SAINT-ANGE, Louis
de : Le secret de
triompher des femmes et de les fixer, suivi des signes qui
annoncent le penchant à l’amour.-
Bruxelles : Jean-Baptiste Moens, 18[72].- 66 p. ; 15 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (07.VI.2005) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. La première édition de cette oeuvre semble être de 1825. Contient des Maximes de La Rochefoucault sur les Femmes et l'Amour. Texte établi sur l'exemplaire d'une coll. particulière. LE SECRET
DE TRIOMPHER DES FEMMES ET DE LES FIXER suivi des signes qui annoncent le penchant à l’amour par
Louis de Saint-Ange
membre de plusieurs sociétés savantes et littéraires ~*~AVERTISSEMENT
L’OUVRAGE que j’offre au public est loin d’avoir le mérite littéraire de celui de Gentil Bernard, qui semble avoir été dicté par les Grâces ; mais son Art d’aimer est plus agréable qu’utile. Il manque d’ailleurs dans son poëme une multitude de préceptes et d’observations importantes, que la poésie ne pouvait orner de ses riches couleurs. J’ai pensé que le sujet était digne d’être plus approfondi, et loin de me paraître frivole, je le crois d’une utilité presque générale, car les jeunes gens y trouveront le secret de plaire et de triompher ; les maris, celui de préserver leurs épouses des dangers de la séduction. Cet ouvrage est divisé en trois parties : la première traite de l’art de plaire ; la seconde enseigne le moyen de triompher des femmes, et la troisième celui de les fixer. ~*~
Première
Partie
L’ART DE PLAIRE PLAIRE, c’est être agréable ; c’est charmer et se faire aimer. L’on est agréable par les avantages du corps et de l’esprit ; on charme par les talents ; on se fait aimer par les qualités du coeur. Des qualités physiques.
Les qualités physiques sont celles qui agissent avec le plus de rapidité, et dont l’effet est le plus involontaire. Une taille élevée, une figure régulière, de belles formes exercent d’abord un pouvoir presqu’irrésistible ; ce pouvoir vient d’un instinct que la nature a mis dans tous les êtres, qui tend à conserver la beauté de l’espèce. Il entre toujours dans l’amour un peu d’amour-propre ; la femme est flattée de captiver un homme que ses rivales trouvent beau. Cependant ceux d’une petite taille ont en général de la grâce et de la vivacité, ils semblent regagner par le mouvement ce qu’ils ont de moins dans l’espace, il y a dans toute leur personne quelque chose qui plaît, qui captive, on oublie facilement qu’un homme est petit lorsqu’il est bien fait. Un des plus célèbres physiologistes de ce siècle a dit : « Jamais grand homme n’a été grand. » Cette proposition est trop générale, sans doute, mais il faut convenir que beaucoup d’exemples semblent l’appuyer : Alexandre, Mahomet, Pierre le Grand, etc., étaient d’une petite stature. Les passions ont plus de force dans les petits corps ; elles y fermentent avec rapidité et y règnent plus despotiquement. Le courage est encore une de leurs qualités : on connaît ce vieux proverbe ; petit homme, grand coeur. Ainsi donc ils peuvent plaire, autant que ceux qui sont armés d’une grande taille. La beauté résulte des proportions : un homme très-gras est aussi désagréable à l’oeil que celui qui est d’une maigreur extrême. La maigreur même est moins contraire à l’amour ; Aristote avait observé que les tempéraments secs étaient très-ardents. Les athlètes qui s’exerçaient dans les jeux Olympiques étaient bien proportionnés ; ils n’étaient point chargés de graisse ; aussi chez eux les muscles avaient beaucoup de force et de souplesse : ils ne buvaient point de vin : l’eau est en effet le meilleur tonique. Les buveurs d’eau sont ordinairement les plus amoureux. Les forces sont le résultat de la modération ; les excès les détruisent et ruinent la santé : sans la santé il n’y a point de beauté ; on cesse de plaire avec un corps usé et une figure ridée. Celse, célèbre médecin, conseille de ne point se livrer au plaisir de l’amour après le repas, ni après les fatigues de l’esprit ou du corps. L’été est la saison la moins favorable à Vénus ; les forces alors sont épuisées par la transpiration : l’estomac fait moins bien ses fonctions. Un air chaud et humide est aussi très-contraire ; les vents du nord et de l’est sont les plus favorables. Celui qui se livre à des travaux constants du corps ou de l’esprit, doit être très-modéré sur les plaisirs de l’amour ; mais la contention de l’esprit épuise encore plus que les fatigues du corps. L’homme de cabinet est en général faible et très-sensible ; plus la sensibilité est grande, plus il faut de modération dans tous les plaisirs. On a observé que les hommes de génie étaient peu propres à la propagation : l’amour n’est jamais pour eux une grande affaire. La jeunesse est le temps de l’amour, les forces sont alors dans toute leur intensité ; la grâce, la fraîcheur, la beauté des formes, cet air de timidité qui résulte de l’ignorance du monde ; la beauté d’une âme qui n’a pas encore été trompée, se peint sur tous les traits et particulièrement dans les yeux. Dans cet âge on n’a pas besoin d’art pour plaire ; il suffit de le vouloir, et souvent même l’on fait naître des passions que l’on ignore. Je n’ai qu’un conseil à donner à ceux qui possèdent encore cette fleur de jeunesse, c’est de ne pas être trop timides. Ninon de Lenclos dit que la timidité des hommes sauve plus de femmes que la vertu. A mesure qu’on avance en âge, l’art doit effacer les outrages du temps ; les charmes de la conversation, enfin l’emploi des préceptes contenus dans ce livre, peuvent encore rendre l’homme agréable, et le faire aimer même dans un âge avancé. On est souvent incertain sur le choix des qualités qu’offrent les bruns et les blonds. Les premiers sont plus nerveux, plus forts, plus constants : ils ont aussi plus d’expression et de vivacité dans toute leur personne. Ils sont quelquefois sombres et mélancoliques ; mais leur imagination est ardente ; ils brûlent d’amour sans en avoir encore donné aucune marque apparente. Passionnés à l’excès, ils sont portés à la jalousie et à la vengeance : l’amour est chez eux un feu dévorant qui les consume. Ils sont capables de tout entreprendre pour triompher ; les dangers, les rigueurs d’une belle ne font souvent qu’augmenter leurs désirs ; lorsqu’ils sont aimés ils sont maîtres. Les blonds ont des formes plus gracieuses, la peau plus blanche ; leur figure a de la douceur, elle est colorée ; ils sont ordinairement grands ; ils ont l’esprit du monde, et parlent facilement ; cependant leur conversation est plus variée que profonde ; ils aiment à parler de leurs aventures amoureuses, et plaisent par leurs grâces ; les bruns triomphent par la persévérance. Les uns et les autres ont des avantages presque égaux ; car la nature qui a répandu tant de variété dans la forme des êtres, en a mis aussi beaucoup dans les goûts. On a même observé que le mélange des tempéraments était favorable à la propagation. La bouche est le trône de l’amour ; elle communique directement au coeur ; un baiser cueilli sur des lèvres de rose, est le gage assuré d’un bonheur prochain. C’est donc un bien grand avantage que celui d’une bouche fraîche qui semble appeler des baisers : les dents en sont le plus bel ornement ; aussi quel soin ne doit-on pas en avoir ! Ceux qui les négligent s’exposent à plusieurs incommodités réelles, telles que l’altération des gencives, la carie dentaire, la fétidité de l’haleine, des douleurs insupportables, etc. On ne doit point casser de corps durs. L’usage de la pipe use les dents ; la fumée du tabac les ternit ; les aliments très-froids ou très-chauds sont également contraires. L’eau froide avec laquelle on a l’habitude de se laver la tête, les répercussifs qu’on emploie pour faire disparaître les taches du visage, et la plupart des pommades dont on teint les cheveux ne sont pas étrangers aux maladies des dents. On doit les brosser journellement, et se gargariser avec de l’eau fraîche pour empêcher que le tartre n’y adhère. Si les gencives étaient molles, tuméfiées, saignantes, il faudrait unir cette eau à la teinture alcoolique de gaïac, à l’eau de Cologne, ou à toute autre liqueur spiritueuse. Les brosses doivent être douces ; celles du poil de sanglier seraient trop dures et blesseraient les gencives. Lorsqu’on a négligé de brosser les dents et qu’une couche de tartre les recouvre, il vaut mieux employer la main d’un dentiste pour enlever exactement cette couche, que d’avoir recours à des substances qui dissolvent, il est vrai, le tartre, mais qui altèrent l’émail et le corps même de la dent. Les acides en général détruisent l’émail qui fait la beauté des dents ; mais l’ablation de l’émail n’entraîne pas la carie ; sans cela les dentistes ne pourraient se servir de la lime. Une dent qui a été cassée par un corps dur quelconque peut se conserver, si la fracture n’a pas découvert la cavité dentaire. Le charbon en poudre uni au quinquina est le meilleur moyen pour blanchir les dents et fortifier les gencives. Des qualités morales.
L’âme est véritablement l’homme ; le physique n’a de charme que par elle ; elle embellit tous les traits en leur donnant de l’expression ; elle anime et fait parler les yeux ; elle séduit en donnant au langage la vie et la couleur ; elle exerce même sur les autres êtres un pouvoir inexplicable, mais qui ne peut être contesté. Oui, je le répète, l’âme est tout ; sans elle il n’y a ni éloquence, ni talents, ni véritable beauté ; elle se peint dans tous les traits ; avec une âme sensible on est beau, avec une âme indifférente la figure la plus régulière ne fait naître que des passions éphémères. Les charmes qui viennent de l’esprit sont toujours variés ; ceux du physique sont constamment les mêmes et inspirent bientôt le dégoût. Gardez-vous bien de paraître jaloux ; c’est le défaut que les femmes ont le plus en horreur. Il est rare même qu’un amant, ou un mari jaloux soit longtemps aimé. Cette passion blesse la femme,qui veut qu’on ait en elle beaucoup de confiance. Voltaire dit dans sa tragédie de Zaïre : Quiconque est soupçonneux invite à le trahir. Il est rare cependant d’aimer sans être jaloux ; car on craint naturellement de perdre le trésor que l’on possède. La confiance ne saurait effacer ce sentiment dans un coeur bien mépris. Aussi le bon La Fontaine dit : Point froid et point jaloux, notez ces deux points-ci. Il faut, autant qu’il est en nous, cacher ce sentiment ; il doit seulement augmenter notre prudence en nous faisant éviter les occasions qui pourraient exposer celle dont nous voulons conserver la tendresse. La douceur est une des qualités les plus aimables ; la brusquerie, la rudesse, les emportements font fuir les grâces et la beauté. Ne sortez donc jamais des bornes de la modération, dans lesquelles se renferme toujours un homme bien né. Ayez assez de force pour supporter les disgrâces, les petites contrariétés, et même les rigueurs d’une belle ; la patience est presque une vertu ; elle nous fait souvent triompher des plus grands obstacles, et contribue beaucoup à nous faire aimer en découvrant notre caractère, Soyez délicat et poli dans toutes les occasions ; n’exigez jamais rien, faites-vous accorder ce que vous désirez, par votre amabilité et votre constance. Ne vous piquez point de contrarier personne ; développez vos idées avec modestie, et ne tenez point à la gloire de paraître avoir toujours raison ; il est plus honorable de céder, que de montrer une orgueilleuse obstination. Rien n’est plus opposé à la confiance que l’on veut inspirer que le mensonge ; il peut nous nuire beaucoup dans l’esprit des personnes que nous fréquentons, encore plus dans le coeur de celle que nous voulons captiver. La franchise au contraire a quelque chose de séduisant, quand elle n’est point accompagnée de brusquerie et d’emportements ; car on décore souvent de ce nom l’impertinence et la grossièreté. Il est un vice qui endurcit le coeur et rend l’homme presque odieux à ses semblables, c’est l’avarice. Ce défaut est d’autant plus choquant qu’on le remarque dans un homme jeune encore. Le seul bien que fasse l’avare, c’est de mourir, dit un célèbre philosophe. La prodigalité qui est un excès opposé, rend aimable, sans doute, mais elle précipite dans l’infortune, et finit souvent par avilir ; parce que celui qui a ce penchant ne consulte pas toujours ses ressources pour le satisfaire, il est entraîné comme malgré lui à sa ruine. Ne négligez point la danse : paraissez l’aimer autant que celle qui vous a charmé. Il faut en tout se conformer à ses goûts ; vous aurez pour elle une préférence, qui cependant ne sera point affectée. Vous profiterez des heureux moments que l’amour vous offrira, pour exprimer votre tendresse. La chaleur que fait naître un festin est encore augmentée par la danse et la musique : alors on peut oser tout ce que permettent les circonstances. Ayez toujours les attentions les plus délicates pour les dames en général, et particulièrement pour celle que vous aimez. Distinguez-vous par le ton, la démarche, le langage et les manières. Saisissez adroitement l’occasion de faire un compliment ; aucune femme n’y est insensible. Présentez la main à celle qui vous captive ; tâchez de vous placer auprès d’elle à table, et prodiguez-lui les soins les plus assidus ; servez-la vous-même, choisissez les mets qui peuvent être de son goût : partagez, s’il est possible, avec elle, un fruit que vous aurez remarqué être digne de lui être offert. Aimez ce qu’elle aime, approuvez ce qu’elle approuve, soyez en tout de son avis. La raillerie est toujours dangereuse, il faut y renoncer ; il est d’ailleurs très difficile de railler avec esprit. Si vous possédez quelques talents agréables, ne vous pressez pas de les faire connaître, attendez que les circonstances se présentent ; mais aussi n’allez pas vous donner plus d’importance, en vous faisant beaucoup prier. Il ne faut être ni avare, ni prodigue de ses talents. Le jeu est souvent une épreuve pour les caractères : il est difficile de cacher sa mauvaise humeur lorsqu’on perd ; il y a des personnes qui dans ces occasions s’emportent ; d’autres s’éloignent et semblent maudire à la fois leur mauvaise fortune et ceux qui en ont profité. D’autres, sans craindre d’humilier leur adversaire, chantent eux-mêmes leur victoire. C’est ici que l’éducation doit montrer son empire, en nous rendant plus justes et plus modérés. Il n’est rien de si impoli et de si maladroit que de se plaindre ; paraissez n’être ni affligé de votre perte, ni réjoui de votre bonheur. ~*~
Deuxième Partie L’ART DE TRIOMPHER LE but de l’art de plaire est de triompher de la beauté ; pour atteindre ce but si désiré, il est d’abord important d’étudier le caractère, les goûts et les habitudes de celle qui a fixé votre choix. La connaissance des différents caractères, en donnant une idée des qualités qui distinguent la femme, fera découvrir le secret d’en triompher. Il y a des préceptes qui conviennent au sexe en général, il en est qui ne sont applicables qu’à certaines personnes. On ne pourrait, par exemple, sans être certain d’échouer, employer les mêmes moyens à l’égard de celles qui sont vives, et de celles qui sont mélancoliques. On remarque dans presque toutes les femmes de la sensibilité, de la finesse, de la présence d’esprit, de l’adresse, de l’article, de la coquetterie, de la vanité, des caprices et de la légèreté. Elles sont faibles, timides et rusées ; l’homme doit être fort, audacieux et entreprenant. LA
COQUETTE
La coquette met toute sa gloire à faire des conquêtes ; plaire est son unique plaisir, elle ne partage point l’amour qu’elle veut inspirer, elle cherche des esclaves, et non des amants. La toilette est ce qui l’occupe le plus ; elle recherche le monde pour s’y faire admirer. Son coeur n’a aucune part à ses actions, ni à ses discours ; c’est la bouche seule qui parle chez elle ; tout ce qui frappe ses sens ne peut parvenir à la toucher. Celui qui a conçu de l’amour pour une personne de ce caractère, est véritablement à plaindre ; non seulement il ne peut réussir à s’en faire aimer, mais encore il éprouve chaque jour de nouveaux tourments causés par son indifférence, ses caprices et sa légèreté. Une femme coquette jouit des chagrins qu’elle cause à son amant, elle se glorifie des démarches et des sacrifices qu’il fait pour elle. S’il s’éloigne, elle fait quelques efforts pour le ramener ; si elle s’aperçoit qu’il est très épris, elle excite sa jalousie. Pour triompher des rigueurs d’une coquette il faut flatter sa vanité par le luxe et la toilette. Les présents ont beaucoup de pouvoir sur elle, surtout lorsqu’ils peuvent ajouter un charme de plus à sa beauté. On doit employer l’artifice, et ne point trop se presser de découvrir des sentiments tendres, car elle s’en amuserait. Comme elle a beaucoup d’amour-propre, il faut lui cacher tout ce qui pourrait la blesser. Elle n’est point discrète et confie ordinairement à ses compagnes les aveux de ses amants pour s’en faire un trophée. Il est donc prudent de ne pas lui écrire ; et d’être très circonspect. C’est surtout avec une personne de ce caractère qu’il faut être audacieux ; elle ne cède ordinairement qu’à la violence. L’amant qui veut mettre fin aux tourments causés par ses caprices et sa légèreté, doit profiter des moments favorables. S’il avait le malheur de s’attacher, il ne pourrait, qu’en fuyant, éviter son funeste sort. Mais la coquetterie est le contre-poison de l’amour, dit La Bruyère ; en effet, on se lasse bientôt des caprices d’une belle surtout quand on en a triomphé. Quelque artifice qu’elle emploie pour le retenir, le souvenir des chagrins que lui a causés sa légèreté, le détourne peu à peu de celle qui l’avait d’abord enflammé. LA
CAPRICIEUSE
Vive et légère, on voit la capricieuse passer, avec une étonnante rapidité, d’une idée, d’un sentiment à un autre. Inconstante par le coeur et par l’esprit, elle ne s’attache à rien ; et ce qui naguère excitait ses transports n’a bientôt plus aucun agrément à ses yeux. Elle cherche même, avec surprise et indifférence, par quel charme secret elle avait pu être séduite. Ce caractère bizarre n’exclut pas pourtant la sensibilité ; la capricieuse est capable d’aimer, même avec excès ; mais sitôt qu’un autre lui paraît plus aimable, elle éprouve le plaisir de lui plaire. La légèreté, l’inconstance, qu’on remarque dans une personne, s’attache ordinairement à tous les objets. On dit que les femmes qui sont belles, ont seulement le droit d’être capricieuses ; mais il en est beaucoup qui n’ont que des caprices. Quoi qu’il en soit, ce défaut est loin de rendre une personne plus aimable ; il est seul capable de faire fuir un amant qui conserve encore quelque raison ; obligé de faire sans cesse de nouveaux efforts pour retenir un coeur toujours prêt à s’envoler, il reconnaît bientôt son erreur, et s’éloigne d’une femme qui se présente toujours à lui sous un aspect différent. Tantôt elle le reçoit avec un plaisir extrême, et lui fait espérer le bonheur ; tantôt elle daigne à peine le regarder, et cette main qui hier se laissait couvrir de baisers le repousse aujourd’hui avec indifférence. On peut réussir auprès des personnes de ce caractère ; mais il est impossible de les fixer, quels que soient d’ailleurs les avantages dont on est doué. L’amant profitera de la première occasion que l’amour lui présentera. Il ne sera point arrêté par les vains efforts d’un courage qui ne combat que pour être vaincu. L’EXALTÉE
L’exaltée est celle qui porte à l’excès tous ses sentiments. Douée d’une imagination vive, elle éprouve de fortes impressions, elle en est presque blessée. Elle a aussi de l’exagération dans ses idées, elle les défend avec obstination. Passionnée pour tout ce qui plaît, l’amour comme la haine peuvent également la conduire au crime. C’est dans ce caractère que fermentent la jalousie, la colère et la vengeance ; mais les grandes vertus, le courage, le dévouement et même l’héroïsme, sont le partage des femmes exaltées. Les climats chauds sont ceux qui offrent le plus fréquemment ce caractère, très rare dans les contrées du Nord. On sait que les Espagnoles, par exemple, ont souvent pris part aux combats ; que d’autres ont porté des couronnes de lauriers à leurs amants, même au milieu du carnage. La haine dans une femme exaltée, est aussi redoutable que son amour est violent. Ce qui lui plaît le plus, c’est la constance et la gloire. Des signes auxquels un amant
reconnaîtra s’il est aimé.
L’amour vrai, dans une femme, se découvre par des signes certains. La beauté, qui est éprise par les sentiments tendres, éprouve à la vue de celui qui les a inspirés un trouble plus ou moins grand, qui se fait remarquer dans toute sa personne. Elle est embarrassée, agitée, quelquefois tremblante ; elle craint de se trouver seule avec lui et voudrait le voir sans être vue. Si son regard rencontre les yeux de l’objet qu’elle aime, elle rougit et baisse les siens. S’il lui parle, et qu’elle soit obligée de lui répondre, ses idées n’ont plus de suite, elle ne trouve qu’en fuyant le moyen de sortir de son embarras. Quelquefois elle va chercher dans les bras de ses parents, ou de ses compagnes, un soulagement au sentiment qu’elle éprouve, elle les embrasse avec transport, leur prodigue mille caresses dignes d’être enviées. Dès qu’elle aperçoit celui qui a touché son coeur, sa figure s’anime, se colore, ses yeux ont une expression tendre, quelquefois vive, quelquefois mélancolique. Le nom de celui qu’elle aime la fait rougir ; le son de sa voix l’émeut et l’agite. Quand on parle de lui, un trouble s’élève dans son coeur : si on loue ses heureuses qualités, ses talents, son esprit, la joie éclate malgré elle sur son visage. Elle cherche à le voir, et quand elle est près de lui, elle ne peut parler. Le moindre attouchement la fait tressaillir. Elle devient quelquefois triste et mélancolique ; elle fuit le monde et semble craindre qu’on ne lise dans ses regards le secret de son amour. Il arrive aussi quelquefois que tout excite sa joie, surtout lorsqu’elle a vu les yeux de son amant se fixer sur elle. Elle retient les moindres paroles de celui qu’elle aime, elle n’est plus heureuse qu’en y pensant. Si elle ne peut se confier à une âme, elle en parle avec elle-même. Elle se dit : Il était là, cette place était la sienne ; c’est dans ce moment qu’il a porté sur moi un regard si tendre ! Que ne puis-je lui exprimer combien je l’aime ? Ah ! je crains qu’il ne l’ait vu dans mes yeux. Que le son de sa voix est agréable ! Que son esprit a de pouvoir sur mon coeur ! Je tremble qu’une autre le trouve aimable !... Où est-il en ce moment ? Pense-t-il seulement à moi ? Il est au milieu des plaisirs bruyants, et moi je pleure loin de lui ! Quand le reverrai-je ?... Je ne puis dormir : la nuit son image est constamment présente à ma pensée ;…. que je suis malheureuse !.... Si dans cet état la personne qui est éprise d’un amour véritable, continue à voir celui qu’elle aime, son amour devient si grand qu’elle ne peut le vaincre sans altérer sa santé. Je distingue l’amour de la passion. Une femme peut avoir des désirs, un caprice passager, sans être amoureuse ; car la galanterie n’est point de l’amour. On ne remarquera donc chez celle-ci que bien faiblement les signes que j’ai décrits ; car son esprit est libre, ainsi que son coeur. Ses yeux cependant seront quelquefois brillants ; ils se fixeront sans crainte sur la personne qui lui plaît ; elle s’exprimera avec facilité, et même ne rougira pas de dire ce qu’elle éprouve, ou du moins de le faire comprendre. L’ensemble des signes que j‘ai présenté ne se trouve que rarement réuni dans la même personne ; mais on en remarquera toujours quelques-uns qui feront connaître facilement si le coeur d’une belle est animé d’un tendre sentiment. L’AVEU
L’amant qui aura la certitude d’être aimé, saisira un moment favorable pour faire l’aveu de son amour. Cet aveu sera exprimé en termes simples et respectueux. Le trouble que doit faire naître dans une personne ce premier trait de l’amour, offre l’occasion de lui ravir un baiser, qui est pour les amants le plus doux et le plus tendre. Quel charme n’éprouve-t-on pas dans cette heureux instant, où deux coeur vivement épris se livrent en tremblant à leurs sentiments ? Une flamme inconnue brille dans leurs yeux, l’amant dans le délire exprime ainsi son amour : O vous, que j’aimais dès l’instant que j’eus le bonheur de vous voir, belle Junie, puis-je espérer que vous ne serez point insensible à l’amour que vos attraits et votre esprit m’ont inspiré ? J’ai langui loin de vous, et quand je m’approchais, je ne pouvais m’exprimer. J’ignore même dans ce moment si je me fais entendre, car votre présence trouble mes idées et me rend peut-être indiscret ou téméraire. Quel que soit, ô Junie, le sort que vous me destinez, je ne pourrai jamais cesser de vous aimer ; j’obéirai aux ordres que vous me donnerez, et s’il faut m’éloigner, ne plus nous voir, je saurai souffrir mon malheur sans me plaindre. Mais si votre coeur, plus tendre, compatit à ma douleur, jamais amant ne fut plus discret et plus fidèle que celui que vous voyez à vos pieds. Après un tel aveu il est rare qu’une personne ne soit émue ; elle porte ses tendres regards sur celui qui l’a charmée, et lui répond en tremblant : - Oui je vous aime ; mais l’amour, qui seul peut faire votre bonheur, remplit mon âme de crainte ; je n’ose me livrer à un sentiment qui, peut-être, ferait mon malheur. Soyons amis, j’y consens : mais oubliez jamais le respect que vous devez à celle qui veut bien vous accorder son amitié. - Aimable Junie, vous comblez mon espoir. Pourquoi donc craindre l’amour ? Tout ici bas est soumis à son empire. Ne vous abandonnez point à la crainte qui vous agite, quand celui qui vous adore est animé des sentiments les plus purs. Voulez-vous passer dans l’indifférence des années consacrées au bonheur ? Hélas ! nos jours s’écoulent comme un songe ! jetons du moins quelques fleurs sur le chemin de la vie, et craignons de ne conserver pour la vieillesse que des regrets. O Junie, cessez, par vos rigueurs, de causer le désespoir d’un coeur qui est tout à vous !
Profitez des beaux ans : la vieillesse
tremblante
Vous apporte à pas sourds sa langueur chancelante. Bientôt viendra le temps où le goût émoussé Ferme à tous les plaisirs un coeur déjà glacé. Tous change autour de vous, admirer cette rose Qu’embellit le printemps, qu’un pur cristal arrose ; Sa modeste pudeur n’ose s’épanouir. On lui sait des beautés, sans pouvoir en jouir. Zéphir s’efforce en vain d‘ouvrir son sein rebelle, Moins ses attraits sont vus, plus on la trouve belle. Les bergers vont chanter son triomphe éclatant, Il n’est plus, sa beauté n’a duré qu’un instant ; Elle veut plaire en vain, et déjà moins craintive, Elle prodigue aux yeux sa grâce fugitive : Elle tombe, elle sèche, on ne s’en souvient plus. Ainsi passent nos jours ; nos regrets superflus Ne peuvent rappeler des moments favorables, On ne peut réparer des jours irréparables. Les mortels et les fleurs ont un même destin :… Veillons, cueillons d’abord la rose en son matin. Aimer, se faire aimer est notre unique affaire : Le bonheur y dépend du choix que l’on sait faire. - Ne me parlez plus, dit Junie, la rougeur sur le front ; ne me parlez plus d’un amour qu’il faut avoir le courage de vaincre ; n’attendons pas pour le combattre qu’il ait fait des progrès dans nos coeurs. Peut-être en cessant de nous voir, vous en perdrez, ainsi que moi, le souvenir. - Moi, vous oublier ? Ah ! je sens que cet effort est au-dessus de moi. Que dis-je ? Je ne chercherai point à en avoir la force. Non Junie, vous pouvez me défendre de vous voir, mais non pas de vous aimer. - Eh ! bien, nous nous verrons, mais vous m’aimerez comme une soeur… - Je vous chérirai plus que moi-même ! je ne serai heureux que lorsque vous m’aurez permis de vous aimer. - Il faut donc vouloir tout ce que vous voulez ? aimez-moi, mais ne cessez jamais de respecter celle dont vous possédez le coeur. Si ce premier aveu n’obtenait pas le succès qu’un amant, vivement épris, doit espérer, il ne se découragerait point, et redoublerait encore d’ardeur, parce qu’il peut tout attendre de la persévérance. Il emploiera son intelligence pour se lier avec les parents ou les amis de celle dont il veut triompher, et se procurera, par ce moyen, l’entrée de la maison. Il tâchera de se faire aimer de tout le monde, surtout des personnes qui ont le plus d’influence et d’autorité. Il aura également pour lui les domestiques dont il payera généreusement les services, car il est difficile de réussir sans leur secours. Lorsqu’un amant est parvenu par son adresse à obtenir l’avantage de visiter quelquefois la personne qui l’a charmé, il doit profiter des entrevues qu’il a avec elle pour achever son ouvrage. N’allez donc point surprendre une belle dans son négligé ; attendez que la toilette ait encore ajouté à ses attraits. Sachez l’heure qui lui convient le mieux. Dans les entrevues que vous aurez avec elle, allez toujours au but, et prévenez par la variété l’ennui qui pourrait à jamais dissiper votre espérance. On ne saurait parler constamment de son amour ; la lecture d’un ouvrage agréable, la musique peut donner au tête-à-tête un charme de plus. Mais on doit quitter celle qu’on aime, dès que la conversation devient moins animée. LE
TRIOMPHE
Après avoir dissipé toutes les craintes d’une belle, on doit arriver à grands pas à son but. L’amant fera le tableau du bonheur qu’éprouvent deux coeurs tendrement épris. Cette peinture sera des plus séduisantes ; il exprimera le charme qu’ils ont à se voir, à se parler. Leurs baisers, leurs transports, leurs douces étreintes, sont la félicité la plus grande que les mortels puissent connaître…
L’amour est le seul bien que
nous ait fait le ciel ;
Ce charme est répandu sur toute la nature ; Cette douce union, dont la force est si pure, Egale au moins le bonheur immortel. Oui, l’amour suit vos pas, il vous parle sans cesse, Il anime vos yeux, c’est pour nous qu’il vous blesse, Et vous seriez ingrate à ses bienfaits ! Dites-moi, sans ce dieu que seraient vos attraits : Haïrez-vous celui par qui vous êtes belle ? Junie, à ses décrets, cessez d’être rebelle, Songez qu’ici tout est fait pour l’amour ! C’est le dieu de mon coeur et du vôtre, Junie, En vain vous affectez d’être son ennemie, Vous lui rendrez hommage quelque jour. En n’aimant point croyez-vous être heureuse ? Vous ne connaissez pas le plus parfait bonheur ; Un tendre sentiment, une flamme amoureuse, Peuvent seuls remplir votre coeur. Pour moi, loin d’imiter votre rigueur extrême, Je date mon bonheur du moment où j’aimai : La froideur est votre système, Moi j’aime mieux le malheur même D’aimer sans espoir d’être aimé. Si ce moyen n’obtenait point de succès, l’amant ferait bien de s’éloigner quelque temps. Il engagerait une personne à parler pour lui ; elle peindrait l’excès de ses tourments, de son désespoir et même le danger de sa situation. Cette personne ne paraîtra point envoyée de sa part. Quand on peut écrire, c’est une occasion favorable qu’il faut saisir. Les chagrins que cause à un amant un sentiment tendre touchent vivement une belle ; il est rare même qu’elle ne cède pas à la constance de celui qui souffre de son amour. La personne que vous aimez a-t-elle répondu à votre lettre, vous pouvez croire au bonheur. Revenez alors plus amoureux près d’elle ; exprimez-lui combien vous avez souffert de ses rigueurs ; que la pureté de vos sentiments ne méritait point, de sa part, une si grande indifférence. - Puis-je espérer enfin, belle Junie, que vous serez plus sensible à mes tourments ? Faut-il que je renonce à jamais à l’espoir d’être aimé de vous ? Si vous saviez tout ce que je souffre, vous ne pourriez être insensible à mon malheur. J’ai voulu m’éloigner, j’ai voulu vaincre un amour qui n’était point partagé ; mais je n’ai pu vous oublier ; si vous n’aviez eu quelque pitié de mon sort, j’aurais succombé à ma douleur. Mais votre lettre a porté un calme dans mes sens qui m’a rendu la santé ; cette nuit j’ai goûté les douceurs du sommeil, mais j’ai été encore occupé de vous, car votre image est toujours présente à ma pensée. ~*~
Troisième Partie L’ART DE FIXER L’ART de fixer est la partie la plus difficile de cet ouvrage, parce que l’inconstance est naturelle à la femme. Son extrême sensibilité la rend accessible aux plus légères impressions ; l’unique plaisir de son coeur est d’aimer ; l’amour l’occupe toute la vie. Elle éprouve aussi un autre besoin qui la fait tomber, elle-même, dans les pièges qu’elle tend : c’est le désir de plaire. Mais tout change ici bas ; des tableaux toujours nouveaux s’offrent à nos regards surpris. La succession des saisons, la reproduction des êtres, les variations de l’atmosphère modifient continuellement notre âme et nous font chercher le bonheur dans l’inconstance. Essayons cependant de présenter les moyens les plus avantageux pour conserver le coeur de la personne que nous aimons. Pour atteindre ce but, je serai forcé d’offrir des détails peut-être minutieux ; mais leur utilité me fait un devoir de ne pas les négliger. Je traiterai : 1° des qualités de la personne qu’on veut fixer ; 2° des dangers qu’il faut éviter ; 3° des moyens de la captiver. Des qualités de la
personne qu’on veut fixer.
Si la connaissance du caractère est importante pour triompher d’une femme, elle est indispensable pour la fixer. C’est pour avoir dédaigné cette étude que beaucoup d’époux et d’amants sont désunis. L’un humilie constamment une personne qui a beaucoup d’amour-propre, il s’oppose avec obstination à ses désirs : elle voudrait voir le monde, il l’enferme ; la lecture la distrait, il brûle ses livres ; elle aime la danse, il la défend. Celui-ci possède une femme vive et gaie, il veut qu’elle soit sérieuse et réfléchie ; un autre oblige celle qui cherche la retraite à s’ennuyer dans une assemblée tumultueuse. On en voit aussi qui exigent que leur épouse approuve leurs goûts bizarres ; ils prétendent la soumettre aux privations que leur impose le médecin ; et lorsqu’ils sont à la diète, il faut suivre le même régime. Celui qui veut fixer une femme ne s’opposera point avec opiniâtreté à ses désirs ; il ne sera arrêté que par la raison et la prudence. Il doit être également éloigné d’une grande complaisance et d’une excessive sévérité. S’il voulait détourner la personne qu’il aime de quelque penchant contraire à son bonheur, il ferait usage de la modération et de la patience. L’homme a la force en partage, mais il ne doit s’en servir que pour vouloir ce qui est juste et raisonnable. Parmi les qualités qui distinguent la femme, on remarque surtout la sensibilité. Cette faculté lui fait apprécier une multitude de nuances qui nous échappent ; aussi connaît-elle mieux que nous toutes les passions tendres. La sensibilité peut avoir cependant des inconvénients pour un époux, lorsqu’elle n’est point accompagnée de l’amour de la vertu. Sophie était douée d’une grande sensibilité, elle avait un coeur aimant ; mais cette sensibilité s’attachait à tous les objets, et ne pouvait se fixer à aucun. Elle avait toujours besoin de nouvelles impressions, pour satisfaire le besoin qu’elle éprouvait d’aimer. Sophie voulait être adorée de tous les hommes et cherchait à les charmer par ses grâces et son esprit. L’amour d’un époux ne peut suffire au coeur d’une personne si tendre, elle devint inconstante peu de temps après son mariage : mais son amant ne fut pas plus heureux que son époux. La dureté du coeur, l’égoïsme, la coquetterie, la jalousie, sont également nuisible au bonheur des époux. Mais la femme a l’art de cacher ses défauts à celui dont elle veut se faire aimer ; elle se présente toujours sous les dehors les plus avantageux : la toilette, l’esprit la gaieté, les tendres regards, la bonté, la naïveté apparente, tout est mis en jeu pour le captiver. Qu’Irène a de beauté ! Un rien la fait rougir ! Quelle douceur ! quelle aimable simplicité ! que le son de sa voix est bien celui de l’innocence ! On ne pourrait la voir sans l’aimer. Aussi Cléon est pour elle plein d’estime et d’amour ; il brûle de s’unir avec Irène. L’hymen comble enfin ses désirs. Quel changement il remarque déjà dans le coeur, dans toute la personne de celle qu’il admirait ! Ce n’est plus ce désir constant de lui plaire ; ce n’est plus cette voix si douce et si touchante ; tout son bonheur s’est évanoui, il ne trouve plus en elle que des caprices, des emportements, de la fierté et des tourments continuels. La beauté dans une femme est souvent nuisible au bonheur d’un époux, lorsque cet avantage n’est point uni à une grande vertu ou à une grande indifférence. Une jolie personne a de nombreux adorateurs qui finissent ordinairement par troubler son repos. Il est rare même qu’une femme qui a de la beauté ne succombe pas.
Moi je le
crois, quand on a des attraits,
De tous les coeurs quand on est adorée, De cet encens qui brûle et ne s’éteint jamais Pourrait-on quelquefois n’être pas enivrée ? Tout la conduit vers le piège trompeur : Et le miroir qui répète ses charmes, Et les tendres soupirs et l’hommage flatteur De mille amants qui lui rendent les armes. La beauté n’est donc point une qualité qu’il faille rechercher. Il en est une bien plus précieuse au bonheur, c’est la santé ; sans elle on n’a que des dégoûts : les charmes même ne peuvent exister sans la santé. Comment éprouver quelque agrément à vivre avec une personne qui se nourrit, pour ainsi dire, de médicaments ; qui, se levant lorsque le soleil se couche, n’a de force que pour s’asseoir et se reposer ? Arsène est mariée depuis un mois seulement ; déjà la fraîcheur de son teint est flétrie. Languissante, il faut la traîner pour la faire marcher ; elle se plaint continuellement de sa tête, de ses nerfs. Des vapeurs troublent souvent sa raison et lui font voir les objets qui l’entourent sous un faux jour. La seule occupation qui puisse lui plaire est la lecture des romans ; elle s’enivre de chimères et d’erreurs ; elle ne voit plus son époux que comme un être qu’il faut supporter. Le spectacle n’a plus d’agrément pour Arsène ; l’ennui l’accompagne partout. La fortune est-elle indispensable au bonheur des époux ? Les trésors les plus considérables ne peuvent, sans les qualités du coeur, assurer la félicité. Si l’adultère est si fréquent de nos jours, ne doit-on pas l’attribuer aux préférences qu’on accorde à la fortune ? C’est souvent l’orgueil des parents qui sacrifie une jeune personne en l’unissant à un vieillard fortuné. Quelquefois aussi une femme ne consulte, dans son engagement, que sa vanité ; et l’espoir de couvrir ses appas d’un riche cachemire, de rehausser sa beauté de l’éclat des diamants, lui fait oublier les différences de l’âge et du caractère. La différence de l’âge, entre les époux, n’offre pas de moindres dangers. L’homme qui est beaucoup plus vieux que sa compagne doit craindre d’être trompé, quelles que soient d’ailleurs ses qualités. Outre qu’un époux âgé n’a point la force, la santé et les autres avantages de la jeunesse, il a contracté des habitudes, il a des goûts qui contrastent avec ceux d’une jeune personne. Il ne peut lui-même trouver une société agréable dans une femme dont l’esprit n’a pas de maturité. Celle-ci fait des comparaisons qui ne sont point favorables à son époux ; elle est humiliée d’être unie à un vieillard que tout le monde prend pour l’auteur de ses jours. Elle est enfin conduite à l’infidélité autant par amour-propre que par sentiment. Les femmes qui nous ont le plus aimés sont souvent celles qui changent le plus rapidement, parce que les grandes passions ont une courte durée. Il est difficile de fixer une personne très-tendre ; son coeur est avide d’impressions fortes, et la nouveauté seule peut la satisfaire. Il semble que l’hymen jette un voile trompeur sur les crédules maris ; on les trompe en leur présence ; ils paraissent eux-mêmes favoriser les amours de leurs épouses. Je vais tâcher de dessiller leurs yeux. Une multitude de dangers se pressent constamment sur les pas d’une belle pour assiéger sa vertu ; il faut une grande prudence pour les prévenir, car il n’est pas toujours temps d’en arrêter le cours. On croira peut-être que les détails dans lesquels je vais entrer sont inutiles ou exagérés, mais j’ai appris par ma propre expérience combien ils sont importants. C’est aux époux et à ceux qui veulent s’engager dans les liens du mariage que je vais me permettre d’adresser ces conseils. Puissent l’artifice, les caresses et les discours flatteurs d’une épouse ne pas les leur faire oublier. Les bals et les festins offrent aussi des dangers qu’il faut éviter. C’est dans ces brillantes réunions qu’une femme prend le goût du monde et de la toilette. Elle désire y briller et y faire admirer ses attraits. Dès qu’elle a trouvé du charme dans la dissipation, on ne peut plus l’arrêter ; elle fuit les plaisirs de la retraite, elle cherche en tous lieux la distraction, et revient indifférente près de son époux. C’est parce que cet amour du monde accompagne ordinairement l’opulence, qu’un homme ne doit point s’attacher à une femme d’une grande fortune ; car elle prétendra en jouir. Elle verra bientôt dans la société des jeunes gens qui joignent aux agréments du physique la fortune et quelquefois l’esprit. Fatiguée de son époux, entraînée par son inconstance naturelle, elle deviendra infidèle. L’homme qui veut conserver l’attachement de celle qu’il aime, doit l’éloigner de cette pompe du monde qui n’offre que des plaisirs empoisonnés. Je ne parle point ici aux époux qui ont la bassesse de permettre leur déshonneur. Il est rare qu’une personne jeune et jolie n’ait point le désir de plaire ; ne cherchez point à l’en corriger, c’est l’aiguillon de l’amour ; faites seulement que ce désir ne s’attache pas à un autre qu’à vous. Tant qu’une femme porte ses regards indistinctement sur les hommes, sa coquetterie est sans but et n’est point dangereuse ; mais, sitôt qu’elle se fixe, il faut dissiper cet amour naissant par la distraction, en faisant contracter d’autres habitudes. Il est bien difficile qu’une femme se cache aux yeux de celui qui veut se donner la peine de l’observer. L’expression de sa figure, sa rougeur, la joie qu’elle éprouve et qu’elle ne peut dissimuler à la vue de celui qu’elle aime, tout la trahit. Pour dissiper les soupçons, elle comble un époux de caresses ; elle est plus complaisante et plus aimable ; elle cède à toutes ses volontés ; elle admire ses moindres actions et le flatte par tout ce qui peut lui être agréable. Si les assiduités d’un amant, si les attentions qu’elle a pour lui, commençaient à faire naître des doutes réels, elle trouverait les raisons les plus vraisemblables pour les dissiper. Elle ferait à son époux l’éloge de celui qu’elle aime ; elle lui dirait : Quoi mon ami, tu peux avoir conçu de si coupables pensées ? Est-ce là le prix de ma vive tendresse pour toi ? Comment es-tu si méchant et si jaloux ? Ce jeune homme a un attachement pour toi si véritable, qu’il ne cesse de me parler de tes bonnes qualités, de ton bon coeur et surtout de l’amitié que tu lui as inspirée ; s’il savait de quoi tu l’accuses, il cesserait de t’estimer. Bannis donc de ton esprit tes soupçons injurieux, et sois certain que jamais je n’aurai l’idée de trahir celui à qui j’ai juré une fidélité à toute épreuve. Reconnaissez à tous ces traits la perfidie d’une femme qui vous trompe, ou veut vous tromper. Eloignez promptement l’objet dont elle vous parle avec tant d’éloge, avant que l’amour ait fait de plus grands progrès. Il n’est point de ressorts qu’une femme n’invente pour trahir un époux. Elle met quelquefois sa gloire à le tromper en sa présence, elle s’en fait un jeu. Tantôt c’est au spectacle qu’elle reçoit ou remet un billet : elle a besoin d’étendre son châle afin qu’une main furtive puisse y pénétrer. Tantôt c’est à la promenade dont elle aime à se retirer tard ; elle s’assoit à la même place, se promène dans les mêmes allées, espérant que celui qu’elle aime viendra l’y voir. Lorsqu’elle l’aperçoit, ses yeux s’animent et la joie éclate malgré elle sur son visage. Quelquefois c’est de sa croisée qu’elle donne le signal à un voisin attentif : on remarque alors qu’elle s’y met à des heures fixes ; elle se pare devant lui pour enflammer ses désirs et le rendre plus audacieux. Lorsqu’elle va sortir, elle a soin de se montrer à sa fenêtre afin qu’on puisse la suivre. C’est son sac, une jalousie levée ou baissée, qui instruisent aussi son amant. L’église, qui devrait être l’asile de la vertu, est encore témoin des intrigues d’une femme inconstante. Que dis-je ? aucun lieu n’est respecté par celle qui ne se respecte pas elle-même. Le médecin lui a ordonné de prendre des bains, elle profite de sa liberté pour aller voir celui qu’elle aime. Elle se lève à l’aurore pour lui écrire, ou pendant que le sommeil ferme vos yeux. Elle correspond avec son amant sous des noms supposés, et fait parvenir ses lettres poste restante, afin que son secret ne soit point dévoilé. L’époux qui est trahi, trouve sa compagne tantôt d’une tristesse profonde, tantôt d’une gaieté folle, sans qu’il puisse deviner la cause. Mais ses pleurs et sa joie dépendent ordinairement de son amant. Une femme perfide conserve toujours sa mauvaise humeur pour son époux, afin d’être plus aimable auprès de celui qui possède son coeur. Quand on n’est point dans l’usage de faire partager sa couche à son épouse, on est plus exposé à être trompé, parce que le lit est le trône de l’amour. C’est là que toutes les difficultés s’aplanissent, que l’on sanctionne ses serments. Il peut d’ailleurs arriver qu’une femme s’ennuyant seule, trouve un ami qui vienne la consoler. C’est souvent de la conduite d’un époux que dépend celle de sa femme. Il en est qui se livrent à tous les excès, qui deviennent odieux même aux regards des hommes ; comment ne le seraient-ils pas à ceux d’une femme délicate et sensible ? DES
SIGNES
AUXQUELS ON RECONNAIT DANS UNE FEMME LE PENCHANT A L’AMOUR L’AMOUR est la passion dominante de la femme et peut-être la seule qui habite son coeur. Mais ce penchant, si impérieux chez elle, se fait-il remarquer au dehors par des signes certains ? Cette question est difficile à résoudre, car on voit des femmes différer par le tempérament, être également passionnées. D’autres qui, ayant en apparence une organisation semblable, n’offrent cependant pas les mêmes inclinations. L’expérience prouve aussi tous les jours que des personnes élevées ensemble par les mêmes maîtres conservent leur caractère primitif. Nous devons néanmoins convenir qu’il y a des femmes qui sont plus passionnées que d’autres. A quoi donc attribuer le penchant irrésistible qu’elles ont à l’amour ? Dépend-il de la sensibilité plus grande des organes de la génération ? est-il causé par la chaleur et l’impétuosité du sang ? Nous allons faire connaître la doctrine de Gall et celle de Lavater à ce sujet. La découverte du docteur Gall, dit un savant distingué, est ingénieuse ; elle est importante, elle change totalement, à l’égard de l’anatomie, les anciennes idées et les anciennes méthodes ; elle est originale à l’égard des organes, de leur distribution et de leur emploi. Il ne reste plus qu’à décider en connaissance de cause si les physiologistes doivent l’adopter, c‘est-à-dire si elle est suffisamment démontrée pour opérer une révolution dans le système des nerfs, des organes du cerveau. Les hommes qui sauront faire abstraction de ce qu’ils ont étudié et pratiqué, l’examineront sérieusement, avec impartialité, et présenteront sérieusement, avec impartialité, et présenteront des résultats propres ou à les confirmer, ou à en démontrer l’erreur. Le lecteur peu versé dans cette matière, mais cherchant à s’instruire, mettra à l’écart ses préjugés, pour ne suivre que le fil que lui présentera une sage logique. Quant à l’homme superficiel, il traitera probablement Gall comme on a traité d’abord les auteurs de l’inoculation, de la vaccine, du galvanisme, de la circulation du sang, etc. Sans doute des plaisanteries peuvent égayer, mais elles n’instruisent point. Proposition
préliminaire concernant la doctrine du docteur
Gall.
1° Il y a dans l’homme, comme dans les animaux, des dispositions et des inclinations innées. 2° Il leur a été attribué, pour l’exécution, certains organes, comme instruments innées, à l’aide desquels ils ont des rapports avec le monde extérieur. 3° Ces organes ont leur siége dans le cerveau lequel néanmoins ne peut être considéré comme puissance, mais seulement comme condition matérielle. 4° Le cerveau n’est point également dans son ensemble l’organe général de la vie animale ; mais il est simplement le lieu où est la collection de tous les organes particuliers. 5° Chaque disposition innée a son organe propre, lequel est plus grand à mesure que la force de la disposition se manifeste. 6° Ces organes des dispositions innées se manifestent sur le cerveau et forment certaines éminences sur la surface extérieure du crâne, auxquelles on peut reconnaître les penchants innées. Il est hors de doute que les passions peuvent être modifiées, développées par l’éducation et les circonstances ; mais elles commencent ordinairement à se montrer dès la plus tendre jeunesse. Plus les protubérances à la surface de la tête sont prononcées, plus elles annoncent de grandes passions ; car le crâne est formé par le cerveau, non-seulement avant la naissance, mais aussi durant le cours de la vie. Gall a été conduit à cette découverte par des observations et des comparaisons faites sur des bustes, des portraits et des crânes d’hommes et d’animaux. Les organes qui, selon la nature, sont les plus nobles et les plus importants, sont les premiers formés et les plus près de la moëlle épinière. Ceux au contraire qui sont les plus nobles, suivant nos idées, comme le génie, le talent, etc., en sont plus éloignés. Le premier organe qui, dans l’ordre naturel, est le plus important, est celui de la propagation. Le cervelet, selon Gall, est double, et l’organe de l’amour se manifeste au dehors par deux éminences placées derrière la tête, immédiatement au-dessous du cou. Gall dit que le cervelet et ces protubérances sont très-développés chez les personnes portées à l’amour. Il en a connu une qui, dans ses jouissances vénériennes, était immodérée et insatiable. Après sa mort, on trouva à la section de la tête, que le cervelet avait acquis une grosseur énorme. L’insatiable luxure des Crétoises, chez qui d’ailleurs toutes les facultés intellectuelles sont défectueuses, peut être également déduite de la grandeur démesurée du cervelet. Les effets de l’habitude de dormir couché sur le dos, sur l’instinct génital, sont connus, et ils doivent, selon toutes les apparences, être attribués à la pression et à l’échauffement du cervelet. La nature ayant porté sa première sollicitude à imprimer aux êtres animés le désir de la propagation, elle a dû également leur donner le désir de la conversation, c’est-à-dire de nourrir et de protéger les nouveaux-nés. Ce penchant est dans la plus étroite union avec le précédent ; aussi l’organe de l’amour des enfants est-il placé immédiatement au-dessus de l’organe de l’instinct de la propagation. Gall remarque à cette place, d’abord au crâne des femelles, une éminence sensible, laquelle, par comparaison entre tous les crânes d’animaux, s’est trouvée la plus forte chez le singe. Il ne put point, dans le commencement, deviner ce que les femelles en général ont de commun avec les singes, et il prit d’abord la protubérance dont il s’agit pour l’organe de la vanité, jusqu’à ce qu’enfin le hasard porta sa pensée sur l’amour des enfants ; et après une longue expérience et de grandes recherches, il fut convaincu de la justesse de sa présomption. Cette éminence existe en effet chez tous les animaux qui aiment leurs enfants, mais plus chez les femelles que chez les mâles. La partie postérieure du crâne des femmes acquiert une forme pointue, et l’on peut même déjà voir à cette forme de crâne le sexe des enfants nouveau-nés. Telle est la doctrine du docteur Gall, et son opinion sur l’organe qui indique le penchant à l’amour et celui qui annonce la tendresse des mères pour leurs enfants. ~*~
MAXIMES DE LA ROCHEFAUCOULD [sic] SUR LES FEMMES & L’AMOUR LA passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent habiles les plus sots. La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie. Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours ; elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles ; et l’homme le plus simple qui a de la passion, persuade plus que le plus éloquent qui n’en a point. Il y a dans le coeur une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est presque toujours l’établissement d’une autre. Quelque soin qu’on prenne de couvrir ses passions par des apparences de pitié et d’honneur, elles paraissent toujours au travers de ces voiles. La jalousie est, en quelque manière, juste et raisonnable, puisqu’elle ne tend qu’à conserver un bien qui nous appartient ou que nous croyons nous appartenir ; au lieu que l’envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres. La jalousie se nourrit dans les doutes ; elle devient fureur, ou elle finit, sitôt qu’on passe du doute à la certitude. L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit ; et pendant que par son esprit il tend à un but, son coeur l’entraîne insensiblement à un autre. On est jamais si heureux ni si malheureux qu’on se l’imagine. La sincérité est une ouverture du coeur, on la trouve en fort peu de gens, et celle que l’on voit d’ordinaire n’est qu’une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres. La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l’esprit. Il est difficile de définir l’amour ; ce qu’on ne peut dire est que dans l’âme c’est une passion de régner ; dans l’esprit, c’est une sympathie, et dans le corps ce n’est qu’une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime, après beaucoup de mystères. S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui qui est caché au fond du coeur et que nous ignorons nous-mêmes. Il n’y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l’amour où il est, ni le feindre où il n’est pas. Comme on n’est jamais en liberté d’aimer ou de cesser d’aimer, l’amant ne peut pas se plaindre avec justice de l’inconstance de sa maîtresse, ni elle de la légèreté de son amant. Si l’on juge l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié. On peut trouver des femmes qui n’ont jamais eu de galanterie ; mais il est rare d’en trouver qui n’en ait jamais eu qu’une. Il n’y a qu’une sorte d’amour, mais il y en a mille différentes copies. L’amour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre. Il en est du véritable amour comme de l’apparition des esprits ; tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu. L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, et où il n’a pas plus de part que le doge à ce qui se fait à Venise. Le silence est le plus court parti pour celui qui se défie de soi-même. Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité. Comment prétendons-nous qu’un autre garde notre secret, si nous ne pouvons le garder nous-mêmes ? Les vieillards aiment à donner de bons préceptes pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples. Chacun dit du bien de son coeur et personne n’ose en dire de son esprit. La politesse de l’esprit consiste à penser des choses honnêtes et délicates. La galanterie de l’esprit est de dire des choses flatteuses d’une manière agréable. L’esprit est toujours la dupe du coeur. Tous ceux qui connaissent leur esprit ne connaissent pas leur coeur. L’esprit ne saurait jouer longtemps le personnage du coeur. Plus on aime une maîtresse et plus on est près de la haïr. Il y a de bons mariages, mais il n’y en a point de délicieux. On fait plus de trahisons par faiblesse que par un dessein formé de trahir. Si nous résistons aux passions, c’est plus par leur faiblesse que par notre force. Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque d’habileté. Le vrai moyen d’être trompé, c’est de se croire plus fin que les autres. La faiblesse est le seul défaut qu’on ne saurait corriger. Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l’amour, c’est de faire l’amour. Il est plus aisé d’être sage pour les autres que de l’être pour soi-même. Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. On parle peu quand la vanité ne fait pas parler. Il est plus difficile de s’empêcher d’être gouverné, que de gouverner les autres. Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves dans la mer. La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre coeur s’attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l’une, et tantôt à l’autre : de sorte que cette constance n’est qu’une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet. Il y a deux sortes de constance en amour ; l’une vient de ce que l’on trouve sans cesse dans la personne que l’on aime de nouveaux sujets d’aimer ; et l’autre de ce que l’on se fait un honneur d’être constant. Il n’y a guère de personnes qui ne soient honteuses de s’être aimées, quand elles ne s’aiment plus. Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la croyance que c’est nous qui les quittons. La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu’elles ajoutent à leur beauté. L’honnêteté des femmes est souvent l’amour de leur réputation et de leur repos. Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il le croit. L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. La vanité, la honte, et surtout le tempérament, font souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes. C’est une grande folie de vouloir être sage tout seul. La coquetterie est le fond de l’humeur des femmes ; mais toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes et retenue par crainte et la raison. La flatterie est une fausse monnaie qui n’a de cours que par notre vanité. Le plaisir de l’amour est d’aimer, et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne. La jeunesse est une ivresse continuelle ; c’est la fièvre de la raison. L’absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu. Les femmes croient souvent aimer encore qu’elles n’aiment pas ; l’occupation d’une intrigue, l’émotion d’esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d’être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu’elles ont de la passion lorsqu’elles n’ont que de la coquetterie. Il est impossible d’aimer une seconde fois ce qu’on a véritablement cessé d’aimer. La simplicité affectée est une imposture délicate. Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s’ennuient jamais ensemble, c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes. Les personnes faibles ne peuvent être sincères. Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour. On pardonne tant que l’on aime. Il est plus difficile d’être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux, que quand est maltraité. Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie. Les femmes n’ont point de sévérité complète sans aversion. Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leurs passions. Dans l’amour la tromperie va presque toujours plus loin que la méfiance. Il y a une certaine sorte d’amour dont l’excès empêche la jalousie. L’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison. Il ne peut y avoir de règle dans l’esprit ni dans le coeur des femmes, si le tempérament n’en est d’accord. Quand on aime on doute souvent de ce qu’on croit le plus. Le plus grand miracle de l’amour c’est de guérir la coquetterie. On a bien la peine à rompre quand on ne s’aime plus. Un homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot. Il y a de certaines larmes qui nous trompent souvent nous-mêmes, après avoir trompé les autres. Si l’on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, on est bien trompé. L’envie est détruite par la véritable amitié, et la coquetterie par le véritable amour. La violence qu’on se fait pour devenir fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux que l’infidélité. On garde longtemps son premier amant quand on n’en prend pas un second. Ce qui se trouve le moins dans la galanterie c’est l’amour. Les coquettes se font honneur d’être jalouses de leurs amants, pour cacher qu’elles sont envieuses des autres femmes. On ne plaît pas longtemps quand on n’a qu’une sorte d’esprit. En amour, celui qui est guéri le premier est toujours le mieux guéri. Toutes les passions nous font faire des fautes, mais l’amour nous en fait faire de plus ridicules. Peu de gens savent être vieux. Les femmes qui aiment pardonnent plus aisément les grandes indiscrétions que les petites infidélités. Dans la vieillesse de l’amour, comme dans celle de l’âge, on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs. Rien n’empêche tant d’être naturel que l’envie de le paraître. Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touchées de l’amitié, c’est qu’elle est fade quand on a senti l’amour. Dans l’amitié comme dans l’amour, on est souvent plus heureux par les choses qu’on ignore que par celles que l’on sait. La faiblesse est plus opposée à la vertu que le vice. Les vieux fous sont plus fous que les jeunes. FIN.
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