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E. de Grouchy : Fragments historiques relatifs à la campagne de 1815 et à la bataille de Waterloo (1829)
GROUCHY, Emmanuel de (1766-1847) : Fragments historiques relatifs à la campagne de 1815 et à la bataille de Waterloo. De l'influence que peuvent avoir sur l'opinion les documents publiés par M. le Comte Gérard.- Paris : Chez Firmin Didot frères, 1829.-66 p.-[1] f. de pl. ; 21,5 cm.
Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (02.III.2016)
[Ces textes n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contiennent immanquablement des fautes non corrigées].
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : R 113 br) 

Fragments historiques relatifs à la campagne de 1815 et à la bataille de Waterloo (1829)

FRAGMENTS HISTORIQUES
RELATIFS
A LA CAMPAGNE DE 1815,
ET A LA BATAILLE DE WATERLOO,

PAR LE GÉNÉRAL GROUCHY.
---------
DE L'INFLUENCE QUE PEUVENT AVOIR
SUR L'OPINION LES DOCUMENTS PUBLIÉS
PAR M. LE COMTE GÉRARD.


Nous ne voulons point répondre
des accusations sans fondements,
même par des accusations fondées.
BENJAMIN CONSTANT.



PARIS
CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, LIBRAIRES
RUE. JACOB, N° 24.
DELAUNAY, au Palais -Royal.
20 DECEMBRE 1829.



AVANT-PROPOS.

M. le Cte Gérard, dans une lettre écrite à mon fils, le 1 4 janvier 1820, à l'occasion de ma Réfutation d'un ouvrage du général Gourgaud (1), s'exprime en ces termes : « Vous annoncez que M. le Cte de Grouchy à son arrivée en France doit faire paraître des mémoires plus détaillés : s'il persiste à y faire figurer les assertions erronées qu'il a publiées dans son premier ouvrage, sur le 4me corps et son chef, malgré le peu de goût que j'ai à entretenir le public de moi, je prends l'engagement de les détruire sans réplique. »

Avant que j'aie rien publié, sans savoir ce que je publierai, et si, en repoussant des inculpations imméritées je me plaindrai du 4me corps et de son chef, M. le Cte Gérard prend l'initiative d'une discussion à laquelle notre confraternité d'armes me fait éprouver un extrême regret de devoir me livrer.


TABLEAU

Des distances nécessaires à connaître, en lisant les Fragments historiques qui suivent. Les mesures ont été prises sur la plus exacte des cartes de la Belgique, celle de Ferrari, réimprimée par Capitaine : on la trouve chez Piquet, quai de la Monnaie.

Pour avoir le nombre de toises ou de lieues que les troupes ont parcourues, ou auraient eu à parcourir, on doit ajouter, à la mesure en ligne droite, un quart en sus, à raison des sinuosités des chemins de traverse, et des inégalités de terrain. Tel est le mode généralement adopté pour connaître la longueur de cette sorte de chemins.

Tableau des distances nécessaires à connaître, en lisant les Fragments historiques qui suivent.


DE L'INFLUENCE QUE PEUVENT AVOIR SUR L'OPINION
LES DOCUMENTS RELATIFS A LA BATAILLE DE WATERLOO,
PUBLIÉS PAR M. LE COMTE GÉRARD.


C'est avec surprise que j'ai appris dans mon département, qu'à la simple annonce de la réfutation d'une note annexée au dernier poème de MM. Méry et Barthélémy, et sans savoir celles des assertions qu'elle renferme je me proposais de démentir, M. le comte Gérard n'ait pas perdu un instant à faire paraître des documents sur la bataille de Waterloo. Cet empressement me portait à croire qu'étant parvenu à recueillir des renseignements importants et inédits, il allait éclairer, d'un jour nouveau, le plus grand de nos désastres militaires, et celui auquel les intérêts particuliers, la position sociale et les antécédents des écrivains qui l'ont retracé ont fait assigner des causes plus diverses. Les talents et les faits d'armes de M. le comte Gérard, que l'Empereur regardait comme une des espérances de la France (2), lui assignant une place parmi les notabilités du jour, je me persuadais qu'il réfuterait d'une manière puissante et lumineuse les opinions que dans mes Observations sur la relation de la campagne de 1815, par M. le général Gourgaud, j'ai émises relativement à des mouvements stratégiques et à des dispositions militaires sur lesquels l'opinion flotte incertaine encore du jugement qu'elle doit en porter.

En lisant, à mon retour à Paris, la brochure de M. le comte Gérard, mon attente a été trompée !... Qu'apprend-elle au public qu'il ne sût déjà, ou qui se rattache essentiellement aux causes réelles de la perte de la bataille de Waterloo ?

Est-ce l'erreur commise il y a dix ans, pendant mon séjour aux Etats-Unis, quant au lieu et à l'heure où M. le comte Gérard me donna le conseil de me porter au bruit du canon qui se tirait à plus de six lieues du point où j'étais (3) ? Peu de mois après, je l'ai réparée dans un ouvrage publié à Philadelphie en 1820, et ayant pour titre : Doutes sur l'authenticité des Mémoires attribués à Napoléon. Mon fils en a fait de même dans les journaux français de cette époque (4).

Jugera-t-on attentatoire à l'honneur de tout un corps, la remarque de quelque mollesse dans l’attaque infructueuse d'un poste par une faible portion des troupes de ce corps ? Et le général en chef qui se précipite à bas de son cheval pour diriger lui-même de nouvelles troupes contre ce poste, n'a-t-il pas à l'instant donné la mesure de son intime conviction qu'il était possible d'agir avec plus de vigueur et de succès ?

Enfin, de quel intérêt majeur peut-il être, pour le public, qu'à tort ou non, je me sois plaint de lenteur dans les mouvements de quelques troupes, d'irrégularités dans leur marche, et de négligence dans des détails de service ?

Sans doute que si j'eusse placé de tels faits au nombre des principaux mobiles de nos désastres, et qu'elle eût pu approcher de moi la pensée de flétrir les lauriers qu'aux champs de Fleurus le 4me corps avait, si abondamment cueillis, j'applaudirais aux motifs qui ont mis la plume à la main de M. le comte Gérard. Je reconnaîtrais mon impéritie, et qu'elle a été exagérée l'expression du blâme qui a donné lieu à de telles inductions. Cet aveu ne pourrait me coûter, puisqu'il me donnerait des titres à l'estime générale. Mais loin d'avoir à le faire, il me semble permis de croire que les documents publiés par M. le comte Gérard ne sont propres qu'à établir une polémique oiseuse , quant au fond de la question, et à répandre de douteuses lumières sur des faits d'un intérêt minime, auxquels on cherche à attacher quelque éclat en faisant intervenir dans leur discussion, comme partie lésée, un corps d'armée et des officiers -généraux , auxquels une longue confraternité d'armes et mes sentiments particuliers ne peuvent permettre d'imaginer que, dans l'intérêt d'une défense personnelle, bien faible si elle ne reposait que sur de si coupables bases, j'aie cherché à ternir l’éclat de leurs glorieux services…. Et comment en croiraient-ils capable celui qui, dans l'ouvrage qu'on incrimine aujourd'hui, a, le premier, relevé ces phrases accusatrices du général Gourgaud .... Plusieurs généraux n’étaient plus les mêmes hommes : ils avaient perdu cette énergie, et ce génie entreprenant qui les distinguait autrefois ; ils étaient devenus timides et circonspects dans toutes leurs opérations ; leur bravoure personnelle leur restait, mais le grand objet était, pour eux, de se compromettre le moins possible.

J'ajouterai à ces observations une investigation spéciale de celles des opinions et inculpations éparses dans la brochure de M. le comte Gérard qui doivent être réfutées (5). En m'y livrant, je consulterai moins l'ordre paginal, que le degré d'importance qu'elles peuvent avoir. Les détails dans lesquels j'aurai à entrer, et quelques répétitions inévitables, sont propres, je le sais, à fatiguer la patience ; mais les événements auxquels ma défense se rattache, et le sentiment d'intérêt qu'on accorde généralement à ceux placés dans la pénible nécessité de repousser les trais acérés d'une critique plus que sévère, détermineront, sans doute, à parcourir la totalité de cet écrit.

M. le comte Gérard essaie de disculper son corps du reproche de lenteur dans ses mouvements, en publiant les rapports de son chef d'état-major, du général commandant son avant-garde, et en invoquant les témoignages de ses subordonnés. Les dénégations et inculpations d'inférieurs suffisent-elles pour invalider les assertions d'un supérieur ?..  Ma conviction est si négative à cet égard, que quelque différentes qu'aient été nos positions respectives, je n'opposerai à M. le comte Gérard, ni les déclarations que le général, chef de mon état-major, m'a envoyées aux Etats-Unis, lorsqu'il me vit attaquer en France, ni les témoignages de nombre d'officiers sous mes ordres, infirmatifs de ceux qu'il produit (6). Il me fournit d'ailleurs lui-même les moyens de me défendre avec avantage. Les faits rapportés par ses propres officiers suffisent pour me disculper du reproche d'avoir été injuste envers son corps.

A la page 41 de ses documents, je lis : le 4me corps reçut vers midi et demi, le 17, l'ordre de se mettre en mouvement dans la direction de Gembloux. Même page, et quelques lignes plus bas : ce n'est que vers trois heures qu'il a commencé à marcher. A la page 9, le 17, les troupes du 4me corps ne sont entrées dans leurs bivouacs qu'à dix heures du soir. Ainsi le 4me corps a mis deux heures et demie à prendre les armes, et il a été depuis trois heures jusqu'à dix pour se rendre de Ligny, à Gembloux, qui en est à 6250 toises (7). Il lui a donc fallu dix heures et demie pour se mettre en mouvement, et parcourir un peu plus de trois lieues de poste.

Croit-on expliquer ce peu de célérité, en disant le général Hulot fut obligé d'attendre, pour se mettre en marche, que la gauche du général Vandamme eût déblayé ? Mais les 3me et 4me corps partaient de points différents, et assez éloignés, dans les plaines de Fleurus(8).Ils ne pouvaient donc se retarder en rien, jusqu'à leur arrivée à l'embranchement des routes de Namur et de Gembloux. Au-delà de cet embranchement, si je me fusse trouvé avec le 4me corps, je l'aurais fait doubler à côté de celui du général Vandamme ; jusqu'à hauteur du défilé au-dessus de Gembloux, le pays n'était ni assez coupé, ni assez difficile pour l'empêcher : l'artillerie, si elle encombrait le chemin, ne devait point arrêter, son arrivée en totalité n'étant nullement urgente : il ne s'agissait pas le 17 de se battre, mais de regagner les heures perdues pendant la matinée de ce jour.

La longueur du temps employé à traverser Gembloux ne se justifie point par la présence dans cette ville de quelques détachements que Je général Vandamme y aurait laissés pour aller aux distributions, ou par l'encombrement résultant des équipages du 3me corps. Quand on doit marcher rapidement, on cherche les moyens de vaincre de tels obstacles : ils étaient faciles à trouver, plusieurs chemins tournant la ville.

Le 18 juin, des lenteurs dans les mouvements, du décousu dans la marche, et quelques négligences dans le service, me frappèrent. Était-ce à tort ? On va encore en juger, par les pièces que produit le comte Gérard.

A la page 12 de ses Documents, et dans le rapport du colonel Simon Lorière, on lit : le 4e corps quitta sa position à sept heures du matin, et à la page 58, dans le rapport au général Hulot, le 18, vers sept heures du matin, je reçus l’ordre du général en chef (9) qui prescrivait à toutes les troupes du 4e corps de se mettre en marche à huit heures du matin. Auquel des deux rapports, du chef d'état-major, ou du général commandant l'avant-garde, faut-il s'en rapporter ? peu importe, sans doute. Mais mes ordres étant que le 4e corps fut en marche de très-grand matin, et qu'il eût quitté Gembloux à six heures, s'il n'en partait qu'à sept ou huit heures, il était en retard.

Quelques lignes plus bas, on voit dans le rapport du colonel Simon Lorière : le 4me corps fut obligé de faire halte en avant de Gembloux, pour laisser le temps au 3me corps de s'écouler. Il n’en eût pas été ainsi, s'il eût pris un autre des chemins qui conduisent de Gembloux à Sart-à-Valain, lieu de rendez-vous indiqué. Il s'en trouve plusieurs, car j'y suis arrivé par une route différente de celle suivie par le général Vandamme. Probablement on a négligé de s'informer s'il en existait. Quant à moi, il ne m'appartenait, ni comme maréchal, ni avec des officiers-généraux tels que les généraux Gérard et Vandamme, d'entrer dans tous les détails du mode d'exécution des marches ou des attaques que j'avais à faire faire. Croyant d'ailleurs m'apercevoir qu'il leur était pénible de servir sous mes ordres, je mettais une recherche particulière à leur laisser toute la latitude possible, et à leur montrer une déférence que légitimaient leurs talents et leur expérience.

Dans le même rapport du colonel Simon Lorière, on lit : à onze heures, le 3me corps (9) était entièrement réuni à Valain. Si on admet l'exactitude de cette assertion, et qu'on sache qu'à cinq heures et demie une partie de ce corps n'était point encore rendue à la Baraque, à deux lieues de Sart-à-Valain, tandis que le reste était depuis long -temps devant Wavres (10), on a droit d'en inférer non-seulement que ses divisions avaient marché d'une manière décousue, et à des distances autres que celles voulues entre les fractions d'un même corps d'armée, mais encore que l'une d'elles était fort en retard.

Lorsqu'à ce même petit village de la Barraque, l'ordre a été laissé à la division en arrière de se porter, en toute hâte, vers Saint-Lambert, et que cet ordre n'a pu être exécuté, faute de guide, et par l'impossibilité alléguée de s'en procurer, peut-être était-il permis de croire à quelque imprévoyance ou à quelque négligence de la part des officiers d'état-major, dont l'un des devoirs est d'être toujours en mesure d'exécuter les dispositions diverses qui peuvent être ordonnées. Attribuer cette imprévoyance à l'influence désorganisatrice produite par la désertion de quelques chefs, loin d'autoriser à me supposer des intentions hostiles, offre au contraire la preuve de mon désir de rejeter, autant que possible, sur des causes étrangères aux individus, le mécontentement que j'éprouvais.

Les paragraphes qui précèdent font voir que les mouvements et la marche des troupes, les 17 et 18, n'avaient pu me satisfaire. Il était difficile que je le dissimulasse dans un narré dont un des objets était d'expliquer des retards dont on me rendait responsable.

Le prix qu'on attache à établir l'authenticité et l'importance du conseil que M. le comte Gérard me donna à Sart-à-Valain, le 11 juin à onze heures et demie, de me porter au bruit du canon qui se tirait alors à plus de six lieues sur notre gauche (11), prix constaté par la publication de lettres et rapports qui lui assignent des développements ayant pour moi tout le mérite de la nouveauté, et l'erreur dans laquelle on serait, en croyant que les chances de la bataille de Waterloo eussent tourné en notre faveur, si cet avis, si vanté depuis, eût été suivi , rendent nécessaire de le faire apprécier à sa juste valeur. Je l'établirai, en faisant connaître l'intempestivité du mouvement proposé, à raison de l'heure où il eût été exécuté, et de la distance à parcourir pour arriver jusques à l'empereur ; en indiquant les inconvénients qu'il eût pu avoir, soit que je marchasse avec la totalité de mon corps, soit avec une de ses fractions ; et en rappelant le respect dû au principe d'obéissance passive, justement regardé comme un des plus sûrs gages de succès, et qui ne permet pas au commandant d'un corps détaché , porteur d'ordres spéciaux , de courir au bruit d'une canonnade, dont la cause probable lui a été assignée par son général en chef, au moment où il lui a donné une mission qui l'éloigne de lui.

A la page 8 de ses documents, M. le comte Gérard s'exprime en ces termes : Je n’ai point la présomption de dire que, dans le moment (lorsqu'il ouvrit l'avis de marcher au bruit du canon de Waterloo), je calculai les immenses résultats qu’aurait produits cette manœuvre, si, comme l'événement l’a prouvé, elle eût été exécutée.

L'événement a seulement prouvé que les corps prussiens qui agirent sur le flanc de l'armée de l'Empereur, lui ont arraché la victoire. Le calcul des immenses résultats de la manœuvre proposée est hypothétique, rien ne constatant que la marche de mon corps d'armée de Sart-à-Valain vers Waterloo eût assuré le gain de la bataille.

Avait-elle lieu à temps utile ? Pouvait-elle empêcher l'attaque des corps prussiens, en vue de l'armée française, sur les hauteurs de Saint-Lambert à une heure ? Le nombre de mes troupes était-il suffisant pour occuper la totalité de l'armée prussienne ? Je ne le pense pas.

A midi toute ma cavalerie avait dépassé de beaucoup Sart-à-Valain : le corps du général Vandamme était aussi au-delà. Ainsi le corps du général Gérard eût fait tête de colonne, et les autres troupes auraient eu une contre-marche, ou une marche de flanc à faire pour le rejoindre.

A quelle heure les troupes se seraient-ellesébranlées de Sart-à-Valain ? En admettant que ce pût être vers midi, combien fallait-il de temps pour joindre l'empereur ?

L'officier que je lui envoyai de Sart-à- Valain fut, au trot et au galop de son cheval, et en se dirigeant à travers champs par la ligne la plus directe, deux grandes heures et demie à se rendre près de lui (12).

Un corps d'armée d'infanterie eût certainement mis trois fois autant de temps à y arriver. A vol d'oiseau, il y a, de Sart-à-Valain à Mont-Saint-Jean, 12,100 toises : en y joignant un quart en sus, à raison des sinuosités des chemins de traverse que les troupes eussent été obligées de suivre, la distance à parcourir par elles était de 15,125 toises , ou plus de sept lieues et demie de poste. Ainsi il était impossible qu'elles fussent rendues à Mont-Saint-Jean avant huit heures du soir, époque à laquelle l'attaque de Blucher, sur le flanc droit de l'armée française, avait eu lieu, et le sort de la bataille décidé.

On sera d'autant plus convaincu de l'inévitable lenteur de la marche de Sart-à-Valain à Mont-Saint- Jean, que la nature du terrain et l'état des chemins les faisaient regarder comme très-difficiles pour l'artillerie, au général Ballus, commandant celle du général Gérard (13), et que les corps prussiens, partis à la pointe du jour de Wavres, n'étaient arrivés qu'à une heure après midi à hauteur de Saint-Lambert, qui n'est cependant qu'à deux lieues trois quarts de Wavres, distance qu'ils avaient mis
plus de neuf heures à parcourir, quoique marchant sur deux colonnes.

Ainsi l'inutilité du conseil de M. le général Gérard est démontrée par l'examen des distances, et du temps nécessaire pour les franchir.

Attiré vers Napoléon par la canonnade que j'entendais, je ne me fusse point dirigé vers Saint- Lambert. Si cependant, par l'effet de quelque inspiration, ou de renseignements positifs quant à la marche de Blucher, je m'étais porté sur ce point culminant, éloigné de six lieues de Sart-à-Valain (14), je n'y eusse certainement plus trouvé les deux corps prussiens qui y arrivaient dès une heure, et qui avaient constamment marché depuis. Si le troisième corps y eut été encore, un engagement aurait eu lieu, mais sans paralyser le mouvement de Blucher  que n'eût pas plus fait suspendre le canon tiré à Saint-Lambert que celui tiré à Wavres. D'ailleurs le 4me corps prussien, en position sur les hauteurs qui dominent cette ville, n'y serait pas demeuré oisif ; voyant rétrograder ma cavalerie et le corps du général Vandamme, il eût repassé la Dyle à leur suite, et les eût harcelés dans leur marche. Ou s'il se fût porté, par la rive gauche de la Dyle, au secours du corps attaqué à Saint-Lambert, j'eusse alors eu à combattre des forces presque doubles des miennes, et des succès eussent été disputés trop long-temps , pour qu'ils pussent avoir de l'influence sur l'issue des événements qui se passaient à Waterloo.

A la page 50 de ses documents, M. le  comte Gérard dit : qu’en émettant l'avis de passer la Dyle, sur le pont de Moutiers, pour marcher vers le canon de l'empereur, ce mouvement lui paraissait offrir le double but de lier nos opérations avec le corps de gauche, et de prendre à revers les positions de Pieuvres et de Bielge, ce qui nous aurait épargné le désagrément de les attaquer de front et sans succès. Il ajoute un peu plus bas : que ce mouvement était conforme aux principes de la stratégie et à des dispositions contenues dans la lettre du major-général, citée (par moi) pour prouver le contraire.

On peut, par l'effet d'une combinaison, ou d'une attaque, obtenir divers résultats. Mais je ne pense pas que la stratégie la plus habile offre les moyens d'atteindre en même temps, avec un seul corps, et par un seul mouvement, deux buts à plus de quatre lieues l'un de l'autre.

Si on marchait pour joindre l'empereur, on renonçait à attaquer les positions de Wavres et de Bielge.

Si après avoir passé la Dyle au pont de Moutiers, on se portait sur Bielge et Wavres, la jonction avec Napoléon n'avait pas lieu, et nos opérations n'étaient pas plus liées qu'elles ne l'ont été, quand j'ai fait attaquer l'ennemi par Limale.

J'ai déjà fait voir que la jonction eût eu lieu trop tard pour être efficace.

L'enlèvement des positions de Wavres et de Bielge, quelques heures plus tôt qu'elles ne le furent, ne prévenait pas davantage les désastres de Waterloo, et la censure de leur mode d'attaque est peu fondée. Elles ont été tournées par Limale pendant que le général Vandamme entretenait le combat devant Wavres ; elles l'eussent été plus tôt, si la totalité du corps du général Gérard avait été réunie à une heure moins tardive devant Wavres. (Une des divisions de ce corps n'était pas même arrivée à la Baraque à cinq heures du soir, fait qui infirme, en partie, l'assertion de M. le comte Gérard, que ses troupes ont été massées sur les plateaux qui dominent la Dyle, bien long-temps sans recevoir d'ordres.)

On n'est pas plus complètement en droit de dire que le mouvement qu'il conseillait aurait épargné le désagrément d'attaquer de front, et sans succès, les positions de Wavres et de Bielge.

L'attaque de Wavres et de Bielge après avoir enlevé la partie de la ville sur la droite de la Dyle devait être tentée. Quand sa difficulté a été reconnue insurmontable, et que tout le 4e corps a été réuni, la position a été tournée par Limale, la division Teste s'est emparée du village de Bielge, et les Prussiens ont été forcés de se retirer vers Bruxelles.

Le succès a donc couronné les opérations ordonnées.

Quant aux conséquences tirées par M. le comte Gérard de la lettre du major- général, datée de la ferme du Caillou, le 18 juin à dix heures du matin, il suffit de la lire avec quelque attention pour s'apercevoir de leur peu de justesse.

Le major-général m'écrit :

Monsieur le Maréchal,

« L'empereur a reçu votre dernier rapport daté de Gembloux : vous ne parlez à sa Majesté que de deux colonnes prussiennes qui ont passé à Sauvenières et Sart-à-Valain : cependant des rapports disent qu'une troisième colonne, qui était assez forte, a passé à Gery et Gentines, se dirigeant sur Wavres. L'empereur me charge de vous prévenir qu'en ce moment il va faire attaquer l'armée anglaise qui a pris position à Waterloo, près la forêt de Soignes. Ainsi, sa Majesté désire que vous dirigiez vos mouvements sur Wavres, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d'opérations, et lier les communications, en poussant devant vous tous les corps prussiens qui ont pris cette direction, et qui auraient pu s'arrêter à Wavres, où vous devez arriver le plus tôt possible. Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite, par quelques corps légers, afin d'observer leurs mouvements, et ramasser les traînards. Instruisez-moi immédiatement de vos dispositions, ainsi que des nouvelles que vous aurez sur les ennemis, et ne négligez pas de lier vos communications avec nous. L'empereur veut avoir très-souvent de vos nouvelles. »

LE DUC DE DALMATIE

Qu'y a-t-il de plus impératif que ces passages ? Dirigez vos mouvements sur Wavres, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d'opérations et lier les communications, poussant les corps prussiens qui ont pris cette direction, ou qui auraient pu s'arrêter à Wavres, où vous devez arriver le plus tôt possible.

Le sens de telles expressions ne peut être méconnu. L'objet principal, l'objet que l'empereur a le plus à cœur, est que mes mouvements soient dirigés sur Wavres, et que je me rapproche de lui. . . . que je pousse les colonnes prussiennes qui ont pris la direction de Wavres, que je sois rendu le plus tôt possible a Wavres.

L'objet secondaire est que je me mette en rapport d'opérations, et que je lie les communications.

Quel moyen ai-je à prendre pour remplir l'objet principal ?

On ne m'en laisse pas le choix, on me l'indique impérativement : marchez sur Wavres, et arrivez-y le plus tôt possible. En effet, à Wavres je ne me trouvais qu'à quatre lieues et demie de l'empereur, tandis qu'à Sart-à-Valain j'en étais à sept lieues et demie.

Ainsi l'ordre de me rapprocher a été exécuté, et son mode d'exécution, fidèlement suivi (15).

En lisant, page 13 et 25, les développements donnés aux conseils de M. le comte Gérard, on aura probablement remarqué qu'on lui fait ouvrir l'avis de marcher avec son seul corps, et la cavalerie du général Valin, au bruit du canon de l’empereur. Ce mouvement eût offert encore moins de chances favorables, que s'il eût été exécuté avec la totalité de mes troupes. Il compromettait celles demeurées à la poursuite des Prussiens ; car s'ils tenaient dans quelque bonne position, ainsi qu'ils le firent à Wavre , ou dans toute autre qui eût pu se rencontrer , elles étaient obligées de se déployer. Connaissant alors leur force, et ayant pour eux les chances de succès résultantes d'une grande supériorité numérique, ils n'eussent pas manqué de les attaquer. On peut d'autant moins en douter, que le 19 à la pointe du jour, époque à laquelle ils ignoraient encore l'issue de la bataille de Waterloo, ils prirent l'offensive, quoique je n'eusse point fait de détachement, et que tout mon corps fût réuni.

La colonne conduite par le général Gérard, eût pu aussi être dans une position difficile, si elle se fût trouvée en contact avec les corps prussiens en marche vers Mont-Saint-Jean depuis le lever du soleil.

Les règles de cette stratégie qu'on invoque, s'opposaient donc à ce que je me divisasse en deux colonnes.

A la page 10, on assigne comme caractéristique de mes observations sur la campagne de 1815, par le général Gourgaud : une confusion complète des lieux, des époques, et des distances. C'est quatre ans après les événements, et à dix-huit cents lieues de ma patrie, que j'ai réfuté le général Gourgaud ; j’étais alors dépourvu de cartes spéciales, de mes livres d'ordre, et de correspondance ; de tous les documents propres à rappeler à ma mémoire des détails et une conversation qui me frappèrent d'autant moins, que rien ne pouvait me faire présumer qu'ils serviraient un jour de base à des recherches accusatrices. N'en ayant conservé qu'un fugitif souvenir, j'ai pu commettre quelques erreurs. Elles disparaîtront de la nouvelle édition de ma Réfutation de l'ouvrage du général Gourgaud. Quant aux distances, j'étais autorisé à les croire exactes, puisqu'elles me furent indiquées à New-York, par le général Bernard, aide-de-camp de Napoléon en 1815, et depuis lors général -major au service des Etats-Unis. Au reste, il m'importe essentiellement qu'elles soient scrupuleusement vérifiées par ceux qui parcourront ces lignes, car les plus grossières erreurs à leur égard se rencontrent dans la plupart des publications relatives à la campagne de 1815 (16).

Aux pages 7 et 12, on cherche à établir que ma pensée dominante a été de faire croire que j'ai été instruit très-tard que l'empereur se battait à ma gauche. On en donne pour preuve que j'ai écrit que je m’étais porté, de ma personne, à l'extrémité du bois de Limelette, vers une heure, et que je ne doutai plus alors que le canon que l'on tirait ne fût celui de l'attaque de l'armée française. Rien de plus vrai que ce fait, et de moins juste que l'induction qu'on en tire. J'ai entendu, étant à Sart-à-Valain, une canonnade : elle a d'abord été sourde, et je l'ai prise pour celle d'un engagement d'avant-garde : elle a continué, et s'est renforcée : afin de la mieux juger, j'ai galopé jusques à l'extrémité du bois de Limelette, où j'en étais plus près qu'à Sart-à-Valain. C'est alors seulement que j'ai été convaincu qu'elle était celle d'une bataille rangée. Je l'aurais crue telle, dès midi, que je rien aurais pas moins marché sur Wavres, où l'intention de l'empereur, au moment où il allait livrer bataille, était que je me rendisse le plus promptement possible.

Il n'y eût eu que la complète certitude que Blucher en fût parti, pour opérer sa jonction avec Wellington, qui m'eût fait balancer dans ce que j'avais à faire. Mais à Sart-à-Valain, à midi, j'ignorais que trois des corps de l'armée prussienne eussent marché vers Ohain et Saint-Lambert, et que le 4e corps seul fût resté à Wavres. L'assertion de M. le colonel Simon Lorière (page 13), que, dès le point du jour on était informé de la marche de trois des corps prussiens, et qu’il n'y avait que le quatrième qui couvrît la retraite, est inexacte : car a moins d'avoir été mis dans le secret de son plan, par Blucher, il était impossible qu'on eût connaissance, au point du jour, à Gembloux, des mouvements qu'il faisait faire à Wavres, qui en est à six lieues.

Dans différents endroits de la brochure de M. le comte Gérard, et notamment à la page 47, on avance que mes troupes ont marché sur une seule colonne forte de trente ou trente-cinq mille hommes ; on blâme cette disposition, et on appuie sur la gravité des inconvénients qu’on prétend en être résultés. Les faits démentent cette inculpation ; et l'ordre dans lequel ont marché les troupes, est légitimé par les motifs qui l'ont fait adopter.

On ne peut dire que trente ou trente-cinq mille hommes (17) aient formé une seule colonne, quand la cavalerie légère du général Pajol de 1150 hommes, et la division d'infanterie du général Teste, de 4,160, suivirent, le 17 et une partie du 18, d'autres directions que les 3e et 4e corps, et lorsque les 2,390 dragons du général Excelmans ont toujours été à plusieurs lieues en avant de l'infanterie. Ils n'en ont donc pas retardé les mouvements. Eux-mêmes n'ont point formé une colonne, six de leurs escadrons ayant été dirigés, le 17, sur Sart-à-Walain, et trois vers Perwesse. Les 3e et 4e corps d'infanterie, dont la force ne s'élevait qu'à environ vingt mille hommes (18), ont marché massés : mais leur réunion était indiquée par la nature de l'opération dont j'étais chargé. Détaché à la poursuite des Prussiens pour les attaquer, dès que je les aurais joints, et devant présumer opérée leur jonction avec celui de leurs corps qui n'avait pas pris part à la bataille du 16, je devais être toujours à même d'aborder l'ennemi avec tous mes moyens. Je pouvais d'autant moins me départir d'une telle disposition, que Napoléon avait, en ma présence, fortement improuvé le maréchal Ney, pour ne l'avoir pas adoptée (19i). Le 1 7 au matin, il lui faisait écrire par le major-général : L’empereur a vu avec peine qu'hier vous n'étiez pas réunis ; les divisions ont agi isolément. Ainsi vous avez éprouvé des pertes. Si les corps des généraux d'Erlon et Reille avaient été ensemble, etc., etc.

Et plus bas : L'empereur espère et désire que vos sept divisions d'infanterie soient bien réunies et formées, et qu'ensemble elles n'occupent pas une lieue de terrain, pour les avoir bien dans votre main, et les employer au besoin (20). La manière de voir de l'empereur devait être respectée par son lieutenant.

La position du maréchal Ney différait peut-être de celle où je me trouvais, en ce qu’elleétait plus immédiatement offensive. Mais la mienne était destinée à le devenir. D'ailleurs la supériorité numérique des Prussiens (21) les mettait à même de m’attendre dans quelque position forte, et étudiée à l'avance, ou de se reporter, par Charleroy, sur la ligne d'opérations de l'armée française. Il fallait donc que j'eusse mes troupes réunies de manière à être en mesure d'agir en toute espèce de circonstance. Les ordres de l'empereur, et le rôle qu'il m'avait assigné dans le sanglant drame au dénoûment duquel ses dispositions rendaient impossible que je prisse part, m'en faisaient un devoir.

Je ferai en outre observer combien il était difficile de découvrir, à l'instant même où j'étais envoyé à leur poursuite, la direction de retraite prise par les Prussiens. Les reconnaissances de la cavalerie n'apprenaient rien qui précisât leurs mouvements. Réduit à interroger les habitants du pays quand on en pouvait rencontrer, à envoyer des officiers prendre des renseignements dans tous les villages, et n'ayant aucunes données propres à fixer mes idées, quelque tâtonnement eût été excusable. Et cependant y en a-t-il eu? Quand je quittai l'empereur, le 17 à une heure, il était incertain si ce serait vers Bruxelles, ou sur la Meuse, que j'aurais à me porter. Dans le doute, j'ai assigné pour point de réunion à mon infanterie, l'embranchement de la route de Namur et du chemin de Gembloux. Dès que j'ai su que celles des troupes ennemies qui s'étaient d'abord dirigées vers Namur, avaient quitté la grande route qui y conduit, et marchaient du côté de Perwèse, c'était à Gembloux qu'il convenait que je me portasse. Y ayant appris que quelques colonnes prussiennes avaient passé dans les environs de Sart-à-Valain, ce village devenait mon point de direction. Lorsque d'après divers renseignements, une partie de l'armée de Blucher devait s'être réunie à Wavres, et quoique d'autres rapports annonçassent qu'elle paraissait se concentrer dans les environs de Louvain, il n'y avait point à balancer, et c'était sur Wavres que j'avais à marcher, d'autant que si l'hypothèse de la concentration de l'ennemi dans les plaines de Louvain se vérifiait, par un changement de front à droite j'étais sur son flanc. L'intention de l'empereur, au moment où il attaquait les Anglais, étant que je me rendisse aussi rapidement que possible à Wavres, je devais prendre le chemin le plus court pour y arriver. C'est celui que j'ai suivi : il était le seul que je dusse suivre, ma cavalerie et le troisième corps s'y trouvant embarqués, et ayant dépassé depuis long-temps Sart-à-Valain. Les rappeler, quand l'ennemi que j'avais ordre de combattre était en vue, et me porter vers Wavres, en passant la Dyle au pont de Moutiers, était une manœuvre fausse et contre-indiquée, les chemins de Sart-à-Valain à Wavres, par la rive gauche de la Dyle, étant presque impraticable, et beaucoup plus longs, puisqu'ils décrivent l'arc d'un cercle dont la route que j'ai suivie est la corde (22).

Faire prendre la direction de Wavres par le pont de Moutiers au quatrième corps au moment où le troisième joignait l'arrière-garde ennemie et l'attaquait, pouvait avoir de graves inconvénients. Dans de telles circonstances, on ne sépare pas par une rivière deux corps d'armée qui doivent se soutenir au besoin. Enfin ce mouvement était intempestif, car on ne manœuvre point pour tourner une position, quand on ignore si l'ennemi la défendra ; et rien n'annonçait à Sart-à-Valain, à midi, que les Prussiens eussent l'intention de tenir à Wavres.

A la page 55, M. le comte Gérard s'étonne que j'aie revendiqué l’honneur d'avoir eu ses troupes sous mes ordres, le jour de la bataille de Fleurus, quoiqu'il soit constant que je ne leur ai prescrit aucunes dispositions.

Je n'ai rien revendiqué qui ne m'appartînt : les ordres de l'empereur rapportés à la fin de cet écrit, plaçaient sous mon commandement non-seulement M. le comte Gérard et son corps, mais toute la droite de l'armée. Il est très -vrai, je le sais, que le jour de la bataille de Fleurus, je n'ai prescrit aucunes dispositions au 4me corps. Occupé à diriger toutes les attaques contre l'aile gauche de l'armée prussienne (23), et à rejeter au loin celles des troupes ennemies qui arrivaient par la route de Namur, je ne pouvais m'occuper en même temps de ce qui se passait au village de Ligny. Je ne le devais d'ailleurs point : si M. le comte Gérard veut relire les ordres qu'il avait reçus du major-général (24), il y verra ces lignes : «  Je vous préviens que l'intention de S. M. est que vous preniez les ordres de M. le maréchal Grouchy, comme commandant d'aile » et plus bas : « Vous ne recevrez des ordres directs de l'empereur que quand S. M. sera présente. » — L'empereur était présent : il a donné directement ses ordres. — Ce n'était donc point à moi à le faire.

A la page 10 de ses documents, M. le comte Gérard essaie de faire croire que, le 18 juin, j’étais peu pressé d'agir.

Et quels pouvaient donc être les motifs de ce peu d'empressement ? Le poste élevé que j'occupais, les intérêts de ma gloire, ma position personnelle, et un constant dévouement à la cause que je servais, ne me commandaient-ils donc plus de tout faire pour en assurer le triomphe ? Ah ! qu'on blâme mes dispositions, qu'on m'accuse d'avoir mal interprété mes ordres, qu'on me taxe d'impéritie, je répondrai avec calme. . . . mais à de telles insinuations mon cœur ne peut que se soulever d'indignation. . . . l'opinion publique saura les apprécier ! les antécédents de toute ma vie lui en donnent la mesure.

Je n'étendrai pas davantage cette réfutation des assertions et opinions de M. le comte Gérard, me proposant de la rendre plus complète dans une publication dont je m'occupe. Il m'est pénible, sans doute, de me trouver en dissentiment avec un officier-général aussi distingué ; mais je me félicite cependant qu'en me forçant à faire connaître sur quelles bases ont reposé mes déterminations, le 17 et le 18 juin, il ait mis le public à même de remarquer combien, après les événements, et lorsque les développements des plans de vos ennemis ont révélé les mouvements stratégiques qui en ont assuré le succès, il est aisé de tracer, la carte à la main, les dispositions qui eussent pu paralyser leurs projets, et prévenir leurs fatales conséquences. Il est non moins facile, à des écrivains malveillants ou intéressés, d'en faire peser la responsabilité sur celui qu'elle doit le moins atteindre, en supposant des ordres qui ne lui ont point été donnés, ou en assignant une interprétation forcée à ceux qu'il a reçus ; en altérant le chiffre des troupes, et en ne tenant compte ni des distances, ni de l'état des chemins, ni des difficultés morales et physiques à vaincre. Une investigation scrupuleuse dissiperait le prestige trompeur d'illusions propres à égarer l'opinion ; mais peu de personnes ont la volonté ou le loisir de s'y livrer, et beaucoup sont portées à adopter de confiance tout ce qu'on croit émané d'une source long-temps révérée, et qui, dans son cours heureux, renversant tous les obstacles opposés à son immense développement, semblait devoir n'en jamais rencontrer d'insurmontables. Plus tard, sans doute, la main du temps eût fait tomber les voiles dont on couvre la vérité. Mais comment ne pas les déchirer quand d'injustes inculpations, si souvent répétées sans avoir été démenties, font planer sur les lieutenants de l'empereur un blâme immérité ? il ne repose que sur des assertions inexactes, des documents peu fidèles, et des ordres imaginaires. La publication des ordres réels, le rapprochement de leurs époques et du temps que les distances à parcourir rendaient nécessaire à leur exécution, en offrent l'irréfragable preuve. Le calme, la mesure, l'absence de toutes personnalités, et le respect dû au malheur, formeront les caractères distinctifs d'une défense qui repoussera victorieusement des attaques empreintes d'une déplorable partialité. Elles m'ont fait plus d'une fois désirer que les derniers actes de ma vie militaire devinssent l'objet d'un examen scrupuleux : il mettra à même de juger s'ils ont terni le peu de lustre acquis à une longue et honorable carrière.



NOTES :
(1) Voyez page 26 des Documents publiés par M. le comte Gérard.
(2) Voyez pag. 59 des Documents publiés par M. le comte Gérard.
(3) Voyez la carte de Ferrari. A vol d’oiseau, il y a 12,100 toises de Sart-à-Valain à Mont-Saint-Jean.
(4) Il y a, ce me semble, plus que de la partialité à relever avec autant de soin une erreur de peu d’importance, et ne pas remarquer que si elle est réelle, quant à la personne de M. le comte Gérard, elle n’a point été commise relativement à l'heure où les premières troupes de son corps m'ont rejoint devant Wavres. J'ajouterai que mes ordres, le contact où je me trouvais avec l’ennemi, et la distance qui me séparait de l'empereur, ne me permettant pas d'attacher une grande valeur à un conseil que je ne pouvais pas suivre, il n'y a rien de bien étonnant que je me sois trompé, quatre ans après, quant au lieu et à l'heure où il me fut donné.
(5) Elles se trouvent aux pages 7, 8, 9, 13, 14, 43, 46, 47, 43 [sic] et 50.
(6) Une lettre de l'un d'eux, et c'est la seule, fait partie des documents annexés à cet écrit. Il était nécessaire de la rapporter, pour faire connaître le temps qu'il a mis pour se rendre de Sart-à-Valain près de l'empereur.
(7) Consultez la carte de Ferrari, réimprimée par Capitaine.
(8) Ligny et Saint-Amand.
(9) M. le comte Gérard.
(9) Le colonel Simon Lorière a probablement voulu dire le quatrième.
(10) Il y a quatre lieues de poste, et 375 toises en sus, de Sart-à- Valain à Wavres.
(11) Consultez la carte de la Belgique, de Ferrari, réimprimée par Capitaine, et vous verrez qu'il y a, à vol d'oiseau, 12,100 toises, de Sart-à-Valain à Mont-Saint-Jean.
(12) Voyez la lettre de cet officier, annexée à la fin de cet écrit.
(13) Voyez, page 19 des Documents de M. le comte Gérard, l'assertion de M. l'intendant militaire Dennié.
(14) De Sart-à-Valain à Saint-Lambert, à vol d'oiseau, il y a 9,200 toises, et avec le quart en sus, pour les sinuosités des chemins, 11,500, ou cinq lieues trois quarts de poste.
(15) L'objet secondaire a été rempli, par l'envoi de la cavalerie légère du général Pajol, par Limette, vers Saint-Lambert.
(16) Elles se trouvent, en toises et lieues de poste de France, au Tableau annexé au commencement de cet opuscule.
(17) J'ai établi dans une autre publication, et je le répète ici : le total des troupes sous mes ordres ne s'élevait qu’a trente et un mille et quelques cents hommes, et non à trente-cinq mille.
(18) Les états de situation de ces corps après la bataille, le prouvent.
(19) Lettre du major-général au maréchal Ney, datée du 17.
(20) En citant ces lignes, je suis si loin de vouloir incriminer les opérations du maréchal Ney, que je me propose au contraire de le disculper plus tard de la plupart des torts qu'on lui impute, en publiant les ordres qu'il avait reçus, et dont je possède les minutes. Ils diffèrent presque en tout de ceux que rapportent les écrits émanés de Sainte-Hélène.
(21) Leur armée s'élevait encore, après la bataille de Fleurus, à plus de cent mille hommes.
(22) Jetez les yeux sur la carte de Ferrari, et vous verrez qu'en ligne droite, et à vol d'oiseau , il y a quatre lieues de poste de Sart-à-Valain à Wavres, par le chemin que j'ai suivi, tandis qu'en s'y rendant par le pont de Moutiers et la rive gauche de la Dyle, il y en a cinq.
(23) Voyez le Rapport officiel de la bataille de Fleurus, inséré au Moniteur de 1815.
(24) Ces ordres se trouvent au nombre des Pièces justificatives.


PIECES JUSTIFICATIVES
ET
DOCUMENTS DIVERS


Lettre de M. le lieutenant-colonel Lafresnaye  à
M. le général Grouchy.

Caen , le 17 décembre 1829.

Mon Général,

« J'ai l'honneur de répondre à la lettre que vous venez de m'écrire, et je m'empresse de rapporter les faits qui ont été à ma connaissance pendant les 17 et 18 juin 1815, relativement au corps d'armée que vous commandiez à cette époque.

«Je fus le 16 avec mon régiment à la bataille de Fleurus, le lendemain vous m'appelâtes près de vous je vous rejoignis vers une heure et vous trouvai sur le champ de bataille de la veille causant avec Napoléon. J'ignore les ordres que vous reçûtes de lui, je sais seulement qu'il vous donna le commandement des corps des généraux Gérard et Vandamme, et de divers corps de cavalerie, pour aller à la poursuite des Prussiens. Aussitôt que vous eûtes quitté Napoléon, vous transmîtes ses ordres à ces deux généraux. Il fallait se mettre en marche de suite, et voyant que l'infanterie mettait de la lenteur à s'ébranler, vous vous rendîtes, avec votre état-major, à Gembloux où vous couchâtes le 17 ; vous en repartîtes le lendemain 18, avant le lever du soleil, vous dirigeant sur Sart-à-Valain, où quelques escadrons de cavalerie avaient été prendre position la veille au soir J'ignore les ordres que vous donnâtes aux généraux Gérard et Vandamme : je sais que nous rejoignîmes la tête de la colonne du général Vandamme, à une lieue de Gembloux, au moment du lever du soleil. Arrivé à Sart-à-Valain, un officier décoré vint près de vous, et vous dit que des colonnes prussiennes s'étaient portées sur Wavres, mais qu'il pensait que Blucher réunissait son armée vers Louvain. Vous écrivîtes alors à Napoléon, et ce fut moi que vous chargeâtes de porter vos dépêches et de rapporter ses ordres. Je partis sur-le-champ, et, au moment de mon départ, une canonnade, qui n'avait pas l'air d'un engagement général, se fit entendre ; je me dirigeai au bruit du canon, et après avoir marché deux grandes heures et demie au trot et au galop, je trouvai Napoléon sur le champ de bataille de Waterloo ; je lui remis les dépêches que vous m'aviez confiées ; il les lut, me demanda le point où vous vous trouviez , et me dit de rester près de lui ; j'y demeurai jusqu'au soir : aucuns ordres ne m'ont été donnés à vous rapporter, et il n'est pas à ma connaissance que d'autres officiers vous aient été expédiés.

« Voilà, mon général, les faits, tels que je me les rappelle, et tels qu'ils ont réellement existé ; recevez, mon général, l'expression du respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,

Votre très-humble et très-obéisssant serviteur, »

Le Lieutenant-Colonel,

DELAFRESNAYE.



Extrait de la lettre du major-général au maréchal Grouchy.

Charleroy, le 16 juin 1815.

« M. le maréchal, l'empereur ordonne que vous vous mettiez en marche avec les 1er, 2e et 4e corps de cavalerie, et que vous vous dirigiez sur Sombreff, où vous prendrez position. Je donne pareil ordre à M. le lieutenant-général Vandamme , pour le 3e corps d'infanterie, et à M. le lieutenant-général Gérard, pour le 4e corps, et je préviens ces deux généraux qu'ils sont sous vos ordres, et qu'ils doivent vous envoyer immédiatement des officiers pour vous instruire de leur marche et prendre des instructions. Je leur dis cependant que lorsque S. M. sera présente, ils pourront recevoir d'elle des ordres directs, et qu'ils devront continuer à m'envoyer les rapports de service et états qu'ils ont coutume de fournir. »

Signé Le duc de DALMATIE.


Copie de la lettre du major-général au comte Gérard.

Charleroy, le 16 juin1815.

« Monsieur le comte, l'empereur ordonne que vous mettiez en marche le 4e corps d'armée, et que vous vous dirigiez sur Sombreff, en laissant Fleurus à gauche afin d'éviter l'encombrement.

« Je vous préviens que l'intention de S. M. est que vous preniez les ordres de M. le maréchal Grouchy, comme commandant d'aile. Ainsi vous l'instruirez de votre mouvement ; vous enverrez sur-le-champ près de lui pour lui demander des ordres, sans cependant retarder votre marche. M. le maréchal Grouchy doit se trouver en ce moment du coté de Fleurus.

« Vous ne recevrez des ordres directs de l'empereur que lorsque S. M. sera présente : mais vous continuerez à m'adresser vos rapports et états de situation, ainsi qu'il est établi. »

Signé Le duc de DALMATIE.


Quelque disposé que je puisse être à rendre hommage aux connaissances stratégiques de M. le colonel Simon Lorière, et aux conceptions militaires de M. l'intendant Dennié, je leur opposerai la manière de voir d'un juge non moins compétent, je pense, et dont l’opinion, avant qu'il eût lu ma Réfutation du général Gourgaud, avait été sévère à mon égard. Lorsque je la lui eus envoyée , M. le lieutenant-général Rogniat m'écrivit la lettre dont voici l'extrait :

Paris, le 21 février 1825.

« Monsieur le comte, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt les Observations que vous m'avez envoyées sur vos opérations clans la campagne de 1815. J'y vois que vous avez suivi vos ordres, et que s'il y a eu un peu de retard dans les mouvements de votre colonne, il ne peut vous être attribué……. » et plus bas, « Déjà, dans un autre ouvrage : Réponse aux Notes critiques de Napoléon, j'avais fort adouci ma critique. Je vous envoie cet ouvrage, où j'ai eu occasion de parler de vous,  pag. 275. J'y fais voir que votre diversion ne pouvait être décisive dans aucun cas, parce que les Prussiens, couverts par la Dyle, étaient en position de vous arrêter avec une partie de leurs troupes, tandis que l'autre serait libre d'aller prendre part à la bataille principale. Maintenant que je suis mieux instruit, j'espère vous rendre encore plus de justice par la suite. »

Agréez, etc.

Signé Le comte ROGNIAT.


En parcourant les évaluations des pertes de l’armée prussienne, pendant la campagne de 1815,
on pourra se faire une idée du degré de foi dont sont dignes quelques-uns des documents fournis par les écrivains qui ont habité Sainte-Hélène.

Dans la relation de la campagne de 1815, par le général Gourgaud, imprimée en 1818, les Prussiens perdirent vingt-cinq mille hommes à la bataille de Fleurus.

A en croire la relation de Napoléon, imprimée en 1820, les pertes de Blucher s'élevèrent à quarante-cinq mille hommes.

D'après les Mémoires pour servir à l'histoire de France, publiés par les généraux Gourgaud et Montholon, les pertes des Prussiens furent de soixante mille hommes.

A la page 165 de l'ouvrage de Napoléon, on lit : « L'armée prussienne perdit trente-huit mille hommesà Waterloo. »

Il résulte de ces assertions que dans une campagne de cinq jours, l'armée prussienne perdit quatre-vingt-dix-huit mille combattants, et fut réduite à vingt-deux mille hommes.

On ne se rappelait, sans doute, pas à Sainte-Hélène, le bulletin officiel de la bataille de Fleurus, inséré au Moniteur en 1815, portant ces mots : Les Prussiens perdirent quinze mille hommes.

Les erreurs quant au calcul des distances, et l'inexactitude avec laquelle elles sont rapportées dans la plupart des écrits qui ont paru sur la campagne de 1815, et notamment dans ceux émanés de Sainte-Hélène, sont non moins remarquables.

L'évaluation des forces des armées françaises et étrangères n'est pas plus fidèle.

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QUELQUES JOURNALISTES, en parlant des Documents historiques de M. le comte Gérard, ont émis des opinions et porté des jugements qu'on a dû regarder comme prématurés, une des parties intéressées n'ayant pas été entendue. Pour être à même de les apprécier, il suffira de les mettre en regard avec ceux que portèrent de ma Réfutation du général Gourgaud les journaux les plus accrédités de l'époque à laquelle elle parut. Leurs rédacteurs étaient MM. Benjamin Constant, Jouy, Châtelain, Comte, et autres écrivains distingués. Traduit au tribunal de l'opinion publique, je ne saurais y avoir de meilleurs défenseurs que ceux qui s'en sont si souvent montrés les fidèles organes.

VARIÉTÉS.
EXTRAIT DE LA RENOMMÉE,
(AOUT 1819.)

Journal rédigé par MM. JOUY et Benjamin CONSTANT.

Observations sur la Campagne de 1815,
Par le Gal Grouchy.


Aucun événement n'a eu de plus grands résultats que le désastre de Waterloo ; les conséquences politiques de cette bataille ont été telles pour la France et l'Europe entière, que ce jour est devenu une des époques les plus remarquables de l'histoire. Après le naufrage de cette terrible journée, où tout fut perdu pour l'armée française, fors l'honneur, chacun s'efforça de sauver au moins sa responsabilité : Napoléon lui-même, qui perdit alors son sceptre et son épée, voulut, en abandonnant ses compagnons d'armes, rejeter sur des causes secondaires la perte de cette bataille. C'est du moins dans ce sens qu'est écrit l'ouvrage du générai Gourgaud ; toutes les relations qui ont paru sur ces événements ont été rédigées, avec plus ou moins de vraisemblance, dans le même esprit. Par des raisonnements plus spécieux dans la forme que dans le fond, puisqu'ils ne sont appuyés d'aucunes pièces officielles ; et par des plans de campagne faits et raisonnes après les événements, on a cherché à faire tomber particulièrement le blâme sur les deux lieutenants de Napoléon.

Il nous semble que peu d'écrivains ont fait remarquer l'énorme disproportion qu'il y avait entre l'armée française et l'armée alliée ; l'une forte à peine de 110,000 hommes, tandis que Blucher et Wellington comptaient 222,000 combattants sous leurs ordres. Une telle supériorité numérique ne doit-elle pas entrer pour beaucoup dans la balance des chances hasardeuses de cette campagne ?

M. le comte Grouchy, après quatre ans d’exil, de résignation et de silence, vient de publier ses observations sur l'ouvrage du général Gourgaud, le seul auquel il accorde une certaine authenticité. Il réfute en même temps quelques-unes des assertions contenues dans d'autres écrits. Attaqué et critiqué, au moins avec inconvenance, il répond quelquefois avec une amertume excusable dans sa position ; mais il répond par des faits et par des pièces officielles.

Essayons de donner en peu de mots l'analyse de cet ouvrage. Le comte de Grouchy attribue la perte de la bataille de Waterloo à l'inaction où l'armée française fut laissée le 17, le lendemain de la bataille de Fleurus. Ce ne fut qu'à midi et demi que Napoléon donna l'ordre de poursuivre l'armée prussienne qui était en retraite depuis la veille, dix heures du soir. La bataille de Fleurus, gagnée par l'armée française, n'amena pas de grands résultats, et dès le lendemain matin (17), les Prussiens furent renforcés par 30,000 hommes de troupes fraîches (le corps du général Bulow). Les instructions verbales données au comte de Grouchy, par Napoléon lui-même, étaient de suivre les Prussiens, de les attaquer, et de ne les point perdre de vue ; lorsqu'il quitta Napoléon, il croyait l'armée prussienne dans la direction de Namur ; bientôt il apprit qu'elle s'était retirée vers Gembloux : il marcha sur cette ville, où les troupes du 4e corps n'arrivèrent qu'à onze heures du soir. Ce ne fut que le lendemain 18, à dix heures du matin, que le corps de droite, fort seulement de 32,000 hommes et poursuivant l'armée prussienne de 95,000 qui avait dix-huit heures de marche d'avance, atteignit l'arrière-garde prussienne : elle fut successivement attaquée et repoussée jusqu'à Wavres. Cependant le 17 au soir, dans la nuit et la matinée du 18, le comte de Grouchy avait envoyé plusieurs officiers à Napoléon, pour lui rendre compte de sa position et de ses mouvements ; ils parvinrent tous au quartier-général. Le 18, vers midi, la canonnade de Waterloo fut entendue à l'aile droite ; le comte de Grouchy put s'étonner de n'avoir pas reçu de nouvelles instructions ; mais il avait l’ordre positif d'attaquer les Prussiens, et crut devoir continuer ses mouvements, sans s'occuper d'une canonnade à six lieues sur sa gauche, qui pouvait n'être, d'après sa direction dont il s'assura lui-même, que l'effet d'un engagement partiel à l'entrée de la forêt de Soignes. D'ailleurs pouvait- il sitôt avoir oublié qu'il avait été témoin la veille des reproches que Napoléon avait faits au maréchal Ney, pour s'être arrêté et avoir envoyé des troupes à Frasnes, au bruit de la canonnade de Fleurus, au lieu de marcher sur les Quatre-Bras, comme le portaient ses instructions ? Cet exemple et son devoir lui prescrivaient de s'en tenir à la stricte exécution des ordres qu'il avait reçus.

Il est vrai que le 18, VERS LES CINQ HEURES DU SOIR, le comte de Grouchy reçut une dépêche du major-général, datée du champ de bataille, à UNE HEURE. Cette lettre approuve tous les mouvements de l'aile droite ; elle annonce même la bataille gagnée sur la ligne de Waterloo ; et seulement dans un post-scriptum, elle enjoint au comte de Grouchy de manœuvrer sur Saint-Lambert, où se montre la tête de la colonne du général Bulow. Le comte de Grouchy fait toutes ses dispositions pour se conformer à cet ordre important, mais qui était arrivé beaucoup trop tard pour qu'il pût être exécuté de manière à avoir quelque influence sur le sort de la bataille de Waterloo , qui est à quatre lieues en ligne directe du Mont-Saint-Jean. L'ennemi était maître de la communication sur la rive gauche de la Dyle, dont il défendait vivement le passage. Ce ne fut qu'à la nuit que nos troupes l'effectuèrent ; et en supposant même qu'on ne leur eût pas opposé de résistance, elles ne pouvaient arriver à Waterloo qu'à ONZE HEURES du soir, et dès-lors le sort de la bataille était décidé depuis long-temps.

Non content de prouver qu'il a exécuté littéralement ses ordres, le comte de Grouchy démontre ensuite que le général Gourgaud a été induit en erreur en avançant que le 17 au soir, et dans la nuit du 18, des ordres lui avaient été envoyés de marcher sur Saint-Lambert. Il regarde comme impossible que le 17, Napoléon, qui ignorait et les mouvements des Prussiens et ceux des Anglais, pût prévoir qu'il leur livrerait bataille à Waterloo.

Nous partageons entièrement l'opinion de M. le comte de Grouchy, lorsqu'il déclare qu'il ne croit pas qu'un général doive se porter vers une canonnade qu'il entend sur son flanc, lorsqu'il a des instructions spéciales du général en chef. L'obéissance passive et littérale aux ordres donnés nous paraît le premier devoir d'un militaire, et le gage le plus certain de la victoire. Des exemples cités après les événements ne prouvent rien contre un principe, à l'appui duquel on pourrait citer cent exemples contre un seul qu'on y peut opposer.

Tous les militaires liront, avec un grand intérêt, cette brochure ; elle donne des détails qui manquaient entièrement sur la campagne de 1815 (1) : elle servira d'avant-propos aux mémoires du comte de Grouchy qui devront jeter un grand jour sur les événements contemporains, et cependant peu connus jusqu'à ce jour.

Joignons-nous aux vœux de sa famille, dont il est séparé depuis quatre ans, et espérons que bientôt il pourra se retrouver au milieu des siens, et couronner, par le repos, une vie dont les faiblesses de l'ambition et les désordres de la guerre ne souillèrent jamais un seul acte, et dont la gloire finira par être d'autant moins contestée, qu'aucun genre de péril et de souffrance n'aura manqué d'éprouver son courage.


EXTRAIT DU COURRIER MINISTÉRIEL,
(AOUT 1819.)

Observations sur la Campagne de 1815, par le Gal Grouchy.

On a déjà beaucoup écrit sur la campagne de 1815, ou plutôt sur la journée de Waterloo qui la renferme tout entière. Les grands événements qui influent sur le sort des nations, deviennent presque toujours, après le résultat, des procès historiques sur lesquels les parties intéressées raisonnent à perte de vue. Long-temps encore on cherchera comment Buonaparte pouvait ne pas perdre une dernière bataille, après en avoir gagné tant d'autres ; et quelques personnes croiront de bonne foi que le succès n'a dépendu que d'une chance, d'un hasard, tandis que le dénoûment qui a eu lieu était amené tôt ou tard par l'extrême péril de l'Europe, et par cette nécessité qui est le fatalisme de la politique. L'honneur de la France n'est pas engagé dans cette discussion. Elle ne fut pas vaincue à Waterloo, puisque sa volonté n'y était pas ; elle doit des regrets et des larmes aux braves Français qui périrent dans le duel de Buonaparte contre l'Europe ; elle doit porter leur deuil et plaindre leur mort.  Quant à Buonaparte, il est naturel que, du fond de l'exil, il ne veuille pas laisser sa renommée en Europe sous le poids d'une défaite. Aux jours même de sa puissance, c'était sa politique d'imputer à ses généraux les revers passagers qu'il éprouvait ; et plus d'une fois il a flétri le courage et le dévouement par d'ingrates et odieuses injures, afin de mettre à couvert son infaillibilité personnelle. Aujourd'hui qu'il ne lui reste que le souvenir de ses batailles, et qu'il n'a plus de revanche à prendre, il est d'autant plus intéressé à justifier sa gloire dans le passé, et à conserver cette grande réputation militaire à laquelle il a eu le malheur de borner son ambition ; mais il n'a pu le faire sans rejeter le tort et le reproche sur des hommes devenus malheureux et privés de leur patrie. Peut-on maintenant imaginer une position plus pénible que celle de ces hommes attaqués dans leur réputation militaire, par celui pour lequel ils sont bannis, et forcés par l'honneur de prouver qu'ils ont en effet servi une cause dont ils sont les victimes ? Ces idées se présentent d'abord à l’esprit, en lisant les réponses que le comte de Grouchy oppose à la relation publiée par le général Gourgaud. Cette réponse prouve, par des raisonnements et des pièces officielles, que les fautes militaires, s'il y en a eu, sont sur le compte de Buonaparté ; que le général Grouchy n'a point omis d'ordre, n'a point fait de faux mouvements, et qu'enfin il n'est point la cause de la perte de la bataille. Nous n'examinerons pas les détails de stratégie qu'il donne à ce sujet. Nous ne discuterons pas les fautes qu'il attribue à Buonaparte. Il y aurait quelque ridicule à chicaner, dans les feuilles d'un journal, le génie d'un conquérant vaincu. C'est aux hommes de guerre à lire cette relation nouvelle, et à chercher si Buonaparte commit en effet une faute décisive, en restant oisif sur le champ de bataille de Ligny pendant la matinée du 17, ou si (comme le dit d'un autre coté le comte de Grouchy), il ne fut vaincu que par un excès de génie, parce qu'il avait supposé à ses adversaires des plans trop vastes et une tactique trop hardie. La mesure plus ou moins étendue des talents de Napoléon, l'infaillibilité plus ou moins grande de son coup-d'œil guerrier, est une question indifférente. Il n'aurait jamais pris une fausse mesure, ni fait une erreur de tactique, qu'il n'en serait pas plus regrettable.

L'écrit du comte de Grouchy est remarquable par un ton de franchise et de noblesse, par une sincérité sans amertume, qui ménage encore la gloire du célèbre chef dont il est obligé de repousser les reproches et d'accuser les fautes.


EXTRAIT DU CENSEUR EUROPÉEN,
(août 1819.)

Observations sur la Relation de la campagne de 1815, publiée
par le général Gourgaud, et Réfutation de quelques-unes des
assertions d'autres écrits relatifs à la bataille de Waterloo ;
par le comte de Grouchy.


L'OUVRAGE du général Gourgaud a produit une grande sensation, parce que le lieu d'où il était écrit lui donnait un caractère d'authenticité que personne ne songe à contester. On vit néanmoins avec peine que l'auteur rejetât presque entièrement les désastres du 18 juin sur deux généraux, qui semblaient protégés dans l'opinion publique, autant par leurs malheurs que par leurs services. C'était mal connaître le caractère français, que de chercher à jeter de la défaveur sur le maréchal Ney et sur le général Grouchy, puisque l'un était mort et l'autre exilé. Un parent du maréchal Ney crut devoir repousser les attaques dirigées contre cet infortuné capitaine ; ce soin était inutile, l'opinion l'avait suffisamment vengé. Tout le monde savait qu'à Waterloo, comme ailleurs, il avait déployé toutes les ressources de son indomptable courage, et cette conviction n'a rendu que plus amères les larmes versées sur la tombe de cette grande victime. Le général Grouchy avait reçu la même justice de ses concitoyens. Personne ne songea à le rendre responsable de la fatalité qui avait poursuivi nos armes. On le vit avec douleur exilé d'une patrie qu'il avait illustrée ; et les voix qui se sont élevées pour demander son rappel, ont dû plus d'une fois, dans un autre hémisphère, consoler son cœur et soutenir son courage.

Cependant, sa susceptibilité s'est révoltée en songeant que ses concitoyens, sur la foi de quelques assertions hasardées, pourraient lui attribuer le plus grand désastre qui ait jamais accablé la France. Il a songé à repousser les faits qu'on lui imputait ; et un fils, digne défenseur de l'infortune et de la gloire paternelles, s'est chargé de publier ses observations. Ainsi cette justification, si intéressante en elle-même, le devient encore plus, puisqu'elle se présente au public sous la double recommandation de l'exil et de la piété filiale.

Les observations du général Grouchy ont été lues avec avidité : non point qu'on y cherchât sa justification, puisque personne ne l'accusait ; mais je ne sais quel douloureux plaisir on trouve à se reporter au milieu de ce drame terrible, et à en suivre les diverses chances avec autant d'intérêt et d'anxiété que si le résultat n'en était pas connu d'avance. Que Napoléon ait commis une grande faute en détachant de son armée, et a une si grande distance, un corps aussi considérable que celui du général Grouchy, c'est ce qu'il serait difficile de contester, et on conçoit facilement que de cette première faute ont dû en découler d'autres. Il faut louer le général Grouchy de ce que le soin de sa réputation et le besoin de repousser des reproches injustes ne l'ont point entraîné hors des bornes de la modération et des égards dus à une infortune bien plus grande encore que la sienne.

L'ouvrage du général Grouchy contient des renseignements précieux pour l'histoire, et il peut, dès aujourd'hui, fournir un ample sujet de méditations aux militaires. Ce qui importe le plus au grand nombre de lecteurs, c'est que dans l'irrémédiable catastrophe qui en est le sujet, l'honneur de l'armée française soit resté intact , et grâce au ciel cette vérité consolante ressort à chaque page de l'écrit que nous annonçons. Quant au général Grouchy, ses titres sont connus, sa vie entière parle pour lui : l'intérêt qu'inspire son malheur, les regrets qui l'accompagnent dans son exil, sont le plus honorable témoignage que puisse recevoir un citoyen. Le jour n'est pas loin sans doute, où la justice triomphera, où le général Grouchy sera rendu aux embrassements de sa famille et aux vœux de ses concitoyens. L'accueil qu'il recevra alors, lui prouvera suffisamment que son souvenir vit toujours dans le cœur des vrais Français, et que cette nation si généreuse et si calomniée est aussi incapable d'injustice que d'ingratitude.

CHATELAIN.


EXTRAIT DE L'INDÉPENDANT,
(août 1819.)

Observations sur la Relation de la campagne de 1815, publiée
par le général GOURGAUD, et Réfutation de quelques-unes des
assertions d'autres écrits relatifs à la bataille de Waterloo ;
par le comte de Grouchy.


Beaucoup d'écrits contradictoires avaient détaillé les événements de la campagne de 1815, et distribué, suivant les passions, les lumières ou la conscience de leurs auteurs, le blâme ou les éloges aux acteurs de ce drame mémorable. L'opinion du public flottait encore incertaine, lorsqu'elle vit paraître, en 1818, une relation annoncée comme écrite à Sainte-Hélène et publiée par le général Gourgaud. Il était difficile que la source où cet historien avait puisé n'eût pas conservé quelque amertume, et que tous les effets du narrateur n'eussent pas pour but de faire retomber la responsabilité d'une grande catastrophe sur d'autres que sur l'ordonnateur suprême de toutes les opérations de cette campagne. Mais plusieurs des assertions de cette relation tardive et regardée comme officielle, recevaient une nouvelle force de diverses dissertations précédemment publiées par des hommes du métier, et avec lesquelles elles coïncidaient.

Cependant ceux qui se font un devoir de l'impartialité, regrettaient de voir des reproches graves adressés à deux généraux des plus distingués de l'armée française, dont le nom, les premiers exploits et les premières blessures se rattachaient à nos premiers succès, dont le sang versé sur d'innombrables champs de bataille garantissait le dévouement, et dont les talents étaient attestés par de hauts faits militaires, par l'estime de tous les braves et par la confiance du chef de l'armée. Les circonstances rendaient ce regret encore plus pénible ; car les traits étaient lancés sur des hommes hors d'état de se justifier. L'un, succombant sous le poids de sa propre gloire, holocauste désigné par des vainqueurs peu familiarisés avec la victoire et oublieux de ce noble respect dont il est si doux d'honorer le malheur, avait vu les restes de sa vie soumis aux chances d'une procédure, et des formes inusitées présider à son trépas. Sa grande ombre, qui probablement se repentait d'avoir pris l'initiative des récriminations, les 11 et 26 juin 1815, ne pouvait plus répondre. On croyait la voir assise et silencieuse dans un Elysée, à l'ombre des lauriers d'Altenkirchen,  de Salsbach, de Dierdoff, de Manheim, de l'Helvétie, de la Nidda, du Mein, de Moeskirch, de Hohenlinde, d'Elchingen, d'Ulm, du Tyrol, d'Iéna, d'Eylau, de Friedland, de la Péninsule, de Smolensk , de la Moscowa, de la Bérézina, de Lutzen et de la campagne de France, en 1814. Si tant de glorieux souvenirs ne pouvaient l'absoudre des manœuvres du 16 juin, du moins aucun Français n'avait la barbarie de vouloir juger ce général avec une coupable précipitation, et de refuser à sa mémoire toute la latitude nécessaire pour se défendre. L'histoire sévère, mais impartiale, marche plus lentement que les passions, et elle ne hasarde pas ses jugements, comme la politique, à la fois craintive et téméraire, hasarde ses proscriptions et ses coups d'état.

L'autre général, jeté par le malheur des temps loin d'une patrie qu'il a constamment honorée par son courage et par ses vertus, couvert de nombreuses cicatrices dont sa belle âme avait imaginé de faire un noble commerce en faveur de plusieurs proscrits, traîné aussi , mais avec des formalités moins solennelles, devant les tribunaux, et défendu, comme un autre Manlius, par la piété filiale, n'a pu connaître que très-tard, et sur un autre hémisphère, la critique dirigée contre ses opérations du 17 et du 18 juin 1815. Il se hâte aujourd'hui d'y répondre ; et quelle que soit l'opinion qu'on a déjà pu se former sur la manière dont la colonne de droite a rempli, après la victoire de Ligny-Fleurus, sa mission de poursuivre les Prussiens, de ne les point perdre de vue, et de conserver ses communications avec le centre de l'armée française, on ne peut se refuser de lire avec le plus grand intérêt les nouveaux renseignements que fournit à cet égard M. le comte de Grouchy. Une poitrine sillonnée de tant de blessures reçues pendant vingt-cinq années de combats, donne à ce général le droit de s'expliquer, et impose aux amis de la patrie le devoir de l'entendre.


NOTE :
(1) On nous suggère que la brochure contient cependant quelques inexactitudes qu'il peut être important de signaler. Par exemple, M. le comte Grouchy fait honneur au général Vandamme de la belle défense de Namur, qui contint si long-temps l’ennemi, et assura la retraite de l'armée française. Ce beau fait d'armes appartient en entier au lieutenant-général Teste, qui était, il est vrai, sous les ordres du général Vandamme, mais qui resta seul à Namur avec sa division, forte tout au plus de 2,000 hommes, sans canons, et qui, après avoir causé au troisième corps prussien une perte de plus de 3,000 hommes, ne se retira qu'à six heures du soir, lorsque tout fut évacué, et que l'ennemi eut perdu tout espoir d'inquiéter la marche rétrograde de nos troupes.



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