LEPIC,
Vicomte Ludovic Napoléon (1839-1890) : Les
Armes et les outils préhistoriques reconstitués
: texte et gravures.- Paris : C. Reinwald et Cie,
1872.- 58 p.– [24] f. de pl. ; 35 cm. PLANCHE III. : HACHES FIGURÉES DANS LES DOLMENS. ![]() Une
des questions préhistoriques les plus difficiles
à résoudre est, sans contredit, l'explication et
la reconstitution des haches gravées sur les dalles de
quelques dolmens. je ne suis jamais allé en Bretagne, mais
je connais les moulages faits avec tant de talent et
d'habileté par M. Maître, et qui sont au
musée de Saint-Germain ; c'est devant ces reproductions que
j'ai étudié la question. Sans avoir la
prétention de l'avoir résolue, je vais pourtant
soumettre à l'appréciation de plus habiles que
moi une idée qui m'est venue, et dont les
résultats se trouvent gravés dans la planche
ci-jointe.
Si je ne me suis pas encore rendu aux diverses opinions formulées par de plus savants que moi, à coup sûr, c'est que la pratique m'a amené à démontrer par l'impossible la théorie émise jusqu'à ce jour. On nous dit en effet que cet appendice qui termine la hache est fourni par le bois pour consolider l'outil. Sur cette donnée, qui m'a d'abord paru très-vraisemblable, j'ai commencé mon travail. Après de nombreux essais inutiles et mêmes absurdes, j'ai fini par découvrir une racine de frêne, contournée en cercle, et venant rejoindre la tige ; je me suis hâté de profiter du hasard qui me reconstituait soit la figure C, soit la figure H, et ayant fait un trou capable de maintenir ma hache, je la fixai, en ayant soin de faire toucher l'extrémité de la racine au sommet de la pierre, de façon à y exercer une pression capable d'amortir un coup. Dès mon premier essai, mon point d'appui, repoussé par son élasticité même, était rejeté soit à droite, soit à gauche, et ne remplissait pas le but que je me proposais. Je pris alors un tendon, et j'en fixai solidement l'extrémité au point voulu. Cette fois mon essai fut couronné par un résultat ; la racine se brisa au centre de sa courbe. Il me fallait donc abandonner cette direction de mes recherches ; l'idée me vint alors que ces appendices étranges pouvaient bien être la représentation fantaisiste de bois de cerf munis de leur andouiller. Je me mis à l'oeuvre, et prenant le dessin primitif A, j'arrivai à le reproduire aussi exactement que possible dans le dessin B. J'ai percé mon bois de cerf à la couronne et j'y ai introduit une hachette de 0 m,4 de hauteur ; un manche passé au milieu du merrain m'a permis de faire des expériences qui m'ont parfaitement satisfait ; avec cet outil, long en tout de 0 m,18, muni d'un manche de 0 m,54, j'ai taillé et coupé tout ce que j'ai voulu. Maintenant, à quoi pouvait servir l'andouiller qu'on a laissé ? Est-ce une arme ? est-ce un ornement, est-ce un pic ? voilà la question, et je serai le premier à remercier celui qui la résoudra, même contre moi. Prenant ensuite la figure C, je l'ai interprétée suivant le même courant d'idées ; j'ai fait l'outil D ; il a 0 m,22 de long, muni d'un manche également de 0 m,54. Même résultat que pour le premier pour ce qui est du service de la hache ; quant à l'andouiller, dans ce cas il peut servir de crochet pour suspendre l'arme, de hoyau et de casse-tête. J'ai vu dans la figure E un double outil ; conservant cette fois les deux andouillers, j'ai enchâssé ma hache non plus parallèlement au manche, mais perpendiculairement, conservant le merrain pour manier l'arme, et j'ai obtenu la figure F parfaitement pratique cette fois. La hache fait un bon service, et les deux andouillers forment un excellent outil pour travailler la terre, avec lequel j'ai retourné des mottes de gazon, des terrains remplis de bruyères et très-incommodes à labourer. Le peuple des dolmens était pasteur, chasseur, pêcheur, agriculteur ; n'aurions-nous pas là la reproduction d'un de ses instruments agricoles ? A ceux qui me diront que je me trompe, je ferai la réponse suivante : Le cerf a habité la Bretagne jusqu'à nos jours. Sous Louis XV, on le forçait encore dans les landes qui bordent la mer du côté de Quiberon ; pourquoi ce peuple inconnu, qui est un des plus intéressants mystères de la science préhistorique, n'aurait-il pas utilisé le bois de ces animaux, qui, peu chassés, peu tourmentés alors, devaient mourir vieux et posséder des ramures admirables ? Il est vrai qu'il est difficile d'expliquer les figures G et H ; la première avec son anneau, la seconde avec son double crochet, sont de vraies énigmes. Cet anneau n'est-il pas un symbole religieux ? A d'autres plus habiles et plus heureux que moi de trouver cette solution. Figure B : Lire 0 m,18 longueur au lieu de 0 m, 81. |