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J.-T. Merle : Mademoiselle Montansier, son salon et son théâtre (1832)
MERLE, Jean Toussaint (1782-1852) .- Mademoiselle Montansier, son salon et son théâtre (1832).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (17.VII.2008)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : nc) de  Paris ou le livre des cent-et-un. Tome cinquième.- A Paris : Chez Ladvocat, libraire de S.A.R. le Duc d'Orléans, MDCCCXXXII.- 399 p. ; 22 cm.
 
Mademoiselle Montansier,
son salon et son théâtre
par
Jean-Toussaint Merle

~ * ~

Le vieux Paris disparaît devant nous ; ses monuments font place à des rues longues, larges, froides et insignifiantes, comme celles de Berlin ou de Saint-Pétersbourg ; la poésie de ses anciennes traditions, de ses superstitions populaires, s’efface chaque jour ; bientôt il ne nous restera plus de la bonne ville de Louis XII et d’Henri IV, qu’un Paris moderne, qui n’aura rien d’historique, et qui ressemblera à une ville prise d’assaut par les architectes et les maçons.

Déjà nous ne pouvons plus comprendre Corrozet, Dubreuil et Malingre, et nous sommes obligés d’aller apprendre Paris dans Dulaure. La gratte et le badigeon dégradent les édifices échappés au marteau des démolisseurs, et par une anomalie bien digne de notre époque, on nommait un conservateur des monuments publics, le jour où brûlait l’Archevêché, et où l’on dévastait Saint-Germain-l’Auxerrois. On veut que tout date de juillet, et que le Louvre ait l’air aussi jeune que la charte de 1830 ; hâtons-nous donc de consigner nos souvenirs dans un volume, pour qu’il reste au moins quelque chose de ce vieux Paris, dont le démon de la perfection nous enlève chaque jour quelque reste.

Ces réflexions sont bien graves pour arriver à un sujet bien futile en apparence ; mais on pense bien que ce ne sont pas les panneaux sculptés et les boiseries couvertes de grisailles enfumées de l’ancien foyer Montansier, que je regrette dans cette dévastation générale ; ni cette salle de spectacle sans forme et sans goût, ni ces ridicules pilastres figurés par des tiges de fer dorées, ni ces loges sales et étroites, ni ce théâtre qui n’avait pour décorations que la chambre de Jocrisse et l’échoppe de Cadet Roussel, et où la bêtise et la grosse gaieté semblaient avoir élu domicile ; mais, à ce grotesque édifice, jeté comme par hasard dans un coin du Palais-Royal, se rattachaient des souvenirs de plus d’un genre « gloire, esprit, plaisirs, fortunes, orgies, tout y a passé depuis Bonaparte jusqu’à M. Vautour, depuis les odalisques de Barras jusqu’aux héroïnes de la grande semaine. Toutes les notabilités de la révolution sont venues s’asseoir et rire sur les banquettes déchirées et s’entasser dans les loges incommodes du théâtre Montansier, auquel une femme, qui est une époque à elle seule, avait donné son nom resté si populaire pendant trente ans.

Dans quelques années d’ici, peu de gens se rappelleront mademoiselle Montansier (1), que tout Paris a vue promener dans le Palais-Royal sa verdeur octogénaire, sous un costume qui n’était ni celui de l’ancien régime, ni celui du directoire, ni celui de l’empire, mais qui se composait de la coiffure à la duchesse, de l’ample fichu de gaze à la Dubarry, et de la robe de soie Marie-Louise ; depuis ce temps beaucoup d’autres ont à peine entendu prononcer ce nom. Cette femme extraordinaire avait cependant joué un grand rôle dans l’histoire de notre théâtre, pendant les cinquante dernières années du dix-huitième siècle. Arrivée à Paris à vingt ans, du fond d’une province méridionale, elle y exerça une profession dans laquelle on fait presque toujours fortune, avec de l’esprit, une jolie figure, de la conduite et du bonheur ; et par goût pour un art qu’elle ne cultiva pourtant jamais avec succès, elle se fit directrice de spectacles. Les bontés de la reine Marie-Antoinette lui valurent, plus tard, la direction du théâtre de Versailles, et la faveur d’être admise souvent, le matin, à la toilette de cette princesse, qui aimait à lui entendre raconter les petites intrigues des coulisses. M. Campan l’introduisait dans les petits appartements, où elle avait quelquefois l’honneur de donner son avis sur une toque de Mademoiselle Bertin, ou sur un bijou de Boëmer.

La révolution la trouva millionnaire et propriétaire de quatre ou cinq salles de spectacles qu’elle avait fait bâtir, et d’autant de troupes de comédiens qu’elle dirigeait avec une adresse et une facilité, qui auraient étonné le génie de ce Richelieu, qui gouvernait l’Europe avec moins de peine que son théâtre du Palais-Cardinal (2).

Quand la cour quitta Versailles, en 89, la Montansier vint chercher un théâtre à Paris ; elle acheta de Delomel, les Beaujolais (3), et y établit sous son nom une troupe remarquable de tragédie, de comédie et d’opéra. Là commencèrent leur carrière des acteurs devenus bien célèbres depuis : mademoiselle Mars, dont le premier rôle fut le petit frère de ce Jocrisse, que Baptiste cadet y créa avec autant de succès que Danières ; Damas, Caumont et plusieurs autres, qui ont long-temps brillé sur la scène française. De cette troupe sortirent d’autres célébrités moins recommandables, les deux Grammont, héros révolutionnaires, qui, après avoir joué des rôles sanglants dans les plus terribles journées de la révolution, portèrent leur tête sur l’échafaud ; et ce médiocre comédien devenu général, qui se faisait remarquer par la petite guillotine qu’il portait en breloque à sa chaîne de montre. Cette agréable plaisanterie lui avait valu un grand succès dans les salons de cette époque, les femmes se pressaient autour de lui, pour voir le jeu de cette aimable mécanique, ou interrompait une contredanse ou une partie de quinze, quand le général entrait, pour s’extasier devant ce bijou, devenu surtout à la mode depuis le 21 janvier !...

Soit ingratitude, soit nécessité, mademoiselle Montansier sembla oublier la faveur dont la cour l’avait comblée : son théâtre devint une des succursales les plus fameuses des clubs révolutionnaires ; elle lui donna, ou on lui donna malgré elle, le nom de Théâtre de la Montagne, et il justifia ce titre par des pièces dont le goût avait autant à souffrir que la morale et l’humanité. Son salon n’était guère moins connu que son théâtre ; il est devenu assez historique pour que j’en parle.

En achetant la salle, mademoiselle Montansier avait acheté les arcades du café de Chartres, qui a eu aussi sa célébrité. Le premier étage était occupé par des maisons de tous les genres ; au-dessus était l’appartement de la directrice : une vaste salle à manger, un grand salon, une chambre à coucher, et quelques pièces de service et de dégagement, en formaient le principal et les accessoires. Un défilé étroit, long et obscur, composé d’allées et de corridors, conduisait au théâtre. Le salon était le véritable Pandemonium de l’époque ; comédiens et représentants du peuple, cordeliers et jacobins, talons rouges et bonnets rouges, sans-culottes élégants poudrés à frimas, y étaient entassés ; tout cela mêlé de croupiers de trente-un, d’hommes de lettres, de femmes galantes de tous les rangs, avec leur entourage masculin et féminin ; des joueurs de toutes les classes, des escrocs de toutes les qualités, des réputations naissantes et des célébrités usées : Dugazon et Barras, le père Duchêne et le duc de Lauzun, Robespierre et mademoiselle Maillard, Saint-Georges et Danton, Martainville et le marquis de Chauvelin, Lays et Marat, Volange et le duc d’Orléans.

Toutes les combinaisons de l’intrigue trouvaient place dans ce salon, depuis les intrigues amoureuses jusqu’aux intrigues politiques ; on donnait la même importance à une nuit de plaisir qu’à une journée de parti ; on s’occupait aussi sérieusement des succès de la petite Mars que des événements du 31 mai ; la belle voix de mademoiselle Lillier faisait autant d’impression que les discours de Vergniaud : on parlait théâtre, victoires, jeux, plaisirs, guerre, politique et diplomatie tout à la fois. Au bout du même canapé de damas bleu de ciel, usé, fané et déchiré, sur lequel Montansier arrangeait son spectacle de la semaine, avec Verteuil son régisseur, le comédien Grammont organisait à l’autre bout avec Hébert l’émeute du lendemain aux Cordeliers. Dans un coin du salon, Desforges perdait contre Saint-Georges, à l’impériale, l’argent qu’il empruntait à Montansier, sur ses droits d’auteur de la pièce en répétition ; une bruyante table de quinze rassemblait joyeusement, après le spectacle, les actrices du théâtre, qui délassaient par leurs saillies de coulisses tous les coryphées de la Convention ; tandis que Neuville, le sultan de ce sérail, allongé dans son fauteuil, racontait à Barrère, qui ne l’écoutait pas, de vieilles anecdotes de théâtre. Le punch et le souper donnaient ensuite une autre physionomie à cette réunion hétérogène de célébrités contemporaines, et, au milieu de la nuit, chacun rentrait chez soi ou chez les autres, seul ou accouplé.

Les événements politiques modifiaient souvent la société du salon de mademoiselle Montansier. Chacune des journées de la Convention lui enlevait quelques habitués. Ainsi Grammont et son fils, Hébert et Fabre d’Églantine, Danton et Camille Desmoulins avaient successivement disparu du salon ; les vaincus étaient remplacés par les vainqueurs, et la maîtresse de la maison trouvait toujours le moyen de rester en paix avec tous les partis (4). Sa société ne protégeait ni ne compromettait personne ; on pouvait dîner chez mademoiselle Montansier et être dénoncé le lendemain par un des convives ; souvent même deux des habitués se séparaient en sortant de la maison, sans que l’un d’eux se doutât que l’autre allait signer son arrestation : trois jours avant le 9 thermidor, Tallien et Collot-d’Herbois, Saint-Just et Robespierre avaient fait une partie de wisk, qui avait duré jusqu’à trois heures du matin ; Saint-Just et Robespierre y avaient été constamment heureux.

La chute du système de la terreur fit naître dans Paris une gaieté plus franche et moins convulsive que celle des premières années de la révolution, où l’on s’était habitué à rire machinalement de tout, même de la mort. Les échafauds furent déserts pendant quelque temps, et les spectacles devinrent un plaisir au lieu d’être une distraction. Ici commença la vogue du théâtre Montansier, qui renonça à son titre de Théâtre de la Montagne, pour prendre celui des Variétés ; et aux pièces des Lavallée, des Desmaillots, des Valmont, des Pompigny, pour les parades si gaies et si divertissantes de Jocrisse et de Cadet Roussel, créations originales de Aude et de Dorvigny, qui auraient fait la fortune de mademoiselle Montansier, si quelque chose eût pu faire la fortune d’une femme qui semblait prendre plaisir, par ses profusions et son insouciance, à défier le bonheur. Son théâtre faisait fureur, et le foyer obtint même, dès ce moment, autant de célébrité que la salle ; on allait voir Baptiste cadet et Volange, mais surtout on allait voir le foyer de la Montansier, devenu aussi européen que le Palais-Royal lui-même, dont, à tout prendre, il eût pu passer pour le boudoir.

Ce foyer, devenu historique, ne peut pas même être rappelé par celui que nous voyons aujourd’hui, où se promènent tristement toute la soirée la limonadière, le marchand de lorgnettes et le crieur de journaux. L’ancien foyer fut, pendant dix ans, le rendez-vous de ce que Paris avait de plus gai et de plus spirituel ; les communications immédiates qui existaient entre la salle et le foyer donnaient à l’une et à l’autre un aspect très-animé : c’était un mouvement continuel de conversations commencées sur un canapé et qu’on allait terminer dans une baignoire, ou de marchés entamés à l’orchestre, qu’on se hâtait d’aller conclure ailleurs. Toutes les classes de la société avaient des places assignées à ce théâtre, il y en avait même quelques-unes de réservées pour les femmes honnêtes ; toutes les autres étaient occupées par d’autres femmes, obligées par état d’être jeunes et jolies, ce qui formait dans la salle une réunion qu’on aurait eu de la peine à trouver ailleurs. Les entr’actes étaient le moment brillant de la soirée, et, comme on jouait quatre pièces, ils étaient nombreux, et on avait le soin de les faire longs. Alors, se répandait dans le foyer une nuée de jeunes femmes éblouissantes de parures et de beauté, il y aurait eu de quoi peupler tous les harems de l’Asie et de l’Afrique. C’était un luxe de toilettes du goût le plus recherché et d’autant plus remarquables qu’on les voyait après une époque de deuil et de malheurs, où le costume des tricoteuses était le seul qu’on rencontrât dans les rues et dans les promenades de Paris depuis deux ans.

Si le théâtre et le foyer de la Montansier jouissaient d’une grande faveur, le salon de la directrice n’avait pas acquis moins d’éclat. Barras qui, à cette époque, commençait cette fortune politique, qui le tira des bancs de la Convention pour le placer sur le trône républicain de la France, occupait, avant d’habiter le palais du Luxembourg, deux petites chambres, que lui louait mademoiselle Montansier, au-dessus de son appartement ; ce modeste logement suffisait au général de la Convention, depuis qu’il était devenu le commensal de son hôtesse, et qu’il faisait les honneurs de sa maison. Les conciliabules politiques se tenaient dans le petit appartement de Barras, situé tout au haut de la maison occupée par le café de Chartres ; les réceptions d’apparat avaient lieu dans le salon de la directrice des Variétés, à qui cette atmosphère d’intrigue et d’activité plaisait beaucoup. Barras partageait avec la maîtresse du logis les deux côtés de la cheminée, et les deux bergères, signe distinctif de l’autorité domestique ; il faisait les invitations politiques, et mademoiselle Montansier les invitations comiques ; l’un fournissait la table de membres de la Convention et de généraux de la république, l’autre, d’actrices, d’artistes, de jolies femmes et de gens de lettres. Ce fut par la double présentation de Dugazon et de Barras que le petit Bonaparte, qu’on appelait dans les coulisses de la Comédie-Française la culotte de peau, fut admis dans cette société : il en devint un des commensaux les plus assidus. Il venait prendre place à la table de mademoiselle Montansier toutes les fois qu’une dispute d’opinion l’avait brouillé avec madame Permon, que la petite pension de Junot était en retard, ou qu’il n’allait pas dîner chez Talma dans cette rue Chantereine, à laquelle il devait donner deux ans plus tard le nom de rue de la Victoire, et dans cette même maison qui devait être la sienne un jour, et d’où il devait partir le 18 brumaire, pour aller jouer sa tête contre la couronne impériale (5). A cette époque son ambition n’avait pas encore été agrandie par les circonstances, ses vues ne s’élevaient pas même jusqu’à la veuve du marquis de Beauharnais ; Barras lui rêvait un avenir, et méditait en même temps la conspiration du 13 vendémiaire et un mariage de l’adjudant-commandant Bonaparte avec la Montansier ; le 13 vendémiaire réussit, mais le mariage manqua. Barras avait arrangé un grand dîner chez le restaurateur Legaque, pour négocier cette affaire. Bonaparte s’y montra froid, sérieux et réservé, mademoiselle Montansier s’y tint dans les bornes d’une pudeur sexagénaire, en présence d’un jeune officier de 25 ans, qui sentait bien l’embarras de sa position de fortune, mais qui avait trop de fierté et d’élévation dans l’âme, pour consentir à s’en tirer par un moyen ridicule. Les convives se séparèrent froidement, et mademoiselle Montansier préféra retourner vers le comédien Neuville, qu’elle épousa quelques années plus tard (6). Barras, pour consoler Bonaparte, lui fit donner le commandement des troupes de la Convention dans la journée de vendémiaire, qui eut lieu quelques jours après.

On célébra le lendemain cette victoire, remportée sur les sections, par un grand dîner, que donna chez elle mademoiselle Montansier ; toutes les illustrations du 13 y avaient été invitées, et cette fois, tout le monde fut gai. Bonaparte voyait s’ouvrir devant lui un autre avenir que celui de mari d’une vieille directrice de comédie. On but aux lauriers du jeune général, je crois même que mademoiselle Montansier m’a raconté, qu’il avait eu la galanterie de boire à sa santé ; la soirée se termina au spectacle des variétés ; Barras y occupait tous les soirs la loge de la directrice, qui communiquait par un corridor à ses appartements. Cette loge très-vaste, très-profonde, très-sombre, située aux secondes, en face du théâtre, était même au besoin défendue contre les regards indiscrets, par une grille, derrière laquelle se tramaient toutes sortes de conspirations, se dénouaient des intrigues plus comiques que celles de Volange et se jouaient des scènes plus gaies que les plus grivoises de Vadé ; la liste des habituées de cette loge serait longue et passablement scandaleuse : elle a dû se trouver dans les papiers de Barras, qui avait beaucoup d’ordre pour ces sortes d’affaires.

A mesure qu’on s’éloignait de la terreur, la gaieté était plus vive, plus folle, elle redevenait française ; le temps du Directoire fut une époque d’orgies et de saturnales, et le foyer Montansier y occupa une grande place. La société n’était pas encore reformée, on cherchait partout des points de réunion, mais surtout des réunions de plaisirs, on se montrait peu difficile sur la qualité. Les jardins publics fort en vogue alors opéraient une sorte de fusion de toutes les classes ; l’aristocratie du faubourg Saint-Germain n’était pas tout-à-fait revenue de l’égalité républicaine, elle sortait de prison et n’avait pas encore repris ses hôtels ; aussi il n’était pas rare de trouver chez la Montansier, les femmes de la plus haute distinction dans les loges honnêtes de ce théâtre, et les jeunes gens des meilleurs familles dans le foyer, disputant les regards et les faveurs de belles habituées des baignoires, du balcon et des avant-scènes, aux jeunes officiers des armées de la république, aux fournisseurs du Directoire, aux agioteurs du perron, et à la troupe joyeuse et bruyante des auteurs qui travaillaient pour ce théâtre, parmi lesquels brillait par son esprit, sa bravoure, son indépendance et son intarissable gaieté, Martainville, fameux alors par deux procès au tribunal révolutionnaire.

Le foyer Montansier devint l’arsenal d’où sortaient tous les traits décochés au gouvernement directorial ; les rédacteurs des petites feuilles légères, les plus hostiles au pouvoir d’alors, en étaient les habitués. Les vaudevillistes sont, par nature, de l’opposition ; les pièces de circonstance de cette époque étaient la critique la plus mordante des événements et des hommes les plus haut placés, elles ne devinrent louangeuses que sous Bonaparte. On avait loué le général par admiration, on loua le consul par reconnaissance et l’empereur par intérêt. Le vaudeville perdit sa malice, il ne sut plus tourner que de fades madrigaux ; et c’est à la servilité de la plupart de ses confrères, que Béranger a dû depuis la popularité de ses succès.

Tout dans cette réunion servait de prétexte à la gaieté et au plaisir ; tout devenait un spectacle, jusqu’à cette galerie en forme de tribune, qui dominait le foyer ; c’était la place d’honneur des plus jolies habituées de l’endroit ; on lui avait donné le nom d’un quai de Paris, dont la désignation exprimait spirituellement, mais d’une façon un peu triviale, l’idée qu’on y attachait. Chaque soir un nouvel épisode arrivait à point pour soutenir la joie intarissable des amateurs ; tantôt c’était la publication d’un nouvel ana sorti de la boutique du libraire Barba, tantôt une nouvelle parade de Brunet ou de Tiercelin, qui pendant trois mois faisait fortune dans Paris, ou bien un bon tour joué au commissaire de police Robillard, que ses soixante ans, sa corpulence pansue, ses lunettes larges comme des roues de cabriolet, sa coiffure de 87 et ses boucles d’argent à la Chartres, ne mettaient pas à l’abri de quelque mystification ou des espiègleries de quelques-unes de ses administrées.

Dans ce foyer, on vit se réunir successivement depuis 1795 jusques en 1806, toute la jeune littérature du Directoire et de l’Empire, composée de tout ce que Paris renfermait alors de jeunes gens pleins de verve, d’esprit, de talent et d’avenir (7). La plupart n’ont pas failli à leur vocation insouciante et désintéressée, à leur vie futile et imprévoyante d’artiste ; ils ont toujours conservé la modeste redingote du poète, que d’autres plus adroits, mais peut-être aussi moins heureux, ont échangée contre l’habit brodé du conseiller d’état, la robe du magistrat, le frac du préfet, ou, ce qui est plus affligeant, contre le chapeau à plumet du courtisan, qu’ils ont laissé traîner sur les tabourets des antichambres ministérielles de tous les régimes et de toutes les dynasties.

Jamais aucun théâtre n’a joui d’une vogue aussi constante, aussi complète, aussi européenne que le théâtre Montansier ; pendant douze ans il a enlevé les spectateurs aux grands théâtres de la capitale.

On allait à l’Opéra ou aux Français quand il n’y avait plus de place au théâtre des Variétés, où se trouvaient réunis tous les genres de séduction, depuis celle de la bêtise jusqu’à celle de la beauté ; car, à cette époque, un calembour de Brunet était une bonne fortune avec laquelle on se faisait une sorte de réputation d’homme à la mode, et, ce qui est plus fort, d’homme d’esprit en le répétant pendant huit jours dans les salons les plus distingués.

Le prodigieux succès de ce théâtre, la haute faveur dont il jouissait, furent la cause de sa ruine, il excita contre lui une jalousie qui amena sa fermeture ; la Montansier fut expulsée du Palais-Royal pour satisfaire aux exigences de la Comédie-Française et de l’Opéra-Comique, et, par le décret de 1806, on l’exila sur le boulevart Montmartre. Depuis quelque temps la directrice avait été obligée de prendre des associés ; son immense fortune, grevée par les emprunts usuraires, réduite par d’énormes pertes, livrée à des gens d’affaires, ne lui laissait pas d’autre existence qu’une trentaine de mille livres de rentes, hypothéquées sur une quarantaine de procès ; la brillante mademoiselle Montansier n’était plus qu’une copie de la comtesse de Pimbêche ; il y avait toujours chez elle la même insouciance et la même générosité, toujours de nombreux convives, mais on n’y dînait que quand, par l’adresse des domestiques, on pouvait trouver crédit chez quelque traiteur voisin ; sans cela on en était réduit au pot au feu bourgeois et à l’officieuse omelette ; mais pour peu qu’on obtînt une provision sur quelque créance litigieuse, quelques lambeaux de dividende, ou qu’on trouvât quelque capitaliste confiant qui voulût escompter un procès, le luxe et l’abondance renaissaient aussitôt dans la maison, et les commensaux saluaient, par des toasts joyeux, cette splendeur passagère. Quelquefois, le festin était interrompu, sinon troublé, par l’arrivée d’un officier ministériel, suivi de deux de ses acolytes. Le domestique annonçait cette visite ; les convives, faits aux usages du logis, cachaient leur couvert d’argent sous leur serviette ; l’homme d’affaires, commensal obligé de la maison, se levait de table, allait surveiller l’opération qui se faisait dans un salon écarté. Le dîner continuait ; il n’en était pas moins gai, et la saisie terminée, on reconduisait très-poliment l’huissier jusqu’à la porte, et il n’était plus question de rien.

Le Ier janvier 1807 fut le terme fatal indiqué pour la clôture du théâtre Montansier, les journaux reçurent l’ordre de prêcher une croisade contre les bêtises et les calembours ; Fouché se déclara le champion des moeurs et du goût ; les écrivains à ses gages s’élevèrent avec indignation contre un théâtre qui corrompait les saines doctrines littéraires, et contre un foyer plus dangereux pour la jeunesse que les jardins d’Armide, et pour les jeunes officiers que les délices de Capoue ; il était curieux de voir l’homme qui venait de vaincre l’Autriche à Austerlitz, et qui se préparait à renverser dans les plaines d’Iéna le colosse de la monarchie prussienne élevé par le grand Frédéric, déclarer une guerre d’extermination à Brunet et à Tiercelin.

Le salon de mademoiselle Montansier perdit tout son éclat avec la faveur de son théâtre ; réduite pour toute fortune aux lambeaux du cinquième des bénéfices qu’elle avait conservé sur le théâtre du Panorama, et qu’elle arrachait à ses créanciers à grand renfort de papier timbré, elle fut obligée de changer d’existence, et de prendre la position ridicule d’une vieille plaideuse ; elle ne sortait plus des cabinets des avocats, des antichambres des juges et des bureaux des ministères ; plaidant contre toute le monde, et sollicitant toutes les influences, ayant remplacé ses illustres commensaux de la révolution par des directeurs de Pupi et de Fantoccini, qui venaient lui louer sa salle, et Bonaparte par Forioso (8).

On ne toléra pendant long-temps, au théâtre Montansier, que des marionnettes ; celles-ci n’effrayèrent pas la Comédie française, qui consentit à supporter cette concurrence. La restauration y trouva, en 1814, un café qui devint bientôt la sentine du Palais-Royal : là, commença par des orgies cette hostilité au gouvernement royal, qui devait plus tard se formuler en émeutes, en séditions et en révoltes. Le café Montansier acquit depuis une célébrité malheureuse ; pendant les cent jours, il devint le théâtre des parades les plus honteuses et des saturnales les plus ignobles ; il fut fermé à la suite d’une équipée fort ridicule, où quelques jeunes gens, animés par la fumée du punch, allèrent venger sur les glaces inoffensives du foyer, les sottises qu’on avait vociférées pendant trois mois dans la salle.

Quelques années après mademoiselle Montansier termina, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, son aventureuse et romanesque carrière, dans le même appartement où pendant trente ans elle avait éprouvé tant de hasards divers (9), vécu au milieu de tant de célébrités, et dépensé si follement une si prodigieuse fortune. Ce qu’il y a de bien remarquable, c’est que ses dernières années furent adoucies par l’aisance que jeta dans sa maison une indemnité de 100,000 francs qu’on lui accorda pour la liquidation du million qu’elle réclamait du gouvernement pour sa salle de l’Opéra dont la nation s’était emparée. Elle dut cette dernière faveur du sort à un souvenir de Bonaparte ; le vainqueur de Moscou se rappela mademoiselle Montansier, et peut-être le dîner de Barras, dans le palais du Kremlin : c’est de là qu’il signa le décret qui assurait une dernière ressource à une femme dont l’existence avait été pendant un instant en contact avec la sienne, et qui en était séparée alors par le premier trône de l’univers.

Aujourd’hui commence une nouvelle transformation du théâtre Montansier ; depuis un an, il est rendu au public sous le nom de Théâtre du Palais-Royal ; mais c’est aujourd’hui un théâtre comme un autre, sans physionomie particulière ; c’est un théâtre de vaudeville, qui ne diffère de celui de la rue de Chartres que par l’enluminure des loges ; du Gymnase, que par la commodité de la salle ; des Variétés, que par l’exiguïté des corridors ; du théâtre de Comte, que par l’âge des acteurs ; ce sont, du reste, les mêmes couplets, les mêmes airs, le même esprit, et les mêmes défauts ; c’est un théâtre de plus dans Paris, et voilà tout. Quant à l’ancien théâtre Montansier, il n’existe plus, il ne peut plus revivre, il n’est plus dans les conditions de nos moeurs ni de nos habitudes. S’il se montrait aujourd’hui tel qu’il était il y a trente ans, il paraîtrait aussi vieux et aussi ridicule que les jeunes et jolies femmes qui faisaient alors la réputation de son foyer (10).

J. T. MERLE.


NOTES :
(1) Mademoiselle Montansier dont le nom de famille était, je crois, Brunet, était née à Bayonne, vers 1730. Elle avait quitté fort jeune son pays, pour se faire comédienne à la Martinique ou à la Guadeloupe ; revenue en France, peu d’années après » elle se fit directrice de spectacles.
(2) Mademoiselle Montansier avait fait bâtir la salle du Havre ; elle dirigeait à la fois les troupes de Rouen, du Havre, de Versailles, de Nantes, et tous les théâtres de la cour.
(3) La salle des Beaujolais avait été bâtie pour des comédiens de bois ; c’étaient des marionnettes qui paraissaient sur le théâtre, et des acteurs qui parlaient et chantaient dans la coulisse. Mademoiselle Montansier ouvrit son théâtre à Pâques 1790 ; l’année suivante elle y fit faire de grandes réparations par l’architecte Louis, qui agrandit la scène, afin qu’on pût y jouer la tragédie et la comédie.
(4) Elle fut cependant un instant en disgrâce auprès du pouvoir d’alors ; on la mit en prison sous la singulière accusation d’avoir fait bâtir la salle du théâtre de la Nation, rue de Richelieu, dans le dessein d’incendier la bibliothèque.
(5) Bonaparte acheta cette maison de Talma 180,000 francs, après son retour de l’armée d’Italie ; ce fut M. Duveyrier leur ami commun qui fit le marché.
(6) Ce Neuville, avec lequel elle avait depuis long-temps une sorte d’habitude, s’appelait Bourdon, il avait été capitaine de cuirassiers au service d’Autriche, et quitta cette carrière pour prendre l’emploi des premiers rôles tragiques ; il épousa mademoiselle Montansier en l’an IX.
(7) Dans cette réunion, qui a fourni les convives les plus gais, les plus aimables et les plus spirituels des Dîners du Vaudeville, des Dîners du Caveau moderne, et de la Société des garçons de bonne humeur, on distinguait Désaugiers, Armand Gouffé, Chazet, Francis, Moreau, Étienne, Gosse, Brazier, Villiers, Martainville, Georges Duval, Nanteuil, Morel, Simonnin, Moras, Servières, Tournay, Dubois, Rougemont, Ligier, Bonel, Léger, Henrion, Séwrin et quelques vieux auteurs, qui venaient faire cercle autour de la cheminée et qui représentaient la petite littérature de l’ancien régime : c’étaient Dumaniant, Patrat, Guillemin, Aude, Dorvigny, Desforges et plus rarement Sedaine et Marsollier. Dans ce nombre, beaucoup sont morts, d’autres ont été traités, avec des chances diverses, par la fortune. Les uns sont riches, décorés, titrés, rentés, illustrés et pensionnés ; les autres sont restés pauvres, simples, modestes, indépendants et obscurs.
(8) Après la mort de son premier mari Neuville, arrivée en fructidor de l’an XII, elle épousa, dit-on, secrètement en 1809 le fameux danseur de corde Forioso. Ce qu’il y a de bien certain et de bien ridicule, c’est qu’elle en fut amoureuse à soixante-dix-huit ans, avec l’impétuosité d’un coeur basque de dix-huit.
(9) Mademoiselle Montansier mourut le 13 juillet 1820, dans son ancien appartement, situé aux arcades du café de Chartres, au-dessus de l’estaminet de l’Univers. Toujours bonne et bienfaisante, elle a laissé le peu qui lui restait à quelques vieilles amies qui ne l’avaient pas abandonnée, à un avocat nommé Lheureux, qui conduisait ses affaires depuis vingt ans, et à quelques anciens domestiques.
(11) Le théâtre du Palais-Royal a été ouvert le 11 juin 1831, sous la direction de MM. Dormeuil et Charles Poirson, en vertu d’un privilége accordé par le ministre Montalivet. La salle, qui appartient à M. de Courbonne, a été refaite en entier sur un nouveau plan et sur les dessins de M. de Guerchy, qui vient d’être enlevé aux arts et à ses amis, à la suite d’une longue et cruelle maladie de poitrine.

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