LÉPICIÉ, G. SCOTIN
M. A
PRÉFACE
L
ES vers de Scarron, le créateur et l'Empereur du Burlesque, ne sont
plus qu'une curiosité littéraire et historique. On lit encore un peu sa
grossière, mais amusante comédie de
Don Japhet d’Arménie, un peu
moins ses Nouvelles à l'Espagnole, bien que l'une d'elles,
la
Précaution inutile, ne soit étrangère ni à l'
École des maris de
Molière, ni au
Barbier de Séville de Beaumarchais, et que le
Tartuffe doive aussi quelque chose à celle dont Montufar est le
héros, mais on lit toujours son roman inachevé. L’épopée provinciale de
sa Troupe Comique ne vit pas par les histoires sentimentales qui la
coupent à l'imitation de
Don Quichotte et qui ont fait son succès
auprès des belles dames de son temps, mais par la gaieté communicative
de ses peintures prises sur le vif et par sa qualité contemporaine.
C'est le meilleur roman bourgeois du XVIIe siècle, et il n'a pas peu
contribué, mieux que par des attaques directes, à dégonfler les ballons
des bergeries à la d'Urfé et des préciosités à la Romaine.
Dans son genre, c'est une œuvre maintenant classique, qui s'est mise à
son rang et qui n'en descendra plus.
Aussi n'est-il pas étonnant que le XVIIIe siècle, qui l'a gardée, lui
ait fait, sinon les honneurs de la tapisserie, au moins ceux de
l'illustration, non seulement dans le livre, mais, d'une façon plus
considérable, dans plusieurs suites de compositions. Ce ne sont pas, en
effet, les livres qui remporteraient le prix.
Les trois petites planches de Baquoy d'après de Sève, pour l'édition
des œuvres en dix volumes in-18, publiée à Paris par Pissot en 1752, et
les six planches de Folkema d'après Pater et Dubourg, pour une autre
édition des œuvres, publiée la même année à Amsterdam par Westein en
sept volumes petit in-12, ne sont forcément que des vignettes.
L'édition séparée du
Roman comique publiée à Paris par l'Imprimerie
Didot jeune en 1796, en trois volumes in-8°, est illustrée de quinze
compositions de Le Barbier, dont les dessins, les eaux-fortes et les
avant-lettres existent dans un exemplaire autrefois possédé par M. de
La Bédoyère et passé, à sa seconde vente de 1862, dans la bibliothèque
de M. Rattier. Le talent froid et guindé de Le Barbier, une des
nébuleuses du chemin de Louis David, était peu fait pour se plier à la
réalité fantaisiste de la Troupe ambulante ; Ragotin, La Rancune et la
Bouvillon étaient trop en dehors de l'Olympe de l'École.
Enfin il a paru de nos jours, en 1857, dans les collections à bon
marché de Bry, un
Roman comique en deux volumes in-8°, illustrés de
bois dans le texte d'après les dessins de M. Frère. Ils sont moins
connus qu'ils ne le méritent, car ils sont souples, gais et d'une
improvisation facile, à la suite du goût des croquis de Tony Johannot ;
mais la gravure, comme il arrive aux publications de ce genre, en est
bien hâtivement inégale, et, comme livre, le
Roman comique attend
encore son illustrateur.
Les suites faites en dehors, et qui prouvent la continuité de son
succès, n'ont pas de peine à tenir la tête, et il y en a trois bien
différentes.
L'une est une série de tableaux, d'un pinceau sombre et d'un dessin
sommaire, mais d'une composition adroite, spirituelle et à l'effet,
brossés dans le premier tiers du XVIIIe siècle par un peintre
provincial fort inconnu, nommé Coulon, pour le salon du château de la
famille de Tessé dans le Maine. Bien qu'elle ne soit pas contemporaine,
c'est certainement, malgré ses incorrections et ses lourdeurs, celle
qui est le plus dans le sens et dans le ton des bouffonneries et des
extravagances du
Malade de la Reine.
Les deux autres grandes suites sont l'une à l'eau-forte et l'autre au
burin.
Celle d'Oudry, qu'on connaît trop peu, date de la fin de sa jeunesse,
quand il était encore un portraitiste et un peintre d'histoire, c'est
en cette qualité qu'en 1717 et 1719 il fut agréé et reçu à l'Académie,
- et avant qu'il n'eût trouvé sa spécialité de peintre de chiens et
d'animaux. « C'est à cette époque, » dit très bien M. Roger Portalis
dans ses
Dessinateurs d’illustrations au dix-huitième siècle (1877,
II, 481), « qu'il dessine et grave à l'eau-forte cette étourdissante
suite pour le
Roman comique de Scarron, où les gais épisodes des
malheurs burlesques de Ragotin, les faits et gestes de La Rapinière, de
La Rancune et du Destin sont gravés si librement et avec tant
d'entrain. La grande planche du
Renouvellement du combat, où deux
servantes reçoivent des claques sur les fesses, est pleine de gaieté
et de mouvement. La suite entière se compose de trente-huit morceaux,
mais Oudry n'en a gravé lui-même que vingt-trois. Ce sont ces pièces
qui se trouvent au Cabinet des Estampes accompagnées souvent d'une
contre-épreuve rehaussée d'encre de Chine, probablement par l'auteur
lui-même, » Ce qui prouve l'extrême rareté de la suite d'Oudry, c'est
que M. Robert-Dumesnil, dans le second volume de son
Peintre-graveur
français publié en 1836, dit n'avoir pas vu et, par suite, ne décrit
que douze eaux-fortes d'Oudry (pages 201-5, n
os55.66). M. Roger
Portalis (II, 488), a relevé qu'à la vente de Neyman, en 1776, vingt et
un ans après la mort de l'artiste, deux de ses dessins in-quarto pour
le
Roman comique se sont vendus 173 livres.
La troisième suite est celle des grandes planches, d'une dimension
moyenne de 26 à 27 centimètres de hauteur sur une largeur de 36 à 37,
qui ont été gravées au burin d'après des compositions de Pater et de
Dumont. Jusqu'à la production d'une preuve, il faut les appeler des
compositions, car le
pinxit gravé au bas des planches, peut ne se
rapporter, comme si souvent, qu'à l'invention. En effet, l'on ne
signale, ni dans les collections des musées, ni dans les ventes du
dernier siècle et de celui-ci, aucun tableau peint de Pater qui
appartienne à cette suite, alors que ses toiles ont encore et ont
toujours eu assez de valeur pour ne pas passer inaperçues. Les modèles
des gravures ont donc été probablement de grands dessins au crayon,
peut-être légèrement lavés.
Si Watteau avait encore été vivant, mais il était mort depuis 1721, il
est probable que Surugue se serait adressé au maître ; à son défaut, il
est naturel qu'il ait demandé ce travail à celui qui, tout en les
affaiblissant, continuait son genre et sa tradition. Ce n'est pas du
vrai Scarron, et sous ce rapport, Coulon est plus juste, Oudry plus vif
et plus varié. Pater, toujours un peu froid et compassé, a été dans son
propre sens ; il a été moins comique, mais plus élégamment et plus
joliment poli ; il a habillé ses personnages, non pas à la mode de
Louis XIII, mais à celle de la Régence. L'archéologie pittoresque
n'était pas le fait de son temps, et comme, malgré tous les soins, elle
est toujours plus ou moins inexacte et qu'il s'y glisse toujours
quelque chose de contemporain, il serait d'autant plus injuste de
reprocher à Pater de ne pas être sorti de sa manière que ses
compositions sont en général heureusement aisées, et même moins
infidèles à Scarron qu'il ne l'a été à La Fontaine dans ses
compositions sur les
Contes, dont les Deux Amis, au lieu d'être des
hommes, sinon vieux, au moins plus que faits, puisqu'ils se renvoient
de l'un à l'autre la paternité de la grande fillette dont ils sont
amoureux, sont chez lui des Léandres à leur aurore, et qui, en
réunissant leurs âges, n'arriveraient pas à la quarantaine. Il n'a fait
en somme ni du La Fontaine ni du Scarron ; il n'a fait que du Pater, et
le Pater a son intérêt et son prix.
Les sujets sont au nombre de seize, sur lesquels quatorze sont de Pater
et deux seulement, le quatrième et le onzième, d'un autre artiste. A un
moment, ses prétentions, on sait qu'il était plus qu'intéressé,
ont-elles paru trop fortes à Surugue et se serait-il adressé à un
artiste moins exigeant ? Peut-être la suite, qui a été longue à
paraître, et dont les planches ont dû être mises en vente à mesure de
leur achèvement, devait-elle originairement être plus nombreuse, car il
y manque plus d'une scène très capable d'être le thème et le motif
d'une composition ? Ce sont questions insolubles, mais il est certain
que Surugue a fait travailler Dumont du vivant de Pater, puisque, sur
les deux seules planches qui portent une date se rapportant aux
inventeurs, si l'une, la quatrième, qui est de Pater, est datée de
1727, la onzième, qui est de Dumont, est datée de 1728, alors que Pater
n'est mort qu'en 1736. Le moins célèbre aujourd'hui, Jacques Dumont,
dit le Romain, à cause de son séjour à Rome, lui a survécu longtemps,
puisqu'il n'est mort qu'en 1781, à l'âge de quatre-vingt et un ans. Il
a surtout fait de grands tableaux d'histoire, qui ont sombré. Il était,
à l'occasion, capable de se tirer de sujets plus humains et plus
familiers. Ses deux compositions pour le
Roman comique et les
gravures de quelques autres, prises dans la vie réelle, en sont la
preuve, et son souvenir se trouverait mieux aujourd'hui d'avoir fait un
peu moins de grand art et un peu plus de petit.
Quant aux dates de la gravure, absentes sur les deuxième, quatrième,
huitième et onzième planches, elles commencent à 1729, date de la
première. La troisième et la sixième sont datées de 1730, la cinquième
de 1731, les septième et dixième de 1732, les douzième et treizième de
1733, les quatorzième et quinzième de 1735, la seizième, après un
intervalle d'au moins deux ans, de 1738, et enfin la neuvième de 1738,
trois ans après la mort de Pater.
Il ne paraît pas y avoir jamais eu de titre gravé, ou imprimé
typographiquement, pour servir d'en-tête à leur suite. Le bel
exemplaire de M. Paillet, - c'est celui qui a servi de modèle à M. de
Mare pour ses réductions, - a, comme titre, un feuillet où on lit,
imprimé à la brosse et avec de l'encre ordinaire, au moyen de
caractères percés :
« Le
Roman comique de Scarron peint par Dumont et Pater, Peintres du
Roy, et gravé par MM. Surugue père et fils, L'epici
r et Audran,
graveurs du roy (ici les armes de France, timbrées de la couronne
fermée). A Paris, chez L. Surugue, rue des Noyers, attenant le Magasin
de papier. C. P. R. (
Cum privilegio Regis) »
Sur quelques-unes des planches, ce qui était nécessaire à cette époque
où le numérotage des maisons n'existait pas encore, l'adresse de la
maison de Surugue, dans la rue des Noyers, qui est dans le quartier
Saint-Jacques, celui de l'Université et des Libraires, est encore plus
explicite, à cause évidemment de l'absence d'une enseigne. Ce n'est pas
seulement « attenant le Magasin de papier », mais « à
l'entrée de la rue des Noyers, entre les deux premières portes
cochères, vis-à-vis le mur de Saint-Yves ». Avec de pareilles
indications, il aurait fallu être bien maladroit pour ne pas trouver la
boutique de Surugue.
Le plus grand nombre est de l'éditeur, Louis Surugue le père, qui n'en
a pas fait moins de sept, les première, troisième, quatrième, sixième,
dixième, onzième et treizième. Son fils, Pierre Surugue, dont le burin
ne vaut pas le sien, est indiqué comme en ayant gravé entièrement une,
la quatorzième, et en ayant terminé deux, la troisième et la seizième.
Mais il y a deux graveurs que n'indique pas le titre de l'exemplaire de
M. Paillet. Avec le peintre Bernard Lépicié, alors très jeune, qui a
gravé la douzième et la quinzième planches, avec le dernier Benoît
Audran, qui a gravé la huitième, il y a Gérard Scotin, qui a gravé la
cinquième, et Jeaurat, qui a gravé la seconde et la septième. Edme
Jeaurat, qui a été surtout peintre, est l'un des meilleurs
bourgeoisistes du XVIIIe siècle ; j'aurais dit
naturalistes ; si
le mot n'était mis aujourd'hui à tant de sauces qu'on ne sait plus ce
qu'il veut dire.
Dans la table finale, on verra la transcription fidèle, même jusqu'aux
fautes d'orthographe si habituelles aux graveurs de lettres, des
anciens titres des planches et de leurs indications de peintre et de
graveur. On a seulement omis les variantes de l'adresse de Surugue,
donnée plus haut, et aussi les renvois aux deux tomes d'une ancienne
édition du
Roman comique, qui n'est pas spécifiée ; il valait mieux
renvoyer aux Parties, qui existent en elles-mêmes et sont indépendantes
de n'importe quelle édition. Par contre, on a ajouté une numérotation
générale, de I à XVI, dans l'ordre successif des sujets, pour permettre
de classer les planches, aussi bien celles de cette publication que les
anciennes, qui sont sans numéros.
Un dernier mot sur le texte fort simple des notices explicatives mises
au-dessous de chaque planche. Comme le plus souvent il a été impossible
de transcrire le texte entier de Scarron, tantôt parce qu'il était trop
long, tantôt parce qu'il se trouvait avoir trop de détails étrangers à
la planche, on s'est au moins efforcé, dans l'obligation où l'on était
d'en faire un nouveau qui restât dans la mesure de la demi-page, de se
servir le plus possible des propres termes de Scarron.
ARRIVÉE DE LA TROUPE COMIQUE DANS LA VILLE DU MANS
Première Partie. – Chapitre Premier.
L
A charrette des Comédiens, attelée de bœufs et d'une jument
poulinière, dont le poulain va et vient comme un petit fou, arrive aux
Halles du Mans et passe devant le
Tripot de la Biche, reconnaissable
à son enseigne. Les coffres, les malles, les gros paquets de toiles
peintes et les châssis de décors forment sur la charrette une pyramide,
au haut de laquelle est juchée comme une poule Mademoiselle La Caverne,
habillée moitié ville et moitié campagne. A côté de la charrette, le
vieux La Rancune, s'appuyant sur une canne et courbé sous le poids
d'une grosse basse de viole, a l'air d'une tortue dressée sur ses
pattes de derrière. Devant lui, le jeune Destin, aussi pauvre d'habits
que riche de mine, un grand emplâtre sur l’œil, coiffé d'un bonnet de
nuit entortillé de jarretières, ayant pour pourpoint une casaque de
grisette ceinte d'une courroie et traversée en diagonale d'une
bandoulière de petits oiseaux, triomphalement terminée par une poule et
un oison, chaussé, au lieu de souliers, de vieux brodequins à
l'antique, usés et crottés de boue, a sur l'épaule un long fusil. La
Rapiniere, Lieutenant du Prévôt, le chapeau sur la tête, l'épée au côté
et tenant un grand pistolet contre sa ceinture, l'arrête avec une
autorité de Magistrat et lui demande quelles gens ils sont.
LA COMÉDIE INTERROMPUE ET LA BATAILLE DU TRIPOT
Première Partie. – Chapitre III.
C
OMME
La Caverne, en sa robe ordinaire, et La Rancune et Destin, dans les
habits donnés par La Rapiniere, jouaient, à l'improviste et en s'étant
chargés chacun de plusieurs rôles, la fameuse Tragédie de la
Marianne
de Tristan l’Hermite dans une chambre haute du Tripot, les deux jeunes
gens de la Ville, qui jouaient à la paume et n'avaient plus trouvé
leurs habits. se précipitent, l'un sur La Rancune et l'autre sur
Destin. La Maîtresse du Tripot, qui voyait rompre ses meubles, emplit
l'air de cris pitoyables, et deux Capucins, accourus au bruit, arrivent
à grand' peine Il mettre le holà et à séparer les combattants.
AVENTURE NOCTURNE DE LA CHÈVRE DANS LA MAISON
DU SIEUR LA RAPINIÈRE
Première Partie. - Chapitre IV.
L
A
Rapinière, à la poursuite de sa Femme qu'en se réveillant il n'avait
pas trouvée à côté de lui, se jette, en croyant l'atteindre, sur une
grosse chèvre qui allaitait dans la maison les petits d'une chienne,
morte en couches, et qui se débat contre lui. Toute la maison accourt à
ses cris, la Servante avec une lampe, La Rancune et le Valet en
chemises sales, La Caverne en méchante jupe, Destin en chemise, en
bonnet de nuit et l'épée à la main, et jusqu'à la maigre Mademoiselle
de la Rapinière, son chandelier à la main, descendue la première en
chemise pour aller ou les Rois ne vont qu'en personne.
MALHEUR DE RAGOTIN DANS LA CHAMBRE DES COMÉDIENNES
Première Partie. – Chapitre X.
A
PRÈS que le ridicule Ragotin eut fini de raconter l'Histoire de l’
Amante invisible,
un jeune homme de la Ville lui ayant dit qu'il l'avait prise dans un
livre et le lui ayant arraché de la poche, le petit bout d'homme,
s'étant jeté sur lui en furie, s'était trouvé, après toutes sortes de
chutes et de gourmades, avoir son chapeau si bien enfoncé sur sa tête
qu'il étouffait. Comme il avait été impossible de le lui ôter à cause
de sa forme de pot a beurre, La Rancune, pour en dégager Ragotin, lui
coupe sur la tête le malencontreux chapeau avec les ciseaux de La
Caverne. Celle-ci est encore agenouillée devant la grande malle ouverte
où elle arrangeait les costumes et les accessoires de la Troupe ; dans
le fond, Mademoiselle de l'Étoile, étendue sur un des deux lits à cause
de son pied démis, et Angélique, assise à côté d'elle, assistent à la
scène sans y prendre part.
ARRIVÉE DE L'OPÉRATEUR A L'HOTELLERIE
Première Partie. – Chapitre XV.
U
N
peu avant le souper des Comédiens, l'Opérateur Ferdinando Ferdinandi et
son train s'arrêtent à l'hôtellerie. L'Opérateur, Gentilhomme Vénitien
de Caen en Normandie, est déjà descendu de sa monture et parle à
l'hôtelier ; sa Femme, Dona Inezilla dei Prado, est encore à cheval,
comme leur vieille Servante Maure sur un âne. Un des deux Valets de
l'Opérateur porte un drapeau ; l'autre, qui a sur son dos un sac et une
trompette, agace un petit singe, assis sur la croupe de l'âne de la
Négresse. A gauche et à droite deux Servantes, dont l'une tirait de
l'eau au puits et dont l'autre balayait les marches d'un petit perron,
interrompent leur besogne pour regarder les nouveaux venus.
NOUVELLE DISGRACE DE RAGOTIN
Première Partie. – Chapitre XX.
C
OMME
la Troupe se rendait en deux carrosses à la maison d'un riche Bourgeois
à une lieue du Mans, pour y jouer la Comédie aux fêtes d'une noce,
Ragotin, amoureux de Mademoiselle de l'Étoile, était allé l'attendre
dans une Hôtellerie au bout du Faubourg. Quand les carrosses
arrivèrent, il était monté à cheval ; il avait, par maladresse,
violemment éperonné la bête, et celle-ci, en ruant, le secoue si bien
que le pauvre petit bout d'homme, tout hors de selle et les jambes
empêtrées dans la carabine chargée dont il s'était affublé, se trouve
la faire partir, à son grand effroi, comme à celui de l'Hôte et des
Servantes.
SUITE DU TRÉBUCHEMENT DE RAGOTIN,
ET QUELQUE CHOSE DE SEMBLABLE QUI ARRIVA A ROQUEBRUNE
Première Partie. – Chapitre XX.
LA
chute de Ragotin s’était passée à la vue des carrosses, « qui s’étoient
arrêtés pour le secourir, ou plutôt pour en avoir le plaisir. Il pesta
contre le cheval, qui ne branla pas depuis sa chute, et pour le
consoler, on le reçut dans l’un des carrosses, en la place du Poëte
Roquebrune, qui fut bien aise d’être à cheval pour galantiser à la
portière où étoit Inézilla. Ragotin lui résigna l’épée et l’arme à feu,
qu’il se mit sur le corps d'une façon toute martiale. Il allongea les
étriers, ajusta la bride, et se prit, sans doute, mieux que Ragotin à
monter sur sa bête. Mais il y avoit quelque sort jeté sur le
malencontreux animal. La selle, mal sanglée, tomba comme à Ragotin, et,
ce qui attachoit ses chausses s'étant rompu, le cheval l'emporta
quelque temps le pied dans l'étrier, l'autre servant de cinquième jambe
au cheval, et les parties de derrière du Citoyen du Parnasse fort
exposées aux yeux des assistants, ses chausses lui étant tombées sur
les jarrets. »
| |
RAGOTIN DÉCLAMANT DES VERS DE THÉOPHILE
Seconde Partie. – Chapitre II.
L
ES
Comédiens étant à la poursuite de Mademoiselle Angélique, Fille de La
Caverne, enlevée à la place de Mademoiselle de l'Étoile, Ragotin, monté
sur un mulet et accompagné de La Rancune et de L'Olive à pied, suit la
route où Destin les a précédés. Malgré la gène que causent à Ragotin
les grandes bottes de La Rancune, qu'il avait inconsidérément relevées,
et qui, lui venant jusque la ceinture, l'empêchent de plier ses petits
jarrets, les compliments de ses compagnons sur son futur talent de
Comédien le mettent en si belle humeur qu'il se prend à réciter de
dessus son mulet des vers du
Pyrame et Thisbé
du poète Théophile. Des paysannes, l'une arrêtée, l'autre assise sur le
bord de la route, et deux paysans, qui conduisaient une charrette
chargée et faisaient le même chemin, crurent qu'il prêchait la parole
de Dieu, le voyant déclamer comme un forcené, et, tandis qu'il récita,
ils eurent toujours la tête nue et le respectèrent comme un Prédicateur
de grands chemins.
LE PAUVRE RAGOTIN DANS UNE TOUFFE DE ROSIERS
Seconde Partie. – Chapitre VII.
R
AGOTIN,
s'étant réveillé avec l'imagination que La Rancune venait de mourir
subitement à côté de lui, et le voyant ensuite se promener dans la
chambre, le prend pour un fantôme, et sa peur le fait s'enfuir dans le
jardin de l'Hôtellerie. Léandre et Destin l'ayant suivi et l'ayant pris
sous les bras pour le ramener dans la maison, Ragotin, voyant La
Rancune se présenter pour entrer dans le jardin, « se défit de ceux qui
le tenoient et s'alla jeter, regardant derrière lui d'un air égaré,
dans une grande touffe de rosiers, où il s'embarrassa depuis les pieds
jusqu'à la tête et ne put s'en tirer assez à temps pour s'empêcher
d'être joint par La Rancune. Ils le tirèrent à trois hors de la
touffe de rosiers où il s'étoit fourré. »
NOUVELLE DISGRACE DE RAGOTIN DANS L'HOTELLERIE
Seconde Partie. – Chapitre VII.
C
OMME
« on entendit dans une chambre haute des hurlements, fort peu
différents de ceux que fait un pourceau qu'on égorge et que celui qui
les faisoit n'était autre que le petit Ragotin, le vieux Curé du Bourg,
l'Étoile, La Rancune, L'Olive et les « femmes de l'Hôtellerie coururent
à lui et le trouvèrent tout à coup, à la réserve de la tête, enfoncé
dans un grand coffre de bois qui servoit à ranger le linge de
l'Hôtellerie, et ce qu'il y avoit de plus fâcheux pour le pauvre
encoffré, le dessus du coffre, fort pesant et massif, étoit tombé sur
ses jambes et le pressoit d'une manière fort douloureuse à voir. Une
puissante Servante, qui n'étoit pas loin du coffre quand ils entrèrent
et qui leur paraissoit fort émue, fut soupçonnée d'avoir si mal placé
Ragotin. La chose étoit vraie et elle en étoit toute fière, si bien
que, s'occupant à faire un des lits de la chambre, elle ne daigna pas
regarder de quelle façon on tiroit Ragotin du coffre. »
| |
CE QUI ARRIVA DU PIED DE RAGOTIN
Seconde Partie. – Chapitre VIII.
R
AGOTIN
sorti du coffre et ayant voulu se lancer sur la Servante, L'Olive, l'en
ayant empêché et ayant été injurié par lui. le porte tout brandi sur le
lit et lui administre une bonne fessée. Ragotin, furieux, se jette à
bas du lit si malheureusement que l'un de ses pieds entre dans un pot
de chambre d'étain, laissé dans la ruelle, et y entras si avant que, ne
l'en pouvant retirer à l'aide de son autre pied, il resta sans bouger,
ce qui fit bien vite découvrir ce qui le faisait tenir immobile. Apres
de vains efforts pour se dégager, il se remit sur le lit, et un
serrurier, appelé, lime le vase d'étain pour le dépoter du pied de
métal que le petit homme s'était fait.
MADAME BOUVILLON S'ENFLAMME POUR DESTIN
Seconde partie. – Chapitre VIII.
AUTOUR
du la table du souper de la compagnie arrivée le matin en carrosse, la
petite nouvelle mariée, son jeune mari Monsieur Bouvillon, un
Gentilhomme de la Province, la nonpareille Madame Bouvillon, la plus
large, ronde, courte et ragote femme de France, et le Destin, invité
par l'aimable Conseiller au Parlement de Rennes, Monsieur de La
Garouffière, qui est assis il côté de lui. La grosse Madame Bouvillon
n'a d'yeux que pour le jeune Comédien, tandis que tous les autres, même
lui et les valets et servantes, regardent, en s'étonnant et en riant,
l'assiette de Destin, où le prévenant Conseiller, qui finit par s'en
apercevoir, et la trop sensible Madame Bouvillon ont enfaîté, à
l'intention de Destin, une énorme pyramide d'ailes du poulet et de
tranches de gigot.
MADAME PUTIPHAR ET JOSEPH II
Seconde Partie. – Chapitre X.
APRÈS
avoir ôté son mouchoir de cou, la grosse Bouvillon, assise sur le pied
du lit, « étale aux yeux de Destin, qui n'y prend pas grand plaisir,
dix livres de tetons pour le moins, c'est-à-dire la troisième partie de
son sein, le reste étant distribué a poids égal sous ses deux
aisselles, s'écrie qu'elle a quelque petite bête dans le dos, et, se
remuant en son harnois comme quelqu'un qui a une démangeaison, prie
Destin d'y fourrer la main. Le pauvre garçon le fait en tremblant, et
cependant la Bouvillon, lui tâtant les flancs au défaut du pourpoint,
lui demande s'il n'est pas chatouilleux. Devant la cheminée, la petite
table, à deux couverts, où la Bouvillon a fait dîner Destin.
COMMENT MADAME BOUVILLON EUT UNE BOSSE AU FRONT
Seconde Partie. – Chapitre X.
« I
L
falloit combattre ou se rendre, quand Ragotin se fit entendre de la
porte, frappant des pieds et des mains comme s'il l'eût voulu rompre,
et criant à Destin qu'il ouvrît promptement… La Bouvillon, ayant repris
son mouchoir à la hâte, alla ouvrir à l'impétueux Ragotin, qui en même
temps, poussant la porte de l'autre côté de toute sa force, la fit
donner si rudement contre le visage de la pauvre Dame qu'elle eut le
nez écorché et de plus une bosse au front, grosse comme le poing. Elle
cria qu'elle étoit morte. Le petit étourdi ne lui en fit pas la moindre
excuse, mais sautoit et répetoit :
Mademoiselle Angélique est retrouvée ; Mademoiselle Angélique est ici. »
LE DISCOURS DU CAPITAINE BOHÈME A RAGOTIN
Seconde Partie. – Chapitre XVI
C
OMME
Ragotin arrive, avec La Rancune et L'Olive, à sa petite maison de
campagne, proportionnée à sa petitesse, il la trouve occupée par une
Bande de Bohémiens. Le petit homme, fort colère, commence par les
menacer du Prévôt du Mans, dont il se dit allié et, de La Rapinière,
son Lieutenant, au nom duquel tout genou fléchissait : mais le
Capitaine Bohème, son bonnet à la main, le fait enrager à force de lui
parler civilement et avec l’effronterie de lui parler du sa bonne mine,
« qui sentoit son Homme de Qualité et ne le faisoit pas repentir d'être
entré par ignorance dans un Château. C'est ainsi que le scélérat appela
sa maisonnette, qui n'étoit fermée que de haies. Il ajouta encore que
la Dame en mal d'entant seroit bientôt délivrée du sien, et que la
petite troupe delogeroit, après avoir payé à son Fermier cc qu'il leur
avoit fourni pour eux et leurs bêtes. Ragotin se mouroit de dépit de ne
pouvoir quereller avec un homme qui lui rioit au nez et lui faisoit
mille révérences. »
| |
AVENTURE DE RAGOTIN AVEC DES RELIGIEUSES ET AVEC LE PÈRE GIFLOT
Seconde Partie. - Chapitre XVI.
R
AGOTIN,
nu et les mains liées derrière le dos, grâce au Fou qui l'avait
dépouillé de tous ses habits, arrive à un gué, où il rencontre la
vieille Abbesse d'Étival et ses Religieuses qui, par la faute du leur
Cocher, avaient fait naufrage et que le Cocher et un Paysan avaient
tirées de l'eau fort mouillées. Le Père Giflot, voyant Ragotin, fit
tourner vivement le dos aux bonnes Mères, de peur d'irrégularité,
criant à Ragotin de ne pas approcher. Ragotin, poussant en avant,
commença d'enfiler une longue planche, mise là pour la commodité des
gens du pied, et, poussant rudement le Révérend Père Giflot, « le fit
choir dans l'eau. Le bon Prêtre entraîna avec lui le Cocher, le Cocher
le Paysan, et Ragotin trouva leur manière de tomber si divertissante
qu'il en éclata de rire et continua son chemin vers les Religieuses,
qui, le voile baissé, lui tournèrent le dos en haie, ayant toutes le
visage tourné vers la campagne.
*
* *
TABLE
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PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE I
I. — Arrivée des Commédiens dans la ville du Mans. = J. B. Pater pinxit. — L. Surugue sclupsit (sic). 1729.
CHAPITRE III
II. — Bataille arrivée dans le Tripot, qui trouble la Comédie. = J. B. Pater pinxit. — Edme Jeaurat sculp.
CHAPITRE IV
III. — La Rappinière tombe sur la Chèvre. = J. B. Pater pinxit. — L. Surugue terme 1730.
CHAPITRE X
IV. — La Rancune coupe le chapeau de Ragottin. = J. Du Mont pinx. 1727. — L. Surugue sculp.
CHAPITRE XV
V. — Arrivée de l'Opérateur à l'Hôtellerie. = J. B. Pater pinxit. — G. Scotin sculp. 1731.
CHAPITRE XX
VI. — Ragotin à cheval ; sa Carabine lui tire entre les jambes. = J. B. Pater pinxit. — L. Surugue sculp., 1730.
VII. — Le poète Roquebrune rompt la Ceinture de sa Culotte en voulant monter à cheval à la place de Ragotin. = J. B. Pater pinxit. — Edm. Jeaurat sculp., 1732.
SECONDE PARTIE
CHAPITRE II.
VIII. — Ragotin déclame des vers ; des paysans croyent qu'il presche. = J. B. Pater pinxit. —B. Audran sculp.
CHAPITRE VII
IX. — Le Destin retire Ragotin où il s'étoit jeté en fuyant La Rancune, qu'il croyoit mort. — J. B. Pater pinxit. — Terminé au burin par P. Surugue fil (sic) 1739.
X. — Ragotin retiré du Coffre où la Servante l'avoit enfermé. = J. B. Pater pinxit. ¬Terminé par L. Surugue 1732.
CHAPITRE VIII
XI.— Un Sérurier coupe le pot de chambre pour dégager le pied de Ragotin. = J. Du Mont pinx. 1728. — L. Surugue sculp.
Au coin gauche du bas on voit, sur les carreaux du plancher, les initiales et la date : L. S. 1728.
CHAPITRE X
XII.— Piramide D'Ailes et de cuisses de Poulets élevée sur l'assiette du Destin par Mme Bouvillon. = J. B. Pater pinxit. — Lépicié sculp. 1733.
CHAPITRE XI
XIII.— Madame Bouvillon pour tenter Le Destin le prie de luy chercher une puce. = J. B. Pater pinxit. — Terminé par L. Surugue en 1733.
XIV. — Madame de Bouvillon ouvre la porte à Ragotin qui luy fait une bosse au front. = J. B. Pater pinxit. — Petrus Surugue filius sculp. 1735.
CHAPITRE XVI
XV. — Ragotin trouve des Bohémiens dans sa maison de Campagne. = J. B. Pater. ¬Lépicié sculpsit 1735.
XVI. — Ragotin pousse brusquement dans l'eau le Père Gifflot qui entraîne le Cocher et le Paysan. = J. B. Pater pinxit. — Terminé au burin par P. Surugue fils. 1738.
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PARIS. - TYPOGRAPHIE GEORGES CHAMEROT, 19, RUE DES SA1NTS-PÈRES. - 14822.
CONTES
ETNOUVELLES EN VERSPARJEAN DE LA FONTAINE
PRÉFACE DE M. ANATOLE DE MONTAIGLONNous croyons être agréable à MM.
les Bibliophiles, amateurs d'Estampes et de Gravures, en leur annonçant
cette publication dans un format commode ; elle sera illustrée de 70
compositions d'après les dessins originaux d'Honoré Fragonard, Monnet,
Touzé, Mallet, et de 5 figures inédites de Milius ; nous donnerons en
plus deux portraits, ainsi que 69 fleurons et culs-de-lampe tirés dans
le texte.
Cet ouvrage formera 2 volumes in-8° en papier vélin
fort, imprimé avec un très grand luxe par Hérissey, d'Évreux, en beaux
caractères neufs ; il sera publié en 5 fascicules, qui paraîtront d'ici
fin janvier prochain.
Prix du fascicule pour les souscripteurs......................................................12 fr. - Complet. 60 fr.
Aussitôt la publication du cinquième fascicule, le prix du fascicule sera porté à 20 fr. et celui de l'ouvrage complet à 100 fr. Un tirage spécial de 400 exemplaires sera exécuté sur papier de choix, numérotés à la presse, savoir :
| PRIX DU FASCICULE | PRIX COMPLET | 100 sur papier des manufactures impériales du Japon, n° 1 à 100. . | 6o fr. | 300 fr. | 50 sur papier de Chine extra fort, n° 101 à 150 | 50 fr. | 250 fr. | 50 sur papier Whatman, n° 151 à 200. | 50 fr | 250 fr. | 100 sur papier vergé français, n° 201 à 300. | 40 fr. | 200 fr. | 100 sur papier vélin à la cuve, n" 301 à 400 | 35 fr | 175 fr. |
Les figures, vignettes et culs-de-lampe, qui doivent orner cette superbe publication, comprendront :
1° Un portrait de La Fontaine, d'après Rigaud, gravé à l'eau-forte par Milius. 2° Un portrait de Fragonard, d'après la miniature de Mlle Gérard, gravé par Ricardo de Los Rios. 3°
Deux vignettes pour les titres, l'une empruntée à l'édition de 1795,
l'autre dessinée par Choffart, et toutes deux gravées en réduction par
Ricardo de Los Rios. 4° Soixante-neuf planches, d'après les dessins
de Fragonard, Touzé, Monet, Mallet et Milius, ornant chaque conte de La
Fontaine, et gravées par MM. Lerat, Milius, de Los Rios et Mongin. 5°
Soixante-sept en-têtes et culs-de-lampe du dessin de Choffart, tirés
sur les cuivres gravés d'après ses eaux-fortes, par C. Boily, pour
l'édition de 1764.
Les
exemplaires papier vélin, à 12 fr. le
tascicule, contiendront les 64 planches ci-dessus désignées, et
les deux portraits avec la lettre ; ils contiendront aussi les
deux
vignettes de titre et les 67 culs-de-lampe, ou en-têtes, tirés dans le
texte.
Les exemplaires sur japon, chine, whatman, vergé et vélin à
la cuve, auront les gravures de Fragonard, Monet, Toué, Mallet et
Milius, les deux portraits et les deux vignettes des titres, en double
état, avec et avant la lettre.
Avec le cinquième fascicule seront remises les couvertures des deux volumes, ainsi que les tables des gravures.
PARIS. - TYP. G. CHAMEROT, 19, RUE DES SAINTS-PÈRES. - 14822
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