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Ed. Mennechet : Les théâtres de société (1832)
MENNECHET, Edouard (1794-1845) : Les théâtres de société (1832).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (11.II.2009)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : nc) de  Paris ou le livre des cent-et-un. Tome septième.- A Paris : Chez Ladvocat, libraire de S.A.R. le Duc d'Orléans, MDCCCXXXII.- 396 p. ; 22 cm. 
 
Les théâtres de société
par
Ed. Mennechet

~ * ~

Parmi tous les amusements que multipliait la prospérité dont nous jouissions avant la révolution de 1830, la comédie de société occupait le premier rang. Les concerts et les bals pâlissaient devant une soirée dramatique, et les mots On fera de la musique, ou bien On dansera, n’avaient pas, sur une invitation, l’attrait puissant de cette courte et modeste annonce : On jouera des proverbes. Il n’était pas de prières, pas de démarches, pas de ruses dont on ne se servît pour être invité. On se réconciliait avec un ennemi, on donnait la main à un homme de police, on écoutait sans bâiller un député du centre : aucun sacrifice ne coûtait si l’heureux billet devait en être le prix. C’était alors un billet de spectacle qui éveillait la concurrence : c’est aujourd’hui un billet d’hôpital. Comme tout a changé !

Ce n’était pas seulement dans les vastes galeries du faubourg Saint-Germain, et dans les riches salons de la Chaussée-d’Antin, que s’élevaient ces théâtres improvisés : le simple atelier de l’artisan s’embellissait parfois du double rang de paravents et de la rampe de chandelles : aucun plaisir n’était interdit à la classe ouvrière, qui trouvait dans le travail de la veille les amusements du lendemain. Il m’est arrivé d’assister, dans un grenier, à la représentation de Zaïre et du Dîner de Madelon. Zaïre était une jeune et jolie blanchisseuse qui savait mal son rôle, ce qui donna lieu à un plaisant de dire qu’elle aurait dû le repasser ; mais, comme à chaque instant elle essuyait ses yeux avec un beau mouchoir brodé, je fus convaincu de son extrême sensibilité ; et, quand elle tomba morte sous le poignard d’Orosmane, je fus édifié de voir avec quelle décence elle s’occupa de cacher au public la jarretière que le mouvement de sa chute avait mise à découvert. Je ne dirai rien du jeu de l’Orosmane : on peut s’en faire une idée maintenant au Théâtre-Français : mais je n’ai point oublié avec quelle présence d’esprit il se jeta, après s’être frappé, sur la malheureuse Zaïre, de manière à l’embrasser à plusieurs reprises. Tous les spectateurs applaudirent ; et on persuada à la mère de Zaïre, qui ne savait pas lire, que c’était écrit dans le rôle. Le Dîner de Madelon ne fut pas moins remarquable par la dignité que la cuisinière mit dans son rôle. Elle eût joué Cléopâtre, Athalie, avec les mêmes gestes, le même accent, et les mêmes attitudes ; et, lorsqu’elle s’assit à la table de son maître, elle déploya toute la grâce et toute la noblesse de Sémiramis montant sur son trône. Cette Madelon était pourtant une cuisinière ; mais une cuisinière sur un théâtre ne doit pas ressembler à une cuisinière dans sa cuisine : aussi ses grands airs de princesse eurent-ils beaucoup de succès. Cette bizarre représentation, qui m’amusa beaucoup, m’a convaincu que le mérite le moins apprécié dans un acteur par un public peu éclairé, c’est la naturel. La dame de province qui se plaint de ce que mademoiselle Mars joue sur le théâtre comme si elle était dans sa chambre, m’aide à comprendre le public de nos boulevarts. Je me rends compte de son engouement pour des pièces où l’exagération du style répond à l’invraisemblance des situations, et pour des comédiens qui joignent à la fausseté d’une déclamation emphatique le ridicule d’attitudes forcées et de contorsions bizarres. Le naturel n’est senti que par les gens de goût ; et c’est l’art seul qui le donne.

Ce naturel, qu’on ne trouve jamais chez les acteurs qui s’exercent sur les planches d’un grenier, ne se rencontre même que bien rarement parmi les comédiens qui se montrent dans un salon. Ce n’est pas que l’intelligence, l’esprit et le goût leur manquent ; mais la plupart ont le tort de chercher leur talent dans le talent d’un comédien de profession. Ils apprennent des gestes, ils étudient des intonations ; et comme ces gestes et ces intonations ne sont pas les leurs, mais ceux d’un maître, il en résulte qu’ils deviennent nécessairement de mauvaises copies souvent même d’un mauvais original. Les conseils d’un comédien sont utiles pour la mise en scène, mais non pour l’art de dire. Si vous n’avez pas en vous-même la faculté d’exprimer nettement ce que vous sentez, si votre organe se refuse à peindre les émotions de votre âme, si vos regards ne s’animent pas du feu de vos paroles, et si vos traits restent immobiles dans le trouble des passions, croyez-moi, ne jouez jamais la comédie, et n’espérez pas que les meilleurs leçons puissent suppléer à ce qui vous manque. Permettez-moi de vous dire, en parodiant le Misanthrope :

    Et n’allez pas quitter, de quoi que l’on vous somme,
    Le nom que, dans la cour, vous avez d’honnête homme,
    Pour prendre, des leçons d’un pauvre professeur,
    Celui de ridicule et misérable acteur.

Il n’y a ni honte ni malheur à ne pas jouer la comédie ; mais comme il y a toujours un peu de ridicule à la mal jouer, beaucoup de gens devraient s’abstenir, qui ne s’abstiennent pas. D’où vient ? C’est que rien n’est plus amusant.

Que, dans une société où la langueur et l’ennui commencent à s’introduire, une voix s’élève tout-à-coup et dise : Jouons la comédie ! voyez soudain comme toutes les figures s’animent, comme toutes les ambitions s’éveillent, comme tous les amours-propres surgissent. Mais qui jouera ? Personne n’ose encore se proposer. Une jeune dame s’écrie : J’aurais trop peur... Ce mot suffit pour prouver qu’elle veut qu’on la rassure... et pendant qu’on s’efforce de dissiper la frayeur qu’elle n’a pas, la maîtresse du logis va chercher dans un coin un jeune homme auquel personne ne prend garde. Il a fait le quart d’un vaudeville... cela suffit, c’est un auteur, et on le proclame directeur de la troupe..... Voyez alors comme on se presse autour de lui. Il n’est pas d’attentions et de prévenances qu’on ne lui montre. On le complimente sur ce qu’il a fait, sur ce qu’il n’a pas fait, peu importe. Il faut le gagner, il faut le mettre dans ses intérêts. On propose de jouer un de ses ouvrages. Ils sont tous charmants ; on n’a qu’à choisir. Par malheur on n’en sait pas même les titres ; et la modestie de son refus vient secourir l’embarras de ses flatteurs. On s’occupe d’abord du choix des pièces..... et comme la maîtresse de la maison a une jolie voix et prend des leçons de Benderali, on se décide pour le vaudeville.... mais quel vaudeville ? On n’en manque pas, cherchons : La Visite à Bedlam ? - « Non pas, » dit une dame, « j’ai mon mari à Charenton, et cette pièce me le rappellerait. » - Le Secrétaire et le Cuisinier ? - « Vous n’y pensez pas, » s’écrie tout bas un jeune homme. « Ce gros intendant militaire qui joue là-bas au whist, a porté autrefois le bonnet de coton, et ce serait une personnalité. » - Eh bien, le Diplomate ? - « Je m’y oppose, » dit une vieille dame, « mon petit-fils est troisième secrétaire d’ambassade à Copenhague, et je ne sais vraiment pas comment M. Scribe ose se permettre de tourner en ridicule la diplomatie. » - Vingt ouvrages sont tour à tour proposés et rejetés pour des motifs non moins puissants. Enfin, après avoir parcouru tout le répertoire du Gymnase, du Vaudeville et des Variétés, on s’arrête à deux vaudevilles qui ont le mérite de ne pas présenter d’allusions fâcheuses. Vient alors la distribution des rôles. Après une révolution, lorsque se fait le partage des places, on voit accourir de toutes parts une nuée de solliciteurs : l’un veut être ministre, l’autre conseiller d’état, celui-ci préfet, celui-là receveur-général. Nul ne trouve le fardeau trop lourd pour ses épaules : on se croit administrateur, financier, du moment que le Moniteur vous a nommé : on revient jouer son rôle dans son département, et on est tout furieux de voir que le public se moque de vous. C’est avec moins de légèreté et plus de discernement peut-être que se fait la distribution des rôles d’un vaudeville ; mais l’ambition est la même dans les aspirants, et personne ne se croit fait pour un emploi ou pour un rôle subalterne. Enfin, après de longs débats, tout se concilie. Une dame de quarante cinq ans, maigre, sèche et ridée, jouera l’ingénue ; sa fille fera la mère, et, en la grimant un peu, elle sera charmante. Un jeune homme que cet arrangement n’arrange pas, prend par dépit le rôle d’un grand-père et cède l’amoureux à son oncle, qui mettra une perruque blonde, se peindra les sourcils, et achètera des mollets. Une jeune et jolie brune, dont la main s’appuie sur le bras du directeur, obtient de lui l’emploi de soubrette, et comme il jouera le valet, il lui fera souvent répéter son rôle en particulier. Quant à la maîtresse de la maison, elle se sacrifie. Elle accepte un bout de rôle : cependant il faut qu’on trouve moyen d’y insérer un grand air de Rossini qu’elle chante à merveille. C’est tout ce qu’elle demande : on n’est pas moins exigeante. Mais voilà que le mari de la jolie soubrette s’avise de trouver mauvais qu’on n’ait pas employé son talent pour la comédie, et il en a beaucoup, lui, qui était autrefois chambellan de l’empereur. Il se plaint amèrement de l’oubli dont il est victime. Comment faire ? Il ne reste plus que l’emploi de souffleur : il s’en empare, et peut-être espère-t-il que la maladie ou la mort de quelque acteur le fera sortir de son trou et le lancera sur le théâtre. Cet autre monsieur, qui ne sait pas dire trois paroles, mais qui plante admirablement un clou, est proclamé machiniste du théâtre. Il lèvera et baissera le rideau. Quant aux trois coups, c’est un autre qui les frappera ; car tant de fonctions pourraient l’embarrasser. Mais le sujet le plus intéressant de la troupe, c’est le fils de la maison ; il doit apporter une lettre et répondre : Oui, monsieur. Sa mère, qu’étonne son intelligence précoce, ne doute pas qu’il ne s’en tire à merveille : mais pour en être plus sûre, elle le fait répéter vingt fois, et s’extasie sur sa bonne grâce et son naturel sous la livrée. Voyez, s’écrie-t-elle, ne dirait-on pas que c’est un vrai domestique ? et elle est enchantée.

Bientôt les répétitions commencent, et avec elles les tribulations de la maîtresse de la maison. Ce n’est pas chose facile de réunir à jour et heure fixes, même pour un plaisir, huit ou neuf personnes, chacune d’elles ayant ses devoirs, ses intérêts, ses passions, et surtout ses caprices. L’une veut qu’on répète le soir, l’autre le matin : celle-ci n’est libre que le dimanche, celle-là va à la campagne. Enfin on convient du jour et de l’heure, et on se promet réciproquement de savoir son rôle. Le rendez-vous général est pour deux heures : il en est trois, et personne ne paraît encore. Le premier acteur qui arrive fait constater son exactitude, et va faire, en attendant, une visite dans le voisinage : le second (c’est une dame) se récrie sur l’inconvenance de faire attendre une femme : le troisième arrive tout en nage, et annonce que, dans une heure, il est obligé de se trouver chez son notaire. Puis vient une lettre d’excuse : le chien de la jeune première est malade, et elle attend le médecin ; elle ne sait pas même si elle pourra jouer, tant la santé de cet être chéri lui cause d’inquiétude. Quatre heures sonnent, et on n’a pas encore dit un mot de la pièce. C’est à peine si chacun a lu on rôle, car on répète sur le manuscrit. Il est cinq heures, qu’on n’est pas encore convenu des places, des entrées, des sorties. On se sépare en se jurant d’être plus exact à la seconde répétition, et chacun s’en va en se promettant bien de n’en rien faire. On ne veut pas être victime de la paresse des autres. Une, deux, trois répétitions pendant lesquelles on se raille, on se flagorne, on se querelle, n’offrent ni plus d’ensemble ni plus de mémoire. Cependant le jour de la représentation approche, et on se décide à faire partir les lettres d’invitation. Chaque acteur en demande pour sa famille, pour ses amis, pour ses connaissances. Comment refuser des gens qui se fâcheraient peut-être, et qui feraient tout manquer ? Il faut bien les satisfaire ; et la malheureuse maîtresse de maison est condamnée à exclure ses amis pour faire place à des étrangers. Cependant les répétitions marchent au milieu de discussions sans cesse renaissantes. L’un s’arrête, et s’obstine à ne rien dire tant que l’on cause bas dans la coulisse : le plus léger bruit le trouble : le chien qui jappe le déconcerte ; la porte qui s’ouvre lui fait perdre la tête. L’autre a la manie de donner des conseils à chaque phrase, il vous interrompt pour vous dire : Gonthier dit cela ainsi ; Léontine Fay joue ici avec son éventail. Il imite Gonthier et Léontine, et on ne reconnaît ni l’un ni l’autre. Celui-ci ne veut pas qu’on le souffle, et à chaque instant il reste court, et se fâche de ce qu’on ne le souffle pas. Celui-là ne peut se résoudre à dire son rôle tel qu’il est : il le brode, et le charge, et l’arrange, et fait si bien qu’il dénature et gâte tout.

Le plus à plaindre est le pauvre jeune homme qu’on a nommé directeur, et qui ne dirige rien, car chacun fait à sa tête. Cependant tous l’assiégent pour lui demander ses avis. Malheur à lui s’il se permet quelques observations, et si ses conseils ne se bornent pas à dire : Vous serez ravissante ! vous serez parfait ! Qu’il s’avise de blâmer ! on lui tourne le dos, on se moque de lui ; et, si la pièce va mal, c’est de sa faute, car il est directeur.

Trois jours avant la représentation, une grande question s’agite : c’est celle des costumes ; et, comme le dit M. Leclercq dans l’un de ses plus jolis proverbes : Les costumes font beaucoup, si ce n’est tout.

- « J’aurai une robe rose, » dit la dame de quarante-cinq ans.

- « Et moi aussi, » ajoute la jeune soubrette.

- « Mais, ma chère, c’est impossible, nous ne pouvons pas être habillées de même. Ce serait ridicule ; et d’ailleurs le rose en vous sied pas. »

- « Le rose ne me sied pas !... à mon âge !... Est-ce vrai, monsieur ? »

- « Quand on est jeune et jolie, tout sied également bien. Le rose a l’avantage de rajeunir. »

- « Eh bien, ma chère, je vous cède le rose, réplique malignement la soubrette. Moi je ne tiens pas à me rajeunir. »

Et voilà deux amies qui, de trois jours, ne se parleront pas.

Mais ce ne sont pas seulement les dames qui attachent une haute importance à leur toilette. Suivons chez Babin nos comédiens de société, et nous serons en peine de savoir dans quel sexe la nature a jeté le plus de prétentions. Là, on essaie vingt habits différents ; mais aucun ne prend bien la taille, aucun n’a bonne grâce ; le drap est trop gros ; il est couvert de taches ; la couleur en est terne, et n’aura pas d’effet au théâtre. Après avoir mis les magasins sens dessus dessous, et madame Babin au désespoir, on se décide enfin, sans trop penser à son rôle, pour le costume qui plaît et non pour celui qui convient. Il ne faut pas croire que ce soient les premiers sujets qui s’occupent le plus de cette affaire. L’acteur chargé d’apporter une lettre est précisément celui qui y met le plus d’importance, et plusieurs heures se passent avant qu’il ait décidé s’il apportera sa lettre en livrée jaune, ou rouge, ou verte. On délibère moins long-temps pour mettre un pays en état de siége.

Enfin le grand jour arrive ! Mais voici bien une autre tribulation !... l’amoureuse a la migraine, et on ne croit pas qu’elle puisse se lever.... L’oncle a une extinction de voix, et on craint qu’il ne puisse ni chanter ni même parler. – Malheureuse maîtresse de maison, que va-t-elle faire de tout ce monde, qui dès sept heures assiégera sa porte ? – « Au moins, » s’écrie-t-elle dans son désespoir, « s’il était mort il y a trois jours, j’aurais eu le temps de le remplacer ! » Dix fois dans la journée elle va chez la pauvre malade : vingt fois elle envoie chez le malheureux enroué : jamais on ne vit tendresse pareille, ni plus touchant intérêt : une mère, une amante, pâlissent devant elle en soins, en attentions, en dévouement. Mais, comme il y a un dieu pour les amants et les ivrognes, il y en a un aussi pour les comédiens ; et quand l’heure du spectacle arrive, la migraine a disparu, l’enrouement a cessé.

Quelle foule dans ce salon ! on se presse, on s’entasse : les plumes, les fleurs, les diamants forment un coup d’oeil ravissant. Mais qui vois-je, bon Dieu ! aux premiers rangs ? des dévotes qui jamais n’ont mis le pied dans un théâtre ! Elles sont arrivées les premières, et elles ont pris place avant tout le monde. C’est qu’ici il n’y a pas de péché : les pièces, à la vérité, sont les mêmes qu’au théâtre ; mais les comédiens de société vont à la messe. D’ailleurs, comme me l’a dit une d’elles, on ne paie pas ici, et tout le mal est de payer pour soutenir ce que l’église combat. J’ai admiré, sans trop la comprendre, cette subtile distinction.

Mais chut ! chut !... on va commencer.... Pourquoi ce bruit dans la coulisse ? Hélas ! c’est que l’oncle se désespère.... Babin a oublié sa perruque, sa perruque blonde qui devait lui donner vingt ans de moins.... sa perruque, vrai chef-d’oeuvre de Michalon. Comment faire ? on commence à s’impatienter dans la salle où la chaleur est accablante : par malheur, le perruquier du coin n’a que des faux toupets. Enfin on aperçoit dans la salle un vieux monsieur dont la chevelure blonde et frisée paraît plutôt l’oeuvre d’un perruquier que de la nature. On l’appelle ; et, bon gré mal gré, il est obligé de prêter sa perruque, quoiqu’il soutienne que ce sont ses cheveux. Pour le consoler, on lui met un bonnet de coton, et on lui permet de rester dans la coulisse et de ne rien voir.

Enfin le rideau se lève, et la pièce commence.

Au milieu de la seconde scène, la femme d’un ministre arrive, et il faut que tout le monde se dérange pour la laisser parvenir à la place qu’on lui garde sur le devant. Cette interruption trouble l’actrice qui était en scène.... Elle cherche en vain à se remettre : sa mémoire s’égare ; sa voix s’altère : elle ne voit plus rien, n’entend plus rien, ne dit plus rien, et elle tombe évanouie dans les bras de son interlocuteur, qui lui-même ne sait plus où il en est.... Il faut baisser la toile. – Après une demi-heure pendant laquelle on fait respirer à l’infortunée, qui pâlit sous son rouge, des sels de toute espèce, on recommence le vaudeville. Cette fois tout va bien ; et les spectateurs, que glaçait d’abord la chaleur de la salle, finissent par s’échauffer, et paient en bravos le talent des acteurs. Le grand air de la maîtresse du logis a obtenu trois salves d’applaudissements, et la grâce et l’intelligence que son fils déploie en apportant la lettre, enlèvent tous les suffrages. La toile tombe au milieu de l’enthousiasme universel : mais la femme du souffleur se promet bien de faire une scène à son mari, qui lui a fait manquer la sienne, en la soufflant mal à propos.

Le second vaudeville a encore plus de succès que le premier. Mais au dénouement, au moment de la reconnaissance, dans l’instant le plus pathétique, quand les deux époux se jettent dans les bras l’un de l’autre, voilà que la moustache postiche du mari s’accroche dans le bonnet de sa femme. Il s’en aperçoit, et, la pressant plus tendrement dans ses bras, il lui dit tout bas.... Ne me quittez pas.... vous emportez ma moustache. – Mais la jeune actrice, dont la position embarrassante commence à exciter le rire, s’efforce de s’arracher des bras de son trop tendre époux, qui, de son côté, s’obstine à la retenir, et fait d’inutiles essais pour dégager sa moustache. Enfin il faut bien se quitter, et la malheureuse moustache reste suspendue aux barbes du bonnet. Alors un rire général part de la salle, et gagne le théâtre : spectateurs et acteurs, comparses, machinistes et valets, tout le monde rit aux éclats, et la toile tombe au milieu de l’hilarité générale, comme on dit à la chambre des députés.

A la comédie sur le théâtre succède la comédie dans la salle. Il n’est pas de compliments, pas d’éloges, pas de flatteries, qu’on ne jette à la tête des acteurs, qui finissent par en être embarrassés. On n’entend plus que ces mots : Comme un ange !.. C’est le terme convenu, la formule obligée. Comme un ange !.. se dit et se répète à tous sans distinction... Comme un ange !.. subit tous les tons et toutes les inflexions de l’accent laudatif, et il n’est pas jusqu’au souffleur qui ne reçoive aussi son Comme un ange !

Et bien, de ces ennuis, de ces tourments, de ces contraintes, de ces intrigues, de ces querelles, de ces accidents, de ces désespoirs, se compose un des plaisirs les plus vrais et les plus amusants, celui de jouer la comédie.

Il ne faut pas croire que le tableau que je viens d’ébaucher, d’après ce que j’ai vu souvent, soit l’image fidèle de tous les théâtres de société. Dans plusieurs salons du faubourg Saint-Germain, on jouait la comédie, le vaudeville, et même l’opéra comique, avec un ensemble qui eût fait envie à des comédiens de profession. Les maîtresses de maison prenaient à elles seules toute la peine ; mais le plaisir des autres la leur faisait oublier.

Après avoir peint la tragédie dans un grenier, le vaudeville dans un salon, il me reste à vous parler de la comédie dans un château. Là, ce ne sont plus des planches mal jointes qui crient sous les pas des acteurs ; les coulisses ne se composent plus des débris d’un paravent, dont les feuilles trop rapprochées ne permettent d’entrer en scène qu’en marchant de biais : la rampe n’est plus un cordon de bougies dont la flamme peut incendier la robe d’une actrice, ou brûler la manche du souffleur. Là, c’est un vrai théâtre avec ses décorations peintes par Cicéri ; son parquet légèrement incliné et recouvert d’un tapis, et sa rampe de quinquets qu’on élève et qu’on baisse à volonté, pour faire le jour ou la nuit. Là, les spectateurs ont des loges élégantes, et les bancs de l’orchestre et du parterre, élevés en gradins, permettent aux dames d’étaler dans leur coiffure tout le luxe des plumes et des fleurs. Là, ce n’est point un maigre piano, que souvent n’entend pas l’acteur qu’il accompagne ; c’est un orchestre complet, que dirige un de nos meilleurs violons, et qui fait honte aux symphonistes du Théâtre-Français.

Mais ce n’est là qu’un des moindres avantages de la comédie à la campagne sur la comédie à Paris. Quinze jours avant l’époque fixée pour la représentation, la dame du château rassemble les sujets épars qui composent la troupe qu’elle a formée elle-même avec soin. On se connaît à peine en arrivant, et souvent il suffit d’une répétition pour établir entre tous les nouveaux camarades cette bienveillance, cette union, et même cette familiarité, dont l’aimable abandon fait le charme de la vie de château. On n’est plus étranger l’un à l’autre, et l’intérêt commun fait aussitôt disparaître toutes les distinctions sociales. On dirait une république de gens heureux ; et c’est par une grâce charmante, par mille attentions délicates, par les prévenances les plus aimables que la châtelaine établit son doux despotisme, sans qu’aucun murmure proteste contre la légitimité de son pouvoir. Les répétitions ne causent là ni gêne, ni ennui. On n’a pas d’autre affaire, et cette affaire est un plaisir de plus au milieu des autres plaisirs. J’en appelle ici à tous ceux qui, comme moi, ont eu le bonheur de faire partie des aimables et brillantes réunions de Lormois, du Marais, et de Luciennes. Je ne doute pas que ces jours de fête ne soient au nombre de leurs plus doux souvenirs, et qu’ils ne trouvent place au milieu de tous leurs regrets du passé.

On ne se renfermait pas là dans les étroites proportions d’un vaudeville ; c’était la vraie, la bonne comédie de Molière, dont nous tentions d’atteindre la hauteur. C’était déjà une jouissance réelle d’enrichir sa mémoire de ces beaux vers qui seront à jamais les plus nobles enseignements de la raison, et les plus sublimes inspirations du génie. La force de ces chefs-d’oeuvre soutenait notre faiblesse ; et l’admiration qu’excitait le poète, suppléait au talent qui manquait à l’acteur. Le Misanthrope, les Femmes savantes, le Tartufe ! voilà les ouvrages que nous osions jouer devant des spectateurs blasés sur tous les talents dramatiques de nos jours : l’effet que nous parvenions à produire était comme un nouvel hommage au génie de Molière, et ce n’était peut-être qu’à l’admiration qu’il inspirait que nous devions les suffrages qu’on donnait à nos efforts.

Souvent alors une princesse, dont le nom sera grand dans l’histoire, venait, par sa présence, ajouter à nos plaisirs ; l’intérêt qu’elle semblait y prendre ne prouvait pas moins son goût pour les arts que sa bienveillance pour nous, et la grâce de son esprit était d’accord avec la bonté de son coeur, pour dire à chacun le mot qui devait lui plaire. Ce n’est plus, hélas ! à des jeux de théâtre qu’elle assiste aujourd’hui ! Quand je la voyais au milieu de nous, si heureuse et si gaie, j’étais loin de penser que cette jeune et faible femme dût bientôt, comme Marguerite d’Anjou et Marie-Thérèse d’Autriche, étonner le monde par l’énergie de son courage et l’héroïsme de son dévouement.

ED. MENNECHET.

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