente, parmi les écrivains vivants de Belgique, où une production littéraire si abondante, si remarquable s'est manifestée depuis vingt ans (qu'il me suffise de citer Camille Lemonnier, Maurice Maeterlinck, Georges Eekhoud parmi tant d'autres), l'un des plus justement estimés.

Et j'ajouterais même, si cette louange d'un compatriote et d'un ami ne devait paraître suspecte, que c'est l'un des poètes les plus considérables de la langue française. Peut-être croira-t-on plus aisément un journaliste parisien, M. Maurice Le Blond qui récemment, dans l'Aurore, consacrait à Emile Verhaeren un article enthousiaste où on peut lire : « Verhaeren n'est pas une personnalité parisienne, il n'est tout simplement que le plus prodigieux poète de l'heure présente. » Cet hommage n'est point isolé ; on pourrait en citer d'autres aussi décisifs.

Emile Verhaeren est né dans un village flamand, à Saint-Amand près d'Anvers. Et c'est d'abord les spectacles au milieu desquels il grandit qui s'animèrent en ses poèmes. Ce furent les plaines sablonneuses, s'étendant à perte de vue, coupées de marais, les villages chétifs de paysans pauvres et brutaux, le grand fleuve pacifique aux ondes claires partant pour des lointains inconnus, vers la ville, là-bas, en mirage. Ce fut la forte race flamande, avec sa sensualité épanouie et gloutonne, ses vouloirs opiniâtres, son amour de vie violente et large. Une série de poèmes philosophiques, d'un pessimisme très noir, suivirent et émerveillèrent par l'âpreté de leurs images, la grandeur des conceptions, le paroxysme des expressions, en même temps qu'ils scandalisaient les âmes routinières par les libertés que prenait l'écrivain vis-à-vis des formes traditionnelles du vers français (1).

Ce révolutionnaire littéraire, sans prendre parti dans les batailles politiques, affirma sa sympathie pour les révolutionnaires sociaux en donnant, à diverses reprises, son concours précieux à la Section d'art de la Maison du Peuple de Bruxelles. En rappelant ce détail, je pense rendre plus compréhensibles les préoccupations qui amenèrent cet artiste à conter, sur le mode lyrique, des phénomènes dont l'étude semblait réservée plutôt aux sociologues.

Cette poésie, successivement élargie en ses ambitions et en sa puissance, vise maintenant à exprimer l'essentiel de la vie contemporaine. Je cite encore M. Leblond :
 
« C'est dans l'évocation de l'activité moderne que l'art de Verhaeren obtient son maximum d'intensité. Tous les désordres, toutes les folies, tous les héroïsmes et tous les rêves, tous les cauchemars et tous les espoirs de notre fabuleuse époque de transformation, grosse d'une humanité inconnue, il en a compris la beauté prodigieuse et mouvementée. Il a perçu dans la période présente, autant d'éléments sublimes que dans les âges héroïques de l'histoire et de la légende. Pour lui, le machinisme a sa superbe poésie comme les chevaleries et comme les croisades. Dans l'activité contemporaine des trafiquants à leurs comptoirs, des débardeurs travaillant dans les docks, des tribuns sur les places publiques (dont les gesticulations passionnées ont parfois l'ampleur sacrée du geste des semeurs), dans l'attitude des chimistes à leurs cornues, ou des savants extatiques à leurs observatoires, il a découvert autant de vertu esthétique que dans les épopées d'autrefois.

« Et, parmi la frénésie sociale, au milieu de l'inquiétude popuîaire, dans la dégringolade des croyances et des systèmes caducs, dans les hôpitaux comme dans les bagnes, sous la misère et sous la folie, il voit monter — émouvante vision — une immense marée de forces tumultueuses, soulevée vers un avenir meilleur, vers cette vérité qui, depuis mille et mille ans, s'efforce à naître.... C'est un breuvage de feu que Verhaeren nous verse en des coupes incandescentes. C'est un alcool rugueux et rouge qui enflamme le sang, accélère son cours et vous enfièvre, qui projette la pensée vers les activités les plus prodigieuses.

« Une pareille poésie ne nous est donc pas directement assimilable. Pour la comprendre, pour l'aimer, le pur Latin devra oublier bien des cadences qui lui sont familières. Mais ce Flamand est plus que Français, pourtant, s'il est si peu Parisien. Il est le poète de cette race blanche conquérante, vorace, orgueilleuse, volontaire, belliqueuse et intellectuelle qui est parvenue à domestiquer les éléments et à asservir la planète. Et s'il n'est guère susceptible de séduire les frêles cervelles de nos Claudines parisiennes (à qui René Vivien convient évidemment mieux), il a su conquérir les viriles intelligences de l'élite mondiale. C'est à la progéniture affranchie des Solness et des Stockmann, aux fils des Froment et des Pascal, que s'adresse — prophétique — l'émouvant verbe de Verhaeren. »

Qu'un tel tempérament ait été séduit par ce phénomène des villes voraces mangeant les campagnes, qu'il ait cherché à le décrire et à pressentir comment pourrait, dans l'avenir, se résoudre l'angoissant conflit, cela nous paraît maintenant tout naturel.

     .... pourtant, lorsque les soirs
Sculptent le firmament de leurs marteaux d'ébène,
La Ville au loin s'étale et domine la plaine.
Comme un nocturne et colossal espoir
Elle surgit ; désir, splendeur, hantise ;
La clarté se projette en miroirs jusqu'aux cieux,
Son gaz myriadaire en buissons d'or s'attise
Ses rails sont des chemins audacieux

         Vers le bonheur fallacieux
Que la fortune et la force accompagnent ;
Ses murs s'enflent, pareils à une armée
Et ce qui vient d'elle encore de brume et de fumée
Arrive en appels clairs vers les campagnes.

C'est la ville tentaculaire
La pieuvre ardente et l'ossuaire
Et la carcasse solennelle.

Et les chemins d'ici s'en vont à l'infini
         Vers Elle...

Tel est le début des Campagnes hallucinées. Et puis ce sont les plaines :

C'est là plaine, la plaine.
Immensément, à perdre haleine
Où circulent, par les ornières,
Par à travers l'identité
Des toujours champs de pauvreté
Les désespoirs et les misères...

Puis l'inertie, l'entêtement, l'ignorance, la superstition, la. détresse des gens des campagnes, évoquées en images imprévues, déconcertantes au premier aspect, mais d'une saisissante éloquence lorsqu'un léger effort a permis d'en percevoir le sens.

Et enfin le Départ :

Les gens d'ici n'ont rien de rien,
Rien devers eux
Que l'infini, le soir, de la grand route.
Chacun porte au bout d'une gaule
En un mouchoir à carreaux bleus ;
Chacun porte dans un mouchoir
Changeant de main, changeant d'épaule ;
Chacun porte
Le linge usé de son espoir.

Ils s'en vont vers les villes, les Villes tentaculaires :

La plaine est morne et ses chaumes et ses granges
Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus ;
La plaine est morne et lasse et ne se défend plus ;
La plaine est morne et morte et la ville la mange...

Et le poète devine l'avenir qui se prépare dans les cités :

Le rêve ancien est mort et le nouveau se forge ;
Il est fumant dans la pensée et la sueur
Des bras, fiers de travail, des fronts, fiers de lueurs ;
Et la ville l'entend monter du fond des gorges
De ceux qui le portent en eux
Et le veulent crier et sangloter aux cieux.
..... Et qu'importent les maux et les heures démentes
Et les cuves de vice où la cité fermente,
Si quelque jour, du fond des brouillards et des voiles,
Surgit un nouveau Christ, en lumière sculpté,
Qui soulève vers lui l'humanité.
Et la baptise au feu de nouvelles étoiles.

Et quelles descriptions : les cathédrales, le port, les statues (le soldat, le bourgeois, l'apôtre), les spectacles, les promeneurs, les usines, la Bourse, le bazar, la Révolte, pour finir par un magnifique acte de foi dans la puissance des idées qui régnent sur la ville : la force, la justice, la pitié, la beauté ! — Il ne semble pas possible de caractériser plus énergiquement les aspects essentiels de la vie formidable des grandes agglomérations humaines des temps actuels.

Dans les Aubes, Emile Verhaeren a eu recours à la forme dramatique. Nous avons essayé un soir, à la Section d'art de la Maison du Peuple, d'en jouer les plus importantes scènes. C'est le tragique récit d'une guerre autour d'Oppidomagne, qui se termine par la fraternisation des armées belligérantes sous l'influence des idées révolutionnaires. Je regrette de ne pouvoir disposer d'un espace suffisant pour l'analyser ce beau drame, pour montrer comment il achève et couronne les deux séries précédentes. Emile Vandervelde l'a bien dit en conclusion à son livre : Avant que les Aubes se lèvent, il a fallu que les Villes tentaculaires fassent le vide, dans les Campagnes hallucinées.

III

Autant j'ai d'admiration pour le lyrisme si outrancier, si superbement synthétique d'Emile Verhaeren ; autant j'apprécie la manière précise, analytique et démonstrative d'Emile Vandervelde. Le savant complète le poète et tous deux se mettent mutuellement en valeur. Celui-là apporte aux visions de celui-ci une justification patiente, documentée, illustrée de faits et de chiffres. Car, l'un des grands charmes des travaux de Vandervelde est, avant tout, sa robuste érudition. Il est parfaitement averti des choses dont, il parle. Non seulement son observation personnelle l'amène à noter, au cours de ses déplacements, mille menus faits significatifs, mais il profite largement de l'expérience d'autrui et ses lectures considérables, ne se bornant pas aux ouvrages de langue française, embrassent toute la littérature de son sujet en allemand et en anglais. L'ampleur de ses investigations donne ainsi à son exposé et à ses conclusions la portée générale que nous étions en droit de désirer en pareille matière.

J'ajoute que son esprit est souple, ingénieux, habile à peser le pour et le contre, à percevoir les aspects multiples des choses, et c'est là, pour un économiste, un don précieux, car l'enchevêtrement et la complexité des phénomènes sociaux sont tels que tout dogmatisme rigoureux doit nécessairement mener aux pires confusions. Pour se rapprocher de la vérité, il faut se garder des affirmations tranchantes et des considérations absolues.

L'ouvrage est logiquement divisé en deux parties, la première consacrée à l'exode rural, la seconde consacrée au retour aux champs, retour que Vandervelde croit dans les probabilités de l'avenir. La première partie est naturellement la plus développée ; elle comprend l'étude des causes, des formes et des conséquences de l'exode rural.

Parmi les causes, l'auteur estime qu'il faut attacher beaucoup plus d'importance à celles qui repoussent qu'à celles qui attirent, c'està-dire que la population s'amasse dans les villes beaucoup moins à raison de la fascination qu'exerce celles-ci, qu'à raison des circonstances qui rendent la vie agricole de plus en plus pénible.

Il y a assez peu de ruraux qui abandonnent le sol natal par désir de l'existence éclatante et plus animée des agglomérations urbaines ; mais il y en a beaucoup qui se résolvent à ce départ par suite de contraintes économiques. Aussi Vandervelde voit dans la décadence de la propriété paysanne, la suppression des communaux, la scission de l'agriculture et de l'industrie, la crise agricole, les facteurs principaux de l'exode. « Pour déraciner les terriens, il faut que le développement de la production capitaliste, en bouleversant l'économie rurale primitive, détruise les conditions d'existence de la propriété paysanne et brise successivement tous les liens qui attachaient les travailleurs agricoles à la terre. »

Cette vision nous paraît absolument exacte. Vandervelde, qui a longuement étudié les transformations subies par la propriété foncière en Belgique au cours du dernier siècle, en a conclu que la propriété paysanne, cultivée en faire valoir direct, ne représente plus qu'une faible et décroissante fraction du territoire, situation qui peut résulter soit de la formation de grands domaines, soit d'un morcellement excessif ; de toute façon, les attaches qui retenaient l'homme à la terre se trouvent rompues et il suffira de modifications économiques légères, rendant l'existence plus difficile, pour déterminer l'émigration vers les centres urbains ou industriels.

Ces circonstances apparaîtront notamment comme, une conséquence de la suppression des biens communaux. Les anciens droits que possédaient sur ces biens les habitants des villages agricoles ou forestiers, pour être souvent d'une évaluation pécunière très faible, avait une valeur pratique considérable : ils étaient l'appoint nécessaire, l'adjuvant léger, mais indispensable qui permettaient aux pauvres gens des campagnes de ne pas être, des misérables inquiets du lendemain.

« Les survivances médiévales contribuent puissamment à la stabilité des populations rurales ; aussi longtemps qu'elles se maintiennent, les pauvres gens des campagnes conservent des intérêts dans la communauté villageoise et ne connaissent pas le dénuement absolu. » Et l'auteur démontre l'exactitude de son observation par une étude curieuse des communaux qui existent encore en Ardenne.

Autre circonstance rendant l'existence plus difficile dans les campagnes : la scission de l'industrie et de l'agriculture. Jadis, tous les travailleurs agricoles exerçaient, à côté de leur profession principale, pendant les loisirs forcés que leur faisait le cours des saisons, une profession secondaire qui sans suffire à elle seule à leurs besoins, leur assurait cependant des ressources supplémentaires permettant d'équilibrer leur modeste budget. Toutes ces industries (l'industrie armurière dans le pays de Liège, la cloutière en pays wallon, celle du tressage de la paille dans la vallée du Geer, celle du tissage du lin) subissent, à l'heure présente, une crise terrible et qui paraît sans espoir. Elles représentent une forme inférieure de production qui est condamnée à disparaître devant le mode capitaliste. Non seulement le fâcheux pronostic se déduit de l'Enquête sur le travail à domicile instituée par le gouvernement belge et résumée par Vandervelde, mais pareilles constatations sont faites par tous les économistes dans tous les pays où se développent les formes modernes de l'industrie capitaliste.

Le paysan végétait pauvrement ; voilà que les avantages que lui offraient les communaux disparaissent, voilà que les métiers accessoires, grâce auxquels par un travail acharné, quelques maigres ressources lui étaient assurées, disparaissent à leur tour. Que faire ? Les travaux agricoles, au moins, seront-ils un peu plus rémunérateurs qu'autrefois ? Hélas non, par toute la terre, sévit la crise agricole, le machinisme et la praticulture se répandent, écartant de plus en plus la main-d'oeuvre. Il y a toujours trop d'ouvriers pour les besoins moyens, trop peu pour les besoins exceptionnels de l'agriculture. Alors la pauvreté devient détresse. « Les gens d'ici n'ont rien de rien, dit Emile Verhaeren ; rien devers eux, que l'infini le soir, de la grande route... » Et ils s'en vont, par cette route, vers la Ville. Ainsi se trouve déterminé, par des causes internes, l'exode rural. A ces causes prépondérantes, viennent naturellement s'en ajouter d'autres accessoires, d'ordres divers, politique, moral, etc.

Vandervelde étudie, après le pourquoi, le comment du phénomène; Il distingue trois sortes d'émigration : tantôt les travailleurs quittent leur village pour toujours, émigration permanente ; tantôt ils conservent leur domicile à la campagne et vont chaque jour travailler au dehors, émigration quotidienne ; tantôt ils ne s'absentent que pour un certain temps, pour une besogne déterminée : émigration saisonnière.

Cette dernière forme, que l'auteur a décrite sans doute pour être complet, nous paraît ne présenter qu'un intérêt relatif. Elle n'a rien de moderne, puisque elle a existé de tout temps. Sans doute, les facilités des communications ont pu l'étendre et la multiplier, mais depuis longtemps les harvestmen du Connaught, les Sachsenganger de l'Allemagne, les braccianti de l'Italie, les aoûterons, les briquetiers et les bûcherons de Belgique nous avaient accoutumés à de telles migrations. Notons d'ailleurs qu'elles n'ont pas lieu des campagnes vers les villes et cela seul prouvera qu'elles sortent quelque peu du sujet qui nous passionne.

L'émigration permanente et l'émigration quotidienne sont infiniment plus intéressantes.

La première nous montre le phénomène actuel, celui qui congestionne les villes ; la seconde nous fait pressentir le phénomène futur, celui qui ramènera aux champs les travailleurs, après le travail de la journée dans les villes. Vandervelde s'est attaché à ces migrations quotidiennes, que l'institution des communications à bon marché a développées d'une manière prodigieuse. Il estime qu'un des actes les plus importants du gouvernement belge a été l'institution des trains ouvriers. Et les chiffres sont en effet significatifs, de quatorze mille en 1870, le nombre des billets de semaine délivrés aux ouvriers à tarif réduit est monté à 355.556 en 1880 ; à 1.018.383 en 1890 ; à 4.515.214 en 1900 ! La mesure, prise au début, dans le but de favoriser l'écoulement d'une main-d'oeuvre peu exigeante vers les centres industriels, a eu des conséquences imprévues et des résultats tels qu'on n'oserait point la rapporter. En Allemagne et en Autriche, et plus faiblement en Angleterre et en France, l'institution des trains ouvriers produit des effets analogues à ceux que Vandervelde décrit pour la Belgique et rencontrent les mêmes sympathies chez les démocrates socialistes et les mêmes résistances chez les conservateurs agrariens.

On peut évaluer, en Belgique, au neuvième de la population ouvrière industrielle le nombre de ceux qui se déplacent ainsi quotidiennement et qui, tout en continuant à habiter la campagne, vont travailler dans les villes. Sans doute, pour beaucoup, ces déplacements sont encore bien lourds ; mais qui ne voit que la réduction des heures de travail, le perfectionnement des communications, peuvent d'ici à quelques années, rendre la situation tolérable et réaliser un immense progrès sur les conditions antérieures ?
 
Aussi, qu'on les encourage ou qu'on s'en effraye, qu'on y applaudisse ou qu'on les déplore, ces mouvements énormes de population apparaissent, de plus en plus, comme une nécessité inéluctable. Et il faut bien qu'à tout prendre, les avantages en soient supérieurs aux inconvénients pour que les intéressés s'y soumettent en nombre toujours croissant.

Tout en constatant les faits, on peut se demander si c'est un bien ou un mal. Les deux thèses peuvent se défendre avec un égal luxe d'arguments. Verhaeren l'a fait en tableaux saisissants. Dans ses Aubes, un paysan et un homme des villes s'interpellent furieusement. « Sans vous, les gens des villes, nos moissons fleuriraient, nos granges déborderaient de blés. Sans vous nous serions restés forts, sains et tranquilles ; sans vous, nos filles ne seraient point des prostituées ni nos fils des soldats. Vous nous avez salis de vos idées et de vos vices et c'est encore vous qui déchaînez la guerre.

O ces villes ! ces villes !
Et leurs clameurs et leurs tumultes
Et leurs bonds de fureur et leurs gestes d'insultes
A l'ordre simple et fraternel !
O ces villes et leurs rages contre le ciel
Et leur terrible et bestial décor
Et leur marché de vieux péchés
Et leurs boutiques
Où s'étalent, par grappes d'or
Tous les désirs malsains
Comme jadis des guirlandes de seins
Chargeaient le corps des Dianes mythiques... »

Et l'homme des villes répond :

« Pourquoi nous arriver si nombreux et si avides ? Du fond des champs, vous accouriez pour voler et trafiquer, avec un esprit si tenace, une âme si étroite, si âpre et si violente que vous vous distinguiez à peine des bandits. Vous avez porté votre malice et votre ladrerie derrière tous les comptoirs. Vous avez encombré peu à peu tous les bureaux de la terre. Si le siècle grince d'un énorme bruit de plumes tatillonnes et serviles, c'est que vos millions de mains étaient prêtes à copier jusqu'à la mort... »
 
Dans son chapitre sur les conséquences de l'exode rural, Vandervelde se place successivement au point de vue des ouvriers et au point de vue des fermiers. Les premiers se sont prononcés pour l'exode, puisqu'ils sont de plus en plus nombreux à le pratiquer, mais les seconds le maudissent avec emportement. Partout où la propriété foncière garde une influence politique prépondérante, on voit dans les assemblées délibérantes se produire les motions les plus extraordinaires pour enrayer le fléau. Rien de plus instructif à cet égard que la discussion qui eut lieu en. 1899, au Landtag prussien, lors de l'interpellation Szmula. — Mais que faut-il penser de l'exode rural, au point de vue, non de ces intérêts spéciaux, mais de la collectivité ? La réponse ne peut se faire sommairement, car les conséquences sont extrêmement complexes. Toutefois, on peut penser que dans l'ordre politique et intellectuel, elles sont, plutôt favorables, et contribuent puissamment à l'émancipation du prolétariat, en élargissant l'horizon de sa pensée. Dans l'ordre physique et moral, on peut hésiter : car la corruption, la tuberculose, la syphilis et l'alcoolisme attendent dans les villes les paysans qui s'y réfugient. Toutefois, ne peut-on diminuer les inconvénients d'une façon notable, par exemple en se préoccupant davantage des logements ouvriers ? En somme, Vandervelde conclut ainsi :

« L'exode rural, quand il ne dépasse pas certaines limites, n'est pas seulement une nécessité économique pour les campagnards, mais un bienfait pour la civilisation. On insiste, il est vrai, sur les côtés sombres de la vie urbaine, sur les abîmes de misère qui déshonorent les grandes agglomérations, sur l'excessive et précoce mortalité qui résulte d'une existence fiévreuse dans l'atmosphère viciée d'ateliers insalubres et de logements encombrés. Tout cela n'est pas contestable et certes, nous serions les derniers à considérer comme un état normal, comme un état définitif, les conditions de la vie de la plupart des citadins. Mais si grands que soient et que puissent être, les maux engendrés par la concentration urbaine, elle a tout au moins à nos yeux cet inappréciable avantage d'arracher des milliers d'individus à l'inertie mentale, à l'individualisme étroit et borné qui sont le triste apanage de la majeure partie des populations agricoles. »

IV

Dans la seconde partie de son livre, Emile Vandervelde cherche à pressentir l'évolution ultérieure du phénomène que nous venons d'étudier avec lui. Il prévoit le prochain « retour aux champs » et indique les circonstances qui, dès maintenant, manifestent une tendance opposée à celles que nous avons vues agir si fortement pour dépeupler les campagnes au profit des villes. Il semble que la pléthore de ces dernières soit près d'arriver à son maximum. De même que des formes plus perfectionnées et plus équitables paraissent devoir, dans l'ordre de la production, succéder bientôt au système capitaliste, de même et sous la pression d'analogues influences, on peut conjecturer que l'habitation des hommes pourra participer quelque jour aux avantages des villes et aux avantages des champs, en réduisant au minimum les inconvénients de l'un ou l'autre séjour. Ce que nous avons indiqué en analysant l'Exode rural nous a donné l'occasion déjà d'annoncer les réformes futures : la réduction des heures du travail industriel, donnant au labeur industriel des conditions plus hygiéniques, à l'ouvrier plus de loisir et d'indépendance, l'amélioration des logements ouvriers dans les contrées de grande industrie ou les vastes agglomérations urbaines, la démocratisation des moyens de communication, permettant au travailleur d'avoir son occupation dans un grand centre et de s'établir dans la. périphérie, réformes qui sont liées au développement des idées socialistes.

Vandervelde note encore certains aspects caractéristiques : l'industrialisation de certaines branches de l'agriculture, le déplacement des industries vers les campagnes et certaines formes d'exode citadin, telles les excursions, les vacances, les voyages en bicyclette ou automobile qui sont encore actuellement réservées à une partie privilégiée de la population, mais prennent chaque année une importance croissante, apportant aux campagnes des ressources imprévues.
 
Bref, on peut entrevoir une civilisation dans laquelle les villes ne seront plus des centres d'habitation, niais surtout des réunions de monuments, de lieux de plaisir, de travail, d'affaires et d'études, spacieusement installés au milieu de parcs et de verdures, tandis qu'à plusieurs lieues à l'entour, dispersées dans l'air pur des campagnes, se trouveront les demeures des hommes. C'est le rêve ressuscité et scientifiquement conjecturé de Morris, dans News from nowhere, c'est la vision magnifique qu'avaient eue, dès les premiers chemins de fer, les cerveaux hardis de P. J. Proudhon et de C. Pecqueur.

JULES DESTRÉE.


NOTE :
(1) Les Soirs, les Débâcles, les Flambeaux noirs. Les premières poésies d'Emile Verhaeren ont été réunies par les soins du Mercure de France, à Paris, en une édition en trois volumes : Poèmes. C'est également cette maison qui a publié son dernier ouvrage : les Forces tumultueuses. Voyez au surplus la compréhensive étude d'André Beaunier, dans La Poésie nouvelle. Paris, Mercure de France, 1902.


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