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E. Labaume : La place de Grève (1833)
LABAUME, Eugène (1783-1849) La place de Grève (1833).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (13.V.2008)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de Paris ou le livre des cent-et-un, Tome XI, publié à Paris : Chez Ladvocat en 1833.
 
La place de Grève
par
Eugène Labaume

~ * ~

Si le livre des Cent-et-Un eût été destiné à donner une description pittoresque et animée de tous les lieux de la capitale témoins d’événements tragiques susceptibles d’émouvoir la sensibilité des lecteurs, il n’en est aucun qui, sous ce rapport, pût offrir des scènes plus dramatiques et plus variées que la place de Grève. Mais à Dieu ne plaise que, pour exciter des émotions, nous cherchions à rappeler ces supplices affreux qu’une législation barbare faisait endurer aux criminels.

Nous ne parlerons donc point du supplice de la roue infligé à Ravaillac, pour avoir plongé un poignard dans le sein du bon Henri, ni de l’horrible agonie de la marquise de Brinvilliers, habile à préparer des poisons pour ses parents et ses amis, ni des tourments affreux que souffrit, pendant trois jours, le stoïque assassin de Louis XV ; spectacle horrible et révoltant où coururent les grands seigneurs pour faire la cour au Sardanapale français.

Que les temps sont changés, et combien les moeurs se sont améliorées dans un esprit d’humanité ! Au commencement de la révolution, les gens du peuple, seuls, aimaient à voir couler le sang ; on se souvient encore que les fenêtres d’un marchand de vin se louaient comme des loges à l’Opéra, du moment où l’on dressait, vis-à-vis sa maison, l’instrument du supplice. Tout Paris était en émoi le jour où des crieurs publics annonçaient à tue-tête : Jugement qui condamne un particulier très-connu à être fait mourir aujourd’hui en place de Grève.

Depuis cette époque, un heureux changement s’est opéré dans la classe qui, autrefois, se précipitait au Palais pour entendre prononcer une sentence de mort ; qui se pressait au pied de l’échafaud pour jouir de l’agonie de ces êtres livides, à moitié nus, et dont les derniers regards, en se portant vers le ciel, n’y voyaient qu’un fer fraîchement aiguisé pour les lancer dans une sombre éternité. Cette classe, par l’effet de l’instruction, est devenue sensible ; heureuse influence des lumières, elle croira bientôt que l’éducation qu’elle envie est inséparable de l’humanité. Aussi, les enfants de ceux qui, autrefois, prenaient plaisir à voir passer l’infortuné Lally, ayant des bourreaux à ses côtés, et un bâillon à la bouche, ne veulent plus que la place du quartier le plus populeux soit rougie du sang des empoisonneurs et des parricides.

Ce n’est donc point pour rappeler les exécutions juridiques que nous donnerons à ce chapitre le titre de Place de Grève. Sous un autre point de vue, cette place offre matière à des aperçus nouveaux, et dignes d’un grand intérêt, lorsqu’on la considère comme ayant été le théâtre de grands événements politiques, remarquables par leur importance et la mobilité des esprits qui les dirigèrent. Sans vouloir remonter aux temps de la vieille monarchie, prenons seulement pour point de départ le jour où les électeurs, assemblés dans l’Hôtel-de-Ville, dirigèrent le mouvement insurrectionnel qui amena la destruction de la Bastille. Hélas ! ce jour qu’on appelait alors l’aurore de notre indépendance, fut marqué par des massacres et des assassinats qui ternirent tout l’éclat d’une révolution entreprise dans les sentiments les plus généreux. Le gouverneur Delaunay, pour avoir rempli ses devoirs de loyal militaire, devint la victime d’une populace furieuse qui lui infligea le supplice de la lanterne, au bas de la statue du grand roi, dont les factieux n’osèrent jamais, de son vivant, affronter les regards. Ses officiers, dont on vantait l’humanité, que les prisonniers eux-mêmes appelaient leurs pères et leurs amis, n’échappèrent pas non plus à des coups homicides, et périrent sur le seuil de l’Hôtel-de-Ville, où ils espéraient trouver un asile inviolable et sacré.

Les moeurs étaient alors si barbares, et les opinions si exaltées, qu’un des chefs de l’insurrection, le fameux Camille Desmoulins, quoique plein de talent et de sensibilité, ne rougit pas de prendre le titre odieux de procureur général de la lanterne. De nos jours, quel serait le révolutionnaire assez déhonté pour oser ainsi affecter le cynisme du crime ?

Sans vouloir juger la révolution nouvelle, qui ne sera appréciée que lorsqu’elle aura réalisé les grandes choses qu’elle semblait promettre, ou ne peut néanmoins se dispenser de remarquer, en l’honneur de nos moeurs constitutionnelles, que les Parisiens, éclairés par les progrès de notre civilisation nouvelle, n’eurent point à déplorer aucun de ces actes de férocité qui déshonorèrent les premiers jours de la révolution de 1789. Le 29 juillet 1830, les vainqueurs embrassèrent les vaincus sur la place de Grève, où, pendant trois jours, ils avaient combattu ; et, pleins de respect pour le plus hardi défenseur de la légitimité, ils le portèrent en triomphe sur sa chaise curule.

Pour apprécier une observation si importante sous le rapport politique et moral, il suffira de retracer ici avec quelques détails un des épisodes les plus terribles de la révolution française, la cruelle catastrophe du ministre Foulon et de son gendre Berthier. Ces deux hommes d’état faisaient partie d’un ministère réprouvé par la nation ; et, lorsqu’après la victoire populaire du 14 juillet, leur autorité eut été renversée, ces deux infortunés, au lieu d’obtenir des juges, ne trouvèrent que des bourreaux (1).

Depuis Charlemagne et Louis-le-Gros, aucun roi de France n’avait eu la magnanimité de faire marcher la liberté civile et politique des Français avec les progrès de l’esprit humain. Louis XVI, en voulant suivre un si noble exemple, prouva combien il est dangereux pour les princes faibles de céder à la volonté du peuple. Ainsi la démarche qui venait d’exposer sa personne à la discrétion d’une multitude armée, plutôt que de faire couler une seule goutte de sang, loin d’être le gage d’une réconciliation sincère entre le monarque et les partisans du système nouveau, ne put rétablir la tranquillité publique, ni arrêter le cours des assassinats. Lorsque toute la France rendait hommage à son austère probité, à son amour pour la justice, à sa touchante humanité, les hommes qui voulaient la destruction du trône, certains que ce bon prince, par sa confiance dans l’amour et la fidélité de ses sujets, se dépouillait volontairement de son autorité, donnèrent le signal de haine et de discorde qui allait le livrer à la fureur d’un petit nombre de factieux. Sans doute les grandes fautes politiques, depuis 1789 jusqu’à ce jour, appartiennent à l’obstination des deux premiers ordres. Mais, après la prise de la Bastille, le parti triomphant dans l’assemblée nationale devint seul comptable de toutes les délibérations qui préparèrent la ruine de la monarchie. Pour l’affaiblir de jour en jour, ce parti entretenait l’agitation par la peur, en prêtant au fantôme de l’autorité royale une consistance qu’il était bien loin d’avoir (2). Ne sachant profiter ni de la confiance du roi, ni de l’enthousiasme des Parisiens, il ne faisait rien pour étouffer les principes subversifs qui devaient substituer l’anarchie aux bienfaits d’une liberté réelle.

Les chefs principaux de la révolution étaient : Necker, Bailly et Lafayette, tous trois hommes de bien, mais point du tout hommes d’état. Epris de bonne foi d’une liberté idéale qui les égara dans de fausses routes, ils s’étaient imaginé qu’il resterait toujours assez de puissance à l’autorité royale, et ils se bornèrent à la consacrer en paroles, sans prendre aucun soin de l’investir des prérogatives et des attributs essentiellement liés à son existence ; associant le système de l’égalité à la conception d’un gouvernement monarchique, ils supposaient qu’un roi pouvait régner sans aucune des hiérarchies sociales qui entretiennent chez les hommes l’habitude de l’obéissance et du respect, sans aucune des pompes qui relèvent la majesté du trône, et qui prêtent au pouvoir cette assistance morale si nécessaire à l’administration d’un grand empire.

Durant l’insurrection du 14 juillet, beaucoup de soldats de la garde du roi abandonnèrent leur poste pour venir se joindre à la milice parisienne. Ceux des autres régiments, attirés par l’espérance d’une plus forte paie, et surtout par l’attrait de la licence que favorisait une si grande révolution, arrivaient tous les jours en foule à Paris, et justifiaient leur indiscipline par le prétexte d’accourir à la défense de la liberté. Lafayette partageait cette illusion, et répondait à ceux qui donnaient à ces militaires le nom de déserteurs : « Les seuls déserteurs sont ceux qui n’ont pas encore abandonné leurs drapeaux (3). »

Peu de jour après, ce général, toujours dominé par le désir de former une armée citoyenne comme celle des Etats-Unis, demanda que le nom de Garde nationale fût donné à la milice parisienne. Lorsqu’il apporta son projet d’organisation à l’Hôtel-de-Ville, au milieu d’une multitude assemblée, il prononça ces paroles mémorables : « Messieurs, dit-il, je vous apporte une cocarde qui fera le tour du monde, et une institution à la fois civique et militaire, qui vaincra toutes les armées et tous les gouvernements arbitraires de la vieille Europe, puisqu’elle les mettra dans l’alternative d’être battus s’ils ne l’imitent pas, ou d’être renversés s’ils osent l’imiter (3). » Les gardes nationales en effet devinrent l’appui de nos institutions nouvelles, et quoique dans les commencements elles aient causé des désordres partiels, elles furent l’immense pépinière de nos armées, et formèrent une telle masse de résistance, que la France trouva en elles sa gloire et sa conservation.

D’après le plan présenté par Lafayette, l’infanterie de la garde nationale de Paris devait s’élever à trente-un mille hommes, dont mille officiers. Les soldats étaient divisés en deux corps, l’un de six mille hommes soldés, et l’autre de vingt-quatre mille non soldés. Dans les premiers étaient placés les ci-devant gardes françaises que leur défection avait mis dans la nécessité d’assurer le triomphe de la révolution. Des compagnies de chasseurs et un corps de cavalerie portèrent cette armée à plus de quarante mille hommes. On laissa au commandant-général la présentation des officiers de l’état-major, auxquels il donna pour chef le général Gouvion, son brave compagnon d’armes, qui comme lui avait combattu avec gloire en Amérique. Bientôt on ne vit plus que des uniformes et des épaulettes. De tous côtés on formait des réunions militaires, on donnait des fêtes civiques. Ces cérémonies nouvelles pour les Parisiens leur inspirèrent un enthousiasme qui saisit tous les rangs, tous les âges, et entretint l’esprit guerrier sans lequel il n’y a point de peuples libres.

Tout s’émeut, tout s’agite dans cette immense capitale, où une autorité nouvelle venait de s’établir ; le même mouvement qui avait porté l’élite de la nation à rivaliser avec le trône poussait les classes inférieures à une insubordination plus grande encore. Les hommes nés dans la condition la plus obscure, réunis sur les quais, sur les places, délibéraient en forme, malgré les défenses de la police. Au milieu de cette agitation, le corps électoral, combattu par les districts, inquiétés par les assemblées tumultueuses du Palais-Royal, pouvait à peine suffire aux soins de son immense administration. Il réunissait à lui seul tous les pouvoirs. Les juges mêmes, incertains sur leurs attributions, lui renvoyaient les accusés (4). On lui accorda aussi la puissance législative, par la faculté qui lui fut laissée de se donner une constitution.

Pour suffire à tant de soins, les électeurs s’étaient partagés en divers comités. Ceux de la police et des subsistances étaient occupés du soin le plus difficile et le plus dangereux ; car déjà la disette, accrue par la médiocrité de la précédente récolte, mettait le comble aux désordres. La rareté des denrées de première nécessité excitait sur tous les points une irritation et un mécontentement favorables aux fauteurs de troubles. Des brigands, soudoyés par eux, arrêtaient les convois de subsistance pour affamer le peuple et le rendre furieux. Sous le prétexte de fournir aux approvisionnements, ils pillaient les fermes, les greniers, et brûlaient les titres des seigneurs, sur lesquels on rejetait tous les malheurs publics. Semant ainsi de nouvelles défiances, de nouvelles terreurs, ils faisaient faire chaque jour de rapides progrès à la fermentation populaire. La multitude ignorante et cruelle ne tarda pas à élever des clameurs contre ceux qu’on lui désignait comme auteurs de ses misères. Déjà elle convoitait ses victimes, et bientôt les exécutions allaient recommencer avec plus de férocité sur cette même place où le peuple avait renouvelé ses protestations d’amour à son souverain, et sous les yeux des électeurs, auxquels le roi avait concédé tout ce qu’ils demandèrent d’après leur promesse solennelle d’être désormais les fidèles gardiens de l’ordre et de la paix.

Les députés qui avaient accompagné le roi à Paris rendaient compte de leur mission, lorsque l’assemblée fut informée de plusieurs crimes commis à main armée. Sous prétexte d’accaparement et du monopole des grains, un habitant de Saint-Germain était tombé sous les coups de scélérats inconnus. A Poissy, un riche fermier des environs, appelé Thomassin, avait été arrêté pour le même motif et le peuple à grands cris demandait sa tête. L’assemblée répondit qu’il y avait un pouvoir exécutif et des tribunaux pour assurer le maintien des lois (6). C’était un hommage rendu à l’autorité souveraine ; mais le lendemain la délibération sur les troubles de Poissy fut reprise, et les événements prouvèrent combien cette autorité avait besoin d’être étayée par le concours du pouvoir législatif.

La vie de Thomassin était en péril, et cependant l’assemblée, loin de donner force à la loi, se borna à envoyer une députation à Poissy pour obtenir la grace du malheureux fermier. Déjà on l’avait arraché de sa prison, et pendant qu’on dressait l’instrument de son supplice, M. de Lubersac, évêque de Chartres, chef de la députation, arrive avec ses collègues, et à force de larmes et de supplications, il obtint pour cet infortuné la faveur d’être jugé. Ce prélat, accompagné de quelques députés et d’une escorte armée, amena Thomassin à Versailles, et bientôt l’instruction du procès attesta son innocence. L’assemblée, au récit de ces faits, donna les plus grands éloges au courage et à la sagesse de ses commissaires et leur décerna une couronne civique. Mais à quel prix ? en faisant subir à la représentation nationale la plus honteuse humiliation ; en la prosternant aux pieds d’une horde mutinée qui eût été promptement dissipée si on n’eût pas avili le pouvoir suprême pour le confier à la populace, dont on avait imprudemment proclamé la souveraineté.

Dans la même séance, l’assemblée ayant appris qu’au bruit du renvoi de Necker de nouvelles insurrections avaient éclaté en Dauphiné, en Normandie, en Bourgogne et à Pontoise, écouta avec faveur (20 juillet 1789) un projet de proclamation que lui soumit Lally-Tollendal, tendant à inviter tous les Français à la paix, au respect des lois, à la fidélité au prince et à la plus entière confiance dans le concert parfait qui devait exister entre le chef et les représentants de la nation, et déclarant que quiconque oserait enfreindre ses devoirs en troublant l’ordre public, serait considéré comme mauvais citoyen et mis entre les mains de la justice. Mirabeau et Gleizen, avocat de Rennes, opposèrent des obstacles insurmontables à la motion de Lally, ils firent observer qu’on ne pouvait qualifier de rebelles des citoyens courageux, armés pour la défense de la patrie. Blézeau, député breton, et Buzot d’Évreux, soutinrent que les insurrections étaient des contrariétés qu’il fallait savoir supporter au moment d’une régénération politique. « Qui nous répondra, dit ce dernier, que le despotisme ne puisse pas renaître auprès de nous ? et si un jour il rappelait ses forces pour nous terrasser, quels seraient les citoyens qui pourraient s’armer à temps pour défendre l’État, tracer l’opinion publique et se dévouer à l’ignominie qui d’ordinaire accompagne la rébellion (7). »

C’est dans cette discussion que le trop célèbre Maximilien Robespierre prit la parole pour la première fois ; ainsi que son collègue Buzot, il blâma les mesures répressives proposées par Lally. Selon lui, c’est condamner le peuple qui veut défendre la liberté, et rien n’est plus légitime que de se soulever contre les ennemis de la nation. Mais puisque cet homme doit apparaître sans cesse, comme le génie du mal, dans tout le cours de nos plus importantes discussions politiques, il convient de tracer son portrait, afin de faire connaître ses moeurs, son caractère, et les facultés qui, en lui attirant une renommée sinistre, donnèrent à ses actions une influence funeste sur le sort de notre malheureuse patrie.

Robespierre naquit à La Bassée, village voisin de la petite ville de Lens en Artois, d’un père d’origine irlandaise (8). L’évêque d’Arras, ayant remarqué des dispositions dans le jeune Maximilien, lui fit obtenir une bourse au collège de Louis-le-Grand. Dès son enfance, il se montra défiant et jaloux. Il était grêlé de figure, son regard était faux et son caractère méchant. Une humeur morose le portait à vivre isolé, et son extrême irritabilité se développant avec l’orgueil, fit prendre à son corps des contractions nerveuses. Envieux et vindicatif, il dissimula si bien ses vices, sous des dehors graves et des habitudes laborieuses, qu’il entra dans le monde avec distinction en exerçant à Arras la profession d’avocat. La première cause qu’il plaida fut contre les échevins de Saint-Omer, qui s’opposaient à l’érection d’un paratonnerre. Cette cause lui permit de parler de Francklin, de la liberté de l’Amérique, et par là de célébrer les vertus du prince malheureux dont il devait être un jour le juge et l’assassin. Son plaidoyer eut beaucoup de succès et lui attira la bienveillance de M. de Beaumetz, président du conseil de l’Artois, au point que ce magistrat rechercha les occasions pour faire ressortir les talents de Robespierre.

L’accueil qu’il recevait dans la haute société accrut sa vanité ; il sacrifia aux préjugés et prétendit à la noblesse. Non seulement il ajoutait une particule à son nom, mais il disait encore que sa famille avait été attirée en France par sa fidélité pour les Stuarts (9). A l’aurore de la révolution, la convocation des états-généraux excita son ambition. Après d’inutiles tentatives pour être le député des habitants d’Arras, il dirigea ses intrigues vers les gens de la campagne. En se présentant à eux, il leur annonce qu’il va éclairer le peuple sur ses droits, sur ses intérêts ; il déclame contre la tyrannie des levées militaires, qui ont lieu dans la province ; il attaque les autorités ; il inculpe l’intendant, et au moyen de ces hypocrites doléances sur le sort du malheureux habitant des campagnes, il parvint à se faire élire par cette classe d’hommes dont la bonne foi est si souvent trompée par l’intrigue et le mensonge. En arrivant à Versailles, son astuce et son opiniâtreté le firent remarquer. Il écrivait péniblement, s’exprimait avec peu de facilité. Son style était froid ; sa logique, quoique fausse, était imperturbable et toujours étayée par des sophismes et des phrases d’emprunt qu’il répétait à satiété, ce qui donnait à ses discours beaucoup de monotonie. Mais il était grave pour son âge, surtout très-appliqué ; à force de travail, il se pénétra de la beauté des grands modèles, et parvint à dissimuler l’aridité de ses idées, qui insensiblement se développèrent et donnèrent à sa réputation ce fatal essor qui devait rendre son nom odieux aux générations les plus reculées.

Pendant la discussion que Lally avait provoquée dans l’intention de comprimer les factieux, on reçut une lettre de Lafayette ; il rendait compte des mesures qu’il avait prises dans l’exercice de son commandement pour assurer la tranquillité de la capitale. Cette lettre ferma la bouche aux partisans de la motion de Lally, et ralentit la discussion. Cependant les moyens employés par ce général étaient insuffisants, et leur inefficacité ne tarda pas à se manifester par deux exemples effrayants de barbarie que l’inexorable histoire doit raconter dans tous ses détails, afin de montrer à quels excès odieux se livre la populace dès qu’elle est ameutée au cri de liberté.

L’assemblée des électeurs cherchait à ramener la tranquillité publique, lorsque dans la soirée deux officiers municipaux, venus de Compiègne, vinrent lui annoncer qu’ils avaient fait arrêter M. Berthier de Sauvigny, intendant de Paris, fils du premier président  du parlement Maupeou, et gendre de Foulon. Bailly et la plupart des électeurs comprirent tous les motifs de haine qui subsistaient contre cet ancien intendant, et décidèrent que n’étant ni accusé, ni détenu d’une manière légale, la municipalité de Compiègne serait invitée à lui rendre la liberté. Mais les deux envoyés de cette ville firent observer  que Berthier, administrateur des troupes placées sous les ordres du maréchal de Broglie, était accusé d’être l’un des principaux agents de la conspiration des ministres contre la population de Paris, qu’on lui reprochait d’avoir fait couper les blés en herbe pour nourrir la cavalerie, et que ces circonstances avaient irrité le peuple au point qu’il ne porterait à de violents excès si on ne lui donnait pas satisfaction. Plusieurs électeurs voulaient aussi qu’on s’assurât des hommes accusés d’avoir conjuré la ruine de la capitale. Cet avis prévalut, et il fut décidé que deux électeurs, avec une forte escorte de cavalerie, iraient prendre à Compiègne l’infortuné Berthier.

Foulon, son beau-père, était, comme lui, l’objet de l’animosité publique, et les moyens ingénieux qu’il avait pris pour s’y soustraire ne purent le sauver. On découvrit que le bruit de sa mort était une feinte et qu’il s’était réfugié dans la terre de Viry, appartenant à M. de Sartines, son intime ami. Les précautions qu’il prenait pour cacher sa présence le rendirent suspect. Les paysans de Morangiés, guidés par le syndic du village, l’arrêtèrent pendant qu’il se promenait dans le parc, et firent éprouver à ce vieillard septuagénaire les plus indignes traitements ; ils lui mirent un collier d’orties, un bouquet de chardons et une botte de foin derrière le dos (10), pour le punir, disaient-ils, d’avoir souvent répété que le peuple n’était bon qu’à manger du foin.

Après avoir souffert en route toutes sortes d’outrages, il fut amené à l’Hôtel-de-Ville de Paris, et remis à un comité qui, à la suite d’un long interrogatoire, voulait l’envoyer en prison (22 juillet) ; mais on ne pouvait le faire sortir sans l’exposer à être mis en pièces. Déjà une foule immense, accourue sur la place de grève, demandait à grands cris son supplice ; il eût fallu la disperser, et aucune force n’était capable d’y parvenir. Le comité crut qu’en gagnant du temps la fureur du peuple serait calmée et qu’il se dissiperait. Dans cette espérance, on retint Foulon toute la matinée et une partie de l’après-midi. On se rappela aussi que l’intendant Berthier devait arriver le soir ; dans la crainte que les attroupements causés par l’arrestation de son beau-père ne lui devinssent funestes, on envoya l’ordre à l’électeur Étienne de Larivière, qui le conduisait, de s’arrêter avec tout son monde au Bourget, et de n’entrer à Paris que le lendemain matin (11).

En attendant, plusieurs membre du comité, et Bailly surtout, essayèrent de faire entendre au peuple la voix de la justice et de l’humanité « Foulon, disaient-ils, peut être très-coupable, mais il ne faut pas le condamner sans l’entendre. Il était associé au dernier ministère, on tirera donc de lui des lumières précieuses sur le complot tramé contre le peuple. Vous avez conquis votre liberté ; vous avez fait avec votre roi une nouvelle alliance ; vous avez juré la paix, et l’assemblée nationale en a été le garant ; au nom de la patrie que vous chérissez, au nom du roi qui vous a prodigué tant de marques d’amour, nous vous en conjurons, ne violez pas vos serments, ne troublez pas cette paix tant désirée, et ne déshonorez pas votre victoire en vous souillant du sang d’un malheureux (12). »

Ces raisons parurent faire impression sur le petit nombre de personnes qui étaient à portée de les entendre. Mais la faveur dont Bailly jouissait auprès de cette multitude n’était pas un frein suffisant pour la retenir ; car, si peu de gens voulaient le désordre, tout le monde le souffrait : d’ailleurs l’irritation populaire était sans cesse ranimée par des personnages d’un extérieur décent, qui se portaient rapidement aux lieux mêmes où elle semblait se calmer. La populace, excitée par ces artisans de discorde, applaudit avec fureur aux cris de mort que quelques voix prononcèrent. Elle s’irrite de la lenteur des délibérations du comité, et avec des hurlements effroyables demande qu’on lui livre sa victime.

Dans l’espoir de sauver cet infortuné vieillard, Moreau de Saint-Méry et l’électeur Osselin, après avoir exposé la nécessité d’une instruction préalable, improvisèrent une espèce de tribunal ; mais, dans l’impossibilité d’asseoir un jugement équitable, d’après des imputations vagues et passionnées, les juges se récusèrent : on en nomma d’autres, ils étaient absents. Le peuple impatienté demande, avec une fureur nouvelle, qu’on juge Foulon, pour être pendu de suite (13). Amené devant le président, il commençait à être interrogé, lorsque Lafayette, un des juges désignés, arrive. La confiance dont il jouissait, le pouvoir armé dont il était investi, semblaient promettre qu’il arrêterait les effets de cette scène épouvantable. Instruit du motif d’un si grand tumulte, il dit à la foule assemblée : « Je ne puis blâmer votre colère et votre indignation contre Foulon ; je ne l’ai jamais estimé, je l’ai toujours regardé comme coupable ; vous voulez qu’il soit puni, nous le voulons aussi, et il le sera ; mais il a des complices, il nous importe de les connaître. Je vais le faire conduire à l’Abbaye, là nous instruirons son procès, et il sera condamné suivant les lois au châtiment qu’il n’a que trop mérité. »

Cette harangue aurait obtenu le succès que Lafayette s’en était promis, si le malheureux vieillard, égaré par la joie que lui causait ce stratagème, n’avait pas eu l’imprudence de battre aussi des mains. Alors le peuple s’écrie : « Ils sont d’intelligence, on veut le sauver (14). Est-il besoin de jugement, dit une voix sortie de la foule, pour un homme condamné depuis trente ans (15). » Les plus forcenés, excités par ces paroles qui se propagèrent avec rapidité, se précipitèrent sur la garde et forcèrent les portes de l’Hôtel-de-Ville. Quinze cents électeurs sont renversés sur leurs banquettes, ou refoulés jusque vers le siége du président ; au milieu de cette horrible confusion, des égorgeurs se saisissent de l’accusé placé devant les juges, et dans un clin d’oeil le portent sous la fatale lanterne.

A la vue des apprêts pour son supplice, le vieillard est saisi de terreur ; pâle, tremblant, ses forces et son courage l’abandonnent, il descend aux plus humbles supplications (16). On lui ordonne de se mettre à genoux et de demander pardon à Dieu, à la nation et au roi, il obéit ; un de ses bourreaux lui donne sa main à baiser, il s’y prête sans résistance, il se soumet à tout, demande grâce à tout le monde, et supplie qu’on veuille bien l’enfermer et lui laisser la vie (17). On lui répond en lui passant une corde au cou. A peine suspendu, la corde casse, il tombe sur ses genoux et implore de nouveau la commisération du peuple. Sans pitié il est suspendu une seconde fois et la corde casse encore. Des assassins moins cruels que les autres présentent des épées pour abréger son supplice, mais on le prolonge pendant plus d’un quart d’heure pour lui faire attendre une corde neuve (18). Enfin elle arrive et termine cette affreuse agonie.

Les meurtriers se saisissent de son corps et se le disputent comme des loups affamés ; Ils le dépouillent, s’arrachent à l’envi ses vêtements, et courent les porter aux électeurs assemblés. Ceux-ci froidement dressèrent un procès-verbal de cet attentat, sans oser sévir contre les monstres qui s’en déclaraient les auteurs. Enhardis par l’impunité, les assassins placent une poignée de foin dans la bouche de cette tête coupée qu’ils promènent au bout d’une pique (19), et traînent dans la fange son corps nu, mutilé et couvert des empreintes de leur barbarie. Pendant ce temps, leurs femmes parcouraient les rues et demandaient de l’argent aux passants en reconnaissance, disaient-elles, de ce que leurs maris faisaient pour la liberté (20).

Ce crime était à peine consommé qu’on apprit l’arrivée de Berthier, accompagné d’une nombreuse escorte. Les outrages, les imprécations n’avaient cessé de le poursuivre sur sa route. Dans les villes et villages, on l’avait fait descendre, et à Louvres on brisa l’auvent de sa calèche pour qu’il fût mieux exposé aux insultes. Afin de parer les coups qu’on lui portait, Étienne de Larivière se mit à côté de lui ; obligé de céder à la force, il ne put exécuter l’ordre de s’arrêter au Bourget, et malgré lui il fallut s’acheminer vers Paris. On savait que Berthier était gendre de Foulon, et cette seule circonstance suffisait pour le dévouer à la fureur des bourreaux qui venaient d’égorger son beau-père. Mais ce que l’on ignorait, c’est que Berthier s’était occupé toute sa vie de rendre heureux le peuple de Paris, en le sauvant de la misère, par des institutions philantropiques (21). Cet homme de bien avait huit enfants, tous recommandables par leurs moeurs, leurs talents précoces et par la plus heureuse physionomie (22) ; l’aîné d’entre eux, prévoyant le sort affreux dont son père était menacé, courut à Versailles implorer la protection de l’assemblée nationale. En arrivant, il se jette dans les bras de Lally-Tollendal, et lui dit, les yeux baignés de larmes : « Ah ! monsieur, votre piété filiale, votre éloquence, ont sauvé la mémoire de votre père, sauvez, sauvez la vie du mien, je vous en conjure (23) ! » Cependant l’infortuné Berthier approchait de Paris, lorsqu’en avant de sa voiture paraît une charrette couverte d’inscriptions, dont les principales étaient, « Il a volé la France. - Il a été l’esclave des riches et le tyran des pauvres. - Il a bu le sang de la veuve et de l’orphelin. - Il a trompé le roi. - Il a trahi sa patrie (24). »

Jamais on ne vit de spectacle pareil à celui qu’offrit l’entrée de cet odieux cortége dans la capitale. Des soldats de divers corps, des ouvriers couronnés de feuillages, suivaient ou allaient en avant de la voiture, avec des drapeaux et au son d’une musique qui exécutait tour à tour des airs gais ou lugubres ; des femmes, ou plutôt des furies, chantaient et dansaient autour de la victime qu’elles brûlaient d’immoler, et formaient une marche barbare. Berthier, placé dans sa calèche découverte, avait à chacune des portières un soldat qui tournait vers lui sa baïonnette. Sur sa figure respirait l’indignation, quoique sa contenance parût ferme et calme. Auprès de Saint-Méry, on lui présenta la tête de Foulon (25). Les monstres qui la portaient voulurent la lui faire baiser, mais il se détourna avec horreur, jusqu’à ce qu’Étienne de Larivière eût fait éloigner cet objet effrayant de la férocité populaire. Puis il lui demanda avec intérêt quel était le malheureux qu’on venait d’égorger. L’électeur, pour lui cacher l’assassinat de son beau-père, lui dit : C’est la tête du gouverneur de la Bastille. Berthier, dans ce moment terrible, conserva le plus grand sang-froid, et s’exprima sur l’assassinat de Delaunay en termes qui annonçaient une âme forte et supérieure à sa situation terrible.

Arrivé à l’Hôtel-de-Ville, Bailly l’interroge sur sa conduite et sur ses desseins. « J’ai obéi à des ordres supérieurs, répond-il avec assurance, et les papiers de mon administration vous éclaireront bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même. » Pendant qu’on délibère, le peuple, animé par un premier meurtre, ne respire que le carnage et pousse des clameurs qui font retentir l’édifice et portent l’épouvante dans le coeur des magistrats. On propose à Berthier de l’envoyer à l’Abbaye ; il y consent : mais comment l’y conduire à travers les flots d’une multitude furieuse des obstacles qu’on oppose à sa rage. Bailly se présente à la foule ; tout ce que la raison et l’humanité peuvent inspirer de touchant et de persuasif est inutilement employé. Enfin il se prosterne devant le peuple ; mais il implore vainement sa pitié. Ses discours et ses prières ne font qu’irriter ces forcenés. Sourds à l’honneur, à l’humanité, ils ne peuvent attendre le résultat d’un jugement. Ils veulent se venger eux-mêmes, la haine leur fait tout sacrifier aux plaisirs d’être bourreaux.

Bientôt la populace disperse tous ceux qui devaient protéger l’accusé, mille bras le saisissent, l’enlèvent et le portent sous le réverbère, où son beau-père vient de périr ; à la vue de la corde encore ensanglantée, ses yeux étincellent de colère, et dans sa généreuse indignation, il s’écrie : « Scélérats ! je saurai me procurer un autre genre de mort. » Il veut saisir le fusil d’un de ses assassins ; mais au même moment il tombe percé de coups. Il respirait encore, lorsqu’un monstre de férocité, un vrai cannibale, en uniforme de dragon, lui déchire sa poitrine palpitante, il en arrache le coeur, et porte cet affreux trophée aux membres du comité des électeurs (26), comme pour les punir d’oser exercer des fonctions dont ils ne pouvaient accomplir les devoirs ; Bailly lui-même ne s’est-il pas condamné en s’écriant : Quelle magistrature que celle qui n’a pas l’autorité d’empêcher le crime commis sous ses yeux (27) ? N’avait-il pas assez étudié l’histoire pour savoir que la punition de ceux qui soulèvent le peuple, c’est de ne pouvoir plus le ramener. Ces magistrats, atterrés par la grandeur du forfait, laissent l’assassin reprendre le coeur de Berthier, il le place à la pointe de son sabre, et court le porter en triomphe dans les rues de Paris. Un dernier trait manquait à ces anthropophages, ils le consomment en donnant dans un café le spectacle du plus abominable festin (28). Dès ce jour on dévoua à la lanterne les aristocrates ; alors, et pour la première fois, on entendit dans toute l’étendue du royaume une chanson barbare et sanguinaire, dont le refrain vouait à ce supplice quiconque osait résister aux volontés populaires.

Cependant le généreux Lally s’était rendu à l’assemblée nationale. Là il déplore qu’on n’ait pas adopté les mesures énergiques que deux jours auparavant il avait proposées contre les factieux. Nulle décision n’était encore prise que le meurtre était consommé. Lally consterné demande vengeance, il émeut tous les coeurs par sa sensibilité ; non toutefois celui de Robespierre qui, dans cette discussion touchante, développa le naturel féroce et cruel qui bientôt ensanglanta le France : après avoir répondu qu’il fallait par-dessus tout aimer la liberté, il osa faire l’apologie du meurtre par cette exclamation hypocrite : « Peuple vertueux ! voudrait-on te punir, après avoir souffert si long-temps, de t’être vengé un seul jour ? » Et le jeune Barnave laissa échapper cette phrase révoltante : « Il ne faut pas trop se laisser alarmer par les orages inséparables des mouvements d’une révolution ; l’objet principal est de faire la constitution et d’assurer la liberté (29). La multitude peut avoir eu raison de se faire justice. - Peut-être le sang versé n’est-il pas si pur. » Ces paroles cruelles, échappées à une tête ardente, firent le désespoir d’une vie si courte (30), et dont la fin devait être employée à réparer les erreurs de l’inexpérience.

Vainement Lally s’écria qu’il déchargeait sa conscience des malheurs qui étaient résultés du refus de l’assemblée, et qu’il se lavait les mains du sang qui venait de couler ; des cris de fureur s’élevèrent contre lui, un député osa même dire avec emportement qu’il abusait de sa popularité. Mirabeau lui reprocha de sentir lorsqu’il ne fallait que penser ; ce qui inspira à Lally cette heureuse repartie : Tibère pensait avec profondeur, et Louis XII sentait vivement. Enfin l’assemblée, qui depuis trois jours consumait un temps précieux à modifier le projet de proclamation proposée par Lally, se détermina à l’adopter, mais avec des modifications plus sévères pour les proscrits que pour les persécuteurs. En effet, le peuple était simplement invité au maintien de l’ordre et de la tranquillité (31), sous promesse que l’assemblée s’occuperait sans relâche de poursuivre les dépositaires du pouvoir qui auraient causé ou causeraient les malheurs de la nation.

C’est à l’occasion de ces meurtres qu’Adrien Duport mit entre les mains des révolutionnaires une arme terrible, il demanda l’établissement d’un comité de recherches destiné à recevoir les dénonciations contre les agents civils et militaires et les conseillers du roi, entrés dans la conspiration du 14 juillet, ou qui pourraient dans la suite tenter des entreprises contre les intérêts du peuple. L’assemblée effrayée balança, mais ne pouvant s’opposer à la formation de cette oeuvre inique, elle voulut du moins diminuer l’effroi qu’avait causé l’idée de mettre la fortune, la vie, l’honneur des citoyens entre les mains de six personnes ; douze membres renouvelés tous les mois formèrent le fameux comité des recherches, créé pour punir des délits jusqu’alors inconnus : les tyrans avaient inventé le crime de lèse-majesté, et le peuple imagina celui de lèse-nation. Ce conseil d’inquisiteurs allait servir de type à ces odieux comités répandus dans toute la France, et qui, au nom de la liberté, furent les modèles achevés de la plus affreuse tyrannie (32).

Le lendemain, Mirabeau, dans son journal, osa faire l’éloge des assassins de Foulon et de Berthier (33). L’acharnement que l’on mit à immoler ces deux victimes porte à croire que l’on avait formé le dessein de les faire périr. Cependant, quel était leur crime ? Le tort de l’un était d’avoir été constamment dévoré par l’ambition de gérer un ministère ; dans son humeur sévère et brusque, il avait adopté l’expression triviale de bête à manger du foin, dont il se servait souvent dans le conseil lorsqu’il voulait exprimer la sottise du peuple. Ce propos, quoique insignifiant par son absurdité, était sans cesse répété dans le public et servit de prétexte aux ennemis de Foulon pour lui prêter l’idée ridicule de réduire le peuple à ne manger que de l’herbe. Quant à son gendre, chargé de pourvoir aux besoins d’une nombreuse cavalerie, la disette des fourrages le força sans doute à tolérer, selon l’usage, la coupe des blés verts, et cette circonstance nouvelle pour les habitants de Paris, au moment où l’on cherchait à les affamer, contribua puissamment à exalter leur haine et leur indignation. Telles furent les causes apparentes du meurtre lamentable de ces deux infortunés ; mais depuis le temps a découvert que Foulon avait remis à Louis XVI deux mémoires dans lesquels il conseillait au roi de ne jamais se séparer de son armée. Il lui proposait de faire arrêter, juger et exécuter, dans le plus bref délai, les députés les plus révolutionnaires. Ces mémoires furent lus en présence de Louis de Narbonne, qui en donna connaissance à madame de Staël, avec laquelle il était lié d’une manière intime ; et cette dame, par une indiscrétion plus conforme à la légèreté de son sexe qu’à la force de son mâle caractère, commit l’imprudence d’en parler à son père, et surtout à Mirabeau, qui ne tarda pas à en informer les principaux moteurs des mouvements insurrectionnels (34).

L’aspect de Paris, en ces temps d’horreur et d’anarchie, faisait frémir les hommes sages : bientôt l’indignation des gens de bien se manifesta hautement contre la dictature de la multitude, mille fois plus terrible que le pouvoir absolu remis à la discrétion d’un seul ; dans leur douleur ils ne cessaient de dire : « Les crimes de la tyrannie arment tous les citoyens contre elle, tandis que les forfaits du peuple n’offrent point de coupables, on ne peut contre lui ni se plaindre ni se venger. Le mot de liberté suffit pour opprimer l’innocence, et sert d’excuse à ses bourreaux ! Ah ! combien n’est pas à craindre cette force brutale, accoutumée à tout immoler à la violence de ses passions, invariable dans ses principes, irrésistible par sa masse ; sourde à la justice, à la pitié, elle menace indistinctement tous les individus, et tend à dissoudre la société en attaquant la sûreté personnelle qui en est le premier lien. »

EUGÈNE LABAUME.


NOTES :
(1) Ce fragment, qui rentre dans les proportions et le cadre du livre des Cent-et-Un, est extrait d’une histoire complète de la révolution française, par M. Eugène Labaume, qui le premier retraça les terribles désastres de la campagne de Russie. Cet ouvrage, dont les premières livraisons paraîtront très-incessamment, aura pour titre : Histoire civile et militaire de la Révolution française. Le public peut d’avance, et par la lecture seule du chapitre que nous imprimons aujourd’hui, se faire une idée de l’importance de l’oeuvre tout entière, et apprécier le plan et la manière de l’auteur, dont les études historiques, et quinze ans de travaux et de recherches sur la matière, garantissent l’impartialité, en même temps qu’ils présagent à M. Eugène Labaume un brillant succès. (NOTE DE L’ÉDITEUR.)
(2) Necker (Mém. de), t. II, p. 55.
(3) Bailly (Mém. de), t. II, p 251.
(4) Note communiquée par le général L…..
(5)Thiers, Hist. de la Révolut. franç., t. I, p. 120
(6) Moniteur du 17 au 20 juillet, p. 87, col. 3.
(7) Moniteur du 20 au 21 juillet 1789, p. 92, col. I.
(8) De là vient qu’on l’appelait communément M. de Robespierre.
(9) Notes recueillies à Arras, et communiquées à l’auteur par les notables de la ville ayant connu Robespierre.
(10) Moniteur du 29 juillet, p. 117, col. I.
(11) Bailly (Mém. de), t. II, p. 280.
(12) Moniteur du 29 juillet, p. 117, col. 2.
(13) Procès-verbal des séances de l’assemblée générale des électeurs, t. II, p. 306 et suiv.
(14) Note communiquée par le général L…..
(15) Procès verbal de l’assemblée des électeurs, t. II, p. 31.
(16) Lacretelle, Hist. de l’Assemblée const., t. I, p. 17.
(17) Moniteur du 29 juillet, p. 117, col. 2.
(18) Procès-verbal de l’assemblée des électeurs, t. II, p. 316 et suiv. - Moniteur du 29 juillet, p. 117, col. 2. - Annales parisiennes, politiques et critiques, p. 60 et 61.
(19) Prudhomme, Révolution de Paris, n° 2, p. 25.
(20) Papon, Hist. de la Révol. de France, t. I, p. 192.
(21) Correspondance politique et confidentielle de Louis XVI, t . I, lettre XVII.
(22) Hist. de la Révol. franç., par deux amis de la liberté, t. II, p. 73.
(23) Bertrand de Molleville (Mém. de), t. II, p. 83. - Lally-Tollendal (Mém. de), p. 85.
(24) Moniteur du 29 juillet, p. 117, col. 3. - Bailly (Mém. de), t. II, p. 122.
(25) Prudhomme, Révol. de Paris, n° 2, p. 27.
(26) Procès-verbal des électeurs, t. II, p. 325.
(27) Bailly (Mém. de), t. II, p. 83.
(28) Hist. de la Rév. franç., par deux amis de la liberté, t.    , p. 134. - Prudhomme, Révolut. de Paris, n° 2, p. 30. - Montgaillard, Hist. de France, t. II, p. 105.
(29) Moniteur du 23 au 24 juillet 1789, p. 99, col. I.
(30) Lacretelle, Hist. de l’Assemblée constit., t. I, p. 120. - Ferrières (Mém. du marquis de), t. I, p. 160.
(31) Moniteur du 23 au 24 juillet, p. 99, col. 3.
(32) Ferrières (Mém. du marquis de), t.I, p. 166.
(33) Dix-neuvième lettre de Mirabeau à ses commettants.
(34) Campan (Mém. de madame), t. II, p. 62. - Montgaillard, Hist. de France, t.II, p. 103. - Opinion de M. Devaines ; voyez Mémoires publiés sous le nom de Condorcet, t. I, p. 259.

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