LATZARUS, Louis
(1878-1942) : Éloge de la
Bêtise.- Paris : Hachette, 1925.- 61 p. ; 17 cm.- (Coll. Les
Éloges)
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (17.V.2016) Texte relu par : A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière. ÉLOGE
DE LA BÊTISE PAR LOUIS LATZARUS ~ * ~
TOUT est dans tout. Chaque vertu a son avers, comme une médaille ; et des poisons les plus noirs d’experts praticiens tirent habilement des remèdes capables de guérir. Cette considération nous a fait penser qu’il serait excessif de condamner toujours sans appel les défauts que l’on voit habituellement aux personnes appelées à vivre en commun, c’est-à-dire à toutes celles qui composent la société. Que penserait-on d’un homme que l’horreur entière du mensonge obligerait à dire toujours la vérité ? Il finirait en cour d’assises, sous l’accusation de calomniateur et perturbateur de la paix publique. Que pourrait-on attendre d’une femme qui ne serait point un peu coquette ? D’un causeur qui se défendrait d’être médisant ? D’un savant qui n’aurait pas de curiosité ? D’un amphitryon qui ne serait pas lui-même adonné à la gourmandise ? D’un homme d’esprit qui ne saurait pas être bête quand il faut ? Ils tourneraient tous bientôt à la misanthropie la plus hypocondre et seraient à fuir, comme Alceste, dont c’est l’erreur d’être à ce point intransigeant sur la vertu. Philinte n’est pas moins honnête ; mais il sait mieux user des hommes, et ne déteste rien tant que l’excès. C’est pour lui que nous avons entrepris cette petite collection d’éloges des défauts commodes, utiles, nécessaires, qui s’appellent la Médisance, la Gourmandise, la Frivolité, le Mensonge, la Coquetterie, etc… Sous le voile transparent de l’ironie, la morale la plus difficile y trouvera son compte et sera très exactement servie. Mais, pour une fois, avec gaieté, ce dont nul ne pourra se plaindre. LES ÉDITEURS. ~ * ~
ÉLOGE DE LA BÊTISE ________ J’ARRIVAI vers cinq heures, et trouvai seule près de son feu cette charmante femme que tout Paris connaît, honore et sert. On se demande comment elle fait pour réunir dans son salon tant de gens disparates, qui devraient se haïr et se haïssent en effet. Mais je crois avoir pénétré son secret qui est simple, bien que difficile à pratiquer. Elle donne à chacun la persuasion qu’elle l’aime particulièrement et au-dessus de tous les autres ; qu’elle seule au monde le comprend et ne le blâmera jamais, quoi qu’il se permette ; qu’ainsi il pourra tout lui dire sans rien risquer, et pas même l’indiscrétion. Elle veut tout savoir, sans que l’on sache si c’est par curiosité, ou parce qu’elle a remarqué que les hommes aiment à parler d’eux-mêmes. Mais, ce qu’on lui confie, elle le met avec ses propres affaires, dont nul n’a connu et ne connaîtra jamais aucune. Ce n’est pas tout : elle est jolie. Nul de ceux qu’elle reçoit ne pourrait affirmer sans mensonge qu’il n’en a pas été amoureux peu ou prou. Mais, après dix ans, on n’est pas plus lié avec elle qu’on ne le fut dès le premier jour, où elle vous déclara impétueusement son affection ; comme toutefois elle n’a pas – du moins, en êtes-vous sûr – laissé prendre au voisin ce que vous souhaitiez, le respect l’entoure. A peine m’eut-elle reconnu, j’eus la certitude invincible qu’elle m’attendait justement en ce jour et à cette heure-là, et que nulle visite ne pouvait lui être plus agréable que la mienne. Elle me fit asseoir auprès d’elle, et me pressa, avec une anxiété incroyable, de lui apprendre ce que je faisais. Dès qu’elle sut que je méditais quelques pages sur la bêtise, elle en fut charmée. Elle eût voulu les lire incontinent et les répandre à travers le monde. - Ce sera une leçon, dit-elle, pour tant de sots. - Hélas ! dis-je, vous vous trompez, chère amie, et il ne s’agit point des sots, mais des bêtes. M. Littré, que j’ai consulté attentivement, demande qu’on distingue la bêtise de la sottise. « La bête est dans bêtise, observe-t-il, tandis qu’elle n’est pas dans sottise. La bête est bornée, a peu d’idées ; la bêtise est dans tout ce qui provient de l’ignorance, d’un esprit sans portée, d’une intelligence sans lumière, et même parfois d’une intelligence distraite ou mal informée de certaines choses. » - Bon, dit-elle, mais n’est-ce point là sottise aussi ? - Non, si l’on s’en rapporte à M. Littré. Il explique, en effet, que la sottise est caractérisée par l’absence de jugement, absence qui ne permet pas au sot de se méfier jamais de ses idées. Il peut y avoir des bêtes parmi les gens d’esprit, mais il n’y a pas de sots. Et il cite l’exemple de La Fontaine, qui, en raison de sa simplicité, était parfois une bête, mais n’étais jamais un sot. Il ajoute que la science ne préserve pas de la sottise… - Voilà qui est vrai, s’écria la jeune femme, et nous connaissons, vous et moi, des savants qui sont des sots. Mais quand je parle d’eux, je dis qu’ils sont bêtes, n’en déplaise à M. Littré. Qui nous délivrera, mon Dieu, des grammairiens ! Et ne pouvez-vous songer à la bêtise sans en chercher d’abord la définition dans le dictionnaire ? - Ah ! dis-je, c’est aujourd’hui la mode, et je confesse que je l’ai suivie servilement. J’ai donc pris l’avis de M. Littré, mais ce ne fut pas sans grincer des dents, à cause du ton péremptoire et impérieux que ce philologue garde toujours, et qui est prodigieusement agaçant. - Oh ! oui ! - Et peut-être, en outre, est-il enclin à construire la grammaire suivant la logique, ce qui est la méconnaître. Il n’y a beaucoup de logique en rien, mais surtout la grammaire en est totalement dépourvue. - En somme, dit-elle, vous avouez que vous avez été un peu bête… - Ou un peu sot, car je ne sais plus ; je me suis mis, en effet, à chercher moi-même des références, et suis ainsi tombé sur un conte de Voltaire, qui s’appelle l’Histoire d’un bon Bramin. - Tiens ! dit-elle, je ne le connais pas. - Sans vous offenser, j’en étais sûr. On parle de Candide et de Zadig. Aussi de l’Ingénu, mais jamais de Memnon ou du Bramin. Le fait est que, dans ce dernier conte, Voltaire confond hardiment la bêtise avec la sottise, et même avec l’imbécilité. M. Littré n’était pas encore né quand écrivait Voltaire, dont les chefs-d’œuvre se trouvent ainsi gâtés par de nombreuses imperfections. - Il n’y a qu’une règle, dit la jeune femme. On dit de quelqu’un : c’est une bête, mais de plusieurs personnes on ne dit pas : ce sont des bêtes, on dit : ce sont des sots. Voilà du moins ce que je pense, et le reste est pédantisme, cuistrerie, et bon pour le Pédagogue-Club. - Ma foi, dis-je, je ne suis pas éloigné de penser comme vous. Et me voilà disposé à louer tout ensemble les sots, les bêtes, les imbéciles, voire les idiots et les stupides. - Comment ? Les louer ? dit-elle avec surprise. - Bien sûr. On ne peut que les louer lorsqu’on observe la marche du monde. Seuls sont heureux les imbéciles, et seule la bêtise est couronnée en amour et en affaires. - En amour ? Oh ! il y a cependant des femmes qui mettent l’intelligence au-dessus de tout, et ne sauraient aimer une bête. - Je veux bien qu’il y en ait, mais n’en ai point rencontré. Le fait est qu’on ne cite guère d’hommes supérieurs qui aient été les héros d’un roman qui finit bien. L’amour n’est pas un échange intellectuel. Il est affaire d’instinct, et obscure attirance que l’on explique et justifie comme on peut ; s’il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, comment y en aurait-il un pour son épouse ? De Molière à Victor Hugo, combien de Sganarelles parmi les illustres ! Et faut-il vous citer, entre les hauts esprits de ce temps, ceux qui furent heureux en amour ? - J’en serais curieuse, dit-elle. - Et je serais bien embarrassé, car je n’en connais point. La plupart ont eu des aventures, qui le plus souvent ont mal tourné. Mais l’amour passionné, fidèle et constant, je gage bien qu’ils ont dû se contenter d’en rêver. Savez-vous l’histoire de X… ? - Le grand avocat ? - Lui-même. - Dites… - Voici. Il avait une maîtresse, qu’il adorait. Distinguée, spirituelle, et jolie comme un ange. Je n’emploie pas cette expression pour aller plus vite, mais parce qu’elle convient. En vérité, on n’a jamais vu plus de pudeur que sur ce visage et dans ces yeux purs et fiers. X… en était fou, au point de s’afficher avec elle, et il songeait à l’épouser. « Un jour qu’il devait être retenu à l’audience, je ne sais quel incident l’empêcha de plaider. A deux heures de l’après-midi, il se trouva libre. Qu’eût-il pu faire, sinon courir chez son amie ? Elle venait de sortir, mais sans doute rentrerait bientôt. Il s’installa dans le boudoir, et l’attendit ; au bout de quelques minutes, il s’ennuya. C’est un homme qui ne fume pas, de peur de gâter sa voix, et il est difficile, si l’on ne fume pas, de rester assis longtemps sans rien faire dans une pièce déserte. Il se leva, fit quelques pas, et se trouva devant un charmant bonheur-du-jour dont il avait naguère lui-même fait présent à son amie. Pourquoi l’ouvrit-il ? Pas par discrétion, assurément, mais peut-être par désœuvrement, ou machinalement, parce que la clef était sur la serrure. Je ne sais pas, mais il l’ouvrit. Il y trouva plusieurs liasses de lettres admirablement classées. L’ange avait de l’ordre, et jusque-là X… s’en était félicité. Une suscription frappe ses yeux : A brûler après ma mort. Il sourit de cet enfantillage. Il veut savoir quels secrets plaisants elle peut bien conserver sous cette pompeuse enseigne… Trois minutes après, livide et le cœur battant, il s’en allait, racontant une fable à la femme de chambre. On ne le vit d’un mois, pendant lequel on le crut en Égypte, plaidant pour une Société opulente devant la justice khédiviale. Et cependant, enfermé dans son appartement, il se grisait des lettres mortelles, annotait, supputait, calculait, et par habitude professionnelle, composait un dossier, le dossier de son désespoir. Une police privée espionna la jeune femme, qui ne se méfiait point, n’ayant pas remarqué le vol. Lui-même rôda la nuit sous les fenêtres, guettant les ombres. Il sut ce que beaucoup d’autres savaient : les basses débauches, les rencontres fructueuses et clandestines. Il n’écrivit qu’une phrase à cette fille : « Souffrir n’est rien, mais avoir honte de souffrir, c’est l’enfer. » Quand il reparut à la barre, à peine le reconnut-on. Et c’est depuis ce temps que vous lui voyez ces traits contractés et ces cheveux blanchissants. Vous rappelez-vous comme il était beau ? Mais il était trop intelligent et trop fin : on ne pouvait l’aimer. - Vous exagérez, me dit-elle, et vous extravaguez. Parce qu’une gourgandine au visage angélique a ridiculisé un homme de valeur, allez-vous soutenir que tous les hommes de valeur sont pareillement trompés ? - Je ne le soutiens pas, je le constate. Rassemblez dans ce salon l’élite intellectuelle de Paris, et mêlez à elle une brute seulement, à condition qu’elle soit bien portante, et agréable à voir. Puis regardez les femmes qui seront là. Je vous promets des observations précieuses. « Pourquoi, demande à l’abbé Coignard le jeune M. d’Anquetil, pourquoi les femmes aiment-elles les capucins ? » Et M. Coignard de répondre : « La raison en est que les capucins aiment avec humilité et ne se refusent à rien. La raison en est encore que ni la réflexion, ni la politesse n’affaiblit leurs instincts naturels. » Le propos est sage. Dès qu’un homme s’éloigne de la brutalité primitive et tente de dissiper la bêtise originelle, il diminue du même coup les chances qu’il aurait d’être aimé. Il pourra rencontrer ces courtes passions que la curiosité et la vanité inspirent pendant quelques semaines à une cérébrale. Il connaîtra souvent le beau dévouement et la paisible fidélité d’un cœur conjugal. Mais l’amour, l’avidité cruelle et puissante de son être, l’insatiable appétit de sa présence, les aveugles pardons, enfin l’amour lui sera généralement refusé. « Au reste, tant mieux pour lui ! Il est nécessaire d’être fort bête pour éviter les tortures de l’amour. Tout homme qui réfléchit trouvera dans les bras chéris mille occasions de souffrir. Soit qu’il se défie de son amante, ce dont aucun être intelligent ne peut se dispenser, soit que, rassuré par ses artifices, il se croie tenu de montrer comme il aime, malheur à lui, qui usera sa vie dans les pauvres calculs du cœur. Il voudra pénétrer dans les pensées de celle qu’il adore, et prétendra gouverner son imagination, ce qui est proprement déraisonnable. Au contraire, celui qu’une heureuse bêtise a visité dans son berceau ne se mettra en peine de rien, sinon de prendre à son heure ce que lui offre la nature. Son instinct assouvi, il ne réclamera rien de plus, et aura rejoint la sagesse par le chemin le plus court et le plus aisé. S’il est dupé, il ne s’en apercevra point, ou bien s’en consolera aisément. Car l’homme qui a peu d’idées s’en tient à la femme, et l’homme intelligent a inventé la Dame, faussant ainsi… - Holà ! dit-elle, je vous écoute suffoquée, et me demande ce qui vous prend. Êtes-vous Turc ? Faut-il que vous trouviez, derrière des grilles, des esclaves dociles ? et limitez-vous l’amour à cet échange grossier de sensations communes ? Prenez garde ! vous tombez dans la misogynie, et voilà justement ce qui est bête. - Est-ce bête ? Peut-être… Mais je ne suis pas misogyne. Je connais, jeunes ou vieilles, des femmes délicieuses, tant qu’on ne les aime pas d’amour. Mais, pour plusieurs, j’ai connu aussi ceux qui les aimaient. Ils étaient intelligents et malheureux. Quand il m’a été donné de savoir en outre ceux qu’elles aimaient, j’ai vu des idiots outrecuidants et avantageux, fort contents d’eux-mêmes, certains de n’être pas trompés, fort heureux par conséquent. - Je vous le disais bien : vous êtes misogyne. Vous méprisez tellement les femmes qu’aucun de ceux qu’elles aiment ne trouve grâce devant vous. - Loin de les mépriser pour les choix grossiers qu’elles font le plus souvent, je les en loue. C’est elles qui ont raison ; je déteste les misogynes parce qu’ils ne le comprennent point. Et je les déteste aussi parce que leur aversion est toujours fondée sur quelque déception ancienne, ou une maladroite expérience. Ils ont demandé aux femmes plus qu’elles ne pouvaient donner, et ne leur pardonnent point l’erreur qu’ils ont commise. Qui de nous n’a pleuré pour le parjure d’une amoureuse ? Mais s’il ne sait pas sourire après s’être essuyé les yeux, il est exécrable. Quoi ! haïr les femmes parce que l’une d’elles vous a préféré un violoniste ! Il n’est rien de plus normal et de plus juste que cette préférence. « Les femmes sont portées par la nature à payer du don de leur corps les émotions qu’on leur fait ressentir. Et qui saurait leur dispenser plus d’émotion qu’un habile violoniste ? Est-ce un historien ou un égyptologue ? Est-ce le calculateur de génie ? Est-ce le plus savant ingénieur ? Est-ce même le romancier ou le poète ? - Pour le coup, dit-elle, je vous arrête ! Chacun sait que les romanciers et les poètes ont coutume d’allumer des passions. - Oui, quand ils ont de l’œil, du cheveu, et de la dent. Mais, à celle qui a rêvé d’un prestigieux écrivain, montrez ce sexagénaire – non ! ne forçons pas l’argument – montrez seulement ce quadragénaire qui vient de porter un chef-d’œuvre à l’éditeur. Je doute qu’elle se jette dans ses bras et désire éperdument son étreinte. Je suis même à peu près certain qu’elle sera fortement déçue. Elle sera sage, si elle va dépenser auprès de quelque drille sans réflexion ni talent, les ardeurs que lui a mises dans le cœur et les sens cet homme qui s’éloigne las d’avoir trop pensé. Le romancier, le poète, le grand compositeur valent beaucoup d’amour aux violonistes, aux acteurs et aux jeunes lecteurs, mais ils n’en retiennent guère pour eux, et il faut écrire au-dessus de leur lit délaissé un grand Sic vos non vobis. La jeune femme rêva un peu, et une ombre de sourire erra autour de son visage. - Mon Dieu, dit-elle, quand je pense à certaines de mes amies, je suis presque tentée de vous donner raison. Mais ne confondez-vous pas l’amour et la fidélité ? Il m’est arrivé de connaître certaines histoires… je ne sais trop comment partir… Enfin, j’ai su que des femmes, adorant un homme, le trompaient pourtant, soit dans une minute d’égarement, soit dans une minute de besoin pressant. - Oui, répondis-je, je connais aussi des histoires de ce genre. Dans le besoin pressant d’un chapeau, dans l’égarement provoqué par un beau visage ou une carrure athlétique, fût-elle servile, beaucoup de femmes ont fait subir à des académiciens des trahisons passagères. En vérité, il n’importe guère. Aucune femme peut-être ne fut toujours complètement fidèle, ni, après tout, aucun homme. Et je ne confonds pas, comme vous m’en accusez, la fidélité avec l’amour. Il faut céder quelque chose à la faiblesse de notre nature. Casta, soupire Ovide, quam nemo rogavit. - Comment dites-vous ? - Pardonnez-moi… Ovide affirme : Celle-là est chaste, qui ne fut jamais sollicitée. Il est malaisé de résister à de fougueuses insistances, et celui ou celle qui veut garder une vertu entière sera sage de fuir l’occasion. Ne parlons donc point des hasards que le Malin suscite pour nous faire trébucher. Ne réclamons pas une fidélité exacte, ni une constance à toute épreuve. Le malheur, c’est que les gens intelligents sont incapables de suivre cette règle, et passent leur temps à scruter l’âme et les pensées de leur amante. On ne peut aimer sans être jaloux, proclame le peuple, qui a raison, me semble-t-il. Le plus bête est jaloux, mais avec simplicité et précision. Du moment où celle qu’il aime est sous ses yeux, loin de tout rival, il se rassure. Au contraire, un esprit subtil est toujours inquiet. Avez-vous connu M… ? - Non, qui est-ce ? - Dites : qui était-ce ? car il est mort, et de chagrin, je crois bien. Je n’ai guère rencontré d’homme plus intelligent, plus lucide et plus fin. Plaisant cavalier, d’ailleurs, un peu cynique, peut-être, un peu blasé aussi, pour avoir, durant un quart de siècle, étreint tant de beautés célèbres dans les deux mondes. Soudain il s’éprend de cette fille splendide aux cheveux ardents qui attira jadis tout Paris dans un théâtre des boulevards, et cessa de jouer parce qu’il le lui ordonna. Il ne la quittait guère, et fut heureux jusqu’au jour où s’étant rendu avec elle dans un concert, il l’entendit, avec surprise, déclarer : « Ceci est de la deuxième manière de Beethoven. » Aussitôt il pense : « Comment le sait-elle, et qui le lui a dit ? » Bien sûr elle le trompe avec un musicien ou du moins avec un amateur de musique. Il dénombre en esprit tous leurs amis. Ce n’est pas celui-ci, ni celui-là. Ne serait-ce pas X…, vieillard richissime ? Impossible, il est trop répugnant ! Néanmoins il dissimule, et observe. En moins de huit jours, il est forcé de s’apercevoir… - Que ce n’était pas vrai… - Que c’était vrai. Et voyez à quoi lui a servi sa clairvoyance : A découvrir son malheur. Quelque autre, plus obtus, aurait laissé passer la phrase révélatrice sans même la remarquer. Les femmes disent tant de choses… Et n’est-ce pas hier que j’ai entendu une ancienne petite-main, promue au rang d’épouse par un poète, parler de néodarwinisme ? A la place du poète, je me méfierais. Il doit y avoir dans la ruelle quelque étudiant en philosophie. - Mon ami, n’aimez jamais personne, si vous ne voulez torturer de vos soupçons une malheureuse et vous torturer vous-même ! - Ce sera en effet le meilleur parti, et je suivrai votre conseil. Mais ne l’épargnez pas non plus aux autres. Pour être heureux en amour, il faut être bête et aimer bêtement, sans réflexion, sans jugement. Elle allait répondre, et je n’aurais pas eu aisément raison d’elle, si la femme de chambre n’avait pénétré dans le salon, en annonçant D…, l’homme politique. C’est un fidèle. Il n’est guère de jour où il ne vienne bavarder avec notre amie, en sortant du Palais-Bourbon. Elle l’accueillit, selon sa coutume, avec transports, l’installa dans la meilleure bergère, lui versa du porto de ses propres mains, et l’interrogea passionnément sur la séance. - Ce fut assez calme, dit-il. Le petit F… a prononcé un excellent discours. Ce jeune homme est singulier, car il sait mêler la précision au lyrisme, séduire à la fois le cœur et l’esprit, et émouvoir en démontrant. - Il est plein d’un immense talent ! s’écria notre hôtesse. N’oubliez pas, je vous prie, que vous avez promis de l’amener ici ! Quelle force oratoire, et quelle intelligence ! - Trop d’intelligence, dit l’homme d’État, c’est ce qui le perdra. - Oh ! dit-elle, vous êtes-vous donné le mot ? il est écrit qu’aujourd’hui mes plus chers amis n’auront à la bouche que le mépris de l’intelligence. Celui-ci (et elle me montra) soutient depuis une heure que pour être aimé il faut être bête. Après tout, je le veux bien admettre. L’amour étant une bêtise, il est naturel que les bêtes y triomphent. Mais vous, vous n’allez pas soutenir que la politique aussi est l’affaire des idiots ! C’est faux ! C’est faux ! C’est faux ! C’est à force d’intelligence que vous vous être imposé. C’est par votre hauteur d’esprit, votre magnifique raison, votre attachement à tout ce qui est noble, votre compréhension de toutes choses et la force de votre jugement que vous avez tant de fois triomphé. Ayant dit, elle se tut, épuisée par les hyperboles, et il sourit : - Je voudrais bien, dit-il, mériter tous ces compliments, mais, dans les succès que j’ai pu remporter, ni la raison, ni le jugement, ni cette petite portion d’intelligence que vous m’attribuez n’entrèrent pour rien. Que fallait-il ? Plaire, et sinon à tous, du moins au plus grand nombre. Donc cacher avec soin ce qui élève et distingue. Donner au plus petit député l’impression que je suis son frère affectueux et dévoué. N’être pas fier, la grande règle de notre démocratie, où l’on pardonne tout au bon garçon. Ne jamais examiner une question sous son aspect éternel, mais la réduire toujours à un intérêt : intérêt de parti, intérêt de groupe, intérêt d’un arrondissement ou d’un homme. C’est dans les dictionnaires seulement que la politique est l’art de gouverner la Cité. En réalité, elle consiste à séduire une assemblée par des moyens qui sont à peu près ceux d’un paysan qui vend sa vache à la foire. La moindre ruse y suffit, et une connaissance sommaire des hommes et des circonstances. « Ah ! ma bonne amie, si vous aviez entendu les conversations que je tenais avec mon chef de cabinet, à la veille d’une séance dangereuse, vous auriez rougi de moi. - Ce n’est pas vrai, dit-elle, et vous vous calomniez. - Point. Et l’homme le plus sot peut gouverner, à condition qu’il ait des choses une vue directe et simple. Il y a eu au pouvoir des hommes intelligents, je n’en disconviens pas. Mais ils ne s’y étaient élevés que par des procédés fort médiocres, et ne s’y sont maintenus que par des pratiques extrêmement faciles. Leur intelligence ne les aidait pas, et au contraire leur nuisait. Il ne faut pas en politique beaucoup d’idées ; elles gênent et encombrent. Il ne faut même pas beaucoup de formules. Pendant des années, il a suffi de dire aux députés : « Je suis un républicain de gauche. » Cette expression a vieilli. Mieux vaut la remplacer aujourd’hui par celle-ci : « Je suis un démocrate sincère. » Grâce à ce talisman, vous passez au travers des pièges les plus subtils. Vous tomberez, c’est entendu, car tout s’use, et il n’est pas de prestige qui puisse éternellement garder son éclat ; mais, vous tomberez « bien » ; ce qui signifie : avec la certitude de vous relever et de reprendre le pouvoir au bout de quelque temps. O divine bêtise ! tu te prélasses victorieusement dans les alcôves, et tu es assise sur tous les trônes. Bien qu’il eût pris soin de prononcer cette dernière phrase avec une comique emphase, notre amie ne sourit pas. - Taisez-vous ! cria-t-elle, je deviens toute triste, et vous n’êtes poli ni l’un ni l’autre. Car enfin, je puis bien le confier à des hommes tels que vous, c’est-à-dire à ceux que je préfère sur la terre, oui, je puis vous avouer que parfois… eh ! mon Dieu, oui, que parfois on m’a aimée. Était-ce donc pour ma stupidité ? Et vous, homme d’État, je vous ai entendu parler dans toutes les grandes occasions. Je vous ai admiré. Pour votre bêtise ? Allons ! votre paradoxe est amusant, mais un peu insolent aussi, mon cher ami. Elle eut, pour prononcer : mon cher ami, une inflexion presque voluptueuse, et qui ne laissa pas de remuer agréablement le vieux consulaire, dont je vis les paupières plissées battre légèrement. - Dieu me garde de vous déplaire ! dit-il, et je me rappelle avoir adressé, un jour, à toute une assemblée délirante un discours qui n’était vraiment destiné qu’à vous. Car je vous avais découverte au premier rang d’une tribune, et dès lors je n’eus plus d’autre dessein que de faire battre l’une contre l’autre ces deux petites mains que voilà. - Oh ! fit-elle avec une charmante confusion, comme je suis contente ! Quoi ! Vous m’aviez vue ! mais non, vous le dites pour me flatter. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, n’allez pas soutenir que ce jour-là vous fûtes bête. Vous étiez sublime et la Chambre entière en jugea comme moi, puisque, décidée à vous renverser, elle fut à la fin contrainte de vous acclamer. J’ai compris en cette circonstance un mot que rapportait souvent mon père, le mot de Clovis Hugues à Gambetta : « Non, tu ne parleras pas ! car si tu parlais, une fois de plus tu nous ferais changer d’avis. » - Changer d’avis ! s’étonna le vieil homme d’État. Clovis Hugues a-t-il réellement dit cela ? Quelle sottise ! Jamais la Chambre n’a eu un avis, jamais aucune assemblée au monde n’a pu se flatter de posséder un avis. Elle aime ou elle n’aime pas. C’est, comme l’a dit un penseur, un grand animal sensible ; il ne faut point chercher à la convaincre : impossible entreprise. Mais on peut la persuader. En d’autres termes : négligez son cerveau, car elle n’en a peut-être pas. Mais tâchez d’émouvoir son grand sympathique. Un orateur sec et purement démonstratif a-t-il jamais pu modifier un vote ? - C’est vrai, ne pus-je m’empêcher de dire. J’ai assisté, voici plusieurs années, à une séance où deux orateurs notables prirent la parole tour à tour ; l’un d’eux disait la vérité, que par hasard je me trouvais connaître. Mais sa voix est nasale et son accent apprêté. Pendant qu’avec des intonations précieuses il parlait franc, chacun pensa qu’il mentait. Vint son adversaire qui tira de sa poitrine les plus émouvants mensonges ; on tomba d’accord qu’il disait vrai. - Oui, je me rappelle, dit en hochant la tête l’ancien ministre. Si l’on veut faire entendre une vérité, il faut la chanter sur une lyre. Et que venait faire X… à la tribune, avec sa sincérité sans charme ? N’a-t-il pas lu l’histoire parlementaire ? Il y eut, à la Constituante, un grand homme et un vrai politique. C’était Sieyès. Il avait écrit cette fameuse brochure qui avait séduit tous les esprits, et déchaîné la Révolution. On attendait qu’il jouât un vaste rôle. Mais il ne sut pas émouvoir le grand animal, qui le trouva obscur et métaphysicien. Ce penseur n’était point capable de séduire. Il n’avait à son service que sa haute intelligence, et dut l’employer principalement à se cacher sous la Terreur. Sa carrière fut bornée entre deux écrasements : Mirabeau et Bonaparte. - Ah ! parlons un peu de ces deux héros. Direz-vous que Mirabeau et Bonaparte fussent des sots ? Le direz-vous ? - Non peut-être… mais ce n’est pas leur intelligence qui les servit. Ce furent des qualités de bouvier ou de dompteur. Leur capacité d’agir, et ce qu’on appelle le caractère. Or le caractère, comme la puissance d’action, peuvent se trouver en des hommes de néant. Il y a de grands hommes qui sont de petits esprits, et de grands esprits qui ne seront jamais que de petits hommes. Que faut-il à un chef ? Entraîner. Entraîne-t-on par la raison ? Non. C’est par le ton, le geste, le regard, et un prestige impossible à définir, qui d’ailleurs est le plus souvent décevant et mensonger. - Enfin, s’écria notre hôtesse, allez-vous soutenir, vous, vous, vous ! (et ces trois vous composèrent une mélodie ascendante), que l’on gouverne le monde par la bêtise ? - Certes ! c’est en effet par la bêtise que l’on agit sur une majorité qui, par définition, est bête. L’intelligence, étant chose relative, n’appartiendra jamais au plus grand nombre. Quand nous disons de quelqu’un : il est intelligent, cela ne veut rien dire, sinon : il est plus intelligent que beaucoup d’autres, que la plupart des autres. On n’imagine donc pas une majorité intelligente, et heureusement. Car aucun État ne peut être conduit, si les sots y abondent. - En voilà bien d’une autre ! Vous avez juré que je deviendrais folle aujourd’hui. - Mon amie, je courrais demain me réfugier à la campagne, et renoncerais au seul amusement que j’aie jamais eu dans la vie : gouverner, si brusquement l’intelligence générale montait d’un degré, la mienne restant ce qu’elle est. Voyez qu’il n’y a jamais eu qu’un moyen de se hisser au pouvoir, c’est de crier : Peuple, on te trompe ! Qu’est-ce à dire ? Ceci : Peuple, tu es stupide. Peuple, je vais t’apprendre comment on t’a berné jusqu’ici, car tu es incapable de t’en apercevoir tout seul. Si le peuple n’était pas stupide, il nous rendrait la tâche impossible. Supposez-le capable de nous contrôler, et d’apprécier exactement ce que nous faisons : aussitôt l’État tremblerait sur ses bases. Un bon gouvernement doit se proposer comme but essentiel de maintenir le peuple dans une sage ignorance, et de ne point l’alarmer. Car la crainte est chez les peuples le commencement de la réflexion, et la réflexion a jeté bas tous les trônes, et ruiné tous les régimes. Le moindre philosophe vous dira… - Oh ! interrompit la jeune femme, nous allons savoir ce que dit non le moindre, mais le plus grand des philosophes ! Et elle se leva en hâte, car, sans faire de bruit, avec timidité, s’approchait un petit vieillard qu’on n’avait pas annoncé. Comment s’arrange-t-il ? Jamais cet illustre ne trouve personne à l’antichambre pour le recevoir et l’introduire. Il s’assit sur le bord d’un fauteuil, et clignant un peu des yeux pour nous bien reconnaître, demanda de quoi il s’agissait. On le lui dit. Il respecte les gens en place et les pouvoirs établis. J’étais donc bien sûr qu’il ne donnerait pas tort à l’homme d’État ? - Soutenez-moi ! lui disait pourtant notre amie. N’est-ce pas qu’il est faux que l’on ne peut gouverner que par la bêtise ? - Madame, dit-il, ce n’est peut-être pas le seul moyen, mais il est infaillible. - En voyez-vous un autre ? demanda ironiquement le ministre. - En principe, répondit le philosophe, on peut imaginer un peuple si intelligent et si éclairé qu’il s’imposerait lui-même la discipline sans quoi tout empire s’écroule. Il choisirait ses chefs parmi les meilleurs et les plus désintéressés. La raison et la morale, qui n’est qu’une forme de la raison, dicteraient sa conduite et inspireraient ses résolutions. Mais je ne pense pas que l’histoire nous ait jamais présenté un tel exemple. L’expérience nous enseigne qu’un chef ne dure que si l’on renonce à le juger ; son règne est donc fondé sur l’abdication de l’intelligence. - Vous retardez ! dit la voix harmonieuse de notre amie, et vous déplacez le problème. Dans le temps jadis, en des époques abolies, nous avons eu en effet des chefs qu’on ne jugeait point et qui régnaient parce que le peuple avait, volontairement ou non, perdu le droit de réfléchir ; son intelligence ne s’exerçait point sur les affaires politiques. Mais revenez à vous, mon cher philosophe, et à notre âge ! Regardez le régime présent. Je vois partout l’intelligence, puisque le contrôle est partout. A ce moment, elle pensa s’interrompre, car le reflet d’un sourire se jouait sur le visage fin et fatigué du ministre. Mais elle est obstinée. - Voyons, dit-elle, vous ne soutiendrez pas que le contrôle manque. Je vous ai entendu cent fois vous plaindre de l’abus qu’on en fait. Vous gémissiez : « Comment peut-on gouverner sous six cents regards qui vous surveillent du Palais-Bourbon, et trois cents du Luxembourg ! » Vous m’avez même fait rire un jour en soutenant qu’il fallait compter le double, qu’il y avait en réalité douze cents regards à la Chambre, et six cents au Sénat, chacun étant bigle et louche, et se portant à la fois vers la droite et vers la gauche. Ah ! cette fois je vous tiens et vous ne m’échapperez pas ! Il y a un contrôle, et ce n’est pas l’instinct qui contrôle. - L’instinct peut contrôler, souffla le philosophe. - Et c’est lui qui contrôle, confirma le ministre ; c’est lui, c’est lui seul. Au premier jour de mon ministère, on m’interpelle, selon l’usage. Je monte à la tribune. Mon prestige est neuf encore. C’est tout ce qu’il faut. Que je parle bien ou mal, que j’aie tort ou raison, il n’importe guère. Je suis là. On ne va pas me renverser dès l’abord. - Cela s’est vu, pourtant, non pour vous, mais pour un autre. - Oui. On a vu un ministre renversé sur sa déclaration ministérielle. On ne l’a vu qu’une fois, mais on l’a vu. Qu’était-il arrivé ? Non point que ses idées eussent déplu. En effet, celui qui fut appelé à le remplacer n’en exprima point d’autres. Et l’Assemblée les approuva aussi fort qu’elle les avait blâmées deux jours auparavant. - Paradoxe ! On ne gouverne pas avec des idées, mais avec des hommes ! - Oh ! ne voilà-t-il pas qui me donne raison, ma chère amie ? - Non ! Et ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Les idées sont exprimées et formulées par un homme, voilà ce que j’ai voulu marquer. Or, en cette occasion, les idées plaisaient, mais on n’avait pas confiance dans le premier qui les exprima. - Et pourquoi ? Il était fort rassurant. Je l’entends encore, de sa voix fluette de septuagénaire, promettre : « Je gouvernerai à gauche, très à gauche. » Mais cette phrase fut dite sur le ton de la mélopée. Il eût fallu que l’homme fût moins vieux, et qu’il pût crier. On affecta de ne pas le croire, et pourtant il n’avait pas mis la main sur son cœur, ce à quoi je reconnus qu’il ne mentait point. Il aurait certainement gouverné « très à gauche ». Seulement ses collaborateurs n’étaient pas choisis dans le parti dominant. Ceux qui voulaient le renverser ambitionnaient des portefeuilles pour eux et leurs amis. Ce n’était pas contrôle, c’était appétit, et cet unique exemple de notre chronique parlementaire se retourne contre vous. J’en suis fâché. Je voudrais bien vous donner raison, d’abord pour vous plaire, et puis pour m’encourager moi-même, car le jour où je reviendrai au pouvoir, il me serait agréable de penser que je gouvernerai des intelligences par l’intelligence. Il affecta de soupirer. Puis : - Malheureusement il n’en sera rien. Et je ne gouvernerai que des intérêts par des combinaisons. « Réfléchissez, ma chère amie, qu’il n’y a que deux sortes de cabinets ministériels. Les uns s’appuient sur un parti ou sur un groupe de partis qu’on appelle bloc. Les autres prennent le nom de ministères de concentration. C’est-à-dire qu’ils se composent de ministres pris dans les diverses coteries des assemblées. En votant pour le ministère, chacune de ces coteries vote pour son homme. Et ainsi voit-on qu’on approuve telle réforme militaire en considération du ministre du Commerce ou tel projet financier à cause du ministre de la Marine. Vous sembliez croire tout à l’heure qu’à notre époque et sous notre régime il n’y a plus de chefs. Il y en a, mais ce sont des chefs de clans. J’ai été l’un d’eux ; je le serai encore, ne pouvant m’imposer par la force, ce qui serait simple, mais démodé, et en outre contraire à tout le système. Je recourrai aux phrases pathétiques dans la salle des séances et à l’intérêt dans les couloirs ; non point, vous me comprenez, au bas intérêt d’argent. Les fonds secrets sont mal fournis, et nos Chambres, au surplus, ne sont pas vénales. Mais à l’intérêt de gloriole, qui est le plus puissant, à l’ambition, à la rancune, enfin à diverses passions. Quant à avoir raison, je ne m’en soucie point, car ce n’est pas dans la règle du jeu. - Hé ! dit-elle, ne faut-il pas une intelligence supérieure pour manier les passions des hommes, et en jouer comme des pièces d’échecs ? - Je crois bien que le mépris suffit. Et il ne s’agit pas d’une partie d’échecs ; c’est simple comme un divertissement de foire. A grands coups de maillet il faut frapper sur quelques épais ressorts, aussi fort que possible. - A quoi servirait donc l’intelligence ? demanda-t-elle. - A se tromper et à être trompé, répondit l’homme d’État. - A tâcher d’être utile aux autres, dit de sa petite voix désabusée le philosophe. Mais pour soi on n’en tire rien : ni succès, ni bonheur. - Ah ! pour le succès, vous n’avez pas le droit de parler ainsi. C’est un blasphème que contredit toute votre œuvre. Car l’intelligence l’a dictée, et vous voilà pourtant au faîte des honneurs. - Ne confondons point les honneurs et le succès. Si j’étais d’âge et d’humeur à sortir après dîner, je crois savoir qu’en divers théâtres, je pourrais aller voir les plus stupides vaudevilles, dont l’auteur tire un succès légitime. Si au lieu de m’user dans les veilles, je n’avais comme lui songé qu’à divertir mes contemporains, je serais sans doute aussi connu que je le suis, et davantage, selon toute apparence. Ce ne serait point, sans doute, des mêmes gens, mais qu’importe ? En matière de réputation il semble que le nombre doive être considéré en premier lieu. Aucun cénacle n’a jamais pu dispenser une considération qui réchauffe le cœur, et c’est l’acclamation populaire qui est le critérium de la gloire. « Pour le reste, je me serais livré sans doute à d’autres orgies que celles de la méditation, dont je suis las, et qui me font, un peu tard, regretter celles que je n’ai pas connues. J’en arrive à la conception de Renan, qui avouait sur la fin de sa vie que les frivoles sont les vrais sages. Et vous savez la conclusion de l’Abbesse de Jouarre. L’homme d’État sourit : - Vous me rappelez, dit-il, une sentence de mon vieil ami Adrien Hébrard. C’était sans doute l’homme le plus fin de son temps, et il n’eut ni bonheur, ni gaieté, bien qu’il en donnât l’illusion aux sots. « Or, une jeune femme, un soir, devant moi, lui apporta un album pour qu’il écrivît une pensée. Il ne se fit pas prier, car elle était jolie, et il n’était jamais court de pensées, ou de mots, ce qui est la même chose. « Il prit donc son crayon et écrivit : « Le plus clair de nos bonheurs est fait de nos vices. » « Il allait refermer l’album, et déjà l’impatiente tendait la main. « Mais penchant la tête de côté, et clignant des yeux, le père Hébrard saisit à nouveau son crayon. De sa petite main courte il ajouta : « … Et le plus clair de nos profits est fait des vices des autres. » - Oh ! s’écria notre hôtesse, c’est ravissant ! - Oui, dis-je à mon tour, un ravissant éloge de la bêtise. Car le vice rend l’homme pareil à la bête, ainsi que tous les moralistes vous le diront. Si donc les vices sont capables de nous dispenser bonheurs et profits, que restera-t-il à l’intelligence ? - Les privations, répondit le philosophe, et le renoncement. Mais encore suis-je bien sûr que ce lot lui appartienne en propre ? La fin suprême de toute intelligence, c’est la sagesse. Or, à quoi vise la sagesse ? A atteindre péniblement ce qu’un stupide possède par nature, c’est-à-dire l’indifférence. Quand nous louons le bonheur des champs, nous avons raison, certes, mais nous louons la bêtise. L’intelligence gêne pour être heureux aux champs. Un homme supérieur montre de l’héroïsme en vivant dans une chaumière, loin des excitations intellectuelles. Et cet héroïsme même condamne l’intelligence. « Réfléchissons, en effet, que tout héroïsme est imbécile. C’est Leconte de Lisle, je crois, qui s’amusait à soutenir que rien n’est plus sot que de préférer la mort au déshonneur. Et si l’on veut, en effet, classer nos biens misérables par ordre de grandeur, il semble bien que l’existence doive venir en premier lieu, puisqu’elle supporte tout le reste. Elle serait donc préférable à l’honneur. Au reste le déshonneur, qu’est-ce ? Une mauvaise opinion que les autres ont de nous ; mais l’intelligence ne nous apprend-elle pas à faire fi de cette opinion ? - J’ose à peine répondre, dit notre amie, tant je me sens petite devant vous : mais je conçois pourtant un déshonneur que tout le monde autour de moi ignorerait et qui m’empêcherait de vivre. - Ce serait votre grandeur, et votre sottise aussi. Tout ce qui est sublime : héroïsme, dévouement, courage, serait bêtise, du point de vue de la de la raison pure. Aussi tout ce qui ennoblit l’homme, tout ce dont il est justement fier, n’est pas du domaine de l’intelligence. Un pur esprit pourra étendre à l’infini ses calculs glacés. Mais pour être grand, il doit descendre, épouser l’animalité, sentir. L’homme, merveilleuse rencontre de l’esprit et des sens, ne s’élève et ne se dépasse que par les sens. C’est en quoi le paysan le plus obtus, saisissant un drapeau le jour du danger, est plus haut, plus admirable que l’intellectuel qui prétendrait demeurer au-dessus de la mêlée. - Bravo ! cria une voix. Et nous vîmes seulement alors que doucement était entré Mayersbach, le grand banquier. On sait son histoire, qu’il raconte à qui veut l’entendre. Il vit le jour dans un petit village d’Alsace, où son père était chantre de la synagogue. Venu à Paris dès quinze ans, il entra comme petit commis chez un changeur de la rue Vivienne. C’est de cet humble poste qu’avec une prodigieuse rapidité, il grimpa jusqu’à la royauté de la Bourse. Sa puissance obscure s’exerce aujourd’hui dans les deux mondes, et pèse sur tous les États. Le ministre le salua avec empressement, et le philosophe même sembla lui témoigner une considération particulière. - Cher ami ! s’écria notre hôtesse. Comme vous êtes gentil de venir ce soir, et quel service vous allez me rendre ! Figurez-vous que ces trois humoristes – car ils n’en ont pas l’air, mais ce sont des humoristes – me tourmentent depuis une heure. Oui, ils me tourmentent en me démontrant que l’intelligence ne sert à rien, que la bêtise seule mérite notre recherche, et nous donne l’amour, la puissance et le bonheur. Je n’en puis plus. J’ai dit tout ce que je savais. Enfin, vous voilà ! Et déjà il suffit que vous soyez ici, et qu’on vous voie, pour que le paradoxe devienne insoutenable. Néanmoins, parlez ! Parlez, je vous en supplie. Dites-leur ce que l’intelligence vous a donné, à vous. Après quoi, ils n’auront plus qu’à se taire. Mais d’abord, voulez-vous un verre de porto ? - Je prendrai plutôt du thé, répondit-il d’une voix légèrement gutturale, avec beaucoup de lait. Comme cela… je vous remercie. Et maintenant je demanderai la permission de ne pas discuter avec ces messieurs. Ils sont tellement plus intelligents que moi qu’ils savent aussi beaucoup mieux ce qu’il faut penser de l’intelligence ; je serais battu, et il ne faut pas être battu quand on peut faire autrement. - Oh ! dit-elle, ce n’est pas de jeu ! Vous répondrez. Et ne faites pas le modeste ! On vous connaît. Personne n’est plus intelligent que vous, et vous l’avez prouvé. - Je n’aurais pu le prouver qu’en restant dans la misère, ou bien en y retombant après en être sorti. Toutes les fois qu’on parle finances, il faut se rappeler l’histoire de Laffitte, que vous savez certainement. - Quelle histoire de Laffitte ? Ah ! l’histoire de l’épingle ? - Oui, l’histoire de l’épingle. Y a-t-il rien de plus bête au monde ? Perregaux refuse une place à un garçon qui était certainement pourvu des meilleures références, car les deux patrons qui l’avaient employé jusqu’alors le traitaient comme un fils. Mais il le rappelle par la fenêtre lorsqu’il l’a vu ramasser une épingle dans la cour. C’est idiot. Et pourtant Perregaux avait raison. Il montrait une compréhension fort exacte des qualités nécessaires à un manieur d’argent. La première, celle qui est indispensable et suffisante, c’est une minutieuse attention à ne rien laisser perdre. Les bons certificats du notaire Lesseps et de M. Formulagnès, célébrant l’intelligence du jeune homme, étaient propres à inspirer quelque défiance à un grand banquier. Il ne faut pas, dans notre partie, des employés trop intelligents, ni qui aient la moindre imagination ; mais nous avons besoin de gens pareils à nous, qui ne laissons traîner ni les épingles, ni les liards. Tout le secret de la fortune est là, et vous voyez comme il est facile et bas. Laffitte marchait les yeux baissés vers la terre. Bonne note, bonne note ! Il distingua une épingle. Excellent ! Il la ramassa. Parfait ! Ce n’est pas d’astrologues que nous avons besoin ; ils tomberaient dans le puits et nous entraîneraient avec eux. C’est de lucides ramasseurs d’épingles. Et celui-là était particulièrement recommandable, puisque du fond du souci où l’avait plongé son échec, il voyait pourtant les épingles et ne négligeait pas de se les approprier. Elle rit franchement. - Et vous, demanda-t-elle, est-ce en ramassant des épingles que vous êtes arrivé où nous vous voyons ? - Non, dit-il gravement, c’est en faisant bien les courses. Je succédais à un commis qui aimait à baguenauder ; moi, j’allais vite sur mes jeunes jambes. Je disais tout juste ce qu’on m’avait chargé de dire, et je rapportais exactement ce qu’on m’avait répondu. Mon patron me distingua et se prit à m’aimer. Il avait raison aussi. Dans le commerce, et surtout dans le commerce d’argent, il faut de l’application et de l’assiduité. Pour le reste, quelques notions très simples, et des calculs d’école primaire. - Alors cette grande opération que vous avez faite l’année dernière… Où ça ? En Colombie, je crois ! - Non, ce n’est pas en Colombie. - Enfin, peu importe ! Cette formidable opération, vous l’avez menée à bout par une courte arithmétique ? - Bah ! au lieu de multiplications à trois chiffres, j’ai fait des multiplications à neuf chiffres. Et il y a tant de zéros ! - Et vous ne connaissez pas de financiers intelligents ? - Oh ! s’écria-t-il, j’en connais, au contraire, ou plutôt j’en ai connu, car maintenant ils sont en prison. Il faut s’en consoler, car ce fut toujours ainsi. Un financier intelligent et fastueux, méprisant les épingles, c’est Beaumarchais, ou c’est Ouvrard. L’un mourut ruiné, et l’autre passa en prison la moitié de sa vie. Ouvrard en prison ! Le Napoléon de la finance, l’homme génial dont les plans me confondent, celui qui devrait bien renaître pour nous tirer d’affaires aujourd’hui ! Mais non, qu’il demeure sous la terre ! Il serait encore persécuté, calomnié, emprisonné. Des gens comme moi sont suffisants, qui se contentent de mettre en piles l’argent que les autres ont fait rouler. Oui, voilà tout le secret de la fortune publique et privée. On ne crée pas d’argent : on l’empile. Et c’est simple, comme je vous l’ai déjà assuré. - Un peu moins simple que de le faire rouler, murmura en souriant le ministre. - Peut-être, répondit Mayersbach. Encore cela dépend-il des natures. Tout le monde ne sait pas dépenser, je veux dire : tirer de l’argent tous les plaisirs qu’il peut donner. j’ai même cru remarquer que les gens intelligents y sont particulièrement impropres et je les en loue, car ces plaisirs sont, après tout, fort limités et fort grossiers. Vous savez peut-être la plaisante et sublime histoire juive de Jacob et d’Isaac ? - Oh ! fit notre amie, toutes les histoires juives sont de Jacob et d’Isaac. - Dans celle que je voudrais vous rappeler, Jacob rencontre Isaac qui s’écrie : « - Comme te voilà beau, Jacob, et comme tu as une chemise bien blanche ! « - Oui, répond Jacob, depuis que je gagne beaucoup d’argent, je change de chemise tous les jours. « - Oh ! et alors que doit faire ton oncle Moïse qui est si riche ? « - Mon oncle Moïse change deux fois par jour. « - Est-ce possible ! Et Rothschild, alors ? « - Rothschild ? Il change continuellement. » Il est superflu de dire que pour raconter cette histoire, Mayersbach avait pris le ton qui convient. Et même, arrivé à la dernière repartie, il fit tournoyer ses bras au-dessus de sa tête, comme un homme qui retirerait une, deux, dix chemises. On rit et il en fut ravi, car son ambition serait de charmer ses contemporains par la parole, et il échangerait la moitié de sa fortune contre une renommée d’homme spirituel. Du moins on le dit, mais je n’en suis pas certain. Le fait est qu’il promena sur nous un regard enchanté, et je redoutais qu’il ne dévidât tout le peloton des histoires juives, qui sont innombrables, et un peu trop connues. Fort heureusement, il n’en fit rien, et repris sur un ton assez oratoire : - Quelle juste morale se dégage de cette drôlerie ! Pour tirer de son immense fortune un plaisir proportionnel à cette fortune même, il faudrait en effet qu’un Rothschild pût changer de chemise tout le temps, se promener tout le temps, manger tout le temps, chasser tout le temps, en somme acheter tout le temps quelque chose. Il faudrait que ses journées fussent infinies, et ses capacités physiques pareillement. Mais la sagesse des nations proclame qu’on ne dîne pas deux fois. L’homme très intelligent qui serait très riche tomberait rapidement dans la bêtise des collections, ou bien abandonnerait les trois quarts de son revenu à des œuvres pies. Les joies de l’esprit ne s’achètent pas. On ne peut acquérir que des jouissances matérielles, c’est-à-dire celles qui contentent notre animalité. D’où il suit que le plus bête sera aussi celui qui tire le meilleur parti de la fortune. - Cependant, dit notre amie, combien d’hommes distingués ai-je entendu déplorer leur pauvreté qui les empêchait de se consacrer tout entiers à une belle œuvre ? - Oui, dit le philosophe, et cette plainte n’a pas retenti seulement à notre époque. Je crois bien que c’est Juvénal qui s’est écrié avec mélancolie : « Percent difficilement ceux dont le génie est contrarié par la gêne. » Et Bossuet écrivait à l’un de ses amis : « Je n’ai pas la moitié de mon esprit, quand je suis à l’étroit dans mon domestique. » - Bossuet ? s’étonna Mayersbach. - Bossuet lui-même ; mais en réalité il fut le prélat le plus endetté du royaume, et ne semble pas avoir eu l’esprit rétréci. « On ne connaît guère de grands hommes qui aient trouvé la fortune dans leur berceau, et ceux qui envient l’argent doivent envier aussi la bêtise, qui en est généralement comblée. Sans doute il permettrait de travailler plus confortablement, et sans soucis. Mais il en détournerait aussi. « Je pense pour le reste comme M. Mayersbach, qui fut pauvre autrefois et se trouve aujourd’hui l’un des plus riches du Continent. Seule la bêtise est capable de goûter dans leur plénitude les jouissances qui se peuvent acheter. Et il ne me démentira pas si j’assure que ce qu’il apprécie avant tout dans l’argent, ce sont les combinaisons par lesquelles on se le procure et on l’augmente. Il se satisferait aussi bien des hautes mathématiques, ou même de la philosophie, comme Spinoza à qui il ressemble un peu, si j’en juge par les rares portraits qui nous sont parvenus. - Bien ! s’écria notre amie pendant que le visage de Mayersbach s’empourprait de confusion et d’orgueil. Il est entendu que la bêtise règne, qu’elle seule est aimée, qu’elle seule est riche, qu’elle gouverne les États et séduit tous les cœurs, mais comptez-vous pour rien la douleur de se sentir privé d’intelligence ? - Personne ne se sent jamais privé d’intelligence, sauf peut-être les hommes très intelligents, repartit le philosophe. J’ai parfois entendu des imbéciles regretter de n’être pas instruits, mais jamais aucun d’eux ne se plaignait d’être imbécile. Pour apercevoir son imbécillité il lui eût fallu ne pas l’avoir. Et en cela aussi la bêtise est enviable. Elle épargne à ses favoris les inquiétudes qui torturent tous ceux qui pensent. Elle les comble de cette heureuse audace qui est le privilège de l’inconscience. Hélas ! reconnaissons que toute cérébralité est maladie. Et s’il était possible que l’intelligence se développât sans fin, l’humanité périrait infailliblement. Mais grâce à Dieu, nous pouvons nous rassurer. La pensée humaine n’a fait aucun progrès depuis Platon. Aussi reste-t-il sous le ciel quelques miettes de bonheur que se partagent la bêtise et la sottise. - Ne voudriez-vous pas être heureux ? demanda-t-elle. - Certes, je le voudrais. - Même au prix de l’intelligence ? - Hélas ! non, dit-il. Elle se tourna vers nous : - Et vous, fit-elle, choisissez-vous d’être heureux ? - Non, dit l’homme d’État. - Non, dit Mayersbach. - Madame, dis-je à mon tour, la réponse est déjà dans le conte que je vous citais tout à l’heure. Le Bramin refuse le bonheur dont jouit sa vieille et stupide voisine : « Je ne trouvai personne, ajoute Voltaire, qui voulût accepter le marché de devenir imbécile pour devenir content. » De là je conclus que si nous faisons cas du bonheur, nous faisons encore plus cas de la raison. « Mais, après y avoir réfléchi, il paraît que de préférer la raison à la félicité, c’est être très sensé. Comment donc cette contradiction peut-elle s’expliquer ? Comme toutes les autres. Il y a là de quoi parler beaucoup. » - Je ne parlerai guère, quant à moi, répondit-elle, car je dîne en ville, et il est temps que je songe à m’habiller. Cependant, je pense que si vous ne voulez pas renoncer à l’intelligence, c’est que vous espérez, contre tous vos raisonnements, parvenir malgré elle à rencontrer quelque bonheur. - Ou plutôt, dit le ministre, la bêtise n’est pas si injustement distribuée que nous n’en ayons pas notre petite part. - Au pis aller, dit Mayersbach, nous profiterons de celle des autres. - Et enfin, acheva le philosophe, le comble de l’intelligence, c’est peut-être la bêtise. |