PRAVIEL, Armand (1875-1944)
: Le Massacre de Ramel (1927).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.II.2017) Texte relu par : A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : 6671-78) du numéro 78 (décembre 1927) de la Revue littéraire mensuelle Les Œuvres libres publiée par Arthème Fayard à Paris . Le Massacre de Ramel (ÉPISODE DE LA TERREUR BLANCHE) Récit inédit PAR ARMAND PRAVIEL ~ * ~
CHAPITRE PREMIER
LA PROCESSION DU 15 AOUT. Le 15 août 1815, à trois heures et demie de l’après-midi, la procession du vœu de Louis XIII se déroulait magnifiquement dans les vieilles rues de Toulouse. Du porche de guingois qui permet de descendre dans la cathédrale Saint-Étienne, engoncée dans le fouillis des maisons, elle surgissait lentement, aux sonneries espacées des cloches, où se mêlait le bourdon solennel de l’Augustine. Elle avançait à travers les voies caillouteuses et étranglées, ornées de guirlandes de fleurs et où s’entassait une foule turbulente et dévote. La grande croix processionnelle, flanquée de deux acolytes portant des flamberges, jetait des éclairs d’argent sous le soleil d’août. Derrière, escortés par des suisses empanachés vêtus de rouge, par des bedeaux violets, cachetés d’un ostensoir dans le dos, venaient, à pas muets, sous leurs lourdes bannières, les confréries et les congrégations, les robes blanches et les frocs noirs, puis le clergé des églises et des séminaires, chantant les litanies de la sainte Vierge et l’Ave maris stella. Enfin, venait Mgr Primat, mitre en tête et crosse en main, bénissant infatigablement son peuple agenouillé, et, à sa suite, respectueusement, les autorités civiles et militaires. Toutes ne recevaient pas des Toulousains le même accueil : le comte de Villèle, maire, était salué avec faveur ; ce gentilhomme, venu des Iles, jouissait de la confiance du duc d’Angoulême, qui, bien avant le roi, l’avait envoyé siéger au Capitole ; il était des amis du marquis de Vitrolles. Mais le préfet de la Haute-Garonne, M. de Rémusat, avait beau se redresser dans son habit neuf à collet brodé, de sourds murmures accueillaient son passage : c’était M. de Limairac que les Toulousains, royalistes purs, auraient voulu voir à sa place, et ils ne se gênaient pas pour lui témoigner leur mépris. Les manifestations hostiles redoublaient au défilé de l’armée : si le maréchal Pérignon était accepté par la foule sans trop de protestations, il n’en était pas de même de l’officier général qui marchait à sa droite. Un maréchal de camp, de cinq pieds quatre pouces, à la superbe prestance, au teint brun, au profil régulier de médaille. - Le voilà, le bandit ! le traître ! le jacobin ! chuchotait-on dans les groupes. C’était le général Jean-Pierre Ramel, baron de l’Empire, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis et de la Légion d’honneur. - Chut ! taisez-vous ! dit un bourgeois recueilli aux gens du petit peuple qui l’entouraient. Ce général est royaliste. Savez-vous seulement qu’il a été la victime de Jean Bon Saint-André et qu’il a failli être guillotiné en 93, comme l’a été son frère, pour avoir jeté au feu un bonnet phrygien ? Savez-vous qu’un autre de ses frères a été massacré, après le Dix Août, pour avoir refusé, lui, officier du régiment irlandais de Welsley, de prêter le serment de haine à la royauté ? - Tout ça, répliqua un homme en blouse, ce sont de vieilles histoires !... - Comment ! Mais, ces derniers jours, n’est-ce pas le général Ramel qui a arboré, le premier, le drapeau blanc et qui a inauguré le buste de Sa Majesté dans la salle des Illustres ? - Oui, et c’est lui qui protège les fédérés, les cache dans son hôtel, et a juré d’exterminer les Verdets ! - Allons donc ! - Vous ne le connaissez pas, pauvre monsieur ! Quand le général d’Huillier, délégué de monseigneur le duc d’Angoulême, est arrivé ici, il a mis en doute ses attributions et a refusé de lui donner les deux canons qu’il demandait… - Mais les règlements, peut-être… - Les règlements ! ironisèrent quelques ouvriers. La vérité, c’est qu’il veut gouverner la ville à son bon plaisir, – emprisonner et étrangler les serviteurs de la royauté, et rappeler encore l’usurpateur !... - Et puis, siffla un autre, quand on a fait ce qu’il a fait à Castelnau-Montratier… Le bourgeois allait demander ce qui s’était passé à Castelnau-Montratier, qui émouvait si fort l’opinion. Il n’en eût pas le temps. Derrière les personnages officiels, dévotement occupés à exécuter le vœu marial de Louis XIII, derrière les uniformes brodés, les simarres et les hermines, un flot de peuple se précipitait, avide d’accompagner la procession, de manifester sa foi passionnée et fanatique. L’âme de Toulouse ligueuse palpitait dans l’air. - Regina martyrum, ora pro nobis… La cohue pieuse s’engouffrait dans la tortueuse rue Croix-Baragnon, pour gagner, de là, la place Rouaix, la rue de la Trinité et le vieux quartier marchand. Une poussière dorée flottait au-dessus d’elle. Et les graves cloches sonnaient toujours, comme aux soirs d’émeute, d’incendie et de guerre civile.
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Pour comprendre la portée des paroles que nous venons d’évoquer brièvement, il faut se représenter quel était, à ce moment, l’état d’esprit du Languedoc. L’invasion de l’année précédente l’avait laissé fort ulcéré ; mais, après la rude secousse des Cent-Jours, aucune armée étrangère n’était là pour modérer les rancunes. Avec leur imagination ardente, trempée au feu des luttes religieuses, les Toulousains se flattaient de détenir, sous l’égide du duc d’Angoulême, la vérité politique, sans atténuation. Rêvaient-ils de reconstituer le fameux royaume d’Aquitaine dont on a tant parlé ? En tout cas, ils ne cachaient pas leur prétention d’imposer à Louis XVIII lui-même le rétablissement de l’Ancien Régime, l’abolition de la Charte, la restauration des privilèges. De tout temps, aux bords de la Garonne, on a manqué de mesure. Dès la nouvelle de la seconde chute de Buonaparte, le marquis de Vitrolles, ancien adjoint de Fouché, devenu lieutenant du duc d’Angoulême, avait créé dans le Midi une puissante organisation qui avait pour chefs le marquis de Villeneuve, commissaire de l’Intérieur, M. de Catelan, commissaire de la Justice, le duc de Fitz-James, gouverneur de Foix. Cette organisation avait pour auxiliaires dévoués certaines compagnies de la garde nationale, dont les membres avaient pris le nom de verdets, verdelets ou secrets. Le premier de ces noms, qui, seul, a survécu, venait de leur uniforme vert. En réalité, ils existaient depuis le 9 thermidor. C’étaient eux qui, depuis la chute de Robespierre, avaient espéré ardemment le retour des Bourbons. Ils avaient pris, pour manifester ces sentiments, le costume des Suisses égorgés au Dix Août… Maintenant, ils l’avaient gardé, car c’était la livrée du duc d’Angoulême, leur vrai prince, qu’ils opposaient, dans le fond de leur cœur, au roi diplomate et libéral, trop porté aux concessions, que leur paraissait devoir être Louis XVIII. « Ce n’est point, ici, de l’amour du roi, écrivait à M. de Barante un préfet du Sud-Ouest, ce n’est point de l’attachement à une forme monarchique de gouvernement, c’est de l’idolâtrie pour monseigneur le duc d’Angoulême et surtout pour Mme la duchesse d’Angoulême… La couleur blanche ne paraît le signe du royalisme que lorsqu’elle est lisérée de vert… » On connaît les exploits des Verdets. Nous n’y reviendrons pas. Il suffit de rappeler les noms de Servan, Truphême, Trestaillons et de ce terrible Graffan, qui se signala tellement, à Uzès, sous les yeux du sous-préfet terrorisé, qu’on le surnomma Quatretaillons. Ces partisans devinrent tellement compromettants et odieux que le duc d’Angoulême fut amené lui-même à les dissoudre. En général, de telles gens n’ont pas d’adversaires plus convaincus que les princes qu’ils prétendent servir. A Toulouse, leur compagnie, commandée par M. de Barthélemy, se réunissait dans une taverne, dite de la Cave, située hors des remparts, au delà du canal du Midi et des terrains vagues qui avoisinaient la porte Arnaud-Bernard. Auberge sordide du faubourg des Minimes, où se rencontraient, buvant aux frais de leur commandant, le sellier Gaillardin, le chapelier François Carrière, François Baqué, dit le Penjat (le Pendu) et autres ouvriers, dont le travail principal consistait à créer du dédordre. Les époux Gaubert servaient cette troupe à tout faire. La nouvelle de Waterloo et de la chute de Napoléon les galvanisa. Ils se sentirent les maîtres, à partir du 18 juillet, date à laquelle le comte Léopold de Rigaud, attaché à l’état major du duc d’Angoulême, ordonna le désarmement des fédérés que l’Empereur avait organisés en bataillon armé… Dès lors, c’étaient eux, les Verdets, qui allaient commander. Les nouvelles de la capitale n’arrivaient à Toulouse qu’avec une extrême lenteur. Ce n’est qu’un mois après Waterloo que l’on y apprit le retour de Gand. Mais alors, quelle explosion de joie ! Dès l’aube, les cris de « Vive le roi ! Vive Louis XVIII ! Vivent les Bourbons ! » éclatent dans les divers quartiers de la ville, qui se pavoise de blanc. Des scènes délirantes se déroulent dans toutes les rues. A chaque croisée flottent les fleurs de lys. « Les femmes, écrit le Journal de Toulouse, se faisaient distinguer par la vivacité de leurs transports… Pendant l’interrègne, ce sexe, que nous accusons trop souvent de faiblesse et de frivolité, s’était réfugié dans la solitude et le silence, pour déplorer en secret la destinée de cette famille auguste que le ciel nous avait rendue après une horrible tempête et qu’un nouvel orage venait de nous ravir une seconde fois… » Les dames de Toulouse prenaient leur revanche. Ramel, commandant de la place depuis le 29 juin, n’avait garde de s’opposer à cet enthousiasme. Nommé à Toulouse par Napoléon, il laissait une foule furieuse arracher le médaillon de l’Empereur scellé au fronton du Capitole et le jeter dans la Garonne. De même, le lendemain, ne fit-il rien pour empêcher le commissaire général de la police, M. de Savy-Gardeilh, agent du marquis de Vitrolles, de repêcher ce malheureux médaillon de bronze et de le briser publiquement dans la cour de l’Hôtel de Ville. On regrettait de n’avoir pas le temps de le faire fondre. Et des voix furieuses hurlaient, sur l’air de Carnaval :
Adiù paùre Bounaparto,
Nou te reveyron pas pus. Nigaudas, perdes la carto, As galoupat tout counfus ! (1) Criden toutis ambe forço : Boulen pas Napoleoun ! Boulen pas un rei de Corso, Boulen per rei un Bourboun ! (2) On brûlait les arbres de la liberté plantés par les fédérés et, le soir, on en faisait des feux de joie. Bals publics dans tous les quartiers. Des fenêtres de son hôtel, Ramel pouvait voir la place des Carmes transformée en ardente kermesse. Sur le vaste emplacement créé par la démolition d’un couvent appartenant aux religieux du Mont-Carmel, une mer humaine soulevait ses flots en cadence. Et quand les violons s’arrêtaient, les clameurs patoises reprenaient de plus belle :
Aro, l’aben atrapat
L’ausel de las grossos alos…(3) tandis qu’au théâtre les classes bourgeoises acclamaient les Héritiers Michaud et alternaient une cantate de circonstance avec : Vive Henri IV, vive ce roi vaillant ! Il fallait se mettre au diapason, et ce n’était pas chose facile. Le lendemain, 19 juillet, un semblant d’ordre parut renaître. Nantis de pouvoirs réguliers, le maréchal Pérignon et M. de Rémusat prirent possession, l’un du commandement du corps d’armée et l’autre de la préfecture. Mais malheur à eux s’ils ne suivaient pas les plus avancés ! Ce n’étaient que Te Deum et processions. Le 21 juillet, on inaugura le buste de Louis XVIII au Capitole, à la place de Napoléon. Le 23, le duc d’Angoulême fit son entrée dans la ville par le faubourg Saint-Cyprien : nouvelle occasion de danses, farandoles, illuminations et spectacles. « Ce fut le plus beau jour de ma vie », écrivait M. de Limairac. Après ces folles réjouissances, l’horizon ne tarda pas à s’assombrir. Dès le début du mois d’août, les Verdets commencèrent à craindre de voir diminuer leur puissance. Incontestablement, le gouvernement royal cherchait à établir un ordre stable dans la tolérance et la liberté des bons citoyens. Il s’efforçait d’apaiser les vieilles querelles, de réconcilier tous les Français. Il méditait secrètement de dissoudre les bandes fanatiques levées spontanément pour défendre la royauté. Il tendait à remettre en place les hommes d’ordre, à quelque parti qu’ils appartinssent. Ainsi, le baron de Malaret, qui avait été maire de Toulouse et membre de la Chambre des représentants pendant les Cent-Jours, fut-il désigné comme président du Collège électoral de la Haute-Garonne. Rien ne peut donner une idée de l’explosion de fureur suscitée par cette nomination. Le 11 août, une tourbe hurlante se porta vers sa maison, rue du Cheval-Blanc. - A bas la girouette ! criait-on. A bas Malaret, le coquin, le brigand ! Il faut le pendre ! Deux fois, l’émeute essaya d’enfoncer le portail de l’hôtel. Par bonheur, il résista. Mais, la nuit même, M. de Malaret décida de se mettre à l’abri, et il s’enfuit sous un déguisement. Parmi les émeutiers, il n’y avait pas seulement de la plèbe. On avait reconnu quelques aristocrates : MM. de Fajac, de Rouville et le fils du commissaire lui-même, M. de Savy-Gardeilh. Ils furent mandés à la place et admonestés par le général Ramel. Il ne faut pas se hâter d’accabler les ultras de cette époque. La plupart avaient vu leur famille ruinée, décimée, emprisonnée, exilée ou mise au rancart depuis vingt-cinq ans par la Révolution et l’Empire. On devine leur joie en voyant reparaître la royauté qui, à leurs yeux, allait soulager leurs misères, les dédommager de leurs pertes et les récompenser de leur longue et douloureuse fidélité. On excusera leur fureur, alors qu’ils constataient que les places étaient accordées de préférence aux anciens serviteurs de l’Empire ou de la République. La situation est certes moins tragique ; mais imagine-t-on aujourd’hui l’état d’esprit de MM. Charles Maurras et Léon Daudet si la monarchie restaurée prenait pour ministres MM. Briand et Poincaré ? Trois hommes exaspéraient plus particulièrement les royalistes toulousains en ce début d’août 1815, nous l’avons déjà indiqué : le préfet de Rémusat, le baron de Malaret et le général Ramel. Détail qui a été laissé trop souvent dans l’ombre par les historiens, mais qui appartient à l’histoire toute spéciale des provinces du Sud-Ouest, Ramel traînait après lui, depuis un quart de siècle, cette malheureuse affaire de Castelnau-de-Montratier, sur laquelle il nous faut bien revenir pour la clarté de cette histoire. … Nous sommes en Quercy, en 1791. Le trouble est partout. L’anarchie spontanée, dont a parlé Taine, règne en maîtresse. Des bandes de paysans, armés en gardes nationaux, ou tout simplement groupés par quelques factieux de village, se portent sur les châteaux, les envahissent, les pillent, en massacrent ou en emprisonnent les propriétaires. La plupart de ceux-ci, terrorisés, s’enfuient, se cachent ou émigrent. Quelques-uns seulement, indignés de tant de lâcheté, tâchent d’organiser la résistance. Parmi ces derniers, le marquis d’Escayrac, MM. de Chaussac et de Belleud. Ce sont des rudes jouteurs, qui réunissent des partisans et s’efforcent d’empêcher tout brigandage. On organise contre eux des battues. Au mois de décembre 1790, d’Escayrac, traqué de tous côtés, est obligé de se réfugier dans le château de Buzet. On l’y cerne, on l’enfume dans les souterrains, comme un blaireau. Quand il veut sortir, vingt fusils sont braqués contre lui et tirent à bout portant. Au mois de mai suivant, un ex-carme, nommé curé constitutionnel, tremble d’aller s’installer à Castelnau-de-Montratier. Il y a là M. de Belleud de la Maresquière, ancien garde du corps, frère cadet du fidèle compagnon de M. d’Escayrac. La région est rebelle aux idées nouvelles, tient à son curé réfractaire. Cependant, force doit rester à la loi. Le 14 mai, le directoire du Lot décide d’envoyer un détachement de gardes nationaux pour protéger le prêtre jureur. Ce détachement sera commandé par un jeune homme de vingt-trois ans, Jean-Pierre Ramel, adjudant-major de la légion. Ce singulier conseil de paroisse arrive à Castelnau-de-Montratier, houspille les récalcitrants, ouvre l’église et la remplit durant l’office. Tout va bien. Mais, en sortant, voici que l’on aperçoit les MM. de Belleud qui se promènent sur la place, causent avec animation. L’aîné, M. de Saint-Jean, est venu en hâte rejoindre son frère. Que complotent-ils ? Les gardes nationaux les entourent en chantant le Ça ira des Sans-Culottes. - C’est vous qui commandez ces hommes ? demande l’un des aristocrates à Jean-Pierre Ramel. Hé bien, ordonnez-leur de se taire. - Ils peuvent chanter ce qu’il leur plaît. Je n’ai pas à m’en occuper. - Pardon, puisque vous êtes leur chef, vous en avez le droit et le devoir. Vous devez les empêcher d’insulter de paisibles citoyens. Commencée sur un ton assez aigre, la conversation dégénère bientôt en dispute. Le jeune adjudant-major répliqua si vertement à M. de Saint-Jean que celui-ci bondit de colère. - De telles paroles ne peuvent se supporter, s’écrie-t-il. Si vous n’êtes pas un lâche, venez m’en rendre raison ! Je vous en demande réparation ! Hélas ! On n’était pas à Versailles. Il ne s’agissait plus d’un duel. Le cercle des sans-culottes se rétrécit autour des aristocrates. M. de la Maresquière, avant d’avoir eu le temps de se défendre, est blessé d’un coup de sabre au côté. Son frère met l’épée à la main et, du plat de son arme, frappe violemment Ramel au visage ; il transperce un soldat ; les autres reculent. Tandis que sa sœur, attirée par le bruit, [détourne ?] sur elle la fureur des gardes nationaux, il [ ?] dans sa maison en entraînant son cadet. Voilà le début de l’affaire. Une fois le sang versé, la bataille engagée, il fallait poursuivre jusqu’au bout. Ce fut un siège en règle. Le nouveau curé, épouvanté, repartit chercher du renfort au chef-lieu, tandis que Ramel jurait de s’emparer des rebelles, morts ou vifs. Il y eut plusieurs assauts, au cours desquels un domestique et plusieurs soldats furent tués. Mais la demeure restait imprenable. Vers le soir, malgré sa blessure, M. de la Maresquière tenta de s’évader avec ses sœurs, en utilisant une fenêtre qui donnait sur les jardins. Les femmes, plus agiles, réussirent à s’enfuir ; mais lui, au cours d’une poursuite acharnée, manqua son élan en sautant un fossé. Il n’eut que la force de se réfugier sous un pont et de s’y cacher. Il aurait échappé à ceux qui le poursuivaient, si un paysan auquel il avait demandé du secours n’avait couru le dénoncer. Clameurs de fureur et de joie. On accourt, on s’empare du malheureux garde du corps et on le traîne à Castelnau. Pendant ce temps, M. de Saint-Jean continuait à résister. La maison étant trop vaste pour qu’il pût en interdire toutes les issues, il avait fini, comme le marquis d’Escayrac, par se réfugier dans la cave. Comme le marquis d’Escayrac aussi, il allait y être enfumé. Cependant l’opération traîne en longueur. Les sans-culottes perdent patience. Ils se mettent en devoir d’enfoncer le sous-sol. Les pioches retentissent sur la voûte, les pierres roulent dans l’intérieur. Mais, quand la brèche est enfin ouverte, les assaillants voient leur adversaire debout, l’épée à la main, abattant tous ceux qui essaient de le saisir. Plusieurs cadavres roulent à ses pieds. Alors, on tente de le brûler vif. On lance du dehors de la paille enflammée, des fagots que le feu fait crépiter déjà. A demi asphyxié, noir de poudre et de fumée, couvert de sang, M. de Saint-Jean de Belleud s’élance à travers l’incendie, ses deux pistolets à la main ; du premier, il abat le soldat qui garde la brèche, et, du second, il se fait sauter la cervelle. Le siège avait duré vingt-quatre heures et avait coûté vingt-trois morts. La troupe de Jean-Pierre Ramel ne sut garder aucune grandeur dans la victoire. Elle s’acharna sur le cadavre du ci-devant, lui trancha la tête et la fixa au bout d’une pique. Et M. de la Maresquière, couché et geignant, à la mairie, vit avec épouvante approcher cet horrible trophée. N’étalons pas toute la hideur de pareilles scènes, où l’homme se ravale au-dessous de la brute. Le blessé demandait à boire : on l’obligea à laisser couler sur ses lèvres le sang de son frère ; on lui fit baiser la tête fracassée… Puis, le lendemain, ce fut le retour à Cahors, en cortège : les glorieux vainqueurs de Castelnau-de-Montratier brandissant leurs armes, chantant des airs patriotiques et traînant, sur une charrette escortée de la pique funèbre, le malheureux garde du corps. A la ville seulement son long supplice prit fin. On le pendit à une lanterne, devant la maison d’un certain M. Pons, où se réunissait parfois la société littéraire, groupement en horreur aux vertueux sans-culottes. Cette demeure, vouée à l’obscurantisme, à la superstition et à l’aristocratie, fut, bientôt après, saccagée et démolie de fond en comble. La justice du peuple avait passé par là. …………………………………………………………………………………………………………………. Se souvient-il encore aujourd’hui, 15 août 1815, de ces affreux événements, le général Jean-Pierre Ramel ? Tant d’autres drames ont passé dans sa vie ! Il peut garder, malgré tout, confiance en son étoile. D’ailleurs, la procession s’achève. Par la rue Boulbonne, le cortège regagne l’irrégulière place Saint-Étienne, redescend dans la vieille nef du comte Raymond VI, brasillante de cierges. Aux côtés du maréchal Pérignon, l’état-major, tout reluisant de dorures et cliquetant de sabres, s’enfonce dans le chant des orgues et les fumées de l’encens. Qui donc oserait maintenant porter la main sur le général Ramel, défenseur de l’autel et du trône ? Ne vient-il pas, malgré une poignée de factieux, d’affirmer avec calme, devant toute la ville de Toulouse, sa double foi monarchique et catholique, dans cette manifestation éclatante de fidélité au vœu du pieux roi Louis XIII ? Son visage soucieux s’éclaire. C’est en toute tranquillité qu’il se rendra tout à l’heure, après le salut, chez sa belle amie, Mlle Diosi, danseuse romaine, qui l’attend à dîner.
CHAPITRE II
LA VIE DE JEAN-PIERRE RAMEL. Qu’était donc en réalité ce général, dont l’existence, dès le premier abord, accusait des contrastes aussi singuliers ? Il était né à Cahors, le 6 octobre 1768, d’une famille de robe, justement estimée. Son père, procureur au présidial, époux d’une Mlle Guiches, avait fini procureur syndic du district, laissant cinq fils et deux filles. Les Ramel avaient tout d’abord adopté avec enthousiasme les idées de la Révolution, tout au moins ceux qui étaient demeurés en Quercy. L’aîné, ancien camarade de Barère, à Toulouse, organisa la garde nationale de Cahors, dont il fut le premier capitaine, puis la fédération départementale et la société populaire. Syndic du Lot, député à la Législative, il ne tarda pas cependant à être dépassé. Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure. Il eut beau se réfugier dans l’armée, en allant commander ses compatriotes, qui formaient la légion des Pyrénées, la furieuse rancune de son ancien concurrent, le redoutable Jean Bon Saint-André l’y poursuivit ; il le fit incarcérer au Castillet de Perpignan et, après trois comparutions devant le tribunal révolutionnaire, l’envoya à l’échafaud comme royaliste ! Le cadet, Jean-Pierre, faillit subir le même sort. A la suite de divers avatars, – il avait servi dans les chasseurs à cheval des Ardennes et dans les dragons du régiment de Noailles avant de commander la garde nationale, – il se trouvait sous les ordres de son frère, à la légion des Pyrénées ; ainsi fut-il compromis avec lui et, sans aucun motif, jeté en prison, destiné à la guillotine. Nous verrons, en effet, que toute sa vie il eut à supporter le contre-coup d’affaires politiques auxquelles il n’avait pas été mêlé et de passions qu’il ne partageait pas. L’arrivée du brave Dugommier à l’armée des Pyrénées-Orientales arrêta les persécutions et, au bout de seize mois, lui rendit la liberté ; mais la Terreur régnait à ce moment avec une telle force qu’il ne peut demeurer sous les drapeaux : un décret expulsait des rangs sans merci « tous les ex-nobles, ex-privilégiés, muscadins, parents d’émigrés, de conspirateurs… » Deux de ses frères étaient déjà morts en haine de la royauté. Cela suffisait. Il n’eût que le temps de se réfugier à Saint-Béat, puis à Cahors. Quand, la tourmente passée, il put reprendre du service, une sorte de malchance mystérieuse le poursuivait. Il se faisait remarquer au siège de Kœhl, où mourut glorieusement son frère Henri, mais c’était sous les ordres de Moreau. Et, l’année suivante, s’il est nommé, le 1er janvier 1797, au commandement de la garde du Corps législatif, c’est justement pour se heurter à un coup d’État. A trois heures du matin, le 18 fructidor, Ramel entend le bruit du canon ; il saute de son lit et apprend que 1500 hommes, sous les ordres d’Augereau, se dirigent vers les Tuileries par le Pont-Tournant. Derrière eux, on signale d’importantes réserves et quarante pièces de canon. Conformément aux ordres qu’il a reçus, l’adjudant général se dispose à défendre « le sanctuaire des lois ». Il fait alerter sa garde, qu’il a obtenu de porter à douze cents hommes. Il les range en bataille, prêt à répondre à la force par la force. Nul ne bouge. Mais, le jour levé, voici Augereau qui s’avance avec sa trogne de soudard, son œil fixe de fauve, son nez d’oiseau de proie, et qui crie, d’une voix de stentor : - Commandant Ramel ! Pourquoi vous opposez-vous aux ordres du ministre et aux miens ? - Parce que j’en ai reçu de contraires du Corps législatif. - Vous vous êtes mis dans le cas d’être traduit en conseil de guerre et fusillé ! - J’ai fait mon devoir. - Me reconnaissez-vous comme commandant en chef de la division ? - Oui. - Eh bien, je vous ordonne de vous rendre aux arrêts ! - J’y vais. Encore une fois, Ramel, faute de décision, s’était fourré dans un guêpier. Derrière Augereau, quatre cents officiers, plus adroits que notre Quercynois, brûlant de suivre le vent, avaient envahi la cour des Tuileries, s’étaient faufilés parmi les grenadiers en criant : « Vive la République ! » Toute résistance était vaine. L’adjudant général tourna les talons. Mais déjà Augereau, dans son uniforme tout cousu d’or, était sur ses pas et grommelait : - Tu souffriras autant que tu as fait souffrir les autres ! Les satellites empêchent Ramel de rentrer aux Tuileries. Bagarre. Il tire son épée, on la lui arrache, on la brise. On la jette à terre. Ils sont vingt contre lui, comme, six ans auparavant, ses gardes nationaux contre M. de Belleud… - Laissez-le ! hurle Augereau. Laissez-le donc ! Ne le tuez pas ! Je vous promets qu’il sera fusillé demain ! On le lâcha. Et, parmi eux, il reconnaissait Santerre, une femme hystérique habillée en homme, des galériens déguisés en officiers. Ses vêtements étaient déchirés. Son ordonnance, qui avait voulu le défendre, tombait, sabré en plein visage. On traîna Ramel dans la prison du Temple, où il occupa la chambre de Louis XVI. Dès le lendemain, quatre lourds chariots grillés l’emportaient avec les vaincus de la journée, Pichegru, Barbé-Marbois, Tronçon du Coudray et les autres. Voyage atroce. La lie du peuple insultait sauvagement les prisonniers. La caravane traversa Orléans, Blois, Amboise, Tours, – où il fallut partager le logement des forçats. Ce fut une scène incroyable. L’un des condamnés de droit commun s’avança et dit aux déportés : - Messieurs, nous voilà bien fâchés de vous voir ici. Nous ne sommes pas dignes de vous approcher ; mais si, dans le malheureux état où vous nous voyez réduits, il y a quelques services que nous puissions vous rendre, daignez les accepter. Le cachot que l’on vous a préparé est le plus froid et le plus étroit de tous. Nous vous prions de prendre le nôtre, il est plus grand et moins humide. C’était le cas de dire qu’à cette étrange époque les gens les plus civilisés se trouvaient sous les verrous ! Quoi qu’il en soit, nous dit Ramel lui-même, les déportés acceptèrent « cette étrange hospitalité offerte par des mains souillées de crimes, mais par des cœurs qui n’étaient pas totalement fermés à la pitié ». On continua le lendemain cette lugubre route. Les cahots s’avéraient parfois si durs que les prisonniers étaient violemment projetés contre les barreaux de leurs cages. On passa par Poitiers, Saint-Maixent, Niort. On arriva enfin à Rochefort, où une populace furieuse criait : - A l’eau ! A l’eau ! A bas les tyrans ! Faites-les boire à la grande tasse ! Ce vœu ne fut pas exécuté ; mais la cruauté des bourreaux ne s’en trouva pas diminuée Ramel et ses compagnons, embarqués à bord de la Vaillante, furent jetés à fond de cale, dans la « fosse aux lions », comme disait le capitaine. Ils y passèrent les cinquante jours d’une épouvantable traversée. Le 11 novembre, ils débarquèrent sur la côte de Guyane, où un neveu de Danton, le citoyen Jeannet, agent du Directoire, homme poli et faux, les fit transporter au fort de Sinnamari, situé entre la crique Crossoni et la rivière Mannanoury. Là se trouvait déjà le sinistre Billaud-Varennes, dont les déportés, avec dégoût, se disposaient à éviter l’approche. On devine dans quel était Ramel et ses compagnons arrivèrent au lieu de leur déportation. Le vieux général de Murinais était au plus mal. La plupart souffraient de crachements de sang. - Ah ! messieurs, leur dit un Européen en les voyant arriver, vous descendez dans un tombeau ! Le fort, construit en madriers et en terre, s’entourait de larges fossés. Quarante blancs et quarante nègres bien armés composaient sa garnison. Les cases pullulaient de scorpions, de mille-pattes, de mosquites, de maringouins. Pichegru trouva, un soir, un gros serpent dans le manteau qui lui servait d’oreiller. Mais peut-être ce qui faisait le plus souffrir les prisonniers, c’étaient les chiques ou nigas, puces pénétrantes qui se logeaient dans les pores et s’y multipliaient si rapidement que parfois il fallait recourir à l’amputation. « Les hurlements lugubres des tigres, qui s’approchaient jusqu’à la portée du fusil, les cris perçants des singes, le chant discordant des perroquets, enfin le coassement des énormes crapauds, dont les fossés et les bords fangeux de la rivière étaient remplis, rendaient cette solitude épouvantable ». Un seul espoir soutenait les déportés : celui de s’évader. Après la mort de Tronçon-du-Coudray, ils s’y résolurent. Un complice leur procura des passeports, où Pichegru s’appelait Picard et Ramel Frédérick. Un capitaine anglais, fait prisonnier par nos corsaires, vint à leur aide ; son pilote, nommé Barrick, se mit à leur disposition pour les conduire. Il réussit à s’échapper, arma pour eux une pirogue qui servait à transporter la garde à la redoute de la pointe et les attendit pendant deux jours et demi, perché sur un arbre, dévoré par les insectes, mais du moins à l’abri des serpents, des caïmans et des tigres. Le 3 juin, l’occasion sembla propice. La garnison noire et blanche de Sinnamari fêtait joyeusement la prise du vaisseau britannique. Saoulerie générale, dont il fallait profiter à tout prix. A neuf heures du soir, les prisonniers se décident. Ramel et Pichegru sautent à la gorge d’une sentinelle ivre, la désarment et la précipitent dans le fossé. Personne dans le corps de garde. Les déportés y prennent des armes et des cartouches, et montent dans la pirogue ; Barrick, enfin délivré de sa cruelle attente, s’installe au gouvernail. Ce fut une dure traversée, qui se prolongea pendant six jours. Ballottés par les vagues, secoués par l’ouragan, les malheureux évadés n’avaient, pour se soutenir, en fait de vivres, que deux bouteilles de rhum. Enfin, une tempête les jeta à la côte, à quatre lieues du fort Orange, dans la Guyane hollandaise. Mourant de faim, ils se traînèrent péniblement jusqu’au fort de Monte-Krick, où ils furent reçus très charitablement. On leur servit de la volaille, du riz, du pain… Ils croyaient rêver. Le soir du 9 juin, on les fêta aussi à Surinam, à l’embouchure du fleuve de même nom. Mais il leur était interdit de se reposer. Le canon de Sinnamari avait tonné pour annoncer leur évasion. Le citoyen Jeannet apprit vite où ils s’étaient réfugiés et réclama leur extradition. Il fallait fuir encore. Les six derniers déportés, – les autres étaient morts ou gravement malades, – atteignirent Demerary. Le 17 juillet, ils n’étaient plus que quatre : Pichegru, Ramel, Dassouville et de la Rue, qui s’embarquaient sur la Grue, corvette anglaise en partance pour Londres. Le voyage, évidemment, ne ressemblait en rien à celui de l’année précédente : il fut affreux tout de même. Ramel, atteint de la fièvre jaune, dut être transporté à bord de la frégate l’Aimable, qui mit soixante-quatre jours à traverser l’Atlantique, bouleversé par la tempête. Cependant, quand il débarqua, il ne se laissa pas circonvenir par les offres qui lui étaient adressées. Son énergie ne l’avait nullement abandonné. - Je ne veux épouser d’autre cause, dit-il, que celle de l’indépendance nationale et n’aurai jamais d’autres compagnons d’armes que des Français armés pour la liberté de leur patrie. Ne lui dénions pas le mérite qu’il avait à parler ainsi. Quand il arriva à Hambourg, il apprit qu’il figurait sur la liste des émigrés. Comment pourrait-il jamais rentrer en France ? Le 18 brumaire n’allait pas tarder à le lui permettre. On le revit à Cahors. Néanmoins sa situation demeurait précaire. Aux yeux du premier consul, il apparaissait comme le fidèle de Moreau et de Pichegru : deux patrons dont il ne fallait guère se réclamer à ce moment-là. Désormais, quoi qu’en aient pensé par la suite les royalistes toulousains, il est réellement persécuté par Napoléon. Tout d’abord, on ne l’admet qu’à jouir du traitement de réforme ; on l’expédie comme chef de bataillon à Saint-Domingue, où il est blessé dans les combats autour de Port-au-Prince ; on le claquemure à Périgueux ; en 1805, on l’envoie en Italie, notamment à Rome, où deux personnes le dédommagèrent un peu de ses malheurs : le Saint Père d’abord, qui lui donna un chapelet de pierre de lune monté en argent, et la belle Diosi, sculpturale danseuse qui s’attacha à sa fortune. Mais l’adversité reprit bientôt ses droits. A peine avait-il été désigné pour l’armée d’Espagne et s’était-il fait remarquer en Catalogne qu’il fut renvoyé pour ne pas offusquer Augereau, nommé commandant en chef. Voilà Ramel en Allemagne (1809), puis en Portugal, où il se distingue à la prise d’Astorga. Il erre de place en place, sans recevoir guère d’avancement. Il finit par tomber malade. On ne lui accorde ni démission, ni retraite, ni mise en réforme. Il moisit à Rouen, comme chef d’état-major. Comment douter, dans de pareilles conditions, qu’un tel homme ait salué avec quelque espérance un changement de régime ? De son château de Pradines, aux environs de Cahors, il écrivit, le 16 mai 1814, au ministre de la Guerre : « Rentré dans mes foyers depuis un mois, j’ai eu l’honneur d’en informer Votre Excellence et de lui faire parvenir mon adhésion et l’expression de tous mes sentiments d’allégresse pour l’heureux événement qui a rendu à la France son roi légitime. « … Ma santé est rétablie. Sa Majesté le roi peut disposer entièrement de ma personne. » En réalité, si l’on jetait un voile sur ses premiers exploits, il pouvait, mieux que bien d’autres, faire figure de royaliste : son attitude en fructidor, ses souffrances à la Guyane, sa disgrâce sous l’Empire lui créaient des titres aux yeux du gouvernement de Louis XVIII. Toutefois le roi ne se hâta nullement. Le 25 novembre, il lui accorda le titre de maréchal de camp, mais le maintint en non-activité avec demi-solde. Le général Ramel demeura donc en Quercy sans se mêler aux événements de la première Restauration et des Cent-Jours. Il était de ces hommes malchanceux, peut-être par leur faute, sur lesquels nul régime ne croit pouvoir s’appuyer. Chose curieuse, après ses avances à la royauté, ce fut l’empire qui vint encore le chercher, au fond de sa retraite morose de Pradines, où il lui avait laissé son titre de maréchal de camp. Le 20 juin, 1815, deux jours après Waterloo, dont il ignorait encore tout naturellement la catastrophe, Jean-Pierre Ramel reçut la copie d’un ordre du ministre de la Guerre, le maréchal Davout, qui le nommait au commandement du département de la Haute-Garonne, sous l’autorité du général Decaen, chef de l’armée des Pyrénées. Par un nouveau guignon, il arriva donc dans la cité royaliste, le 29 juin, comme un mandataire de Napoléon, à l’heure même où déjà filtraient des bruits de défaite et où s’inaugurait la plus violente réaction contre le régime impérial. La situation était extrêmement scabreuse. Il fallait s’y accommoder sans rien brusquer. Le général maintint l’ordre public et essaya de prendre le vent. Napoléon déchu pour la seconde fois, il ne devait plus hésiter à se montrer franchement royaliste. Il le fut sans ménagements. Le 21 juillet, une extinction de voix l’ayant empêché de faire entendre son discours devant le buste de Louis XVIII, dans la salle des Illustres, il en fit publier par les journaux les phrases enflammées. Cette déclaration solennelle ne lui paraissant pas encore suffisante, il fit insérer dans le Journal de Toulouse une curieux lettre, où, sous le couvert de l’anonymat, il entreprenait sa propre apologie. Ce texte est des plus curieux. Le voici : Un grand nombre d’habitants de cette ville, qui, dans un temps où les mesures les plus arbitraires étaient légitimes, ont dû la liberté et la sûreté de leurs personnes à la bienfaisante administration du maréchal de camp Ramel, commandant le département de la Haute-Garonne, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, vous invitent à signaler les services importants d’un homme qui a mérité la confiance publique et qui est digne de toute notre reconnaissance. Tout le monde sait que M. Ramel, président du Comité de police spéciale, a, du jour de son arrivée, paralysé par sa modération et la bonté connue de son caractère toutes les mesures prises jusqu’alors contre un grand nombre de citoyens et fait ouvrir les portes de toutes les prisons à ceux qui s’y trouvaient détenus pour leurs opinions politiques. Il a concilié tous les esprits et les a préparés par degrés et dans le calme à l’heureux changement dont il a le premier donné le signal. La lettre, naïvement, concluait ainsi : Comme ces faits peuvent n’être pas connus de tout le monde, je vous prie de donner à ma lettre toute la publicité convenable. J’ai l’honneur d’être, etc. UN DE VOS ABONNÉS. Le maréchal de camp essayait donc de parer tous les coups qui pouvaient l’atteindre. Quelques jours après, il communiquait à la presse une lettre d’Augereau, datée du 19 fructidor an XII, où son ancien ennemi déclarait que Ramel avait fait son devoir en défendant le Corps législatif. « Cent baïonnettes étaient prêtes à le percer, disait-il ; je lui ai sauvé la vie. » « Il importe à ma tranquillité, ajoutait le général, que cette attestation soit connue et que chacun soit fixé sur ma conduite à l’époque du 18 fructidor… » Tant de démarches ne devaient-elles pas porter leur fruit ? Existait-il donc à Toulouse un tel état d’esprit que nul ancien serviteur de l’empire ne pût s’y croire en sûreté ? Le commandant de la place semblait-il le penser, car, en même temps qu’il s’efforçait de se disculper ainsi, il demandait tout simplement à Gouvion-Saint-Cyr d’être relevé de ses fonctions : « J’étais content, lui écrivait-il. Je n’ambitionnais aucun commandement. Depuis le retour de Bonaparte, je n’ai rien juré ni promis. Enfin, après trente-deux ans de service, une conduite irréprochable, je ne sollicite que de rentrer chez moi, pour y jouir des bienfaits de la paix. « Personne n’a été plus que moi dévoué à Sa Majesté. Je laisse à la ville de Toulouse le soin de rendre compte du zèle que j’ai mis à concilier tous les esprits et à préparer l’heureux changement, dont j’ai, le premier, donné le signal. » C’est exactement la même formule que celle employée par le mystérieux abonné du Journal de Toulouse ! Le 3 août, le ministre de la Guerre fit droit à cette demande et autorisa le général à rentrer dans ses foyers. Nous savons déjà, par ce qui précède, qu’il avait changé d’avis. « J’en appelle, répondit-il, au témoignage des habitants du département de la Haute-Garonne. Son Altesse Royale a bien voulu apprécier ce que j’ai fait. Bonaparte avait abdiqué depuis onze jours lorsque j’ai repris du service. Je n’ai rien fait que pour le roi, et mon dévouement pour son auguste famille est assez connu depuis de longues années. » Que s’était-il donc passé dans l’intervalle ? Ramel croyait-il sincèrement avoir pacifié la ville ? L’accueil bienveillant du duc d’Angoulême lui avait-il fait espérer de couronner plus brillamment sa carrière ? Ou bien, tout simplement, Mlle Diosi répugnait-elle à quitter Toulouse ? On peut tout supposer. Cependant la situation n’allait pas tarder à s’aggraver. Le 8 août, pendant une revue, la compagnie des Verdets se présenta au maréchal Pérignon et lui demanda une solde, des armes et le droit de défiler comme une troupe régulière. Le commandant de la dixième division n’entendait pas de cette oreille. Il refusa tout net. Il donna même l’ordre de disperser ces gens-là et de ne les employer à aucun service. Le lendemain, les chefs de la même compagnie vinrent trouver Ramel et lui présentèrent leurs desiderata. Le général, qui avait déjà reçu la mission de licencier les bandes secrètes, les reçut assez mal. - Si vous voulez une solde et des armes, répliqua-t-il, c’est bien simple. Engagez-vous dans le régiment de Marie-Thérèse, qui est actuellement en formation. Voilà tout ce que je puis vous dire. Les Verdets sortirent, furieux. Ils emplirent la ville de leurs criailleries. - C’est lui qui a dicté sa conduite au maréchal, disaient-ils. Nous saurons nous venger. Il n’y avait pas là de vaines menaces. Et M. de Rémusat écrivait au Ministère : « Les factions blanches et vertes ne pardonnent pas au général Ramel de refuser des subsides aux compagnies secrètes. » Le 14 août, dans la soirée, une cinquantaine d’hommes, armés ostensiblement de bâtons, mais, disent les documents contemporains, « cachant des armes plus meurtrières sous leurs blouses ou leurs lévites », se dirigèrent vers la place des Carmes en chantant :
Les Berdets, toutjoun
zelats,
Des gats emprounton la bisto ; Per gouba les Federats Neit e joun soun à la pisto…(4) Devant l’hôtel de Ramel régnait la plus grande agitation. Cette demeure triste et grise, qui, aujourd’hui même, somnole dans un paisible quartier seulement éveillé par le marché matinal, était entourée alors, chaque soir, d’une véritable foule. On dansait toujours sur la place, centre du vieux Toulouse. Quand on s’arrêtait de danser, on entonnait à pleine voix « les airs chéris des Français ». L’arrivée des Verdets fut acclamée. Obéissant au commandement, ils se rangèrent en face de l’hôtel du général et crièrent avec ensemble : - A bas Ramel ! Vive le roi ! A mort ! A mort ! entrecoupant leurs clameurs de la complainte qu’avait composée pour eux le matelassier Marmont :
Aro l’aben retroubat
Le rei que tant desiraban ! Aro l’aben retroubat Nostre rei tant desirat ! (5) Le maréchal de camp, objet de leur haine, n’était pas encore rentré de chez Mlle Diosi. Une patrouille à cheval finit par disperser la manifestation, et, quand Ramel revint, il apprit ces incidents sans le moindre trouble. Il avait affronté d’autres dangers. Cependant, dès le lendemain, avant la grand’-messe, il écrivit une lettre à M. de Rémusat pour le prier de signaler à M. le procureur du roi les troubles de la veille et lui demander d’exercer des poursuites ; il lui manifestait en même temps son intention de sévir personnellement au cas de récidive. « Fort de ma conscience et de l’approbation des honnêtes gens, écrivait-il, je continuerai à faire mon devoir. » Il achevait de rédiger cette plainte, quand on lui annonça le colonel Ricard, commandant la garde urbaine. Celui-ci était fort soucieux. - Mon général, dit-il, je ne puis vous dissimuler ce qui se trame contre vous. Des rumeurs qui me sont parvenues, il résulte qu’on en veut à votre vie. Vous avez annoncé le dessein d’aller passer une semaine à Cahors. Partez, mon général ! N’attendez pas davantage. Croyez-moi : il y va de vos jours. Ramel eut un haut-le-corps. - Vos craintes sont exagérées, colonel. Au fond, la population est pour moi. Elle connaît ma conduite et les services que je lui ai rendus. Au milieu d’elle je ne cours aucun danger. - Une absence de quelques jours… - Non, j’aurais l’air de me dérober. Je quitterai Toulouse, mais je suis résolu à ne partir que lorsque les compagnies secrètes auront été licenciées. - C’est une tâche bien difficile, ici, en ce moment. L’opinion est surexcitée, et je vous avoue que je redoute fort un mouvement populaire. Le maréchal de camp eut un sourire ironique : - Je connais le peuple, colonel. Les révolutions m’ont appris à ne pas le craindre. On va voir qu’il se trompait.
CHAPITRE III
LE DRAME DE LA PLACE DES CARMES. Ce beau soir de l’Assomption, le général Jean-Pierre Ramel avait agréablement dîné chez Mlle Diosi, qui demeurait dans une riche maison de briques rouges, à l’ombre de l’inégal et massif clocher de la cathédrale Saint-Étienne. Il faisait jour encore, quand il se leva de table et passa au salon, où deux de ses amis l’attendaient : MM. Soulié, sous-inspecteur des revues en retraite, et Forestier, maréchal de camp. Ces derniers se montraient inquiets. Ils venaient de la place des Carmes qui, déjà, était noire de monde. On commençait à y danser. Les cafés regorgeaient de consommateurs. On chantait, on criait. - Hé bien, après ? ils s’amusent, c’est jour de fête, dit le général. - Non, non, répliquait Soulié, cette affluence n’est pas naturelle. Tous les Verdets sont là et, de plus, une foule de curieux attirés par leur tambour, qui a battu le rappel dans tous les quartiers. - Le rappel ? Et on les a laissés faire ? - Oh ! trois coups de baguette discrets, par intervalle. Je l’ai entendu. Cela ne fait pas beaucoup de bruit, mais cela suffit. Ramel appela son secrétaire : - Joly, vous allez vous rendre à la place des Carmes. Vous inspecterez le poste. Qu’il soit prêt à intervenir en cas d’incident. A peine Joly était-il parti que l’on introduisait Dupeyrat, le fidèle ordonnance du commandant de place. - Ah ! mon général, s’écria-t-il, tout cela prend une mauvaise mine ! On recommence comme hier au soir. Il y a une troupe d’ivrognes qui boivent de l’eau-de-vie à force, au café Dubac, à côté de votre hôtel. Ils hurlent à mort contre vous. On dit que ce sont les habitués de la cave des Minimes… D’autres ont formé un rassemblement devant la maison. - Mais que font-ils ? Le soldat hésita un instant : - Hé bien, ils crient : « A bas Ramel ! » - J’y vais, dit le général en se levant. On l’entoura. Mlle Diosi, Soulié, Forestier voulaient l’empêcher de sortir. Il les repoussa doucement. Allons donc ! Quand avait-il reculé ? Il était debout, en grande tenue, culotte blanche, habit brodé d’or, sabre au côté. Il prit son chapeau à plumes. Très calme, il franchit la porte. Ses amis le suivirent. La soirée était magnifique. Des enfants jouaient sur les portes. Des vols de martinets zigzaguaient avec des cris aigus. Cependant, en approchant de la place des Carmes, la ville prenait un autre aspect. Des gens circulaient, de plus en plus nombreux, d’un air inquiet, jetaient des regards soupçonneux aux uniformes. Rue des Chapeliers, on rencontre Joly, tout hors d’haleine. - Ah ! mon général, n’allez pas plus avant ! - Pourquoi cela ? Le poste… - Il n’y a plus de poste. Des douze hommes qu’il devait comprendre, il ne reste que deux. - Les autres ? - Les autres ont été occupés à conduire au Capitole deux soldats qui avaient crié : « Vive l’Empereur ! » à la taverne Adher. - Dans ma propre maison ! - Hé oui, au rez-de-chaussée. La figure de Ramel se rembrunit. Voilà qui allait enfoncer davantage dans les esprits cette calomnie qu’il cachait des fédérés dans son hôtel. Mais il ne reculerait pas. Il déboucha dans la foule qui débordait de la place dans les rues adjacentes. Son costume étincelant, sa haute taille le désignèrent tout de suite. On n’osa pas l’arrêter. Un vol de gamins en observation s’égailla aussitôt vers le café Lubac, en piaillant : - Aro, cal béni ! (6) Un flot de populace sortit des maisons et cria. Alors, le général s’avança au milieu de la place et dit d’une voix forte : - Voici Ramel ! Que lui voulez-vous ? Une clameur répondit : - Vive le roi ! - Je suis aussi royaliste que vous, répliqua-t-il. Vive le roi ! Et il continua à marcher d’un pas ferme vers son hôtel. C’était là que les Verdets l’attendaient. En l’apercevant, ils hurlèrent : - A bas Ramel ! A mort Ramel ! Les sabres sortent des blouses. On bouscule le commandant de place, qui dégaine. Et comme il lutte contre les furieux qui cherchent à le désarmer, il crie à la sentinelle qui garde sa porte : - Faites votre devoir ! Défendez votre général ! Le soldat n’a même pas le temps de croiser la baïonnette. Frappé de plusieurs coups, il tombe blessé mortellement. Presque simultanément, on entend une détonation et ce cri de Ramel : - Ah ! mon Dieu, je suis mort ! Soulié, à mon secours ! Un coup de pistolet, tiré par un inconnu, l’a blessé à la main et lui a logé une balle dans le bas-ventre. Il s’affaisse dans les bras de ses amis, qui l’entraînent dans l’hôtel, et barricadent le portail. L’irréparable a eu lieu. Jusque-là, de quoi s’agit-il ? D’une bagarre déplorable, que peut-être on aurait réussi à empêcher avec beaucoup de précautions, mais qui aurait pu se produire quand même, en des temps aussi troublés. Des ivrognes, une arme à feu que décharge un individu peut-être énervé ou affolé, et l’événement a lieu. Ce n’est encore qu’un cas fortuit. Maintenant le véritable drame va commencer. Le tavernier Adher refuse de recevoir le blessé. Cet homme est tellement terrorisé que son épouvante gagne les amis du général. M. Soulié s’enfuit à la cave. Les autres errent dans l’immeuble, cherchant les moyens de se tirer de ce guêpier. Au dehors, on entend la foule qui houspille les deux soldats du poste et menace de leur faire un mauvais parti. Seul, le brave Dupeyrat demeure fidèle à son maître. Il l’aide à gravir l’étage qui le mène à son appartement, tandis que chaque marche s’étoile de larges taches de sang. Il le soutient jusqu’à un canapé où le malheureux général s’étend en proie à des souffrances atroces, et il réussit, en franchissant un mur de clôture, à sortir par la rue Pharaon, pour aller chercher un chirurgien. Ramel est seul, absolument seul. Il se traîne jusqu’à son lit, y reprend quelques forces. Il attend. Sur la place, l’émeute gronde toujours, ébranle le portail. Il frémit à la pensée que ses bourreaux vont pénétrer dans l’hôtel pour venir l’achever. Cette crainte le galvanise. Il ne veut pas rester dans son appartement. Il se relève et, d’un effort héroïque, monte au second étage. Il sonne, il frappe à la porte de son co-locataire, M. Boyssou de Fontarget. Celui-ci, claquant des dents, les yeux hagards, finit par ouvrir. Qu’on imagine la scène. - Non, général, je ne puis vous recevoir… Ils me tueraient ! - Vous voulez donc me laisser écharper ? - Je ne vous sauverais pas et je serais leur victime ! Non, n’entrez pas ! - Mais alors, que vais-je devenir ? Où me cacher ? - Pouvez-vous grimper jusqu’au galetas ? Un tableau de cauchemar. Deux hommes livides, titubant l’un de terreur, l’autre de souffrance, gagnent les combles de la maison. A la vague lueur du clair de lune, M. de Fontarget ouvre une lucarne. - Pourquoi ne monteriez-vous pas sur le toit ? Ramel essaie, mais vainement. Son grand corps, frappé mortellement, n’obéit plus à sa volonté. Son compagnon n’a ni la force ni la présence d’esprit nécessaires pour l’aider utilement. A la suite d’un élan plus épuisant que les autres, le général glisse, abandonne la chatière, roule sur le plancher, la tête contre une cheminée. - Ah ! ma foi ! qu’il reste là ! se dit M. de Fontarget. J’ai fait ce que j’ai pu. Et, tremblant de tous ses membres, il redescend se verrouiller chez lui. … Cependant, malgré l’incertitude et l’énervement qui régnaient à Toulouse dans tous les services depuis la chute de Napoléon, les autorités avaient fini par être averties des désordres dont la place des Carmes était le théâtre. On disait qu’au cours d’une bagarre le général Ramel et un autre soldat avaient été tués. Cette nouvelle fut accueillie avec des sentiments contradictoires. M. de Rémusat, qui y vit un sanglant avertissement, se contenta de s’enfermer plus sûrement dans son hôtel de la place Saint-Étienne ; le maréchal Pérignon alerta aussitôt les troupes et commanda son escorte : mais il se garda de se montrer. Il savait bien quelle était contre lui l’animosité des Verdets et il n’avait aucune envie de continuer à se compromettre en faisant encore cause commune avec Ramel. Quant à M. de Villèle, qui était un fort honnête homme, on ne peut pas dire qu’il eût une grande sympathie pour l’ancien adjudant-major des gardes nationaux du Lot. Il aurait volontiers dit ce que, cinquante ans plus tard, l’impératrice Eugénie enseignait au prince Impérial. - Maman, demandait l’enfant, quelle différence y a-t-il entre un accident et un malheur ? - C’est bien simple : ton oncle Jérôme tombe à l’eau, c’est un accident ; on le repêche, c’est un malheur. Pour savoir exactement ce qu’il en était, le commissaire Glassier fut envoyé à l’hôtel de la place des Carmes. Il frappa et se fit ouvrir au nom du roi. Démarche parfaitement licite, mais qui n’aurait dû être exécutée qu’après l’évacuation des alentours. Faute de cette précaution, des Verdets se glissèrent à la suite du policier ; d’autres, passant par la boutique du coiffeur Robineau, pénétrèrent dans la cour. Ce fut donc accompagné d’une étrange et dangereuse escorte que Glassier se mit en devoir de se renseigner. D’abord, il ne rencontra personne. L’appartement du premier étage était vide. Les Secrets commencèrent à en saccager le mobilier à coups de sabre, tandis que le commissaire continuait ses investigations. Il monta jusqu’en haut et finit par découvrir le général, toujours couché dans le galetas et geignant. Aidé de deux ou trois factieux, qui se contentèrent d’insulter le malheureux, mais n’osèrent pas l’achever, il fit descendre le blessé jusqu’au deuxième étage. Là, les huées éclatèrent, et le crime allait être consommé, lorsque, enfin, des hommes courageux s’interposèrent : le colonel Ricard et le capitaine Robert, de la garde urbaine, et l’inspecteur Soulié, revenu de sa frayeur et remonté de sa cave. Ils expulsèrent les émeutiers et installèrent le général en sécurité, dans l’appartement de M. de Fontarget. Il était environ neuf heures du soir. Malgré la mauvaise volonté du général Barbot, chef d’état-major, convaincu que la Garde nationale ne voudrait pas marcher, un certain nombre de troupes avaient fini par arriver. On les avait rangées en ligne de bataille face à la rue du Griffon-d’Or, après que deux détachements de gardes à cheval, sous le commandement de MM. de Fajac, de Quinquiry d’Olive et de Cantalauze eurent nettoyé la place des Carmes du plus grand nombre des badauds. Il y avait là, maintenant, trois cents hommes du régiment de Marie-Thérèse, avec les commandants de Bouscatel et Barthélemy de la Plane, presque toute la garde urbaine, avec le capitaine d’Aguilar. Une fois les troupes disposées, la plupart de ces messieurs, auxquels se joignirent MM. de Laroche-Fontenilles, de Castellane, de Lavalette, l’adjudant-major Belin, le chirurgien Flottard, se dirigèrent vers l’hôtel du général ; ils eurent toutes les peines du monde à se dépêtrer d’une troupe de forcenés qui s’efforçaient de les circonvenir. - Messieurs, ce Ramel est un bandit ! Il a ordonné à la sentinelle de tirer sur le peuple ! - C’est lui qui l’a tuée, parce qu’elle n’obéissait pas assez promptement ! - Mais il a été blessé à mort ? - Oui, d’une balle qu’il destinait à la foule ! - Messieurs, il a voulu me tuer ! criait le chapelier Daussonne en montrant sa face ensanglantée. - Voyez mes blessures ! hurlait le sellier Guillardin, qui avait été quelque peu houspillé dans la bagarre. Les officiers finirent par écarter ces avinés et montèrent chez M. de Fontarget. Dès que le blessé les aperçut, il s’écria : - Achevez-moi, de grâce, achevez-moi… Voyez dans quel état ils m’ont mis… Et pourtant, je suis un bon royaliste… Les Toulousains le sauront trop tard ! Les officiers, émus, s’empressèrent autour de lui, l’interrogèrent. Ils lui exposèrent la version qui circulait dans le public. - Tout cela est faux, gémissait le général. J’ai dit seulement à la sentinelle de faire son devoir. Et, pour éviter tout malheur, j’avais donné l’ordre qu’on ne distribuât pas de cartouches aux hommes de garde… C’est de cela que ce pauvre garçon a été victime ! Le calme semblait un peu renaître. On redescendit Ramel, avec précaution, dans son appartement et l’on organisa un service de garde : une sentinelle derrière le portail, une autre à la lucarne du toit, deux devant l’appartement de M. de Fontarget, avec la consigne de tirer sur lui s’il faisait mine de bouger, ce dont le pauvre homme n’avait guère envie. Flottard examina le général. Son état était grave. La balle qui l’avait atteint était allée se loger dans la vessie. On essaierait de tenter une opération. Pour cela, le chirurgien partit pour chercher une sonde. Chacun, fort attristé, semblait disposé à tout faire pour réparer, dans la mesure du possible, l’inqualifiable agression dont Ramel venait d’être victime. Malheureusement, s’il en était ainsi à l’intérieur de l’hôtel, l’émeute continuait sur la place des Carmes. Encouragés par l’attitude passive des troupes, que leurs chefs avaient eu le tort de laisser sans ordres précis, les Verdets peu à peu s’étaient infiltrés à travers les rangs et reprenaient leurs manifestations hostiles. Ils vociféraient des menaces, heurtaient au portail. Les officiers, inquiets de l’absence du maréchal Pérignon, n’osaient pas intervenir. L’un d’eux ne sut que se pencher à une fenêtre et leur crier : - Taisez-vous donc ! Le général est mourant ! Il n’a que quelques instants à vivre ! - Nous le voulons, mort ou vif ! Jetez-le nous par la fenêtre ! répondirent ces enragés. Le phénomène bien connu de toutes les journées de désordre se produisait. L’entrée en scène de la force armée n’ayant pas réussi à disperser les factieux, ceux-ci reprenaient toute leur audace. Ils allaient se trouver naturellement les maîtres de la situation. Les officiers, abandonnés à eux-mêmes et partageant secrètement les opinions des émeutiers, se sentaient désemparés. Les plus clairvoyants, parmi lesquels M. de Cantalauze, ne se gênèrent pas pour dire : - Nous ne pouvons pas rester ici avec cette attitude ; nous avons l’air de protéger un assassinat. Et, remontant à cheval, ils partirent en patrouille, pour faire régner la tranquillité, au moins dans les autres quartiers. Certains, comme M. Quinquiry d’Olive, sollicitèrent des ordres pour aller monter la garde ailleurs. Ceux qui restaient allaient et venaient dans l’hôtel, préférant demeurer séparés de leurs hommes, pour éviter les responsabilités du commandement. Ils s’interrogeaient : - Mais le maréchal ? Savez-vous ce que fait le maréchal ? - Le capitaine de Villefort l’attend sous ses fenêtres à la tête de son escorte. Il va venir sans doute. - Qu’il se hâte ! En effet, il eût agi sagement, car des coups sourds recommençaient à ébranler le portail. Que se passait-il ? Un des Secrets, le nommé Verdier, dit Port-de-Guy, avait découvert, le long des murs de la place, une énorme poutre provenant des démolitions des Grands-Carmes. Le bâtiment principal du couvent, en effet, était jadis relié aux annexes par des ponts en briques formant voûte, avec des toitures en charpente. C’est un des madriers de ces constructions qui gisait par là et que l’on transformait en bélier. Dans l’intérieur, il y eut un instant d’affolement. L’adjudant-major Belin apostropha un peu durement M. de Castellane. - Enfin, monsieur, pourquoi ne rétablissez-vous pas l’ordre, vous qui avez des troupes sous votre commandement ? - Que voulez-vous que je fasse ? répondit l’autre. Voulez-vous que j’aille m’exposer au milieu de ces factieux ? Les coups redoublaient. Même l’asile que les officiers avaient cherché auprès du général n’était plus sûr. La plupart commencèrent à s’esquiver. MM. de Lavalette, de Fontenilles, d’autres encore, avaient découvert une échelle, l’avaient appliquée contre le mur de clôture de la cour et passaient chez Robineau. M. Belin courut à leurs trousses. - Messieurs ! Messieurs ! Serait-il possible que vous abandonniez votre poste, que vous laissiez accomplir un nouveau crime ? Il les objurgua passionnément, les ramena sur la place des Carmes. A leur tour, ils s’efforcèrent de calmer les Verdets, les obligèrent à déposer leur bélier. Port-de-Guy fulminait. Ce fut une discussion longue et pénible, qui se prolongea jusque vers dix heures du soir. A la fin, les officiers crurent que leur persuasive éloquence avait mieux réussi que les baïonnettes de leurs hommes. Tout sembla s’apaiser. Sous l’implacable nuit d’août, grouillante d’étoiles, les émeutiers semblèrent se disperser. On put espérer que Ramel aurait la permission de mourir en paix. Soudain, un homme déboucha par la rue des Filatiers, en criant : - On se bat place d’Assézat ! Moment d’affolement. Le commandant de Bouscatel forme un détachement et, sans prendre le temps de se renseigner, l’expédie au point indiqué, sous les ordres de l’adjudant-major Belin et du lieutenant de gendarmerie Gelas. En présence de ce départ, obtenu par leur stratagème, les Verdets reprennent leur poutre et s’en servent avec acharnement. Cependant, il reste encore cinq cents hommes sur la place des Carmes ! Mais ils sont les complices secrets de l’émeute. Ils ne bougent pas. Leurs officiers se promènent de long en large, les mains derrière le dos. C’est vraiment une des scènes les plus honteuses de l’histoire. Tâchons de revoir cela : deux compagnies l’arme au pied ; leurs chefs qui les abandonnent et se promènent dans l’ombre ; et une troupe de forcenés qui vaquent sans entrave à leur besogne d’assassinat. Dans l’hôtel, on tremblait. Les deux seuls officiers qui y fussent restés, MM. de Ruhle et de Fajac, ne se souciant pas d’être trouvés aux côtés de Ramel, se réfugient l’un au galetas, l’autre au rez-de-chaussée. Pendant ce temps, on enfonce la porte. Une tourbe hurlante se précipite dans le vestibule et la cage d’escalier. Ramel les voit entrer dans sa chambre, pareils, dans leur sanguinaire fureur, aux gardes nationaux qui, vingt ans en deçà, apportaient à M. de Belleud la tête sanglante de son frère ; il essaie péniblement de se soulever, de parer le premier coup de sabre que lui porte Guillaume Daussonne ; un second l’atteint au visage et lui arrache à moitié un œil. Jonquières, François Carrière, le Penjat et bien d’autres se bousculent autour du lit et frappent avec une telle rage qu’ils se blessent entre eux. Le général est littéralement haché, et son lit, rouge de sang, a l’aspect d’un étal. Dans la chambre, à peine éclairée, une danse de sauvages : les uns prennent la montre de la victime, d’autres ses épaulettes et les glands d’or de son chapeau. Puis, ils s’en vont. Mais le dernier, avant de sortir, croit entendre Ramel pousser un soupir ; il revient sur ses pas et le frappe encore. Toute la troupe descend en hurlant : - Je lui ai porté le premier coup ! - Non, c’est moi ! - Je l’ai sabré plus de vingt fois ! Les voici sur la place, brandissant leurs armes. Personne ne bouge. Personne ne proteste. Seul, M. Belin, revenant de la place d’Assézat, où il n’avait constaté aucun désordre, se précipite vers MM. de Castellane et de Lavalette et leur montre les assassins. - Arrêtez donc ces bandits ! Écoutez-les ! Ils avouent leur crime ! - Hé oui, c’est abominable… Mais que voulez-vous ? Nous n’y pouvons rien ! Prenez garde ! Et comme l’adjudant-major veut s’élancer, ils l’entourent, le font taire, l’entraînent avec eux. C’est alors, au moment où tout était consommé, vers onze heures et demie du soir, que l’on entendit sur les pavés le trot de l’escorte du maréchal. M. de Villèle l’accompagnait. Les officiers se précipitèrent au-devant de lui, lui annoncèrent que le général Ramel était mort. Le vieux Pérignon, très sombre, mais satisfait, en somme, que l’émeute en eût atteint un autre, vit d’un coup d’œil qu’il n’y avait plus de risque à courir. Les Verdets étaient partis, criant et chantant par la ville pour se vanter de leur exploit. - Faites évacuer la place ! ordonna-t-il d’un ton rude. La chose était simple. Il ne restait presque plus personne. Le vaste quadrilatère s’étala bientôt, vide et noir. Alors le maréchal tourna bride et, sans même descendre de cheval, repartit pour son hôtel. Là, avant de se coucher, il désigna le maréchal de camp de Pressac pour remplacer le général Ramel « hors d’état de continuer ses fonctions pour cause de maladie », et il en avertit le ministre de la Guerre. Tout était en règle. Il pouvait aller dormir du sommeil du juste. Dans l’hôtel, après le départ des assassins, M. de Fajac était timidement remonté, en compagnie de M. Flottard. Chose incroyable, le massacré respirait encore. - Qu’ai-je fait aux Toulousains ? gémit-il. Je n’ai rien à me reprocher… Je meurs victime d’une cruelle vengeance… Le roi a su apprécier ma conduite depuis plus de dix-huit mois… Les Toulousains me connaîtront… Mais il ne sera plus temps… Il se trouvait dans un état épouvantable. Son crâne avait été atteint en deux endroits. Le maxillaire de sa joue gauche était brisé, le nez détaché, avec des morceaux d’os, le bras droit fracturé à l’épaule et à l’avant-bras, le bras gauche brisé en cinq endroits, les mains hachées, les doigts coupés. Il portait encore des coups de pointe dans la poitrine et dans le dos. Autour de lui, le matelas montrait la trace de vingt autres coups de sabre. Le chirurgien s’activa à panser le général. Sa robuste constitution résistait à tant d’atroces blessures. Il devait agoniser encore pendant deux jours, sans que nulle des autorités constituées osât paraître à son chevet ! Seul, un prêtre, l’abbé Alquié, et un magistrat, M. le juge de paix Cassagne, firent leur devoir. Le premier, prévenu par le soldat Thouriès, n’hésita pas à venir apporter au moribond les derniers sacrements, malgré les menaces dont il fut l’objet. Le second, assisté du commissaire Glassier, vint recueillir les déclarations et la plainte de la victime. Avec une singulière grandeur d’âme, Ramel se renferma dans une attitude stoïque. Il refusa de laisser constater ses blessures et de donner les noms de ses agresseurs. - Cependant, objecta M. Cassagne, l’intérêt de la justice… - Non, monsieur, je ne veux ni recherches ni poursuites. Je pardonne à tout le monde et je demande à tous de me pardonner aussi… Le juge de paix de l’arrondissement ne put que rendre compte au Parquet de sa démarche infructueuse. Celui-ci expédia alors à la rescousse M. Boubée, juge d’instruction. Ce dernier fut-il plus habile ? La victime était-elle plus affaiblie et aussi moins soutenue par la grâce des sacrements ? Toujours est-il qu’elle laissa échapper deux noms : le fils de Savy-Gardeilh et un certain Girou ou Rigaud : il articulait, comme on le devine, avec beaucoup de peine. Il expira, tandis que l’on placardait sur les murs cette proclamation du maire :
HABITANTS DE LA VILLE DE TOULOUSE,
C’est avec l’assurance que donne une cause sans tache que je vous adressai mon dernier avis ; c’est le cœur navré de douleur que je me vois obligé de vous parler aujourd’hui. Toutes les circonstances des événements de la nuit dernière vous seront connues, et vous gémirez vous-mêmes sur leur suite déplorable. Les autorités ont fait tout ce qui dépendait d’elles ; on ne pouvait prévenir ce qui ne pouvait être prévu, on ne pouvait calmer des esprits trop enflammés pour écouter la voix de leur propre intérêt et de la raison… Plus de mouvements populaires, plus de réunions dangereuses ! S’il s’en formait encore, que tous les hommes honnêtes, que tous les vrais amis de leur roi et de leur pays se rallient autour de l’autorité, et bientôt vous lui verrez prendre cet empire sans lequel aucun de vous ne peut plus compter sur sa conversation et sur celle de tout ce qu’il a de plus cher ! En fait, on s’efforça de dissimuler au public l’affreuse réalité du massacre. Le Journal de Toulouse se contenta de publier la petite note ci-après : Un événement affligeant a eu lieu dans la soirée de mardi dernier, 15 août. M. le maréchal de camp Ramel, commandant du département, et un volontaire royal ont été victimes d’un mouvement populaire dont il nous a été impossible de connaître encore les véritables causes et les circonstances. Les versions qui ont circulé jusqu’à ce jour sont si multipliées et si contradictoires que nous avons préféré attendre les rapports officiels que l’autorité publiera, plutôt que de nous exposer à préciser des détails qui pourraient être erronés. On voit que ce n’était pas exagéré comme regrets. La place ne manquait pas pourtant : on préférait publier une fable de Nestor de Lamarque : La Tourterelle et la Pie : Un tourtereau venait de perdre son amie… Et, à cette perte, le Journal de Toulouse accordait plus d’importance qu’à celle du malheureux général ! Le seul rapport officiel fut fourni par le maréchal Pérignon, mais il donnait peu d’explications. Après avoir raconté l’affaire de manière à dégager sa responsabilité, il ajoutait : « Il n’est pas possible de concevoir d’où ont pu provenir de si violents excès ; Ramel était reconnu généralement dans Toulouse pour s’être conduit d’une manière digne d’éloges. Il a rétabli l’Étendard des Lys. Il avait préparé et hâté cet heureux moment qui comblait le vœu des Toulousains, presque en totalité dévoués au roi et à son Auguste Maison, au delà de toute expression. Si, dans ce moment cruel, nous avions eu des troupes régulières et solides, je crois que nous aurions tout évité. » Le commandant de la dixième division notait enfin que le maréchal de camp défunt avait été enseveli le 18 août « avec les honneurs funèbres dus à son rang ». Ce ne fut pas, en effet, un des côtés les moins surprenants de cette invraisemblable histoire que de voir honorer de funérailles aussi solennelles un homme qui venait d’être massacré avec la complicité tacite de presque toute la ville ! « Tout s’est passé avec calme et décence, notait Pérignon, quoique l’on eût essayé de faire craindre le contraire. » Les assassins eux-mêmes suivaient le cortège. Les Verdets présentaient les armes ! L’un des plus en vue, le chapelier Daussonne, qui faisait partie d’une compagnie d’artillerie, y paradait insolemment. C’était tout de même, dans cette époque sans pudeur, un spectacle tellement scandaleux que l’adjudant-major Belin, ayant aperçu cet homme qui se vantait partout d’avoir égorgé Ramel, lui enjoignit violemment de sortir des rangs et de s’en aller. Il s’ensuivit une assez vive altercation. Enfin le chapelier artilleur estima plus sage de céder, et les obsèques achevèrent de se dérouler sans autre incident. Cependant ces orgues, ce catafalque, ces troupes rendant les honneurs, ces tambours voilés de crêpe, tout cela suffirait-il à apaiser les mânes du général assassiné ? L’instruction criminelle ouverte par MM. Casagne et Boubée avait encore à suivre son cours. Il nous reste à l’exposer brièvement : épilogue douloureusement ridicule de cette lugubre histoire.
CHAPITRE IV
LES ASSASSINS GLORIFIÉS. Tout d’abord, on sembla complètement oublier les hideuses bagarres du 15 août. Après avoir fait procéder à l’autopsie du général et de la sentinelle par le chirurgien Larrey et après avoir entendu un certain nombre de témoins, la magistrature ne parla plus de rien. Alors qu’il eût fallu agir avec la rapidité de l’éclair, appréhender en flagrant délit de vantardise les meurtriers qui couraient les rues, on continua à pratiquer cette politique d’immobilité et de crainte qui avait produit déjà des résultats si lamentables. Comme pour glorifier la triste place des Carmes d’avoir servi de théâtre à ce forfait, on lui donna le nom de place Bourbon. Quelques jours à peine après l’assassinat, on y fit passer le cortège triomphal de la duchesse d’Angoulême, qui revenait rendre visite à sa bonne ville de Toulouse. C’était le 2 septembre. La princesse arriva en ce lieu souillé de sang sous un déluge d’acclamations et de fleurs. On avait dételé sa voiture, et quarante jeunes gens la traînaient au milieu des clameurs, des fanfares et des carillons. Succédant aux arcs de triomphe qui jalonnaient tout le parcours, on avait élevé au centre de la place, un temple à Henri IV, devant lequel les musiques jouaient l’air populaire du Vert-Galant. Tout n’était que joie et enthousiasme. Et le soir, devant cet hôtel Ramel, qui semble encore voilé de crêpe, on tira un éblouissant feu d’artifice. Le massacre du 15 août ? Qui donc y pensait ? - L’instruction ne peut se poursuivre, disait froidement M. de Savy-Gardeilh, sans atteindre les personnes de haut rang qui ont organisé les compagnies secrètes, non pour en faire des assassins, mais pour assurer les succès de la cause royale. En attendant, il s’occupait activement à traquer les fédérés, ou ceux que l’on soupçonnait d’attachement au régime impérial, et il les incarcérait à tour de bras. L’état des esprits se révélait tellement opposé à toute répression concernant l’affaire Ramel que, vers le 15 septembre, M. Boubée, découragé et pusillanime, demanda à être relevé. Il passa le dossier à son collègue, M. Cayré. Celui-ci allait être obligé d’aboutir à quelque chose. Il faut se garder, en effet, d’incriminer en tout ceci le Gouvernement de la Restauration. Très sincèrement, il voulait un châtiment sévère. A peine mis au courant de l’affaire, le ministre de la Police Générale avait écrit à M. de Rémusat : « Il est essentiel qu’un exemple éclatant serve à comprimer les factieux et que les hommes qui ont pris quelque part à ce crime affreux ne puissent échapper à la vengeance des lois. » Le malheur consistait en ce que le préfet de la Haute-Garonne avait encore moins d’autorité, à cette époque de troubles, que n’en avait détenu le général Ramel. Cependant Fouché insistait : « Les coupables sont connus et ne sont point punis. Les autorités les protègent. » Et le duc Decazes : « Des renseignements vagues qui me sont parvenus portent qu’un sieur G. de V… se serait vanté publiquement d’avoir tué d’un coup de pistolet le général Ramel et aurait contrefait, sur un canapé, chez le lieutenant-colonel C. D…., en présence du comte de M… et de quelques autres personnes, les mouvements convulsifs de la victime expirante. Une enquête sévère doit se poursuivre activement. » Ainsi talonné, M. Cayré se résolut à lancer quelques mandats d’amener. Ils donnèrent lieu à de honteuses comédies. Pas un inculpé ne put être saisi ! Daussonne et François Baqué s’éclipsent, avec la complicité de l’huissier chargé de les appréhender ! Cet individu, nommé Verdier, était de leurs amis et les avait prévenus, la veille, que l’on se décidait à sévir contre eux. On devine qu’ils ne se firent pas répéter deux fois de prendre la poudre d’escampette. Quant au sellier Jean Gaillardin, on n’avait pas songé à l’avertir. Il fut incarcéré, ce qui contraria vivement M. Cayré, et aussi le procureur du roi, M. Soulé, qui tremblaient de devenir l’objet des représailles des Verdets. Comment faire ? On tint un conciliabule, qui demeura dans les fastes de la magistrature. Il fut entendu que Verdier transférerait Gaillardin d’une prison dans l’autre et que notre homme profiterait de cette opération pour s’échapper… On fermerait les yeux. Ainsi fut fait. Et, le 20 septembre, le juge d’instruction ne put signaler à la Chambre du Conseil, comme inculpés d’un massacre commis au su et au vu de tout Toulouse, que trois individus en fuite ! En remerciement de ses bons et loyaux services, Verdier fut nommé gardien d’une des portes de la ville, la porte Villeneuve. Tout le désignait évidemment à cet emploi de confiance. Cependant la Chambre du Conseil, continuant gravement cette farce judiciaire, renvoya la procédure devant la Cour prévôtale. Comme nous venons de le dire, elle ne comportait pas une arrestation. Le déni de justice s’affirmait tellement grave que l’on finit par s’émouvoir en haut lieu. Le 29 octobre, sur réquisition du baron de Gary, procureur général, la Chambre des mises en accusation, saisie par l’arrêt de la Chambre du Conseil, cassa la décision précédente. Elle ordonna ensuite qu’il fût procédé par le conseiller de Combettes-Caumon à un supplément d’instruction. Ce magistrat, fils d’un parlementaire mort sur l’échafaud, avait eu déjà une existence des plus mouvementées. Il avait émigré en Catalogne en 1791, de là était passé à l’armée des Princes par l’Italie et la Suisse, s’était enfui aux Pays-Bas et en Angleterre après Jemmapes, et enfin avait vécu en Amérique jusqu’à l’Empire. Dans ses longs voyages, il n’avait guère pu approfondir l’étude du droit ; mais il y avait gagné de l’énergie, de la décision, et aussi un sens de la justice plus large et mieux équilibré que ne le possédaient à ce moment la plupart de ses compatriotes. Il se mit courageusement à l’œuvre. Il y eut quelque mérite, car il était bien tard pour entreprendre, après un trimestre, une pareille enquête, surtout au milieu des difficultés incessantes que suscitaient les ultras. Lettres d’injures, dérobades de témoins, mauvaise volonté des auxiliaires de la justice, insultes et menaces. Dans la rue même, des gens allèrent jusqu’à promettre au conseiller instructeur le sort de Ramel. M. de Combettes-Caumon fut inflexible. Il y avait alors de vrais magistrats, dignes de leur vieille lignée. Sans s’émouvoir, il convoqua trois cents témoins, réconforta ceux qui tremblaient, admonesta sévèrement ceux qui se refusaient à parler, enregistra et coordonna les dépositions. Chose plus difficile encore, il réussit à faire opérer dix-huit arrestations, ce qui, après les pantalonnades précédentes, semblait irréalisable. Cette lutte de la loi et de la justice contre les passions politiques dura quatre mois environ. Le 4 mars 1816, après un mûr examen des dix-huit dossiers qui lui étaient soumis, le procureur général conclut au renvoi devant la Cour prévôtale de dix accusés : c’étaient les deux ouvriers chapeliers Guillaume Daussonne et François Carrière, le tailleur Pierre-Louis Cariben, dit Anglaret, François Baqué, dit le Penjat, le sellier Jean Gaillardin, Verdier, dit Port-de-Guy, Bach, Savy-Cardeilh fils, Gros et Blanché. Pour les autres, il concluait à leur mise en liberté, faute d’indices suffisants. La répression commencée par M. de Combettes-Caumon s’émoussait peu à peu. La Chambre des mises en accusation, cédant à des pressions étrangères que le courageux conseiller avait méprisées, réduisit encore le nombre des inculpés. Elle relaxa le fils de Savy-Gardeilh, Bach, Blanché et Gros. Il ne restait donc que six accusés, sur toute la troupe d’émeutiers qui, le 15 août 1815, avait envahi l’hôtel de la place des Carmes. Et encore, sur ces six individus, trois avaient réussi à se dérober aux poursuites de M. Combettes-Caumon. Gaillardin et Baqué n’avaient pas reparu, et Port-de-Guy, se sentant menacé, avait imité leur exemple. En somme, trois Verdets seulement étaient envoyés devant la Cour prévôtale : Daussonne, Cariben et Carrière. Voilà, dans cette ville de Toulouse où se pavanaient les coupables, quels étaient aux yeux de la justice les seuls responsables de l’assassinat du général Ramel ! De plus, le garde des sceaux, en présence d’une pareille résistance, se rendit compte que, si les débats s’ouvraient à Toulouse l’acquittement serait assuré. La Cour prévôtale n’y jouirait jamais de l’indépendance nécessaire. Un dernier scandale viendrait couronner la série des honteux événements qui s’étaient déroulés depuis le soir de l’Assomption. Tout était à craindre, en effet : désordres dans la rue, audiences mouvementées, où les témoins terrifiés et les juges impuissants auraient compromis l’autorité même du Gouvernement, sortie triomphale des acquittés… Le ministre s’adressa donc à la Cour de cassation, qui, par un arrêt du 5 avril 1817, renvoya les accusés devant la Cour de Pau. Ils furent transférés dans le Béarn quelques jours plus tard. Mais ce voyage n’eut rien d’infamant. Les ultras pullulaient dans le pays d’Henri IV. Ils reçurent les meurtriers de Ramel avec enthousiasme, comme ils auraient reçu des martyrs de la foi royaliste. On acclamait leur patache, et, quand ils furent incarcérés, la vieille marquise de Gontaut leur faisait porter leurs repas par ses gens en livrée. Cette situation intolérable, au regard d’une saine justice, avait surtout le tort de durer. Le bruit des lenteurs et des indécisions de la magistrature méridionale se répandait dans tout le pays, pénétrait ces masses ignorées que les extrémistes ont le tort de vouloir considérer comme amorphes et malléables à merci. Aussi, exactement à la même époque, le 19 mars 1817, quand l’ancien procureur impérial Fualdès fut assassiné à Rodez, l’opinion rouergate eut un sursaut. On voulait recommencer le coup qui avait si bien réussi pour Ramel ! Les deux victimes avaient bien des points de ressemblance : elles avaient toutes deux un passé révolutionnaire assez chargé ; elles avaient servi l’Empire durant tout le reste de leur carrière ; la Restauration les voyait avec quelque méfiance, et les ultras avec une parfaite horreur. Quand on découvrit le cadavre de Fualdès flottant sur les eaux de l’Aveyron, plus d’un blanc se frotta les mains en disant : « Allons, un jacobin de moins ! » En présence de cette attitude renouvelée, comment veut-on que les bourgeois libéraux du Rouergue, moins terrorisés qu’à Toulouse, ne suivent avec angoisse, puis avec indignation, le simulacre de répression vaguement poursuivie contre les assassins de Ramel ? Ils se jurèrent que chez eux il n’en serait pas ainsi. Et, avec une fureur qui, dans ces temps troublés, égale celle des Verdets, ils chargèrent à fond contre les premiers accusés qui leur tombèrent sous la main : un Bastide, gros propriétaire, chef de bande en l’an VII, un Jausion, défenseur de Lyon contre l’armée révolutionnaire, un Bessières-Veynac, ultra convaincu, futur directeur de séminaire. La clé de l’étonnante affaire Fualdès est dans l’affaire Ramel. Si la magistrature avait fait tout son devoir envers les bandits du 15 août 1815, elle aurait eu plus tard les mains libres pour juger avec moins de partialité les accusés de Rodez. L’injustice engendre l’injustice. … Ce fut seulement le 24 août 1817 que la Cour prévôtale de Pau se réunit au grand complet pour examiner la culpabilité des trois misérables personnages que l’on avait pu, en deux ans, soumettre à son arrêt. M. Hourcade présidait, avec, pour assesseurs, MM. Lacourtiade, Barbet, Crohaire et Pommiès. Le colonel Pentenay-Sabré de Vereux remplissait les fonctions de prévôt, fonctions qui tenaient à la fois de celles de magistrat instructeur, de juge et de membre du Parquet. Le siège du ministère public était occupé par M. Duclos, procureur du roi. Trois avocats du barreau de Toulouse siégeaient au banc de la défense : MMes Dubernard, Tajan et Carles. Quant au public, il était celui des ordinaires audiences politiques. Leurs hautes relations avaient permis aux ultras d’envahir le prétoire. Ils paradaient, « hautains et menaçants », suivant l’expression d’un contemporain, décidés à intimider les témoins et les juges, à encourager les avocats de leurs rires et de leurs approbations. Le ministre de l’Intérieur, – averti par le préfet des Basses-Pyrénées, – redoutait un acquittement général et des troubles graves, malgré le transfèrement de l’affaire loin de l’ambiance enfiévrée de Toulouse. Les débats, dans ces conditions, furent ce qu’ils devaient être. Insultés et menacés jusque dans les couloirs du Palais, les témoins à charge, au nombre de soixante-sept, osèrent à peine répéter ce qu’ils avaient dit à l’instruction. Le chirurgien Flottard, notamment, s’obstina à déclarer qu’il ne savait rien, qu’il n’avait rien vu et n’avait reconnu personne. Il acquit plus tard un très bel hôtel (sans que l’on sût très bien comment) ; et cet hôtel, situé rue Peyras, porte encore, à Toulouse, le nom symbolique d’ « hôtel du Silence ». Quant aux seize témoins à décharge, ils furent accueillis avec transport comme les défenseurs de l’innocence opprimée. Ce n’était nullement la vérité que l’on cherchait, mais des occasions de manifester l’ardeur de sa foi politique. Cependant M. Duclos, procureur du roi, ne se laissa pas démonter. Ce faisant, il obéissait à sa conscience de magistrat ; mais, d’autre part, il se savait d’accord avec le garde des sceaux qui, à maintes reprises, lui avait demandé d’être sévère. Il rappela sans faillir, et avec de nombreuses preuves à l’appui, que le meurtre du général Ramel avait été prémédité par les Verdets. Il les montra auteurs et complices. Il s’éleva contre l’odieux de leur conduite et de leur défense, calomniant pour tuer, calomniant après avoir tué. L’audience suivante fut réservée aux avocats. Les seuls dont la tâche comportât quelques difficultés étaient MMes Dubernard et Tajan, qui défendaient Daussonne et Carrière, accusés d’avoir frappé le général. Nous les retrouverons tous les deux dans l’affaire Fualdès. Leur thèse était simple : d’après eux, le crime venait d’une fureur populaire produite par le bruit trop accrédité que Ramel, ancien serviteur de Buonaparte, cachait des généraux de l’Empire et des fédérés ; l’épisode des deux soldats arrêtés, le soir du 15 août, pour avoir crié : Vive l’Empereur ! dans la taverne du rez-de-chaussée de l’hôtel, avait fortifié cette légende, soulevé le peuple. La foule avait cru que le commandant de place avait donné l’ordre à la sentinelle de tirer sur les manifestants. Elle était tombée, on s’était imaginé qu’il l’avait tuée parce qu’elle n’obéissait pas assez vite. Telle était la version, d’ailleurs plausible, de la bagarre initiale. Quant à l’ignoble acharnement des meurtriers sur le blessé, ils trouvèrent, pour l’innocenter, une argumentation juridique peu banale. Elle n’étonnera d’ailleurs que ceux de nos lecteurs qui n’ont pas fréquenté le Palais et ignorent encore ce que l’on peut faire sortir d’un texte de loi. Voici la thèse de MMes Dubernard et Tajan : - Les chirurgiens ont déclaré, – et l’on citait le procès-verbal d’autopsie, – que la blessure reçue au début par le général était mortelle. On ne peut donc savoir si les coups portés ensuite par Daussonne et Carrière ont causé le décès de Ramel. D’où nécessité de leur appliquer les dispositions les plus favorables, celles de l’article 310 du Code pénal. Il ne reste donc plus à juger qu’un simple délit de coups et blessures, n’ayant même pas entraîné une incapacité de travail pendant plus de quinze jours ! On ne peut plus audacieusement transformer en un délit puni d’emprisonnement l’acte de véritable sauvagerie auquel s’étaient livrés les Verdets ! Inutile d’ajouter que l’argumentation n’était pas présentée ainsi, dans sa honteuse nudité. Elle était parée de toutes ces fleurs de rhétorique dont usaient et abusaient alors les avocats, même les meilleurs. Évidemment, ils n’auraient pas osé soutenir tout de go que l’on pouvait, sans risquer grand-chose, hacher à petits morceaux un agonisant. Mais ils parlèrent un peu de tout, avec beaucoup de phrases. Tajan, en particulier, qui devait finir mainteneur des Jeux Floraux, avait le génie des apostrophes pathétiques. Il fit verser beaucoup de larmes en saluant la ville de Pau, berceau d’Henri IV, et en exaltant saint Louis, patron et modèle du roi de France, dont on célébrait la fête, ce jour-là. On devine si Ramel était loin ! Le troisième avocat, Me Carles, avait une tâche plus facile : son client, Cariben, dit Anglaret, n’était pas poursuivi comme ayant participé au meurtre. On n’avait retenu contre lui que le fait d’avoir excité le peuple et payé les dépenses de la bande de la Cave. Il n’était considéré que comme complice, et on le sentait déjà presque hors de cause. Malgré la tournure que les débats avaient prise, M. Duclos n’hésita pas à reprendre la parole. Ce magistrat consciencieux ne pouvait laisser passer sans protester la thèse de MMes Dubernard et Tajan. Il la réfuta énergiquement, en des paroles qui eurent leur écho jusqu’à la tribune de la Chambre, où, le 23 mars 1819, M. de Serres flétrit publiquement les sophismes des deux avocats toulousains. Le procureur du roi près la Cour de Pau avait sauvé l’honneur de la magistrature et du gouvernement. Cependant le procès n’était pas terminé. Après une réplique de la défense, la Cour prévôtale se retira pour délibérer, vers une heure de l’après-midi. Elle poursuivit cette délibération, en cette étouffante journée du 26 août, jusqu’à dix heures du soir. L’arrêt fut rendu aux chandelles. Cariben, dit Anglaret, était acquitté. Daussonne et Carrière étaient condamnés à cinq ans de réclusion ; toutefois l’exposé des motifs adoptait en partie la thèse du barreau : les deux assassins étaient condamnés pour des « coups et blessures faits sans préméditation ni guet-apens, résultant, de ces actes de violence, une maladie et incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours… » Le Code pénal offre vraiment d’heureux euphémismes ! Quant aux trois contumax, Gaillardin, Baqué et Port-de-Guy, par une décision bien rare en pareille matière, et alors que leur fuite impliquait presque nécessairement leur culpabilité, ils furent acquittés le surlendemain ! C’étaient cependant des individus fort peu recommandables. On les connaissait. On savait ce qu’ils valaient. L’un d’entre eux ayant été arrêté en 1834, vingt ans après les événements que nous venons de raconter, le ministre de l’Intérieur écrivait au préfet de la Haute-Garonne pour lui demander comment on pourrait se débarrasser « d’un homme d’autant plus dangereux qu’il paraît avoir conservé toutes es anciennes habitudes de férocité ». L’affaire tragique du massacre de Ramel s’achevait donc misérablement ; à partir du malheureux coup de pistolet qui, peut-être au hasard, avait blessé le maréchal de camp, elle s’était traînée en des épisodes qui n’avaient rien d’honorable pour la dignité humaine ; sauvagerie et lâcheté, intrigues et impostures, parodie de justice. Le gouvernement de Louis XVIII, qui voulait sincèrement l’équité et l’apaisement, en fut profondément blessé ; mais combiens de partis politiques sont ainsi trahis par ceux-là même qui s’en proclament les plus dévoués partisans ! Le 8 septembre, M. de Rémusat, découragé en apprenant l’arrêt de la Cour prévôtale, écrivit au ministre combien il redoutait les conséquences d’un tel exemple d’impunité. Et le duc Decazes, tout en s’efforçant de le rassurer, lui répondit : « Je vous avoue que je partage la pénible impression que me fait éprouver l’issue de cette affaire, dans laquelle les coupables sont absous ou trop faiblement condamnés... » Ne sera-ce pas justement à la suite de cette « pénible impression » qu’il s’attachera, l’année suivante, avec passion à poursuivre jusqu’à la guillotine ceux qu’on lui désignera les assassins de Fualdès ? - Comme il est difficile, pour un juge et pour un ministre, de savoir la vérité !... ARMAND PRAVIEL.
NOTES : (1) Adieu, pauvre Bonaparte, – Nous ne te reverrons plus. – Grand nigaud, tu perds la carte, – Tu as galopé tout confus ! (2) Crions tous avec force : – Nous ne voulons pas Napoléon ! – Nous ne voulons pas un roi de Corse, – Nous voulons pour roi un Bourbon ! (3) Maintenant, nous l’avons attrapé – L’oiseau aux grandes ailes… (4) Les Verdets, toujours zélés, – Des chats empruntent la vue ; – Pour attraper les Fédérés – Nuit et jour ils sont en chasse. (5) Maintenant nous l’avons retrouvé – Le roi que nous désirions tant ! – Maintenant nous l’avons retrouvé – Notre roi si désiré ! (6) Maintenant, il faut venir ! |