Sur les bords de
la Marne, à égale distance des jolis villages de
Saint-Maur et de Saint-Mandé, au milieu de vastes jardins bornés au
nord par le parc de Vincennes et qui dominent les plaines fertiles de
Maisons et d’Ivry, s’élève une masse de bâtiments irrégulièrement
groupés, dont l’aspect rappelle le souvenir de ces grands édifices
élevés autrefois à la religion par le génie de la solitude. Une longue
avenue plantée d’arbres dont les branches convergent en arceaux, et que
suit le courant d’un des bras de la Marne, y conduit le promeneur qui
s’égare de ces côtés. Veut-il en explorer les entours ? un pont léger
lui ouvre l’accès d’une île formée par la rivière, et dont les contours
gracieux offrent les perspectives les plus pittoresques. Un épais
gazon, des bosquets de bouleaux et de peupliers en décorent les longues
sinuosités. Quel est donc ce séjour riant ? c’est le
Bedlam de la
France ; c’est ce qu’on appelle la Maison royale de Charenton ; c’est
l’asile de la plus déplorable des infirmités humaines. C’est là que,
sous l’influence de tous les genres de délire que peut enfanter
l’altération des facultés intellectuelles, parlent, agissent, se
meuvent, d’une manière plus ou moins désordonnée, près de cinq cents
malheureux des deux sexes devenus étrangers aux sentiments de la
nature, aux douces affections de l’âme, aux bienséances sociales ;
isolés de leurs proches, de leurs amis, de leurs intérêts les plus
chers ; qu’une guérison incertaine peut rendre à la société, mais que
l’inefficacité des moyens de l’art peut condamner à une séquestration
sans fin.
Gens du monde, qui, au milieu des soucis des affaires, des
préoccupations de la politique, de l’enivrement des plaisirs, donnez
quelquefois une pensée au malheur de vos semblables ; qui vous êtes dit
par hasard qu’il existe dans le monde des êtres privés du plus noble
attribut de l’humanité : de la raison ; réduits à l’état d’automates,
si ce n’est pis encore ; vous avez cherché peut-être à vous faire une
idée de l’aspect que devait présenter la maison de Charenton ; et comme
la folie ne se peint ordinairement à l’imagination qu’accompagnée de
tous les symptômes de la violence ou de l’abrutissement, vous vous êtes
représenté les malheureux aliénés, gémissant dans des cachots, traînant
des chaînes peut-être, et maudissant l’existence, ou bien encore
abandonnés à la brutalité d’un instinct perverti. Rassurez-vous : rien
ne ressemble moins à ce tableau que l’intérieur de la maison de
Charenton. Vous entrez, et dès les premiers pas que vous faites dans
son enceinte, vous êtes frappé de l’ordre, de la tranquillité, des
soins de propreté qui président à tous les services ; rien ne blesse
vos regards, n’affecte d’une manière pénible votre sensibilité ; aucun
bruit étrange, aucun mouvement insolite ne vous avertit de la maladie
des habitants de ce séjour ; ce sont, à la vérité, des prisonniers,
mais leur prison est si douce ! Là, point de ces gardiens à mine
rébarbative, à la parole saccadée, au geste brusque, à l’oeil terne.
Tous les gens de service, à commencer par le concierge, sont polis,
complaisants, empressés à se rendre agréables. A peine avez-vous
franchi la cour, que vous avez déjà fait connaissance avec une partie
des pensionnaires ; car, chemin faisant, vous en avez rencontré au
moins une douzaine circulant dans les corridors d’un pas grave et
monotone. Ce sont des aliénés tranquilles, qui vont partout, jusque
dans l’appartement du directeur ; passant de la chapelle au billard, du
billard dans les jardins ; fumant, prisant, lisant le journal comme
vous et moi, espèces de privilégiés de la maison ; mais ce privilége
n’est point une préférence, ils ne le doivent qu’à leur douceur
habituelle, et au sentiment d’humanité qui porte les chefs de
l’établissement à accorder aux malheureux aliénés toute la liberté
compatible avec leur sûreté personnelle et celle d’autrui. Ceux-ci sont
assez généralement taciturnes, sans être pourtant mélancoliques.
Quelques-uns toutefois se montrent empressés d’aborder les étrangers.
L’un d’eux demandait dernièrement à quelqu’un s’il revenait de Paris,
s’il y avait toujours des émeutes, et il a ajouté : Vos Parisiens sont
donc
fous.
Un autre allait demandant partout le journal, pour lire,
disait-il, le discours de M. le duc de Fitz-James sur la pairie : en
vérité j’ai vu dans le monde des gens qui m’ont paru plus fous que
ceux-là. Il y a du vrai dans ce mot de Walter-Scott : Les fous sont
ceux qui n’ont qu’un genre de folie. Ce sont ceux-ci qu’on enferme ;
les autres vont au spectacle, à la bourse, dans les maisons de jeu ;
ils fréquentent les salons, les promenades publiques, et entretiennent
des actrices.
Les aliénés moins tranquilles que ceux que je viens de vous dépeindre,
et qui exigent conséquemment une plus grande surveillance, ne sont pas
absolument enfermés ; ils se promènent dans les jardins, mais seulement
à certaines heures du jour, et sous la conduite d’infirmiers qui ne
doivent pas les perdre de vue. Quelques-uns, pour lesquels les familles
font la dépense d’un domestique particulier, vont même, ainsi
accompagnés, faire des promenades au dehors de l’établissement.
La folie offre ici une foule de variétés : l’un se croit roi, empereur
; il se promène gravement, parle de sa puissance, dispose de millions,
et vous demande deux sous pour acheter du tabac. Celui-ci est
propriétaire de vastes domaines ; la maison lui appartient ; elle ne se
soutient que par ses largesses. C’est sur les sens de quelques autres
qu’agit la folie : l’un a dans sa chambre un amas de petits cailloux
qui sont à ses yeux autant de diamants et de pierres précieuses. Il a
déjà payé avec cette monnaie, sous le règne de Louis XV, quinze cents
millions de dettes de l’État ; il a des conférences avec le capitaine
Cook, et se vante des conseils qu’il a donnés à l’empereur Auguste.
Tout s’embellit aux yeux d’un autre, à la faveur du prisme d’une
imagination exaltée : la couleur jaunâtre des murs de sa chambre lui
paraît une dorure précieuse ; il voit dans une tache de graisse qu’un
accident a imprimée sur la muraille d’un corridor, une peinture antique
du plus grand prix ; il serre précieusement dans sa poche, sous une
demi-douzaine d’enveloppes de papier de soie, un tesson de faïence,
qu’il prend pour un lapislazuli ; il a daigné me faire cadeau d’une
coquille d’escargot, en me vantant pendant un quart d’heure le fini de
cette pierre antique. Celui-ci est en conversation suivie avec la roue
d’un moulin voisin dont il traduit les cris aigus en paroles humaines.
Pour celui-là, sa montre est un oracle : elle lui parle, lui fait des
confidences, l’avertit des complots de ses ennemis ; c’est d’après les
conseils malveillants de cet interprète de la vérité qu’il battait sa
femme avant qu’on l’amenât à Charenton. Quelques-uns sont poursuivis
par des voix qui les menacent, qui les forcent de leur obéir. Ces
illusions affectent quelquefois tous les sens : la vue, l’ouïe, le
goût, le tact. On se sent frappé ; on ne respire que de mauvaises
odeurs ; les aliments donnent au palais une sensation désagréable,
inconnue ; les objets revêtent mille formes fantastiques. Il est un
pensionnaire de la maison qui voit dans les nuages toute la
représentation de la révolution française. Un autre soutiendra qu’on
sature ses aliments de substances malfaisantes et désagréables au goût.
Celui-là affirme qu’il est toutes les nuits frappé de coups de bâton
sur la tête et sur les reins. Un troisième écrit sous la dictée de
l’archange saint Michel, et se qualifie quatorzième apôtre. Beaucoup se
croient poursuivis par la police, victime de ses complots, ou
s’imaginent qu’on en veut à leurs jours. Eh bien ! tous ces aliénés
circulent, avec la simple attitude de gens désoeuvrés, passant les uns
à côté des autres, sans s’occuper de leurs voisins, préoccupés qu’ils
sont de l’idée qui les domine ; les uns taciturnes, les autres gais,
quelques-uns polis, obséquieux, chacun voyant la folie des autres et
restant aveugle sur la sienne.
La monomanie bien caractérisée est rare chez les aliénés. Il n’y en a,
à bien dire, qu’un seul dans la maison de Charenton qui offre, d’une
manière bien marquée, les caractères de ce genre de folie ; mais c’est
dans l’espèce un type. Parvenez à le distraire du sujet de son délire,
vous verrez un homme posé, causant bien, enchaînant à merveille ses
idées, tirant de tous les principes des conséquences logiques ; du
reste, homme du monde, de bonnes manières, au courant de tout. Eh bien
! cet homme, depuis dix ans, n’a pas pu s’ôter de l’esprit une maudite
histoire de vol de fourrages sur laquelle il divague sans relâche. Il a
fait à la main plus de deux mille exemplaires de cette histoire ; il
l’a envoyée à sa blanchisseuse écrite sur ses caleçons, sur le dos de
ses gilets ; il distribue aux dames des éventails sur lesquels il la
résume en distiques. Il l’écrira sur vos gants, dans la coiffe de votre
chapeau, s’il les trouve à sa portée ; tant il sent le besoin de faire
pénétrer ce qu’il appelle la vérité sur cette épouvantable histoire,
dans laquelle il se croit victime de la cupidité d’administrateurs et
de juges criminels. Convenons-en, voilà des fous qui ne sont pas bien
malheureux, et c’est le plus grand nombre : mais il en est que la
fatalité de leur maladie a placés sous l’influence d’un plus sombre
délire ; je veux parler des mélancoliques, et, parmi ces derniers, de
ceux qui sont portés au suicide. C’est un affligeant spectacle que
celui qu’offrent des êtres continuellement plongés dans une sorte de
stupeur qui les rend insensibles à tout ce qui se passe autour d’eux ;
concentrés, n’exécutant que des mouvements en quelque sorte
automatiques, ou bien ne prêtant à ceux qui les entourent que des
intentions malveillantes, sinistres ; ne recevant leurs soins les plus
affectueux qu’avec méfiance et terreur, et leur imputant à crime les
oeuvres les plus charitables. Ces aliénés sont les objets d’une
surveillance des plus attentives. Ceux chez lesquels la manie du
suicide s’est développée sous l’influence des idées religieuses, ou de
la fausse conscience de crimes imaginaires, ne doivent pas être perdus
de vue un seul instant. Il semble que leur intelligence, sur tout autre
point pervertie, se soit concentrée dans la recherche des moyens de se
détruire ; tant ils montrent quelquefois d’astuce à tromper la
vigilance de leurs gardiens, ou d’imagination à se procurer des
instruments de destruction. Faut-il conclure de ce besoin de s’ôter la
vie qu’elle leur soit devenue insupportable ? Les personnes qui ont
observé les aliénés ne le pensent pas. Dans cette impulsion qui les
précipite irrésistiblement vers ce dénoûment tragique, elles ne voient
qu’un mouvement instinctif de la même nature que celui qui, dans l’état
de raison, nous fait choisir les moyens de nous conserver ; et cette
opinion n’est-elle pas confirmée par les raisons que quelquefois
accusent les aliénés revenus à eux-mêmes, pour justifier leurs
intentions ? C’était, chez une religieuse que j’ai vue à Charenton,
sainte et irréprochable fille, la conviction qu’elle était vouée à la
damnation ; ainsi la crainte de l’enfer la déterminait à s’y
précipiter, car elle avait la conscience que c’était un crime de se
donner la mort. Chez d’autres, c’est l’idée de concourir à
l’accomplissement d’un ordre de choses qu’ils ont rêvé ; de procurer à
quelqu’un envers qui ils se croient obligés, un bien imaginaire. Chez
quelques-uns, ce sont des motifs encore plus frivoles. Manquent-ils
leur coup, ils n’aspirent qu’à recommencer. Je le crois fermement, la
manie du suicide, chez les aliénés, ne prend point sa source dans cette
agonie morale qui porte quelquefois à se détruire des hommes en
jouissance de la plénitude de leur raison ; elle est le résultat d’un
instinct délirant, d’une aberration des sens ; c’est l’effet, quoique
moins spontané, de cette impulsion à laquelle obéit un malade dans un
accès de fièvre chaude en s’arrachant de son lit pour se précipiter par
la fenêtre. Autre remarque : la sensibilité physique diminuant en
raison de l’excitation cérébrale, au paroxisme de cette excitation, la
douleur peut devenir nulle, se transformer même en une sorte de
bien-être, et ne plus opposer à l’instinct qu’un frein inutile. On a vu
en effet des aliénés se faire d’horribles mutilations ; se scier la
gorge avec des instruments à peine tranchants, avec un morceau de
fer-blanc par exemple, et ne donner non-seulement aucun signe de
souffrance, mais manifester comme une sensation de plaisir. Les cris,
ces cris qui semblent exprimer la terreur, ne sont pas plus un indice
de ce sentiment, chez les aliénés qui les profèrent, que les tentatives
de suicide ne sont, chez d’autres, une présomption de souffrances
morales ou physiques. C’est encore une impulsion toute machinale ; et
ce qui porte à le croire, c’est leur retour à-peu-près réglé ; c’est
leur incohérence avec l’action ou la parole qui les suit. Si cette
théorie est trompeuse, laissez-moi mon erreur ; il m’est doux de croire
que, si les aliénés sont privés des douceurs de la vie intellectuelle,
ils n’ont pas du moins le sentiment de leur malheur. Ne me détournez
pas de l’idée que leurs proches, leurs amis, et ceux qui leur donnent
les soins dont ils ont besoin dans leur déplorable infirmité, sont plus
à plaindre qu’eux ; car au moins je puis me dire que le sentiment
pénible que doivent éprouver ceux-ci est adouci par la réflexion qu’eux
aussi pourraient être privés de ce noble attribut de la raison, et
qu’ils ont encore des actions de grâce à rendre au ciel de le leur
avoir conservé.
La
monomanie,
la
lypémanie
(idée fixe triste), la
manie,
qui ont
fait jusqu’ici l’objet de mes observations, ne sont que des caractères
distinctifs de la folie, dont la
démence est le
type. On peut guérir
de la
monomanie,
de la
lypémanie,
de la
manie
; on ne guérit pas
de la
démence,
qui est ordinairement le signe d’une folie invétérée.
Dans toutes les autres variétés de l’aliénation mentale, on conserve
une portion de discernement ; on raisonne à tort et à travers ; on peut
même conserver la faculté d’enchaîner ses idées, tout en partant de
bases fausses. Dans l’état de démence, l’incohérence des paroles, des
actions, est complète ; les sens sont pervertis comme l’intelligence :
on n’a plus que des mouvements instinctifs ; l’homme est réduit à
l’état de machine. Il y a encore un état pire, s’il est possible :
c’est celui où la folie se complique de paralysie. Cette paralysie des
aliénés, qui atteint rarement les femmes, est commune chez les hommes ;
elle détermine un affaiblissement général des organes, et amène
infailliblement la mort. Les progrès en sont plus ou moins prompts. Il
est rare qu’on vive en cet état plus de deux ou trois ans. Laissons ces
tristes et affligeantes définitions. Revenons au train de vie des
aliénés. On pense bien que, dans un établissement comme la maison de
Charenton, le premier établissement de l’Europe dans sa spécialité,
tous les malades dont j’ai parlé ne sont pas confondus. Quoique les
bâtiments, la plupart fort anciens, ne se prêtent pas, autant qu’on
pourrait le désirer, au classement rationnel des malades, on a grand
soin, si l’on ne peut y établir autant de divisions qu’il y a de genres
de folie, de ne réunir que des analogues. Ainsi les malades tranquilles
sont soigneusement séparés des malades agités ; les convalescents, des
malades en traitement. Les bâtiments destinés aux hommes sont disposés
en dortoirs, en infirmeries et en chambres particulières. Cette
disposition est indispensable ; car la plupart des aliénés ne
pourraient pas être abandonnés à eux-mêmes dans une chambre, à moins
qu’ils n’y fussent surveillés par un domestique particulier dont peu de
familles peuvent payer la dépense. Il y en a quelques-uns dans cette
catégorie : ce sont en général des personnes riches, titrées même, qui,
après cinq ou six mois de traitement, peuvent être rendues à la
société, ou des incurables destinés à en rester séparés ; mais que les
soins, les égards dont ils sont l’objet, les distractions qu’ils
trouvent dans l’établissement ont attachés à ce séjour. Il en est qui,
depuis quinze ou vingt ans accoutumés au train de la maison,
regarderaient comme un malheur de la quitter.
Les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes dans la maison de
Charenton. Il n’en faut pas conclure que la folie soit moins commune
chez les personnes du sexe ; les nombreuses observations recueillies
par M. Esquirol, qui a consacré sa vie à l’étude de l’aliénation
mentale, qui a visité presque tous les établissements de l’Europe
destinés au traitement de cette maladie, accusent au contraire une
supériorité dans le nombre des femmes aliénées comparativement à celui
des hommes. Ici la proportion inversion s’explique par cette
circonstance, que les militaires, les marins et les invalides,
officiers et soldats, atteints d’aliénation mentale, sont envoyés par
M. le ministre de la guerre et de la marine dans la maison de
Charenton, pour y être traités aux frais de leurs départements
respectifs. En déduisant ces pensionnaires de la population mâle de
l’établissement, on serait, à la vérité, encore au-dessus de la
population des femmes ; mais cette différence n’infirme point le
résultat des observations de M. Esquirol ; elle provient de ce que les
femmes aliénées étant en général moins difficiles à contenir que les
hommes, bien des familles peu aisées s’obstinent à leur donner, dans
leur propre maison, des soins nécessairement inefficaces. Cette
disproportion, qui n’a pas été prévue, fait que les femmes sont mieux
logées à Charenton que les hommes ; elles sont aussi plus délicates,
plus occupées des détails de la vie, et sous ce rapport un peu de
préférence leur est peut-être due. La maison de Charenton en contient
environ cent quatre-vingts ; elles occupent des bâtiments entièrement
séparés ; elles ont leurs jardins, leurs promenoirs particuliers. L’un
de ces bâtiments, construit il y a cinq ans, nous a semblé réaliser
tout ce que la philantropie la plus exigeante pourrait attendre des
chefs d’un pareil établissement en faveur des infortunées que le sort a
réduites à y être enfermées : belle exposition, perspective agréable,
architecture riante, décoration simple, mais élégante, propreté
minutieuse ; tout concourt à donner à ce bâtiment un aspect propre à
rassainir les sens de celles qui l’habitent. Les chambres sont telles
qu’on pourrait les désirer dans une maison de campagne dont l’aisance
aurait fait les dispositions ; les dortoirs, ne contenant pas au-delà
de douze lits, sont vastes et soigneusement cirés ; le poli jaunâtre
des meubles de noyer s’harmonise merveilleusement avec la blancheur
éblouissante du calicot que garnit les couchers. Les réfectoires, le
salon de travail, la salle de bains, les vastes portiques, ne laissent
rien à désirer. Les habitudes de propreté, une certaine tranquillité
sont les conditions nécessaires pour être admises dans ce bâtiment, où
sont ordinairement logées les convalescentes. Une agitation
extraordinaire se manifeste-t-elle chez une malade, et fait-elle
prévoir un accès, elle est à l’instant retirée de ce quartier, presque
toujours à son grand regret ; l’accès passé, elle y revient ; et comme
les aliénés peuvent, jusqu’à un certain point, réprimer leurs
mouvements, la crainte de quitter ce que ces dames appellent le
château, ou le désir d’y revenir, a prévenu ou abrégé plus d’un accès.
Chose remarquable, la population des femmes quoique beaucoup moindre
que celle des hommes, offre pourtant beaucoup plus de malades violents,
furieux même, qu’il n’y en a parmi ces derniers. Une douzaine de femmes
sont dans le cas d’être habituellement contenues, à cause de leurs
violences, tandis que, parmi les hommes, on en compte à peine trois ou
quatre à l’égard desquels on soit obligé de prendre cette précaution.
Il en résulte, en somme, que, sur près de cinq cents malades que
renferme l’établissement, il n’y en a pas plus de quinze à seize dont
la violence exige des moyens de répression. Ce résultat est le prix des
soins, des égards dont ils sont l’objet, de la douceur inaltérable avec
laquelle ils sont traités, de la sage liberté qu’on leur accorde : car
rien ne serait plus aisé que de faire de tous les pensionnaires de la
maison autant de furieux : il ne faudrait pour cela que se départir des
principes d’humanité qui président à l’administration de
l’établissement. Au reste, les moyens de répression dont j’ai parlé,
consistent à les vêtir de ce qu’on appelle la camisole, espèce de
blouse en grosse toile, dont les manches plus longues que les bras se
croisent par devant et s’attachent par derrière, et, si ce moyen ne
suffit pas, à les fixer ainsi vêtus dans un grand fauteuil de malade
bien rembourré et pourvu de courroies qui les retiennent par les bras.
Nous avons vu ainsi retenues dans des fauteuils, des femmes élégantes
qui ont fait le charme des salons ; de jeunes et jolies personnes qu’on
a pu admirer, qu’on admirera peut-être encore dans les cercles dont
elles ont fait l’ornement ; des mères qui idolâtraient leurs enfants et
qu’il a fallu séparer d’eux, pour qu’elles n’en fissent pas les
victimes de la manie du meurtre qui s’était emparée d’elles. On
suffoquerait de pitié en voyant en cet état des femmes qui ont vécu
dans des habitudes d’élégance et de délicatesse, si l’on pouvait les
croire condamnées à s’y passer le reste de leurs jours ; mais l’excès
de l’agitation, l’acuité du délire n’excluent pas les chances de
guérison, bien au contraire ; et ces sortes de malades sont, sauf
quelques exceptions, rendues à la société, après un traitement plus ou
moins long.
Le chiffre des guérisons a toujours été comparativement très-élevé dans
la Maison de Charenton ; mais il a dépassé, en 1830, toutes les
proportions constatées jusque-là. D’après les relevés officiels
recueillis dans l’établissement, il y est entré, dans le cours de cette
année, cent quatre-vingt-six malades, parmi lesquels cent et un
reconnus incurables au moment de leur entrée, d’après les
renseignements fournis par les familles elles-mêmes et consignés dans
les registres de la maison, incurabilité résultante, soit de leur âge,
soit de l’ancienneté de leur maladie, soit encore de ce qu’ils
offraient les symptômes d’une paralysie plus ou moins avancée ; ce qui
réduit à quatre-vingt-cinq le nombre des malades mis en traitement.
Soixante sont sortis guéris, c’est-à-dire un peu moins des trois
quarts. On n’avait pas encore obtenu des résultats si satisfaisants.
Affreuse maladie ! Que l’on en guérisse au moins, que nous le sachions,
que nous en soyons bien persuadés, pour ne pas devenir fous à la
terrible pensée qu’un saisissement violent, une terreur profonde, un
chagrin trop vivement senti, un revers subit de fortune, une commotion
sociale, ou seulement une congestion au cerveau, peut nous priver de
cette raison dont nous sommes si justement fiers. J’ai oublié l’amour,
cette passion fougueuse, dans l’énumération des causes de la folie ! Et
pourtant combien de victimes n’a-t-elle pas précipitées dans les
maisons de fous ?
Quelle est cette jeune et ravissante fille à la démarche à-la-fois
hardie et voluptueuse, dont la belle voix jette aux vents des préludes
brillants ; qui croit s’être parée pour le bal en mêlant à ses blonds
cheveux une vile paille que les pieds ont foulée, et en ajustant sur
ses blanches épaules un chiffon souillé d’ordure ; qui prend des
attitudes théâtrales, déclame avec un accent passionné, s’interrompt
pour figurer les pas de la danse du châle, puis s’échappe en poussant
un cri douloureux qui vous glace ? Il y a peu de temps qu’elle brillait
dans le monde, qu’on enviait un de ses regards ; beauté, talents,
fortune, tout ce que les hommes estiment, elle pouvait le donner. Elle
aima ; elle se crut aimée ; elle fut trahie. Le chagrin n’a pu altérer
ses charmes ; il a tué sa raison.
Il y a dans la maison de Charenton deux choses curieuses à observer :
le salon où se réunissent le soir les pensionnaires des deux sexes, et
la table de l’administration. A cette table, qui est de soixante-dix
couverts et qui est présidée par le directeur, sont admis les employés
du service administratif, les médecins, les élèves en médecine,
quelques dames attachées à l’établissement par leurs fonctions, et
environ une quarantaine d’aliénés des deux sexes ; ceux-ci, quand ils
sont de première classe, ont le droit d’y venir tous les jours, et deux
fois par semaine quand ils sont de la deuxième classe, autant toutefois
que leur état mental le permet. L’institution de cette table, est utile
en ce que les aliénés convalescents et ceux qui sont tranquilles, y
trouvent une diversion aux habitudes un peu monotones de la maison, un
ordre qui leur impose l’obligation de s’observer, de se contraindre au
besoin, et aussi une communication récréative avec les employés de la
maison. L’admission à cette table est considérée par les malades comme
une faveur, et le désir de l’obtenir, la crainte d’en être privé, sont
pour eux un frein qui les retient dans ceux de leurs mouvements qui ne
sont pas par trop impératifs ; car il faut bien reconnaître que dans
beaucoup de cas, les aliénés peuvent réprimer jusqu’à un certain point
leurs volontés. Le logement au château pour les dames, l’admission à la
table du directeur pour tous, sont deux puissants auxiliaires des
médecins. Les gens du monde auront peine à concevoir qu’à une table de
soixante-dix personnes, au nombre desquelles sont quarante aliénés, il
soit possible de s’entendre, qu’un certain ordre puisse y être
maintenu. C’est pourtant plus que de l’ordre qui y règne ; c’est du
silence, de la décence, de la tenue. Il n’appartient qu’aux gens qu’on
appelle raisonnables, de faire à table un bruit étourdissant, de s’y
livrer à des disputes à propos d’opinions politiques ou littéraires, et
de casser les verres, quand ils se sont échauffés par le vin ou par de
vaines querelles.
Quant au salon, c’est encore une faveur d’y être admis, et cette faveur
est le prix d’habitudes calmes, d’une certaine soumission aux règles de
la maison, d’un certain respect pour les convenances. Il s’ouvre
immédiatement après le dîner ; c’est-à-dire à sept heures ; il ferme à
neuf heures et demie. Les deux sexes y sont admis sous la surveillance
de préposés de l’établissement. Un piano y est à la disposition des
pensionnaires, et il est rare qu’il ne se trouve pas parmi eux quelque
musicien ou musicienne, qui en parcoure les touches avec plus ou moins
de talent, ou qui unisse à ses accords les modulations d’une voix
exercée. Tandis qu’une partie de la société est groupée autour de
l’instrument, et prête l’oreille à la romance ou à la sonate qui la
captive ; une partie de boston ou de whist s’arrange dans un autre coin
du salon ; plus loin, deux champions s’attaquent aux échecs ou se
défient au trictrac ; des conversations particulières s’engagent d’un
autre côté. La politique s’y mêle quelquefois ; il y a à Charenton,
comme à la Chambre des Députés, une majorité et une opposition. Dans
celle-ci figurent deux ou trois carlistes ; l’un d’eux, pensionnaire de
troisième classe, et qui n’a pas le droit de venir à la table de
l’administration, présenta le jour de la Saint-Charles une requête au
directeur, à l’effet d’y être admis en l’honneur de la fête
du roi.
Le directeur écrivit en marge de la demande : Accordé pour la
Saint-Philippe. Ici un vieux militaire qui a fait toutes les campagnes
de la révolution et de l’empire, et qui se croit sans cesse attaqué par
une douzaine de soldats anglais, raconte ses exploits, en assaisonnant
son récit de mainte apostrophe contre la Grande-Bretagne. Là un
ecclésiastique, dans le costume de son ordre qu’on n’a pas pu parvenir
à lui faire quitter, récite un sermon sur l’assoupissement de l’âme, et
s’interrompt pour régaler ses auditeurs d’épigrammes contre Napoléon,
qu’il appelle des chefs-d’oeuvre de sarcasme et d’ironie. Plus loin, un
ancien auteur de vaudevilles développe le plan d’une tragédie ; un
petit homme à redingote boutonnée jusqu’au menton, le chef couvert
d’une petite perruque qui en dessine les contours comme une calotte de
prêtre, s’informe des besoins de ceux qui l’entourent ou des malheureux
qu’ils pourraient connaître, et il leur distribue gravement des dessins
de sa façon, dont il a toujours ample provision, et qu’il croit d’un
prix inestimable. Ces dessins qui représentent invariablement une
procession de capucins dessinés dans le style des statues de pierre qui
décoraient l’architecture du douzième siècle, sont, entre ses mains,
une source de richesses inépuisables. Il a la conscience que c’est avec
le produit de leur vente que se soutient la maison de Charenton, et il
travaille alternativement, avec un zèle que rien ne peut refroidir,
pour les besoins de la cuisine, du mobilier, de la pharmacie, etc.,
etc. Cet homme, avant d’avoir perdu la raison, était un estimable
littérateur. Cet autre, qui n’a que quatre pieds et demi de haut,
qu’une gibbosité des plus marquées n’empêche pas de se croire un
Apollon, et prince du sang par-dessus le marché, se pavane dans l’amour
qu’il a conçu pour une belle et auguste princesse. Les employés de la
maison reçoivent régulièrement, une ou deux fois par semaine, des
lettres de faire part de son prochain mariage avec cette princesse (1).
Il adresse au Directeur l’injonction de faire les dispositions
nécessaires dans le parloir de la maison, qu’elle a choisi pour sa
résidence. Ainsi l’ordonne
le
prince de Bourbon croix de Saint-Louis,
du reste le meilleur prince de toute la chrétienté, affable, poli,
obséquieux même, et déposant volontiers sa dignité pour n’être plus
qu’un simple citoyen.
L’énumération de tous les genres de délire qui se manifestent dans
cette réunion, qui pourtant n’offre qu’une faible fraction de la
population de la maison, serait trop longue et finirait par devenir
fastidieuse. Qu’il suffise de dire que l’on y retrouve, sous
l’influence des idées les plus baroques, des hommes qui ont commandé
les armées, dirigé les affaires publiques ou de grandes entreprises
commerciales. Quel sujet de réflexion pour le philosophe ! Connaît-on
du moins les causes de la folie ? L’art a-t-il des règles certaines
pour la guérir ? Existe-t-il des moyens de s’en préserver ? Nous avons
déjà dans le cours de cet article, assigné des causes à la folie, des
causes occasionnelles s’entend, telles qu’un profond chagrin, un
saisissement, une révolution de fortune, etc. Nous ajouterons, que
toutes les passions portées à un degré extraordinaire, peuvent, en
influant sur les organes, devenir des causes d’aliénation mentale, et
que les folies ne sont alors que les passions mêmes dans leurs excès.
On pourrait donc jusqu’à un certain point se préserver de la folie, en
sachant contenir ses passions dans de justes bornes. On pourrait, par
le même principe, se prémunir en partie contre les causes physiques de
la maladie, telles que les congestions sanguines, en évitant les écarts
de régime de toute nature, qui ne les déterminent que trop souvent.
Quant à l’altération même que subit le cerveau des aliénés, elle n’a
pas été, que nous sachions, reconnue jusqu’à présent d’une manière
positive. Les nombreuses autopsies qui ont été faites depuis vingt-cinq
ans, ont pourtant à-peu-près établi que l’inflammation des méninges
(enveloppes du cerveau) est, chez les aliénés, le signe le plus
caractéristique de cette altération. L’incertitude qui règne encore,
qui régnera probablement toujours à ce sujet, ne répond que trop à
cette question : l’art a-t-il des moyens certains de guérir la folie ?
La science de la médecine est sur ce point comme sur tant d’autres
toute conjecturale ; mais ses conjectures prennent une grande force de
probabilité quand elle agit d’après cette opinion généralement adoptée,
nous le croyons, qu’une altération quelconque du cerveau existe dans
l’état d’aliénation mentale, et que les moyens physiques, les révulsifs
par exemple, aident bien plus la nature que les moyens moraux dans le
traitement de cette maladie. Nous considérons comme un très-puissant
auxiliaire de la médecine en pareil cas la séquestration des malades.
Dans leur propre maison, au sein de leurs familles, entourés de parents
affectueux, de domestiques empressés, leurs volontés deviennent
despotiques ; dans la crainte de les irriter, un sentiment de déférence
ou d’affection commande à ceux qui les approchent une obéissance mal
entendue ; on va même jusqu’à flatter leur manie ; l’exaltation devient
alors de plus en plus intense, nourrie qu’elle est souvent par la
présence des objets de leur aversion ou de leur sympathie. Faut-il leur
administrer des remèdes prescrits ? qui osera violenter leur répugnance
à s’y soumettre ? Dans un établissement spécial, au contraire,
environné d’étrangers sur lesquels ils ont bientôt reconnu qu’ils ne
peuvent exercer leur empire, et qui ne craignent pas de résister à
leurs caprices, une crainte salutaire soumet leur volonté qui s’use en
efforts superflus. Soumis, ils deviennent tranquilles, surtout en
s’apercevant que cette soumission est payée de bons procédés,
d’attentions délicates, et la tranquillité est ce qui leur est le plus
nécessaire dans cet état.
J’ai tracé une esquisse bien imparfaite, bien superficielle de la
maison de Charenton ; mais j’en ai dit assez pour remplir mon but, qui
est de donner aux gens du monde une idée juste et positive de ce qu’est
cet établissement très-peu connu. Que si l’on y cherche une
dissertation scientifique sur la folie, on ne l’y trouvera pas. Je n’ai
parlé, je ne pouvais parler qu’en observateur, qu’en philosophe, de
cette triste et déplorable infirmité. Ceux qui voudront en savoir
davantage sur ce sujet, pourront puiser à des sources abondantes. Les
savants ouvrages du docteur Pinel, du docteur Esquirol surtout, qui a
fait de l’étude de la folie l’occupation de toute sa vie et auquel
l’humanité doit une réforme radicale dans le traitement de cette
maladie, leur offriront une ample moisson d’observations dignes à la
fois de l’intérêt du savant et du philosophe. M. le baron Cuvier, dans
l’éloge du docteur Pinel, raconte que, grâces aux améliorations
introduites par les soins de ce célèbre médecin dans le régime des
aliénés, améliorations qui portèrent le calme dans les loges où
s’agitait auparavant la fureur, il est arrivé souvent que des étrangers
avaient parcouru presque toute la partie de la Salpêtrière consacrée
aux aliénés, et demandaient encore si on ne les y conduirait pas
bientôt ; tant, dit-il, les malades y sont tranquilles, tant leur
existence ressemble à celle des personnes raisonnables. C’est surtout
au milieu des malades confiés aux soins de M. le docteur Esquirol (2)
qui a poussé bien plus loin que son devancier ces améliorations, que
des étrangers pourraient demander où sont les fous. Et pourtant combien
ne laissent pas encore à desirer sous le rapport des constructions, des
divisions et subdivisions les établissements consacrés au traitement de
l’aliénation mentale ? Mais le défaut d’argent est un obstacle à tout
le bien qu’on voudrait faire en ce genre. Ne pourrait-on pas dire à
ceux qui en disposent, ce que M. Esquirol disait un jour au célèbre duc
de Liancourt qui repoussait une demande qui lui était faite en faveur
des aliénés par la nécessité de venir d’abord au secours des
prisonniers. « A la bonne heure, monsieur le Duc ; mais il ne va dans
les prisons que des gens qui l’ont plus ou moins mérité, et nous ne
sommes pas sûrs, vous et moi, de ne pas aller à Charenton. »
MAURICE
PALLUY,
DIRECTEUR DE LA MAISON ROYALE.
NOTES
:
(1) Il faut lire les lettres de quelques aliénés pour concevoir jusqu’à
quel point leurs idées sont perverties par la maladie. J’en copie
quelques-unes dans le but de fournir un sujet d’observations de plus
aux personnes qui étudient, sous le rapport philosophique, l’aliénation
mentale.
Ière. « Depuis vingt
ans je demeure à Charenton qui est de fait près de
s’écrouler. Au milieu de ce péril, nous n’avons pas le sou, et je ne
puis compter, pour toute ressource, que sur le lapis de cette
citadelle. Je ne reçois point de nouvelles de ma chère épouse, Louise
de Bourbon, ni de mesdames ses six soeurs de Bourbon Aleazaris, ni de
ses sept soeurs de Saint-Albain. Jusqu’ici j’ai sauvé Charenton…. Mais
quel péril, grand Dieu ! Je suis ici sans l’ombre même d’autorité, et
pourtant on veut s’emparer de cette clé du monde, afin de se rendre
maître du monde même. Ma mère de Montmorency, mon père de Barte, fils
de la reine, sont morts. Mon frère le jeune est mort. Les ordres du
congrès de Rastadt sont méprisés. Daignez me donner vos ordres
suprêmes, etc., etc. »
Cette lettre est adressée à sa hautesse le grand seigneur souverain à
la cour ottomane.
IIe. « Les proclamations continuelles de la troupe française, ainsi que
de l’intérieur de la France, qui m’a reconnu son empereur légitime,
ainsi que l’ont fait les puissances étrangères, m’étonnent du peu de
soumission de ceux qui en sont les chefs. Déjà le général Compan a
passé à la Russie….. Dites-moi pourquoi ? Les napoléonistes, dont les
années 1811, 1812 et 1813 nous ont fourni matière à réflexion, ont
encore osé reparaître en France. Je le sais, monsieur le ministre. La
conduite du fils de l’ex Charles X, malheureux depuis trente ans, ne
lui plaît pas. Veillez à ce que vous avez à faire ; je vous donne un
avis positif. La France est malheureuse. Quoique reconnu roi
d’Angleterre, j’aime la France.
Signé,
CHARLES, fils de Charles X.
IIIe . « Bonne princesse et adorable amie,
Aujourd’hui j’ai l’honneur de vous supplier d’agréer qu’il me soit
permis de vous entretenir respectueusement de mes hommages, de ma
fidélité, de mon amour. Vous m’êtes toujours bien chère ; vous m’êtes
toujours bien précieuse. Votre empire, c’est l’empire des charmes et de
la beauté ; c’est l’empire des grâces et de la douceur ; c’est aussi le
règne de la candeur, de la constance, de l’aménité, de la franchise, de
l’innocence, de la vérité, de la vertu. Notre mariage arrêtera pour
toujours notre bonheur, et la France et nos amis, qui nous contemplent,
proclameront nos louanges, notre allégresse. LL. MM.
Alexandre-le-Grand, empereur de toutes les Russies, Frédéric-le-Grand,
roi de Prusse, et LL. MM. Léopold, empereur d’Allemagne, Georges et
Wellington, rois d’Angleterre, m’ont donné leur parole d’honneur que
notre dynastie jouira à perpétuité de la gloire, de la splendeur, de
l’opulence qui lui appartiennent éminemment d’après tous les droits de
la noblesse et de la naissance, etc., etc. »
IVe. « Mesdemoiselles Virginie et Caroline sont priées de se rappeler
le soussigné d’autre part pour des raisons sociales antiques et
nouvelles.
Tel qu’un
oiseau mouche
Lui-même
se couche ;
Mais il
ne dort pas
Chez Maupas.
Autrefois l’haleine des plus légers
zéphyrs
Se mêlait
à ses soupirs ;
Mais
aujourd’hui Mélanie et Athalie
Sont, je
crois, retournées en Italie.
Puisse le
fleuve du Rubicon
Ne pas
submerger ce pauvre garçon !
Car, auprès de jeune et gente demoiselle,
L’Amour, ce tendre enfant, revient avec
l’hirondelle
Dans le
jardin de Charenton,
Au salon,
sur l’Hellespont.
Heureuse poésie, roi qui vivifie tout ce
qui a vie,
Ravifie aussi toutes les Sophies et les
philosophies,
Jusques
dans le temple de Charenton,
Et sur le
tabernacle de Caton. »
Ve. « Contre eux des scélérats
titrés font des lois… ! mettant tout
le monde à leur poursuite et à celle des électeurs butors. Le
roi
aurait une force majeure invincible !!!!
Je joins ici un manuscrit pour nous assurer des députés de la noire
intrigue ; il porte ce titre : La Taxe correctionnelle ou
l’Impôt tranchant et économique imaginé
pour disposer le peuple paisible aux amusements publics.
Cette cote
doit entrer au sac du grand procès des conjurés ! Les
imposés rempliront le rôle efficace de la Dynastie nouvelle…
bagatelle non coûteuse pourtant du Brutus ! vous
m’entendez bien. »
VIe. « Hier sur les sept heures un quart du soir, entendant un certain
bruit dans les nues, j’y jette les yeux et j’y vois Dieu, vêtu d’un
camelot gris avec des sandales grises, d’un rosé léger. Je suis enlevé
et j’ai l’honneur d’entretenir Dieu sur mon lit. Je lui
ai parlé environ jusqu’à minuit. Il m’a dit de vous, monsieur le
directeur, que vous étiez de sa famille et son proche parent. Il vous
recommande que nous en terminions en ce qui concerne le raccommodage de
la citadelle de Charenton, où tout périrait sans ressource si l’on n’y
mettait promptement la main. »
Il y en a qui expriment des idées encore plus bizarres s’il est
possible.
(2) M. le docteur Ferrus, M. le docteur Pariset, ont aussi
considérablement perfectionné le régime des aliénés à Bicêtre et à la
Salpêtrière. Le premier de ces établissements surtout a reçu, dans ces
derniers temps, par les soins de M. le docteur Ferrus, utilement
secondés par l’administration des hospices, de notables améliorations.