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L. Halevy : Une agence dramatique (1832)
HALEVY, Léon (1802-1883) : Une agence dramatique (1832).
Saisie du texte et relecture :S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (08.IV.2009)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : nc) de  Paris ou le livre des cent-et-un. Tome neuvième.- A Paris : Chez Ladvocat, libraire de S.A.R. le Duc d'Orléans, MDCCCXXXII.- 415 p. ; 22 cm.
 
Une agence dramatique
par
Léon Halevy

~*~

Tout marche ; tout suit le progrès du siècle. Quand je donnai au théâtre mon premier ouvrage (c’était en 1826), l’agent dramatique auquel m’adressa l’aimable et spirituel Emmanuel Dupaty, demeurait au troisième, dans un étroit et sombre appartement. Depuis cette époque, il a descendu deux étages ; la modeste table de noyer, surchargée de vieux cartons, s’est métamorphosée en riche et élégant bureau d’acajou ; deux commis toujours occupés groupent les chiffres aussi bien que le ferait M. Thiers ; et dans un arrière-petit cabinet résonne l’agréable bruit des écus : vous vous croiriez chez un agent de change ou chez un banquier. Tout annonce enfin une notable amélioration. Malheureusement les recettes des auteurs n’ont pas suivi la même progression. Depuis que les agents dramatiques sont mieux logés, les théâtres font de moins brillantes affaires ; et depuis qu’on n’a plus à monter qu’un étage, on redescend l’escalier bien plus légèrement : il y a compensation.

Qu’on ne voie pas dans ces paroles l’intention de dénigrer le présent au profit du temps qui n’est plus. Je n’appartiens pas à ces louangeurs intrépides du passé, pour qui le mépris du présent est une consolation ou une vengeance. Sans être insensible à ce que nous avons perdu, je ne le suis pas non plus à ce qui nous reste, et à ce que nous avons gagné. Cette décadence dans la prospérité matérielle des théâtres tient à des causes qu’il serait facile d’énumérer si c’était ici la place. Qu’il nous suffise d’indiquer en première ligne, comme l’une de ces causes, l’hostilité de la presse périodique contre le théâtre, hostilité permanente depuis deux ans, et qui ne serait pas plus grande, si une révolution sacerdotale s’était opérée en France pendant les trois journées de juillet.

Je reviens aux agents dramatiques, et je commencerai par la définition du mot. Les agents dramatiques sont les fondés de pouvoir des auteurs ; ce sont eux qui perçoivent pour les écrivains dramatiques le droit pécuniaire résultant de la représentation de leurs ouvrages. Ce droit est ou proportionnel à la recette, ou fixe, suivant la nature des théâtres, et les divers traités qui lient les administrations théâtrales et l’association des auteurs.

La question des salaires, cette question si profonde, si vivace, qui agite et agitera long-temps encore la société, trouble aussi quelquefois le monde dramatique, et occasionne de graves débats entre les directeurs de théâtres et l’association des auteurs, représentée par une commission qui apporte le plus grand zèle dans l’exercice de ses difficiles fonctions. Cette commission ne se borne pas à défendre les intérêts des auteurs vivants, elle étend sa sollicitude sur les héritiers des auteurs morts et sur la vieillesse malheureuse de quelques écrivains tombés dans l’indigence, après avoir enrichi plusieurs théâtres, à une époque où la rétribution des ouvrages dramatiques n’était en rapport ni avec les convenances ni avec l’équité.

A l’exception de deux ou trois théâtres du boulevart, exclusivement voués au mélodrame, le mode de rétribution proportionnelle à la recette est en usage dans les théâtres de Paris. Ce mode, le plus équitable et le plus rationnel, devrait être adopté partout, puisqu’il fait participer les auteurs aux bénéfices qu’ils procurent, de même qu’il les associe aux pertes que peuvent faire éprouver aux théâtres, ou les mauvaises chances des pièces nouvelles, ou l’influence de circonstances fâcheuses et défavorables. Lorsque l’Opéra-Comique, relégué dans le lointain quartier Ventadour, se débattait contre les funestes conséquences de ce pernicieux isolement et contre l’énormité de ses charges, les recettes, pendant ces derniers jours d’agonie, descendaient quelquefois à une exiguité véritablement monstrueuse. On cite un de nos plus spirituels auteurs dramatiques qui, venant toucher le montant de ses représentations du mois, fut stupéfié de voir une somme de 40 centimes figurer à son compte, pour la représentation d’un de ses ouvrages à la salle Ventadour : la recette avait été de six francs cinquante ! Espérons qu’un pareil chiffre n’attristera plus le budget des poètes et compositeurs qui consacrent leurs talents au théâtre de l’Opéra-Comique, maintenant que transplanté sur un sol plus propice, et ravivé par la prodigieuse réapparition de Martin, ce théâtre peut voir renaître ses beaux jours. Cet avenir ne peut lui manquer avec l’appui de nos brillants compositeurs français, et celui des illustres maîtres étrangers, tels que Paër et Cherubini,  naturalisés parmi nous par leurs succès.

Les agents dramatiques ne perçoivent pas seulement pour Paris les droits des auteurs. Une vaste correspondance les met en rapport avec les directeurs des théâtres de province, et c’est surtout cette partie de leurs attributions qui rend leur ministère utile et précieux aux écrivains qui ont placé en eux leur confiance.

Avant que la France eût subi ces traités de 1815, qui, non contents de lui arracher ses conquêtes, lui ont enlevé jusqu’à ses limites naturelles, on touchait des droits de Bruxelles et de Coblentz. Une pièce applaudie à Paris rapportait de l’argent dans le département de Rome ou du Trasimène. M. Scribe, le plus fécond de nos auteurs et le mieux renté, doit gémir, non pas seulement par patriotisme, quand, jetant les yeux sur une carte de l’empire français, il voit que nous avons perdu les départements de l’Escaut, du Rhin, du Rhin-et-Moselle, de la Frise, du Simplon, du Pô, les Bouches du Wéser, les Bouches de la Meuse, les Bouches de l’Yssel, les Bouches de l’Elbe, l’Ems occidentale, l’Ems orientale, et le Zuyderzée !

Du reste, maintenant encore, la représentation de nos ouvrages dramatiques n’est pas restreinte aux limites dans lesquelles la France est renfermée. Comme au temps de nos conquêtes, nos pièces sont applaudies dans des capitales étrangères ; et si le résultat financier n’est plus le même, notre amour-propre national n’a rien perdu. Un théâtre français est établi à Saint-Pétersbourg et à Berlin. Nos comédies, nos vaudevilles y sont autant goûtés qu’à Paris. Si la Belgique n’est plus française de par les traités et les protocoles, elle l’est toujours d’esprit et de pensée. Le théâtre royal de Bruxelles, où se trouvent réunis en ce moment Chollet, mademoiselle Prévost, et l’habile comédien Cartigny, fait connaître aux Belges nos grands opéras et nos comédies, et leur fait oublier la conférence de Londres. Le théâtre du Parc s’enrichit des joyeux ouvrages du théâtre des Panoramas, et des drames historiques du Vaudeville ; la Hollande même, si opiniâtre et si rétive, baisse pavillon devant nos refrains et nos couplets ; et pendant que nos braves artilleurs se canonnaient avec Chassé devant Anvers, la charmante Jenny Vertpré faisait les délices de La Haye, et déridait le front soucieux des patriotes néerlandais.

Mais revenons à la France.

Demandez à M. Jules Michel ou à M. Guyot (ainsi se nomment les deux agents dramatiques qui se partagent en deux parts à peu près égales les deux à trois cents auteurs qui alimentent les théâtres de la capitale), demandez-leur quel est le genre le plus aimé en province, et par conséquent le plus joué ; il vous répondront sans hésiter : l’opéra-comique. Ce genre est donc véritablement national, en dépit de toutes les épigrammes et de tous les sarcasmes dont cette épithète est devenue l’objet, appliquée au genre dont nous parlons. C’est bien un argument de quelque valeur que cette unanimité du goût français dans nos quatre-vingt-six départements. La Dame blanche, la Fiancée, Jeannot et Colin, Jean de Paris, etc. font la base du répertoire des théâtres de province ; et pour peu que ces ouvrages soient exécutés d’une manière passable, ils ravissent les amateurs lyonnais ou toulousains. Un opéra-comique nouveau représenté avec succès à Paris, est sur-le-champ confié aux ténors, aux basses-tailles, aux premières et aux secondes chanteuses de toutes les préfectures, sous-préfectures, et chefs-lieux de canton du royaume. C’est la manne attendue du ciel, et qui tombe dans le désert. Les opéras rossinisés de M. Castil-Blaze partagent la même faveur ; et il est peu de soirs où, dans quelque coin de la France, on ne verse des larmes sur les infortunes de Ninetta, ou la mort de Desdémona. On ne saurait croire le tort immense que la clôture prolongée du théâtre de l’Opéra-Comique a fait aux théâtres de province. La plupart des directeurs, privés du secours des opéras nouveaux après lesquels ils soupirent si ardemment, ont fait faillite ; et la fermeture du théâtre Ventadour a été pour eux la plus grande des calamités, après, toutefois, la protection des conseils municipaux, dont l’on connaît le zèle éclairé pour les arts, et la munificence pour ceux qui les cultivent.

Après l’opéra-comique, le genre le plus en faveur, le plus en vogue en province, c’est le vaudeville. Quand Boileau fit ce vers :

    Le Français né malin créa le vaudeville,

c’est-à-dire la chanson badine et moqueuse, le couplet frondeur et satirique, il ne se doutait pas de l’extension que prendrait plus tard ce mot, et que la première atteinte portée en France aux unités d’Aristote le serait dans un vaudeville (1). Voyez la destinée des grands hommes ! On ignore le lieu de la naissance d’Homère ; on sait où naquit Olivier Basselin, foulon de Vaudevire ; et, grâce à ses joyeuses chansons, un bourg obscur de Basse-Normandie a eu la gloire de donner son nom à un genre de littérature qui, dans l’histoire de notre théâtre, n’occupera pas une place sans importance. D’abord, simple expression de la gaieté française, épigramme mordante et bouffonne, pamphlet rimé qui courait en chantant, le vaudeville a grandi d’âge en âge, changé de caractère de siècle en siècle, et, dans ses nombreuses transformations, a toujours conservé l’esprit des temps et la physionomie des diverses époques. Des parodies un peu grossières, des esquisses un peu informes de Fuselier, Lesage et Dorneval, trio fécond sur qui reposait la fortune du théâtre Italien et du théâtre de la Foire, aux agréables comédies, aux spirituels tableaux de Barré, Radet et Desfontaines, il y a un pas de géant, il y a toute une révolution de l’art. Et quel nouveau changement, quelle nouvelle métamorphose, si de ces trois gloires chantantes de la fin du siècle dernier, vous passez aux oeuvres contemporaines de MM. Scribe, Bayard et Mélesville, ou de MM. Théaulon, Brazier et Dumersan ! car, de tout temps, le vaudeville a enregistré dans ses fastes d’heureuses associations de trois renommées.

Le vaudeville semble arrivé de nos jours à l’apogée du progrès. Éclaireur aventureux de la littérature dramatique, il aborde tous les genres avec audace ; s’élance dans toutes les voies ; poursuit, malgré le feu roulant de la critique, la hardiesse de ses excursions, et résumé à lui tout seul le pêle-mêle de notre théâtre, et le mouvement anarchique de notre société où se croisent, s’agitent, et tourbillonnent tant de croyances et de systèmes. Le vaudeville s’est fait histoire, roman, drame, comédie de moeurs, tragédie, chronique. Ici, exclusivement voué à la peinture des moeurs de salon, il tâche de continuer la comédie, abandonnée des théâtres qui devraient lui servir d’asile ; il se fait fashionable, dandy, banquier, duc et pair ; il habite la Chaussée-d’Antin ; il est riche à millions ; il a voiture ; il fouille les derniers replis du coeur féminin, et examine à la loupe les passions humaines dans le coeur bouillant d’un agent de change ou d’un avoué. Là, il porte dague et pourpoint ; c’est un féal et amé seigneur suivi de pages et de varlets ; il habite le vieux Paris, le vieux Louvre ; il est blasonné, cuirassé ; il marche appuyé sur un astrologue-parfumeur-empoisonneur ; il dit Vive-Dieu, jure par sa bonne lame, ne se rase jamais, et donne tous les soirs, de sept à onze, savante leçon d’histoire et d’antiquités aux professeurs de la Sorbonne. Ici, c’est le peuple d’aujourd’hui avec sa physionomie franche et animée ; c’est la comédie populaire, avec son allure vive et joyeuse ; c’est la bêtise humaine, étudiée, mise à nu dans ce qu’elle a de plus original, de plus grotesque, et poussée jusqu’à un degré de comique que n’avait point deviné Molière. Sous toutes ces faces si diverses, sous toutes ces physionomies si mobiles, le vaudeville plaît et réussit en province aussi bien que dans la capitale. Une page d’histoire dramatisée, comme un Duel sous Richelieu ; une comédie gracieuse et fine, comme le Chaperon ; un tableau vrai, comme l’Homme qui bat sa femme, sont goûtés à Lyon comme à Paris, à Bordeaux comme à Lyon ; et le thé de madame Gibou est devenu aussi célèbre que le poignard de Manlius, ou la coupe de Rodogune.

Après le vaudeville vient le drame et la comédie ; non pas la comédie en vers, car on n’en fait plus à Paris, et c’est à peine si de loin en loin figure sur une affiche de province quelque grande comédie d’Alexandre Duval ou d’Étienne ; mais la comédie en prose, la comédie de genre où excellait Picard, où brilla Wafflard, continue de fleurir sur les scènes départementales. De spirituelles esquisses, comme le Mari et l’Amant, de M. Vial, les trois Chapeaux, de M. de Longpré, les Deux Anglais, de M. Merville, font leur tour de France aux applaudissements du public. D’anciens ouvrages, tels que les Étourdis, d’Andrieux, le Roman d’une heure, d’Hoffmann, les Héritiers, de Duval, jouissent en province d’un succès intarissable et toujours nouveau. La forte et ingénieuse leçon du Jeune Mari a été jugée partout, comme à Paris, saisissante de vérité, de naturel et de comique. Et pourtant la province ne confirme pas toujours les succès et les gloires de la capitale. Tel drame à émotions fortes, à grandes catastrophes, à combinaisons multipliées, après avoir bruyamment franchi les barrières, précédé de toutes les fanfares de la renommée, et de l’éclat d’une vogue triomphale, obtenue dans le centre du goût, est accueilli en province comme un député ministériel, et vient succomber lourdement sous les clefs forées de Rouen ou de Marseille ; tandis que tel ouvrage, fondé sur l’observation des moeurs et l’étude du coeur humain, la Mère et la Fille, par exemple, après n’avoir obtenu à Paris qu’un succès d’estime, sera la pièce en vogue dans plus d’un chef-lieu de département. Nouvel exemple de la diversité du jugement des hommes, et de l’instabilité des choses humaines.

La tragédie ne fait en province que de rares apparitions, et à de longs intervalles. Ce sont des artistes de passage qui voyagent avec la toge et le poignard ; des élèves du conservatoire qui viennent essayer sur le public d’Elbeuf ou de Limoges la sûreté de leur mémoire et l’énergie de leurs poumons ; des acteurs du Théâtre-Français qui, pour n’en pas perdre l’habitude, jouent l’ancien répertoire en province. C’est Oreste, Hamlet, Néron, Sylla, Régulus, Louis XI, qui arrivent par la diligence et repartent par le bateau à vapeur. C’est Hermione et Marie Stuart en chaise de poste. Mais qu’il se trouve par hasard dans la ville un polichinelle ou un éléphant, Oreste criera dans la solitude, et Marie Stuart fera dans le désert ses adieux à la nature : c’est comme à Paris.

On voit que les théâtres de province, à peu de chose près, et sauf les différences qu’établit le talent des acteurs, sont l’image des théâtres de la capitale. L’opéra-comique y prospère, quand il existe ; le vaudeville y obtient la vogue ; la comédie de genre y plaît ; et le drame moderne y chancèle, quand il n’a pas pour appui le talent de Bocage ou de Frédérick, ces deux atlas du drame à la mode.

Mais vous trouvez peut-être que je suis bien loin de mon titre, et des agences dramatiques ; je me hâte de vous y ramener.

Suivez-moi dans cette rue brillante et populeuse, qui unit le Palais-Royal à la Bourse, ces deux grands centres parisiens ; rue toujours animée, où se pressent la citadine et le landaw, la calèche du pair de France et le cabriolet de l’agent de change. Tâchez de ne pas vous perdre à travers le dédale des équipages en station et des flaneurs collés aux vitres des marchandes de modes ; tâchez d’échapper aux marchands de papier Weynen, de cannes en tubes métalliques, de canifs à trente-huit lames, et aux crieurs de l’Espion des Jeux et de la Gazette de Vénus. Entrez avec moi dans cette maison d’assez belle apparence ; franchissez cette porte cochère où vous ne pourrez vous défendre de jeter en passant un regard de côté, car un miroitier y étale les produits de son industrie ; et que nous ayons reçu de la nature la grâce d’Adonis, ou la tournure de Mayeux, cette création des temps modernes, un sentiment instinctif nous portera toujours à saluer notre chère personne d’un regard de complaisance. La glace nous attire comme un aimant ; et l’homme le moins infatué de sa figure ne passera jamais devant un miroir, sans être tenté de jeter un coup d’oeil furtif sur la reproduction de son image.

Montez un étage : vous voilà au milieu de la comptabilité dramatique. C’est là que les applaudissements s’escomptent en numéraire, l’esprit en billets de banque, le talent en pièces de cinq francs.

C’est là que l’auteur du drame en vogue vient de sa main d’homme mettre dans son gousset d’homme, ou serrer contre sa poitrine d’homme, le vil métal, fruit de ses sublimes labeurs.

C’est là que se traduisent en écus, Antony, et la Femme à deux maris ; les deux Gendres, et le Tyran peu délicat ; les lazzis de Bouffé, et les sentences de M. Marty ; les duos de Robert-le-Diable, et les coups de fusil du Cirque-Olympique ; la fougue heureuse de Frédérick, et les accents de Martin ; les beaux élans de madame Dorval, et les espiégleries de la spirituelle Déjazet ; les bouffonneries d’Odry, et les balancements de Taglioni la Sylphide. C’est là que se résument en francs et centimes mademoiselle Mars et Vernet ; M. Victor Ducange et M. Scribe ; mademoiselle Despréaux et madame Vautrin ; Ligier et Léontine Fay ; mademoiselle Noblet la tragédienne et mademoiselle Noblet la danseuse ; Adolphe Nourrit et madame Albert ; madame Casimir et mademoiselle Georges ; Arnal et madame Cinti-Damoreau. C’est là que se matérialise et se réduit en lingots ce vaste univers dramatique qui renferme tant d’intérêts grands et petits, tant d’agitations et d’intrigues, tant d’hommes et de choses, depuis le grand Opéra jusqu’aux Funambules exclusivement, depuis le théâtre de M. Comte jusqu’à la scène où chante Rubini, depuis l’auteur de Louis XI, et des Comédiens, jusqu’à l’homme de lettres qui vint lire un jour à l’un des comités de lecture de Paris un ouvrage commençant par ces mots : Le théâtre représente une chambre où il y a des punaises.

C’est là que tous les mois, du 8 au 10, presque tous les auteurs de la capitale, vaudevillistes et dramaturges, poètes tragiques et comiques, compositeurs, faiseurs de libretti, viennent se donner le plaisir d’évaluer à un denier près, leur esprit et leur imagination, et d’emporter le résultat, plus ou moins pesant, de leurs facultés pensantes et créatrices.

A cette foule de notabilités dramatiques et d’industriels littéraires, se mêlent aussi quelques honnêtes capitalistes qui auront aidé de leur caisse un auteur gêné dans ses affaires, et se rembourseront mensuellement sur les produits de sa verve laborieuse ; ou quelques spéculateurs aventureux, pour qui tout est matière d’agiot, un vaudeville comme la rente de Naples, un drame comme l’emprunt romain, et qui auront acquis par marché aléatoire, une portion dans les revenus de tel auteur, dans les produits de tel ouvrage.

Voyez, par exemple, ce gros monsieur, à la figure épanouie, à l’air franc et ouvert, qui vient de terminer ses comptes, de donner sa signature, et qui sort un sac d’argent à la main. Vous croyez sans doute que c’est quelque gai successeur de Panard et de Désaugiers, le soutien de quelque théâtre chantant, le géant du couplet de facture. Détrompez-vous : ce gros monsieur, c’est M. Barba.

- M. Barba ! me direz-vous en faisant un bond ; M. Barba, auteur ! Pour qui me prenez-vous ? Je sais que M. Barba est l’éditeur de la Cuisinière bourgeoise, des romans de Pigault-Lebrun, du Cuisinier royal, des mélodrames de M. Pixérécourt, et de douze à quinze cents pièces de théâtre. Mais M. Barba, auteur ! Vous voulez rire !

- En effet, M. Barba n’est pas auteur ; ce qui ne l’empêche pas de venir tous les mois toucher une somme assez ronde chez l’agent dramatique ; et voici comment :

Un vaudeville, un mélodrame a-t-il réussi sur l’un de nos théâtres, M. Barba offre du manuscrit trois, quatre, cinq cents francs, selon le succès.

- Jusque là, me direz-vous, rien de mieux. Il fait son métier de libraire. Seulement il offre peu.

- Oui, mais un instant. Voici venir le spéculateur. M. Barba, vous dis-je, offre trois, quatre ou cinq cents francs du manuscrit, somme que vous trouvez fort modique ; mais il l’offre à condition que vous lui céderez le tiers de vos droits, d’auteur en province. Comprenez-vous maintenant ?

- Mille fois trop ! vous écriez-vous. Mais c’est une horreur ! c’est un marché de dupe !

- Attendez ! car il faut voir la question sous toutes ses faces. S’il y a avantage pour le libraire, et avantage énorme, peut-être aussi n’y a-t-il pas dommage complet pour l’homme de lettres, et voici comment. Vous comprenez que M. Barba, acquéreur d’une pièce nouvelle aux conditions que je viens de vous décrire, se hâte d’en adresser des exemplaires aux directeurs de tous les théâtres de France, avec une recommandation de sa propre main ! Et vous sentez ce que ce doit être qu’une recommandation de M. Barba ! Aussi un mois après, le nouveau chef-d’oeuvre est-il à l’étude au Nord et au Midi ; ou le répète à Marseille et à Cambrai ; on le joue partout. M. Barba apporte dans ses intérêts dramatiques toute son activité de commerçant ; il expédie les succès, franc de port, par toute la France ; il fait voyager par le roulage accéléré la tirade et le couplet, le marivaudage et le gros comique, le rire et les sanglots ; il ne néglige pas la plus petite bourgade, pourvu qu’elle ait un théâtre. La France ne sait vraiment pas tout ce qu’elle a d’obligation à M. Barba, ce grand pourvoyeur de ses plaisirs. Il résulte de cette sollicitude de l’infatigable éditeur, que si les droits de l’auteur sont diminués, ils sont plus fréquents ; que s’il touche moins dans chaque ville, il touche dans presque toutes : cela se compense. Je ne parle pas de l’avantage d’être représenté dans tous nos départements, d’être adulé, prôné, encensé, dans les circulaires de M. Barba, et au bas de ses factures : au temps où nous sommes on tient si peu à la gloire ! Qu’il me suffise de vous avoir prouvé qu’entre M. Barba et les auteurs qui traitent avec lui, les profits se balancent.

- Oui ; mais je vois aussi qu’au bout de six mois, M. Barba, rentré dans ses déboursés, s’est créé un revenu durable et certain ; que la somme qu’il offre n’est pas en rapport avec les bénéfices qu’il en retire, et que, moyennant ce genre de spéculation, c’est une véritable dîme qu’il prélève sur les travaux de nos auteurs dramatiques, sur les veilles de nos écrivains.

- Permis à vous de le dire ; mais M. Barba n’impose à personne ses conditions ; libre à tout le monde de les rejeter : il ne fait point signer ses traités au coin d’un bois, et le pistolet à la main ; cela s’opère à l’amiable, et de gré à gré. Si nos auteurs veulent l’enrichir, qu’y trouvez-vous à redire ? Et puis vous ne songez qu’aux bénéfices ; il faut aussi songer aux pertes, aux non-valeurs, aux chutes de province, aux banqueroutes !

- Laissez-moi donc tranquille ! Voyez donc seulement cet air de jubilation ! voyez la rotondité de ce sac d’écus ; voyez ce sourire qui annonce l’abondance de la récolte et la douce prévision de l’avenir ! Je vous dis que M. Barba mourra millionnaire, et dans l’impénitence finale.

- Dieu vous entende ! dirait-il, s’il connaissait le voeu que vous formez.

Quel intéressant tableau statistique ferait M. Charles Dupin avec les chiffres de MM. Jules Michel et Guyot ! On a déjà remarqué que la somme dépensée annuellement par la population de Paris pour les spectacles a toujours peu varié depuis trente ans, quel que fût le nombre des théâtres ; d’où il faut conclure qu’un théâtre nouveau ne peut se soutenir que par les pertes d’un théâtre plus ancien. Il serait curieux de constater aussi la répartition de la somme annuelle des recettes entre les différents genres de littérature dramatique ; mais il est inutile de dire que la plus forte partie de ces recettes est absorbée aujourd’hui par les théâtres qui jouent le vaudeville et par l’Académie royale de musique, arrivée de nos jours à un degré de prospérité sans exemple.

Quant à la tragédie, la haute comédie, le drame de passion large et d’analyse puissante du coeur, le théâtre enfin dans sa noble et grande acception ; hélas ! ce bel art se meurt. Le romantisme actuel n’a été encore qu’une réaction du laid contre le beau ; et il faut le dire, la réaction a été complète, cruelle, impitoyable. Que de prétendus novateurs, esprits forts et originaux, à ce qu’on pense, ne se croient tels et ne passent pour tels que parce qu’ils acceptent sans choix et sans triage, et mettent en oeuvre des pensées que d’autres, esprits faibles et impuissants, à ce qu’ils prétendent, rejetteraient comme usées, comme rebattues, comme indignes d’eux-mêmes et du public ! La hardiesse de tout exprimer n’est pas le génie créateur ; savoir choisir, voilà le secret du talent : mais l’audace de tout dire fait toujours supposer une grande imagination chez l’homme qui a la pauvreté de tout penser.

Qu’arrive-t-il ? De même que le progrès politique succombe sous les entraves oppressives du pouvoir et sous les imprudents excès de la licence ; de même le progrès littéraire expire sous les préjugés de la vieille école et les saturnales de la nouvelle. Les émeutes dans l’art font le même tort que les émeutes en politique : elles arrêtent et tuent le progrès. C’est le drapeau rouge qui d’une solennité patriotique fait naître une bagarre de carrefour, puis un coup d’état. Les tentatives insensées en matière d’art finissent, d’une part, par émousser tellement le goût du public, qu’elles le rendent insensible aux progrès avoués par l’esprit et la raison, et de l’autre, exploitées et mises à profit par les esprits stationnaires, elles servent de merveilleux arguments contre le mouvement des idées et les modifications nécessaires de l’art.

LÉON HALEVY.

(1) Julien, ou Vingt-cinq ans d’entracte, jolie pièce dont l’on n’a pas oublié le succès brillant au théâtre de la rue de Chartres.

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