NEUFVILLE,
Eugène Villemin, pseud. Etienne de (1815-1869) : Physiologie
de la femme
(1842). Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (30.IX.2005) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Les illustrations ne sont pas reproduites. Texte établi sur un exemplaire (coll. part. ) de Portraits et caractères du dix-neuvième siècle, publiés en 1960 à Paris par le Club Français du Livre. Ce recueil se compose de neuf physiologies initialement parues entre 1840 et 1842. Physiologie
de la femme
par
Etienne de Neufville
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I.
SOUS L’INVOCATION DE MADAME ÈVE, NOTRE MÈRE COMMUNE. A la voix du Créateur, le paradis terrestre était sorti tout paré de verdure et de fleurs du sein du chaos ; l’eau tombait en cascade des rochers ; la cime des arbres se balançait voluptueusement sous les limpides rayons de l’astre nouveau-né ; tout respirait le bonheur et l’ivresse ; le premier homme seul languissait dans son isolement, et se demandait pourquoi les poissons dans les eaux, les oiseaux dans les airs, et tous les animaux sous les ombrages des forêts, folâtraient deux à deux en se prodiguant mille caresses, car il n’avait rien compris à ces paroles : Croissez et multipliez ! Et Dieu le prit en pitié… Et pendant qu’il dormait, il tira une de ses côtes et en forma une délicieuse créature, qu’il décora du doux nom d’Ève. Et Adam se réveilla. Et quand il vit à ses côtés un ange consolateur, Aux longs cheveux flottant sur les épaules, Aux bras blancs et arrondis, croisés sur une poitrine palpitante, Aux longues paupières baissées vers le sol, Aux joues rosées, Aux lèvres vermeilles, A la taille svelte et élégante, Aux hanches voluptueuses, Au pied souple et délicat ; Quand il vit… enfin toutes sortes de perfections plus ravissantes les unes que les autres, il sembla qu’un voile se déchirait de devant ses yeux ; Le firmament resplendit de tout son éclat, Les fleurs se balancèrent plus parfumées sur leurs tiges, Les eaux frémirent avec une mélodie plus pénétrante, La face de la terre fut renouvelée, la nature entière se précipita dans un embrassement universel, et les mondes, suspendus dans leur marche, frissonnèrent d’une même secousse, au moment où les échos du ciel retentirent du premier baiser du premier homme ! II.
PHYSIOLOGIE PHYSIOLOGIQUE DE LA FEMME.
Ce qui différencie les Dames des Messieurs.
Développement de la Femme.
A peine éclose au soleil de la vie, la petite fille conserve pendant quelques années les apparences des petits garçons de son âge : allures vives et pétulantes, timbre de voix, gracilité des membres, indécision des formes, tout les confondra longtemps encore. Mais, pareille à la fleur qui ne demande qu’un rayon de soleil pour épanouir sa corolle, la jeune et gracieuse créature appelée un jour à devenir mère, éprouve les premières secousses qui lui révèlent une nouvelle existence ; rose virginale, elle entr’ouvre son calice, et elle éprouve les douloureuses prémices des nombreuses et redoutables épreuves qui l’attendent. Une fois cette révolution opérée dans son être, son extérieur se métamorphose rapidement. La pudeur voile son front, ses yeux s’animent, puis ses cheveux croissent, son cou s’incline avec grâce, ses épaules s’évasent, sa poitrine développe ses contours naissants, la taille se dessine et se cambre, les hanches s’élargissent, et toutes ses formes, plus moelleuses, plus élégamment arrondies, prennent ce caractère particulier que l’on admire dans la Vénus de Médicis. Mais, hélas ! les années, dans leur vol rapide, déjà s’accumulent sur sa tête, - elle touche à son été, époque mélangée de délices douteuses et d’angoisses trop réelles ! Dépositaire du fruit qu’elle sent bondir dans son sein, l’heure approche où la jeune mère entendra son précieux fardeau mêler ses premiers vagissements à ses derniers cris de détresse ! Et c’en est fait… Adieu fraîcheur, jeunesse et beauté ! les ans poursuivent leur course avec une effrayante rapidité, les traits se décomposent, les cheveux blanchissent, le front se ride, et, comme dit La Fontaine :
Le chagrin vient ensuite, et l’on voit chaque jour
Déloger quelques ris, quelques jeux, puis… l’amour ! Qu’est-ce que la Beauté ?
PARLEZ d’une femme à vingt jeunes gens, s’ils ne l’ont point encore vue, je vous défie d’en trouver un seul qui ne commence par vous dire : - Est-elle jolie ? De fait, la femme n’existe qu’à la condition d’être belle. Plaire est sa mission. Retirez-lui ce don précieux, elle s’éclipse du monde où l’on aime. Une femme laide est une négation, une erreur de la nature, une fleur avortée, un beau fruit déformé par la grêle, un arbre qui s’est déjeté en croissant ; c’est une anomalie. Et qu’est-ce donc que la Beauté ? la Beauté !! cette conquérante victorieuse qui pour vous traîner derrière son char, que la foule assiège, n’a d’autre soin à prendre que celui de paraître ? La Beauté est ce qu’il y a de plus capricieux dans l’univers ! Elle varie comme les temps, comme les lieux, comme les rangs, comme les peuples, comme les provinces, comme les modes, comme les idées de chacun.… Ce qui est beau ici ne l’est point ailleurs ; ce qui l’est aujourd’hui le sera-t-il encore demain ? Il existe autant de genres de beautés que de manières de voir dans la tête des individus composant la vaste fourmilière qui se remue à la surface de notre planète. Or, de nos longues méditations sur cette grave matière, il résulte que la beauté est moins telle ou telle forme que telle harmonie d’ensemble qui s’accorde avec la manière de sentir de tel individu. Et cela est si vrai, que les femmes qui, d’après nos convictions, réunissent tous les caractères de la beauté, tout en ayant le privilège d’exciter l’étonnement général, n’ont pas toujours celui d’inspirer une affection bien profonde. - C’est un frissonnement qui ne passe pas l’épiderme. Il est des femmes qui sont jolies avec un oeil louche, un nez retroussé, de grosses lèvres et des sourcils chinois. - Qu’y a-t-il donc en elles ? - L’expression, Et la grâce, plus belle encor que la beauté. Tout le monde s’accorde à dire que les femmes laides sont quelquefois celles qui font naître les passions les plus ardentes et les plus durables. En effet, comme le pense La Bruyère, si une laide se fait aimer, ce ne peut être qu’éperdûment, car il faut que ce soit par une étrange faiblesse de son amant, ou par de plus secrets et de plus invincibles charmes que la beauté. Nos idées sur la toilette.
LA première fois qu’un jeune artiste de ma connaissance mit le pied dans un atelier de statuaire, un fort joli modèle posait en Vénus ; il fut tout surpris de rester froid comme glace. Quelques heures plus tard, il aperçut par-derrière, non loin de lui, une jeune femme à la tournure svelte et dégagée comme l’ont les Parisiennes. Il avait plu, le ruisseau était large ; elle saute, sa robe se soulève, et lui découvre un bas de jambe… délicieux ! Ce fut comme un choc électrique. - Il presse le pas. - Qu’était-ce ? - Son modèle. MORALE. - Mesdames, ne montrez jamais rien, et ne laissez entrevoir que le moins possible. Une nudité repousse ; un voile aiguillonne et stimule. En fait de toilettes : du blanc pour tout et toujours. Rien ne poétise une femme comme la couleur du lis. Mais il ne suffit pas qu’une étoffe soit blanche, il faut encore qu’elle soit fine, légère et moelleuse. Est-il rien de ravissant comme les tissus qui s’affaissent, ondulent sur les formes et laissent soupçonner leurs contours, comme fait un peignoir humide les épaules d’une baigneuse qui sort de l’eau ? Au salon, gardez-vous des parfums ! c’est une peste ; à la promenade, c’est un délice ; on aime qu’une femme laisse derrière elle une traînée odorante, dont l’impression vous pénètre longtemps encore après qu’elle a disparu. Le Corset.
LA drôle de figure que feraient les dames de l’ancienne Grèce, si de retour dans ce monde elles s’entendaient dire : « Depuis que vous avez passé l’Achéron, Mesdames, la mode, non contente de faire, défaire et refaire des millions de milliards de fois la forme des vêtements féminins, s’est attaquée à celle du corps lui-même. Aujourd’hui, par exemple, pour qu’une femme soit réputée bien faite, il est d’urgence qu’à l’aide d’une machine de basin, renforcée de baleines, quelquefois même bardée de fer, elle se torde les os, se strangule la poitrine, se pressure l’estomac, se mette la rate et le foie en marmelade, le tout afin qu’on dise d’elle : - « On lui prendrait la taille entre les deux mains ! » Et pour cette puérile gloriole, elle se condamne durant toute une vie, qu’elle abrège, au supplice quotidien d’une asphyxie en détail ! Que de souffrances, bon dieu ! pour déformer le plus grotesquement du monde l’oeuvre où le créateur épuisa ses plus riches trésors de grâce, d’élégance, de souplesse et d’harmonie ! Il nous sied bien d’oser ensuite nous étonner qu’il existe des peuplades sauvages où les femmes, s’imaginant aussi se rendre plus belles, se font tatouer le visage, rougir les ongles, et passer un anneau à travers les narines !... Qu’est-ce qu’un Boudoir ?
UNE oasis au milieu du désert… Une ville franche au milieu des grands états despotiques. III.
DIFFÉRENTES PÉRIODES DE LA VIE DE LA FEMME.
Petite Fille.
SI, physiquement parlant, petits garçons et petites filles se confondent, pour le moral, quelles différences ! Le premier instinct qui se réveille chez la petite fille, c’est la coquetterie, coquetterie qui se déploie dans toute sa nudité, sur laquelle, en un mot, le respect humain, la dissimulation sociale n’ont encore jeté aucun voile. Fait-elle un pas, une gambade ? a-t-elle une robe, un chapeau neufs ? est-elle debout ? assise ? à table ? au piano ? au spectacle ? à la promenade ? en toutes circonstances, en tous lieux, vous la verrez lancer à droite, à gauche, sa petite prunelle maligne, furtive et inquiète, afin de juger de l’effet qu’elle produit. Fleur à peine éclose, elle se tourne déjà vers les hommes, comme les anémones vers le soleil. Pensionnaire.
ON composerait un curieux volume, je vous jure, de tout ce qui se dit et se fait dans ces ruches bourdonnantes qu’on nomme institutions de jeunes demoiselles. On y vient candide et ignorante jeune fille, et souvent… Désir de veuve est un feu qui dévore, Désir de nonne est cent fois pis encore. Les nonnes s’en vont, mais les pensionnaires restent pour éterniser la vérité du spirituel distique de Gresset.
Jeune fille, Epouse et Mère.
AU milieu des heureux du monde.
Quand jeune fille elle brillait, Sur sa blanche épaule la blonde A flots chatoyants ondulait. Elle allait, reine de la fête Avec des perles sur la tête, Avec des fleurs dans les cheveux Et sur son gracieux passage, Les coeurs à la divine image En silence adressaient leurs voeux Sur son front pur les girandoles Étincelaient en reflets d’or, Un concert de douces paroles Saluait son pudique essor. A travers la foule amoureuse, Comme une forme vaporeuse Elle glissait sur le parquet, Et son coeur, tout gonflé de joie, Sous les plis mouvants de la soie Faisait tressaillir son bouquet. A son luth d’autrefois encore Elle allait marier sa voix, Et dès que la corde sonore Prenait une âme sous ses doigts, On voyait la foule ravie Frémir à la douce magie De ses mélodieux accents, Et comme un ange sur la terre Chacun l’adorait en mystère ; Les soupirs étaient son encens.
D’où vient donc aujourd’hui la retraite
profonde
Où son coeur s’est plongé ? D’où vient que sa ferveur pour les plaisirs du monde En dédain s’est changé ? Et pourtant c’est bien doux de convertir en trône La banquette du bal, De se voir adorée ainsi qu’une madone Sur son beau piédestal ; De s’entendre à voix basse appeler la plus belle Dans les groupes émus ; De sentir aux rayons de sa douce prunelle Tous les yeux suspendus ;
De voir autour de soi les danseurs qu’on attire
Mendier un coup d’oeil, Puis de leur accorder l’aumône d’un sourire Qui les comble d’orgueil. Oui, certes, c’est bien doux quand la fête s’achève, Trop tôt pour son désir, De se rasseoir encor, dans le cours d’un beau rêve Au banquet du plaisir !
Aussi parfois, dans sa tristesse,
La jeune femme se souvient De ces heures de folle ivresse Dont l’impression lui revient ; Jours de secousse et de vertige, Où sa pauvre âme qui s’afflige Retourne encor d’un vol joyeux ! Jours dont l’image a tant de charmes Que, sans le vouloir, bien des larmes Roulent sur le bord de ses yeux ! Sait-on ce que son coeur renferme ? A-t-il pour toujours triomphé D’un premier amour dont le germe Couve encore mal étouffé ? Quand un regret vient la poursuivre Sait-on les combats que se livre Son coeur enchaîné par l’hymen ? Quand son pâle sourcil se fronce Hélas ! sait-on quelle est la ronce Qui hérisse encor son chemin ? Mais quel cri frappe son oreille ? C’est la voix d’un enfant chéri Cet accent bien-aimé réveille Son coeur sur lui-même attendri. Soudain la mère de famille, De ses chagrins de jeune fille Se prend à rougir devant Dieu ; Ce n’est plus pour soi qu’elle existe Son âme au penser qui l’attriste Adresse un éternel adieu !
Adieu donc les plaisirs et les riches parures
Les flots d’adorateurs aux séduisants murmures Adieu les tourbillons, les surprises du bal ! A ces enfants chéris celle qui se dévoue N’a plus d’autre plaisir que d’aller sur leur joue Cueillir le baiser matinal. Sa paupière, a toute heure alerte et vigilante, S’occupe à surveiller leur marche chancelante, Les cordes de son coeur ne vibrent que pour eux S’ils dorment… inquiète, elle prête l’oreille, Et prend le moindre son de leur bouche vermeille Pour quelque sanglot douloureux. Aussi dans cette femme au vêtement sévère Reconnaîtriez-vous la sylphide légère Qui par son élégance éblouissait les yeux, Et par les mouvements cadencés de sa hanche, Évaporant les plis de sa tunique blanche, Semblait prête à fuir dans les cieux ?
Digression sur les avantages d’être le
détenteur d’une jolie Femme.
Ô fortunatos nimium sua si bona nôrint maritos ! Trop heureux les maris s’ils savaient leur bonheur ! Quand je dis maris, j’entends maris de jolies femmes ; les autres, ce n’en est que l’ombre. Monsieur Jacques Durand est un garçon qui, tant qu’il jouissait des douceurs du célibat, n’était pas trop étouffé par la foule de ses amis et connaissances. Mais, depuis qu’il a passé sous la bannière conjugale, il s’est opéré pour lui dans le monde un changement dont il a peine à se rendre compte. Tout ce qu’il dit est plein de sel ; tout ce qu’il fait obtient l’approbation générale ; toutes les figures lui sont accortes, riantes et bien disposées. De toutes parts lui pleuvent les offres de service. Il en tombe de son haut. Heureux monsieur Jacques Durand, vous oubliez donc que vous êtes détenteur d’une jolie femme ?
Vieille Fille.
L’ICHNEUMON est le fléau du crocodile, le chien des matous, le brochet des goujons, le loup des agneaux, etc. ; la vieille fille est le fléau des amoureux. La vieille fille est toujours jeune - pour elle. Depuis cinquante-cinq ans qu’elle consulte quotidiennement son miroir, les avaries successives de son visage se sont faites à ses yeux d’une manière si lente, si imperceptible, qu’elle reste intimement convaincue d’avoir conservé ses dix-sept printemps. Il y a quelque chose de vrai ; seulement, ils ont été surchargés de plusieurs autres.
Femme sur le retour.
EPOQUE critique ! très-critique, en effet. Illusions, secousses du coeur, angoisses et délices d’amour ; jeunesse et beauté ; charme, prestige, sceptre et couronne, tout lui échappe, la malheureuse ! le monde croule sous ses pieds…. L’homme a ses consolations ; mais la femme, plaignez-la, elle qui n’est faite que pour aimer… Vieille Femme.
JEUNES gens, découvrez-vous ; respect et vénération, je vous prie, sur cette femme qui a mis un fils, une fille au monde ; sur cette femme qui a supporté toutes les douleurs de ce qui n’a été que joie et délices pour vos grands pères ! IV.
LA FEMME SOUS SON POINT DE VUE MORAL. Qu’est-ce que la Femme ?
IMPÉRIEUSE dans sa faiblesse ; Naïve… et rusée ; Craintive… et intrépide ! On a vu la femme subjuguer la force par son adresse ; du même coup chérir l’un et adorer l’autre ; chercher qui la fuit, fuir qui la cherche ; flotter vingt fois le même jour de l’amour au devoir et du devoir à l’amour ; amalgamer le mieux du monde les oeuvres de Dieu avec les pompes de Satan, réunir, en un mot, tous les extrêmes, comme s’il était dans sa nature de mettre en défaut toutes les déductions de la raison et du sens commun. A cette question : Qu’est-ce que la femme ? Je serais tenté de répondre comme Esope, à propos d’un morceau fort apprécié des dames : C’est ce qu’il y a de meilleur et de pire au monde… Anges pour ceux qu’elles aiment, ce sont de vrais démons pour ceux qu’elles détestent.
V.
FEMME BANALE, FEMME MIXTE, FEMME D’ÉLITE. Femme banale. POUR Messaline, le plus aimable est celui qui se trouve le plus à portée, fût-ce même, Dieu me damne, son mari ! Puis elle s’en lasse, et se fait cadeau d’un amant neuf ; puis de ce dernier se rassasie non moins vite, et alors retourne à son légitime plus brûlante que jamais… si toutefois quelque nouveau galant ne vient pas lui barrer le passage. Frétillon brûle la vie par les deux bouts ; Un beau jour elle monte en croupe sur le cheval de quelque viveur, et galope avec lui sans souci de l’avenir, jusqu’à ce que l’haleine ou le fourrage vienne à manquer. Après celui-là un autre, et ainsi de suite. Dans le monde, certaines femmes mènent le même train, - au su de tous ! hormis d’un seul, qu’on devine. Au résumé :
La femme banale est celle
Qui s’accommode du premier venu, Qui mène gaillardement la vie à trois, Qui change d’amants, Ou même se partage entre plusieurs. Femme mixte.
POUR Malvina, sentiments et penchants sont une roue qui tourne ; elle va flottant de l’esprit à la matière, comme qui dirait d’Abeilard à Casa Nova. Tour à tour elle cherche l’image de l’un dans les yeux de son amant, et la verve de l’autre dans le giron de son époux. A propos des femmes plus ou moins mixtes, il y a une quantité de petites remarques fort piquantes à faire. Leur grand rêve est d’aimer en tout bien, tout honneur ; tous leurs efforts tendent à délimiter invariablement l’espace compris entre ces deux frontières éternellement contestées : le tout bien et le tout honneur. Mais le diable est que l’amour, qui tient le compas, en fait jouer les branches de telle sorte, au gré de ses fantaisies, que tel point du territoire, limitrophe aujourd’hui, le lendemain se trouve être refoulé jusque vers les départements du centre.
Femme d’élite.
LA femme d’élite est celle qui comprend l’amour avec noblesse, élévation, et qui le ressent de même. La femme d’élite est celle qui, à un coeur sensible, ardent et dévoué, joint une haute intelligence. La femme d’élite est celle qui affrontera tout pour n’aimer qu’un seul, et l’aimer sans partage. Ici, il n’y a ni distinction de rang, ni éclat de naissance, ni privilége de fortune ; la femme d’élite se trouve aussi bien sous le simple bonnet de mousseline que sous le chapeau de velours. Anecdote.
LE baron Boyer, un des flambeaux de l’anatomie descriptive, était fort pauvre quand il vint à Paris étudier la médecine. Il eut pour maîtresse sa blanchisseuse. Cette brave fille se prit à l’aimer de coeur, si bien que, tandis que le jeune homme usait son temps sans rien gagner dans les pavillons anatomiques, de son côté elle repassait tout le jour, quelquefois même la nuit, afin d’amasser de quoi payer l’inscription du trimestre et l’impôt des examens. Et Boyer devint docteur, puis agrégé, puis professeur en titre, professeur illustre. Et il se maria avec Marguerite ; et, fier de sa bonne action, il avait coutume de dire dans ses cours : - Ma blanchisseuse m’a fait docteur ; moi je l’ai faite baronne. Voilà une femme d’élite. Poésie de la Femme.
L’AVARE idolâtre son trésor, le marin son navire, l’Arabe son coursier, le voyageur les forêts vierges, le poëte les roses. Mais, trésor, navire, coursier, forêts si vierges qu’elles soient, roses vermeilles et parfumées, tout cela s’éclipse devant l’ombre d’une jolie femme. Et, en effet, qu’y a-t-il de plus beau dans la création ? Jeunes gens qui me lisez, j’en prends à témoin vos regards dévorants, vos entretiens, l’éternelle paraphrase du Cantique des Cantiques ; j’en atteste toutes les folies que vous faites, tous les périls que vous bravez ; les filles d’Eve ne sont-elles pas le rêve éternel de vos nuits ? N’est-ce pas vers elles que tendent tous vos désirs ? N’est-ce pas vis-à-vis leur image que vos têtes se volcanisent et que les frissonnements du coeur vous remuent jusqu’au fond des entrailles ? C’est qu’aussi dans la femme tout vous plaît, tout vous charme, vous séduit, vous ravit, vous enivre, vous enchante… Un accent de la voix, un regard des yeux, un frôlement de la main, c’en est assez pour vous plonger dans un océan de délices. Que derrière une charmille où quelqu’une se promène rêveuse, vous la voyiez vous dérober et vous montrer tour à tour ses belles formes à travers la feuillée… Un ruban qui vole, une mèche de cheveux qui se déroule, un pan de la robe qui frissonne au vent, vous donnent la fièvre, car il y a là tout un poëme ! Dans les ajustements de la femme, il n’est pas un pli qui ne recèle une émotion. Dans sa démarche, pas un mouvement qui ne soit une harmonie. Dans les ondulations de sa taille, pas une inflexion qui ne soit un rêve de volupté… Je le répète, la femme est ce qu’il y a de plus beau dans la création.
VI.
QUELQUES SILHOUETTES.
Les Parodies.
LE singe est à l’homme ce que certaines femmes sont aux natures réellement poétiques et sensibles, pour lesquelles je professe la vénération la plus sincère. Autant je suis porté à entourer les premières de mon respect, autant je me sens en veine de moquerie à l’égard de leurs sosies ridicules. Clarisse, dont la carnation luxuriante déborde par-dessus les baleines de son corset, mange moins que ne ferait une fauvette quand elle pose à quelque grand dîner ; mais quels beefsteacks elle absorbe entre ses repas ! Mélanie consulte toujours le calendrier avant d’accorder un rendez-vous, parce qu’elle adore le clair de lune, sur le compte duquel elle a retenu, dans les romans du jour, une quantité de tirades nébuleusement romantiques. Thérésa, qui compte déjà plusieurs campagnes, s’est mis en tête, pour se donner une physionomie plus piquante, de garnir son boudoir ainsi que son alcôve, de bénitiers, de têts mortuaires et de crucifix ; elle exige même que son amant inscrive en tête de tous ses billets tendres, un verset de l’Imitation. Virginie a passé la trentaine, mais pour elle les années n’ayant eu que six mois, elle se figure pouvoir conserver éternellement ce petit air Agnès, ce gazouillement du parler, cette innocente et naïve candeur du regard, qu’on lui passait si volontiers jadis à la faveur de ses dix-huit ans. Bref, je n’en finirais pas si je voulais énumérer la nomenclature de toutes les Saphos, de toutes les âmes trop de fois comprises qui s’efforcent en vain de couvrir d’un badigeonnage poétique leur façade décrépite et lézardée.
Menu gibier.
N’ÉTAIT le venin mortel qui vient si souvent empoisonner les flèches de l’amour nomade, et mettre hors de combat les athlètes les plus intrépides, la délicieuse vie que la vie de jeune homme ! Pour lui, quel séjour de bénédiction que Paris, ce parc giboyeux où, dès que le caprice lui pointe, le génie des viveurs reproduit pour son bon plaisir la pêche… je veux dire la chasse miraculeuse ! Ne voyez-vous pas ces myriades de chevrotins, de biches, de gazelles et autres quadrupèdes plus ou moins faciles à mettre aux abois, lesquels trottent, gambadent et caracollent sous les yeux du fortuné Nemrod ! Il n’a qu’un embarras, celui du choix ; il est vrai qu’à lui seul celui-là en vaut plusieurs autres, vu les épizooties qui règnent sans relâche parmi son gibier de prédilection. Quoi qu’il en soit, passons en revue cette frétillante ménagerie.
Femme d’Etudiant
DÈS qu’un lycéen, grâce à sa première inscription, se trouve investi du joyeux titre d’étudiant, une des nécessités les plus indispensables selon lui pour régulariser sa nouvelle existence, est l’acquisition d’une de ces Frétillons charmantes dont le type, hélas ! ne se retrouve plus que dans les refrains de notre dernier poëte national. La grisette a cessé d’exister depuis que, cessant d’être la bonne et simple fille, laborieuse toute la semaine, rieuse et folâtre le dimanche, apportant au budget commun sa modeste quote-part, elle s’est mise à prendre un amant, non point par amour, mais, sangsue parasite, afin de prélever sur sa modique pension de quoi se vautrer dans la fange de la paresse et les vapeurs de l’orgie. La vraie grisette était vive comme une anguille, proprette, insoucieuse et naïve ; on reconnaissait chez elle plus d’étourderie que de débauche ; son frais visage avait conservé cette vermeille fleur de jeunesse dont le prestige fait souvent parler l’intérêt plus haut que le blâme désarmé. Mais la grisette d’aujourd’hui, la femme d’étudiant !!... La femme d’étudiant ! elle croupit dans l’oisiveté, son âme est débraillée comme le corsage de sa robe ; pour tout dire, elle s’enivre des fumées alcooliques mariées aux parfums de la pipe ! Pauvres filles, qui vous mettez au diapason du positivisme universel ! Eh ! non ! non ! non ! vous n’êtres plus Lisette Eh ! non ! non ! non ! Ne portez plus ce nom ! Chambrières.
HÉLÈNE vivait la plus heureuse fille du monde ; à l’exception de quelques matinées où madame la marquise la gourmandait de mettre trop de mollesse à faire toucher les oeillets haletants du basin, les soucis ne venaient guère plisser son malin et gracieux visage. Et puis Lafleur n’était-il pas là pour dissiper d’un clin d’oeil le moindre nuage de tristesse ? Par malheur, un beau jour elle s’avisa de consulter les cartes ; celles-ci lui ayant affirmé de la façon la plus positive que tôt ou tard elle serait enlevée par un prince du sang, lequel deviendrait son époux, elle ne rêva plus que palais et couronnes. On devine sans doute que la pauvrette se laissa courtiser par quelque noble don Juan. - Pour le bon motif, disait-elle. - A cela ne tienne ! reprit-on. - Et maintenant elle figure parmi les Lorettes.
Lorettes.
COMME ses consoeurs les ribaudes, Hélène n’en est plus à sa première étape ; le calus dont son coeur s’est encroûté ne fait que croître et embellir. Sa jolie figure, autrefois si animée, a pris pour toujours cette expression béante et immobile qui dénote une âme morte aux douces affections hors desquelles il n’est plus de bonheur… Toute la sagacité de son instinct de femme a tourné au mensonge, à la dissimulation, à la ruse et à la cupidité. On l’a trompée, elle se venge à cette heure : elle trompe avec délices. Cependant, comme il faut qu’elle aime quelque chose, pour dernière et unique ressource, elle se pressure le coeur afin de répandre le peu qu’il y reste de tendresse sur un singe, un angora, un perroquet, ou quelque autre créature aussi bien choisie… Tant qu’elle conserve un dernier levain de jeunesse, elle dépense en intrigues, en cavalcades, en spéculations, en virements de fortune, en tout ce qui agite, remue, étourdit, ce qu’elle portait dans l’âme pour s’exhaler en expansions d’amour et de caresses spontanées… Elle a horreur du calme, parce qu’il amène la réflexion, et que pour elle la réflexion est un abîme qui, pareil à l’enfer du Dante, lui montre, pour dernière perspective, l’hôpital et la borne publique. Aussi son élément est le tourbillon carnavalesque ; il semble que là, dans six semaines de temps, elle revive toute une vie. Pantelante au bras des danseurs, elle vole de l’un à l’autre ; cavale hennissante, le tintamarre des cymbales qui se déchaînent comme la voix du trombonne dans Robert, la transporte, l’enivre, la fait frissonner et bondir. Une puissance surnaturelle décuple ses forces ; on se demande comment une créature si frêle, si chétive, peut suffire à une pareille dépense d’agitation, de mouvement et d’entrechats… Enivrez-vous, reines éphémères ! Puissent les clameurs de ceux qui vous applaudissent et les vôtres, puisse le cliquetis des verres qui flambent et s’entre-choquent, vous illusionner au point d’offrir à votre âme épuisée, l’ombre de la joie, le spectre du bonheur ! Intrigantes.
ON n’en finirait pas si l’on voulait énumérer un à un tous les échelons qui, de la femme-marchandise, aboutissent, par une gradation insensible, jusqu’à la femme galante, qui dispose de ses faveurs pour qui bon lui semble, mais ne souffre pas qu’on les lui achète. Il y a deux façons d’exploiter la matière féminine : moralement et physiquement. Dans la première catégorie, nous ne nous ferons nul scrupule de mettre toutes les femmes-amorce. Femmes de limonadiers, d’orfèvres, de débitants, trafiquants et boutiquiers qui, spéculant sur les appas de leur conjointe, la couvrent de rubis et de dentelles comme la châsse de saint Hubert, afin d’affriander les chalands. Parmi les femmes qui obéissent, non pas à leur caprice plus ou moins versatile et fantasque, mais bien à un motif d’intérêt, nous pouvons ranger hardiment les solliciteuses et les intrigantes. Les moustiques ne se cramponnent pas avec plus d’acharnement sur la peau d’un mulet, que les intrigantes sur le dos des chefs, sous-chefs, employés, surnuméraires de bureaux ministériels, et des ministres eux-mêmes. Les malheureux s’imaginent se tirer d’embarras en poussant ces dames jusque dans leurs derniers retranchements, mais, victimes de leur propre artifice, combien sont pris dans l’embûche qu’ils ont eu la maladresse de se tendre à eux-mêmes ! Or, il est certains moments de la vie où un galant homme ne sait plus rien refuser… Que les solliciteurs le savent bien ! N. B. Nous en avons fini avec la femme vénale ; c’est chez elle surtout qu’on a lieu de se convaincre que la femme ne fait rien à demi : rapacité, envie, ruse, perfidie, impudeur, elle porte tout à l’excès. Il est bien entendu qu’à l’avenir nos jugements sur les femmes seront portés à l’ex[ ]sion de ces dernières, parmi lesquelles, hâtons-nous de le dire, il se trouve cependant des natures qui, bonnes et généreuses en dépit des tours qu’on leur joue, suffiraient pour nous réconcilier avec ce genre de femmes, s’il en était de même pour la majorité d’entre elles. Femme galante.
JENNY est un excellent coeur de femme, elle aime avec ardeur, avec emportement ; mais elle vous aime tant d’un coup, qu’au bout de la quinzaine elle se trouve à court de sentiment. Elle va semant partout, et de la meilleur foi du monde, ses boucles de cheveux tressés en chiffres d’amour, ses billets roses parfumés et - ses faveurs. Vous vous plaignez de son inconstance ; elle vous répond en vous donnant une réminiscence de caresse : « Vous êtes bien gentil, mon cher Paul ; mais que voulez-vous ? est-ce ma faute si Adolphe l’est encore plus que vous ? » Un Monsieur, pas très-beau, sollicitait avec instance ce dont elle est si prodigue envers tous… « Il y en a plus de quinze qui attendent, lui reprit-elle en souriant, - comme toujours, sans l’ombre de fiel… - Le quinzième soit, dit l’autre, j’aurai mon tour. »
Coquette.
LA flamme aux yeux, la glace au coeur, elle trône au milieu d’un cercle de soupirants ; la plupart consumés d’une ardeur aussi dévorante que la sienne, lui chantent les litanies d’un martyre qui, du reste, ne leur ôte ni le sommeil, ni l’appétit. C’est chose curieuse de la suivre dans son manège. Triomphante et radieuse quand la foule se presse autour de ses charmes, avec quelle adresse elle distribue à celui-ci un sourire furtif, à celui-là une oeillade, aux uns un geste d’intelligence, aux autres une parole équivoque, à tous de l’eau bénite de cour ! Vous chargeriez-vous de calculer ce qu’elle dépense en un jour de tactique et de fourberies pour convaincre chacun d’eux en particulier de la préférence toute spéciale dont elle le favorise ! Certaines coquettes ont la manie de montrer à tout venant les lettres d’amour qu’on leur dépêche de droite et de gauche. D’autres énumèrent complaisamment la multitude d’infortunés qui est censée se dessécher et gémir sous le poids de leur joug irrésistible. Et, chose bizarre ! vous qui les savez par coeur, qui tout bas flétrissez leurs tromperies, vous ne pouvez cependant vous empêcher de venir leur apporter un tribut d’encens, comme si, par le seul attrait matériel, jeunesse et beauté suffisaient à vous captiver aux pieds d’une femme qui ne vaut pas votre estime. Mais, au bout du compte, les coquettes, en fait d’amour, ressemblent au mauvais riche, qui pour jouir des délices de la table a besoin de supputer au dessert le nombre des malheureux qui meurent de faim. Triste jouissance que celle qui procède par négation ! misérable bonheur que celui qui existe à la condition de puiser ses éléments dans les infortunes et les calamités d’autrui !!! Dévotes.
ON en reconnaît plusieurs variétés ; entre autres : Dévote par genre, Dévote par complexion. Dévote par nécessité.
Dévote par genre.
LES modes changent. Une année, c’est la Pompadour : des amants et des amantes déguisés en bergers et bergères, qui filent d’une manière très-chaude le sentiment sous l’ombre d’un hêtre ou sur les bords fleuris d’une onde pure ; et, de peur qu’on ne s’y méprenne, des quatrains très-gaillards qui vous expliquent la chose. L’année d’après, c’est le genre crucifix. Les éditeurs font fortune avec les paroissiens complets illustrés en vert, en rose, en jaune, Dieu me damne ! avec velours cramoisi pour couverture, et fermoir en or. Il se consomme une quantité prodigieuse de bénitiers carton-pâte, de chapelets, de rosaires et de crucifix d’ivoire montés sur fond noir encadré d’or. Boudoir et parures, tout change… de forme, mais le fond reste.
Dévote par complexion.
CERTAINES femmes naissent dévotes ; j’en ai entendu confesser tout haut qu’elles ne comprenaient, comme sainte Madeleine, que la religion d’amour. Le bruit court que, de toutes les femmes, les dévotes ne sont pas celles dont on triomphe le moins aisément. Pourquoi ? me dira-t-on. Pourquoi ! C’est qu’elles aiment avec ardeur, avec tendresse, avec délire, comme madame de Lavallière savait aimer. Pauvres femmes, et je les plains, leur existence n’est qu’une série de faiblesses et de remords ; elles n’ont pas plutôt failli qu’elles se repentent, et elles ne se sont pas plutôt repenties qu’elles faillissent. Elles ont hâte de saisir une bouffée d’amour entre deux confessions, comme une belle promeneuse un rayon de soleil entre deux ondées.
Dévote par nécessité.
ELLE touche à cette saison qui n’est plus l‘automne et n’est pas encore l’hiver ; les arbres qui s’inclinent sur le fleuve de sa vie commencent à jaunir et à se dépouiller de leur feuillage. L’amour, qui lui échappe, laisse dans son âme un vide immense devant lequel elle recule épouvantée… Il ne lui reste plus qu’un refuge pour le combler, la religion, qui, pleurant avec elle, lui ouvre les bras ; aussi c’est avec ferveur et reconnaissance qu’elle s’y précipite. Mais à mesure qu’elle se blase sur les joies d’un culte dont, degrés par degrés, elle oublie les dogmes sublimes pour n’y plus voir qu’une pratique sèche et routinière, son coeur se raccornit sur lui-même, et elle devient la pire chose qui soit au monde, vieille dévote. Au début, elle aimait Dieu comme sainte Thérèse, avec les élans d’un coeur de femme ; Dieu était pour elle une forme nouvelle sous laquelle se reproduisaient ses premières émotions d’amour ; « car aimer Dieu, c’est aimer quelque chose. » Maintenant, Dieu est un despote qui l’empêche de manger gras les vendredi, samedi, carême et vigiles, qui lui défend de tricher au loto et de médire de sa voisine, dont l’épagneul est plus fringant et plus valeureux que le sien.
Dévotes en général.
JE le maintiens, le fond reste. Mais que de subterfuges, que de petites restrictions ne s’ingénient-elles pas à découvrir pour amoindrir, atténuer, je dirais presque sanctifier le péché énorme qui leur coûte tant à dire dans le tuyau auriculaire de leur directeur ! Je pourrais à cet égard vous narrer quelques petites anecdotes fort piquantes ; mais, outre que je serais fort embarrassé de les gazer convenablement, Le secret d’ennuyer est celui de tout dire. Esquisses géographiques.
LA femme n’est pas la même selon les lieux qu’elle habite ; le milieu et le climat où elle vit lui impriment des modifications curieuses. On dit les femmes du Nord (1), surtout les Allemandes, affectueuses et sentimentales, les Espagnoles jalouses et vindicatives, les Italiennes faciles et voluptueuses, les Anglaises romantiques, les Grecques sensuelles comme Vénus, les Créoles caressantes, les Africaines volcaniques, et les Asiatiques, quand elles ne sont pas nonchalantes, audacieuses, provoquantes et abandonnées. J’ai vu de par le monde un rocher calciné sous les feux du soleil, et qui produit des femmes d’une nature singulièrement incandescente ; ce sont les Maltaises. Leur prunelle étincelante luit sous les plis noirs de leur faldetta comme un phare au milieu des ténèbres. Quant aux Françaises, ce qui les caractérise, c’est la coquetterie. Trop vaines pour rester indifférentes, trop réfléchies pour obéir à l’impulsion des sens, trop aimantes pour vivre sans intrigues, trop personnelles pour les mener jusqu’au bout, c’est un mélange bizarre d’abandon et de réserve, d’égoïsme et d’amour. Croquis topographiques.
SI, des divers points du globe, nous passons à une seule contrée, la France par exemple, nous verrons les localités apporter de singulières variétés dans l’espèce féminine. Au village, nous distinguerons la paysanne et la bourgeoise. La paysanne, moule à progéniture, et qui semble tenir le milieu entre la brute et la créature intelligente nommée par Linné : Homo sapiens. Puis vient la bourgeoise, guindée dans sa mise comme dans son caractère, confite de morgue et d’ennui, morte aux affections du coeur, insipide à elle-même et aux autres. L’espace nous manque pour suivre fidèlement chaque échelon de la nomenclature. Ainsi, après les villages viennent les bourgs, après les bourgs, les chefs-lieux de canton où la civilisation commence à faire germer des accointances plus ou moins scandaleuses entre les clercs d’huissiers, de greffiers ou de notaires, et les dames de l’endroit. Arrivons aux villettes. La zone glaciale qui s’étend encor sur les domaines du coeur commence à remonter au degré de la glace fondante ; il y a progrès, les femmes tendent à se démomifier. Leur allure s’engaillardit et leur toilette se civilise. Il y a déjà des lyres pour chanter la prose rimée et des oreilles pour l’entendre. Des villettes passons aux sous-préfectures. Les plus belles dispositions pointent par ci par là, et, n’était la crainte du cancan, on mettrait à exécution le système George Sand, dont les théories enlèvent à huis clos le suffrage universel. Quoi qu’il en soit, toutes les fois qu’il s’agit d’un projet de caserne pour une garnison future, les femmes qui ont le bonheur d’avoir pour mari un membre du conseil municipal ne manquent jamais d’appuyer la motion. Enfin, dans les préfectures, tout se perfectionne de la façon la plus édifiante ; les réunions grossissent, les maisons s’écartent les unes des autres, et le soir il y a des boulevards et des rues dont le modeste éclairage donne le champ libre aux manteaux couleur de muraille. Le carnaval foisonne en bals plus ou moins échevelés, et le carême en vêpres et saluts nocturnes derrière les pilastres ombreux des vastes cathédrales. Les grandes villes, quoique moins bien favorisées que Paris, sont déjà cependant un théâtre fort recommandable pour messer Cupidon. D’ailleurs les dames visent de toutes leurs forces à se parisianiser, et, pour y arriver, ne trouvent pas en toutes choses le genre métropolitain. Par exemple, si à Longchamps on s’est décolleté jusqu’à la fossette du col, elles laisseront bâiller leur corsage jusqu’à la ceinture. Les rubans s’y portent toujours plus longs et les jupons plus courts. Encore un coup de plume, lecteur, et nous voici rendus dans l’Athènes moderne. C’est le moment d’établir un bref parallèle entre la Provinciale et la Parisienne. Si nous avions les deux sujets de la comparaison en regard, je vous dirais : Voyez ! et la différence vous sauterait aux yeux, car une Parisienne ne ressemble pas plus à une Provinciale qu’un sous-lieutenant à un séminariste. La Parisienne est artiste dans sa toilette, tout y respire la fraîcheur, le bon goût, l’abandon, la grâce. Sa démarche est preste et décidée, son regard fin et curieux, sa bouche avenante, son maintien plein d’aisance et de laisser-aller. La Provinciale est riche dans sa toilette ; elle y prodigue les tissus les plus recherchés, les étoffes les plus rares, surchargées des joyaux les plus compliqués, des broches et des chaînettes les plus massives. Sa démarche est patriarcale, son regard vide par convenance, sa bouche pincée, son maintien digne et théâtral, quand il n’est pas raide, gauche et guindé. Quant au moral, si les Parisiennes l’emportent pour la superficie, je n’oserais pas dire qu’il en fût de même pour le fond. Les Provinciales sont loin d’avoir ce petit jargon du jour, qui, tel que la forme des chapeaux, change tous les trimestres ; mais, soyons juste, elles se passent à merveille du marivaudage parisien, parce que ce qu’elles disent elles le sentent vivement, et que ce qui est senti vit de ses propres forces. Les Parisiennes pratiquent l’amour à la manière de M. Scribe, les Provinciales, à la manière d’Alexandre Dumas, de Victor Hugo et de tous les écrivains réellement passionnés. Donc, c’est en province que les sentiments germent et poussent avec vigueur ; à Paris, c’est presque impossible : une atmosphère tumultueuse y bouleverse trop le sol pour que quoi que ce soit y prenne racine.
Y a-t-il des Femmes fidèles ?
JE le crois parbleu bien……. J’arrive de Turquie. - C’est en France que nous sommes. - En France, les boudoirs ne font faute, non plus que de l’autre bord de la Méditerranée les harems ; mais j’y vois cette petite différence, c’est que chez nous il n’y a point d’eunuques accroupis nuit et jour à la porte d’entrée, laquelle livre souvent passage à plus de moustaches que de papillotes. D’où vous concluez ? Oh ! je ne conclus rien. Enfin, y a-t-il des femmes fidèles ? Sans nul doute ! Dans quelle proportion ? Pour cela, je l’ignore.
Qu’est-ce qu’une Femme vertueuse ?
CELLE qui, mise dans toutes les circonstances possibles qui ont entraîné la chute des pécheresses, n’eût jamais failli. Qu’est-ce qu’une Femme coupable ?
CELLE dont le coeur est susceptible de concevoir un amour assez violent pour lui faire sacrifier sa tranquillité, son bonheur, sa réputation, sa vie même, pour celui qu’elle aime.
VII.
DES FEMMES ENTRE ELLES. DEUX femmes : Rivalité. Trois femmes : Complot. Quatre femmes : Bataille rangée.
VIII.
DES FEMMES DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES HOMMES. LES Musulmans comptent l’année par les phases de la lune de certaines femmes pourraient compter leur vie par les périodes du sentiment. Nouvelle lune : Adorateurs. Premier quartier : Maris. Pleine lune : Amants. Dernier quartier : Galants. Manèges des Femmes.
QUI dit Femme, dit amour. La femme a été créée et mise au monde pour aimer et pour plaire. Tout chez elle, la matière et l’esprit, aboutit à cette grande loi de son être. Les femmes excellent à vous montrer mille choses qu’elles ont l’air de vous cacher avec un soin extrême. Les femmes qui ont la jambe bien faite, et celles qui ne l’ont pas, ne sautent pas les ruisseaux de la même façon. Pourquoi cette promeneuse, dont la croupe luxuriante me paraît plus que problématique, fait-elle onduler ses hanches de la sorte ? Pourquoi les dames disent-elles, et se laissent-elles dire avec tant de complaisance, qu’elles sont nerveuses à l’excès ? Pourquoi est-il des jeunes femmes qui couvrent de baisers et de caresses les jeunes garçons devant les jeunes hommes, qui souhaiteraient se trouver à pareille fête ? Cette femme a un joli profil : vous ne la verrez jamais de face. A-t-elle de beaux cheveux ? ils se dénoueront vingt fois le jour. A-t-elle de jolis pieds ? Ils se croiseront et décroiseront sans cesse. A-t-elle de jolies mains ? sa coiffure ne sera jamais tranquille. A-t-elle de belles dents ? elle rira toujours. Une femme ne perd pas un de ses avantages. Tactiques.
UNE femme, eût-elle vingt adorateurs, si vous ne lui rendez pas foi et hommage, c’est sur vous qu’elle va dresser ses batteries. - Mon cher ami, je me ferais un véritable plaisir de vous recevoir, mais ma femme vous déteste. - Grande présomption pour que l’ami soit adoré. Le côté le plus drôle de la tactique féminine, est de faire faire à leurs maris ce qu’elles veulent, en ayant l’air de se laisser violenter pour cela même qu’elles ont le plus vif désir de voir se réaliser. Les femmes ont mille chemins couverts pour atteindre au même but, et les maris n’y voient goutte. Mais ce qu’il y a de consolant pour ces derniers, c’est qu’il est beaucoup de femmes avec lesquelles les adorateurs ne sont pas mieux traités qu’eux-mêmes. Le nec plus ultra de l’adresse chez la femme, consiste, par une manoeuvre hardie, mais qui manque rarement son coup, à confesser quatre-vingt-dix-neuf pour sauver cent. Une cachotterie compromet, une démarche faite coram populo ébranle d’abord, fait chuchoter ; mais in petto on finit par se répartir : « ce serait trop audacieux, » et le couple amoureux reste maître du champ de bataille ; c’est-à-dire qu’il a déjoué la malignité publique, qui toujours dit beaucoup plus vrai qu’elle ne pense. J’ai lu, dans je ne sais plus quel livre arabe, le petit conte suivant : « Un beau janissaire fort amoureux avait convoité une des femmes de son père. Mahomet, pour le punir, lui fit voir cette odalisque, et voici comment. Le janissaire (c’était l’été) l’aperçut au fond de son jardin, tandis que lui-même fumait son narguilhé sur les rives du Bosphore. Aussitôt il se lève tout transporté, mais le grand prophète lui riva sous la plante des pieds une tringle d’or assez longue pour aller s’attacher par l’autre extrémité aux babouches de la belle odalisque, de sorte qu’à mesure qu’il avançait, elle reculait, et à mesure qu’il reculait, elle accourait à lui. » En France, les femmes n’ont pas besoin de tringle d’or pour manoeuvrer absolument de la même manière avec leurs soupirants. C’est quand il s’agit d’intrigues amoureuses bien et dûment consenties, que le génie des femmes déploie ses inépuisables ressources. Je n’en finirais pas si j’entreprenais d’énumérer un à un tous les ressorts qu’elles savent si bien mettre en jeu pour concilier la forme avec le fond, les exigences de la société avec les incoërcibles irruptions du coeur. Toute la puissance de la femme gît dans son instinct, et son instinct c’est l’amour. Or, savez-vous ce que c’est qu’un instinct ? c’est quelque chose d’inné, d’indestructible et d’indéclinable ; c’est une loi comme celle qui régit les mondes, et qui fait tomber les fruits de la cime des arbres. Il n’y a point de digues pour les fleuves ; Point de prison pour le salpêtre ; Point d’obstacles pour la plus faible semence ; Les fleuves débordent, le salpêtre détonne, la graine rompt la pierre, et la femme se joue, comme Gulliver, des entraves lilliputiennes, de tous les liens à l’aide desquels on essaie en vain de la tenir en laisse. Manières dont on prend les Femmes.
DE cinq manières Par sentiment Par gloire ; Par vanité ; Par intérêt ; Par surprise. Par sentiment.
UN homme qui, pour prendre une femme, joue des sentiments qu’il n’a point est infâme. Par gloire.
QUI oserait blâmer une femme d’envier celle qui inspira ces beaux vers de Lamartine :
Oui, l’Anio murmure encore
Le doux nom de Cinthie aux rochers de Tibur Vaucluse a retenu le nom chéri de Laure ; Et Ferrare au siècle futur Murmurera toujours celui d’Éléonore. Je le dis, parce que c’est ma conviction, un sourire de femme est à la fois le stimulant le plus énergique et le suffrage le plus cher auxquels puisse aspirer l’homme de génie. L’approbation de ses concitoyens, les éloges guindés des puissants du jour, tout cela est un vain son qui frappe l’oreille et qui meurt aussitôt. Mais une femme aux pieds de laquelle vous allez déposer vos couronnes, mais une femme dont la bouche, en vous touchant le front, l’agrandit et le dilate, voilà la palme inappréciable, celle dont les délices vous retentissent dans le coeur longtemps, longtemps encore, et qui s’y réveilleront toutes les fois que ses lèvres renouvelleront leur délicieux contact. Femmes qui aimez par gloire, soyez bénies ! vous êtes de moitié dans les oeuvres qu’ils enfantent, ceux qui ont mérité vos tendresses ; et la postérité vous en tiendra compte.
Par vanité.
JE ne plains pas les femmes qui se laissent prendre par ce ridicule sentiment ; je les méprise. Et cependant combien se livrent à leur amant qu’elles aiment avec sobriété. Parce qu’il est ministre ; Parce qu’il roule équipage ; Parce qu’il se cravate bien ; Parce qu’il est couru ; Parce qu’il chante comme chante Duprez ; Parce qu’il a remporté le prix de Jokei Club ; Parce qu’il a eu pour maîtresse une actrice en renom ; Parce qu’il peut les mener au bal de la cour ? Anecdote.
UN jeune seigneur, qui voulait être aimé pour lui-même, s’ingéra de se déguiser en jardinier afin de voir incognito la dame de ses pensées, et gagner ainsi ses bonnes grâces. Il arriva précisément que la place d’horticulteur était vacante ; il se mit sur les rangs, et l’obtint. Longtemps il se confondit en oeillades sans qu’on s’en apercût, ce qui l’étonna fort, parce qu’il était très-joli garçon ; enfin, un jour qu’il osa pousser des soupirs un peu trop patents, deux valets le prirent par les deux épaules et le mirent à la porte en lui rondinant les omoplates d’importance. Désagréablement désappointé, il fit ses condoléances à un de ses amis, qui lui conseilla de s’introduire chez son inhumaine à l’aide d’un moyen quelconque, mais de s’y présenter avec l’apparat d’un grand seigneur. - Avant peu, ajouta-t-il, je te réponds de la réussite. - Ce qui advint. Des aventuriers de bas étage ont employé le dernier moyen de notre jeune seigneur, et ont fait des conquêtes dont s’enorgueilliraient des princes de sang.
Par intérêt.
C’EST déjà trop du titre, souffrez que je m’y tienne. Par surprise.
QUE de femmes succombent, qui la minute d’avant, se croyaient encore inexpugnables ! Un homme qui prend une femme d’assaut, manque de générosité et de noblesse. Oui, mais c’est qu’aussi bien souvent dans l’esprit des femmes généreux est synonyme de niais. Manière dont les Femmes se font prendre.
TELLE femme qui vous aime avec délire et qui a perdu toute espérance de salut, vous dira, si elle est douée d’une âme forte : Je suis à vous. Telle autre peindra, avec des couleurs dignes du prophète Ézéchiel, l’énormité de l’abomination que vous voulez lui faire commettre, tout en vous résistant d’une façon à peu près négative. Celle-ci se voue à tous les saints, et laisse échapper en se pâmant le nom de son légitime. Celle-là ne dit rien, et c’est ce qu’elle avait de mieux à faire. Une cinquième, qui vous provoque par sa contenance, vous apostrophe des épithètes les plus véhémentes, et menace de faire intervenir la maréchaussée tout entière. Une femme qui se livre de cette façon, ressemble à une ville prise d’assaut, qui, par respect humain, aspire à se donner les airs d’une résistance désespérée, et, tout en battant en retraite, vous abandonne une à une ses citadelles croulantes.
Bizarrerie.
JULIE a dans son coeur l’idole d’un premier amour dont elle entretient successivement tous les amants auxquels elle se donne. - Il semblerait qu’elle soit double. Elle a une âme qui reste, et restera toujours la propriété d’un seul ; un corps, domaine aliénable, sur lequel chacun peut prélever la dîme.
Les Femmes sont ce que les font leurs amants.
AGLAÉ s’évanouissait aux moindres odeurs, poussait des cris lamentables au moindre cahot de sa voiture. - Il lui vient un amant qui boit, fume et galope. Elle s’apprivoise avec le rhum, le tabac et les chevaux ; un tilbury ne fend jamais l’air assez vite. - On a vu Caroline raffoler successivement : Des vers, De la musique, De la peinture, De la statuaire. Et des sermons. C’est une énigme qui n’est pas difficile à deviner. - Une femme qui sent à ses côtés celui qu’elle aime, peut tout affronter, tout ! jusqu’à la mort ! Effets de la possession.
Accidents hyménéens
démontrés par la statistique.
IL y a environ 45 millions de Français ; sur ces 45 millions, on peut bien mettre un cinquième de jeunes gens nubiles, ce qui fait neuf millions. Nul n’a la prétention, sans doute, de dire que ces jeunes gens arrivent dans les bras de leur fiancée, purs, je ne veux pas dire de tout contact féminin, je spécifie, de tout contact adultère. Or, pour un civet, il faut un lièvre ; pour un adultère, il faut une femme mariée. Sur ce, je vous lance mes neuf millions de jeunes gens, et sauve qui peut ! Une objection.
ET vous prétendez avoir bonne opinion des femmes ? - Je ne prétends rien, sinon que Dieu a créé Les ruisseaux pour couler, Les soleils pour luire, La vigne pour grimper, Les raisins pour mûrir, Et les femmes pour aimer. Or, Comme je ne trouve pas mauvais Que les ruisseaux coulent, Que les soleils luisent, Que la vigne grimpe, Et que les raisins mûrissent, Je suis conséquent avec moi-même à l’égard de la femme. - Diable ! C’est logique.
IX.
CONDITION DE LA FEMME CHEZ LES ANCIENS. SI nous ouvrons la Bible, nous verrons la femme très-humble servante de son époux, partager sa couche avec des concubines, s’incliner devant lui craintive et soumise, et ne jamais l’appeler autrement que son Seigneur et Maître. Chez les Grecs, la femme, retirée dans son intérieur, passait sa vie au milieu de ses esclaves assises autour d’elle, filant leur quenouille et tissant la toile, tandis qu’elle-même brodait de la tapisserie en faisant l’éducation de ses enfants. Les Grecs, passés maîtres en fait de jouissances, savaient trop bien quel charme répand sur la vie le commerce des femmes, pour ne pas mettre à profit les délices de leurs entretiens spirituels et légers, ainsi que la douceur enivrante de leurs caresses. Afin de concilier ces deux choses, la paix, le bon ordre de la famille, et les jouissances que la femme devait leur offrir, ils prirent, selon moi, le parti le plus sage. Laissant leurs épouses s’ensevelir dans les soins du ménage, ils se créèrent des lieux de réunion et de plaisir chez des femmes, dont le nom alors n’avait rien d’ignominieux. Les Courtisanes répondaient à nos grandes comédiennes d’autrefois. Soignées dans leur éducation, élégantes et spirituelles, elles tenaient le sceptre de la grâce, de la beauté, et souvent même celui de la république. Aspasie dictait ses décrets au peuple athénien par la bouche de Périclès. C’était aux pieds de ces femmes, dont l’esprit donnait l’impulsion au siècle, que les grand poëtes et les triomphateurs venaient déposer leurs couronnes. Les Romains, vainqueurs des Grecs, en adoptèrent les coutumes. Ils entouraient leurs épouses d’une telle auréole de respect, que sur le théâtre on ne pouvait représenter de personnages de femmes autres que des courtisanes. Mais celles-ci devinrent prostituées aussitôt que, par le relâchement des moeurs, elles trouvèrent dans les grandes dames romaines des rivales, qui ne rougirent pas de lutter avec elles de débauche et de dépravation. Enfin, le christianisme, soleil d’amour et de liberté, luit sur le monde, et les fers des esclaves se brisent, et la femme, participant à cet affranchissement général, conquiert aussi son émancipation. Nous verrons si elle en devint plus heureuse.
Condition de la Femme en Orient.
LA première fois que je jetai l’ancre dans les eaux du Bosphore, il est deux choses que je contemplai avec une égale surprise, les minarets qui pointaient vers le ciel, et les femmes voilées de blanc, accroupies dans le fond des kaïques. Tous les Européens éprouvent un sentiment de curiosité indicible, et de compassion à la fois, en voyant ces misérables créatures qui vont à la remorque du maître, comme une meute à la suite du chasseur. Leur vie est une vie d’ignorance, d’oisiveté, et de passivité servile. Tantôt couchées sur leurs divans, derrière les grillages du harem ; tantôt entassées l’une sur l’autre au fond des arabas dorés ; tantôt, les plus pauvres, traînant nonchalamment leurs bottines jaunes sur les cailloux inégaux des rues montueuses de Stamboul ou de Topana ; elles ont toujours l’air à peu près aussi morne et aussi ennuyé. Voici la vie qu’elles mènent : Quand la saison ne leur permet pas d’aller s’asseoir sur les rives fleuries et ombragées des eaux douces d’Europe ou d’Asie ; quand la tempête qui soulève les vagues du Bosphore les empêche de le sillonner en tous sens, elles demeurent cloîtrées au logis, et là, triste récréation, passent leur temps à manger, se parer ou médire. J’ai voyagé sur la mer Noire avec un capitaine autrichien, qui, ami assez intime du pacha de Sinope, avait obtenu de lui la grâce spéciale de l’accompagner un soir au milieu de ses jeunes esclaves. Elles n’avaient plus ce grand voile qui leur couvre la tête, le front et la bouche ; non plus que leur large manteau qui dérobe toutes leurs formes. Elles avaient sur la tête un madras étincelant de diamants ; leur buste, vierge des absurdes pressions du corset, faisait saillir avec grâce et souplesse toutes ses formes sous une sorte de justaucorps de velours cramoisi. Un cachemire leur ceignait les reins, et un immense pantalon, noué au-dessus de la cheville, laissait flotter ses larges plis sur leurs jambes. Quant à leurs pieds, ils étaient mignonnement enfermés dans de délicieuses babouches de velours rose, brodé d’or et de perles fines. Elles étaient quatre. A un signe du maître, elles se mirent à danser aux sons d’une musique assez sauvage et monotone, dont les accords vibraient sourdement sur les cordes d’une petite mandoline. Et, pendant qu’elles nouaient et dénouaient leurs choeurs de danse, ces Messieurs, ô Mahomet ! buvaient du genièvre, et elles venaient tour à tour agacer l’impassible pacha, tantôt lui caressant la barbe, tantôt lui portant à la bouche un quartier de noix ou d’orange qu’elles tenaient à leurs lèvres. Et quand le pacha en eut assez, il choisit celle qui avait eu le talent de l’enflammer davantage. Le tableau que je viens de tracer, sans doute, n’est pas fait pour tenter nos indépendantes des bords de la Seine ; et cependant. Cependant pour ces femmes qui n’ont pas idée d’une autre façon de vivre, ce genre d’existence a ses délices. Etrangères à toute chose, au commerce, aux tracas d’ambition et aux autres soucis d’intérieur, elles se bercent et s’assoupissent dans ce far niente oriental, qui a un caractère tout particulier de béatitude extatique.
Condition de la Femme en France.
EN fait de liberté, les Françaises n’ont pas leurs pareilles. Jeunes filles, elles sont parfaitement libres d’aller se cloîtrer dans le pensionnat d’un couvent, jusqu’à leur dix-huitième printemps. Libres d’aller à la messe et à la promenade escortées de leur femme de chambre, qui ne les quitte pas plus que leur ombre. Et enfin un beau jour, libres d’épouser le premier magot titré ou doré, auquel leurs père et mère trouveront très-raisonnable de les accoupler. Après leur doux hyménée, elles sont, plus que jamais, libres de suivre un mari maussade, quelquefois même brutal, en Cochinchine, si bon lui semble. Libres de lui apporter en sus de leur personne une dot assez rondelette, dont elles seront libres également de ne disposer d’aucune sorte, dans le cas même où leur mari ne leur eût apporté que des dettes en échange. Libres, quand elles ont l’effronterie de se soustraire à ce joug plein de charmes, de suivre deux gendarmes qui s’empressent de leur tenir compagnie jusqu’au domicile dit conjugal, où elles retrouvent leurs charmants époux. En un mot, les Françaises ont une liberté tellement exorbitante, que c’en est effrayant !
X.
REMARQUES ET OBSERVATIONS DIVERSES. QUAND une femme monte un escalier, ce n’est pas de la même façon devant un homme jeune qui lui plaît, que devant un vieillard. Elle traîne de l’aile. - Sophie baisse les yeux ; revêche à tout venant, elle n’entend pas qu’il se prononce devant elle la moindre équivoque. - Place prise. - Certaines femmes, qui brûlent de faire l’amour, mais qui n’osent, se consolent de leur long jeûne, en médisant de ceux qu’elles voient assis au banquet de Cythère. - Le plus beau fleuron de la couronne de la femme, c’est le dévouement ; chez elle, il ne connaît ni obstacles ni limites. - Une femme veut dans son amant une supériorité quelconque. - La femme de la balle que l’on bat, celle du poing. - La femme honnête que l’on subjugue, celle de l’audace. La femme supérieure que l’on charme par ses productions, celle de l’intelligence. - La femme veut un appui dans celui qu’elle aime ; les poltrons ne lui inspirent que dégoût et mépris. - L’éducation, en surexcitant la sensibilité des femmes, ne les prédisposerait-elle pas à l’amour ? - Les modernes veulent dans leur femme tous les genres de jouissances, esprit, talent, vertus, écorce brillante et coeur solide ; c’est trop de moitié : à l’exemple des anciens et pour leur repos, ils devaient opter entre la mère de famille et la courtisane. J’ai connu un campagnard qui se plaignait vivement de ce que ce même soleil qui faisait mûrir son champ de blé, faisait dessécher ses étangs et mourir ses poissons. - Le liège n’a pas plus tendance à surnager au-dessus de l’eau, que la femme au-dessus de son rang. - L’homme du peuple reste homme du peuple ; d’une grisette vous feriez presque une grande dame. - Les meilleurs instituteurs des jeunes gens sont les femmes ; elles les dressent sans qu’ils s’en doutent ou s‘en fâchent ; c’est presque une faveur. - La réflexion ne manque jamais de venir aux femmes… après l’action. - Aucunes faveurs ne lient les femmes…. que la dernière. - Hier, vous avez embrassé Amélie ; aujourd’hui, vous sentez que vous pourriez à peine lui toucher le bout du doigt. Ne vous désolez pas :
C’est l’aiguille qui tourne autour de son cadran,
Et deux fois dans un jour revient au même cran. - Toute femme qui a débuté dans la carrière amoureuse, la parcourra tout entière, mais ce sera comme ces navettes qui avancent de trois pas et reculent de deux. - Beaucoup de femmes se sauvent en lassant leurs adorateurs : un peu plus de patience, elles tombaient. - Les femmes, dans le tête-à-tête, vous lancent parfois des objections fort embarrassantes : - taisez-vous. Rien n’est mobile comme l’esprit des femmes ; les combattre, c’est y fixer ce qui l’instant d’après devait en sortir. - Si chez les femmes, le coeur était toujours d’accord avec la tête, les célibataires mourraient de faim ; ce qui est sans exemple. - Je plains celle qui, dans son amant, ne trouve pas de quoi relever sa défaite. - Les mille contradictions que l’on remarque dans les femmes ne sont qu’apparentes, c’est nous qui les mettons sans cesse en contradiction avec leur nature. - Qu’y a-t-il de plus estimable d’une jeune fille qui se vent par-devant M. l’adjoint à un vieux podagre, ou d’une jeune femme - riche qui se donne à son amant - pauvre ? - Que de mariages sont un viol périodique ! XI.
OU L’AUTEUR REDEVIENT LUI-MÊME. OBLIGÉ par la nature des productions frivoles dans le cadre desquelles rentre cette physiologie, obligé, dis-je, d’amuser le lecteur par des fusées plus ou moins récréatives, jusqu’à cette heure j’ai joué le rôle de Triboulet, souffrez maintenant, je vous prie, que, pour ma satisfaction personnelle, j’en prenne un plus conforme à mes idées, à mes sentiments, dût ce dernier mot vous faire rire. J’envie peu, pour mon compte, le scepticisme goguenard de ces jeunes gens qui mettent toutes les femmes au niveau des faciles maîtresses avec lesquelles ils ont à jamais usé la primeur de leurs sensations. Je les plains, car c’est une ravissante chose de puiser dans un autre soi-même, son bonheur, son appui, sa consolation. Maudits ceux qui blasphèment contre la femme !! Car sa mission est belle sur la terre ; Jeune fille, elle nous élève par la candeur de son front, la pureté de son regard. Jeune femme, elle nous prodigue ses trésors d’amour et de volupté. Mère, elle nous immole la jeunesse de sa vie, et jusqu’à l’éclat de cette beauté dont pourtant elle était si vaine et si fière. XII.
PARALLÈLE DE L’HOMME ET DE LA FEMME. LES Catherine, les Elisabeth, les Thérèse, ont tenu les rênes de leur gouvernement d’une main tout aussi ferme que les Charlemagne, le Philippe-Auguste et Les Louis le Grand. On a vu des diplomates femelles qui rivalisaient et au-delà avec leurs collègues à moustaches. Madame la marquise du Châtelet a suivi Newton dans la profondeur de ses calculs ; Madame Dacier a su reproduire les mâles et sublimes beautés d’Homère. George Sand, qui n’en craint pas un pour le fuseau de la Havane, conserva longtemps le droit d’en dire autant pour la plume. Si de l’intelligence nous redescendons à l’esprit, il ne sera pas difficile de démontrer que nous autres hommes devons, la plupart du temps, baisser pavillon devant la sagacité et la pénétration féminines. Un homme regarde, une femme voit. Un homme cherche encore ce que la femme a trouvé d’emblée. Les femmes procèdent par sensation, les hommes par réflexion. - Or, entre ces deux manières il y a la différence d’un limonnier à un cheval de course : l’un se traîne, l’autre vole. En amour, dit Labruyère, les femmes vont plus loin que la plupart des hommes ; mais les hommes l’emportent sur elles en amitié. Les femmes entre elles, n’en parlons plus. Mais la femme a été faite pour l’homme, et, sous ce rapport, c’est la créature la plus harmonique et la mieux combinée qui pouvait sortir des mains de Dieu. Pour ce qui est du tempérament, permettez-moi de finir par cette simple question : Y a-t-il beaucoup d’hommes qui, à la vue de toutes les jolies femmes, n’éprouvent pas ce que Brillat-Savarin appelle un mouvement génésique ? Y en a-t-il beaucoup qui ne se sentent pas très-dispos à mesurer leurs charmes d’un peu près ? Or, ici je trouve une différence immense entre la masse des hommes et une certaine classe de femmes assez nombreuse. En elles existe un sentiment d’exquise délicatesse qui les laisse indifférentes et glacées auprès de tous les hommes, hormis celui qu’elles aiment.
Un Dernier Mot.
LE lecteur qui s’attendait à trouver dans cette physiologie une joyeuse série d’épigrammes contre le beau sexe, me saura peut-être mauvais gré de mon candide enthousiasme ; il s’amenderait sans doute, s’il daignait réfléchir que nous autres hommes, qui jouons sans cesse à l’égard de la femme le rôle de Belzébuth ; nous avons assez mauvaise grâce à venir ensuite les railler pour des fautes dont nous sommes les premiers instigateurs, et, qu’il en convienne ! les trop fortunés complices… NOTE : (1) Par une singularité dont il est, du reste, facile de se rendre compte, dans le Nord les femmes de la classe opulente se développant, dès le berceau, au milieu d’appartements qui sont pour elles de véritables serres chaudes, y prennent physiquement la constitution des femmes nées sous un ciel élyséen. |