LEPIC,
Vicomte Ludovic Napoléon (1839-1890) : Les
Armes et les outils préhistoriques reconstitués
: texte et gravures.- Paris : C. Reinwald et Cie,
1872.- 58 p.– [24] f. de pl. ; 35 cm. PLANCHE VIII. : HACHE NORMANDE. ![]() Voici
le modèle des
haches de bronze que l'on trouve en Normandie. Peut-on dire que cet
outil est une hache ? Je ne le crois pas ; creux à
l'intérieur, il n'offre aucune solidité pour un
ouvrage de
fatigue, et son
extrémité est souvent si mince, qu'on ne pourrait
l'aiguiser au marteau sans la percer ou la déchirer. Ce
même modèle se trouve moitié plus
petit, parfois au
tiers ou au deux tiers ; au musée de Saint-Germain, on en
possède des quantités au quart de la grandeur des
haches,
attachées en cercle par un fil de métal, et, ce
qui est
remarquable, petits et grands modèles ont tous l'anneau.
Qu'est-ce donc ? A ceux qui disent que ces petites douilles formaient
l'extrémité inférieure d'une arme, on
répond que les grands ne sauraient avoir le même
usage,
puisque montés ainsi, ayant tout en proportion, la lance ou
le
javelot ne seraient plus maniables à cause du poids. Et
alors
pourquoi l'anneau ? Serait-ce une manière de passer une
attache
pour porter l'arme ? Autant de questions sans réponse
jusqu'à aujourd'hui. Un homme m'avait dit que dans la Meuse
les
bûcherons se servaient de coins semblables pour fendre les
grands
troncs d'arbres ; qu'ils y introduisaient un manche
très-fort
entrant dans la douille, prenant un point d'appui sur le rebord
supérieur, et utilisé ainsi de toute
éternité. J'ai d'abord essayé ce
procédé, qui n'a pu réussir ; mon
bronze
était à chaque coup de maillet sur le point de se
déchirer ; d'ailleurs les coins de la Meuse sont
à
moitié pleins ; le bois porte donc sur une sorte de lingot
très-solide et capable de supporter tous les chocs. Je me
suis
décidé alors à les monter comme des
haches, en
leur donnant l'inclinaison la plus propre à un service
possible.
La hache A est fixée sur une cheville faite d'une branche de
chêne, coupée carrément, et dont
l'extrémité, pénétrant dans
la douille, est
seule taillée de façon à
épouser la forme
du bronze ; le rebord de la hache porte donc en plein sur le bois ;
cette hache a ensuite été introduite dans une
racine de
chêne bien noueuse, formant la boule, sans toutefois
pénétrer plus avant qu'un tiers. Ceci fait, j'ai
serré avec du boyau la cheville, aussi fortement que
possible ;
j'ai enlacé la pomme faite par la racine par un lien
analogue,
qui s'enroule encore à la naissance du manche, et, passant
un
tendon dans l'anneau, je l'ai rattaché à la tige.
Avec
toutes ces précautions, j'ai pu me servir de cet instrument
comme d'une hache ; il entame le bois et peut même couper sur
pied un arbre pas trop gros. Peut-être peut-on obtenir
davantage
; mais comme les deux outils que je possédais ne
m'appartenaient, j'ai dû prendre beaucoup de
précautions.
Le modèle A, je le répète, coupe bien,
peut servir
à tailler et à dégrossir ; mais pour
ce dernier
service, surtout pour façonner le bois, le modèle
B est
bien préférable, à cause de
l'inclinaison. J'ai
employé exactement le même mode d'emmanchement ;
seulement, comme cette inclinaison même m'ôtait de
la
solidité, avant d'entourer la pomme du bois avec mes cordes
à boyau, je l'ai encore consolidée par un nerf de
boeuf
sur lequel passe la corde, en y exerçant toute la pression
possible ; mon arme est ainsi bien sûre et solide, et j'ai vu
des
charpentiers s'en servir, sinon avec de beaux, au moins avec de bons
résultats. Sa pratique m'a, du reste, amené
à
changer la forme de mes manches.
La hache qui taille, et avec laquelle on voudra abattre un arbre, doit être emmanchée à angle droit, mais avec une hampe un peu courbée, qui facilite la direction du coup, forcément toujours dirigée de haut en bas et obliquement. La hache qui dégrossit et façonne doit avoir une hampe droite, et cette modification a été exigée par les charpentiers, dès les premières expériences qu'ils ont faites avec cet outil. Somme toute, si nous devons considérer ces objets comme des haches, pourquoi sont-elles de construction si frêle et si peu propres à la fatigue ? Pourquoi l'extrémité qui forme le coupant, qui devrait être la partie la plus solide et la plus résistante, est-elle la plus faible et la moins solide ? Remarquons en outre que cette forme est circonscrite dans un rayon assez restreint, puisqu'on l'appelle la hache normande, du pays où elle se trouve, et que les très-rares autres spécimens trouvés en Allemagne ont été classés comme objets inconnus. En tous cas, celles dont l'extrémité peut se marteler sont bonnes, mais doivent s'user vite ; celles qui sont minces ne doivent pas supporter le moindre effort. |