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L. Roux : La sage-femme (1831)
ROUX,  Louis (18..-18..) : La sage-femme, (1840).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (28.IX.2005)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 1 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
La sage-femme
par
L. Roux

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SI vous avez rencontré, dans une des rues les plus fréquentées de Paris, une jeune personne ornée d’un tartan vert, d’un bonnet de tulle à rubans orangés, et d’une imposante dignité de dix-huit printemps, vous l’avez suivie par instinct : la vie parisienne a de ces entraînements. Croyant toucher, sur ses traces, aux portes du Conservatoire, vous vous êtes livré à mille rêves décevants : la jambe permet d’espérer une danseuse,  le visage n’exclut point l’idée d’une cantatrice. Son itinéraire n’est pas ce qui vous préoccupe : vous avez fait un pas sans penser, vous en faites deux sans avoir réfléchi, pour vous trouver en face de…….. l’École pratique. Votre sylphide est une sage-femme, l’adjectif est ad libitum. Rien ne ressemblant à un étudiant comme un flâneur, vous êtes reçu sans autre carte que votre mine évaporée dans le prétoire de Lucine : le cours de M. Hatin va commencer.

Il y a eu des demi-mots à l’adresse de la jeune élève, dont elle a dû rougir, la galanterie n’étant point dans le programme. Elle court se placer sous l’égide de la science au premier banc de l’amphithéâtre. Quand le professeur arrive, la fine plaisanterie n’est plus permise : l’élève est toute au professeur ; elle écoute par les yeux, et il y aurait conscience à la distraire le moins du monde. Elle est plus que séparée de l’étudiant en médecine, elle en est distincte ; cependant, la sagesse des deux Écoles ne suffisant pas à mettre la sage-femme qui prenait leçon avec les étudiants à l’abri des agaceries, la Faculté a reconnu récemment qu’il y avait urgence à ce que les sages-femmes suivissent les cours isolément, sauf pour celles-ci à être moins instruites que lorsque les étudiants eux-mêmes assistaient à ces leçons. De son auditoire, le professeur s’étant résigné à ne conserver que la plus belle moitié, la morale a gagné tout ce que la science a pu perdre à cet arrangement. L’art procède par des initiations lentes. Le noviciat de la sage-femme a ses difficultés : il s’agit de comparaître devant un jury de médecins ; il y a un prix pour les élèves sages-femmes comme il y en avait un autrefois pour les rosières. Les femmes n’ayant d’ordinaire d’autre distinction que celle du mérite, il est juste de tenir compte des exceptions.

La profession de sage-femme n’est ni artistique ni poétique, mais bien médicale et éminemment utile. Peut-on être sage-femme à moins de s’appeler madame La Chapelle ou madame Boivin ? Là est la question. Les médecins de tout temps s’emparent des grands accouchements, et c’est pour cela même que les sages-femmes ont si peu d’occasions de montrer une supériorité marquée. Le préjugé les condamne, à d’honorables exceptions près, à n’être que des diminutifs des médecins.

Généralement dévouée à la petite bourgeoisie, la sage-femme habite les quartiers marchands et même populeux ; le troisième étage est de son ressort, elle s’élève aussi, dans l’intérêt de sa clientèle, jusqu’aux mansardes les plus idéales ; elle-même a fixé ses pénates à un quatrième. La sage-femme paie son terme quand la nature daigne en fixer un pour quelque enfant à naître, et la nature n’est pas moins ponctuelle à son égard que son propriétaire.

Il y a des sages-femmes grands-cordons de l’ordre, sans compter celles qui, à l’aide d’une hyperbole plus ou moins forte, s’intitulent ainsi. Une sage-femme qui compte des antécédents n’a qu’à trouver une pratique crédule ; à l’aide d’une mnémotechnie qui lui appartient, elle rappellera les divers personnages qui lui ont dû le jour : à l’entendre, elle n’aurait pas été sans influence sur l’arrivée du roi de Rome ; on l’aurait consultée sur la naissance du duc de Bordeaux ; le nombre des comtes, - si l’on nous passe l’équivoque, - qu’elle a faits en sa vie tient vraiment du prodige. En réalité, l’importance de la sage-femme est problématique ; ses prétentions, les médecins disent ses connaissances, sont médiocres. On appelle une accoucheuse afin de pouvoir se passer d’un médecin. Il est des susceptibilités, des fortunes surtout, que le savoir titré, en frac et en habit de docteur, effraie et intimide ; on craint de ne pouvoir payer l’accouchement : la sage-femme se présente alors même qu’elle est sûre de ne pas être payée. Elle passe pour être de meilleure composition qu’un accoucheur à diplôme, peut-être parce qu’elle reçoit de plusieurs mains. C’est elle qui, concurremment avec la marraine, fait de cette cérémonie bourgeoise nommée vulgairement un baptême, la plus onéreuse des invitations de famille. La sage-femme accepte des cadeaux ; le médecin ne compte que sur ses honoraires, quand il y compte. Ces petits présents autorisés par l’usage finissent par lui composer une somme assez ronde, un revenu solide. On se dispense plus aisément de payer une dette que de faire ses honneurs ; la coutume est plus despotique que la loi.

Une enseigne que chacun connaît et dont les nouveau-nés supposent l’existence avant même d’avoir vu le jour, fait partie intégrante de la sage-femme, disons toutefois que son portrait diffère souvent de son tableau. On se tromperait en faisant ici l’application de l’axiome ut pictura poesis : d’abord la broderie au blanc de céruse ne perd rien par l’action de l’air et du temps de sa virginale blancheur ; en second lieu, une sage-femme qui apparaît sur le tableau dans tout l’éclat de la jeunesse et du talent cultive souvent la clientèle depuis un temps immémorial. On peut, sans la moindre injustice, lui assigner, en toute occurrence, une place dans le panthéon des femmes Balzac, l’enseigne ne vieillit pas. Il peut arriver aussi qu’un tableau de rencontre façonné à l’effigie d’une blonde s’adapte sans difficulté à une brune piquante. Les enfants n’y regardent pas de si près pour venir au monde. La sage-femme est toujours élève de la Maternité sur son tableau.

Chaque rue offre une de ces enseignes, où le sourire est stéréotypé sur les lèvres du nouveau-né et de la sage-femme. Avoir un tableau est le privilége des accoucheuses ; malheureusement ce que ce mode de publication a d’avantageux est en partie perdu par la concurrence.

Aurait-on la curiosité de se demander quelle est la cause qui jette dans une voie excentrique et savante tant de femmes nées pour être l’ornement d’une société bourgeoise ; quelle puissance occulte et irrésistible les arrache à leur vocation de modistes, de dames de compagnie, de confiance ou d’intimité, pour en faire des sages-femmes ? Cela tient aux plus profonds mystères de la vie d’outre-Seine. On n’a pu se défendre d’une séduction opérée par un étudiant en médecine : on aime le médecin d’abord ; on en vient ensuite à se passionner pour son art. A la Faculté de droit, les choses ne se passent pas autrement ; beaucoup de femmes connaissent le code ; Héloïse était très-forte sur la scolastique. La sage-femme, c’est la grisette émancipée ; c’est elle qui, pendant que M. Ernest était au cours, lisait Boërrhaave avec entraînement, se passionnait pour un chapitre de Lisfranc comme d’autres pour un roman de Ch. Gosselin. Cette solidité dans le jugement a déterminé M. Ernest à faire des sacrifices. Doué d’une médiocre ambition et d’une fortune plus médiocre, il a consenti à s’établir de compte à demi avec une élève formée de sa main ; ils ont pris leurs grades le même jour à la Faculté, et les ont fait légitimer à la mairie. C’est ainsi que naissent les petites fortunes médicales, et que l’art des accouchements fait chaque jour de nouveaux progrès. L’inverse a cependant lieu quelquefois. La sage-femme, essentiellement vouée à la parturition, fait éclore, le cas échéant, des célébrités médicales. Un membre de la Faculté ne se faisait remarquer que par ses habits râpés et un immense pressentiment de ses hautes destinées. Il fut distingué par une sage-femme possédant une recette qu’il prôna depuis à plusieurs millions d’annonces ; s’emparer du coeur de la sage-femme et de sa recette fut le premier coup de maître du docteur. Paracelse avait substitué l’astrologie à toutes les sciences, l’annonce fut la panacée universelle du nouvel alchimiste. Parvenu à l’apogée de la fortune et de la célébrité, il oublia la femme qui l’avait révélé. Outrée de ce manque d’égards, celle-ci prit la plume, et nous eûmes les Mémoires d’une sage-femme. La Biographie des sages-femmes, autre ouvrage de même portée, contient, nous aimons à le croire, bon nombre de noms justement célèbres ; il s’en faut cependant que toutes celles qui se distinguent dans cette profession puissent être regardées comme irréprochables, et dire toute la vérité en ce qui en concerne quelques-unes serait faire plutôt une satire qu’un tableau de moeurs.

Cette profession a ses Locustes. Des femmes sans aveu, quoique accoucheuse jurées, ayant vécu longtemps dans un état problématique, plus près de l’indigence que d’une aisance modeste, parviennent à la fortune par une route directement opposée à celle du bien. Leur métier était de mettre des enfants au monde ; elles font leur possible pour que l’humanité ignore l’arrivée de ceux qu’elle avait inscrits d’avance sur son catalogue. Voulez-vous, sur les données de Parent-Duchâtelet, vous faire le chroniqueur patient et résigné de tous les vices de Paris ; la sage-femme vous en apprendra à ce sujet plus qu’aucune autre. La sage-femme d’une moralité douteuse, celle qui tient de la Voisin et qui, dans les cas urgents, a recours aux dérivatifs, donne fréquemment sa main à un herboriste : c’est un mariage de raison, un moyen d’avoir des simples à sa portée, on use des spécifiques, on en abuse même. A Paris surtout, les sollicitations sont souvent pressantes ; la tentation se présente armée d’une bourse et d’un sophisme : on commet un infanticide pour parer à un déshonneur. Les physiologistes écrivent en vain que tout breuvage de ce genre est un poison ; beaucoup de sages-femmes en savent là-dessus autant que les médecins eux-mêmes. C’est pourquoi elles continuent d’exercer leur profession. Il suffit qu’elles possèdent le remède pour l’appliquer. On calcule la somme reçue ou à recevoir bien plus que les conséquences d’une atrocité. La victime craint le déshonneur plus que la mort ; sa complice aime l’argent plus que l’honnêteté. Il y a, selon nous, trois coupables quand un crime de ce genre se produit : la sage-femme qui affronte un procès ; la femme enceinte qui affronte la mort et la reçoit des suites plus ou moins immédiates de sa faiblesse ; enfin la société toujours armée pour la vengeance, et qui punit trop par l’opinion une femme séduite, et la pousse ainsi fréquemment à un double suicide. Nous voyons au reste, à toutes les époques d’une civilisation très-avancée, les mêmes crimes naître des mêmes causes. Si l’on en croit les historiens, les moeurs d’Athènes n’auraient pas été exemptes de ces pratiques secrètes. Les femmes grecques étaient très-versées dans la médecine de leur sexe, et les matrones étaient appelées presque exclusivement pour les accouchements. Laïs et Aspasie accrurent la méchante réputation qu’elles s’étaient acquise par leurs galanteries, en pratiquant l’art occulte d’en faire disparaître les traces chez les femmes livrées aux mêmes déréglements.

Si ces immoralités étaient chez nous une exception, il aurait fallu s’en taire ; si elles sont au contraire une des plaies endémiques de la société actuelle, il faut y chercher un remède. Nous livrons cette réflexion aux moralistes. La sage-femme qui tient pension est à la fois l’Harpocrate (1) et l’Hippocrate femelle de son art, sa discrétion est passée en proverbe. On ne mettrait jamais les pieds chez elle si l’on savait y être vu. Elle est utile au célibat renté qui pense pouvoir conserver sa considération en récusant la plus noble partie des devoirs qui pèsent sur le citoyen aisé ; beaucoup de propriétaires ont plus de confiance en une sage-femme d’un quartier autre que le leur que dans le maire de leur arrondissement, et aiment mieux avoir une honte à dissimuler qu’un ménage à gouverner en chefs de famille. La société qui flétrit tant de choses moins dignes de blâme les a-t-elle jamais mis à son ban ? il est vrai que la sage-femme est si discrète, et qu’en tout état de cause un homme riche est toujours un homme à ménager.

Mais il ne suffit pas qu’une sage-femme jouisse d’une confiance illimitée et soit avantageusement connue de toutes celles qui désirent ne lui confier que ce qu’elles veulent céder à d’autres, il faut encore prévenir les confidences, entretenir des relations avec les scandales qui n’en sont pas encore. Paris est un asile précieux pour la province, de même que la campagne est un séjour discret pour les accidents de la vie parisienne. Ce refuge de l’innocence ne mérite ce nom qu’autant qu’il la procure aux personnes qui d’aventure l’auraient perdue par imprudence. La sage-femme qui tient pension jette ses filets dans les Petites-Affiches, sous forme de réclames modestes. On ne demande rien aux personnes en état de domesticité que leurs services à terme ; il n’est pas inutile de se présenter, toutefois, sans avoir quelques économies. Il suffit que la sage-femme ait donné son adresse sous une formule philanthropique pour que les intéressées viennent d’elles-mêmes faire appel à ses connaissances pratiques. On ne se connaît pas dans son établissement. Les femmes ont un nom quelconque ; les roturières sont vicomtesses ; les femmes titrées s’appellent Louise ou Séraphine ; celles qui viennent des confins les plus reculés des départements ont une position dans la capitale ; les autres sont destinées à s’éloigner de Paris. Presque toutes ont leurs époux dans quelque île de la mer du Sud. Elles feignent d’ajouter foi aux paroles les unes des autres, afin de n’être pas interrogées. Sa maison est, au reste, une Thébaïde ; elle loge au fond d‘une vaste cour, elle a pour portier un sourd et muet ; toutes ses fenêtres ont des abat-jour. Il faut montrer patte blanche pour être reçu dans son gynécée. La recherche de la maternité y est sévèrement interdite, l’homme en est banni à perpétuité.

S’il est une profession où la considération soit toute personnelle, c’est surtout celle de sage-femme. La sage-femme qui, outre les vertus de son sexe, possède les connaissances de sa profession, ne tarde pas à jouir dans son quartier même d’une réputation irréprochable et d’un honnête revenu. Sa clientèle lui a coûté quelques sacrifices d’amour-propre ; il a fallu se mettre bien avec les portières, ne pas s’aliéner par une dignité compromettante les bonnes grâces des gardes-malades, satisfaire par des visites réitérées aux exigences de la petite propriété. Il y a telle de ses clientes qui accouche vingt fois avant de mettre un enfant au monde. Pour peu qu’elle devienne en vogue, la sage-femme n’a plus un instant à elle. Les enfants font exprès de voir le jour à minuit. Elle allait se mettre à table, on vient la chercher pour une grosse marchande ; heureusement elle a des garanties et la commère en est à son quinzième : ils sont tous venus de la même manière ; en fait d’accouchements, il n’y a que le premier pas qui coûte.

Tout cela est plus ou moins vulgaire ; mais tout cela existe et compose les scènes les plus intéressantes de la vie privée. Beaucoup d’enfants attachent une grande importance à venir au monde. Des hommes de génie peuvent passer par les mains de la sage-femme sans qu’elle s’en aperçoive. Sa profession est une loterie.

Ce n’est pas tout pourtant de procéder à un accouchement, il faut encore savoir quand un enfant existe, le prophétiser, si l’on ne peut faire plus, interpréter son sexe, favoriser son développement par une saignée en temps opportun ; connaître quels breuvages lui conviennent d’abord. On pourrait faire des poëmes sur cette donnée, il y a des sages-femmes qui en ont fait. La sage-femme est un argument pour les personnes de son sexe qui rêvent la femme libre. Serait-ce abuser de notre position que de dire un mot des folles hypothèses prônées récemment sur l’individualité de la femme ? l’expérience des siècles et sa nature même la fixent dans le sanctuaire du foyer domestique. Elle est reine au sein de sa famille ; elle a droit à nos adorations quand elle est mère : éloignez-la de ce centre de ses affections et des nôtres, de ce cercle modeste et précieux de la vie privée, vous la déplacez ; donnez-lui un rôle autre que le sien, qui est d’aimer et d’élever ses enfants, vous ne produisez que scandale, désordre et anarchie.

La sage-femme ne sort pas de ses attributions de la famille ; elle y entre au contraire plus complètement qu’aucune autre individualité de son sexe.

C’est souvent une mère qui en aide d’autres à le devenir.

Au point de vue philosophique, qu’y a-t-il de plus noble et de plus relevé que la profession de sage-femme ? Mais elle est trop près de la nature pour être bien appréciée par la civilisation.

Socrate avait tracé autour de sa maison une ligne où il enfermait sa femme. Est-ce pour cela que Socrate faisait mauvais ménage ?

Ajoutons que le plus sage des hommes était fils d’une sage-femme.

On a vu des femmes, comme lady Stanhope, être inspirées d’en haut, confier leurs rêves poético-religieux aux sables brûlants du désert ; d’autres, s’improviser un apostolat qui n’embrasse pas moins des quatre parties du globe, et promener leurs pérégrinations phalanstériennes d’un continent à l’autre, faire emprisonner leurs maris, ne pouvoir supporter aucune espèce de servitude, et s’imposer le mandat d’affranchir la femme du joug de fer du mariage ; d’autres, entrer par des in-octavo dans la classe privilégiée de célébrités de toutes les époques. On en a vu rivaliser de verve et d’enthousiasme avec les poëtes contemporains, improviser des opéras, et dans la romance même on a vu la musique s’allier à la poésie sous l’inspiration d’une seule muse féminine. On a vu le sceptre de la comédie tomber en quenouille ; le mémoire, jusqu’alors du domaine exclusif des hommes d’état, devenir le partage de duchesses et de femmes de chambre, et servir de prologue à des divorces éclatants. Tout cela est beau sans doute ; mais le type de la femme humanitaire se révèle autre part, et paraît d’autant plus noble que son rôle, si utile à une classe d’enfants parias de naissance, ne peut être apprécié dignement que par un petit nombre de témoins. Il faut le proclamer hautement, dût-on ne le dire qu’une fois, celle que son savoir a mise à la tête d’un établissement comme la Maternité est toujours une femme vraiment grande et digne de respect. Cette maison, qui ne peut être peinte d’un seul trait, se résume en elle. Que de soins ! que de propreté !Quelle vocation sociale n’a-t-il pas fallu pour être au niveau de cet emploi ! Quelle constance pour ne pas s’y habituer et faire corps avec lui, comme cela arrive aux anciens juges, aux anciens médecins et aux diplomates consommés ! L’ordre de la maison est admirable ; l’incessante charité qui le maintient, plus merveilleuse encore. Il faut s’élever jusqu’aux classes les plus aisées de la bourgeoisie pour trouver autant de luxe et de raffinements hygiéniques qu’il y en a dans une simple salle de l’hospice des Enfants-Trouvés. Rien n’est bizarre et contrasté comme les premiers moments de ces victimes privilégiées de la misère qui décime les classes pauvres de la population de Paris. Sortis d’une main quelconque, les enfants trouvés sont accueillis dans un asile où tout semble merveilleusement disposé pour l’allaitement. Légués ensuite, à raison de 16 centimes par jour, à une mercenaire de la campagne, ils survivent peu à un régime meurtrier ; ils meurent entre les mains des nourrices, c’est une conséquence : mais pourquoi meurent-ils en aussi grand nombre, au moins, à l’hospice où ils sont bien soignés ? Qui le sait, bon Dieu ! D’après les calculs statistiques, un enfant trouvé qui arrive à la position d’homme marié est une exception infiniment rare, à peu près comme un sur dix mille, et l’état dépense des millions pour arriver à ce mortuaire résultat !

Honnêtes philanthropes, toujours disposés à appliquer le remède à côté du mal, que vous importe qu’il y ait des enfants trouvés, pourvu qu’ils soient bien traités ou paraissent l’être ! Eh bien ! la question est résolue, ils ne le sont point, ou du moins c’est en pure perte qu’ils le sont. Ceux qui échappent à la mortalité peuplent les maisons de corrections, perpétuent la misère et l’opprobre au dehors et au-dedans de la société. Il n’y a qu’un moyen de remédier à ce mal, c’est de le supprimer, c’est de permettre aux liens du sang à peine formés de se raffermir, en procédant à l’amélioration du sort des classes indigentes d’où proviennent la plupart des enfants trouvés, car l’exception ne doit pas nous occuper. Un fait demeure établi, c’est qu’un enfant trouvé est aujourd’hui un enfant perdu. Ce jeu de mots, cruellement sérieux, nous le conservons, il n’y avait aucun moyen de l’éviter.

Honneur encore une fois à la sage-femme qui, sans aucune des compensations flatteuses dont le monde entoure celles qui se vouent à une des célébrités d’un autre genre, accomplit chaque jour une oeuvre utile, et composée d’un million de petites choses, qui la rendent grande et respectable aux yeux de tous.

La sage-femme ordinaire s’efface complétement, quand on a vu de quoi se compose le rôle de la sage-femme en chef à la Maternité.

L’hospice de la Maternité admettait autrefois de rares visiteurs ; maintenant on n’y pénètre plus. Il arriva un jour qu’un de ces curieux, qui avait obtenu une permission pour visiter l’hospice, y reconnut…. sa soeur.

Comment parler dignement de la sage-femme qui a inventé le biberon-tétine et le bout-de-sein en gomme plus ou moins élastique, le biberon à calorifère ; qui tient une pension et crée chaque année un nouveau procédé d’enfantement ?

Or, de même qu’un état, un biberon ne s’improvise pas en un jour : il faut au préalable que la philanthropie l’ait adopté, qu’il ait été jugé digne d’un brevet d’invention, ou tout au moins de plusieurs médailles ; les principaux médecins sont consultés sur l’influence humanitaire du biberon, sur l’importance sociale du bout-de-sein, et accordent leur sanction, pour peu que la sage-femme ait mis quelque talent à prouver l’utilité de sa découverte. Munie des attestations les plus honorables, la sage-femme démontre chimiquement que toutes les inventions qui se rapprochent de la sienne à l’aide d’une imitation plus ou moins ingénieuse sont la perte des nourrices et l’écueil de l’allaitement. Parvenue à l’état de professeur, elle donne la main aux célébrités médicales de son époque ; son auditoire n’est composé que de femmes, comme jadis les mystères de la bonne déesse. Elle n’en est pas moins placée à l’apogée de la science ; son nom fait autorité. Elle a un éditeur, mais un éditeur scientifique. Elle applique le forceps avec autant de sang-froid que d’autres en mettent à broder une écharpe ou à donner le jour à une paire de bas. On sait que la Faculté a refusé récemment un diplôme de médecin à une femme qui en était digne sous tous les rapports. Le docte corps a craint peut-être les rivalités, et l’influence d’un si noble exemple sur les destinées de la médecine. Ce fait paraît bizarre, il est simplement, selon l’expression vulgaire, renouvelé des Grecs. L’aréopage, ayant remarqué que les connaissances médicales se répandaient beaucoup trop parmi les femmes, proscrivit les accoucheuses. Le préjugé de la sage-femme était tellement enraciné chez les dames d’Athènes, qu’elles aimaient mieux mourir que d’être accouchées par des hommes. Agnodice porta l’amour de son art jusqu’à se déguiser en homme et à venir en aide à son sexe sous le costume d’un Athénien. L’androgyne naquit d’un arrêt draconien de l’aréopage. Agnodice, convaincue d’avoir pratiqué l’accouchement en dépit de l’aréopage, fut condamnée à mort. Elle obtint sa grâce à la prière des Athéniennes les plus distinguées. Le tribunal eût mieux fait peut-être, en matière d’accouchements, de se déclarer incompétent.

On permet à la sage-femme d’être professeur dans sa spécialité, et même d’envoyer des élèves dans les départements ; celles qui ont exercé sous ses yeux et sous sa main n’oublient pas de le mentionner sur leur enseigne.

Le rôle de la sage-femme, nous l’avons dit, n’est point borné aux pratiques vulgaires de l’accouchement : l’hygiène de son sexe la regarde spécialement ; nommer la sage-femme, c’est nommer le médecin de toutes les maladies et de toutes les faiblesses de son sexe.

Quand un enfant a vu le jour et qu’il est exempt de meconium, la sage-femme n’est pas au bout de ses épreuves : il faut encore qu’elle le pare, qu’elle le festonne, qu’elle l’illustre ; heureusement les langes sont prêts ; elle a même sous la main les vêtements de celui qui, d’après Fitche, est le roi de la création. Le petit béret de velours orné de rubans, la chemise de batiste, les fines broderies, tout cela passe par les mains de la sage-femme ; elle serait au désespoir qu’une autre qu’elle inaugurât le nouveau-né. Ainsi emmaillotté, ajusté et adonisé comme un Amour de Watteau, elle le présente à la famille, qui est forcée d’avouer qu’après ce Cupidon lui-même, ce qu’il y a de plus admirable au monde, c’est la sage-femme.


                                    L. ROUX.


(1) Dieu du silence.
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