Les grandes questions sociales, objets de
la sollicitude constante des esprits sérieux
et des âmes généreuses, ne peuvent trouver
leur solution que dans la foi à l'Évangile,
seul vrai foyer de lumière, de charité et de
civilisation.
Dans une vallée isolée d'un de nos départements manufacturiers vivait, au commencement de l'année dernière, une pauvre famille qui, sous un toit de chaume, avait su trouver la paix et le bonheur domestique.
Le père, habile bûcheron et bon journalier, nourrissait les siens du produit de ses travaux manuels. Sa famille se composait de trois fils et de deux filles ; les deux aînés avaient dépassé leur neuvième et dixième année, le cadet était dans sa deuxième, et une petite fille occupait le berceau. Sa soeur, âgée de huit ans, la soignait, la berçait, et ses tendres caresses et son doux sourire faisaient tressaillir de joie le nourrisson.
La mère, femme pieuse et laborieuse, prenait soin de ses enfants et du ménage avec une fidélité exemplaire ; elle cultivait en même temps son jardin et quelques petites pièces de terre que son mari avait louées.
La quenouille, jadis la mère nourricière des cabanes, mais laissée de nos jours sans encouragement et sans protection, ne la quittait souvent que bien avant la nuit. La jeune fille avait déjà son rouet ; elle, aussi bien que ses deux frères, savait tricoter, dévider le fil d'étoupes, les canettes, et tous trois entouraient leur bonne mère en travaillant. Ils fréquentaient l'école le matin et le soir. Le vieil instituteur, peu versé dans les nouvelles méthodes, mais plein de sollicitude pour les intérêts précieux de leurs âmes immortelles, tâchait de leur inspirer l'amour et la crainte de Dieu.
Les deux fils procuraient la nourriture à la chèvre et au mouton, qui servaient aussi à l'entretien du ménage. Après le retour du troupeau et quand les animaux avaient été abreuvés à la fontaine du village, ils allaient sur leurs traces ramasser, dans de petites charrettes qu'ils avaient faites eux-mêmes, l'engrais précieux qui devait fertiliser le champ de leur père.
La belle nature, que son sage et miséricordieux créateur semble avoir tout particulièrement rendue le patrimoine de l'enfant du pauvre campagnard, leur fournissait sur son riche tapis la fraise, la framboise, la myrtille et la mûre. En été ils cueillaient la chicorée et l'oseille, et en automne ils recueillaient la noisette et la faîne, qui devaient fournir l'huile pour la maison. Quand la faucille avait fait tomber l'épi doré par les ardents et bienfaisants rayons du soleil, le hameau n'avait pas de glaneurs plus habiles et plus probes. C'est ainsi qu'ils fournissaient au repas frugal de leurs parents les mets que leur Père céleste leur dispensait gratuitement avec libéralité.
Leur jeune frère, dont l'âge tendre demandait une surveillance de tous les moments (1), était souvent le compagnon de leurs courses ; ils le portaient alternativement sur leurs épaules, ou bien, en croisant leurs bras, ils lui formaient un petit siège, invention ingénieuse de l'amour fraternel.
Grande était leur joie quand ils pouvaient offrir à leur excellente mère le prix de la camomille, du tilleul, de l'aubépine et des autres plantes médicinales, dont elle leur avait fait connaître les formes et les vertus, et qu'ils portaient à la pharmacie du chef-lieu du canton. La pièce d'argent se changeait bien vite, à leur retour, en une petite mesure de sel, assaisonnement du pauvre, substance indispensable à sa santé et à sa prospérité, et que pourtant, par la parcimonie la plus déplorable, on lui fait payer si cher, en laissant enfouis dans le sein de la terre et de la mer des trésors inépuisables.
Pendant l'automne et l'hiver ils ramassaient et préparaient le bois sec, qui devait alimenter le foyer domestique. Mais hélas ! sa douce chaleur ne devait plus réchauffer une heureuse famille. Grand Dieu ! elles n'allaient plus se succéder, ces saisons où ces enfants jouissaient du libre développement des forces de leur corps et des facultés de leur esprit, dans la gaîté et la liberté de leur âge, où ils respiraient du matin au soir l'air pur de leurs montagnes, où les occupations dans la famille et au dehors et l'instruction se succédaient dans une si belle harmonie.
Leur voisin, fileur dans une filature qui s'était élevée à la proximité du village, désirait depuis quelque temps employer l'aîné des garçons comme bobineur ; le père s'était toujours refusé à ses sollicitations, mais enfin, entraîné au cabaret, il donna son assentiment. - Les soupirs et les prières de la mère accompagnèrent le fils dans sa nouvelle vocation. Le premier jour à midi la famille l'attendit avant de prendre place à table, mais en vain ; l'instruction dans l'établissement se donnait l'été à l'heure du repas, et en hiver à neuf heures du soir, après 12 à 14 heures de travail, fait debout, infligé à de jeunes et chétifs enfants.
«Oh ! ma mère», lui dit le fils, le second jour, «ne me laissez plus aller à la fabrique ni en revenir seul, avec les hommes, les garçons et les filles ; oh ! ma mère, si vous saviez ce qui se fait en chemin, si vous entendiez les propos à l'atelier, si vous voyiez ce qui se commet dans ses dépendances !»
Les cinq francs par mois gagnés par le fils ne suffirent pas au père, qui, séduit par le fileur, avait pris la funeste habitude du cabaret. Le second des fils fut aussi livré, dès qu'il eut atteint sa dixième année. Le manufacturier n'acceptait, par des motifs d'humanité, aucun enfant avant cet âge.
L'année 1840 était passée, et l'année 1841 venait de commencer sous de bien tristes auspices.
Le père, d'homme laborieux et sobre, était devenu fainéant et ivrogne ; la pauvreté s'était changée en misère.
La mère ne gémissait plus tant sur les quatorze heures de travail de ses fils, sur leurs pieds enflés et leur respiration gênée ; un chagrin bien plus cuisant la rongeait ; avec la santé du corps ils avaient perdu celle de l'âme ; la pâleur du vice venait entièrement décolorer leurs joues et ternir l'éclat de leurs yeux jadis brillants de contentement, de joie et d'innocence.
Le fileur se présente de nouveau chez la mère, et lui dit : «Voisine, j'ai à vous annoncer une bonne nouvelle. Nos messieurs de Paris ont fait une grande découverte ; elle vient de l'autre côté de la mer, on l'appelle les relais d'enfants. Voici ce dont il est question : Après quatre heures de travail, les enfants seront remplacés pendant quatre heures par d'autres enfants, et pendant cet intervalle ils auront du repos et deux heures de leçons, puis encore quatre heures de travail. De cette manière, trois enfants feront la besogne, qui, jusqu'ici était faite par deux. C'est ce qu'on nomme simple attelage. Mais, si le fabricant veut profiter des seize heures entières que la Loi lui accorde, depuis cinq heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, alors il établira un double attelage, c'est-à-dire, qu'il faudra deux enfants là où il n'y en avait qu'un jusqu'ici. Vous voyez, voisine, que c'est tout à fait comme les relais de la poste aux chevaux. Ce n'est pas tout ; vous comprenez, qu'en diminuant le travail des enfants d'un tiers, il faut aussi réduire leur salaire dans la même proportion. Mais c'est surtout nous anciens ouvriers qui seront les victimes de cette mesure ; d'ici à deux ans les ateliers regorgeront d'enfants, car ils se trouveront, n'en doutez pas. Ces enfants grandiront, ils seront remplacés par d'autres, l'ouvrier âgé sera congédié, et bientôt on ne verra plus que des jeunes gens dans les fabriques. Pour moi, c'est bien malheureux, je n'ai pas d'enfants pour pourvoir à mon existence ; d'ailleurs je ne m'y fierais pas, car bien des garçons que leurs parents envoient dans les fabriques, les abandonnent aussitôt qu'ils ont atteint l'âge d'indépendance. - Voisine, j'ai encore une chose à vous dire, mais je crains de vous faire de la peine ; comme la Loi sera bientôt en vigueur, et que vos deux fils ne travailleront alors ensemble que seize heures, il faut nécessairement que les autres huit heures, qu'ils travaillaient de plus auparavant, soient remplies par leur soeur ; votre mari vient de me l'accorder».
A ces mots la mère jeta un dernier regard sur sa fille, qui était penchée, avec une expression angélique, sur sa petite soeur dans le berceau ; son coeur se brisa... Deux jours après le père et les enfants suivaient le cercueil de leur mère !
Un noble Pair entendit ce récit simple et touchant, il en fit part aux autres membres de la Chambre ; c'était dans les premières journées du mois de février.
Ce que les arguments et les chiffres les plus concluants, ce que les cris de détresse partis d'une vallée des Vosges n'avaient pu obtenir, fut accordé à une simple histoire, car telle est la toute-puissance de la vérité, même lorsqu'elle est présentée sous la forme d'une fiction.
L'emploi des enfants pour les relais fut interdit. La Chambre des Députés y donna son chaleureux assentiment ; et le Gouvernement sanctionna cette disposition bienfaisante, ainsi que toutes celles que la sollicitude de la Chambre des pairs avait aussi introduites dans la Loi.
Les actions de grâces des mères et des enfants du pauvre monteront au ciel et retomberont comme une rosée de bénédictions sur le Luxembourg, le palais Bourbon, les Tuileries, et sur les épouses, enfants et petits-enfants des hommes généreux, qui, par leur vote, auront concouru au triomphe de la sainte cause de l'humanité sur les illusions, l'égoïsme et l'intérêt privé.
Les Dames, dont les noms suivent, veulent bien recevoir les dons, qui leur seront adressés pendant l'année 1841, pour les salles d'asile des Vosges.
Mesdames | FRANÇOIS DELESSERT, rue Montmartre, n° 176. AGÉNOR DE GASPARIN, rue de Lille, n° 79. PELET DE LA LOZÈRE, rue des Champs-Élysées, n° 4. LUTTEROTH, rue Caumartin, n° 22. GRIVEL, dame trésorière. |
ÉLISABETH FRY. STEINKOPF (épouse de M. le docteur). WASHINGTON (épouse de M. le capitaine). LUCY BRADSCHAW, Plough Court Lombard-Street. PHILIPPE HEISCH, dame trésorière. |
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BARDE (épouse de M. le ministre). BOISSIER-MICHELI. EMPEYTAZ (épouse de M. le ministre). DE WATTEVILLE-DE PORTES. TRONCHIN-CALENDRINI, dame trésorière. |
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GUILLAUME DE TURCKHEIM. EDMOND SCHERER. HICKEL, rue Thomann, n° 25, dame trésorière. |