GUILLEMIN, Henri
(18..-19..) : Moyens d'éviter
les empoisonnements par les champignons.- Chalon-sur-Saône : É.
Bertrand, 1913.- 32 p. : ill. ; 24 cm.- (Extrait du "Bulletin de la Société des sciences
naturelles de Saône-et-Loire". 1913).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (05.XI.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire (Bm Lisieux : Deville br 2056) A la portée de tous _____________ MOYENS D'ÉVITER LES EMPOISONNEMENTS PAR LES CHAMPIGNONS Par HENRI GUILLEMIN PROFESSEUR HONORAIRE DU COLLÈGE SECRÉTAIRE GENERAL DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES NAUTRELLES MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ MYCOLOGIQUE DE FRANCE Pl. 1 & Pl. 2
PREMIÈRE PARTIE
INTRODUCTION I Tous les ans, à l'automne, les journaux annoncent de nombreux décès causés par les champignons. L'année dernière entre autres, en France et à l'étranger même, la Presse a signalé de multiples cas d'empoisonnements. Et cependant des hommes dévoués cherchent à instruire les populations : articles sur les journaux, dans les Bulletins et Revues scientifiques, tableaux de vulgarisation, conférences, excursions publiques, expositions. Rien n'y fait. Les gens s'empoisonnent avec une insouciance déconcertante. Que n'a pas fait notre Société des Sciences naturelles ? Que n'avons-nous pas écrit ou dit, M. Bigeard, mon cher et vénéré maitre en mycologie, moi-même et tant d'autres mycologues qui sont légion, pour mettre en garde les imprudents inconscients ? Nous constatons malheureusement que notre tâche est incomplète. Et puisque c'est en frappant le marteau sur le clou à coups répétés, et avec une ténacité inlassable qu'on finit par l'enfoncer, je veux encore me répéter (1) et donner à ces conseils une vulgarisation dépassant les limites de ce Bulletin. Mon plus grand désir, est donc à nouveau de prémunir mes concitoyens contre les effets terribles des champignons mortels, et de montrer aux malheureux, aux ouvriers, aux employés, aux riches même que la nature a mis à la portée de la main des aliments sains, nourrissants, agréables et abondants, que la cherté de la vie ne nous permet pas de négliger. Au seul mot de champignon, combien de personnes tremblent ! Et cependant, on ne compte que trois espèces mortelles : Amanite phalloïde, Amanite citrine, Volvaire gluante, répandues à profusion, il est vrai. Y a-t-il donc lieu de s'effrayer autant ? Non. En suivant les excursions organisées chaque année par la Société des Sciences naturelles, on peut apprendre, sur le terrain, à connaître les caractères scientifiques, parfaitement tangibles des champignons mortels et par suite à écarter tout danger pour les siens et pour soi-même. Pour se représenter ces champignons maudits, faire l'expérience ci-après que j'ai indiquée dans une conférence à l'Hôtel de Ville de Chalon-sur-Saône : Ouvrez vos ombrelles, mesdames, fixez au manche, à la hauteur du ressort supérieur un nœud de ruban blanc pour simuler l'anneau ou collerette (anneau qui a la forme, chez ces champignons, d'une jupe fourreau, recouvrant le tiers de la longueur du pied) ; suspendez de larges dentelles le long des baleines pour figurer les lamelles ou feuillets ; enfin placez la poignée dans une aumônière qui représentera la VOLVE et vous aurez l'aspect d'une de ces redoutables Amanites. En enlevant le nœud du ruban, vous aurez l'image d'une Volvaire. Quant aux espèces dangereuses, au nombre assez restreint, leur absorption produit des accidents graves, parfois alarmants, mais toujours suivis de guérison. Pour la popularisation des champignons, il faut, à mon avis, agir par persuasion et surtout prêcher d'exemple. Certains récalcitrants, notamment les dames qui jettent les hauts cris quand on leur parle champignons, finissent par se laisser convaincre tout doucement, mais sûrement. Dans ma carrière déjà longue, j'en ai vu maints exemples, à ma grande satisfaction. Dans les villes, l'ouvrier qui va le dimanche au bois, peut faire vérifier sa récolte à son retour par des hommes compétents. Mais pour l'habitant de la campagne, il n'en est pas toujours ainsi. Le plus souvent il s'adresse à son voisin « qui les connaît bien » ; celui-ci, fondant sa prétendue science sur des préjugés enracinés depuis des siècles et admis encore par le plus grand nombre. Combien d'empoisonnements mortels sont dus à de faux connaisseurs dont l'assurance tranquille avait inspiré confiance aux malheureuses victimes ! Les initiés sont rares et les demi-initiés, beaucoup plus communs, sont, en pareille matière, particulièrement dangereux. Que l'on se rappelle le cas de Trévoux. « Au repas de midi du vendredi 18 novembre 1911, les 25 pensionnaires du restaurant Marsol se régalaient, avec les maîtres de la maison, d'un plat énorme de champignons apprêtés à la crème. Ils avaient été cueillis, la veille, par un jeune électricien qui passait pour un « fin connaisseur » et qui « ne se trompait jamais ». Depuis longtemps, chaque année, à plusieurs reprises et au même endroit, il avait fait d'abondantes récoltes de ces cryptogames que la cuisinière avait toujours préparés en pleine confiance et qui, consommés de même, s'étaient constamment révélés comme inoffensifs. « Le soir de cette même journée chaque convive n'avait encore rien ressenti. Le dîner fut même des plus gais, toute inquiétude ayant disparu à ce moment. En guise de plaisanterie, l'un des commensaux lança cette bravade ironique à l'adresse de certains d'entre-eux les plus timorés », « Si nous sommes empoisonnés, nous mourrons tous en chœur ». Ce langage railleur n'allait-il pas devenir, pour un assez grand nombre, le véritable chant du cygne ? En effet, vers minuit, les premiers symptômes de l'empoisonnement se déclarent pour les uns, et pour les autres, successivement et à intervalles plus ou moins éloignés. Neuf meurent dans une affreuse agonie, au milieu des souffrances les plus cruelles. Les autres rescapés ont dû leur salut, sans aucun doute, à une très faible absorption de ce mets, que quelques-uns mangèrent avec plus de retenue et de circonspection, bien qu'ayant été, paraît-il, délicieux, surtout aussi à l'efficacité plus ou mains énergique de la médication opérée sur eux et peut-être encore à leur état organique plus ou moins réfractaire à l'intoxication. L'empoisonnement est dû, à n'en pas douter, à la terrible Amanite phalloïde qui cause 98 % des accidents mortels (2) ». Que l'on se méfie donc de tout chercheur de champignons, s'il n'est mycologue ; que l'on ne se fie pas à celui qui vous dira : « Ce n'est pas la première fois que je cueille et consomme de semblables champignons, je les connais ». — Hélas ! tous ceux qui se sont intoxiqués croyaient bien, eux aussi, les connaître. En somme, il faut que l'on sache que les champignons qui font mourir ont une volve sorte de bourse, de petit sac entourant la base du pied ou stipe. Pour les Amanites, cette volve est cachée sous la mousse, sous les feuilles, sous la terre ; de là, la nécessité de se munir d'un couteau, à lame longue et forte, pour déterrer le champignon au lieu de le couper rez de terre. Pour les insouciants ignorants, cette volve proclame impérieusement le rejet du champignon. Quant à la Volvaire, la volve repose sur la terre ; elle est donc très apparente. L'auteur de ces lignes ne voit, à son corps défendant, que la vulgarisation par l'usage des images bien faites, commentées par le docteur, le pharmacien, l'instituteur, le curé du village. Certainement ces figures peuvent occasionner des confusions ; aussi les amateurs sont-ils tenus à une grande prudence. Or ces dessins montrent surtout la volve, caractère essentiel des champignons dangereux ; à ce titre, ces figures sont indispensables à tous les mycophages. Parmi ces chromolithographies, je prends liberté de signaler à l'attention des intéressés les 2 tableaux de MM. Mazimann et Plassard, édités par Lyon Républicain, 90 sur 70 cm, représentant 68 espèces de champignons mortels et comestibles, avec notice explicative, pour la somme de 2 fr. 25. Ces tableaux ont été reproduits en un livre-album de poche, avec 130 pages, prix 3 fr. M. Fernand Guéguen, professeur agrégé à l'École supérieure de pharmacie, a fait éditer un grand tableau 71 sur 55 centimètres, représentant 6 champignons, 3 mortels, et 3 dangereux avec notice explicative, transformé également en un livret de poche (Librairie Larousse) au prix modique de 1 fr. 50. Les figures de ces trois tableaux sont exécutées par des personnes compétentes ; le port, la forme, le coloris et les caractères extérieurs des champignons sont exactement reproduits, avec, pour quelques-uns, leur substratum. Messieurs les maires ne pourraient-ils donc prélever sur les fonds disponibles des communes une somme bien minime en réalité, pour l'achat de ces tableaux qui devraient être placés dans les mairies et dans les écoles ? Que doit-on faire enfin pour utiliser sans crainte les exquises richesses alimentaires qui chaque année se perdent dans le sol, et du même coup, si l'on veut éviter les empoisonnements mortels ? Nous ne le répéterons jamais assez : arrière ces procédés prétendus infaillibles, ces croyances populaires, ces préjugés grossiers, ces bourdes sinistres qui se colportent à travers nos populations rurales... et même urbaines ! « Seule la Botanique est capable de nous éclairer sur la spécificité d'un champignon, seule l'expérimentation est capable de nous faire connaître ses qualités. Hors de là, tout n'est qu'erreur, avec la certitude, un jour ou l'autre, de s'empoisonner ou ... d'empoisonner les autres. Il n'est pas d'autre moyen que d'éduquer, d'instruire le grand public, ou bien, si cette éducation et cette instruction ne se peuvent donner facilement, qu'en ville on réglemente et surveille les marchés, qu'à la campagne des hommes compétents puissent renseigner sinon enseigner leurs concitoyens. » (M. Eug. Prothière, de Tarare.) La Botanique est-elle l'apanage exclusif des savants ? Non. Celui qui possède une bonne instruction primaire peut comprendre cette science charmante dont l'utilité éclate sous nos pas. En somme, il faut, dit M. F. Guéguen, avant de récolter des champignons en vue de l'alimentation, se pénétrer de cette vérité fondamentale : Il n'existe aucune recette, aucun procédé permettant de reconnaitre si un champignon est comestible ou vénéneux. Si l'on désire en consommer sans danger, il faut apprendre à connaitre parfaitement les caractères et les propriétés des espèces les plus communes et les plus abondantes dans la région qu'on habite. Dans toute ville, et à Chalon-sur-Saône en particulier, un Office mycologique s'impose, par exemple comme celui de Tarare. De plus, une surveillance plus sérieuse des marchés est nécessaire, avec l'interdiction absolue aux colporteurs de vendre des champignons à domicile, sans visa de l'Office.
II
PRÉJUGÉS Passons en revue ces fameux préjugés au nombre de vingt-deux, qu'il faut arriver à faire disparaître à tout jamais.
PRÉJUGÉS CULINAIRES
1° Préjugé de l'anneau d'or et de la pièce ou communément de la cuiller d'argent ou cuiller d'étain Le métal noircit avec les mauvais champignons. — C'est le moyen de choix employé par les cuisinières qui ne sauraient se douter que nombre d'espèces vénéneuses n'ont aucune action sur ces métaux. Ni l'or, ni l'argent, ne peuvent constituer un critérium de comestibilité. Rappelez-vous les œufs qui noircissent l'argent et cependant sont-ils vénéneux ? Cela indiquera que le champignon est simplement avancé. Il n'est pas un champignon frais, vénéneux ou non, qui noircisse l'argent ; tout champignon, vénéneux ou non, noircira l'argent, au contraire, s'il est vieux, altéré ou putréfié ; la décomposition produit de l'hydrogène sulfuré qui noircit l'argent.
2° Préjugé du lait
Le lait caille avec les mauvais champignons, reste intact avec les bons. Méthode aussi désastreuse que la précédente. Il s'agit là simplement d'une question d'acidité. Le sel ou le vinaigre qui assaisonnent les champignons peuvent donner ce résultat. Tous ou presque tous les champignons renferment des ferments solubles dont certains peuvent avoir la propriété de faire cailler le lait, mais cette propriété n'a aucun rapport avec la comestibilité ou la toxicité des champignons.
3° Préjugé de l'oignon, de l'ail, du persil, de la mie de pain
Si un oignon blanc ou une gousse d'ail ou du persil jetés dans le vase où l'on l'ait cuire les champignons ne changent pas de couleur, le champignon est inoffensif : Rien n'est plus faux. Tel champignon vénéneux, en effet, ne brunira pas l'oignon, ne noircira pas l'ail, ne jaunira pas le persil, alors que ceux-ci se coloreront fortement par les meilleures espèces. Ce bizarre procédé fut pourtant conseillé maintes fois. Ces condiments renferment des substances volatiles ou acides qui se dégagent à une certaine température : l'ail et l'oignon produisent une huile volatile sulfurée, âcre et caustique, de couleur jaune brun, épaisse ; le persil chauffé peut dégager de l'acide apiolique qui jaunit les feuilles. Mis en contact prolongé avec un corps gras porté à l'ébullition, l'oignon, l'ail, le persil passent par les couleurs brun, noir et jaune. La mie de pain trop chauffée peut noircir. 4° Pour rendre inoffensif un champignon vénéneux, il suffit d'enlever la pellicule. — Il ne faut pas se fier à l'opération qui consiste à enlever la peau résistante et colorée, dont le chapeau de beaucoup d'espèces est recouvert. Bien qu'il soit prouvé que cette membrane, dans les champignons vénéneux, renferme une proportion considérable de principes nuisibles, il reste encore, dans la chair, une quantité de poison plus que suffisante pour provoquer des accidents graves ou même mortels. 5° Une cuisson prolongée peut détruire les principes nuisibles de tous les champignons vénéneux. — En 1850, un aide naturaliste au Muséum de Paris, M. F. Gérard, a prétendu à tort que les espèces les plus dangereuses pouvaient être impunément consommées après une macération et une ébullition prolongées dans l'eau salée ou vinaigrée, jusqu'à ce que l'odeur nauséabonde disparut. Or, voici un extrait d'un compte-rendu de l'Académie des sciences du 26 décembre 1911, sur la toxicité de quelques champignons : « Depuis longtemps, des mycologues expérimentés, tout en reconnaissant qu'avec le traitement à l'eau bouillante suivi de lavages à l'eau froide on peut, par ce procédé bien appliqué, enlever certains principes âcres ou même certains poisons très solubles dans l'eau bouillante, n'ont pas manqué de mettre en garde le public contre cette méthode inefficace vis-à-vis de certaines espèces et surtout de l'Amanite phalloïde. » MM. Radais et Sartory (3) ont répété plusieurs fois de sérieuses expériences sur l'Amanite phalloïde et sont arrivés aux conclusions suivantes : « L'Amanite phalloïde conserve son pouvoir vénéneux après avoir subi une température supérieure à celle de l'eau bouillante ; la toxicité n'est pas atténuée au bout d'un an pour le champignon desséché et subsiste encore après un dessèchement de 10 années ; le poison est fortement retenu dans la chair du champignon, même après coction dans l'eau à 100 et même 120°. « Il est donc imprudent de répandre cette notion inexacte que tous les champignons vénéneux peuvent être rendus inoffensifs par un blanchissage à l'eau bouillante suivi de lavages à l'eau froide. »
PRÉJUGÉS SUR L'ASPECT
6° Tout champignon à bague est comestible.— Telle est l'erreur la
plus funeste à ce point répandue dans notre région de l'Est. A lui seul
ce préjugé a causé plus de morts que tous les autres réunis. Les
Amanites mortelles ou dangereuses sont toutes pourvues d'un anneau !
Les Strophaires aussi. D'autres champignons sont excellents, mais il
faut les distinguer !7° Tout champignon dont les feuillets ou lames sont roses est comestible. — Cette notion qui s'applique en partie au champignon rose commun n'est pas toujours exacte et quelques espèces vénéneuses ont des feuillets plus ou moins roses ; ex. les Volvaires sont du nombre, les Entolomes.Encore une erreur fatale très répandue. 8° Les limaces et les insectes ne s'attaquent qu'aux bons champignons. Cette assertion est aussi fausse que les précédentes ; les amanites mortelles sont attaquées par les limaces qui respectent au contraire d'excellents champignons, tels que la gyrole. Ce qui est bon pour un animal, pour une limace, n'est pas forcément bon pour nous et réciproquement. Bien des plantes dangereuses pour l'homme sont consommées par les animaux. Ex. : les lapins broutent avec avidité la belladone ; les grives mangent le fruit de la belladone ; les pigeons ne sont pas empoisonnés par l'opium ; le persil est funeste aux perroquets. On prétend, quant aux champignons, que les insectes et les limaces doivent être avertis par leur instinct. L'expérience directe est facile à faire : on n'a qu'à mettre quelques limaces dans un panier avec des Amanites phalloïdes : le lendemain ces champignons seront largement entamés par ces animaux qui n'en resteront pas moins en bonne santé. Dans nos excursions, combien de fois avons-nous trouvé de ces Amanites avec une ou deux limaces sous le chapeau. Un instituteur, M. C..., au cours d'une excursion dans son pays, m'affirmait que les champignons mangés par les limaces peuvent être consommés. Ce fut lui-même qui m'apporta triomphant la première Amanite phalloïde flanquée d'une limace qui en avait déjà dévoré une partie. A son grand ébahissement, je lui recommandai de faire son testament, ajoutant que dans 48 heures environ, il ne serait plus, s'il le consommait. On ne doit pas conclure cependant que leur organisme soit réfractaire à ces poisons, mais que leurs organes digestifs ou ne se laissent pas traverser par eux, ou les neutralisent. Si, en effet, on injecte le suc de ces mêmes champignons dans leurs tissus, on les voit succomber rapidement. On comprend pourquoi les limaces n'ont à faire aucune distinction d'espèces entre les champignons et nous avons tort de vouloir nous fier à leurs connaissances mycologiques. Du reste, tous les animaux herbivores n'ont pas les mêmes immunités ou la même insouciance que la limace ; c'est ainsi que le cheval, le bœuf, la brebis, mangent avec avidité, le Bolet ou cèpe, le Mousseron rose des prés ou Pratelle et repoussent la Strophaire coronille vénéneuse et voisinant avec le second. On voit aussi les oies manger la Pleurote du panicaut, abondante dans les prairies de la Saône et délaisser la petite Volvaire vénéneuse. 9° Une odeur agréable,(anis ou farine fraîche) suffit pour être sûr de la comestibilité des champignons. — J'ai cent fois entendu ce raisonnement. Or, rien n'est plus faux l'odeur de l'Amanite phalloïde, en particulier, à l'état jeune, est plutôt agréable et rappelle celle des champignons des prairies. L'Entolome livide vénéneux sent la farine fraîche. 10° Un bon champignon a toujours bon goût et une odeur agréable, tandis que les mauvais ont un goût amer, âcre, poivré ou acide et une odeur vireuse. — L'Amanite tue-mouches ou fausse Oronge, particulièrement, est à peine amère, et il faut être patient souvent pour percevoir nettement le faible goût amer de l'Amanite phalloïde. Il n'est pas un mycologue qui ne flaire un champignon, ne le goûte avec prudence, à l'état cru. Il n'y a aucun danger, à condition toutefois de rejeter la parcelle mise en expérience après l'avoir gardée quelques instants dans la bouche. 11° Quand un champignon est ferme, cassant, que sa peau est sèche, il est bon. —Préjugé dangereux pour les amateurs qui, s'y rapportant, récolteront certaines russules fermes, cassantes, à peau sèche, et risqueront d'être sérieusement indisposés. 12° Les bons champignons ne changent pas de couleur quand on les coupe.— Il y a évidemment là, généralisation d'un procédé qui peut avoir son utilité dans certains cas, mais, malheureusement, les champignons meurtriers, tels que les Amanites ne changent jamais, tandis qu'on préparera d'excellents mets avec le Lactaire délicieux, le Bolet rude, la Lépiote déguenillée (L. rhacodes), qui, eux, changent rapidement de teinte. Du reste, chez les Bolets, la coloration produite à la coupe disparaît peu à peu. 13° Ne mangez jamais de champignons de couleur bleue, violette, verte ou rouge. — C'est là une excellente manière d'éliminer la succulente Oronge jaune orangé, le savoureux Tricholome nu ou Pied bleu, la Russule craquelée si recherchée, le Clitocybe vert ou anisé, etc. D'autre part, l'Amanite phalloïde, variété printanière, est blanche, l'Amanite panthère est grise, l'Amanite citrine est jaune citron. Voudriez-vous manger ces espèces ? 14° Rejetez tous les champignons à suc laiteux. — Or, l'une de nos meilleures espèces, et j'ajouterai l'une des plus faciles à caractériser, est précisément un champignon à lait : le Lactaire délicieux ; puis le Lactaire à lait abondant est aussi excellent. 15° Tous les champignons gris sont bons. — Que l'on se méfie ! Certaines Amanites ont le chapeau gris plus ou moins foncé ; le Tricholome tigré, au chapeau gris clair grivelé de mèches cendrées ou bistre, que l'on trouve sous les sapins, occasionne de graves empoisonnements (Bulletin de la Soc. mycologique de France, 1908, p. 133). 16° Les mauvais champignons sont gluants, tandis que les bons ont le chapeau sec. — Cette assertion est tout à fait fausse. C'est ainsi que l' Hygrophore blanc d'ivoire, le Cortinaire visqueux, la Russule dorée dont l'épiderme est visqueux, sont d'excellents comestibles ; combien d'autres dont le chapeau est sec, sont dangereux. 17° L'élégance, le port, le coloris, la beauté de certains champignons tentent l'imprudent. — Se peut-il, se dit l'ignorant, que d'aussi beaux champignons puissent être dangereux ? Hélas ! tout comme certaines jeunes personnes affolantes, au large chapeau, à la jupe fourreau que l'on rencontre le soir sur les promenades : celles-ci sont des Amanites en ballade ; tandis que les premiers peuvent causer la mort, les secondes empoisonnent la vie de l'avarié et le sang de ses enfants. 18° Au sujet des verrues ou plaques blanchâtres qui recouvrent en partie le chapeau des amanites, un menuisier, M. L..., vient de me dire qu'il distingue l'Oronge vraie de la Fausse oronge, en ce que la première a le chapeau nu, tandis que celui de la seconde est couvert des débris de la volve. Mais ces débris peuvent disparaître à la suite de fortes pluies qui les entraînent facilement ; le chapeau devient alors nu. Au reste, l'Amanite dorée variété de la Fausse oronge a le chapeau nu. Encore une erreur à rectifier !
PRÉJUGÉS SUR L'HABITAT
19° Sont réputés bons, tous les champignons croissant dans les prés ou dans les champs découverts ou sur les bords des routes. — Cette règle est également fausse et plusieurs espèces mortelles et suspectes, notamment les Volvaires, l'Amanite printanière, certaines Strophaires, la Psalliote jaunissante, croissent à côté des mousserons et des champignons roses. Dès l'apparition des pratelles ou psalliotes (champignons roses des prés), c'est une course la nuit, au clair de lune ou à la lanterne : chacun veut faire sa provision et c'est à celui qui sera le plus matinal. Or les Volvaires ont les feuillets roses — (caractères essentiels : volve, pas d'anneau comme les pratelles, le chapeau est visqueux). — Les imprudents n'y regardent pas de si près et voilà comment les empoisonnements mortels se produisent. 20° Tout champignon croissant dans les bois de conifères est vénéneux. — Dans certaines régions, au contraire, on affirme qu'ils sont tous mauvais. On trouve dans les bois de sapins d'excellentes espèces comestibles : le Lactaire délicieux, les Clitocybes laqué et améthyste, le Tricholome nu, plusieurs Bolets : granulé, jaune, élégant. Mais on y rencontre également les espèces mortelles et dangereuses : Amanites phalloïde, citrine, panthère, etc. 21° Il faut s'abstenir des champignons croissant sur les arbres. — S'il est vrai que nombre d'entre ces cryptogames soient indigestes, il en est d'autres qui sont exquis, et les souches de peupliers sont souvent couvertes de l'excellente Pholiote œgérite et de la bonne Pleurote écaille d'huître ; sur la racine du chêne on recueille la Fistuline ou Langue de bœuf fort agréable, etc. 22° Gardez-vous de faire votre cueillette dans des bois ombragés et humides. — Mais c'est précisément dans ces endroits qu'on pourra trouver un plat succulent : l'Helvelle crépue, si simple à reconnaître, l'Hydne sinué, si caractéristique, la Trompette des morts, unique en son genre, la Chantrelle ou Gyrole, si commune, ne croissent que dans les endroits ombreux. A côté de ces espèces, vous trouverez, il est vrai, toute la série des Amanites. L'enseignement à tirer de cette énumération est que si un amateur veut suivre ces règles énoncées l'une après l'autre, dans la cueillette, il sera obligé de tout rejeter, et il n'aura pas tort ; s'il s'en rapporte au contraire seulement à l'un de ces procédés, à l'exclusion des autres, il risquera fort d'aller grossir le nombre des victimes, on peut dire volontaires, que font chaque année les cryptogames. Il n'existe donc pas de moyen facile, pratique, empirique de reconnaître un bon champignon d'un mauvais, pas plus d'ailleurs que cela n'existe pour reconnaître une plante vénéneuse d'une plante alimentaire. Il faut connaître la ciguë pour la distinguer du cerfeuil. Les caractères botaniques seuls peuvent nous renseigner et nous préserver de l'erreur. Ce sont des caractères scientifiques bien définis et bien observés qui nous permettent d'établir d'une façon précise l'identité du champignon. En tous points d'accord avec M. le Dr Moreau, je dis avec lui pour terminer cette première partie : « que l'école est le foyer d'où peut rayonner la lumière. Les enfants ne sont pas imbus de préjugés, leur cerveau neuf les ignore ; ce que l'on apprend jeune est aussi ce que l'on retient le mieux. Chez eux nous pouvons semer la bonne semence qui germera plus tard. En les instruisant nous pouvons peut-être les préserver, dès maintenant, contre l'imprudence souvent trop fatale de leurs parents. » Aujourd'hui, cette boutade : « Les champignons sont comme les hommes, les meilleurs ne valent rien », n'a plus sa raison d'être. Il est plus exact de dire : « Les champignons, c'est comme les hommes, rien ne ressemble aux bons comme les mauvais. »
CONCLUSIONS
1° Les Amanites et les volvaires sont des champignons à volve.
2° N'achetez jamais de champignons si vous n'êtes pas en état d'en vérifier la qualité. Exigez qu'ils vous soient vendus en entier, le pied intact, complet. 3° N'en mangez jamais si vous ne les connaissez pas très-bien. 4° Rejetez toutes les Amanites, quitte à abandonner quelques bonnes espèces. 5° Ne mangez jamais de champignons dans une maison amie, dans un hôtel, si vous n'êtes pas sûr de la compétence de votre hôte. 6° Ne coupez jamais un champignon au ras du sol ; déterrez-le. La preuve du poison mortel se trouve à la base du pied. 7° Ne mangez pas de champignons trop avancés, plus ou moins avariés et qui, dès lors, mêmes comestibles, peuvent provoquer des empoisonnements sous l'effet des toxines qui se développent, comme cela a lieu pour toutes les substances organiques : viande corrompue, gibier trop faisandé, etc. 8° Abstenez-vous de consommer des champignons desséchés dont la provenance n'est pas exactement connue. 9° N'hésitez jamais à montrer votre récolte à une personne compétente. 10° Bornez-vous à la recherche d'un petit nombre d'espèces les plus communes de votre région ; apprenez-en les caractères botaniques pour les bien connaître et ne pas les confondre avec d'autres espèces dangereuses.
DEUXIÈME PARTIE
EMPOISONNEMENTS Les empoisonnements par les champignons peuvent présenter trois caractères différents : 1° Ou bien les accidents sont généralement suivis de mort, (champignons mortels : Amanite phalloïde et Amanite citrine avec leurs variétés et les Volvaires) ; 2° Ou bien l'empoisonnement, quoique grave, est toujours guérissable (champignons dangereux : Amanite panthère, Amanite tue-mouches ou Fausse-oronge, Lépiote brunâtre, Tricholome tigré) ; 3° Ou bien tout se borne à une indigestion plus ou moins sérieuse (champignons suspects ou résinoïdes : Entolome livide, Hypholome fasciculé, Strophaire coronille (dans les prés) Russules diverses et plusieurs Lactaires : lactaire à coliques. Ces degrés, dans l'intoxication, correspondent à des différences dans les principes vénéneux. En effet : a) Les champignons mortels renferment un poison terrible : la phalline ; b) Les champignons dangereux contiennent un toxique moins redoutable, la muscarine ; c) Les champignons suspects ou résinoïdes ne renferment que des résines, ou des matières âcres, purgatives ou vomitives. Un fait très curieux à signaler est la variabilité du pouvoir toxique suivant les pays. Ainsi l'Amanite tue-mouches deviendrait inoffensive en Russie ; l'Amanite panthère, vénéneuse en France, est consommée en Saxe et dans l'Erzgebirge (Bohème), une fois dépouillée de sa cuticule extérieure. Notons que dans nos régions elles sont dangereuses. Autre fait : l'Amanite jonquille (dans les sapinières) amène des vomissements au printemps, en avril et mai ; elle est comestible en automne (Bul. de la Soc. mycol. de France, 1908, p. 178).
Les principes vénéneux
A. — La phalline, principe actif des champignons mortels, ne peut être neutralisée ni par l'ébullition prolongée, ni par le tanin ou le café fort. Lorsque la phalline a été absorbée par l'homme, le poison passe dans le sang et il y détruit, en les dissolvant, les globules rougis indispensables à la vie des tissus. Si l'on considère qu'il ne faut pas plus de 7 à 8 milligrammes de phalline par litre de sang, (soit, pour un homme, de 3 à 4 centigrammes, quantité inférieure à celle que contient un seul champignon, qui peut faire mourir 4 à 5 personnes), pour en détruire tous les globules, on comprendra que les quelques centigrammes de poison contenus dans un seul exemplaire d'Amanite phalloïde suffisent à abolir en quelques heures toutes les propriétés vitales du sang d'un être humain. B. — La muscarine, principe actif des champignons dangereux, est un alcaloïde cristallisable, comme la plupart des poisons végétaux (morphine, atropine, strychnine) et peut être combattue par les mêmes antidotes. Ce corps n'agit pas sur les globules rouges, mais sur le cœur, le système nerveux, le tube digestif ; il s'élimine assez rapidement par les urines et par l'intestin, par suite de son action à la fois vomitive et purgative. Chez l'homme, une dose de 5 milligrammes détermine des accidents graves : sueurs, salivation abondante, contractions tétaniques, arrêt de la sécrétion urinaire, rétrécissement ou dilatation de la pupille. Un chat est tué avec une dose de 2 à 4 milligrammes, par arrêt du cœur et de la respiration. C. — Quant aux résines, leurs propriétés purgatives et vomitives sont moins puissantes et moins redoutables. Il va sans dire que tous les champignons comestibles altérés sont dangereux, comme les viandes avariées et les conserves fermentées ; ils produisent des ptomaïnes (poisons) et une nuit suffit parfois pour altérer une récolte de champignons. Il est donc essentiel de les préparer le plus promptement possible.
Symptômes des empoisonnements
Les différences profondes entre l'action de la phalline et celle de la muscarine permettent, dès le début de l'empoisonnement, de savoir à quelle catégorie appartenaient les champignons ingérés et de prévoir d'une façon certaine l'issue favorable ou fatale de la maladie. On peut aussi, chose de première importance, instituer un traitement rationnel, suivant la nature des symptômes de début et lutter ainsi par avance contre les complications que l'on peut prévoir. Cette dualité d'action a conduit M. le Dr V. Gillot, - fils du D' X. Gillot, l'éminent et tant regretté botaniste d'Autun, — dans sa thèse augurale : Etude médicale sur l'empoisonnement par les champignons, Lyon, 1900, à grouper les phénomènes de chaque catégorie en deux tableaux cliniques ou syndromes, le syndrome phallinien et le syndrome muscarien. Ces tableaux ont été complétés par M. F. Guéguen, docteur ès sciences, professeur agrégé à l'Ecole supérieure de pharmacie.
Empoisonnement phallinien
Amanites phalloïdes, citrine, printanière et Volvaires. Incubation. — Durant 10 à 12 heures et même 24 heures. Début. — Tardif, silencieux. Symptômes. — Troubles gastro-intestinaux tardifs : vomissements, diarrhée profuse, sanguinolente, refroidissement des extrémités. Accalmies. — Fréquentes, avec alternatives de crises. Foie. — Volumineux : quelquefois jaunisse ; très douloureux au toucher. Urines. — Rares et fortement colorées. Phénomènes cérébraux. — Intelligence et mémoire intactes jusqu'au dernier moment. Hypothermie. — 35° (Dr P. Claisse, médecin de la Pitié). Durée moyenne, — Trois ou quatre jours, quelquefois plus. Terminaison. — Mort (parfois tardive) du 5° au 10° jour et plus.
Empoisonnement muscarien
Amanite panthère, Fausse oronge, Lépiote brunâtre, Tricholome tigré.
(Symptômes rappelant ceux de l'intoxication alcoolique)
Incubation. — D'une heure (fausse-oronge) à 4 heures (panthère). Début. — Rapide, bruyant. Symptômes. — Troubles gastro-intestinaux précoces ; vomissements répétés, diarrhée. Accalmies. — Nulles. Foie. — Normal, pas de jaunisse. Urines. — Nulles. Phénomènes cérébraux. — Excitation, délire gai ou furieux, troubles de la mémoire, hallucination, vertiges. Hypothermie. — Nulle ; on a au contraire signalé de la fièvre. Durée moyenne. — Un à deux jours en tout. Terminaison. — Guérison. Nota. — Il est à remarquer que les enfants sont plus sensibles que les grandes personnes et succombent rapidement dans le coma. Le sommeil peut retarder l'apparition des accidents. Il faut tenir compte également de la quantité de champignons ingérés et des modes de préparations culinaires ; la richesse en substance toxique variera, en effet, suivant que les champignons auront été consommés à l'état cru, ou grillés, ou ébouillantés, ou lavés et macérés dans l'eau simple, salée ou vinaigrée.
CHAMPIGNONS SUSPECTS
Entolome livide, Hypholome fasciculé, Strophaire coronille, plusieurs
Russules et Lactaires, etc.
Les champignons suspects produisent des indispositions plus ou moins sérieuses, allant de la forte indigestion (avec vomissements, diarrhée, coliques, sueurs froides, anxiété) au simple malaise avec nausées, pesanteurs d'estomac, purgation légère. Dans ces légers accidents, c'est affaire d'estomac et de tempérament : telles personnes mangeront impunément certains champignons, lesquels provoqueront des malaises chez d'autres consommateurs. Un exemple : à l'automne, depuis plusieurs années, le marché de Chalon est envahi par la Pratelle jaunissante, vendue pour le champignon rose des prés. Cette pratelle, facile à reconnaître par son long pied, dont la base jaunit quand on la frotte avec l'ongle, — le chapeau jaunit par le même procédé — est parfaitement digérée par quelques-uns, tandis que d'autres ressentent des coliques accompagnées de vomissements et de diarrhée. Du reste cette Pratelle, mangée crue, à une saveur désagréable et, à la cuisson, elle répand une odeur d'urine. Quelle différence avec la Pratelle ou champignon rose des prés, à saveur de noisette ! Nombreux sont les mycophages qui la mangent à même dans les prés. Quant aux champignons suspects ou altérés, dans aucun cas, la mort ne s'en est suivie, et pour les derniers, l'empoisonnement a consisté en accidents plus ou moins graves de gastro-entérite, c'est-à-dire d'inflammation de l'estomac et de l'intestin. Remarque. — Une enquête à laquelle s'est livré M. F. Guéguen, au sujet de plusieurs graves empoisonnements par l'Amanite phalloïde, a mis en évidence des faits intéressants à connaître. Chez un certain nombre de malades, aujourd'hui guéris, la période d'incubation n'a pas été longue (3 à 4 heures contre 6, 12, 14 habituellement et même 20). Cette rapidité semble due à ce que certains sujets avaient ingéré non le champignon lui-même, mais la sauce dans laquelle le principe toxique était dissous en partie, d'où action plus rapide, le poison se répandant dans l'organisme dès son arrivée dans l'estomac. Lorsque le champignon est ingéré lui-même, l'incubation a une durée bien plus longue et la terminaison fatale ne se produit qu'après quatre ou cinq jours et cela parce que le champignon retient dans ses tissus une partie du poison. Donc, habituellement, le pronostic sera d'autant meilleur que l'apparition des premiers symptômes sera plus rapide ; d'un autre côté, il convient de faire tout son possible pour faire rejeter les fragments du champignon afin d'éviter la diffusion du toxique ; on se servira, dans ce but, d'évacuants rapides et aussi de l'entéroclyse. Pour M. Guéguen, le meilleur et le plus certain des signes que l'on n'utilise pas actuellement, serait l'étude des modifications sanguines sous l'influence de l'hémolyse due à la phalline. Si on fait des numérations d'hématies à intervalles réguliers et d'une façon méthodique, on a, dès le deuxième examen, une certitude sur la nature de l'intoxication ; ultérieurement, le nombre décroissant, stationnaire ou croissant des globules permettrait d'assurer le pronostic et de diriger le traitement d'une façon efficace et sûre. Ce traitement consiste à laver le sang au moyen du sérum physiologique que l'on injecte à doses élevées et répétées.
ÉTUDE DES MANIFESTATIONS MORBIDES
Avec les champignons à phalline ou champignons mortels, les premiers
symptômes se montrent assez tard, c'est-à-dire 10 à 12 heures et même
20 heures après le repas. On observe des éblouissements, un malaise
général, des nausées, une impression de pesanteur à l'estomac, des
crampes, des brûlures, avec sensation d'étranglement et de soif
ardente. Bientôt apparaissent des sueurs froides, des vomissements, une
diarrhée fétide mêlée de sang, avec vives douleurs à la région anale.
La région de l'estomac est si sensible qu'on n'y peut toucher sans
faire crier le malade : celui-ci protège, d'ailleurs, instinctivement
son bas ventre à l'aide de ses cuisses repliées ; il n'y a plus
d'urines, ou elles sont rares et brun foncé. La peau du corps revêt une
teinte jaune, comme dans l'ictère. Le foie est volumineux.DANS LES DEUX SYNDROMES Empoisonnement phallinien Il se produit des accalmies, accompagnées d'assoupissement pendant une heure ou deux, mais bientôt de nouvelles crises douloureuses reparaissent. L'état général devient de plus en plus mauvais. Finalement, il se produit des troubles de la motilité, de la paralysie, des syncopes ; le pouls s'affaiblit pour cesser d'être perçu, le cœur s'arrête définitivement.
Empoisonnement muscarinien
Quand on a mangé des champignons à muscarine ou champignons dangereux, les premiers symptômes apparaissent très tôt, une à quatre heures après le repas : il y a du délire gai ou violent, des hallucinations comme dans l'ivresse, des crampes d'estomac avec coliques, accompagnées de vomissements, de la diarrhée. Les urines sont supprimées. A partir du moment où le poison est expulsé, le malade s'endort d'un sommeil lourd. A son réveil, c'est à peine s'il se rappelle vaguement ce qui s'est passé.
Moyens de combattre les empoisonnements
1° EMPOISONNEMENTS A MANIFESTATIONS TARDIVES, c'est-à-dire se développant 10, 12 ou 20 heures après l'ingestion (empoisonnements par les champignons mortels, à phalline). Inutile de faire vomir, car à ce moment le champignon est totalement digéré par l'estomac, ses principes toxiques sont absorbés et le sang les charrie ; faire vomir serait épuiser inutilement les forces du malade, déjà déprimé. Première indication : Il faut aider l'organisme à lutter contre l'abattement où le plonge le poison. On donnera du café fort, de l'éther sur du sucre, trois ou quatre cuillerées à café de sirop d'éther ; on réchauffera le corps par tous les moyens : bouillottes, frictions. La deuxième indication est de faire absorber un purgatif, pour débarrasser les portions inférieures du tube digestif. On administrera de préférence de l'huile de ricin à la dose de 30 grammes parce que l'huile de ricin ne dissout pas le principe toxique du champignon ; on donnera en même temps, si les douleurs intestinales sont très vives, un lavement huileux (huile d'olive, 2 cuillerées, battues avec un jaune d'œuf et 4 ou 5 cuillerées de lait ou d'eau tiède), additionné de 20 gouttes de laudanum de Sydenham, pour calmer les douleurs ; à défaut d'huile de ricin, on donnera 30 à 40 grammes de sulfate de soude ou de magnésie, ou de l'eau minérale purgative. La troisième indication consiste à faciliter la diurèse, on fera boire au malade du lait ou des tisanes (chiendent, bourrache) additionnées de 2 gr. d'azotate de potasse par litre. Dans les cas graves on aura recours aux injections sous-cutanées ou intraveineuses de sérum artificiel. La quatrième indication est de combattre divers accidents qui peuvent se produire. Contre les vomissements, on prescrira : glace à l'intérieur, eau de Seltz, potion de Rivière, eau chloroformée avec de la cocaïne. On luttera contre l'affaiblissement du cœur par des injections de caféine, d'huile camphrée, de sulfate de spartéine. Si l'inflammation de l'intestin est vive, on la combattra par des lavements à l'eau de guimauve, des lavements laudanisés. Si le malade a du délire, on donnera des calmants, ou s'il a de l'abattement, des stimulants. Tous ces moyens de lutte doivent être mis en œuvre avec persévérance ; il n'est pas rare d'observer des malades qui, à la suite d'un empoisonnement par les champignons, ne peuvent se rétablir et s'affaiblissent peu à peu pour s'éteindre parfois plusieurs semaines après l'accident. 2° EMPOISONNEMENTS A MANIFESTATIONS RAPIDES. (Empoisonnements par les champignons dangereux, mais non mortels : Muscarine.) Ce qu'il ne faut pas faire : il ne faut faire boire ni élixir, ni cordial, ce qui ne servirait qu'à augmenter l'absorption et la diffusion de la substance vénéneuse. Ce qu'il faut faire : faire vomir par exemple en chatouillant, avec le doigt ou une barbe de plume, le fond de la gorge. Si le chatouillement de l'arrière-gorge ne suffit pas, on ne le continuera pas, il faudra donner au patient de l'eau de savon ou un ou plusieurs bols de lait tiède. Si on le peut, on évacuera le contenu de l'estomac au moyen de lavage avec le tube Faucher. En même temps, on réchauffera les parties du corps qui se refroidissent en mettant des boules d'eau chaude, en appliquant des cataplasmes bien chauds sur l'abdomen, en pratiquant des frictions avec de l'alcool. Il peut être utile de faire respirer de l'éther ou à son défaut du vinaigre. On a préconisé enfin les injections hypodermiques d'un demi-milligramme de sulfate neutre d'atropine en se basant sur l'antagonisme de cet alcaloïde et de la muscarine ; mais, comme le dit le Dr Clerc : « Il ne faut pas s'exagérer la valeur d'un tel médicament dont l'action réelle qu'on expérimente sur la grenouille semble plus problématique chez les animaux à sang chaud, et nécessite en tout cas l'emploi de doses relativement énormes et par conséquent toxiques. »
Le Charbon employé comme antidote
Il faut pas trop se moquer des vieux remèdes. Un beau jour on s'aperçoit qu'ils ont du bon. Pourquoi en serions-nous surpris ? La patiente observation de nos pères en a constaté les effets, et s'ils se sont maintenus dans la pratique populaire, en dehors de toute idée superstitieuse, c'est que vraisemblablement ils ont quelque valeur. Ainsi s'exprime le Correspondant médical du 15 janvier 1909. Le journal La Nature, du 14 octobre 1905, rapporte que les Japonais ne redoutent aucune intoxication, grâce à l'habitude d'absorber aux premiers symptômes gastro-intestinaux inquiétants, du charbon animal ou végétal. Le charbon, dit le Dr J. Laumonier, est un absorbant des gaz, un fixateur énergique des alcaloïdes et des toxines. Quand les montagnards de la Haute-Garonne et de l'Ariège veulent manger des champignons dont ils ne sont pas absolument sûrs, ils les font bouillir avec du charbon de bois. Cette habitude existe aussi dans le Morvan. Doit-on croire aveuglément aux vertus de la poudre de charbon (charbon végétal ou noir animal) proposée comme antidote des empoisonnements par les champignons ? S'il est vrai que le charbon est susceptible de retenir énergiquement une partie des principes toxiques de certaines plantes, comme la Belladone, la Ciguë, l'Amanite tue-mouche, l'Amanite panthère, etc., il n'est nullement prouvé qu'il en soit de même pour les poisons qui existent dans les terribles Amanites phalloïde et citrine, les Volvaires. Si le charbon peut rendre quelques services dans des cas déterminés, il exposerait, administré seul, à de graves mécomptes précisément dans les occasions où il serait le plus nécessaire de pouvoir compter sur son efficacité. Une impression d'ensemble se dégage de celte étude : chaque année l'humanité paie de plusieurs centaines de vies précieuses des fautes faciles en somme à éviter ; les médecins, et les législateurs ont le devoir de s'attacher à la lutte contre les empoisonnements par les champignons. Les mycologues doivent de leur côté unir tous leurs efforts pour instruire le peuple, et vulgariser cette science à la fois agréable et si utile au point de vue économique. Éducateur durant ma vie, je m'estimerai encore heureux, si je puis, à l'heure de la retraite et dans ma modeste sphère, sauver quelques-uns de mes concitoyens de la Mort, soit en vérifiant leurs récoltes, soit en guidant leurs premiers pas dans cette étude passionnante qu'offrent les champignons. H. GUILLEMIN.
7 octobre 1913. BIBLIOGRAPHIE : Étude médicale sur l'empoisonnement par les champignons (thèse) par le docteur Victor Gillot (Association typographique, Lyon, 1900). Bulletin de la Soc. botanique des Deux-Sèvres, 1913. (Dr Moreau) Bullet. de la Soc. des Naturalistes de l'Ain (1912). (Amédée Bizot) Champignons mortels et dangereux par F. Guéguen. Le Schéma, revue médicale, 1912. (Dr Labesse) La Presse médicale, 1912. (Dr Desfosses) Revue moderne de médecine et de chirurgie. (E. Gouin) Nota. — Comme dans notre Flore, je n'ai employé, pour désigner les champignons, que les noms scientifiques français, à l'exclusion de toute appellation locale si variable selon les régions et pouvant prêter à confusion. H. G. NOTES : (1) Flore des champignons supérieurs de France, par M. R. Bigeard et H. Guillemin, 2 volumes, 1400 pages, 3800 espèces, 100 planches en noir, avec 866 figures : T. I.— broché, 9 fr. ; relié, 10 fr. Complément ou T. II. — 20 fr. ; relié, 21 fr. En vente chez les auteurs et chez M. Léon Lhomme, successeur de Klincksieck, librairie des sciences naturelles, 3, rue Corneille, Paris. Voir Bulletins de l'Union Agricole et Viticole, octobre et novembre 1908, Le Progrès et le Courrier de Saône-et-Loire des 14-26 septembre 1912. (2) Amédée Bizot, Bul. de la Soc. des Nat. de l'Ain, n° 30. (3) Recherches faites au laboratoire de cryptogamie de l'Ecole supérieure de pharmacie de Paris, par M. Rodais, professeur, et M. Sartory, préparateur, docteurs ès sciences. M. Radais a publié un fort bon tableau des champignons mortels. |