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L. Énault : Les Courses de chevaux en France et en Angleterre (1865)
ÉNAULT, Louis (1824-1900) : Les Courses de chevaux en France et en Angleterre (1865).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.III.2015)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (Bm Lx : n.c.) du n°61, du 1er novembre 1865 de la Revue Française.
 
Les Courses de chevaux en France et en Angleterre

par


Louis Énault

I.  Histoire du cheval chez tous les peuples de la terre, par Éphrem Hoüel, 2 vol. in-12 ; Paris, 1832. – II. Les chevaux français en Angleterre, par le même. In-8, 1865. – III. Le turf et les courses de chevaux en France, par Eugène Chapus. In-18 ; Paris, 1854. – IV. – The Horse, by William Youate. Grand in-8 ; London, 1865. – Chantilly-Epsom-Bade, par Hiéron. In-18 ; Paris, 1865.


Je ne sais qui a dit que le cheval était le piédestal des princes : en tout cas, c’était bien dit. Aujourd’hui beaucoup de gens, sans être princes, aspirent à se donner au moins le piédestal. Ceux même qui n’ont pas de chevaux à eux se passionnent pour les chevaux d’autrui. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller un jour de courses à la Marche, à Longchamps, à Vincennes ou à Chantilly. Nous savons la part qu’il faut faire, ici comme en toutes choses, à l’engouement et à la mode ; mais nous savons aussi celle qui revient au bon sens, à la raison et à la vérité. Que les frivolités mondaines, ou les mœurs tapageuses du demi-monde, aient vu là l’occasion, toujours si avidement recherchée par elles, de s’affirmer au grand jour, c’est un simple détail, dont il n’y a point à se préoccuper. N’est-ce point aux sermons du carême que les belles dévotes essayent le premier effet de leurs toilettes printanières ? On n’a jamais songé pour cela à supprimer les sermons. L’abus est partout à côté de l’usage. Il faut garder l’un et se résigner à l’autre.

Il y a un rapport évident, incontestable, perpétuel, entre l’extension donnée aux courses, les encouragements accordés aux vainqueurs, la faveur dont on entoure tout ce qui les touche, et l’accroissement et l’amélioration de l’espèce chevaline. C’est un enchaînement d’une logique rigoureuse. Si vous n’avez pas de courses, vous n’aurez pas de chevaux de pur sang ; sans chevaux de pur sang vous n’aurez pas de régénération possible pour vos races appauvries. C’est là, du reste, un principe admis aujourd’hui dans toute l’Europe. Nous n’en voulons d’autre preuve que l’importance, exagérée peut-être, mais à coup sûr incontestable, accordée aux courses de chevaux, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en France, en Angleterre.


I.

Les courses de chevaux, considérées comme institution sociale et politique, remontent à la plus haute antiquité. Les premiers hommes divinisèrent le cheval, comme toutes les grandes forces de la nature, utiles ou redoutables. Salomon institua des courses chez les Juifs : il montait sur son trône pour voir courir ses favoris. On sait quel éclat les jeux Olympiques jetèrent sur la Grèce antique. On s’y disputait les prix de vitesse en des courses attelées ou montées.

Dès les premières années de la fondation de la ville qui porta son nom, Romulus institua des courses de chevaux qui durèrent autant que l’empire. On sait la passion des Byzantins pour les chevaux et ces violentes rivalités de toute une ville, partagée entre les Bleus et les Verts qui menaçaient chaque jour d’ensanglanter l’arène. Mais le génie trop cosmopolite de Byzance ne cherchait que le spectacle et le plaisir des yeux dans ces courses, et, au lieu d’améliorer les races indigènes, les entrepreneurs des jeux de l’hippodrome se contentaient de faire acheter dans le monde entier, soumis au sceptre de leurs empereurs, les chevaux les plus beaux et les plus vaillants, qui venaient courir sous leurs yeux.

Les chroniques équestres de la France ont aussi leurs lettres de noblesse. On connaît les exploits, dans cette branche du sport, du cycle de Charlemagne. On sait que ce grand monarque, aussi habile dans les exercices du corps que puissant par les conceptions de son génie, dressait lui-même ses chevaux. Un peu plus tard, cette fois en plein moyen âge, nous voyons des courses de chevaux en Bretagne. Il y a bien des siècles que la réputation des Normands est faite dans l’art de courir la bague. L’origine des courses parmi les races  intelligentes qui habitent les régions pyrénéennes se perd dans  la nuit des temps.

Quoi qu’il en soit, ces diverses épreuves étaient loin d’offrir les garanties et d’avoir la correction et la sévérité des courses contemporaines. Nous ne les avons indiquées que pour mémoire, comme filiation lointaine et en guise d’histoire des origines. C’est à l’Angleterre qu’il est juste de reporter la fondation des courses de chevaux, telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui dans toute l’Europe.


II.

L’Angleterre a toujours été pour les chevaux un sol privilégié. Les qualités de la pâture et les conditions climatériques semblent leur avoir également convenu dans tous les temps. Jules César parle avec une sorte d’admiration de l’adresse avec laquelle les Bretons conduisaient des chariots armés de faux, attelés de chevaux vigoureux et rapides. Il en exporta une assez grande quantité sur le continent, et les répandit à travers le monde. Un peu plus tard, quand les Romains furent les maîtres absolus de la Grande-Bretagne, ils croisèrent les races du pays avec les chevaux de diverses origines qui montaient leur cavalerie. Ce fut comme une première dégénérescence : elle fut suivie de beaucoup d’autres. A l’époque de la conquête, le cheval d’Espagne, le genet, comme on l’appelle, beau, brave, noble, élégant, tenta la première régénération d’une race que les Romains avaient abâtardie. – Ce ne fut là, du reste, qu’un essai aristocratique, sans influence sérieuse et nationale. Le premier cheval arabe fut introduit en Angleterre sous Henri Ier.

Les premières courses datent de Henri II.

Elles avaient lieu hors les portes de la ville, dans un champ connu sous le nom de Smithfields. Tous les vendredis, on y amenait un certain nombre de chevaux destinés à la vente, et que l’on essayait au milieu d’un grand concours de comtes, de barons, de chevaliers et de bourgeois, accourus pour voir ou pour acheter. On faisait marcher les chevaux au pas ; on les faisait trotter et galoper. Dans l’après-midi de tous les dimanches de carême il y avait une sorte de tournoi et de passe d’armes, où chevaux et cavaliers faisaient assaut de souplesse et de dextérité. Le tout se terminait par une course à toute vitesse. Mais il s’en fallait de beaucoup qu’à cette époque les Anglais fussent satisfaits de leurs races. Ils avaient un idéal qu’ils n’atteignaient point.

Le roi Jean fit acheter dans les Flandres cent étalons choisis. Un an plus tard, Édouard II tira de la Lombardie trente chevaux de guerre et douze chevaux de trait. Édouard III sacrifia des sommes considérables pour se procurer cinquante beaux chevaux espagnols. Il eut, lui, des chevaux de courses proprement dits, et dans lesquels on recherchait beaucoup la vitesse, aux dépens même de la force. Henri VIII eut dans ses écuries des chevaux de renom, et il accrut notablement la taille du cheval anglais, en s’opposant à toute reproduction par un étalon n’atteignant pas le niveau fixé par lui. Les courses de Chester et de Hamford furent établies sous son règne. Mais les hippodromes n’étaient pas comme aujourd’hui tracés à l’avance. On lançait à travers la campagne les cavaliers intrépides. Il n’était pas alors question du cheval de pur sang, ni de la foudroyante vitesse obtenue par lui depuis lors. La vitesse que l’on voulait en ce temps, c’était celle du cheval de guerre et de fatigue, obligé de porter le lourd poids de l’homme d’armes. Le prix de ces courses primitives consistait dans une clochette de bois, ornée de fleurs. Dans la suite, une clochette d’argent remplaça la clochette de bois. Sous Jacques Ier, les courses se multiplièrent singulièrement en Angleterre. Il y en eut à Garteley, à Croydon, à Enfield-Chase. Les paris entre propriétaires devinrent très-fréquents : presque toujours le propriétaire montait lui-même son cheval. C’est à cette époque que l’on posa les premières règles de cet art de l’entraînement, qui devint plus tard si savant et si compliqué. Cavalier brillant, Charles Ier fit fleurir New-Market et créa un hippodrome dans Hyde-Park. Après le temps d’arrêt nécessairement imposé aux courses, comme à tous les déduits aristocratiques, par les guerres civiles, il y eut, à la restauration de Charles II, une reprise éclatante. Charles II fonda le premier prix en argent qui eût jamais été gagné sur un hippodrome anglais. Ce prix fut de cent livres. Les chevaux du roi coururent  sous son nom, donnant ainsi au turf ses lettres de noblesse. La valeur des prix ne tarda point à s’accroître : on se disputa des plats royaux, des coupes d’or et d’argent de deux cents guinées. Le parcours était alors de six à sept kilomètres ; la charge de soixante à soixante-quinze kilogrammes. Charles II envoya son écuyer, Christophe Wervick, en Orient, pour lui acheter des étalons et des juments des races les plus célèbres. Guillaume III suivit son exemple, et augmenta la valeur des prix. La reine Anne en fonda de nouveaux, dans différentes villes du royaume.

La race anglaise doit à trois chevaux son éclatante transformation. Ces chevaux sont connus dans l’histoire du turf comme les auteurs de cette brillante régénération, et on leur a donné le nom de leurs propriétaires, qu’ils immortaliseront peut-être. L’un s’appelait Beyerley : c’était un cheval turc ; les deux autres, Darley et Godolphin : c’étaient deux arabes. A partir du premier moment où ces nobles chevaux furent introduits dans la reproduction anglaise, on inscrivit sur un registre destiné à cet effet, et nommé Stud-Book, toutes les naissances dont ils avaient été les auteurs. Le Stud-Book est donc le livre d’or des chevaux, et l’on peut, grâce à lui, remonter tous les degrés d’une généalogie équestre, avec la même sûreté que l’on établirait la filiation et l’état civil de la famille la plus aristocratique. Il se rencontre même des personnes pour croire que, rigoureusement parlant, ce n’est pas du côté de l’homme que se trouve la plus grande somme d’authenticité. Quoi qu’il en soit, cette origine, une fois acceptée, ne laisse plus subsister la moindre équivoque sur la portée d’une expression dont beaucoup de gens se servent tous les jours sans l’avoir jamais comprise, cheval de pur sang. Le cheval de pur sang n’est autre chose que le cheval anglais, régénéré par l’infusion du sang arabe.

L’Angleterre, à l’aide de ce croisement, dont elle n’a plus aujourd’hui la spécialité, est parvenue, grâce à un système d’alimentation parfaitement entendu, grâce également à des influences locales, qui sans doute ne se retrouveraient point ailleurs au même degré, à produire un cheval qui, sous le rapport de la vigueur et de la rapidité, est aujourd’hui considéré par tous les connaisseurs comme le premier cheval du monde. Sous toutes les latitudes, dans tous les climats, dans l’Asie brûlante, dans la Russie glacée, le cheval anglais de pur sang bat les rivaux qu’on lui oppose, – même ceux qui arrivent directement de l’Arabie. L’art et l’industrie de l’homme en s’ajoutant ainsi aux qualités de la nature arrivent donc à un résultat supérieur à celui que pourrait donner la nature seule. Nous avons monté, autour de Jéricho, dans les plaines de la mer Morte, et dans les déserts de l’Asie Mineure, entre Damas et Palmyre, des chevaux des grandes races orientales, et nous nous sommes donné la joie « de boire l’air » avec eux, selon la belle expression arabe. – Dans leurs plus grands élans ils ne couvraient guère que de quatorze à seize pieds de terrain. Le cheval anglais en couvre jusqu’à vingt-huit, franchissant, par conséquent, plus de cent pieds en quatre bonds. – La course, ainsi, devient un vol ; – le cheval se fait oiseau et dévore l’espace.

Efforçons-nous, maintenant que ces prémisses sont posées, de déterminer en quelques mots les caractères qui différencient le cheval arabe primitif du cheval de pur sang proprement dit, tel que les Anglais l’ont inventé et créé, tel qu’ils le produisent tous les jours, et que nous le produisons nous-mêmes d’après eux.


III.

Aucun cheval au monde ne possède une plus belle tête que le cheval arabe. Son front est large et carré ; son œil saillant et brillant ; sa bouche petite et fine ; ses naseaux larges et bien ouverts, sa mâchoire inférieure mince et tenant dans la main : la tête tout entière est comme enlacée dans le réseau des veines larges et gonflées. Peut-être pourrait-on reprocher un peu de légèreté à son corps, un peu d’étroitesse à sa poitrine. Mais, derrière le bras, le coffre s’élargit et livre ainsi un espace suffisant pour le jeu des poumons. Son cou est long, naturellement arqué, et attaché par une jointure irréprochable. Aucun cheval ne peut rivaliser avec lui pour la structure vraiment supérieure de l’épaule. Le garrot est élevé, l’omoplate convenablement inclinée, la musculature puissante sans pesanteur. La jambe est fine et le paturon a une obliquité considérable. Les éléments constitutifs de cette jambe sont d’une essence supérieure : l’os d’une densité sans égale ; les tendons très-nettement détachés des os, et les muscles de la cuisse et de l’avant-bras aussi remarquables par leur force que par leur disposition.

La tête du cheval anglais se rapproche beaucoup de celle du cheval arabe. Son cou est mince, effilé, très-fin d’attache ; son épaule immense, et d’une obliquité qui frappe ; sa poitrine plus profonde et plus large que celle du cheval arabe ; l’arrière-main, c’est-à-dire la partie de l’animal qui le chasse et le projette en avant, d’un développement supérieur ; ses jambes plates, plutôt courtes, à partir du genou jusqu’au sabot, pas toujours assez larges ; c’est là un de ses défauts ; le paturon moins oblique que celui du cheval arabe, mais suffisamment long, et d’une élasticité parfaite. La charpente solide offre aux muscles des points d’insertion capables de tous les efforts et de toutes les résistances ; aussi peu de ventre que possible, pour ne point surcharger d’un poids inutile les agents de la locomotion.

En un mot une machine parfaite pour atteindre le but que l’on s’est proposé : la force et la vitesse…. Une machine ! puis-je ainsi parler en face de cette ardeur, de ce courage, de cette énergie indomptable, de cette passion de bien faire qui, jusqu’à la dernière pulsation de sa poitrine, anime le cheval de pur sang ? Ajoutons, comme détails particuliers, moins importants sans doute, mais cependant caractéristiques, que le cheval de pur sang est presque toujours bai, bai-brun ou alezan ; quelques-uns noirs, fort peu gris ou blancs, – et ce ne sont pas les meilleurs. Aucun cheval blanc n’est arrivé à la gloire olympique sur nos hippodromes.

Maintenant que nous connaissons le cheval de pur sang dans son origine et sa filiation ; que nous avons étudié les particularités de son organisation, et que nous nous sommes rendu compte de ses qualités physiques et morales, nous allons le voir à l’œuvre et le suivre sur le terrain des courses.


IV.

Les courses correspondaient trop bien au goût, aux besoins, j’allais dire au génie de la race anglaise, si avide de locomotion rapide, pour que leur institution ne se soit point promptement développée en Angleterre. Il y a, aujourd’hui, des courses dans toutes les villes importantes des trois royaumes. Les principales ont lieu à Epsom, où se court le Derby, fondé par lord Derby, grand-père du chef actuel des tories, pour les poulains de trois ans, et le prix des Oaks, pour les pouliches ; viennent ensuite celles de New-Market, de Liverpool et de Doncaster, où se dispute le grand Saint-Léger ; celles d’York, de Goodwood, d’Ascot et de Chester. Nous pouvons citer encore Newcastle, Warwick, Manchester, Cheltenham, Bath, Wolverhampton et Brighton, cette belle station marine, dans une position exquise, sur le plus beau rivage de la blanche Albion, en face des côtes de France, si chère à la fashion et à l’aristocratie anglaises. Nous n’indiquons que les sommets ; mais il y a peut-être aujourd’hui plus de cent cinquante lieux de réunion pour les courses. – Tantôt la mode les prend sous son patronage, et tantôt elle leur retire sa mobile faveur. Ce ne sont là, après tout, que des fluctuations particulières dans le grand mouvement général. Les courses importantes, comme celles d’Epsom, de New-Market et de Doncaster, attirent à elles toutes les sportsmen de l’Angleterre. Les autres ne sont, à proprement parler, que des attractions locales, solennités des comtés environnants.

La France qui, sur le terrain du sport, comme sur beaucoup d’autres, se pose aujourd’hui en antagoniste et en rivale de l’Angleterre, n’organisa ses couses d’une façon un peu sérieuse que beaucoup plus tard. Les courses françaises ne datent véritablement chez nous que du dernier quart du dix-huitième siècle. Ces premières courses, pas plus que les premières courses de l’Angleterre, n’avaient point pour but l’amélioration de la race chevaline ; c’était passe-temps de gentilshommes, distraction de vie élégante, plaisir de haute existence, affaire de mode patronnée par les princes du sang royal, et notamment par le comte d’Artois, qui était à ce moment la plus haute expression de l’aristocratie française.

Ces premières courses eurent lieu du 5 au 10 novembre 1776, dans la plaine des Sablons. Elles se transportèrent de là à Fontainebleau, mais accidentellement, et seulement à l’occasion d’une poule, restée célèbre, qui fut disputée par des chevaux de tout âge. Mais le terrain avait paru bon, et, l’année suivante, Fontainebleau vit une course superbe, dans laquelle parurent quarante chevaux. Une piste nouvelle fut alors créée au bois de Vincennes, et les courses eurent lieu alternativement à Fontainebleau, à Vincennes et dans la plaine des Sablons.

Les révolutions se ressemblent partout. La nôtre eut sur nos courses naissantes la même influence que la révolution anglaise sur les courses d’Angleterre. Il est, je pense, inutile d’ajouter que ce fut une influence désastreuse. Plus tard, Napoléon trouva cette ruine et il voulut la relever comme il en avait relevé tant d’autres. Il assigna aux courses des époques fixes et des localités déterminées. Nous pouvons citer entre autres les courses de Paris, du haras du Pin et de Saint-Brieuc, en Bretagne.

Mais ces courses étaient frappées dans leur germe même. Napoléon, dont sa lutte avec l’Angleterre avait en quelque sorte développé outre mesure le patriotisme français, adopta des règlements qui eurent le tort grave de prendre plus d’une fois le contre-pied absolu et systématique des idées anglaises, c’est-à-dire de l’expérience confirmée par le succès, et du bon sens pratique.

Il faut le dire avec une entière franchise : les courses du premier empire ne réussirent point.

La Restauration fut assez avisée pour adopter d’autres errements. Elle se rapprocha de l’Angleterre, qu’elle n’avait du reste aucune raison de haïr. Louis XVIII régularisa les courses. Plusieurs établissements furent fondés sous son règne pour l’élevage du cheval de pur sang. Qu’il nous suffise de nommer le haras de Meudon, placé sous la direction du duc de Guiche, et celui de Viroflay, créé par M. Rieussec. C’est à ce moment que lord Seymour commença de briller sur le turf français, à côté du comte d’Orsay, et de MM. de Kergariou, de Laroque et de Labastide.

La révolution de 1830 fut un temps d’arrêt dans les améliorations tentées par Louis XVIII et poursuivies après lui par son frère le comte d’Artois, ce brillant cavalier des dernières fêtes de l’ancien régime, devenu Charles X, – chef d’une monarchie constitutionnelle qu’il n’avait pas rêvée.

Après cette halte d’un moment, il y eut une reprise dans la marche ascensionnelle des institutions hippiques. Le roi Louis-Philippe rendit, le 3 mars 1833, l’ordonnance qui créait le registre matricule destiné à noter les naissances des chevaux de pur sang et à recueillir l’historique des courses. C’est le Stud-Book de la France. Les idées anglaises en matière de courses triomphaient en ce moment sur toute la ligne. Elles règnent encore aujourd’hui sur nous. Mais des épreuves trop récentes pour qu’elles soient oubliées, trop éclatantes pour qu’il soit nécessaire d’en parler, ont montré à tous que nous savons nous servir, pour les battre, des armes empruntées à nos rivaux.

C’est également à cette époque du règne de Louis-Philippe (1833) qu’il convient de reporter la fondation d’une société qui devait avoir la plus sérieuse et la plus réelle importance sur l’amélioration de la race chevaline en France. Nous voulons parler de la Société d’Encouragement, placée sous le patronage et l’influence si directe du Jockey-Club qu’on l’a souvent confondue avec lui. Le Jockey-Club, par son intermédiaire, se donna pour mission de populariser les idées anglaises de ce côté du détroit, et de favoriser le développement du pur sang. Composé au début de quatorze membres fondateurs, appartenant, par la naissance, le mérite ou la fortune, à la plus haute notoriété de la société parisienne, le Jockey-Club vit bientôt se grouper autour de lui toute une pléiade d’existences brillantes. Propagateur ardent et libéral, il a contribué dans une large mesure, par l’importance et la sage distribution de ses prix, au goût des courses, si généralement répandu parmi nous aujourd’hui, et par conséquent à l’élevage, à l’entretien, et, pour ainsi parler, à la vulgarisation du cheval de pur sang, élément essentiel et indispensable de toute course sérieuse en Europe, de toute course ayant pour but d’indiquer les reproducteurs vraiment capables d’améliorer la race.

Le président du comité des courses de la Société d’encouragement est M. le vicomte Paul Daru. Les commissaires de ces courses sont M. le baron de la Rochette, chargé des départs, M. le comte de Noailles, juge à l’arrivée, M. le comte de Greffulhe, qui préside aux opérations du pesage. M. Mackensie-Grieves, un des hommes de cheval les plus accomplis de notre époque, est chargé de la surveillance du terrain de la piste de Paris ; M. le comte d’Hédouville remplit les mêmes fonctions à Chantilly.


V.

A quelques exceptions près, et qui n’ont lieu que sur les hippodromes des provinces, les courses au galop sont disputées aujourd’hui par les chevaux de pur sang exclusivement. La société des courses n’en connaît point d’autres.

Ceci ne veut pas dire que tous les produits du pur sang soient aptes à paraître sur les hippodromes. C’est à peine si le tiers des poulains se trouve, à l’âge de trois ans, dans des conditions de vigueur et  d’entraînement qui lui permettent d’affronter cette redoutable épreuve. Les deux tiers de ce premier tiers ne s’élèvent point au-dessus d’une ligne moyenne assez indifférente. Neuf sur cent sont de bons chevaux de troisième ordre, le centième brille parmi les célébrités du turf. Quant aux héros, à ces grands courages, à ces nerfs d’acier, à ces poitrines vaillantes qui s’appellent Éclipse, Monarque ou Gladiateur, on n’en trouve pas un sur dix mille. La proportion n’a, comme on le voit, rien d’encourageant.

Les jeunes chevaux apparaissent quelquefois sur le turf à la fin de leur deuxième année, – aux  courses d’automne de Longchamps et de Chantilly. – C’est une reconnaissance qu’ils poussent sur le champ de bataille ; mais c’est seulement à trois ans que commencent les épreuves sérieuses et décisives. Leur début a lieu au mois d’avril dans la poule d’essai, qui fournit un premier placement. C’est une course de quinze cents mètres, pour laquelle la Société reçoit environ trente ou quarante engagements. Dix ou quinze concurrents seulement se présentent au poteau de départ.

Après l’épreuve de la poule d’essai, vient celle de la poule des produits, courue au commencement du mois de mai (distance 1900 mètres). Puis arrive, à la fin de mai, la grande épreuve du Stud-Book français, connue sous le nom de prix du Jockey-Club, couru à Chantilly, sur une piste de 2400 mètres, et dont la valeur s’élève à 20,000 fr. sans les entrées. Tous les chevaux de trois ans, sur lesquels leurs propriétaires peuvent fonder de légitimes espérances, sont engagés pour cette course. Soixante environ sont annuellement inscrits au secrétariat du Jockey-Club ; quinze à vingt partent. Une suprême épreuve est réservée aux chevaux de trois ans de tous les pays, sous le nom de Grand Prix de la ville de Paris, prix de la valeur exceptionnelle de cent mille francs, sans les entrées, qui est disputé sur l’hippodrome de Longchamps. Le nombre des inscriptions s’élève parfois à plus de cent ; mais les épreuves préliminaires, des deux côtés du détroit, ont donné un classement tellement certain, que c’est à peine si quatre ou cinq concurrents sont jugés en état d’aborder cette grande lutte, dont le vainqueur est souvent désigné à l’avance avec une certitude qui fait honneur à la justesse de coup d’œil des turfistes expérimentés.

Une disposition particulière du règlement des courses admet à disputer les prix du gouvernement et du Jockey-Club les chevaux nés en France et qui n’en sont pas sortis avant l’âge de deux ans. A partir de cette époque, on leur permet le voyage en pays étranger. Un certain nombre profite de cette latitude pour aller en Angleterre, jouir d’influences climatériques que l’on croit supérieures à celles de la France, et des bénéfices d’un entraînement dans la science et la pratique duquel personne jusqu’ici n’a surpassé les Anglais. C’est M. Lupin qui donna le premier exemple de cette émigration du cheval de deux ans, qui a, du reste été plus d’une fois imité depuis lors. Gladiateur, auquel, cette année, il faut toujours en revenir, quand on parle de chevaux de course, a été entraîné à New-Market.


VI.

Nous n’avons montré aux lecteurs de la Revue Française les héros du turf que sous le rayon de la victoire et dans l’ardeur éclatante de la lutte. Qu’ils nous permettent à présent de les faire pénétrer dans le mystérieux travail de leur éducation.

Le poulain destiné à la vie glorieuse mais sévère du cheval de course mène, dès sa plus tendre enfance, une existence particulière. Jusqu’à l’âge de dix-huit mois, il erre en liberté dans la prairie, avec de jeunes compagnons, ne rentrant que le soir dans le box où il passe la nuit. Il tette encore sa mère, que déjà on le met peu à peu au régime de l’avoine, qui augmentera sa force et sa vigueur. Car, il ne faut pas s’y tromper, c’est le grain qui fait le cheval !

A dix-huit mois, on envoie le poulain au collège, – je veux dire à l’entraînement. – Les principaux établissements d’entraînement sont, pour l’Angleterre à New-Market, et pour la France à Chantilly. L’entraînement, pour être bien fait, exige de vastes espaces, et une nature spéciale de sol, qui ne soit ni trop mou, le cheval enfoncerait, ni trop dur, parce que, dans la chaleur de l’action et la violence du plein galop, il offenserait contre lui ses pieds encore délicats. Le turf élastique, qui fait le fond même de la forêt de Chantilly, et ses longues allées droites, si admirablement coupées, offrent aux entraîneurs la réunion des conditions les plus souhaitables. Ajoutez, point si important pour la santé et l’économie générale du jeune poulain, la pureté de l’air, sans cesse entretenue et renouvelée par les bienfaisantes émanations de la végétation forestière.

Les chevaux soumis à l’entraînement sont logés dans des boxes, où on les laisse en liberté. Ces boxes, où ils ont toujours une épaisse litière de paille, sont garnis pour tout mobilier d’un ratelier, d’une mangeoire et d’un bassin, où parfois passe un filet d’eau courante. Ces espèces de cellules sont tenues avec une propreté qui va souvent jusqu’au luxe. Chaque poulain à l’entraînement a son valet de chambre, connu sous le nom de lad, ou de stable-boy, qui couche dans le box de son cheval, j’allais dire de son maître, et qui est chargé de satisfaire à tous ses désirs, de prévenir tous ses besoins, et même de lui accorder ses petites fantaisies. On assure que le lad de l’illustre Gladiateur passe une partie de son temps à lui gratter le bout du nez, opération qui est, pour le célèbre vainqueur, la source de jouissances infinies.

Ces jeunes gens, ou, pour mieux dire, ces enfants sont chargés, sous la surveillance de l’entraîneur, de la nourriture et du pansage des chevaux. La susceptibilité nerveuse de la bête rend cette dernière opération si délicate que l’on ne peut la faire qu’avec la brosse ou l’éponge. L’étrille écorcherait cette peau mince et fine, ou, tout au moins, produirait une irritation qui deviendrait bientôt insupportable.

L’entraînement, dont l’objet est d’habituer lentement et de préparer peu à peu le cheval aux dures épreuves qui l’attendent, repose sur le principe de la gradation des exercices. Il exige, de la part de celui qui le pratique, beaucoup de tact, de patience et de circonspection. Il faut échelonner habilement les épreuves, en exigeant chaque jour un peu plus que la veille. Si l’on voulait aller trop vite, on s’exposerait à donner au cheval soit une toux chronique, soit une inflammation des articulations. Autrefois, – il y a de cela une centaine d’années, – quand les Anglais commencèrent à s’occuper d’entraînement, il leur suffisait d’un mois, de deux tout au plus, pour mettre un cheval à son point. Aujourd’hui, la condition que réclament des épreuves de plus en plus sévères est rarement atteinte en moins d’un an, et il faut souvent davantage.

L’entraînement se compose, à vrai dire, de deux parties, l’une médicale, l’autre gymnastique. Il ne suffit pas d’augmenter la puissance des moyens d’action du coureur ; il faut encore faire disparaître toute chair inutile, toute graisse superflue, – en un mot, enlever à l’animal tout ce qui augmente son poids, en lui laissant tout ce qui accroît sa force. Pour arriver à ce double but on ne se contente pas de l’exercice quotidien et de l’alimentation spéciale ; on a aussi recours aux potions pharmaceutiques, qui purifient toute l’économie de l’organisme. Les quinze premiers jours de l’entraînement ne vont point au-delà de quatre heures de marche au pas. On assouplit ainsi le système musculaire du poulain et l’on affermit ses jambes. La troisième semaine, on commence les suées qui durcissent les membres, tout en faisant fondre les parties graisseuses. Pour en arriver là, on revêt le cheval d’un drap et d’un camail de laine, qui le recouvrent presque tout entier. Si l’on veut réduire davantage certaines parties trop chargées, on augmente les couvertures sur ce point. Le cheval ainsi accoutré est mis au galop de chasse, tout d’abord ; puis au plein galop, sans atteindre cependant jusqu’à l’extrême vitesse de son train. Il court ainsi l’espace de six ou huit kilomètres, après quoi on le ramène au pas à l’écurie, où de nouvelles couvertures se surajoutent aux premières. Quand la sueur commence à couler avec une certaine abondance, on enlève les couvertures, et l’on commence à frictionner avec des tampons de drap, jusqu’à ce que l’animal soit complétement sec. On lui fait faire alors une petite promenade hygiénique au pas, puis on le ramène à l’écurie, où on le laisse en repos jusqu’au lendemain.

La deuxième période de l’entraînement ne commence qu’au moment où l’excès de graisse a disparu. Pendant cette seconde période, on donne au cheval toute sa vitesse, et en même temps on s’applique à lui ouvrir progressivement les voies respiratoires, de façon que l’air puisse entrer et circuler librement dans sa poitrine. Le poumon ne joue pas un rôle moins important que les jarrets et les reins dans ces locomotions rapides. On a soin, dans cette deuxième période, de donner au cheval des suées plus fréquentes, et d’exiger de chaque galop un maximum supérieur de vitesse. Le système alimentaire est plus tonique et plus généreux.

Ici se terminent, on peut le dire, les exercices de l’entraînement général. Le cheval, à proprement parler, se trouve en état. Ce que l’on fera en plus ne sera autre chose qu’une préparation particulière pour le mettre dans la condition et la forme spéciales qu’exige telle ou telle course. C’est ici surtout que l’entraîneur a besoin de son tact, de son coup d’œil, de sa connaissance exacte de tous les sujets qui lui sont confiés, pour atteindre le but et ne point le dépasser. Trop peu de travail rend l’animal incapable de lutter contre des concurrents plus aguerris ; un excès de fatigue le surmène ; un excès de nourriture l’engorge. Rien de plus difficile que de toucher le point juste. On conçoit qu’un métier exigeant une telle réunion de qualités poussées à un si haut degré doit rapporter à ceux qui peuvent y réussir des avantages sérieux. Les entraîneurs sont largement payés ; souvent même on les intéresse pour une part dans le succès de leurs élèves. Les uns s’occupent exclusivement de l’écurie d’un coureur ; d’autres, au contraire, sont chez eux, et prennent à forfait les chevaux que l’on veut bien leur confier.

Nous voici au poteau de départ. Le cheval est dans sa forme la plus heureuse, et chacun loue et admire sa merveilleuse condition. le rôle de l’entraîneur est fini, celui du jockey commence.


VII.

Le développement extraordinaire, presque exagéré, des courses, l’importance des prix, et celle bien plus considérable des paris dont chaque épreuve est l’occasion, ont fait du jockey un véritable personnage : c’est le héros de la course, – après le cheval, bien entendu. – A lui le rôle brillant, l’applaudissement public, les hurrahs de la foule et tout le prestige de la gloire extérieure. Aimé et considéré par les uns comme l’instrument de leur fortune, détesté par les autres comme la cause de leur ruine, il mène une existence à part, exceptionnelle et bizarre. Son métier lucratif n’exige pas seulement des qualités spéciales, qu’après tout le travail et l’étude pourraient lui donner ; il lui faut encore des aptitudes physiques et morales auxquelles rien ne saurait suppléer. La création factice, artificielle d’une nouvelle race de chevaux a eu pour conséquence la création d’une nouvelle race d’hommes ; reste à savoir si son apparition devra jamais compter parmi les perfectionnements de l’espèce. Une intelligence vive, dans un corps rabougri, exigu, entassé, mais doué d’une puissance nerveuse supérieure, voilà le type idéal du jockey. Si la race des Pygmées existait encore, il faudrait tâcher de la naturaliser en Angleterre et en France ; ce serait elle qui fournirait nos meilleurs jockeys. Il faut la légèreté de la plume pour monter des chevaux de deux ans. Cette légèreté, ceux qui ne l’ont point naturellement essayent de l’acquérir par un entraînement analogue à celui que l’on fait subir aux chevaux eux-mêmes. C’est la même suite et la même sévérité d’épreuves. L’abstinence joue un grand rôle dans ce régime. Le carême des jockeys ne dure pas moins de neuf grands mois. Il commence quelques semaines avant les premières courses du printemps, et se prolonge jusqu’à la fin d’octobre. Quand l’entraînement s’opère dans des conditions rigoureuses, le jockey peut arriver à perdre un kilogramme par jour de son poids normal. Voici le régime ordinaire de ceux que nous avons pu étudier sur place à Chantilly. Le déjeuner se compose de pain, de beurre et de thé, pris à très-petites doses ; le dîner, d’une bouchée de pain, de quelques onces de viande, remplacée parfois par un peu de poisson, et suivie d’une imperceptible tranche de pudding ; peu de boisson et jamais de bière ni de cidre ; un peu de vin trempé de deux tiers d’eau. Jamais de souper ; seulement une tasse de thé le soir, avec peu de sucre, et pas de lait.

Chaque jour, après le déjeuner, les jockeys font une course au pas accéléré, d’une longueur de six à huit kilomètres, couverts d’habits lourds et chauds : trois pantalons, cinq ou six gilets et plusieurs pardessus. Au terme de leur trajet se trouve une taverne, où un grand feu les attend. Ils se couchent devant la flamme, qui augmente ainsi leur transpiration. Ils rentrent alors au logis, à peu près du même train qu’ils sont venus, et reprennent leurs vêtements ordinaires. Le jockey dort assez, sans doute en vertu de l’axiome : « Qui dort dîne ! »

La légèreté du corps, pour ne point surcharger sa monture ; la fixité de l’assiette, pour ne pas être déplacé par ses défenses, souvent énergiques ; la puissance musculaire des bras, pour soutenir et porter en quelque sorte son cheval, dans les moments de faiblesse, d’hésitation et d’énervement, telles sont les qualités physiques du jockey. Ajoutez-y le sang-froid, qui lui permet de juger la position vraie des choses, au milieu des péripéties changeantes de l’épreuve, et le tact qui le met à même d’employer les moyens les plus propres et dans la mesure la plus juste, pour arriver au but. Chaque cheval a sa façon particulière d’être conduit. Celui-ci veut être brusquement enlevé : il faut qu’il entame le terrain par un élan vigoureux, et qu’il mène toujours la course ; s’il est dépassé un seul instant, il est perdu. Tel autre, au contraire, doit être sagement maintenu ; on ne lui laissera faire son effort qu’aux deux tiers de la course. Il y en a d’impétueux et de violents, que l’on ne saurait trop retenir ; il y en de lents et de froids, que l’on ne saurait trop exciter : ils n’arrivent au but que roulés ; à tel autre, au contraire, il suffit de rendre la main pour le voir bondir par-dessus ses rivaux et voler dans le libre espace. Mais la tactique serait vraiment trop simple si elle ne s’appliquait qu’au cheval monté par le jockey lui-même. Dans ce cas-là, un peu d’expérience et d’habileté vulgaire suffiraient pleinement. Mais il faut savoir deviner la tactique des autres, et opposer la finesse à la ruse. C’est ici que l’intelligence pratique et l’expérience acquise de chaque jockey se donnent une libre carrière. La lutte se combine souvent de l’accord, ou plutôt de la complicité d’un compagnon d’écurie. La course devient alors un véritable rubber de whist, avec partenaire. Le cheval sacrifié fait le jeu. C’est-à-dire qu’il part d’abord d’un train que lui-même ne pourra soutenir ; mais qui aura au moins pour résultat d’essouffler des adversaires qui ont voulu imprudemment le suivre, tandis que le cheval destiné au triomphe ménage ses forces et se réserve tout entier, non pour la dernière heure, mais pour les dernières secondes. Parfois aussi il arrive que le cheval, ainsi lancé en avant pour la plus grande gloire de l’autre, prend son rôle au sérieux, mène la course pour lui-même, et, se voyant sur ses adversaires une avance considérable, touche le premier la ligne noire et blanche du poteau d’arrivée. C’est ce qui advint l’année dernière à Vermout, que M. Delamarre avait engagé seulement pour faire le jeu de Bois-Roussel, son frère et son compagnon. Vermout s’exalta, les applaudissements troublèrent son cerveau : il respira l’air enivrant de la piste ; la contagion du vertige gagna le jockey lui-même ; malgré les instructions qu’on lui avait données, il rendit la main, et Fille-de-l’Air, victorieuse des Oaks, et Bois-Roussel, vainqueur dans le prix du Jockey-Club, et Blair-Athol, conquérant du Derby, furent battus par ce parvenu du turf, par cet inconnu de la veille, illustre le lendemain.

Les grandes écuries ont leurs jockeys à elles, qui ne montent que leurs chevaux. D’autres, posées sur un moins grand pied, louent un jockey à la saison, au mois, ou même pour une course déterminée. Du reste, l’influence du jockey habile sur une course est telle qu’il est arrivé plusieurs fois que, dans deux épreuves successives, le même cheval ait été tour à tour vainqueur ou vaincu en luttant contre les mêmes rivaux, suivant qu’il était monté par tel ou tel jockey. On conçoit donc qu’aujourd’hui, lorsque des sommes si considérables tant en prix qu’en paris sont engagées sur le résultat d’une course et sur la tête d’un cheval, on ne marchande point quelques milliers de francs de plus ou de moins pour s’assurer le concours d’une capacité reconnue, comme Pratt, Flatman ou Grimshaw. Ces gens-là ont un traitement fixe supérieur à celui d’un préfet de première classe. Outre ce traitement fixe, beaucoup, parmi les coureurs, accordent un tant pour cent à leurs jockeys, sur le montant de chaque prix. On met à ces avantages une seule condition : c’est que le jockey ne pariera point pour son propre compte. Ceux qui sont honnêtes et probes obéissent à cette prescription essentielle ;… mais, sont-ils tous probes et honnêtes ? la question est là. On comprend, du reste, à quelle tentation les pauvres diables peuvent être exposés par des parieurs indélicats qui ne demanderaient pas mieux, au besoin, que de perdre cent louis pour gagner cent mille francs. Un coup de cravache mal appliqué, un cheval retenu ou poussé mal à propos, par suite d’une manœuvre qui échappera à l’œil le plus clairvoyant, et le tour est fait ! Un mauvais tour, en vérité, car des millions peuvent ainsi passer d’une poche loyale dans une main malhonnête. Disons toutefois qu’aujourd’hui la grande majorité des jockeys est intègre, et vise à se faire des rentes, ce qui est la manie de tout le monde, mais par des moyens légitimes, ce qui devrait être la loi et la règle de tout le monde.


VIII.

Nous venons d’écrire un mot qui dit plus de choses qu’il n’est gros, le mot de pari. Les paris sont la plaie des courses, et, si ces grandes et belles épreuves de l’hippodrome ne se proposaient véritablement qu’un but utile et sérieux, les paris en seraient bannis de la façon la plus absolue. Il est peut-être absolument impossible qu’il en soit ainsi. Pour beaucoup de gens, en effet, les paris sont l’âme même de la course, et le grand mouvement de capitaux, – on compte aujourd’hui par millions, – auquel donne lieu chaque épreuve est, aux yeux de beaucoup de gens, la raison la plus vraie de l’intérêt si passionné que les diverses catégories sociales composant le grand tout qui s’appelle le monde portent à l’institution, devenue nationale, des courses de chevaux. Plus de paris, plus de courses ! nous disent des turfistes qui semblent avoir pour eux tous les priviléges de l’expérience.

Il faut donc se résigner aux paris comme on se résigne au choléra, à la peste, à la petite vérole, en un mot à toutes les calamités.

C’est seulement depuis quelques années que la spéculation s’est emparée du turf avec cette violence. Dans l’origine, elle ne s’attaquait qu’aux membres du Jockey-Club et aux représentants de l’opulence aristocratique ; c’est-à-dire à ceux qui, par leurs connaissances, étaient le plus capables d’éviter la perte,  de même que, par leur position, ils étaient le plus capables de la supporter. Mais on sait quelle est la portée de l’exemple qui part d’en haut, et combien les gens d’en bas sont enclins à l’imitation. Le mal gagna de proche en proche, et insensiblement le cercle des parieurs s’agrandit. Tout le monde parie aujourd’hui. Un salon du Grand Hôtel, au beau milieu de la ville, en plein boulevard des Capucines, s’ouvre avant les courses pour enregistrer des demandes et des offres qui ont absolument la régularité des opérations de bourse. Il n’y manque que les agents de change, et encore y manquent-ils ? Après les courses, le même salon s’ouvre également pour la liquidation.

Sur le turf, en face de la tribune du Jockey-Club, une grand voiture à caisse jaune, attelée de quatre chevaux, indique aux novices les représentants officiels de l’Agence des poules.  Il y en a, comme on voit, pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Il ne faut point, du reste, confondre la poule avec le pari. La poule est une opération de hasard, une véritable aléa  inventée pour les gens qui ne connaissent rien aux choses du turf, et qui n’a d’autre but que de favoriser ce penchant à tenter la fortune et à courir la chance, qui est un des traits caractéristiques de la nature humaine. On donne cinq francs, dix francs, vingt francs, peu importe ; puis on tire un numéro, et, si le cheval dont le numéro correspond au vôtre est vainqueur, on gagne ; s’il n’arrive pas premier, on perd. Le hasard, rien que le hasard, et encore le hasard ! La chose est si simple qu’elle en devient bête.

Le pari, au contraire, se présente sous un tout autre aspect. Il exige des connaissances spéciales, étendues et approfondies sur la généalogie de chaque cheval, sur la valeur de ses concurrents, sur ses performances antérieures, aussi bien que sur sa condition présente. Mais comme, au bout d’un certain nombre d’épreuves, le classement des chevaux se trouve nécessairement fait avec une certaine justesse, il en résulterait que les chevaux d’un certain ordre ne trouveraient véritablement plus d’adversaires. C’est un inconvénient auquel on obvie au moyen d’un certain calcul de proportion, qui, en raison des avantages qu’on lui reconnaît, substitue aux principes d’égalité, le premier qui se présente à l’esprit, le système de la compensation, qui fait accorder tel ou tel avantage à tel ou tel cheval. Les combinaisons se présentent alors avec une variété presque infinie. Si les uns procèdent encore par routine, avec une témérité inconsciente d’elle-même, et en véritables enfants perdus du sport, d’autres, au contraire, déploient dans la formation de leur betting-book (prononcez : livre de paris) une véritable science pour laquelle ils font appel aux ressources de l’algèbre et du calcul infinitésimal. Nous connaissons des jeunes gens qui mettent plusieurs semaines à composer leur book pour le Derby, le prix du Jockey-Club, ou le grand prix de Paris. Autant vaudrait en vérité se préparer à l’École polytechnique. A côté du pari, il y a le contre-pari, sur un ou plusieurs chevaux, ayant pour but d’atténuer la perte qui serait trop grande dans le cas d’une défaite du favori. Cette science des combinaisons est, du reste, poussée quelquefois si loin que l’on arrive, par une suite habile de marches et de contre-marches, à se couvrir absolument contre toutes chances de perte. Mais on ne parvient à ces hauteurs qu’à la suite de longues études et de profonds calculs, et il serait tout aussi simple d’employer son intelligence à autre chose. Le salon des paris, ou, comme on l’appelle, le betting-room du Grand-Hôtel est ouvert pour tout le monde. Chacun peut aller y faire ses offres ou accepter celles d’autrui. Les aristocratiques parieurs du Jockey-Club ont dans leurs archives un registre sur lequel sont inscrits les paris qu’ils font entre eux. Les conditions du pari sont arrêtées, signées par les contractants, et le règlement s’en fait toujours dans la première semaine qui suit la course.

Il est une expression que beaucoup de gens entendent et dont quelques-uns se servent sur le turf, sans en comprendre la valeur. C’est celle du mot champ. « Parier contre le champ », « prendre un cheval à égalité contre le champ » : ces expressions techniques ont ici une acception particulière. Le mot champ, par rapport à un cheval, signifie tous les autres chevaux qui lui sont opposés ; ainsi parier pour Gladiateur, par exemple, à égalité contre le champ, cela veut dire que l’on borne sa chance à celle de Gladiateur, et que l’on perdra si un seul des autres chevaux qui courent contre lui et qui forment le champ le devance. Ces paris contre le champ, dont la proportion varie au gré des parieurs, tendent beaucoup à se généraliser partout où il y a un cheval en possession assez sérieuse de la faveur publique pour que l’on ne puisse lui opposer de concurrence assez alléchante au moyen d’une seule unité, si brillante qu’elle puisse être d’ailleurs. Ce n’est pas trop que les chances de tous pour combattre sa valeur et sa fortune.

Lorsque diverses courses ont produit par leurs résultats connus et confirmés un classement tel, entre les chevaux, que la valeur des uns et des autres se trouve assez nettement établie pour ne plus laisser de place au doute et à l’incertitude, sans lesquels la lutte perd tout son intérêt, on rétablit un équilibre factice au moyen d’une opération que l’on appelle le handicap, et qui consiste à imposer aux chevaux des surcharges en rapport avec leur âge et les succès qu’ils ont remportés. Cette surcharge, dans les courses ordinaires, est déterminée par les règlements du Jockey-Club. Un handicap parfait aurait pour résultat de mettre tous les chevaux à même d’arriver au but tous ensemble, absolument en même temps. Il est inutile d’ajouter que cette perfection est rarement atteinte. La prévision du handicap donne lieu à des fraudes d’une nature particulière, et qui consistent à paralyser volontairement les moyens d’un cheval et à le faire battre dans une course, de façon à tromper sur sa valeur et à obtenir ainsi une diminution de poids, qui lui permettra de remporter une victoire plus facile – et plus fructueuse – dans la course handicapée. (Pardon pour le mot nouveau, il est exigé par la chose nouvelle.)


IX.

Tout change en ce monde, même la forme, la taille, la puissance et la vitesse des chevaux. On peut dire que, depuis un demi-siècle, le train des courses a sensiblement augmenté en Angleterre, et par conséquent dans le reste du monde hippique, auquel l’Angleterre sert encore de règle et de modèle. Les chevaux actuels sont plus longs, plus grands, plus légers aussi, que les chevaux d’autrefois. Mais il faut bien avouer qu’ils sont doués d’une moins grande puissance musculaire. Ce sont de nobles créatures, faites pour le plaisir des yeux qui savent voir et regarder. Mais sur un champ de vingt chevaux combien en est-il qui fournissent une carrière sérieuse pendant toute la durée du parcours ? deux ou trois peut-être. Combien de vainqueurs n’ont pas été mis à bas par l’épreuve sévère du Derby ou du prix du Jockey-Club ? Le Saint-Léger de Doncaster est peut-être plus destructeur encore, quoique la distance soit moindre de deux milles anglais. Ces vainqueurs sont en quelque sorte ensevelis dans leur victoire. La distance est devenue généralement moins longue ; le cheval a paru beaucoup plus jeune sur le turf ; il a été plus rapide : mais il a perdu en même temps sa force de résistance. Où sont maintenant les chevaux qui nous offriront une durée, et, pour ainsi parler, une perpétuité dans le succès, comparables à ces héros des anciens hippodromes, qui s’appelaient Colonel, Éclipse, Black-Chance ou Flying-Childers ? On les voyait figurer pendant des périodes de dix ou douze années sur les pistes des trois royaumes, et ils remportaient autant de victoires à la fin de leur carrière qu’à leur début même. La plupart de ces chevaux n’avaient fait qu’à cinq ans leur apparition sur les hippodromes, et hier même, à Longchamps, nous avons vu le starter abaisser la flamme aux trois couleurs devant vingt jeunes poulains de deux ans ! Que vaudront-ils dans douze mois, après avoir couru la poule d’essai, la poule des produits, le prix du Jockey-Club, le grand prix de Paris et l’Omnium d’octobre ?

Le passé de leurs devanciers ne répond que trop bien à cette question : il fait l’histoire de leur avenir. Même pour les chevaux qui résistent, l’entraînement a parfois des conséquences fâcheuses ; il en reste souvent dans l’organisme du cheval des traces que rien ne parvient, plus tard, à faire disparaître. Que sera-ce donc si, à ces désavantages incontestables, se joint encore celui d’une épreuve prématurée, que l’on aura obtenue grâce au système de l’avoine forcée ? Il n’en est point de la nature comme du royaume des cieux qui souffre violence. La nature, au contraire, demande à se développer suivant ses lois éternelles, auxquelles on ne saurait déroger impunément. Qu’on le sache bien : la précocité ne s’obtient qu’aux dépens de la durée.

Une autre cause de ruine pour les chevaux de course, c’est, – le croirait-on ? – les facilités de voyages dues à la vapeur, sous toutes les formes qu’elle a reçues pour s’appliquer à leur locomotion et à leur transport. On expédie les coureurs comme des colis d’un bout à l’autre du royaume. L’on voit ainsi des chevaux de trois ans fournir vingt, trente ou quarante courses dans une année. Or il est à peu près matériellement impossible à ces chevaux de se maintenir assez longtemps dans une forme suffisante et dans une condition absolument satisfaisante. Ce surcroît de fatigue, souvent inutile, n’a d’autre résultat que de ruiner plus promptement les forces d’un champion. Rien ne sera bientôt plus rare en France qu’un vieux cheval de course. Nous savons créer ; nous ne savons pas conserver. Et remarquez que ce que nous disons ici de la France s’applique fort exactement à l’Angleterre. Le mal est venu de l’autre côté du détroit. S’entendra-t-on pour y porter remède ? en vérité nous ne le croyons pas. Trop de gens aujourd’hui font du cheval un moyen et non un but. Voilà, certes, la grande, la véritable cause du mal.


X.

A côté des courses plates, les seules, du reste, que protége la Société d’Encouragement, et qui, par l’importance des prix qu’on y dispute et le nombre des chevaux appelés à y prendre part, sont de beaucoup supérieures à toutes les autres, il y a des courses à obstacles, que l’on peut subdiviser en trois catégories.

La première comprend les courses au clocher proprement dites, qui sont le prototype de toutes les autres. Tels furent les premiers steeple-chases de l'Angleterre et de l’Irlande.

Au loin, à la ligne flottante de l’horizon, on apercevait la flèche d’une église s’élançant vers le ciel du sein d’un massif de verdure qui cachait sa base. Ce clocher devenait le but plus ou moins périlleux de cette course improvisée. Il fallait l’atteindre à travers les mille obstacles, inattendus et inconnus, d’un terrain coupé de ravins, barré de haies, obstrué de palissades, hérissé de buissons, sans compter les halliers inextricables, les murs en pierres sèches, ou bâtis à chaux et à ciment, et les rivières aux berges escarpées et glissantes, et les collines âpres, et les fondrières aux éboulements perfides.

Cette course au clocher aventureuse, qui n’eut qu’une durée éphémère même en Angleterre et en Irlande, ne s’est jamais complétement naturalisée en France, où cependant quelques essais brillants attestèrent l’intrépidité de nos gentlemen-riders. La Croix de Berny  (1er avril 1834), le steeple-chase de la plaine de Coulange, près de Blois, le 22 mars de la même année, celui de Garanjoux, entre Moulins et Sauvigny, le 20 septembre suivant, ceux de Saint-Lo et d’Avranches, sont encore présents au souvenir de tous les hommes qui s’occupent d’équitation en France.

Depuis lors, pourtant, le steeple-chase a perdu son caractère indiscipliné ; on l’a régularisé, civilisé en quelque sorte ; on en a fait l’application classique, régulière, déterminée à l’avance, et soumise à des règles presque fixes, des forces, des qualités et des moyens du cheval de chasse, poussés à peu près jusqu’à ses dernières limites. Ces obstacles sont réunis et groupés dans l’enceinte d’un hippodrome ou d’un parc, de manière à former coup d’œil et point de vue pour les spectateurs ; haie simple et simple fossé, double fossé et double haie, rivière coulant à pleins bords, douve sèche, murs en terre et en pierre, barrière fixe, banquette irlandaise, tel est l’ensemble des épreuves que l’on impose au cheval et au cavalier qui veulent remporter la palme difficile du steeple-chase.

La course des haies proprement dites, avec ses obstacles uniformes et généralement peu sérieux, n’est autre chose qu’un pâle diminutif du steeple-chase, une variante anodine de la course ordinaire, sur la piste de laquelle elle a presque toujours lieu. Les gentlemen-riders ont disparu à peu près complétement des courses plates. C’est à peine si, de temps en temps, on les voit apparaître sur quelque turf départemental, pour y disputer une coupe d’argent ou une cravache à pomme d’or « en l’honneur des dames ».

Quant aux steeple-chases, ils ont gardé le glorieux privilége d’être disputés par des coureurs aristocratiques, vraie fleur des pois des gentilshommes, jaloux de prouver qu’eux aussi, comme leurs aïeux, savent bien faire à l’heure de l’épreuve et du péril. Parfois ils y laissent des morceaux d’eux-mêmes ; parfois leur vie, – comme ce pauvre Léonce de Saint-Germain, deuil récent du Sport français. Mais ils n’en ont pas moins donné l’exemple d’une noble intrépidité, et d’une jeunesse qui, au sein des loisirs de l’opulence, ne craint pas de retremper sa veine dans la noble poésie du danger.


XI.

Si les héros à quatre pieds de la course plate, en démontrant la puissance de leur ossature, la solidité de leurs muscles, la fermeté de leurs nerfs, le jeu régulier de leurs poumons, et la circulation libre et facile du sang dans le réseau des larges veines, indiquent ainsi les pères et les restaurateurs de la race future, on ne peut pas dire qu’il en soit absolument ainsi pour les vainqueurs du steeple-chase, dont les qualités naturelles reçoivent un développement tout particulier, et non transmissible, de l’éducation qu’on leur donne.

Le cheval qui convient au steeple-chase diffère, du reste, de celui que l’on destine aux courses plates en des points assez importants, qu’il n’est peut-être point hors de propos de caractériser.

J’ai, pour mon compte, au sujet du cheval de pur sang, des théories particulières qui ne sont pas chez moi le résultat d’idées préconçues, mais que l’expérience m’a données, et que, par conséquent, je crois pouvoir soutenir envers et contre tous.

Cette théorie, c’est l’excellence et la supériorité absolue du cheval de pur sang sur tous les autres, et pour tous les usages possibles. La vitesse et la force, voilà les qualités qu’il faut rechercher dans cet auxiliaire de l’homme, qui doit porter le poids sous lequel ploierait son maître, et atteindre en deux bonds le but qu’il s’est fixé. Eh bien ! cette vitesse et cette force, aucun élément ne saurait la produire plus sûrement que le pur sang, principe presque absolu de la régénération des espèces. Si, par suite d’exagération et de faux calculs, on est arrivé à donner au cheval de pur sang, tel que nous le voyons aujourd’hui sur le turf des grands hippodromes, une vitesse excessive, qu’il n’a pu obtenir qu’aux dépens de la force, rien ne serait plus facile, par suite de sélections intelligentes dans les reproducteurs, que de rencontrer ce juste équilibre qui rétablirait l’accord nécessaire entre la force et la vitesse. De même que l’on a pu faire prédominer l’une, on pourrait également faire prédominer l’autre, et arriver ainsi à produire, – avec le pur-sang, – le cheval apte aux divers services que l’on voudrait lui demander. Donnez, dans une juste mesure, la puissance nécessaire au cheval de course pour résister à la fatigue plus dure de la course d’obstacles, et vous aurez le type accompli du cheval de chasse et du cheval du steeple-chase.

Mais, en attendant que l’on arrive à cette sûreté dans les accouplements, il faudra longtemps encore reconnaître que les chevaux de demi-sang ou de trois quarts de sang seront souvent supérieurs au pur- sang dans la course d’obstacles.

Ce qu’il faudra surtout rechercher dans le cheval de steeple-chase, ce sera la légèreté de l’avant-main, la petitesse de la tête et la finesse du cou. Son épaule, aussi longue et aussi oblique que celle du cheval de course, sera plus développée et plus saillante. Sa poitrine sera plus large encore, son coffre plus vaste, pour laisser plus de place aux battements du cœur, à la circulation de sang et au jeu de l’air dans les poumons ; il aura la jambe plus large, principalement à partir du genou ; cette jambe sera plus courte, et par conséquent le cheval sera plus près de terre ; plus court aussi le paturon, bien que conservant encore une certaine obliquité. Le long paturon est nécessaire au cheval de course plate, parce que seul il donne à sa jambe l’élasticité dont il a besoin pour amortir le choc qui suit ses formidables bonds, couvrant jusqu’à vingt-huit pieds de terrain. Mais cette élasticité même a pour conséquence inévitable une certaine faiblesse. Aussi n’est-il pas rare de voir le cheval de course tomber boiteux (break down) sur le turf même. L’élan du cheval de steeple-chase est moins grand, mais sa fatigue est plus considérable : il aura donc besoin de plus de force ; sa forme générale sera plus compacte et plus ramassée.

C’est l’Irlande qui jusqu’ici a eu le privilége de fournir le plus grand nombre de chevaux de steeple-chase se rapprochant du type idéal. Il faut peut-être en attribuer la cause à la nature des terrains au milieu desquels il est élevé ; il vit au milieu des haies, des murs et des fossés, sur la colline, au bord des ruisseaux ; c’est pour lui passe-temps de jeunesse que de lutter avec ces obstacles, et de les vaincre. Il ne fera plus tard, sous l’impulsion de son cavalier, que ce qu’il faisait tout seul.

Il suffit d’avoir vu sauter une fois le cheval d’Angleterre et le cheval d’Irlande pour se rendre compte de la différence de leurs procédés et de la supériorité de celui-ci, sur celui-là. – Cette double opération mécanique a été parfaitement décrite par M. Eugène Chapus dans son livre sur le Turf.

Il y a une différence très-saisissable entre la manière dont le cheval anglais et le cheval irlandais prennent leur élan. L’anglais s’appuie sur ses jarrets, et s’élance de telle sorte que déjà il a franchi la moitié de la barrière lorsque le corps s’est seulement allongé pour rendre son élan complet. Quand il a quitté terre il porte ses hanches sous lui comme au galop, descend ensuite sur les jambes de devant, et, quand elles touchent le sol, c’est alors seulement qu’il attirer ses jambes de derrière, en sorte que l’avant-main est seul à supporter le poids tout entier.

Le cheval irlandais, au contraire, part de ses quatre jambes à la fois ; quand il est parvenu à l’extrémité supérieure de l’objet à franchir, ses jambes sont entièrement retroussées sous lui ; il descend, et les quatre jambes se posent sur le sol en même temps. »


XII.

Les courses protégées par la Société d’Encouragement sont, nous l’avons déjà dit, les courses plates par les chevaux de pur sang. La Société d’Encouragement laisse à une autre initiative les courses de haies et de steeple-chases dont nous venons de parler, ainsi que les courses au trot, chères à certaines provinces, plus particulièrement à la Normandie, renommée pour la production de ses trotteurs excellents.

Nous comprenons et nous approuvons de la façon la plus absolue le principe de la Société d’Encouragement. Le galop seul donnera la mesure des qualités que l’on doit chercher dans les améliorateurs de la race. Le trot n’est autre chose que l’application de certaines qualités spéciales, individuelles, et par cela même généralement peu transmissibles. Ces courses au trot ont d’ailleurs, à mon sens, un singulier inconvénient… c’est qu’elles ne sont point, à proprement parler, des courses au trot ! Rien n’est plus rare que de voir un cheval accomplir son trajet sans prendre cinq ou six fois le galop. Que devient alors la sincérité  de l’épreuve ? Et, alors même que le cheval ne galope pas, que de fois, pour arriver à ce nécessaire accroissement de vitesse, il a sacrifié la régularité, la pureté, la beauté de mouvement des bipèdes diagonaux, et détruit dans le cheval toute l’harmonie du mouvement !

Nous ne devons point passer sous silence une objection très-sérieuse qui a été faite à l’introduction du pur-sang dans la production chevaline. On lui a reproché d’avoir détruit les anciennes races françaises, telles que celles de la Normandie, du Limousin, du Morvan et de la Navarre, souvent remarquables par des qualités particulières. L’objection est sérieuse ; mais on peut lui faire des réponses de plus d’une sorte.

D’abord, ces races étaient singulièrement abâtardies lorsqu’on a commencé à introduire d’une façon un peu régulière le pur-sang dans la production française. Ces races provinciales, dont le mérite n’a peut-être jamais été à la hauteur de leur réputation, et que l’on n’a jamais tant vantées que depuis qu’elles n’existent plus, devaient nécessairement, fatalement, subir des modifications profondes du moment où l’état social auquel elles correspondaient se modifiait lui-même. Dans ces temps de communication difficile, où chaque province, isolée des autres, vivait de sa vie propre, elle avait – et elle devait avoir – des chevaux en rapport avec ses besoins, et, jusqu’à un certain point, avec la nature même du sol et les accidents du terrain. On avait sa race de chevaux absolument comme on avait ses mœurs et ses coutumes, et ses costumes originaux. Aujourd’hui, cependant, l’irrésistible mouvement du siècle emporte tout vers une certaine moyenne d’unité, à laquelle n’échapperont pas plus que le reste les races animales, sur lesquelles l’homme a plus d’empire que l’on ne serait tenté de le croire tout d’abord. Tout contribuera à nous amener ainsi à la création de types équestres de moins en moins nombreux, et pouvant par conséquent demander aux mêmes éléments le principe de leur amélioration. Je citerai en première ligne parmi ces causes : la parité de plus en plus grande de la vie dans nos diverses provinces ; l’amélioration sensible et si heureuse des voies de communication, qui n’exigeront plus des chevaux le même effort ; la création des chemins de fer, qui les dispensera des lourdes et longues tractions ; l’introduction de la vapeur comme agent de travail et de locomotion dans l’agriculture, qui, peu à peu, les relèvera de l’abrutissante monotonie du labourage – que, même en l’état actuel des choses, on ne devrait faire opérer que par des bœufs – « au pas tranquille et lent ».

Enfin la substitution, recommandée par les circulaires officielles, des chariots légers à quatre roues, et rendant toujours possibles les allures rapides, – pour lesquelles le cheval est fait, – à ces écrasantes charrettes à deux roues, qui alourdissaient l’animal, et qui le tuaient quelquefois. Encore un progrès dans cette voie heureuse, et tous nos chevaux pourront être réduits à deux seuls types, avec quelques modifications de détails, selon leurs destinations particulières : le cheval de selle pour la course, la chasse, la promenade ou la guerre ; le cheval de trait pour les voitures de toutes les classes. Et, l’un comme l’autre, ces deux types ne pourront que gagner à recevoir dans leurs veines la généreuse infusion du pur-sang.


XIII.

Ces études, que nous eussions voulu faire moins rapides, sur les courses en Angleterre et en France seraient trop incomplètes si nous ne présentions point au lecteur quelques détails sur les plus fameux hippodromes où se déroulent les brillantes péripéties de ces grandes épreuves, que nous avons essayé de faire connaître.

De tous ces champs de courses, il n’en est point de plus célèbre, j’allais dire de plus illustre, un sportsman dirait, lui, hardiment, de plus glorieux que le turf d’Epsom sur lequel se dispute le Derby, le plus important de tous les prix remportés par les chevaux, jusqu’au moment de la fondation du Grand-Prix de Paris.

Les livres ont leur destin, dit le poëte ; il en est de même des localités. Voici une bourgade inconnue et qui a tout ce qu’il faut pour l’être ; elle ne possède ni beautés naturelles, ni ruines remarquables ; elle n’a point pour elle la magie du site ou le prestige des souvenirs, et cependant, pendant toute une semaine, – une semaine qui revient tous les ans, – on en parle plus qu’on ne fit jamais de Londres, de Paris, de Rome, d’Athènes ou de Babylone ! Cette ville, avons-nous besoin de la nommer après la victoire de Gladiateur, et le lecteur n’a-t-il point deviné avant nous qu’il s’agissait du théâtre de ces luttes hippiques qui passionnent aujourd’hui les îles et les continents, comme les Verts et les Bleus passionnaient jadis Constantinople et les Byzantins, – de la petite bourgade d’Epsom ?

Epsom n’est guère qu’un gros village, qui a trois ou quatre mille habitants toute l’année, – et cinq cent mille le 31 mai,  ̶  dont presque toutes les maisons sont des cottages, comme les aiment tant nos amis d’Outre-Manche, à demi cachés dans les vergers et dans les bois. On y découvrit, en 1618, ces sources alcalines dont on extrait le sel connu sous le nom de sel d’Epsom. En 1779, lord Stanley, comte de Derby, y créa les courses qui portent encore son nom. Le terrain de la course, qui ne ressemble en rien aux hippodromes français, est une lande immense que le défrichement entame cependant d’un côté. Les parties défrichées se couvrent par places d’une moisson chétive encore. Le terrain est généralement accidenté, creusé de ravins, soulevé en collines basses et légèrement onduleuses. Là, pas un pouce de cette terre végétale, si abondante et si féconde en d’autres contrées de l’Angleterre ; mais un sol crayeux, blanchâtre, couvert d’une sorte de gazon nain, dru, serré, élastique, sur lequel rebondit le pied des chevaux. C’est là, certes, un des meilleurs terrains de course qu’un sportsman puisse rêver, et, pour notre compte, nous n’en connaissons point qui l’égale.

La piste du champ de course n’occupe qu’une insignifiante portion de cette vaste lande : elle n’est ni ovale ni fermée, comme chez nous ; mais elle affecte la forme d’un fer à cheval, et, par conséquent, reste ouverte d’un côté. Elle mesure une longueur de 2,400 mètres, comme celle de Chantilly et de tous les hippodromes sur lesquels ont lieu des épreuves analogues à celles du Derby.

Une fois arrivés sur le terrain, les amateurs qui n’ont pas d’équipages à eux se dirigent vers le Stand, énorme construction, dont l’unique destination est d’offrir aux spectateurs le plus de places possible, d’où il leur soit permis de dominer l’ensemble de la course. On a étagé sur le toit de nombreux gradins, qui déjà reçoivent des milliers de curieux. L’intérieur est divisé en une foule de salles à manger. N’oublions point que nous sommes en Angleterre et qu’il fait faim ! Les fenêtres, qui regardent la piste, sont disposées en façon de loges, et reçoivent une certaine quantité de locataires, par-dessus la tête desquels regardent les hôtes de la salle à manger.

Devant la façade du Stand, le terrain s’incline par une pente roide vers la piste, et permet à des milliers de spectateurs d’y trouver des places excellentes, au nombre d’environ trente mille.

On paye une guinée la carte bleue découpée à l’emporte-pièce qui vous assure votre entrée pour les quatre jours de course.

A droite de la grande construction informe que nous avons nommée le Stand, on remarque une petite tribune basse et étroite, capable de recevoir environ cinquante personnes. Cette tribune appartient à la Société des courses d’Epsom, – présidée par un amiral, l’amiral Rous. Presque tous les membres de cette société font partie du Jockey-Club de Londres. Cette institution célèbre diffère essentiellement de celle qui chez nous porte le même nom. Le Jockey-Club de Londres n’a même pas de local particulier, et tous ses membres sont répartis dans d’autres cercles. Il est, je pense, inutile d’ajouter que ce sont ou de très-grands seigneurs, ou des amateurs célèbres par leurs succès sur le turf. Un étage couvert domine la tribune de la Société ; mais cet étage ne lui appartient pas. C’est une propriété particulière.

La langue de terre qui s’étend devant la tribune de la Société des courses d’Epsom, et sur laquelle on ne pénètre qu’avec un jeton vert nominatif, est occupée par les habitués du Tattersal et de New-Market ; c’est-à-dire les grands parieurs des trois royaumes, dont la réunion compose ce que l’on appelle le Ring. Entre la tribune et le Ring règne une sorte de couloir naturel, dans lequel descendent, quand il leur plaît, les hôtes de la tribune, que les paris mettent chaque instant en communication nécessaire avec les membres du Ring.

A droite de la tribune de la Société, et à gauche du Stand, on a disposé une grand quantité de tribunes, les unes particulières et réservées, les autres publiques et appartenant à qui les paye. Dans l’enceinte même, circonscrite par le fer à cheval de la piste, sont placées les voitures de toutes formes et de toutes dimensions, mises en réquisition forcée par les habitants de Londres pour ce jour solennel, pendant lequel il y a vacance du parlement.

Au-delà de cette piste, sur la lande sans bornes, on aperçoit des milliers de tentes multicolores. On sait que, lorsqu’il s’agit d’appliquer l’arc-en-ciel aux usages de la vie, on peut s’en rapporter à nos voisins. A l’endroit des gammes éclatantes ils en sont encore à l’état sauvage et n’aiment que ce qui brille.

Ajoutez les baraques de saltimbanques, des jeux de toutes sortes où l’habileté s’efforce de corriger la fortune, des faiseurs de tours et des montreurs de singes, d’ours, et de chiens savants, et vous aurez une idée à peu près exacte d’un des mélanges les plus animés, les plus hybrides, et en même temps les plus pittoresques, qui puissent égayer l’œil d’un observateur. On n’a pas d’exemple qu’un Anglais ait eu le spleen ou se soit suicidé la semaine du Derby.

En face de l’ouverture du fer à cheval, un grand espace, désigné sous le nom de Paddocks, a été ménagé pour les concurrents : c’est là que les lads promènent les chevaux avant de les livrer aux jockeys. Le pesage a lieu près de la tribune du juge. Une carte spéciale (coûtant dix schellings) vous donne entrée dans l’enceinte des Paddocks.

Au lieu d’être plate comme chez nous, la piste est accidentée d’une montée au départ, et d’une descente à l’arrivée. Un fonctionnaire, un personnage officiel, est chargé de la difficile mission de starter, c’est-à-dire donne les départs ; un autre fonctionnaire est juge au winning-post, nous dirions en France au poteau d’arrivée.

Le starter officiel est bien loin d’avoir l’habileté, le coup d’œil et le sang-froid du starter français M. le baron de la Rochette. Dans le dernier Derby, celui du 31 mai 1865, il n’y a pas eu moins de quatorze faux départs, et ces malencontreuses opérations n’ont pas duré moins de quarante-cinq minutes. La furie française eût trouvé l’épreuve au-dessus de ses forces : la patience anglaise n’a même pas murmuré. Autant cette foule est bruyante et tumultueuse avant la course, autant, au contraire, elle se montre, pendant l’épreuve, calme, attentive, recueillie. Je ne dirai pas trop en disant que son attention a quelque chose de religieux. Les hurrahs retentiront après la victoire.

Signalons ici une différence caractéristique. En France, on n’affiche que les numéros des chevaux ; en Angleterre, on affiche également le nom des jockeys, et, après la course, au lieu de mettre en évidence comme chez nous le seul numéro du vainqueur, on fait voir ceux de tous les chevaux que le juge a placés.

Si, pendant la course, le public ne trahit ses émotions ardentes et profondes que par son silence, sa passion, après la victoire, éclate avec toute la spontanéité et toute l’énergie du sentiment populaire. On crie, on vocifère, on trépigne, on bat des mains, on se plaint, on se félicite, on calcule sa perte ou son gain, car tout le monde a parié. Les bureaux de l’office télégraphique sont assiégés par tous les correspondants des journaux et des clubs européens ; les pigeons voyageurs, tenus en réserve pour la circonstance, sont lâchés par leurs maîtres, prennent l’essor, se guindent, et, arrivés à une certaine hauteur, s’arrêtent, et bientôt, guidés par leur infaillible instinct, se dispersent dans toutes les directions, et vont porter à tous les coins du royaume, et même sur le continent, la nouvelle attendue. Le résultat du Derby sera connu le soir même de tout le monde équestre. Mais tant d’émotions affament et altèrent. Il faut manger, il faut boire : l’heure du lunch a sonné. On improvise des tables sur la plateforme des voitures et sur le gazon de la lande ; toutes les baraques, converties en restaurants et en buffets, sont assiégées par la foule des piétons.

A côté des agapes populaires, l’aristocratie, la fashion, la fleur des pois de l’élégance, les lions de la mode, les héros du sport et les rois du turf déploient pour eux-mêmes et pour leurs invités des magnificences princières. Je n’en veux citer qu’un seul exemple, et je l’emprunte à la chronique de la journée du dernier Derby.

Le major Heatley, de l’armée des Indes, avait fait dresser deux tentes décorées avec une magnificence et un luxe dont, sans doute, il avait trouvé l’exemple dans l’hospitalité fastueuse des Rajahs alliés de l’Angleterre. Sous ces tentes superbes il a offert à goûter à plus de deux milles personnes. Tout ce qui avait un nom en Angleterre, dans le livre d’or du Peerage, ou dans les annales de l’élégance et du high-life, avait été convié par le major, et, comme il possède toutes les traditions de la grande hospitalité, il reconnaissait à chacun de ses invités le droit de lui présenter ce jour-là ses amis. Au milieu de la première tente, le regard était tout d’abord attiré par une tonne de cristal au robinet d’argent, laissant voir, à travers ses parois transparentes, les flots captifs du vin français par excellence, du vin de Champagne, endormis dans la glace. Les tables étaient couvertes de mets exquis et rares ; il n’y avait plus, depuis vingt-quatre heures, de coquillages ni de poissons à Hay-Market : tout était venu à Epsom ; après la soupe à la tortue et le karri pimenté, on trouvait une saveur plus grande aux œufs de pluvier, cette délicate friandise si recherchée de nos voisins. Je ne cite les fruits que pour mémoire : il y avait des pyramides de fraises et des montagnes de cerises ; des pêches comme au mois d’août, et des brugnons jaunes et violets, ridés et murs, qui s’étaient d’eux-mêmes détachés de l’arbre, comme en septembre.

Si l’on boit le champagne sous la tente des majors, ailleurs on sable le clairet et le Burgundy-wine. Aux degrés inférieurs de la hiérarchie sociale et de l’opulence, on se contente de la bière nationale, à laquelle on ajoute toutes ces distillations fermentées que les Anglais reconnaissants décorent de toutes sortes de noms pompeux, et dont le wiskey nous semble le type le plus caractéristique, boisson vraiment énergique, étrangère à nos habitudes, qui répugne à nos instincts, mais nécessaire peut-être pour secouer la torpeur de nos voisins engourdis dans leurs brumes. Je laisse à penser ce que doit être le retour après ces excitations de toute nature : il est ultra-joyeux, mais, toutefois, sans désordres graves, et presque toujours sans accidents sérieux. L’uniforme respecté de quelques policemen, à pied ou à cheval, suffit pour maintenir, et au besoin régenter cette foule immense, qui rentre dans ses foyers, gaie au moins une fois par an, et emportant le souvenir d’une des plus grandes joies qu’il lui soit donné d’éprouver, celle d’avoir vu courir des chevaux ! Ce ne sont point là des passe-temps et des émotions qu’il faille réprouver : bien au contraire, il serait à souhaiter que le peuple de tous les pays ne connût point de plus dangereuses distractions. Qu’il soit donné par des hommes ou par des chevaux, le spectacle de l’énergie à outrance, de l’effort poussé jusqu’à la dernière limite du possible, est bon à mettre sous les yeux de la foule. – Il n’y a là rien qui affadisse ni qui corrompe.

Paris, la première ville du monde, n’eut pendant longtemps qu’un hippodrome indigne de lui.

Tout le monde connaît ce triste et misérable emplacement du Champ de Mars, aride, nu, presque désolé, terrain inégal, sablonneux, déshonoré par de hideuses baraques, aussi incommodes qu’insuffisantes. On se demande comment le choix d’hommes de goût et véritablement compétents a jamais pu se porter sur un tel terrain, et comment on fit pour se résigner si longtemps à de tels inconvénients.

Ce fut seulement en 1856 que l’on songea à ces belles prairies de Longchamps, si admirablement situées entre l’extrémité occidentale du bois de Boulogne et la rive droite de la Seine. Il eût été véritablement difficile de rencontrer mieux. Tout semble réuni pour faire de ces prairies de Longchamps le terrain favori des plus belles luttes hippiques : une distance modérée de la ville, sans toutefois un voisinage trop immédiat et qui pourrait devenir gênant, l’accès facile, par la voie ferrée, par la rivière et par le bois de Boulogne, c’est-à-dire par la route la plus aimable et la plus charmante du monde. Ajoutez, tout à l’entour, le paysage le plus exquis et les perspectives les plus enchanteresses, la cime ondoyante des derniers arbres du Bois, les jolis horizons de Boulogne et de Saint-Cloud, et, au-dessus de tout cela, la grande et fière silhouette du mont Valérien. Je ne parle ici que de l’accessoire. Il ne faut point cependant négliger le principal. Je veux dire un terrain de bonne qualité et d’une contenance de soixante-six hectares, permettant d’accroître assez la superficie de la piste pour éviter des tournants, ou trop fréquents ou trop brusques, et permettre ainsi aux chevaux de développer, sur un espace assez considérable, le maximum de leur vitesse. La piste, sans être comparable à celle d’Epsom, s’améliore cependant de jour en jour, grâce aux soins intelligents dont elle est l’objet. Elle est déjà entièrement gazonnée. L’hippodrome de Longchamps a une double piste. L’une oblongue, de 1,900 mètres, tracée dans le sens même de la rivière ; l’autre, d’environ 3,000 mètres, est prolongée sur les grands côtés de la première.

L’orientation de l’hippodrome commandait la disposition des tribunes. Elles sont adossées à la rivière, et se développent sur une longueur totale de 240 mètres. Elles sont divisées en cinq bâtiments distincts, pouvant contenir environ cinq mille spectateurs. La tribune de l’Empereur, qui occupe le centre de ces petits édifices est construit dans ce genre chalet, que le bois de Boulogne vient d’adopter pour toutes ses constructions et qui s’harmonise d’une façon charmante avec les arbres et le paysage environnants. A droite et à gauche de la tribune de l’Empereur s’en élèvent deux autres, correspondant avec l’enceinte du pesage. Les éléments qui entrent dans la construction de celles-ci sont le bois, la pierre et la fonte. On les a couronnées de plates-formes, garnies de degrés, sur lesquels de nombreux spectateurs peuvent encore trouver place. Ces deux tribunes correspondent avec l’enceinte du pesage, véritable concours de toutes les élégances européennes, où les femmes ne pénètrent que munies d’une carte personnelle, ce qui en exclut toutes celles qui n’ont point une garantie masculine à leur service. Les deux grandes tribunes extérieures, sans communication avec l’enceinte du pesage, sont bâties dans le même style, mais sans gradins sur la plate-forme. C’est par centaines de mille que l’on pourrait admettre les spectateurs dans l’enceinte de l’hippodrome. Des dégagements, habilement ménagés, permettent à la foule de se disperser en quelques minutes. Aussi est-il rare que le défilé, si nombreux qu’il soit, donne lieu au moindre accident.

Le succès de l’hippodrome de Longchamps et la renommée sans égale que lui assurent les rivalités internationales mises en jeu par l’importance du grand prix de la ville de Paris et l’éclat qui s’attache aussitôt à celui qui le remporte, n’ont rien fait perdre à Chantilly de son prestige. Chantilly est toujours le turf favori du Jockey-Club, et ce patronage illustre lui garantit sa gloire hippique et sa fortune. Le Derby français qui s’y dispute, et qui est, nous l’avons déjà dit, le grand critérium de la vitesse, pour les poulains de trois ans de premier ordre, nés et élevés en France, lui assure un attrait dont rien ne saura le dépouiller.

Sous les jeunes princes de la maison d’Orléans, les réunions de Chantilly jouirent en quelques années d’une vogue à laquelle rien ne saurait se comparer en France.

En ce temps-là les facilités exceptionnelles du chemin de fer n’avaient pas encore mis sa pelouse aux portes de Paris. On y allait en chaise de poste et l’on y restait quatre jours, pendant lesquels l’héritier présomptif de la couronne, qui se faisait déjà remarquer par l’irréprochable correction et le bon goût de ses écuries et de ses équipages, tenait une sorte de cour plénière. Tout ce qui était alors jeune, élégant, vivant de la vie du plaisir, se groupa autour de lui pour faire de Chantilly une des réunions les plus brillantes et les plus bruyantes de la jeune France. On y courait le matin ; on y jouait le soir. L’or roulait à flots également abondants sur le gazon vert de l’hippodrome et sur le drap vert des tables de lansquenet. Une chambre dans un hôtel de Chantilly pendant ces quatre jours coûtait [le] prix d’un appartement à Paris pendant toute l’année. Le faubourg Saint-Germain rallié dansait en face du faubourg Saint-Germain pur ; le demi-monde, qui n’était pas encore nommé, mais qui déjà préludait au rôle tapageur qu’il a joué depuis dans la société parisienne, avait aussi ses hôtels, où plus d’un fils de famille eut le malheur de trouver une trompeuse hospitalité.

La mort du duc d’Orléans, la révolution de février, le chemin de fer du Nord, trois causes bien diverses, ont concouru au même but : une modification profonde dans l’existence sportique de Chantilly. Plus de nuits passées dans l’enfer du jeu ; plus de festins homériques à l’hôtel du Grand-Cerf, plus de ces défilés de véhicules de toute sorte voiturant des turfistes de toute espèce. On part maintenant de Paris après déjeuner ; on y rentre pour dîner, comme s’il s’agissait de la Marche, de Vincennes, de Versailles ou du bois de Boulogne.

Mais ce que Chantilly a perdu en animation factice et en faux éclat, il l’a regagné en sérieuse importance. Débarrassé de ses joueurs et de ses soupeurs, Chantilly a gardé, toujours fidèle, l’élite des sportsmen et la brillante pléiade d’amateurs qui gravitent autour d’elle.

L’origine des courses de Chantilly remonte à 1833, – la même année qui vit aussi la fondation du Jockey-Club. Comme beaucoup d’autres choses excellentes, elle fut due au hasard

Un matin, le prince Labanoff, hôte passager de Chantilly, traversant au galop la magnifique pelouse qui s’étend devant les écuries de ce Versailles des Condé, sentit rebondir sous les pieds de son cheval le sol élastique et souple ; sur-le-champ il proposa une poule aux amis qui l’accompagnaient.

Elle fut gagnée par M. de Normandie, un des plus brillants cavaliers que possédât la France à ce moment. Ces gentlemen-riders furent si satisfaits de leur essai qu’ils réglèrent, le jour même, les conditions d’une réunion pour le printemps suivant. Les courses de Chantilly étaient fondées. Cependant le prix connu sous le nom de Prix du Jockey-Club ne fut établi qu’en 1835. Il ne fut, cette année-là que de 5,000 fr. L’allocation fut portée à 7,000 fr. en 1840 ; à 10,000 fr en 1847 ; à 15,000 fr. en 1854 ; depuis 1855 l’importance du Derby français est de 20,000 fr., donnés par le Jockey-Club : le montant des entrées double la somme.

Le terrain de course de Chantilly serait le meilleur de France si l’hippodrome de Boulogne n’existait pas. Il occupe du moins le second rang, qu’aucune localité intermédiaire ne saurait lui disputer chez nous. C’est un vrai turf (lisez gazon) élastique et résistant, que la pluie ne détrempe point en boue, que le soleil et la sécheresse n’effritent point en poussière. Moins accessible qu’aucune autre piste aux influences de la température, il permet la course en toutes les saisons.

La piste de Chantilly décrit un ovale à peu près régulier ; elle est parfaitement plane sur les trois quarts de son parcours, s’incline légèrement à partir des écuries, et se relève ensuite, par une rampe modérée, jusqu’à la tribune du juge, présentant ainsi cette particularité de mettre les chevaux dans la nécessité de faire leur effort sur une montée.

La position de l’hippodrome de Chantilly est une des plus heureuses que nous connaissions. Le spectateur placé dans les tribunes aperçoit devant lui les écuries monumentales célèbres dans le monde entier, noble point de vue pour une fête hippique ; un peu à gauche une ligne de jolies maisons, bordant une longue terrasse, constructions plus voisines du cottage anglais que du chalet suisse, comme si les chevaux de pur sang devaient apporter naturellement avec eux l’influence britannique sous toutes ses formes. A droite commence le vert rideau de la forêt, dont la ligne s’étend au loin, comme la barrière flottante de l’horizon. Trois tribunes : celle du centre pour le souverain et les membres de la famille impériale ; à droite et à gauche, tribune publique ; le Jockey-Club, quoiqu’il soit chez lui, ou parce qu’il est chez lui, est le plus mal logé : il n’a qu’une simple estrade, de l’autre côté de la piste, exposée à la pluie et au soleil. Les règlements de Chantilly n’ont pas la même sévérité que ceux de Lonchamps, et ils ne frappent point du même ostracisme les belles personnes qui ont le tort ou le malheur de se présenter toutes seules à la barrière de l’enceinte du pesage. On les laisse entrer moyennant finances ; mais, comme si elles voulaient se rendre justice à elles-mêmes, elles se placent invariablement dans la tribune de gauche, laissant la droite aux personnes accompagnées. – Nous notons ce trait de mœurs en passant, pour ne rien laisser échapper de ce qui constitue le tableau vivant et animé des courses, et du monde qui s’en occupe.

Bade, ce Paris d’été, cette seconde capitale de l’Europe, était, depuis quelques années, entraîné dans une trop haute sphère d’élégance pour ne point avoir aussi ses courses de chevaux. Il complète aujourd’hui la grande trilogie hippique européenne, dont Epsom et Chantilly sont les deux premiers termes.

Les courses de Bade sont une création récente, due à l’intelligence active de M. Édouard Bénazet, dont le coup d’œil pratique saisit tout de suite l’importance qu’une pareille institution pouvait avoir pour cette patrie de son choix, à laquelle le rattachent tant d’intérêts.

C’est au mois de janvier 1855 que fut arrêté le principe de cette création. L’exécution marcha avec cette rapidité féerique que l’on obtient à force d’or et de volonté…

L’hippodrome de Bade est situé dans une prairie dépendant du petit village d’Iffezheim, à deux lieues de la ville et au centre de convergence des lignes ferrées de plusieurs chemins de France et d’Allemagne. Ces prairies présentent une configuration élégante et d’un ovale presque parfait, dessiné par une ligne de collines, formant un amphithéâtre qui, pour être naturel, n’en est pas moins pittoresque.

Le cours de la petite rivière (la Muhlbach) indiquait la direction en quelque sorte forcée de la piste. C’est près de ce cours d’eau que s’élèvent les constructions, accessoires obligés de tout champ de course. Ces constructions, qui ne manquent point de style, sont l’œuvre de MM. Beelzer frères, architectes badois, dont les plans furent contrôlés par des hommes d’une compétence spéciale incontestée, MM. Reiset, Mackensie-Grieves, le baron de Gensau, et M. Grandhomme, secrétaire de notre Jockey-Club.

Nous ne retrouvons point ici les cinq tribunes de Paris, mais seulement trois : la tribune publique, la tribune du Jockey-Club et la tribune des Princes. La tribune des Princes, destinée au grand-duc de Bade, à sa cour et à ses hôtes, a une estrade couverte, des colonnettes élégantes, des salles de gardes, et une croisée avec des meurtrières, ni plus ni moins qu’un château féodal. Elle est surmontée d’un belvéder. Les deux autres tribunes, de grandeurs inégales, sont également surmontées de belvéders ; elles ont aussi des gradins en terrasse sur leur toit, d’où l’œil découvre toute l’étendue de la piste. Tout cela n’a peut-être pas la sévérité de lignes ni la correction d’aspect que nous retrouvons à Lonchamps ; ce n’est pas français, mais c’est allemand, c’est-à-dire empreint d’une sorte de bonhomie gaie et d’élégance rustique, qui ne sont pas sans charme. Les peintures extérieures ont des nuances vives et tendres qui sont dans une harmonie aimable avec tout le paysage environnant.

La ligne droite, ou ligne d’arrivée, sur laquelle les chevaux font ce dernier effort, qui décide souvent le succès, est longue d’environ huit cents mètres. C’est, au point de vue de la course, le meilleur terrain d’Iffezheim ; il est élastique et souple comme le turf de Chantilly. Le reste de l’hippodrome est d’une nature marécageuse, et a exigé d’importants travaux pour arriver à l’état satisfaisant dans lequel nous le voyons aujourd’hui.

Le champ de course de Bade a été inauguré le 5 septembre 1858, devant un public composé des représentants de toutes les aristocraties européennes. Ses réunions d’automne, excessivement suivies, sont les dernières qui, chaque année, aient le privilége de réunir les sommités du grand monde et les notabilités du turf, avant cette grande dispersion dans les châteaux, dont l’hiver seul ramènera dans les capitales les hôtes trop longtemps attardés.

LOUIS ÉNAULT.

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