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H. de Régnier : Paray-le-Monial (1926).
RÉGNIER, Henri de (1864-1936) : Paray-le-Monial.- Paris : Emile-Paul, 1926.- 84 p.-1 f. de pl. en front. : couv. ill. ; 20 cm.- (Portrait de la France ; 1).
Saisie du texte et relecture : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (15.XI.2007)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : nc).
 
Paray-le-Monial
par
Henri de Régnier

~ * ~

A LA MÉMOIRE DE MA MÈRE
THÉRÈSE-ADÉLAÏDE-ADRIENNE DE RÉGNIER
NÉE DU BARD DE CURLEY
Paray-le-Monial, le 8 Janvier 1836

Paris, le 21 Juin 1924

PUISQUE j’ai parlé de Bouchu, il « faut que j’achève l’étrange singularité qu’il donna en spectacle, autant qu’un homme de son état en peut donner. C’était un homme qui avait une figure fort aimable et dont l’esprit, qui l’était encore plus, le demeura toujours. Il en avait beaucoup et facile au travail et fertile en expédients. Il avait été intendant de l’armée de Dauphiné, de Savoie et d’Italie, toute l’autre guerre et celle-ci. Il s’y était enrichi ; homme d’ailleurs fort galant et de très bonne compagnie. Lui et sa femme, qui était Rouillé, soeur de la dernière duchesse de Richelieu et de la femme de Bullion, se passaient très bien l’un de l’autre. Elle était toujours demeurée à Paris, où il était peu touché de la venir rejoindre, et peu flatté d’aller à des bureaux et au conseil, après avoir passé tant d’années dans un emploi plus brillant et plus amusant. Néanmoins, il n’avait pu résister à la nécessité d’un retour honnête qu’il avait mieux aimé demander que se laisser rappeler. Il partit pour ce retour le plus tard qu’il lui fut possible et s’achemina aux plus petites journées qu’il put. Passant à Paray, terre des abbés de Cluni assez près de cette abbaye, il y séjourna. Pour abréger il y demeura deux mois dans l’hôtellerie. Je ne sais quel démon l’y fixa, mais il y acheta une place et, sans sortir du lieu, il s’y bâtit une maison, s’y accommoda un jardin, s’y établit et n’en sortit jamais depuis, en sorte qu’il y passa plusieurs années et y mourut sans qu’il eut été possible à ses amis ni à sa famille de l’en tirer. Il n’y avait, ni dans le voisinage, aucun bien que cette maison qu’il s’y était bâtie ; il n’y connaissait personne, ni là autour auparavant. Il y vécut avec les gens du lieu et du pays, et faisant très bonne chère, comme un simple bourgeois de Paray. »

Ainsi s’exprime et s’étend, en la partie de ses Mémoires qui traite de l’année 1705, M. le duc de Saint-Simon, sur le compte de Etienne-Jean Bouchu, marquis de Lessart, baron de Loisy et de Pont-de-Vesle, dont la fille unique Elisabeth-Claudine-Pétronille épousa, le 13 avril 1706, René de Froulay, comte de Tessé, lieutenant-général, Grand d’Espagne, fils aîné du maréchal de ce nom. Le Chesnaye des Bois, dans son Dictionnaire généalogique, nous apprend qu’Etienne-Jean Bouchu mourut le 5 décembre 1715 et qu’il portait pour armoiries : d’azur au chevron d’or, accompagné en chef de deux croissants d’or et en pointe d’un lion de même.

Cette mention de Saint-Simon, cette notice de La Chesnay des Bois, et même mon goût pour les « étranges singularités » n’auraient pas suffi à fixer mon attention sur cet Etienne-Jean Bouchu, si ce personnage n’eût choisi pour y finir ses jours « en simple bourgeois » la petite ville de Paray qui n’est autre que Paray-le-Monial, en Charollais et dont je ne lis jamais le nom sans que s’éveillent en ma mémoire maints souvenirs de famille et de jeunesse sur lesquels j’aime toujours à revenir, si m’y ramène quelque occasion qui me les rende plus vivement présents. C’est pourquoi, l’autre jour, en retrouvant dans Saint-Simon la page où est relatée « l’étrange singularité » de l’intendant Bouchu, je n’ai pu résister à l’attrait d’évoquer en quelques pages la curieuse petite cité bourguignonne où le sieur Bouchu donna le spectacle que l’on sait, où Cluny eut un de ses plus importants monastères, où les Filles de la Visitation, de Sainte Chantal, fondèrent un de leurs plus célèbres couvents, le Paray-le-Monial du Sacré-Coeur, la petite ville où j’ai vécu quelque peu en de lointaines années, où en des années plus lointaines encore sont nés plusieurs des miens, où quelques-uns d’entre eux reposent…

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Montons sur la colline qui est leur dernier séjour terrestre. On y parvient par une route assez raide qui, dépassées les pauvres maisons d’un faubourg assez semblable à une rue de village, se continue en pente caillouteuse. En la gravissant, on rencontre tantôt un char attelé de boeufs, le joug aux cornes et dont le conducteur rustique pique de l’aiguillon les croupes boueuses, tantôt quelque carriole paysanne ou citadine. On y croise parfois aussi une chèvre rongeant les feuilles d’une haie, une bande d’oies boitillantes que garde quelque fillette tricoteuse, un gamin conduisant ses cochons, une femme, la hotte au dos ou le panier au bras, qui vous salue d’un bonjour en passant, une pauvresse qui tend la main, mais bientôt on est devant une grille s’ouvrant dans un mur bas qui enclot quelques arbres, des tombes et une petit chapelle entre des cyprès.

Il ressemble à tous les cimetières, ce cimetière de Paray, au haut de sa colline, à l’écart parmi les champs à travers lesquels continue la route qui vous a mené jusque-là. Toute la campagne alentour est aussi silencieuse que lui et participe à son repos. Il y a là des tombes très anciennes, d’autres plus récentes, quelques-unes d’hier. Ce n’est pas vers celles-là que je vais. J’en cherche que le temps a déjà touchées. Les vieilles pierres moussues sont d’une pensive et douce mélancolie. Les noms qu’elles portent s’effacent à demi. Certaines sont devenues anonymes. Enfin j’ai retrouvé celles qui m’attirent, une à une, car elles sont disséminées. Chacune de leurs inscriptions évoque pour moi un souvenir. Des images se forment dans ma mémoire. Des figures m’apparaissent. J’écoute des voix tues depuis de longues années. De ceux qui gisent sous ces dalles, j’en ai accompagné quelques-uns à leur dernière demeure et, derrière leur cercueil, j’ai gravi la route pierreuse, mais d’eux je ne veux pas parler maintenant : je suis venu seulement les saluer. Plus tard, je dirai ce que je sais de ce qu’ils furent. Aujourd’hui, j’ai voulu voir si tout est en bon ordre et si rien n’a changé autour d’eux. Non, tout y est toujours tranquillement funèbre. La grille grince toujours quand on la pousse. L’antique chapelle est toujours debout.

Elle est très ancienne, cette petite chapelle du cimetière de Paray, et elle marque un lieu vénérable. Une tradition ne veut-elle pas qu’elle repose sur les vestiges du « templum antiquissimum »  auprès duquel les moines de Lambert, comte de Chalons, construisirent en l’an 973 le monastère de l’Orval ? C’est sur cette colline qui domine Paray que fut transporté, avec force miracles, le corps de Saint Grat, treizième  évêque de Chalons. Les moines de l’Orval quittèrent bientôt la colline et descendirent  vers la vallée, vers la « Vallis aurea » où s’éleva le nouveau monastère, avec son église qui fut bénie en 1004 par Hugues, abbé de Cluni. Mais avant de descendre, nous aussi, vers la vallée et la rivière, vers la Bourbince, « ad Burbuntium amnem », comme disent les vieux textes, donnons un regard à la petite ville que fut le « Paredum monachorum » de jadis et qui est aujourd’hui Paray-le-Monial.

Elle est à nos pieds et je la vois toute d’ici. Sur elle mon regard s’étend. Il la parcourt. Voici ses maisons, ses ruelles, ses places, ses toits de tuiles ou d’ardoises, ses jardins. J’aperçois son mail qu’on appelle le Cours, avec ses tilleuls et ses bancs de pierre, la Bourbince qui la traverse de ses deux bras sous un double pont, son champ de foire qui jouxte le vaste pré communal qu’on nomme le Pâquier, sa magnifique avenue de platanes séculaires, sa gare, ses faubourgs dont l’un borde un canal, le canal du Centre, qui s’enfonce à l’horizon avec ses files de peupliers. C’est bien le Paray de ma jeunesse, la petite ville monacale. Voici le clocher de l’hôpital ; la grosse tour de l’ancienne église Saint-Nicolas, le clocheton de la chapelle de la Visitation, celui de l’oratoire des Dames du Saint-Sacrement, celui du couvent des Dames de la Retraite, car Paray est demeuré ville de couvents. Les Jésuites y eurent un établissement, les Clarisses un cloître, mais la gloire et la beauté de Paray, c’est son église clunisienne, sa magnifique basilique romane, avec son haut clocher et ses deux antiques tours, avec son cloître et sa noble demeure abbatiale, son prieuré aux sévères lignes Louis-quatorziennes, et la grosse tour qui subsiste encore de ce que l’on nommait le Château de Paray et qu’un sixain du temps déclarait « de noblesse bien entouré ».

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Paray-le-Monial attire deux sortes de visiteurs : quelques touristes et des pèlerins. Si les pèlerins vont droit à la chapelle de la Visitation où l’on vénère dans sa châsse  la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, les touristes, eux, se dirigent vers la basilique clunisienne. Elle est la merveille et l’orgueil de la petite cité dont l’histoire est liée à celle de l’illustre abbaye de Cluni. Comme je l’ai dit déjà, ce fut Cluni qui fonda le monastère de l’Orval et le réunit à ses destinées. Depuis lors, l’Orval fut une filiale de la puissante congrégation bénédictine. Les abbés de Cluni firent du monastère de l’Orval une de leurs résidences favorites et ce fut du monastère que naquit la ville. Paray mérite donc vraiment d’être appelé « Le Monial ». Comme le monastère, Paray a son histoire (1).

Avant d’en parcourir les fastes locaux, entrons un instant dans son antique sanctuaire.

Il s’élève au bord de la rivière de Bourbince qu’endigue un petit quai planté de peupliers et de tilleuls en quinconces et dresse ses deux vieilles tours romanes, un peu dissemblables, mais du même caractère architectural et qui précèdent un narthex ou porche extérieur. C’est la partie la plus ancienne de l’église, celle qui fut bénie en l’an 1004. La tour de gauche, dite tour du « moine Garre » ne fut pourvue de son étage supérieur que vers la fin du XIe siècle. De ce narthex on pénètre dans l’église monacale. Elle fut commencée en 1087, par Saint Hugues. Gonzan, religieux de Cluni, en traça les premiers plans, et elle fut continuée par le maître moine Hézelin. La construction se termina vers la fin du XIIe siècle. Elle est une copie réduite de Cluni. Son prieuré en dépendait et fut plus tard réuni à la mense abbatiale. L’abbé de Cluni devint titulaire du Prieuré de Paray et seigneur de la ville. Il déléguait  son autorité à un Prieur claustral et Paray fut érigé en décanat. Le premier prieur, au temps du comte Hugues, fut Andrald. Sur la liste de ses successeurs, je relève un Gérard de Cypierre, un Jean de Pouilly en 1306, un Henri d’Anglure en 1312, un Philibert de Damas en 1400, un Jean de Die en 1444, un Jacques d’Amboise, en 1508. En 1768, j’y vois un Chateauvert.

Nous voici maintenant dans l’église bénédictine. Elle est en forme de croix latine à trois nefs, formant déambulatoire. Trois chapelles absidiales en hémicycle entourent le choeur. L’aspect du lieu est noble et vaste, bien éclairé. Les colonnes s’ornent de chapiteaux ouvragés. La voûte forme à l’inter-transept une coupole soutenant un clocher octogonal que termine une flèche. Tout cela est d’une sobre et forte beauté romane. La branche gauche de la croix contient la chapelle des fonts baptismaux, la droite, la chapelle de la Vierge, d’un gothique flamboyant du XVIe siècle. Là, une porte donne accès au cloître et à l’ancien palais abbatial construit au XVIIe siècle et dont la façade regarde la rivière de Bourbince. Nous l’examinerons tout à l’heure ; maintenant retraversons l’église et sortons par sa porte de gauche. Nous voici sur une petite place où aboutit une rue. Suivons-la. Elle nous conduira en quelques pas à la chapelle du couvent de la Visitation.

J’ai dit que si la Basilique romane de Paray attirait les touristes, la chapelle de la Visitation était le point où affluaient les pèlerins. Elle est d’humble mine, cette chapelle, et son humble façade est dépourvue d’ornements. Une porte étroite ouvre sur la nef unique du modeste édifice. L’intérieur de la chapelle de la Visitation est sombre. La lueur de nombreuses lampes suspendues y laisse subsister une demi-obscurité. Les murs disparaissent sous des bannières d’ex-voto et sous d’innombrables coeurs-de-Jésus d’argent ou de vermeil disposés en guirlandes et en rosaces. Sous l’autel repose le corps de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque. Ses restes sont enfermés dans une grande poupée de cire, revêtue de l’habit monacal. Elle porte sur la poitrine l’effigie du Sacré-Coeur. Partout des images de la vision miraculeuse, de l’Apparition dans le bosquet de noisetiers. Cette étroite chapelle avec ses lampes et ses cierges allumés, ses ors, ses soies, donne une impression de mystère et de mysticité. Je l’ai vue jadis, au temps des grands pèlerinages, bondée d’une foule compacte, exaltée et soumise, sur laquelle planaient en psalmodie monotone les voix des religieuses Visitandines, chantant derrière la grille qui les séparait des assistants, car elles font voeu de perpétuelle clôture. J’entends encore dans mon souvenir ces voix pures et hautes, leur mélopée liturgique, tandis qu’aux jours où la chapelle à peu près déserte appartenait au silence de la prière et du recueillement, résonnait sur les dalles le pas empressé, discret et serviable des tourières et des sacristines.

Elles seules étaient affranchies de la stricte claustration qui est la règle de leur ordre. On sait sa fondation par sainte Jeanne de Chantal et par saint François de Sales. Ce fut le 4 septembre 1626 que la Mère Marguerite-Elisabeth Gauzion amena du couvent de Bellecourt, à Lyon, cinq religieuses dans la maison de Paray. A cette époque, l’ordre de la Visitation comptait déjà 25 maisons. Quelques pieuses filles de Paray ayant témoigné le désir de servir Dieu dans ce nouvel institut s’adressèrent à la marquise de la Magdelaine de Ragny, Hippolyte de Gondi, épouse de Léonor de la Magdelaine de Ragny, lieutenant général au gouvernement du comté de Charollais. Cette honorable dame, affligée du déplorable état de la religion à Paray où les huguenots ne manquaient pas, avait, en 1617, avec l’assistance de son fils, Claude, évêque d’Autun, fondé dans son propre hôtel un collège dont elle avait confié la direction à trois pères jésuites. Ce fut à côté de ce collège que s’installa le couvent de la Visitation de Marie dans une maison située « entre la tour et le collège, joignant la grande rue appelée des Forges qui va jusqu’aux murailles de ladite ville, ensemble la tour appelée Quarré ». Le contrat de vente fut passé le 26 juillet 1626, entre la mère Marie-Anne de Blonay, supérieure de la Visitation de Bellecour de Lyon, et Jean Bouillet, seigneur de Saint-Léger, et Pierre Quarré, seigneur de la Palus, mais bientôt ce local devint insuffisant. En 1630, le couvent de Paray renfermait trente-trois professes. La seconde supérieure, Anne-Eléonore de Lingendes, échangea à la maison contre celle occupée par les Jésuites et ajouta à la nouvelle résidence des cours, un vaste jardin afin que les religieuses « pussent se maintenir en santé ». La même année 1632, la mère de Lingendes signa avec un maçon de Paray, Antoine Guillemin, un marché pour la construction d’une chapelle « avec le choeur et deux sacristies ». C’est celle qui existe encore actuellement, comme subsistent aussi les bâtiments conventuels. Ils ont gardé leur aspect d’autrefois. Leur haut mur, percé de rares ouvertures grillées, borde la rue qui s’appelle maintenant la rue de la Visitation. Une haute muraille enferme encore l’enclos des jardins. Au centre se dresse le bosquet de noisetiers qui fut le lieu des apparitions.

Elles favorisèrent une humble fille, Marie-Marguerite Alacoque, née le 22 juillet 1647, au hameau du Terreau, sur la paroisse de Verosvres. Elle entra au couvent en 1671 et y mourut le 17 octobre 1690. Elle y eut pour directeur le Père de la Colombière que lui donna la supérieure, la Mère de Saumaise. La Colombière décéda à Paray en « opinion de sainteté ». Un couvent d’Ursulines venu d’Autun avec sa Supérieure, Antoinette de Toulongeon, en 1644, et un hospice fondé en 1684 complétaient les institutions religieuses du vieux Paray.

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Car c’est une très vieille petite ville que Paray-le-Monial. Dès le XIIe siècle, elle porte son nom : « Paredum moniale » ou « monacorum ». Elle a pour Seigneurs les abbés de Cluni. Son prieuré ne relève pas des comtes de Chalon, pour les attributions judiciaires. En 1335 des Lettres Royales, émanées de Philippe VI de Valois, déclarent que Paray ne relève que du Roi de France et est exempt de toute juridiction des Ducs de Bourgogne et des Comtes de Charollais. En 1390, lors de la réunion du Comté de Charollais au duché de Bourgogne, les droits judiciaires du Roi sont réservés. Le Charollais est régi par ses Etats particuliers. Ravagé par les Ecorcheurs en 1418, lorsqu’en 1419, après l’assassinat de Jean sans Peur, le Dauphin se dispose à envahir la Bourgogne, Paray lève une compagnie de 80 hommes d’armes pour la défense du Charollais et reçoit 20 écuyers et un certain nombre de gens de trait. En 1422, le Duc Philippe le Bon y traite d’une suspension d’armes. Dix ans plus tard, le Duc donne le Charollais à son fils Charles le Téméraire. En 1483, le Comté de Charollais est réuni à la Couronne de France. En 1490, le traité de Senlis, qui mettait le Charollais aux mains de Maximilien d’Autriche, réservait les droits royaux. Maximilien mort, Charles-Quint empereur, François Ier vaincu à Pavie et prisonnier à Madrid, le Comte de Charollais est dévolu à la Maison d’Autriche. A l’abdication de Charles-Quint, en 1556, Henri II rentre en possession de ses droits royaux. Par le traité de Cateau-Cambrésis, les officiers royaux sont rétablis dans leurs charges, mais la cession du Comté de Charollais à l’Espagne est maintenue ; cependant Paray, dont l’abbé de Cluni est Seigneur, ne relèvera que du Bailli du Roi de France.

Cette petite cité de moines était devenue la retraite de prédilection des abbés de Cluni. Les chefs de la puissante communauté bénédictine aimaient à venir se reposer des soucis et des labeurs de leurs charges sur les bords paisibles de la Bourbince, au milieu des prairies et des forêts silencieuses. Or, il convenait que l’abbé de Cluni, haut et puissant seigneur, trouvât dans l’enceinte de son prieuré favori une résidence digne de sa grande situation féodale. La construction du palais abbatial fut donc commencée en 1480 par Jean de Bourbon, le fils du prisonnier d’Azincourt. La grosse tour ronde qui se voit encore derrière le cloître en dépendait. Le successeur de Jean de Bourbon, Jacques d’Amboise, ancien prieur de Paray, acheva l’édifice. De la grande cuve de pierre à ses armes, qui était probablement la vasque d’un jet d’eau du jardin, on a fait un bénitier de l’église. Le palais fut achevé en 1546, année où Jacques d’Amboise y mourut.

Des constructions de cette époque, Paray possède deux autres édifices intéressants, sa vieille maison Jayet et son église Saint-Nicolas. J’emprunte l’histoire de la maison Jayet aux Souvenirs de Bourgogne d’Emile Montégut : « Dans les premières années du XVIe siècle vivaient à Paray deux frères du nom de Jayet, marchands drapiers de leur profession. L’un des frères était catholique fervent, l’autre huguenot enragé ; c’est assez dire qu’ils s’exécraient fraternellement et n’avaient pas de plus doux passe-temps que de se jouer de mauvais tours. « Je veux avoir la plus belle maison de la ville, se dit un jour le huguenot tenté par le diable de l’orgueil, et non seulement de la ville, mais de tout le Charollais et on viendra voir de loin la maison de M. Jayet. Quelques-uns en crèveront de dépit, mais ce sera tant mieux, car j’ai entendu dire qu’il vaut mieux faire envie que pitié. » Et incontinent il se mit à faire bâtir un bijou de la Renaissance, tout brillant d’arabesques et de fines sculptures, avec des figures de chevaliers et des emblèmes féodaux au premier étage, avec des médaillons à l’italienne au second ; puis cela fait, il signa l’oeuvre de son portrait sculpté et de celui de sa femme, qui se présentent à l’intérieur, dès l’entrée même du vestibule, comme pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs. La femme est une bourgeoise qui aurait mérité de passer pour jolie dans toute condition ; le mari est un bourgeois à l’air goguenard, visiblement bon vivant et porteur d’un grand nez, bossué par le milieu et qui le fait ressembler à une parodie respectueuse de François Ier. « Ah ! c’est comme cela, dit à son tour le catholique ; eh bien moi, je ferai mieux : je vais bâtir, non pas une maison, mais une église ; je la placerai devant la maison de mon frère et cette église lui enlèvera l’air et la lumière, l’écrasera et l’éteindra. » Il fit comme le lui suggérait sa haine et un énorme édifice dédié à Saint Nicolas, masqua pendant trois siècles la maison de son frère. »

Cette maison Pierre Jayet, appelée vulgairement la Maison des Poupons, existe encore et Paray en a fait son hôtel de ville. Quant à l’église Saint-Nicolas, commencée en 1531, elle fut démolie en partie pour dégager la maison Jayet. Il n’en reste que la façade et la gracieuse tourelle datée de 1658. Sa grosse tour, qui servait de clocher et subsiste, est de 1628.

La Maison Jayet et l’église Saint-Nicolas témoignent que la Réforme comptait des adeptes à Paray avant même le milieu du XVIe siècle. Dès son apparition en France, la Réforme avait recruté des partisans dans le pays de Charollais. Paray en contenait un bon nombre, puisqu’en 1562 ils livrèrent la ville au chef calviniste Ferdinand de Saint-Aubin. Les églises furent pillées. La châsse de saint Grat fut détruite. On vendit à l’encan les dépouilles du Prieuré. La ville resta plusieurs années aux mains des Calvinistes. En 1570, nouveaux pillages… Les bandes du Prince Casimir de Deux-Ponts occupent Paray, Anzy-le-Duc, Marcigny. En 1581, le maire Claude Bouillet est tué en défendant Paray. L’année suivante, Jean Bouillet, également maire, rachète, de ses deniers la ville du pillage dont la menaçait Coligny, à la tête de quatre mille hommes. A la mort de Henri III, les partisans du Béarnais s’emparent de Paray que reprennent les Ligueurs. Jean de Foudras, nommé gouverneur, défait les Religionnaires à Digoin. Enfin l’Edit de Nantes mit fin aux luttes religieuses.

Les Huguenots eurent à Paray un temple près de la Porte du Poirier que desservit quelque temps le fameux pasteur Dumoulin. Théodore de Bèze séjourna à Paray. Parmi les familles calvinistes de Paray, je relève celle des Gravier. Esaye Gravier, avocat au Parlement, fut échevin de Paray en 1651. A la révocation de 1685, plusieurs membres de cette famille émigrèrent en Suisse. D’autres abjurèrent. Du mariage de Philibert Gravier avec Rose Perrault descendait Jean Gravier, marquis de Vergennes, baron de Thenard, président à la Chambre des Comptes de Bourgogne, ambassadeur en Suisse, en Portugal et à Venise, et aussi Charles Gravier, comte de Vergennes et de Toulongeon, baron d’Uchon et de Saint-Eugène, ambassadeur à Constantinople en 1751, en Suède en 1771 et ministre des Affaires Etrangères en 1774.

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Un arrêt du Conseil Royal du 5 mai 1683 nomma Abbé Commandataire de Cluni Emmanuel-Théodose de la Tour-d’Auvergne, troisième fils de Frédéric-Maurice, Duc de Bouillon, Comte d’Auvergne et d’Evreux, frère de Turenne. Emmanuel-Théodose était né le 24 août 1644. Cardinal le Ier août 1665, il avait été nommé en 1671 Grand Aumônier de France. A l’Abbaye de Cluni il joignait celles de Saint-Ouen de Rouen, de Saint-Vaast d’Arras, de Saint-Martin de Pontoise, de Saint-Pierre de Beaujeu. Il prit part à cinq conclaves. Pour le grand jubilé de 1700, il ouvrit la Porte Sainte. Doyen du Sacré Collège, évêque d’Ostie et de Velletri par la mort du Cardinal Cibo, il fut aussi grand Doyen de Liége et Prévôt de Strasbourg. Très en faveur auprès du Roi à cause de son oncle M. de Turenne, il était un des premiers de la Cour par lui-même, par ses charges, par ses alliances, mais un si haut état et de si hautes fonctions étaient-ils à la taille du personnage ? Demandons-le à Saint-Simon.

Il est, à plusieurs reprises, question du Cardinal de Bouillon dans les Mémoires du Duc et il lui est un magnifique sujet de diatribe et de portrait. Il faut lire les âpres pages où Saint-Simon rapporte les entreprises, les intrigues du Cardinal, ses prétentions, son éclatante désobéissance, sa chute, sa disgrâce, sa retraite, son insolente escapade, le scandaleux esclandre de son orgueil, son exil, son refuge à Rome, sa mort. Saint-Simon voit en Bouillon un faussaire, un intrigant, et devant tant de folie et de superbe, il s’indigne et s’étonne. Ses tentatives de princerie, son arrogance à se prétendre couvrir devant le Pape, sa désobéissance au Roi, sa soumission à tout ce qu’il portait en lui d’intraitable, quel spectacle pour un Saint-Simon et cette pourpre insolente et basse à la fois, et ces menées et ces fourberies, et ces dégoûts, et ces disputes avec les moines de Cluni, ces liaisons, ces cabales cardinalices et familiales !

Et il s’écrie, en ce style qui a des éloquences de sermon et des virulences de pamphlet : « Le Cardinal de Bouillon vivait dans la plus brillante et la plus magnifique splendeur. La considération, les distinctions, la faveur la plus marquée éclataient en tout. Il se permettait toute chose et le Roi souffrait tout d’un Cardinal. Nul homme si heureux pour ce monde s’il avait bien voulu se contenter d’un bonheur aussi accompli ; mais il l’était trop pour pouvoir monter plus haut, et le Cardinal de Bouillon, accoutumé par le rang accordé à sa maison aux usurpations et aux chimères, croyait reculer quand il n’avançait pas. » Et les phrases de la féroce oraison funèbre se précipitent et s’accumulent, lorsque le Cardinal, outré de l’affront que lui a valu l’affaire de la « calotte », en meurt de dépit, car, nous dit le Duc, « il en tomba malade de rage et de rage il en mourut en cinq ou six jours », chose étrange pour un homme si familiarisé avec la rage et qui en vivait depuis plusieurs années !

Et ce n’est pas tout. Après le coup de bâton et le coup de poignard, le coup de pinceau. A traits forcenés, le portrait d’esquisse, se colore, se dresse, prend vie : « Le Cardinal de Bouillon était un homme fort maigre, brun, de grandeur ordinaire, de taille aisée et bien prise. Son visage n’aurait eu rien de marqué s’il avait eu les yeux comme un autre ; mais outre qu’ils étaient fort près du nez, ils le regardaient tous deux à la fois jusqu’à faire croire qu’ils s’y voulaient joindre. Cette loucherie, qui était continuelle, faisait peur et lui donnait une physionomie hideuse. Il portait des habits gris doublés de rouge, avec des boutons d’or d’orfèvrerie à pointes d’assez beaux diamants ; jamais vêtu comme un autre, et toujours d’invention, pour se donner une distinction. Il avait de l’esprit, mais confus, savait peu, mais fort l’air et les manières du grand monde, ouvert, accueillant, poli d’ordinaire, mais tout cela était mêlé de tant d’air de supériorité qu’on était blessé même de ses politesses. On n’était pas moins importuné de son infatigable attention au rang qu’il prétendait jusqu’à la minutie, à primer dans la conversation, à la ramener toujours à soi ou aux siens avec la plus dégoûtante vanité… Les besoins le rendaient souple jusqu’au plus bas valetage. Il n’avait d’amis que pour les dominer et se les sacrifier… Son luxe fut continuel et prodigieux en tout ; son faste le plus recherché. Ses moeurs étaient infâmes. Peu d’hommes distingués se sont déshonorés aussi complètement que celui-là, et sur autant de chapitres les plus importants… On peut dire de lui qu’il en put être surpassé en orgueil que par Lucifer, auquel il sacrifia tout comme à la seule divinité. »

Le voyez-vous maintenant le déchu et le réprouvé, tombé de si haut sous les traits des foudres royales, le révolté en rébellion à la suite de l’affaire de la coadjutorerie de Strasbourg et de son rappel de Rome, le disgracié privé de sa charge de grand Aumônier de France, le voyez-vous, subissant dans son abbaye de Cluni son exil enragé ? Mais Cluni n’est pas loin de Paray et c’est à Paray qu’il réside de préférence pendant cinq années. Il y agrandit et y embellit le palais prioral. Il fait bâtir pour les gens de sa suite une maison que l’on nomme encore la Maison des pages. Au sommet de la grosse tour ronde du château, il fait placer ses armes parlantes : une tour en fonte, qui probablement servait de girouette. Dans une des salles il fait peindre une fresque représentant le Concile de 1700 où, sous sa présidence, fut élu le Pape Clément XI… Sur une toile, un artiste romain, Locatelli, retraça l’ouverture du Jubilé de 1700 qui eut lieu présidé par le Cardinal… La Révolution détruisit ces ouvrages. Ce fut elle aussi qui sans doute arracha au palais prioral la belle plaque de foyer portant les armoiries du Cardinal et qui, chez ma grand’mère, ornait l’âtre de la cuisine. Celles du palais prioral ne devaient point être inactives, car la noblesse des environs y fréquentait. Le Cardinal était hospitalier. Ne rapporte-t-on pas qu’il recueillit et hébergea dans la tour ronde le cheval pie que montait Turenne lorsqu’il fut tué à Salzbach ? Paray compta alors des visiteurs de marque parmi lesquels Mme de Sévigné et son cousin Coulanges. On a conservé des lettres de M. de Coulanges datées de Paray et écrites en 1705. M. de Coulanges trouve Paray un « lieu agréable », il admire de « très aimables jardins, une terrasse toute pleine de mérite et ces jets d’eau de trente-cinq pieds de haut, dont on ferais cas dans une maison royale. » D’ailleurs on ne vit pas là dans une « Thébaïde ». M. de Coulanges constate que l’on est « à cinq lieues tout au plus de bien des gens qui ont des noms » et le bon Coulanges rimaille :

        Le noble château de Paray
        De noblesse tout entouré ;
        De noblesse plus ou moins riche :
        Des Champron, d’Amanzé, Foudras,
        Des Ragny, Monpeyrou, La Guiche,
        De toutes sortes de Damas.

Parmi les Amanzé, les Foudras, les La Guiche, les Damas qui rendent leurs devoirs au Cardinal exilé, il me semble voir s’empresser notre Jean-Etienne Bouchu, car c’est en 1705 que Saint-Simon note que Bouchu quitta son intendance du Dauphiné, et sur le chemin de Paris, rencontra ce Paray, d’où il ne devait plus sortir, durant les dix années qu’il vécut. Je remarque que cet arrêt et ce séjour de Bouchu à Paray coïncident avec le temps d’exil qu’y passa le Cardinal de Bouillon, qui ne le rompit qu’en 1715. Il y a là peut-être une explication partielle à la « singularité » de la présence de Bouchu en cette petite ville où, comme le dit Saint-Simon, rien ne le retenait. Je me plais à imaginer que Bouchu fut souvent l’hôte du palais prioral et qu’il dut fort blâmer le Cardinal quand celui-ci prit, en rupture de ban, la route de Hollande avant de s’en aller mourir de rage à Rome ; Bouchu, lui, demeura en son Paray à y vivre en simple bourgeois. Peut-être aimait-il à se promener dans cette avenue de platanes que le Cardinal fit planter et qu’emprunta plus tard la route, créée en 1753, qui va de Digoin à Charolles en passant par Paray. La Révolution épargna les beaux platanes du Cardinal. Elle se contenta de brûler le cartulaire du Prieuré, d’abattre la flèche de l’église et de fermer le cloître. Le palais abbatial fut heureusement respecté. C’est un bâtiment de beau style et de belle ordonnance. La façade regarde la rivière de Bourbince. Avec ses hautes fenêtres, ses balcons ouvragés, il a grande mine, mine princière et de château. Presbytère et collège, il offre de vastes salles voûtées, fraîches et sonores. Avec l’admirable basilique romane, il compose un bel ensemble ecclésiastique et seigneurial qui comprend encore un vase enclos, dit l’Enclos des Chapelains, et enferme la grosse tour ronde où mourut Le Pie, ce cheval de Turenne que le Cardinal enfourcha pour en faire l’hippogriffe de ses chimères, le coursier d’orgueil et de rébellion qui le porta si haut au ciel de ses ambitions et qui, dans sa chute, lui brisa les reins.

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Quittons des yeux le Palais abbatial et allons nous accouder au parapet du petit mur qui borde le cours de la Bourbince au flot capricieux, tantôt abondant, tantôt réduit à un simple filet d’eau. Une vieille carte du Baillage de Charollais en 1708 nous la montre prenant sa source aux confins nord du Baillage, non loin du village de Saint-Eusèche-des-Bois. Lentement, elle atteint Paray, cette Bourbince, et rejoint l’Arroux qui se jette dans la Loire à Digoin. Devant le Palais abbatial une digue la retient ou la laisse passer, selon son débit. Elle coule entre de minces peupliers en fuseaux ; mais prenons le chemin qui contourne l’enclos abbatial et que l’on appelle Le Tour des Moines. Un haut mur le borde derrière lequel s’étend le jardin du couvent de la Visitation et bientôt nous débouchons sur une rue pavée. C’est la Grand’Rue, celle qui traverse Paray de part en part sous des noms divers. Où nous sommes, elle aboutit à l’avenue des platanes qui est la promenade favorite de la ville. Les platanes du Cardinal, plus de deux fois centenaires, sont magnifiques. Ils dressent leurs troncs énormes et leur feuillage monumental. Ces vieux arbres sont admirables en leur vigueur séculaire, avec leurs écorces tachetées et écailleuses qui tombent en larges plaques pareilles à des enveloppes de momies. Ils alignent leur double file majestueuse jusqu’au point où l’avenue bifurque en deux routes qui se rejoignent, l’une, celle de gauche, « la vieille », après une montée assez rude ; l’autre, celle de droite, « la nouvelle », après avoir contourné le flanc du coteau par une courbe d’où l’on a une vue assez étendue sur les prairies et les labours qu’arrose la Bourbince et que coupe, d’un trait d’eau rectiligne, le canal du Centre. Au loin, quelques bois, des fermes et, au bout de l’horizon bleuâtre et modéré, les monts du Beaujolais. Au raccord des deux routes, se détache un sentier rustique qui mène à la petite chapelle de Notre-Dame de Romay, avec sa Vierge miraculeuse et sa fontaine guérisseuse. En continuant nous pourrions atteindre soit le château de Cypierre qui appartint aux Caulaincourt, soit le château de Lugny qui appartint aux Lévis, mais revenons sur nos pas et rentrons dans Paray. Il s’y présente quelques maisons de bonne apparence, car Paray est « bien habité ». Des familles que citaient les versiculets de M. de Coulanges, aucune n’y est plus représentée, mais on en trouve encore de bonne noblesse et de riche bourgeoisie. Leurs demeures et leurs noms furent familiers à ma jeunesse. Depuis lors, certaines sont éteintes et certaines ont disparu, mais n’est-ce pas dans le Paray d’il y a un demi-siècle que je me promène avec vous ?

En ce temps-là, cette grande maison, à droite, en descendant l’avenue des Platanes, un peu à l’écart dans son parc, appartenait aux Quarré de Verneuil. Celle-là, la première, à droite, dans la Grand’Rue, aux Maublanc de Chiseuil. A côté, celles des Mallard de Sormain et des Mallard de Sermaize. Plus loin habitaient les Varenard de Billy, les Perrin de Daron, les Vial d’Alais, les Gillet de Chalonge, les Bouillet de la Faye. En d’autres quartiers, les familles de Finance, de Saint-Maurice, de Bréchard, de Menthon d’Aviernoz, de Barruel Saint-Pons, de Villette. Elles n’avaient pas grand style, ces demeures qui, parfois, se complétaient d’un jardin. Je pourrais vous y faire pénétrer, mais vous n’y verriez rien de bien curieux sinon le décor d’existences aisées, dignes, tranquilles, le plus souvent pieuses et héréditairement provinciales. Des figures d’autrefois nous y accueilleraient. Vous vous assoiriez en des salons sobrement meublés. Vous y entendriez des propos de petite ville, de religion ou de politique, tandis qu’au dehors le tambour de la mairie annoncerait quelque objet perdu, quelque vente aux enchères, quelque arrivée de forains et que, dans le ciel, sonneraient les cloches appelant les fidèles aux Vêpres ou au Salut.

Au lieu donc de nous enfermer dans ce passé, continuons notre promenade par les Fossés en passant devant l’Hôpital et saluons au passage une vieille tour, reste de l’enceinte fortifiée du vieux Paray. Prenons cette étroite ruelle. Nous voici sur une des deux places de la ville. Celle-ci se nomme la Place Dargaud ; l’autre s’appelle la Place du Marché. Une troisième, qui est plutôt une esplanade, sert de champ de foire. C’est le long de ce champ de foire que s’étend le Cours. Il suit le tracé des anciens remparts. Il est planté d’antiques tilleuls, pourvu de bancs de pierre et encadré de parapets de pierre, où sont, de loin en loin, pratiquées des ouvertures. Un certain nombre de maisons ont sur ce Cours des terrasses, des entrées, des vues. Le Cours est un endroit généralement désert, sauf aux jours de foire où il s’encombre de boutiques en plein vent, tandis que le bétail occupe l’esplanade et l’anime du mugissement des boeufs, du meuglement des veaux, du bêlement des moutons et du cri diabolique des cochons. Au bout du Cours on tourne dans la rue du Périer, étroite et commerçante, puis on traverse la Bourbince sur un double pont. Auprès de l’un d’eux, la rivière fait mouvoir la roue d’un moulin. Ensuite c’est l’avenue de la Gare, le pont du Canal, la gare avec sa marchande de livres et de journaux, ses omnibus d’hôtels : de l’Hôtel du Lion d’Or, de l’Hôtel des Trois-Pigeons, de l’Hôtel de la Poste, son jardinet où jaillit, parmi de maigres arbustes, un mince jet d’eau.

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Cette gare, ces rues tranquilles, ce Cours, ces platanes, l’église clunisienne, la chapelle de la Visitation, toute cette petite ville, endormie auprès de sa lente Bourbince, cette solitaire où les passants sont rares, je l’ai vue, en de lointaines années, débordante d’une foule enthousiaste et recueillie, vibrante de prières et de cantiques, regorgeante de pèlerins venus de tous les coins de France, entassés dans les hôtels, logeant où ils pouvaient, campant dans l’église, dormant en pleine rue, la nuque au rebord des trottoirs. C’était, après la guerre de 70, au temps des grands pèlerinages du Sacré-Coeur. La France vaincue adorait dans les plaies divines l’image de ses propres blessures et implorait au pied des autels la guérison de ses maux. L’antique dévotion au Sacré-Coeur de Jésus avait repris un élan prodigieux. Les « trains de pèlerins » se succédaient. En longues files, le scapulaire au cou, le « Coeur » épinglé au corsage ou au veston, pèlerins et pèlerines se formaient en processions, guidés par leur clergé. Les cierges allumés brûlaient aux mains pieuses. Des bras convaincus haussaient de lourdes bannières. Les voix entonnaient le cantique : Sauvez Rome et la France. Cardinaux, archevêques, évêques, prélats convoyaient le cortège vers le Sanctuaire. Peu de malades, car les miracles manquaient. Paray n’avait pas, comme Lourdes, sa piscine de guérison. A la tête de la procession, parmi le haut clergé, on voyait s’avancer un homme qui boitait un peu, à la figure énergique et martiale qu’allongeait une barbiche grise. C’était le commandant des zouaves pontificaux, le général Baron Athanase de Charrette, l’héroïque et glorieux soldat de Loigny et de Patay, portant la bannière que ses zouaves avaient tachée de leur sang dont les gouttes rougissaient encore la blanche étoffe. Aux offices, ce magnifique insigne s’inclinait devant l’ostensoir. Le général de Charrette exerçait un prestige inouï et jouissait d’une sorte de popularité sacrée. Il distribuait en souvenir de petites broches en forme de glaive qui portaient la devise : In hoc signo vinces. On m’obtint de don d’un de ces bijoux. Je l’ai toujours conservé. Quand je le regarde, je revois la prestance du général, le sang de sa bannière héroïque ; j’entends le piétinement des pèlerins, le chant des cantiques. Je revois la flamme des cierges, l’or des crosses et des mitres épiscopales ; je revois toute la pieuse rumeur qu’apportait dans Paray la sorte de chouannerie religieuse que formait cette foule, aux coeurs épinglés, où se confondaient hommes et femmes de tout rang et qui s’écoulait dans un bourdonnement de psaumes récités, en remplissant de sa rumeur liturgique et populaire cette petite ville soudain tumultueuse qui, le flot passé et les foules détournées vers Lourdes, est retombée au silence et à la visite des piétés individuelles et n’a conservé des saintes cohues qui s’y pressèrent pendant un temps que quelques boutiques où l’on vend des images du Sacré-Coeur et des feuilles du noisetier de l’Apparition, cette petite ville qui sommeille doucement, au murmure de ses platanes, à l’ombre de sa basilique romane et de son prieuré, parmi ses grasses prairies et ses beaux labours, dans le calme de son passé monacal.

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J’ai dit qu’il y a deux places à Paray : l’une la Place Dargaud ; l’autre la Place du Marché. Elles sont séparées par un groupe de maisons et différent en ce que la Place du Marché est commerçante et que la Place Dargaud ne l’est point. Sur la Place du Marché se tient naturellement le marché. On y voit aussi plusieurs boutiques : celles du drapier et du mercier, du coiffeur et du ferblantier. Il y a aussi un café. La seule maison privée de la place est une maison en pierre qui a deux étages avec trois fenêtres en façade par étage. C’est là qu’habitaient mon grand-père et ma grand’mère maternels. Cette maison avait pour voisine la maison Villedey qui empiétait un peu sur la Place Dargaud. Sur cette place Dargaud dans une autre maison, aussi à deux étages et à trois fenêtres par étage, habitait mon arrière-grand’mère. Après sa mort, un frère de mon grand-père l’occupa, puis elle passa à l’un de mes oncles et enfin à ses filles. Chacune de ces maisons était pourvue d’un jardin ; celui de la maison était Place Dargaud qui était, comme je l’ai dit, à ma bisaïeule, Mme de Guillermin, se trouvait dans le faubourg de l’Hôpital. Il était assez grand, carré, entouré de hauts murs, et n’avait de remarquable qu’un plant de magnifiques framboisiers.

A ce jardin je préférais de beaucoup celui de la maison de la Place du Marché, de la maison Curley, comme on l’appelait, du nom de mes grands-parents. Il était situé, ce jardin, au-delà du Cours, entre le champ de foire et une vaste prairie : le Pâquier, qui est un bien communal et s’étend jusqu’à la Bourbince. Ce jardin non plus n’avait rien de particulier. Son long rectangle était divisé en carrés aux allées bordées de fraisiers. Enclos par un mur trop bas, il n’était guère à l’abri des maraudeurs. Ses poiriers, ses pruniers, ses pêchers en espaliers étaient souvent dévastés. A peu près au milieu du jardin s’élevaient un noisetier et un mûrier. A leur ombre s’abritait un banc. Non loin de là se trouvait un réservoir où l’on descendait par un certain nombre de marches et d’où une pompe amenait l’eau dans une cuve de pierre que l’on appelait la « bachasse ». A l’un des bouts du jardin s’élevait un pavillon où l’on conservait des graines de semences et des outils de jardinage. Un des attraits de ce jardin consistait en d’innombrables lézards et une grosse tortue que l’on apercevait parfois traînant sa carapace parmi les salades. Souvent, après le déjeuner, « on allait au jardin ». Ma grand’mère, ma mère, mes tantes y cousaient sous le noisetier. J’y rôdais durant de longues heures, enfant ; plus tard, jeune homme, j’y venais parfois lire et rêvasser. Quelques tendres souvenirs d’adolescence sont liés à cet humble enclos.

Ici, je m’arrête. Ce ne sont pas des « Souvenirs d’enfance » ou plus précisément des « Souvenirs de mon enfance » que je voudrais fixer. Je n’ai pas grand goût chez les autres pour ces réminiscences puériles où l’on se considère un peu trop comme le « centre du monde ». Pour se justifier, les souvenirs d’enfance doivent être ceux d’une enfance exceptionnelle. C’est le cas d’un Chateaubriand, à la rigueur d’un Renan, d’un Loti, mais il est des enfances plus modestes et plus ordinaires qui n’eurent rien de particulier que d’être heureuses et choyées et qui ne comportent ni événements mémorables ni impressions bien originales. Ces enfances appartiennent à ceux qui les ont vécues, mais ne contiennent rien qui mérite d’être donné en exemple ou en spectacle. Elles sont notre intime bien et nous ne devons soulever que bien légèrement le voile qui les recouvre. En un mot je ne suis pas partisan de « l’égotisme » prématuré. J’admire, certes, la façon dont le pratique un Henry Brulard, mais je n’ai point le dessein de l’imiter. En revanche, ce qui me semble fort permis et ne me semble entaché d’aucune outrecuidante vanité égotiste, c’est d’évoquer le plus objectivement possible les lieux où vécurent notre enfance et notre jeunesse, de noter les aspects des choses qui nous ont entouré ou frappé, de fixer l’image des êtres chers ou familiers, trop vite disparus de notre vie, de rapporter ce que nous savons d’eux par ce qu’ils nous ont appris les uns des autres ou ce que nous en avons appris ou observé par nous-mêmes. C’est à ce sentiment que j’obéis en traçant les lignes qui vont suivre. Ce ne sont pas, je le répète, des « Souvenirs d’enfance » que je tente de rassembler ici, mais des « Souvenirs de famille ». Je sais bien que la démarcation est assez difficile à maintenir et qu’il arrivera que parfois peut-être j’aurai l’air de me « mettre en scène ». Qu’on voie donc dans ce que je viens de dire une intention plutôt qu’un engagement absolu. Je ne réponds pas de ne jamais laisser apparaître, parmi les figures de jadis dont il va être question, la silhouette d’un petit garçon qui venait en vacances chez ses grands-parents ou d’un jeune homme qui sentait se former ses premiers sentiments et ses premiers rêves.

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La première figure familiale qui se présente à ma mémoire est celle de mon arrière-grand’-mère maternelle, Mme de Guillermin, que l’on appelait « grand’maman Justine ». Elle était la fille de M. de Sermizelles, commandeur de l’ordre de Saint-Louis et d’une demoiselle Bizouard de Montille. Elle avait épousé en 1809 mon bisaïeul, Alphonse de Guillermin, fils de Jean-Baptiste-Alphonse de Guillermin, Capitaine de Cavalerie, et de Madeleine Chevalier des Raviers. Ces Chevaliers étaient originaires de Bois-Sainte-Marie. Un membre de cette famille avait été Curé de Paray au milieu du XVIIIe siècle. Un autre, Jean Chevalier des Raviers, brigadier aux Gardes du Corps de Roi en 1788, était mort à Paray en 1814. Les Guillermin, eux, étaient venus d’Avignon dans le Lyonnais et le Mâconnais, puis s’étaient établis à Paray. L’un d’eux, Antoine de Guillermin, Seigneur de Monpinay, avait eu de sa femme, Marie-Cunégonde de Foudras, un fils Antoine-Hilaire, Lieutenant-Colonel d’Infanterie, Comte de Courcenay par érection de cette terre en comté, en janvier 1772. Il avait épousé, le 8 mars 1769, Antoinette-Delphine de Busseul, d’une très ancienne maison du Charollais remontant à Hugues de Busseul qui, en 1040, souscrivit une donation faite à l’Abbaye de Cluni. Une fille de François-Gabriel de Busseul, Comte de Saint-Sernin, mariée en 1659 à Antoine Le Prêtre de Vauban, Lieutenant-général et grand-croix de Saint-Louis, lui apporta en dot les terres de Saint-Sernin et de Boyer qui furent érigées par le roi Louis XV en comté sous le nom de Vauban. Un Antoine-Léonard, Comte de Busseul, Lieutenant-colonel du Royal Cavalerie, dont le fils Louis-Antoine, Lieutenant général et Commandeur de Saint-Louis, mourut à Paray en 1851, figure parmi les gentilshommes qui assistèrent, le 20 mars 1789, à l’assemblée du Baillage du Charollais pour l’élection des députés aux Etats Généraux, en même temps qu’un Guillaume-Alexandre de Guillermin, Seigneur de Saint-Romain ; mais de tous les Guillermin, aucun n’excita plus mon imagination d’enfant que celui que représentait une énorme toile enfumée, pendue dans la salle à manger de mes grands-parents. Ce héros portait cuirasse et était coiffé d’un casque emplumé. L’épée à la main et l’écharpe blanche en sautoir, posté sur un tertre, il dirigeait une bataille furieuse et minuscule où s’évertuaient des soldats lilliputiens. On distinguait dans la mêlée des lignes de cavaliers et de fantassins. L’éclair des canons rivalisait avec le feu des mousquets. Tout cela était peint avec une touchante et orgueilleuse naïveté, aussi bien les escadrons, les bataillons et les batteries que le Guillermin de taille démesurée qui présidait en géant à cette bataille de nains, la bataille des Dunes m’avait-on dit, mais je n’ai jamais pu savoir quel rôle y avait joué en réalité le Guillermin cuirassé, empanaché et écharpé qui faisait si altière figure dans cette imagerie guerrière et picturale, étroitement liée dans ma mémoire au souvenir de la « grand’-maman Justine ».

Lorsque je la connus, elle me paraissait aussi vieille que le tableau, avec le personnage principal duquel je lui trouvais une vague ressemblance. Elle était en effet à cette époque extrêmement âgée, étant née bien avant la Révolution, probablement vers 1780, et quand je fus en âge de me la rappeler, elle était déjà plus que nonagénaire. Elle vivait seule avec sa servante nommée Mariette dans sa maison de la Place Dargaud. On s’y trouvait, la porte de la rue ouverte, dans un long corridor sur lequel donnait le salon. Ce salon était carrelé de rouge, peu meublé. J’y revois des fauteuils de forme Empire, à sièges et à dossiers de crin ou de velours d’Utrecht. Au milieu, un grand guéridon. Dans un coin, une table à jeu. Près de la cheminée, un portrait du Commandeur de Sermizelles  avec son cordon rouge. C’est dans ce salon que se tenait d’ordinaire « grand’-maman Justine ». Jeune, elle avait, paraît-il, été jolie et elle était restée longtemps coquette et gourmande. On disait qu’en 93, le jour de la mort de Louis XVI, son père, bon royaliste, l’avait fouettée pour qu’elle ne perdît jamais le souvenir de cet événement historique. Lorsque l’on me menait chez elle, je la trouvais assise dans sa bergère. Elle portait une sorte de caraco en taffetas noir ou violet et, aux mains, des mitaines. Elle était coiffée d’un chapeau en forme de capote auquel était fixé un tour de faux cheveux qui encadrait ses joues par deux papillotes en boudin. Elle ne quittait jamais ce chapeau et le gardait même au bain, les brides relevées et attachées à la nuque. Elle avait le visage coloré, le nez long, les yeux éteints par l’âge. Elle avait été fort joueuse et surtout au reversi. Elle continuait à faire d’interminables parties de cartes avec une voisine qui se nommait Mme Bouthier et qu’elle appelait « ma mie ». J’assistais parfois à leur jeu, plein d’admiration pour les jetons blancs, rouges et verts. « Grand’maman Justine » ne s’interrompait que pour rajuster ses lunettes sur son nez bourré de tabac, prendre une prise à sa tabatière ou, dans une petite bonbonnière en écaille ornée d’étoiles d’or, m’offrir des pastilles de chocolat. Lorsque je venais voir ma bisaïeule, je ne quittais guère ce salon. Ce ne fut que plus tard que je parcourus le reste de la maison. Un été, avant qu’elle fût habitée de nouveau, après la mort de « grand’maman Justine », je passais de longues heures à rôder dans ses pièces à demi démeublées. J’y avait découvert un Jésus en cire, sous un globe, une épée d’officier et, sur un rayon, les oeuvres complètes du Cardinal de la Luzerne, plus un petit pot de fard de Portugal. « Grand’maman Justine » avait tout pour devenir centenaire et si, de peu, elle manqua de vivre son siècle, ce fut par accident. Chaque soir après dîner, elle avait l’habitude de venir passer la soirée chez sa fille. A l’heure du départ, « grand’maman Justine » frappait avec ses mains et s’écriait : « Mariette, ma lanterne ! » Mariette apportait la lanterne et les deux vieilles regagnaient le logis. Un soir de vent, « grand’maman Justine » tomba et se fractura le col du fémur. Elle vécut encore quelque temps et s’éteignit doucement. Elle repose au cimetière de Paray, à côté de son mari qui l’y avait précédée depuis longtemps déjà.

Il était né en 1780 et c’était, m’a-t-on conté, un singulier personnage que mon bisaïeul Alphonse de Guillermin. C’était ce qu’on appelle un fieffé original. Grand chasseur, il était aussi lecteur intrépide, sachant l’espagnol et l’italien. J’ai même retrouvé quelques petits vers de sa façon. Ils ne sont pas fameux, mais sa conversation était, paraît-il, des plus brillantes. Il était éloquent, spirituel, caustique, mais d’une incroyable sauvagerie, fuyant le monde et tout le monde. Quand on le voulait voir, il fallait le surprendre et pénétrer par ruse dans sa maison, sans quoi il s’esquivait au coup de sonnette. Saisi à l’improviste, il se résignait et se montrait le plus aimable partenaire qui fût. Il adorait la politique et le prouva dans sa dernière maladie. A l’agonie, il s’imaginait à la tribune de la Chambre et prononça un discours admirable. Je n’ai de lui aucun portrait.

De leur mariage M. et Mme de Guillermin n’eurent qu’une fille, Marie-Madeleine-Octavie, ma grand’mère, qui épousa Alexandre-Philibert-Joseph du Bard de Curley. Dans un petit essai intitulé Les trois fils de Madame de Chasans et qui fait partie de mon volume de Proses datées, j’ai dit d’où venaient et ce qu’étaient ces du Bard, qui portèrent les noms de Curley, Ternant et Chasans, ce dernier leur étant échu avec la terre de Chasans apportée en dot à un du Bard, en 1662, par sa femme Marie de Saumaise de Chasans. Je ne reviendrai donc pas sur ces détails de famille. J’ajouterai seulement que ce ne fut qu’après 1830 que mon grand-père Alexandre de Curley vint, de Beaune, s’établir à Paray, ayant démissionné, lors de la Révolution de Juillet, de sa place de receveur des Contributions directes. Cette démission montre que mon grand-père était légitimiste. Il le demeura jusqu’à la fin. Il conservait, précieusement encadrée, une feuille de papier portant la signature de Monseigneur le Comte de Chambord. Elle était placée dans le salon, sous un grand et assez curieux portrait de l’érudit Claude de Saumaise, dit le Docte, attribué à Philippe de Champagne, qui était, avec celui du Sieur Nicolas Barrault, maire d’Autun en 1703, le principal ornement de ce salon dont le seul meuble de prix était une assez belle commode Louis XVI en bois doré.

D’ailleurs pas plus que par son mobilier n’était remarquable par son architecture la maison que mes grands-parents habitaient à Paray. Elle était sans caractère, quoique ancienne. Elle avait été acquise d’une certaine Mme de Macheco et présentait la commodité d’avoir double entrée, l’une sur la Place du Marché, l’autre sur le Cours. Elle était assez vaste et comprenait même, à côté de la cuisine, une remise qui abritait une antique berline de voyage. Cette cuisine, avec la petite pièce qu’on appelait « la bassie », était le domaine de la vieille Françoise, type admirable des servantes d’autrefois. Mais cette maison, je l’ai décrite fort exactement dans une nouvelle : Les Jours heureux qui figure parmi celles du Trèfle blanc, dans le volume qui a pour titre : Couleur du temps. Ce qui est assez rare dans mes écrits, presque rien de ce petit ouvrage n’est imaginé (2). Presque tout y est réel jusqu’à l’épisode de vie enfantine qui en forme le sujet. J’y renvoie donc le lecteur. Il y trouvera un portrait assez ressemblant de mon grand-père Curley ou du moins l’image que j’ai gardée de lui. De tout ce que j’en ai pu apprendre par la suite, mon grand-père était un homme bon et sévère, très droit, un peu dur, entêté, de physionomie grave. Ses filles l’adoraient. Une chute l’avait rendu presque impotent. Il marchait avec une extrême difficulté et ne quittait guère son fauteuil. Son hiver se passait presque entièrement au coin du feu, où il se chauffait ainsi que les couleuvres qu’il s’amusait à élever. Les cartes étaient sa principale distraction. Les silences du whist convenaient à son caractère taciturne. Chaque jour, on « venait jouer » chez lui et il s’y tenait un petit cercle d’amis, car il était fort considéré, malgré certaines brusqueries et certaines colères. Je le revois dans son fauteuil, avec de beaux yeux sous d’épais sourcils, une forte barbe grise, un teint jaune, parfois debout pour une brève et pénible promenade au jardin, puis, enfin, à ses derniers jours, face de souffrance creusée, dans l’ombre d’un lit à rideaux et le front entouré d’un madras à ramages.

C’est dans cette chambre, qu’elle occupa après la mort de mon grand-père, que je retrouve le mieux ma grand’mère. Les êtres nous imposent un certain décor qui devient le cadre nécessaire du souvenir que nous conservons d’eux. C’est devant sa table à jeu que je revois le mieux « grand’maman Justine » ; c’est dans son fauteuil de valétudinaire, les mains croisées sur la béquille de sa canne, que je revois le plus nettement mon grand-père Curley. Ma grand’-mère n’est pour moi bien elle-même que dans cette chambre, où elle se tenait volontiers. Elle y faisait ses comptes et ses dévotions. Elle y recevait ses deux fermiers, les jours de foire. Elle s’y enfermait, les jours d’orage, volets clos et cierges allumés. Elle y récitait ses prières et y égrenait son chapelet devant les images de piété qu’elle vénérait. Un beau vieux secrétaire lui servait à ranger ses papiers. Son lit était placé dans une alcôve. A la chambre était joint un petit cabinet de débarras, contenant quelques livres. C’est là que j’ai trouvé le Traité d’hydraulique de M. de Belidor, dont les planches faisaient mes délices autant que celles du Traité d’architecture de Blondel, dont je possède encore les dix volumes reliés en veau. Ma grand’mère ne quittait guère sa chambre que pour aller au salon recevoir ses visites, mais elle aimait encore mieux en faire qu’en recevoir ; ces allées et venues tenaient une place importante dans sa vie, ainsi que l’assistance aux offices. De chez ses amies, ma grand’mère rapportait les propos de la ville. L’une d’elles répondait au prénom d’Isaure, que je trouvais bizarre et qui m’enchantait. Ces visites causaient à ma grand’mère de grands plaisirs et de continuelles anxiétés. Son souci le plus sincère était d’éviter la médisance en conversation et elle vivait dans la crainte de « manquer à la charité », car elle était fort pieuse et extrêmement scrupuleuse. Les « scrupules » de conscience l’empêchaient de goûter beaucoup de choses qui l’eussent intéressée, car elle était solidement instruite et d’une remarquable intelligence. Elle tenait de son père, grand lecteur et homme d’esprit, qui lui avait fait donner une bonne éducation, dans un pensionnat de Paris, alors en renom, celui de Mlle Daubrée. Cette personne était en relations avec Chateaubriand, qui ne dédaignait pas d’assister parfois aux cours et d’examiner les meilleures compositions françaises des jeunes élèves. Ma grand’mère se souvenait d’avoir lu devant le grand homme un devoir de sa façon qui avait pour sujet la description d’un feu d’artifice, et que M. de Chateaubriand avait daigné apprécier. Malgré ce souvenir, ma grand’mère ne me vit pas sans appréhension aborder la carrière des Lettres. Mes vers de jeune homme ne ressemblaient pas assez aux nobles pages de M. de Chateaubriand. Je crois cependant que ma grand’mère m’aimait bien, mais elle était peu expansive. Elle avait un visage régulier et expressif. De grosses papillotes grises roulées lui descendaient le long des joues. Elle portait un bonnet de dentelles et j’entends encore dans le passé le bruit des aiguilles d’acier de son tricot dont elle laissait fréquemment échapper les mailles. Malgré les réserves qu’elle y faisait, je sais qu’elle ne fut pas insensible à la bienveillante attention qui accueillit mes débuts dans l’art des vers, mais elle eût préféré au fond d’elle-même que je m’en tinsse à l’art héraldique pour lequel mon adolescence avait témoigné d’un goût singulier.

Ce goût m’avait été donné par une circonstance de famille. A la mort de ma bisaïeule, Mme de Guillermin, le frère de mon grand-père Curley, l’oncle Jules, comme on l’appelait, avait acquis la maison de la Place Dargaud et était venu l’habiter. Il avait apporté avec lui son cabinet de généalogiste amateur : in-folios de Moréri et du Père Anselme, recueils de d’Hozier, annuaires de la noblesse de Borel d’Hauterive, Dictionnaires nobiliaires de la Chesnaye des Bois et de Saint-Allais, armoriaux de toute espèce qui lui servaient à composer une histoire de la maison de Saumaise qu’il publia et qui l’entraînait à de minutieuses recherches d’archives. J’étais trop jeune pour le suivre dans les méandres et les labyrinthes des ascendances et des alliances et j’étais alors moins généalogiste qu’héraldiste. Inapte à dresser un « arbre » avec toutes ses branches, je me contentais de la lecture, du dessin et du coloriage des blasons dont je formais de volumineux albums. Ce travail emportait l’assentiment de tous, car il me tenait de longues heures en compagnie de mes pinceaux, de mes godets, de mes couleurs et m’avait valu l’amitié de mon bon oncle Jules.

L’oncle Jules avait deux enfants de sa première femme, une demoiselle Sousselier de la Tour, une fille, et un fils qui fut le Révérend Père de Curley, de la Compagnie de Jésus, auteur de plusieurs ouvrages de théologie et d’histoire. Au-dessus d’un corps gigantesque, le Père de Curley dressait une tête glabre et sérieuse. L’oncle Jules ne le cédait guère en hauteur à son Jésuite. Très grand, très maigre, très courbé, chauve avec une longue figure encore allongée par une longue barbe grise en pointe, il portait d’interminables redingotes et avait un air d’ecclésiastique en civil. C’était un homme bon, doux, timide, cérémonieux, très bien avec tous les Pères Jésuites de la Maison de Paray, mais qui n’était vraiment à l’aise que devant ses in-folios, ses fiches et ses parchemins. Sa femme, la seconde, car il s’était remarié sur le tard avec Mlle Claire de Valleton, Avignonnaise, formait avec lui un parfait contraste. Haute en couleur et en propos, pourvue d’un superbe accent méridional, un corps trapu et ramassé, un visage aux gros traits et à petits yeux, un teint qui passait du violet à l’écarlate, de l’aubergine à la tomate, le tout surmonté d’un bonnet à rubans. C’était une excellente femme, pleine de verve et de bonhomie. Quand elle mourut après l’oncle Jules, la maison passa à mon oncle M. Achille Barrié qui avait épousé une soeur de ma mère. Leur fils Joseph Barrié, commandant du 13e bataillon de Chasseurs alpins, fut mortellement blessé à l’Hartmannsvillerkopf.

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Ce n’est point facile, quand on ne leur peut donner que de médiocres dots et ne leur offrir que de médiocres « espérances », ce n’est point facile de marier cinq filles, surtout dans une petit ville de province où les « partis » sont rares. Pour y parvenir on fait appel aux relations de famille, aux entremises amicales. Ce fut ainsi que mes grands-parents marièrent leur fille aînée Mathilde. J’ai dit plus haut qu’un certain Antoine de Guillermin, Seigneur de Monpinay, Lieutenant au régiment de Provence, avait épousé une certaine Marie-Cunégonde de Foudras. Cette alliance avait maintenu des relations entre les Guillermin et les Foudras. Une autre Guillermin de Monpinay avait épousé un Antoine de Saint-Priest de Sainte-Colombe et leur fille Colombe de Saint-Priest de Sainte-Colombe était en 1831 devenue la femme de Charles-Antoine-Gilbert, Comte de Pons. Or, ce Gilbert de Pons avait eu pour père Marie-Louis-Richard, Comte de Pons, Seigneur de la Bâtie, d’une branche dauphinoise de la très ancienne et très illustre maison des Sires de Pons (3). Ce comte de Pons, né en 1771, avait servi tout d’abord au régiment de Royal Infanterie, puis ayant émigré, il avait fait les campagnes de l’armée des Princes dans les Chevaliers de la Couronne et les Chasseurs nobles du Berri. A son retour en France, en 1802, il avait épousé Paule-Marie-Delphine de Foudras, fille d’Antoine-Gilbert de Foudras d’Aurigny et de Anne-Marie de Mont-d’Or. Je possède un petit portrait au crayon de ce vieux brave, qui, à la Restauration, avait été nommé gouverneur de la Citadelle de Mont-Dauphin dont il fit en 1830 le dernier point de France où flotta le drapeau blanc et j’ai aussi entre les mains une miniature de sa femme. Elle n’est pas belle, malgré une coiffure bouclée et pomponnée. Elle porte une robe blanche à taille haute. Son cou est enserré d’une collerette de tulle. A son corsage pend par un ruban noir une croix de Malte, car Delphine de Foudras était Chanoinesse de l’Ordre. Auprès d’elle, sur un meuble, est posé le buste du roi Louis XVIII (4).

Outre leur fils aîné Gilbert, M. et Mme de Pons avaient eu plusieurs enfants. L’un d’eux portait comme son père les prénoms de Marie-Louis- Richard. Il était né en 1804. Engagé comme simple soldat dans l’infanterie, il s’était distingué à l’attaque de la barricade du Cloître Saint-Merri et avait été fait chevalier de la Légion d’honneur, de la main même du roi Louis-Philippe. D’humeur aventureuse, il avait en 1836 gagné l’Espagne et pendant sept ans il y avait servi dans l’armée carliste sous les ordres de Cabrera, Comte de Morella. Il en avait rapporté de brillants états de service, le grade de capitaine et les croix de Saint-Ferdinand et de la Fidélité Constante, ainsi que de nombreuses blessures dont une balle dans le genou. A son retour d’Espagne, il s’était retiré au Château de Fontaine, près de Grenoble, et en 1854 il épousa l’aînée des cinq filles de mes grands-parents : Mathilde-Marie-Madeleine. Plus tard M. et Mme de Pons vinrent se fixer à Paris, et, en 1870, pendant le siège, M. de Pons reprit du service avec le grade de capitaine dans le Génie. A la bataille de Champigny, il fit prisonniers de sa main quatre Bavarois. Du siège de Paris, de ses guerres carlistes en Espagne, l’« oncle Richard » avait rapporté de magnifiques histoires dont il enchanta mon enfance et ma jeunesse. C’était un homme à la maigre figure énergique, d’allure militaire, très astiqué, violent et bon, querelleur et exalté, de coeur généreux et digne de celle qu’il avait épousée et qui fut une des plus profondes et des plus tendres affections de ma vie.

Cette soeur, sa soeur Mathilde, était la soeur préférée de ma mère dont le mariage suivit d’assez près celui de son aînée. Ce furent aussi des relations de famille qui unirent Thérèse-Adélaïde-Adrienne du Bard de Curley et Henri-Charles de Régnier. Pour les expliquer, je suis obligé d’entrer dans des détails de parentés un peu minutieux, mais auxquels se prête complaisamment ma vieille passion de généalogiste. Mon grand-père Charles-François-Henri de Régnier avait épousé, le 11 janvier 1816, Marie-Charlotte-Françoise-Joséphine de Léonardy, fille de Louis-Joseph de Léonardy, officier au régiment de Beaujolais, et de Claudine-Madeleine de Guillermin. Or, ce Louis-Joseph de Léonardy avait eu pour père Jacques--Joseph de Léonardy, Seigneur de Maleroux, Capitaine au régiment de Lowendahl dont la fille Henriette-Charlotte avait épousé, le 30 novembre 1779, mon bisaïeul François de Régnier, Seigneur de Vigneux et de Rocan, Capitaine au régiment de Royal-Dragons. De ces alliances résultait entre ma mère et mon père un certain cousinage qui provenait du mariage de Louis-Joseph de Léonardy avec Claudine-Madeleine de Guillermin, fille d’Antoine de Guillermin, Seigneur de Neusières, Capitaine au régiment de Provence-Infanterie. Ce mariage, dont j’ai sous les yeux le contrat passé à Paray le 29 novembre 1784, ne fut pas heureux. Les jeunes époux, quoique du même âge, étant tous deux nés en 1762, ne s’accordèrent que médiocrement et ce mariage d’amour, car c’en était un, ne produisit qu’un assez mauvais ménage. Le brillant officier au régiment de Beaujolais ne fut pas le modèle des époux. Le régiment de Beaujolais avait été envoyé à Paray pour contribuer au creusement du canal du Centre. Au XVIIIe siècle, on employait volontiers, en temps de paix, l’armée à des travaux utiles. Tout en les surveillant, le jeune officier, introduit chez les Guillermin, faisait à Claudine-Madeleine une cour assidue dont s’ensuivit le mariage et, juste un an après, le 29 décembre 1785, la naissance de la petite Marie-Françoise-Charlotte-Joséphine qui fut ma grand’mère et vécut jusqu’en 1847. Quant à Louis-Joseph de Léonardy, la Révolution le fit émigrer. Je ne sais trop ce qu’il devint, sinon qu’ayant obtenu le divorce, il se fixa à Hambourg et s’y remaria. Il y était encore le 11 janvier 1816 lors du mariage de sa fille avec mon grand-père. On dit qu’il y menait vie de tripot, qu’un soir au jeu, sur la mise d’une pincée de tabac, il gagna un monceau de louis qu’il reperdit aussitôt. Il était connu là-bas sur le surnom du « Beau Français ». La miniature que je possède de lui justifie ce sobriquet flatteur. Il y porte l’uniforme blanc à parements et à revers cramoisis du régiment de Beaujolais. Il est charmant sous la poudre avec sa figure spirituelle et son air évaporé. Au dos du cadre, les lettres L et G, en cheveux, entrelacent leurs initiales conjugales, fallacieux emblème d’une union que la Loi finit par rompre après que le coeur l’eut dénouée !

Si le « beau Français » émigra, sa femme ne le suivit pas en exil. Je crois qu’elle ne fut pas inquiétée, quoique son mari eut assisté à la réunion de la Noblesse du Baillage du Charollais, le 20 mars 1789. L’ordre envoya aux Etats Généraux pour l’y représenter deux députés dont l’un fut Etienne Meynaud de Lavau, Capitaine dans Orléans-Dragons, qui avait épousé Marie-Jocobée-Sophie de Guillermin, soeur de Claudine-Madeleine. Mme de Léonardy demeura donc à Paray. Elle y habitait rue Dame-Dieu et ce fut, d’après ce que l’on m’a conté, une étrange personne. Elle était de haute taille, l’air hommasse. Populacière et sarcastique, le verbe brusque et piquant, elle excellait à donner des ridicules et à amuser. Elle était grande affubleuse de sobriquets. Toute la ville y passait. Elle qualifiait les gens de « guenon de nature » ou de « guenon du genre humain », invectives dont le sens me demeure mystérieux. Un soir, elle arrive au bal, les mains écorchées. « Où vous êtes-vous fait cela ? » lui demande-t-on. « En écaillant mon poisson. » Elle aimait la toilette et s’en fabriquait d’incroyables qu’elle portait fièrement par les rues. Quand elle maria sa fille à mon grand-père, elle ne voulut jamais revenir de l’église en voiture. Elle rentra à pied, pour se faire admirer. On se souvenait encore d’un chapeau qu’elle avait eu ; il était en carton d’une forme de casserole, recouvert de papier d’argent et garni de plumes de paon. Elle se fardait violemment, sauf pendant la Semaine Sainte et ne reprenait son rouge que le jour de Pâques. Elle mourut très vieille, impotente, son lit placé sous l’escalier pour mieux voir qui entrait et sortait et, sous les draps, un bâton caché dont elle battait ses servantes, les accusant de lui voler sa cendre et de l’emporter dans un cornet.

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Mon père ne tenait rien de cet aïeul aventurier et roué et de cette terrible et baroque grand’mère. Il avait une douceur de caractère, une égalité d’humeur que son père n’avait pas non plus, car c’était un homme rude, autoritaire et hautain que mon grand-père Charles-François-Henri de Régnier, un homme de l’ancien régime, un ci-devant. Les portraits que j’ai de lui me le montrent déjà âgé, de taille moyenne, la tête forte et sévère, le nez aquilin, le front haut, les cheveux blancs, tondus de près, le visage soigneusement rasé. C’est ainsi qu’il m’apparaît dans mon souvenir, car il ne mourut que le 9 août 1877. Il était né le 24 janvier 1789 au château de Rocan, près de Sedan. Enfant, il avait suivi son père et sa mère en émigration et était rentré en France le 17 prairial an X. Le 10 germinal an XI il avait obtenu un certificat d’amnistie. En 1815, il avait suivi à Gand le Roi Louis XVIII et s’était enrôlé comme volontaire dans l’Armée Royale de Belgique sous les ordres du Duc de Berri, dont lui fut donné certificat le 26 juillet 1816. Il était à cette époque sous-inspecteur des Douanes à Armentières. Il en fut par la suite directeur à Lorient et à Vannes. Il avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur par brevet du 18 mai 1826. Envers lui, mon père fut toujours le fils le plus respectueux et le plus soumis. Mon père aurait aimé être marin, mais sa mauvaise vue l’en empêcha. Dans sa jeunesse, les choses de la mer le passionnaient. A Lorient, à Vannes, il était réputé pour sa hardiesse. Naviguant dans la rade ou le golfe sur une petite barque de plaisance, il y fut plus d’une fois en péril, mais il dut cesser ses exploits nautiques pour entrer dans l’Administration des Douanes. En 1855, il reçut un poste en Corse, à Bastia. Je possède de lui, de ce temps-là, un cahier de notes écrites en caractères microscopiques, presque indéchiffrables, et rédigées, tantôt en anglais, tantôt en italien. Mon père savait très bien ces deux langues. Durant un voyage d’Italie, il séjourna à Rome. Ce fut à son retour qu’il épousa ma mère, Thérèse-Adélaïde-Adrienne du Bard de Curley, fille d’Alexandre du Bard de Curley et d’Octavie de Guillermin. Le mariage fut célébré à Paray le 26 octobre 1857, ma mère avait 21 ans et mon père 37, lui, étant né à Bordeaux le 21 septembre 1820, elle, à Paray le 8 janvier 1836. Après leur mariage, mes parents habitèrent successivement à Saint-Laurent-du-Var, à Bordeaux et à Honfleur où je suis né. D’Honfleur, mon père fut nommé en 1871 receveur des Douanes à Paris. Nous y arrivâmes au lendemain de la Commune. Dans la porte de la maison où nous habitâmes quelque temps, boulevard Davout, on voyait encore le trou rond creusé par la balle qui avait traversé le corps d’une « pétroleuse » qu’on avait fusillée là. Mon père était un homme doux et bon, au beau visage clair et coloré, aux yeux très bleus. Sa barbe et ses cheveux étaient blancs, d’un blanc argenté, je l’ai toujours connu ainsi. Sa vie était ordonnée, simple, assez solitaire. Il fréquentait peu le monde, aimait la lecture, les longues promenades. Enfant, il m’emmenait souvent aux environs de Paris, à Saint-Cloud, à Versailles, causant familièrement avec les gens. Modeste et réservé, il avait une certaine méfiance de lui-même. Sa piété qui était vive était indulgente et tolérante et l’aida à supporter la longue maladie qui attrista les dernières années de sa vie. Je lui garde, ainsi qu’à ma mère, une vive reconnaissance de la bonté avec laquelle ils ont accueilli mon goût pour les Lettres. Je leur dois les loisirs qui m’ont permis mes premiers essais. Grâce à eux, j’ai pu devenir librement le peu que je suis. Je leur ai témoigné de mon mieux, quoique bien faiblement, la gratitude que je leur en devais.

Ma mère avait plus de vivacité et de feu dans l’esprit que mon père. Elle l’avait de Bourgogne, alerte, piquant, très observateur, volontiers satirique. Elle aimait fort la société sans y sacrifier ses devoirs de famille et je garde un souvenir profond de l’infinie tendresse qu’elle m’a toujours témoignée. J’ai eu le bonheur de la garder auprès de moi jusqu’au dernier jour de sa longue, lucide et vivante vieillesse. Sa perte est trop récente et je la ressens trop douloureusement pour que j’aie la force d’évoquer ici sa chère image. Tout ce que je puis dire, c’est que je lui dois beaucoup de ces notes mémoriales. Ayant quitté Paray après son mariage, pendant longtemps elle y retournait presque chaque année et elle m’a conté beaucoup des choses que je viens de rapporter. Sa mémoire d’octogénaire revenait volontiers à la petite ville natale et aux gens qu’elle y avait connus. Parmi ces souvenirs, il en était un qu’elle rappelait volontiers.

Elle avait dix ou douze ans et se promenait dans l’avenue des Platanes en compagnie de son amie Sarah de Champeaux et de Mme de Champeaux sa mère. Comme elles s’en revenaient elles virent venir à elles un groupe formé de M. et de Mme Dargaud, accompagnés d’un grand monsieur maigre, coiffé d’un chapeau gris et autour de qui sautillait une levrette blanche. On s’arrêta et Mme Dargaud qui était belle parleuse dit au monsieur à chapeau gris en lui désignant les deux fillettes : « N’est-ce pas, Monsieur, que ce sont deux belles petites cariatides. » Ma mère avait toujours retenu ce mot de « cariatide », pour elle alors incompréhensible.

Et ce fut ainsi que ma mère fut présentée à M. Alphonse de Lamartine, en visite à Paray, chez son ami l’historien Dargaud.

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Me voici de nouveau, en imagination, sous les grands platanes du Cardinal de Bouillon. Peut-être est-ce un de ces jours d’été où leur feuillage laisse passer les rayons remuants du soleil, peut-être est-ce un de ces jours d’automne où leur écorce serpentine se détache de leurs troncs tachetés. J’aime ce promenoir ombragé. On y est bien pour évoquer les images d’autrefois. Là je revois bien le Paray du temps de ma jeunesse. Quels souvenirs y choisirai-je ? Le mariage des trois autres soeurs de ma mère ? Quelles figures y rappellerai-je à ma pensée ? Sera-ce le vieux M. Gaspard de Verneuil que je verrai passer sous ces arbres, avec sa perruque et ses souliers vernis ? Sera-ce le petit M. Victor de Chiseuil qui périt à Paray, si mystérieusement assassiné par un meurtrier demeuré inconnu ? Seront-ce mes petites amies de Jours Heureux, Thérèse et Sophie de Néronde ? Quelle autre silhouette pittoresque ou sympathique ? Sera-ce vous, aimable et bon abbé de la Talais qui, en ce même conte fait de réalités à peine transformées, dissimuliez la vénérable et discrète personne de M. l’abbé Vial d’Alais, pendant de longues années curé de Paray et archiprêtre de la basilique, de l’abbé d’Alais à qui j’avais emprunté son orgue, son horreur des chiens, sa canne-fusil, pour en orner le personnage dont je m’étais amusé à dessiner l’ombre falote et respectable ? Sera-ce cet étrange Comte Sarasaga, qui, venu d’Espagne, avait fondé à Paray son étrange Musée Eucharistique ? Sera-ce quelqu’un de ces Parodiens du vieux temps qui, une folie de jeu ayant gagné les Dames de Paray, en avaient été réduits à s’acquitter à leur place des travaux et des soins domestiques ? Sera-ce quelque autre de ceux ou de celles dont me parlait ma mère quand elle aimait à remonter aux temps lointains de sa jeunesse, au temps où, petite fille, dans sa chambre sans feu, elle cassait la glace de son pot à eau avant de faire sa toilette, au temps où elle recevait pour ses étrennes une pièce de vingt sols et une orange ?...

Ainsi je rêve, sous les beaux arbres, au Paray de jadis et des vieux âges, au Paray des moines et des abbés, au Paray des guerres de religion, où retentissait le singulier cri de ses bourgeois, leur mot de passe et de ralliement, dont la bizarrerie m’amusait tant et que je répète et transcris comme je l’ai entendu et sans en bien comprendre le sens :

                    Inaca, coudribala
                    A la guyonnet,
                    Au bon pain frais,
                    A la Rouette au loup,
                    Au château foiroux !

Mais les platanes, je ne les quitterai pas avant d’avoir, une dernière fois, salué l’ombre de Jean-Etienne Bouchu, Marquis de Lessart et qui, à Paray, s’embourgeoisa en y passant, jusqu’à n’en plus sortir jamais et à y mourir et dont j’ai rencontré, au coin d’une page où Saint-Simon rapporte ses « étranges singularités », la figure emperruquée. Cependant il faut rentrer. Les cloches sonnent. Il est temps de regagner la vieille maison familiale de la Place du Marché et de remonter dans la chambre que j’y ai occupée si souvent et dont la fenêtre s’ouvrait sur les beaux tilleuls du Cours. On y dort bien dans le grand silence provincial. Demain je me lèverai tôt et j’irai faire une promenade dans la campagne. Rien n’est apaisant comme de suivre le canal dont l’eau plate est bordée de peupliers et où les haleurs mènent à la corde leurs grosses péniches goudronnées.

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Il n’y a pas grandes « curiosités » aux alentours de Paray. Cluni et les ruines de sa magnifique abbaye est à une certaine distance. Charlieu n’est pas très proche, non plus qu’Anzy-le-Duc et son admirable église. Restent les châteaux des environs. Celui de Digoin est fort considérable. De belles rangées d’arbres y conduisent. Au bout d’une cour pavée s’élèvent d’importants bâtiments qu’entoure un beau parc. On y rencontrait alors, dans une petite voiture basse traînée par des chiens, le propriétaire M. de Moreton de Chabrillan. Cela ne s’oublie plus, de même que j’ai conservé l’ineffaçable souvenir d’une petite salle de spectacle et, dans une serre, d’une nymphe en pierre de Tonnerre sculptée par Clodion. Peut-être est-ce devant cette statue que j’ai pris le goût de l’art du XVIIIe siècle ? Mais c’est à Cypierre que j’ai, pour la première fois, senti le mystérieux attrait qui ne m’a jamais quitté pour les maisons fermées et les jardins à l’abandon.

Ce château de Cypierre était à petite distance de Paray. Pour y aller, on quittait la route de Charolles après avoir traversé le canal sur un pont de pierre. Un sentier cheminait sous bois, dont une grosse pierre levée, qu’il fallait enjamber, fermait l’entrée. Bientôt on arrivait en face du château. Je ne puis vous dire de quelle architecture il était, mais je me souviens qu’une horloge y marquait une heure qu’elle ne sonnait plus. Les bâtiments de ferme et les communs étaient vides. L’herbe poussait partout et on éprouvait là une étrange impression de solitude. Une vieille femme survenue nous précéda de chambre en chambre, ouvrant une serrure rétive, entre-bâillant une persienne démantibulée, et c’étaient des pièces à demi obscures ou subitement éclairées dans leur poussière, des meubles aux couleurs fanées, d’antiques lits sous des rideaux usés, des cheminées mortes, des parquets vermoulus dont le bois craquait sous les pas, et des miroirs, des miroirs tachés et coulants, aux reflets verdâtres, et cette odeur à la fois glacée et moisie, cadavérique et végétale qui s’exhale des lieux longtemps inhabités et de la solitaire décrépitude des choses.

Mes grands-parents ne possédaient ni château ni maison de campagne. Le château de Meuilley en Bourgogne qui avait appartenu aux du Bard avait été vendu. A la rigueur, on eût pu habiter Les Quarré. C’était une assez grande ferme, située sur la commune de Vitry et où subsistait un vieux pavillon à haute toiture que l’on eût pu assez aisément rendre logeable, mais, à la mort de mon grand’père Curley, Les Quarré furent mis en vente et ma grand’mère ne conserva plus que deux domaines, celui de Saint-Léger et celui des Platreries qu’on appelait aussi Le Cul-de-Sac. Je le revois avec sa cour, son fumier, sa grande meule de paille, son arbre mort sur lequel perchaient les dindons et son étang triangulaire, plein de joncs et de roseaux. Quelquefois on me conduisait là goûter avec du lait et de la crème, mais l’expédition intéressante était la promenade à Saint-Léger, dit aussi Les Potains. On y arrivait par des chemins difficiles, encaissés de talus, bordés de hautes haies, parsemées de petits chênes étêtés et rabougris. C’était un très vieux domaine qui portait gravée au linteau de la porte la date de 1697. Chaque année il fallait réparer et consolider les bâtiments qui ne tenaient plus, mais les terres étaient bonnes et les prés nourrissaient du beau bétail. Le fermier Jean était extraordinairement bègue et la fermière Jeannette une haute femme sèche et digne. Elle venait parfois à la maison apporter les « redevances », poulets, beurre, que stipulait le bail de location. Quelquefois le vieux Jean venait me chercher dans son char à boeufs pour me conduire au domaine. De l’aiguillon il piquait le lent attelage qui s’avançait, le joug aux cornes, emmaillé d’un filet contre les mouches. Au haut de la montée, on s’arrêtait un instant pour laisser souffler les bêtes, devant le vieux cimetière dont j’ai parlé au commencement de ces notes et dont la modeste chapelle, premier sanctuaire des moines de l’Orval, fut bâtie sur les restes d’un temple païen, le « templum antiquissimum » des vieilles chroniques. C’est là que je reviens souvent en pensée, au soir de ma vie, vers les chers disparus dont la mémoire se mêle aux souvenirs de mes lointaines années. De là je domine la tranquille petite ville de France à laquelle m’attachent tant de liens de famille, la petite ville que je vois groupée sur les rives de sa Bourbince, avec ses rues, ses places, ses maisons, ses jardins, autour de sa vénérable basilique clunisienne, le Paray-le-Monial de ma jeunesse, le Paray-le-Monial des Jours Heureux et des Vacances d’un jeune homme sage, à qui j’offre ici ces images de son passé.


                            Dimanche 2 août 1925, à minuit.

NOTES :
(1) Pour cette histoire, j’ai consulté utilement l’ouvrage fort intéressant de M. Quarré de Verneuil : Le Comté de Chalon, le Charollais et la Ville de Paray-le-Monial. I Vol. Mâcon, 1876.
(2) Sans qu’il en soit tout à fait de même du petit roman intitulé Les Vacances d’un jeune homme sage, je reconnais y avoir utilisé des impressions personnelles et avoir donné comme cadre à mon récit une petite ville qui, je l’avoue, ressemble un peu à Paray-le-Monial.
(3) Dans la généalogie qu’il a dressée de la maison de Pons en Dauphiné, d’Hozier ne fait pas mention de cette descendance. Le premier qu’il nomme est Noble François Pons, vivant en 1468 à Saint-Martin-de-Queyrière. Il eut pour arrière-petit-fils Michel Pons. Ce Michel se distingua à l’armée de l’empereur Charles-Quint, lors du siège de Vienne par Soliman, en octobre 1529. Il fut blessé à l’assaut de la Porte de Carinthie. En récompense de sa valeur, l’Empereur lui donna pour armes « ad æternam virtutis memoriam » deux lions d’or affrontés, tenant un coeur au naturel avec leurs pattes de devant et foulant avec leurs pattes de derrière un croissant d’or, au champ d’azur, chargé de trois étoiles d’or, avec pour devise : Caute sed intrepide. Depuis, la maison de Pons ajouta cet écusson à ses armoiries qui étaient Echiqueté d’argent et de sable.
Ce sont ces dernières qui se voient encore au coin d’une vieille toile enfumée où Michel Pons est représenté à mi-corps. Il porte la cuirasse sur laquelle s’étale un large rabat de dentelles. Son visage est sévère avec des traits accentués, un teint halé, un visage de montagnard et de soldat qu’encadre une longue chevelure grisonnante. Un autre portrait plus tardif, puisqu’il fut peint en 1669, nous montre Dame Claudine de Mareschal de Laval d’Izère, femme de Claude d’Avrieux, Seigneur  de la Tour-Forte des Villars, gentilhomme de la Garde de Prince de Piémont, dont la fille Françoise-Alexis d’Avrieux épousa par contrat du 19 novembre 1690 noble Joseph de Pons, avocat du Roi au Baillage de Briançon. C’est une fort respectable dame que nous fait voir son portrait. Elle a le visage plein et coloré. La coiffure en boucles retombe en papillotes sur le cou qu’enserre un cordon de grosses perles. Deux perles longues lui pendent aux oreilles. Un corsage noir bordé de dentelles découvre la gorge et les épaules.
Son petit-fils Louis-Bonaventure, Comte de Pons, nous offre de lui une image plus plaisante sur un portrait peint en 1787. C’est un aimable gentilhomme au visage fin et avisé sous une petite perruque ronde. Son habit marron à parements bleus brodés d’argent ouvre sur un gilet de même étoffe. Il tient sous le bras son tricorne. Né en 1745, de Claude-Joseph de Pons et de Madeleine Roux de la Croix, il est Seigneur de la Bâtie et il a épousé par contrat du 13 juin 1767 Marie-Charlotte de l’Argentière. Il a fait ses preuves pour être admis aux honneurs de la Cour et il est monté dans les carrosses du Roi. Son frère François-Antoine a embrassé l’état ecclésiastique. Il est grand prieur des Chartreux. Le voici dans une bonne peinture du temps avec sa large face paisible où il y a de la bonhomie et de l’esprit.
(4) Outre la miniature de Paule-Marie-Delphine de Foudras, je possède un pastel représentant sa mère Anne-Maire de Mont-d’Or. Elle y montre, en buste, sous une haute coiffure poudrée, un visage de plus d’esprit que de beauté, où il y a de la finesse et de la malice. Le cou est enserré d’une guimpe de tulle. Un noeud bleu ferme le décolleté du corsage noir où est attaché par un ruban l’insigne des Chanoinesses du Chapitre de Neuville. Au revers du cadre une écriture du temps nous dit qu’Anne-Marie de Mont-d’Or naquit le 2 février 1760 et épousa en 1777 le Chevalier Antoine de Foudras. Un autre cadre conserve l’image de Jérôme-Louis de Foudras, Chanoine-Comte de Lyon, ensuite évêque de Poitiers et abbé de Saint-Liguaire au diocèse de Saintes, mort le 14 août 1748, âgé de 70 ans. C’est une figure d’honnête prélat, toute ronde sous une perruque ronde, avec un beau camail gris et une belle croix pendue à un beau ruban rouge. Il était le fils de Camille-Joseph de Foudras, Seigneur de Courcenay, officier de Chevau-Légers au régiment d’Illes, qui avait épousé le 8 octobre 1675 Lucrèce de Revol.
De cette très illustre maison de Bourgogne qui possédait dès le XIVe siècle la Seigneurie de Chateautiers érigée en Comté en 1680 et qui remontait à Pierre de Foudras, Chevalier, Seigneur de Courcenay en 1251, le dernier descendant fut Théodore-Louis-Auguste, Marquis de Foudras, né à Falkenberg en 1810, mort à Châlon-sur-Saône en 1872 qui écrivit de nombreux romans et dont les récits de vénerie, intitulés : Les Gentilhommes chasseurs, se lisent encore avec agrément.

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