TRICOT-ROYER,
Jean-Joseph (1875-1851) : Une
épidémie de hoquet à Tournai en 1413.- Le Mans :
Imprimerie Ch. Monnoyer,
[1924].- 8 p. ; 20 cm.- (Extrait du Bulletin de la Société
française d'histoire de la Médecine, Tome XVIII, n°11 et
12, Nov.-Décembre
1924).
Saisie du texte et
relecture : S. Pestel pour la
collection
électronique de la Médiathèque
André
Malraux de Lisieux (02.XI.2007)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,
B.P. 27216,
14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]
obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/
Diffusion
libre et gratuite (freeware)
Orthographe et
graphie
conservées.
Texte
établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm
Lx : R351 br).
Une
épidémie de hoquet à Tournai en 1413
par le
Dr Tricot-Royer
~ * ~
L’épidémie de
hoquet qui en 1920 sévit un peu partout en Belgique et ailleurs,
inscrivit à son lugubre actif quelques cas à issue fatale. Elle étonna
le monde médical plus qu’il ne fallait puisque les chroniques
rapportent à travers l’histoire plusieurs apparitions de ce genre, et
notamment nous lisons qu’en l’an 1413, pareil fléau frappa en masse les
Tournaisiens jeunes et vieux :
« Ils ne mourraient pas tous, mais tous
étaient frappés ».
Nous ignorons quel traitement l’on opposa au mal sous l’ombre de cinq
clochers, mais nous savons qu’à cette sinistre plaisanterie du mauvais
sort les fils de saint Eleuthère répondirent par leur légendaire bonne
humeur, inaltérable dans la suite des siècles.
D’abord le hoquet devint la
Heuquette qui désigne, suivant le sens du mot
correspondant flamant huick,
ou bien le chapeau à longue écharpe dont on s’entoure le col, ou bien
le hoqueton, espèce de vêtement blousant que portent les campagnards
par dessus leurs habits ordinaires.
Alors donc s’abordaient les Tournaisiens tournant en bouffonnerie leur
infirmité nouvelle et s’informant s’ils sortiraient bientôt de leur
heuquette.
De nos jours la heuquette eut fait le sujet d’une scène à succès dans
une revue de fin d’année avec des bouts-rimés éphémères comme la mode.
Nos pères, avec plus d’élégance et d’esprit, en firent une chanson dont
les strophes sont d’un tour gracieux et piquant ; on y passe au crible
les diverses classes de la société qui toutes paient à l’importune
visiteuse un tribut généreux et forcé. La pièce elle-même est des plus
précieuses pour l’histoire de la littérature belge d’expression
française.
Voici cette curieuse page extraite du manuscrit n° 19684 de la
Bibliothèque Royale de Bruxelles (1), et voici les vers aimables et
goguenards qu’un poète, contemporain de Charles d’Orléans, écrivit
dix-huit ans avant la naissance de François Villon.
L’an mil IIIJ et XIII, pleut à Dieu envoier, en la ville de Tournai,
grand mortalité de épédimie : de laquelle pluiseurs, tant vieulx que
jeunes, morurent en ladite ville, et ailleurs pareillement. Et le
commencement de ceste pestilence fut en febvrier, durant jusques peu en
mai, de une maladie que on nommoit le heuquette, qui tenoit en la
gorge, et de laquele on assourdissoit, non pas tous, mais aulcuns ; et
peu de gens en en moroient. Pour laquele chose, les gens en dégaboient
le ung l’aultre, en disant : « Vous etes sortis de la heuquette ! » Et
de ce commencement de malladie fist aulcun gentil compaignon les vers
qui s’ensievent :
Tous
galans qui ont apris
A mener
vie joieuse,
Sont
maintenant esbahis
Et en
doubte merveilleuse,
Car mais
ne poelant chanter
Ains leur
fault esternuer.
Il n’est
maignon, ne hanette,
Qui ne
vieste la heuquette.
La
heuquette est de nouviel
En ce
pays arrivée.
Cascun
met jus le mantiel,
Pour
porter ceste livrée.
Je
m’esmaïe durement
Que à
paines n’est président,
Ne
sçachant le art de toulette
Qui ne
porte la heuquette.
Il n’est
prince, ne marquis
Qui n’en
ait une taillie.
Prévosts,
maires et baillis,
Cascun en
a sa partie.
Mesmement
les médichins,
Usant
d’espèces et vins
Et de
chucre en boistelette
Sont
furnis de la heuquette.
Les
cardinaulx et légaulx
Le
portent en leur devise :
Evesques,
officiaulx,
Cascun le
a soubz sa chemise.
Les
canonnes et prélas,
Espargnans leurs aultres draps,
Soit
robe, pliche ou jaquette,
Se
vestent de la heuquette.
Toutes
les gens de mestier,
Aians
icelle vestue,
Od-on
toussir et raquier,
Tous les
jours, de rue en rue.
Ceulx
aussi du plat pays
En sont
largement partis :
Car ville
n’est ne villette
Où en
cours n’est le heuquette.
Avocas et
procureurs
Le ont
porté en ce quaresme ;
Et aussi
ont les preischeurs
Aussi
camus que une bresme,
Doutés
sont tous ceulx qui le ont :
Car rien
que toussir ne font
Et
raquier à geulle ouverte ;
Et ce
leur fait la heuquette.
Prions
Dieu de paradis
Et le
humble vierge Marie
Que
tantôt soions garis
De ceste
grand’malladie,
Et que
plus nous ne le aions,
Et que,
tant que viverons,
Soions en
joie parfette,
Sans plus
avoir la heuquette.
Ces vers furent
mis en chant de bonne musique, et les cantoient par la ville les enfans
et jeunes galans, ou temps que la malladie courroit, laquelle on nomma
la heuquette, pour ce que ne oioid à paines aultre chose que toussir et
raquier, partout où on aloit.
Très amusé de cette petite trouvaille qui s’offrait à moi tandis que je
cherchais autre chose, j’eus plaisir à offrir la primeur à notre
confrère Albert Van Vyve, qui joint à sa qualité de patriarche vénéré
du corps médical anversois, celle plus précieuse encore d’être un
humaniste profondément épris de l’antiquité classique. Mon
interlocuteur sourit finement et me promit ses réflexions pour le soir
même ; les voici :
Multa renascentur quæ jam
cecidere cadentque :
Quæ nunc
sunt in honore vocabula.
Ces vers qu’Horace
consacrait aux mots semblent bien pouvoir s’appliquer aussi à certaines
résurrections thérapeutiques.
Dans le numéro du 1er novembre 1924 de la revue française La Nature, notre
confrère Morhardt publie un article aussi charmant que savant, intitulé
: Sanglots et Hoquet : Après avoir passé en revue le nombre
fantastique des remèdes préconisés contre le hoquet qui survient après
un bon repas ou sans raison apparente à l’exception du hoquet
épidémique, le distingué médecin français ajoute : « Un remède
ingénieux qu’un japonais a récemment préconisé, consiste à faire
éternuer en introduisant une paille ou une plume dans le nez… »
Cher confrère de France et confrère innommé du Japon, n’avez-vous
jamais lu le Banquet
de Platon ? Je me permets de recopier ici pour vous une page de
l’illustre maître d’Aristote, page vieille de plus de vingt-deux
siècles :
« Pausanias (2) ayant fait une pause - voilà une allitération que les
sophistes m’ont apprise - le tour d’Aristophane, dit Aristodème, était
venu ; mais le hasard voulut que, soit pour avoir trop mangé soit pour
autre chose, il fut pris d’un hoquet et mis hors d’état de parler. Il
dit au médecin Eryximaque, assis au-dessous de lui : « Il faut,
Eryximaque, que tu fasses cesser mon hoquet ou que tu parles à ma
place, en attendant qu’il cesse. » Eryximaque répondit : « Je ferai
l’un et l’autre. Je parlerai à ta place et quand tu seras débarrassé de
ton hoquet, tu parleras à la mienne ; maintenant si tu veux bien,
pendant que je parlerai, retenir ta respiration, peut-être en seras tu
quitte ; sinon gargarise-toi avec de l’eau ; si ton hoquet résiste
prends quelque chose pour te gratter le nez et te faire éternuer, et,
quand tu auras éternué une ou deux fois, si tenace que soit ton hoquet,
il passera ! « Hâte-toi de prendre la parole, dit Aristophane, de mon
côté je suivrai des prescriptions.
« Quand vint son tour, Aristophane prit la parole et dit : « Sans doute
il (le hoquet) a cessé, mais pas avant de lui avoir appliqué le remède
de l’éternûment ; aussi j’admire que le bon état du corps réclame des
bruits et des chatouillements tels que l’éternuement ; aussitôt que je
lui ai appliqué l’éternuement le hoquet a cessé… »
Et le Dr Van Vyve clôt son épître par cette boutade : « Et peut-être
Eryximaque tenait-il lui-même sa prescription de quelque vieux papyrus
de Memphis ou de Thèbes. »
Quant à nous, il nous est agréable de constater une fois de plus la
nécessité de l’histoire qui contient la limite du pouvoir humain, et ce
n’est là d’ailleurs qu’une expression renforcée du vieux Nil novi sub sole.
Revenons un instant aux couplets si habilement troussés et qui
persiflent avec tant de verve gouailleuse les hoqueteurs et leur mal.
Nous y marquons parmi la fusée des traits savoureux quelques
renseignements dignes d’intérêt.
La heuquette est de nouviel en ce pays arrivée ; ce n’est pas une
inconnue pour la ville aux chouq
clotchiers qui certainement peu auparavant avait reçu
pareille visite.
Les galants ne peuvent plus chanter, mais il leur faut éternuer ;
auraient-ils tenté l’usage du reflexe d’Eryximaque pour calmer l’autre
qui les incommodait si fort ? En ce cas furent-ils plus perspicaces et
surtout plus heureux que les médecins eux-mêmes qui continuaient à
hoqueter malgré l’absorption d’épices, de vins et des carrés émollients
qu’ils tenaient en leurs bonbonnières.
Nous savons aussi que le hoqueteur secoué de soubresauts continuels
avait la face oedématisée et que le nez prenait large part à cette
disgrâce, puisque le barde wallon décrit le compagnon aussi camus
qu’une brême.
La contagion d’autre part ne faisait pas l’ombre d’un doute, car ils
étaient redoutés les passants qui de par la heuquette ne font que
tousser et cracher, la gueule ouverte.
Enfin cette façon plaisante de narguer le fléau est à rapprocher d’un
très beau poème qui a sa place parmi les Glas de Jean
Richepin ; le poète y décrit la peste abandonnant ses victimes dès
qu’elle n’ont plus peur d’elle :
A Rome, en l’an trois cent
quatre-vingt-dix, la peste
Avait pris les trois quarts de la plèbe,
le reste
Séchait d’horreur, malgré ses tribuns
éloquents ;
Et Rome allait périr, quand des mimes
toscans
Vinrent, par qui se mit à refleurir,
vivante,
La fleur du rire sur ces faces
d’épouvante…
Le plus lâche oubliait que la peste
était là,
Et nul n’ayant plus peur d’elle, elle
s’en alla.
Que ne puis-je, pareil aux artistes
étrusques
Trouver d’assez bons tours, des gestes
assez brusques,
Des mines d’un comique assez désopilant,
Pour empourprer ton pâle effroi,
troupeau tremblant
Des hommes, tout mon coeur se sent
l’immonde frère,
Puisque c’est vous et moi qu’ici je veux
distraire
Du penser lancinant qui sans cesse nous
mord
O nous tous qui mourons de la peur de la
Mort !
NOTES
:
(1) Ce manuscrit a été publié par J.-J. DESMET, dans le Corpus Chronicorum Flandrine.
Bruxelles, 1856. Voyez tome III, pp. 343 et suivantes.
(2) oeuvres de
Platon. - Traduction CHAMBRY. Paris, Garnier, 1919, p. 359
et suivantes.
|