LEBRUN,
Eugène : Les Jeux
devant les lois.-
Tours : Imprimerie Barbot-Berruer, [18..].- 15 p. ; 25 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (12.V.2005) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque André Malraux (BmLx : norm br 687). Les
jeux devant les lois
par
Eugène
Lebrun
Avoué à Lisieux, Membre et Lauréat de plusieurs Sociétés et Académies savantes françaises et étrangères. ~*~Les jeux, tels qu’ils avaient été imaginés à leur origine, consistaient en spectacles, courses, luttes et représentations théâtrales. Athènes, le berceau de la liberté, Rome, la capitale classique des arts, les célébraient avec une solennité merveilleuse. En Grèce, c’étaient les jeux olympiques où Hérodote lut son immortelle histoire, les jeux Isthmiques où Flaminius proclama l’indépendance de la patrie de Thémistocle, les jeux Pithyques institués par Apollon lui-même, si on en croit la légende, et enfin les jeux Néméens, fondés par Hercule, en mémoire de la mort du lion de Némée qu’il avait tué. En Italie, c’étaient, notamment, les Ludi Appolinares et Augustales, rappelant les batailles de Cannes et d’Actium ; les Ludi Capitolini, Circences, Florales, Funebres, Honorarii, Liberales, Martiales et Soeculares, renfermant tous le même principe d’honnêteté et d’utilité, c’est-à-dire le développement des forces intellectuelles et physiques. Aussi quel légitime orgueil ces exercices inspiraient-ils à ces peuples qui passaient alors pour les premiers du monde ! Aujourd’hui qu’en reste-t-il ? Quand ces nations verront-elles surgir un nouveau Thémistocle et un nouveau Fabricius ? A la vue de la Grèce du XIXe siècle, nous ne pouvons que repéter les belles pensées de lord Byron : « Patrie des braves dont le nom a traversé les siècles, contrée célèbre qui, depuis les plaines jusqu’aux cavernes des montagnes, fut l’asile de la liberté ou le tombeau de la gloire, sanctuaire de l’héroïsme, est-ce bien là tout ce qui reste de toi ? Dites-nous, vils esclaves, ne sont-ce point là les Thermopyles ? Répondez, enfants dégénérés d’un peuple libre, quelle est cette mer ? Quel est ce rivage ? N’est-ce pas là Salomine ? Que ces lieux célèbres soient encore la patrie des Grecs ! Levez-vous fils de Léonidas et rappelez-vous les exploits de vos pères ; levez-vous et cherchez dans la poussière de leurs tombeaux quelques étincelles des feux qu’embrasaient leurs âmes !... » Et pourtant en quoi consistaient donc les prix décernés aux vainqueurs dans ces luttes pacifiques ? Le plus souvent c’était une simple couronne de laurier ayant pour auréole la reconnaissance publique. Tant qu’il en fut ainsi, les jeux constituèrent une force morale et matérielle pour ces nations, mais si, plusieurs siècles furent les témoins de ces manifestations, il arriva un moment où ces mêmes peuples qui se rendaient au cirque pour applaudir les auteurs, poètes, historiens ou athlètes, ne se contentèrent plus de ces représentations. Les guerres successives, les invasions des barbares, leur donnèrent le goût des spectacles où ruisselait le sang. Il est vrai que l’on vit d’abord des luttes de bêtes féroces entre elles seulement, mais ce n’était pas assez émouvant ni assez palpitant pour des peuples dégénérés ; on ne tarda pas à voir descendre dans l’arène de malheureux esclaves venant disputer leur vie contre des lions ou des tigres. Aucune voix ne s’éleva alors pour protester contre un pareil attentat à la liberté humaine ! Aussi ce fut le signal de la décadence de ces deux cités rivales. Puis, plus tard, les vapeurs enivrantes, efféminées et empoisonnées de l’Orient vinrent compléter cette oeuvre démoralisatrice en venant s’abattre sur les lieux où tout respira si longtemps le calme et le bonheur. Elles introduisirent dans les moeurs de ces peuples les jeux de pur hasard, avec leur escorte habituelle, la paresse, la mollesse, l’énervement et la plus pernicieuse de toutes les passions, la Cupidité. A dater de cette époque, les jeux qui avaient été un des fleurons de la gloire d’Athènes et de Rome, devinrent un fléau social et gangrenèrent plus d’un coeur. Ce fut alors que le législateur dut intervenir pour essayer d’arrêter les progrès incessants de ce nouveau fléau. On peut dire que le sénatus consulte, dont le jurisconsulte Paul parle dans son histoire, qui défendait aux citoyens de jouer de l’argent, à quelque jeu que ce fût, si ce n’était à certains jeux qui contenaient le louable exercice du corps et étaient utiles pour la guerre, fut inspiré par cet évènement. Cette défense comprenait toutes les choses appréciables à prix d’argent. Il était seulement loisible de jouer son écot dans un festin. Cette exception pourrait paraître bizarre, cependant son explication est toute naturelle. Le jeu à prix d’argent est contraire aux bonnes moeurs en ce sens qu’il consiste à laisser au hasard le soin de nous enrichir aux dépens d’autrui. Or, dans l’espèce tolérée, le prix du jeu ne devait pas profiter directement à celui qui gagnait puisqu’il devait être employé à acquitter le festin. Ce sénatus consulte donnait de plus au perdant une action contre son adversaire, pour répéter ce qu’il lui avait payé comme prix du jeu. Cette répétition pouvait même s’exercer par des enfants contre leurs parents et par des affranchis contre leurs maîtres. Cette dernière disposition ne manque pas d’être peu en harmonie notamment avec l’idée de famille, mais il faut voir le but que se proposait le législateur. Les jeux de hasard, à cette époque, et ils ne faisaient qu’apparaître, furent pris en une telle horreur par les véritables citoyens, que ceux qui recevaient des personnes pour se livrer à cette passion, étaient regardés comme si odieux à la société que le Préteur leur refusait toutes actions pour les insultes qu’ils pourraient recevoir de la part de ces joueurs, ainsi même que pour les vols dont ils pourraient être victimes. Quant à ceux qui avaient forcé quelqu’un à jouer, ils étaient punis d’amende et de prison. C’était justice, car là où la violence s’exerce, la liberté est atteinte et le devoir du législateur est de la protéger. Justinien, lui, se montra plus rigoureux ; il limita au nombre de cinq les jeux permis : « Deinceps vero quinque ludos, monobolon, comtomonobolon, quintanum, contacem sine fibula, et perichytem et hippicem, quibus sine dolo atque callidis machinationibus ludere permittimus. » Il autorisa également la répétition du perdant contre le gagnant et ordonna : 1° Que cette action ne serait pas sujette à la prescription ordinaire à laquelle étaient soumises toutes actions, c’est-à-dire 30 ans, et que le perdant et ses héritiers ou ses représentants seraient reçus à cette répétition pendant cinquante ans. 2° Que, dans le cas auquel le perdant négligerait de répéter la somme qu’il aurait perdue au jeu, les officiers municipaux de la ville où le délit aurait été commis pourraient poursuivre la répétition de cette somme pour être employée à des ouvrages publics. Mais nous ne nous proposons pas de suivre les effets des jeux de hasard dans les moeurs de ces nations jusqu’à nos jours, ni de rapporter tous les décrets, lois ou arrêtés qui ont été pris pour essayer d’enrayer ce fléau ; nous voulons seulement retracer à grands traits les nombreuses décisions législatives ou autres qui ont été mises en pratique pour combattre l’invasion des jeux de hasard dans la France, invasion qui est due aux mêmes causes que celles produites par leur entrée dans les moeurs grecques et romaines. Les Germains, dit Dalloz, étaient encore moins sages que les Romains sous le rapport du jeu. Tacite raconte qu’ils s’y livraient avec tant d’ardeur qu’après avoir perdu tous leurs biens, ils risquaient leur liberté et jouaient leurs propres personnes. « Aleam quod mirere, sobrü inter seria exercent, tanta lucrundi perpendive temeritate, et cum omnia defecerunt extremo ac novissimo jactu de libertate ac du corpore contendant. Victus volontarium servitutem adit. (De moribus Germ. cap. 24.) » Aussi, nos ancêtres, descendant des Romains et des Germains ne mentirent pas, sous ce rapport, à leur origine. Ils eurent également pour les jeux de hasard un goût effréné, que partageaient d’ailleurs les gens d’église et les hommes appartenant aux ordres sacrés, si bien que l’autorité tant spirituelle que temporelle sentit le besoin d’y remédier. (Marcadé, code civil.). Le concile de Mayence, tenu en l’an 813, doit être considéré comme ayant le premier défendu les jeux de hasard, tant aux évêques qu’aux autres ecclésiastiques. Charlemagne, dans ses capitulaires, confirma ces défenses. Les jeux d’alors étaient les palets, les osselets, les échecs, les dés, le tric trac, puis plus tard, comme nous le verrons, les cartes, d’où sortit le fameux lansquenet qui est si engageant que, lorsque les femmes ont pris une fois cette passion, elles vendraient plutôt leurs chemises que de s’en empêcher. (de Poli.) Saint Louis, par son ordonnance de 1254, interdit les jeux de hasard d’une manière absolue : « Prohibemus districte, porte l’article 35 de ce texte, ut nollus homo ludat ad taxillos sive aleis ant scassis, scholas antem deciorum prohibemus et prohiberi volumus omnino, et tenentes cas districtius puniantur .» Plus tard, en 1315 ou 1319, Charles le Bel, et en avril 1369, Charles V, défendirent les jeux de dés, de boules et généralement tous les jeux de hasard à l’exception de ceux qui étaient propres au fait des armes, à peine contre les contrevenants de 40 sols d’amende. C’était, comme on le voit, une réminiscence des lois romaines. Charles VIII, par une ordonnance spéciale de police concernant les prisons, fit défenses aux prisonniers de jouer aux dés, mais il permettait aux personnes de naissance qui y étaient retenues pour causes légères et civiles de jouer au tric trac et aux échecs. Le vicomte de Poli, dans son étude sur le jeu en France, raconte que le 14 avril 1429, un cordelier, le frère Richard, fit à Paris un vigoureux sermon contre le luxe et le jeu, il prêcha si bien qu’on alluma de grands feux dans les carrefours, sur les places ; les hommes y jetèrent les tables, les billes, les dés, les billards, et les femmes brûlèrent leurs atours de tête, tels que les bourreaux, les truffaux, les pièces de cuir, les baleines, qu’elles mettaient à leurs chapeaux, leurs cornes, leurs queues et grand foison de leur pompe ; mais qui a joué jouera et des cendres de cet auto-da-fé ne tardèrent pas à renaître ces mêmes jeux, aussi François Ier, par des lettres patentes spéciales, autorisa le gagnant à poursuivre le recouvrement de ce qui avait été perdu au jeu de paume. Cette distinction trouve son explication dans ce fait, que cet exercice était fort en honneur chez les seigneurs, voire même à la cour et de plus il ne faut pas oublier qu’on sortait à peine du moyen âge. Louis IX, par deux ordonnances, l’une datée d’Orléans, défendait tous jeux de brelans, de quilles et de dés, à peine contre les délinquants d’être punis extraordinairement ; et l’autre datée de Moulins, 1566, donnait une action aux mineurs pour la répétition de ce qu’ils avaient perdu au jeu, sans néanmoins, y est-il dit, approuver ces jeux entre majeurs. Plus nous avançons dans l’histoire et plus nous allons voir les ordonnances ou les lois réglant ces jeux devenir sévères. En effet Louis XIII, le 30 mai 1611, rendait l’ordonnance suivante : « Faisons défenses à toutes personnes de tenir brelans, ni s’assembler pour jouer aux cartes et aux dés, même aux propriétaires de leurs maisons ou locataires d’icelles d’y recevoir ceux qui tiendront les dits brelans ou joueront ès dits jeux, à peine d’amende, d’autres punitions, s’il y échet, et d’être en leur propre et privé nom, responsables de la perte qui y sera faite et tenus à le restitution de l’amende. « Enjoignons aux juges de se transporter ès maisons où ils sont avertis y avoir brelans et assemblées, de se saisir de ceux qui s’y trouveront, ensemble de leur argent, bagues, joyaux et autres choses exposées au jeu, en faire et distribuer les deniers aux pauvres des Hotels-Dieu. » De plus la peine infligée aux dits contrevenants était de cent francs d’amende et la restitution des deniers ou autres choses perdus au jeu. Par une autre ordonnance de 1629 le même monarque déclara ceux qui tiendraient des maisons de jeu, qui se prostitueraient en un si pernicieux exercice et ceux convaincus d’y être allés trois fois, infâmes, intestables et incapables de tenir jamais offices royaux, et ordonna aux juges de bannir les premiers de la ville où ils auraient contrevenu à ces prohibitions, voulant que les maisons fussent confisquées lorsqu’il serait prouvé qu’on y aurait joué pendant six mois, annula toutes les obligations et promesses résultant du jeu, quelque déguisées qu’elles fussent, en vente même d’immeubles, échange ou autrement ; défendit à qui que ce fût de prêter argent, pierres précieuses ou autres meubles pour jouer, de répondre pour ceux qui joueraient, à peine de toutes dettes et nullité des obligations, de confiscation de corps et de biens, comme séducteurs et corrupteurs de la jeunesse et cause des maux innombrables que l’on voyait venir chaque jour. Il ordonna de plus que ceux en faveur de qui des obligations auraient été contractées fussent condamnés envers les pauvres à pareilles sommes que celles prêtées aux dites obligations et permit enfin aux pères, mères, aïeuls et aïeules et tuteurs de répéter tous les objets encore que leur valeur excédât cent francs et qu’ils pourraient prouver même par témoins avoir été perdus au jeu par leurs enfants et pupilles, et de faire condamner en outre ceux qui les avaient gagnés à tous dépens et dommages intérêts. Après cette ordonnance vint un arrêt du Parlement de Paris, du 8 juillet 1661, qui défendit de tenir des jeux de hasard dans le ressort à peine de cent livres d’amende et même de prison. Le même parlement par deux arrêts du 18 septembre 1663 et 29 mars 1664 défendit de tenir des académies de jeu sous peine, la première fois d’amende et de prison, et la deuxième fois sous peine de carcan et de fouet. Mais il paraît que ces arrêts n’avaient pas encore assez de force par eux-mêmes, car un édit du mois de décembre 1666 les rendit exécutoires. Un nouvel arrêt du 23 novembre 1680 fit défenses de tenir aucune maison de jeu et particulièrement de donner à jouer au hoca ou à la bassette, sous peine de trois mille livres d’amende et, en cas de récidive, voir ordonner la fermeture des maisons, sans préjudice des peines corporelles ; de plus un arrêt du conseil du 16 janvier 1691, étendit cette prohibition aux jeux du Pharaon et de la Barbacole. Malgré cette avalanche d’arrêts, la fièvre du jeu se propageait et l’autorité était impuissante à l’endiguer. Aussi le Parlement de Paris crut-il devoir rendre le 8 février 1708 un nouvel arrêt plus sévère que les précédents. « Il est fait, dit cet arrêt, très-expresses prohibitions et défenses à tous marchands, colporteurs, artisans et autres de quelque qualité et condition qu’ils soient, de donner à jouer dans les foires ou marchés et autres lieux, bourgs et villages de son ressort, soit aux dés ou aux cartes, soit à la blanque, tourniquet, cheville ou à tirer dans un livre, ou à tous jeux de hasard généralement quelconques, à peine de mille livres d’amende et de confiscation de l’argent, des jeux, marchandises, chevaux et équipages à eux appartenant, lesquels seront vendus pour en être le prix appliqué aux hôpitaux les plus proches du lieu où ils auront donné à jouer à peine de punition corporelle en cas de récidive ; comme aussi fait défenses à tous juges royaux et autres, du ressort de la dite cour, d’accorder aucune permission, sous quelque prétexte que ce soit, de donner à jouer aux dits jeux, à peine d’interdiction. « Et en outre enjoint au prévost des marchands, dans leur département, de tenir main à l’exécution du présent arrêt, de saisir et arrêter ceux qu’ils trouveront en contravention et de les conduire dans les prisons du lieu où ils auraient donné à jouer, et de faire remettre pareillement entre les mains des officiers du Roi, les chevaux, marchandises et équipages des contrevenants, ensemble l’argent du jeu, procès-verbal préalablement dressé des choses par eux saisies, pour y être ensuite pourvu par les officiers du lieu ainsi qu’il appartiendra. » Deux ordonnances de police de la ville de Paris, des 19 et 30 novembre 1740, défendant les jeux de cartes et de dés dans les cafés, enfin le Ier mars 1781, Louis XVI fit contre les jeux une déclaration qui fut enregistrée le lendemain au Parlement. Il y est dit : « Que ceux convaincus d’avoir joué à des jeux de hasard seraient punis pour la première fois, ceux qui tiendront les dits jeux, sous le nom de banquiers ou autres, en trois mille livres d’amende et les joueurs en mille livres chacun. En cas de récidivité, l’amende serait doublée et la contrainte par corps exercée. Après deux condamnations les propriétaires des maisons où les jeux avaient lieu seraient punis de dix mille livres d’amende ; quant aux contrats, obligations, billets, ventes et actes généralement faits par des majeurs ou des mineurs, ayant pour cause un gain ou une perte au jeu, ils étaient déclarés nuls. La Révolution de 1789, qui renversa et détruisit bon nombre de nos erreurs et de nos préjugés, fut elle-même impuissante dans la répression des jeux ; la municipalité de Paris, ayant à sa tête Bailly, prenait pourtant dès le 25 février 1790 l’arrêté suivant : Le département fait défenses à tous particuliers de donner à jouer aux jeux de hasard à peine pour la première contravention de cinquante livres d’amende et pour la seconde de cent livres, payables sans départ, au district où ils auront été conduits, entre les mains du trésorier qui en comptera au receveur des amendes de police pour être l’emploi fait conformément au désir de l’assemblée nationale ; pour la troisième fois, d’un mois de prison à l’hôtel de la force et, dans le cas d’une quatrième récidive, d’être renvoyés au Châtelet pour y être poursuivis extraordinairement comme obstinément refractaires aux réglements et incorrigibles. Invite les comités des districts à tenir la main à l’exécution de la présente ordonnance et MM. de l’État-Major à donner les ordres sur ce nécessaires. Cet arrêté ayant soulevé une certaine polémique dans la presse, Bailly fit insérer dans « le Courrier de Paris », dans « *les Provinces », l’article que l’on peut résumer ainsi : Il déclare qu’il regarde les maisons de jeu comme un fléau public, qu’il pense que non-seulement ces assemblées ne doivent pas être tolérées, mais doivent être défendues et recherchées, autant que la liberté des citoyens et le respect dû à leur asile peuvent le permettre. Il déclare qu’il regarde comme un tribut honteux la taxe qui a été souvent imposée sur les maisons de jeu ; il ne croit pas qu’il soit permis d’employer, même à faire le bien, le produit du vice et des désordres ; en conséquence de ces principes, il n’a jamais donné aucune permission pour les dites maisons ; il les a constamment refusées et il a constamment annoncé que non-seulement il n’y aurait point de tolérance de son aveu, mais qu’il y aurait recherches et poursuites. Si ces recherches ne sont pas aussi multipliées, aussi actives que l’abus semblerait l’exiger, c’est que souvent son autorité ne suffit pas au développement de ces principes. Quelque temps après, le 25 février 1791, un projet de loi était déposé sur le bureau de l’assemblée nationale et après la lecture qui en fut faite par l’abbé Mulot, le président, au nom de tous ses collègues, lui adressa une allocution de laquelle nous détachons le passage suivant : « C’est dans les maisons du jeu, dit-il, qu’on fait l’apprentissage de tous les vices ; cette funeste passion mène de l’égoïsme à la bassesse et souvent au crime. C’est là que l’homme apprend à moins aimer sa femme et ses enfants, c’est là qu’il perd les vertus que font le bonheur de la société. » Malgré ces belles paroles le projet de loi ne sortait pas des cartons, il est vrai qu’un décret des 19, 22 juillet 1791 avait cherché, mais en vain, à mettre un frein à cette marée monstrueuse montant toujours, aussi voyons nous l’abbé Mulot revenir à la charge et, dans la séance du 12 décembre 1791, s’écrier : « Il est impossible que l’assemblée laisse subsister plus longtemps des repaires de brigands, où les anti-révolutionnaires s’engraissent. C’est au nom des moeurs que je demande la destruction des deux ou trois mille maisons de jeu qui infestent la capitale et que je prie l’assemblée d’ajourner à jour fixe le rapport du comité de législation sur ce sujet. » La parole de l’orateur fut entendue et l’assemblée ajourna au 15 du même mois la présentation du rapport. Mais cette fois encore il ne sortit aucune loi, les événements se succédaient avec une telle rapidité que les députés ne pouvaient qu’avec peine faire face aux exigences ou aux besoins de la situation générale nouvelle. L’année suivante un événement d’une importance politique considérable se produisait et se réalisait le 21 septembre 1792. Cependant le Gouvernement veillait sur ces foyers de perdition et le 22 février 1793 le Conseil arrêtait comme mesure générale de police, que les noms de tous les joueurs saisis depuis le 10 août dans les maisons de jeu, et de ceux qui le seront par la suite, seront imprimés, affichés et envoyés aux 48 sections. La liste des joueurs sera lue tous les jours au conseil général. C’était une espèce de pilori, mais que faire contre trois mille maisons de jeu. Le Procureur général de la Commune, par un arrêté du 6 août 1793, ordonna que la force armée ferait des patrouilles de surveillance dans les maisons désignées publiques par la loi afin d’examiner si des teneurs de tripot ne s’y étaient pas réfugiés. Enfin, le 11 juillet 1799, la fermeture des maisons de jeu était formellement prescrite et, le 27 fructidor, sur la motion d’André (du Bas-Rhin) appuyée par Ruchard (des Vosges) un message était présenté au Directoire pour faire exécuter les lois prohibitives des jeux de hasard. Comme par le passé l’espèce de folie qu’engendre la passion du jeu ne fut pas vaincue, c’est que, comme l’a fort judicieusement proclamé du haut de la tribune le député Siméon, (rapporteur du projet de loi sur les contrats aléatoires), dans la séance législative du 18 mars 1804 ; il est de l’objet des lois de contenir et de régler les passions, les étouffer entièrement n’appartient pas à la législation humaine. Aussi la loi du 10 mars de la même année n’est elle qu’un palliatif à cette maladie incurable. Quels sont donc les disciples de ces jeux de hasard ? Les gens oisifs pour la plupart qui recherchent, non pas un délassement, mais bien le gain ou la cupidité. La comédie et le drame cherchèrent à démontrer où conduit la folie joyeuse ou la folie furieuse qu’enfante trop souvent la passion du jeu, le résultat fut à peu près le même que celui produit par les ordonnances royales. La maladie était devenue incurable, elle s’étendait comme une sorte de lépre et nous ne croyons pas mieux faire que de rapporter ici cet apophthegme chinois : « Si je savais que ma main droit voulut jouer, je la trancherais avec ma main gauche, et si ma main gauche ensuite osait me demander de jouer je la brûlerais ; et, perdant mes deux mains j’aurais sauvé ma tête. » Comme nous l’avons dit plus haut, les lois qui nous régissent actuellement ne paraissent pas avoir produit une guérison du mal. Aussi malgré tous les législateurs et les moralistes, il nous paraît plus simple d’expliquer cette plaie de la manière suivante : Le jeu est un mal social, il vivra tant que durera la société ; aussi est-ce avec raison que l’immortel Musset a dit, en parlant de ce ministre aveugle et forcené du hasard :
Ce monstre, c’est le jeu, mettez bas le chapeau !
Vous qui venez ici, mettez bas l’espérance.
EUGÈNE
LEBRUN.
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