Jean-Charles Contel : Pages du vieux Paris (1921)

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Jean-Charles Contel : Pages du vieux Paris (1921)

Jean-Charles Contel
(1895-1928)
Pages du vieux Paris
(Douze lithographies en couleurs et en noir)
1921
Pr�face de Pierre Mac Orlan

Pr�face

JEAN-CHARLES CONTEL ET L'OMBRE ROMANTIQUE

EN feuilletant les pages de cet Album, dont chacune repr�sente un aspect inattendu de Paris en 1921, il est facile de constater que les grandes cit�s ne se rajeunissent pas si vite que les vieilles dames en vieillissant.

Il faut, pour bien se rendre compte de la r�sistance des hommes et des choses aux brillantes transformations m�caniques et hygi�niques, errer avec Jean-Charles Contel, Normand aventureux et classique, � travers un Paris ignor�, �panouissant sa petite vie clandestine au milieu des mille bruits d'une circulation d�sordonn�e.

En regardant les dessins de Jean-Charles Contel, on pense � ces vieilles malles myst�rieuses que l'on d�couvrait dans le grenier de grand'm�re et qui, ouvertes par des jeunes mains curieuses, �talaient des tr�sors surprenants : des crinolines, des uniformes de la garde nationale, de minuscules ombrelles, parfois un bonnet d'ourson, un hausse-col en cuivre et des bo�tes �ventr�es d'o� glissait tout un peuple de photographies mang�es par la lumi�re des anciens jours.

Mais il faut, en errant dans la ville, celle des vieux murs, un oeil averti pour s�parer l'une de l'autre deux atmosph�res qui ne se compl�tent point.

La m�me lumi�re baignant les maisons neuves et les maisons anciennes rapproche entre elles les distances et groupe tous les petits d�tails du pittoresque dans une m�me r�publique : La lampe � p�trole lutte contre les globes �lectriques, et le pav� pointu, succ�dant au pav� de bois, surprend � peine les bottines � hauts talons �gar�es dans ces parages.

Mais, isol� par l'Artiste de la gangue en ciment arm� qui l'entoure, le Paris de Jean-Charles Contel se r�v�le avec toutes ses tares charmantes et ses gibbosit�s qui font songer au populaire Monsieur Mayeux.

Tout d'abord, avant d'apercevoir le peuple des apparences qui habite logiquement le Paris romantique, des hommes et des femmes, qui ne sont pas des fant�mes, vivent entre ces vieux murs une existence que le cadre soumet � une discipline tomb�e en d�su�tude. C'est la m�nag�re, encore coiff�e d'un madras, vidant les eaux grasses sur le plomb ; c'est enfin toute la population des gagne-petit qui, loin des jeux inqui�tants de l'�lectricit�, cherche de minces b�n�fices avec les fruits d'un labeur d'une disproportion attendrissante.

Toutes les professions honor�es par l'imagerie d'�pinal, o� l'on retrouve autour du Temps Pr�sent, Gagne-Petit, le repasseur de couteaux, le ma�tre d'armes, le ma�tre � danser, et d'autres comp�res pleurant la mort de CR�DIT, se retrouvent encore dans l'ombre imp�n�trable pour qui n'a nullement besoin de leurs services. Le bruit des chevaux d�marrant sur les pav�s et le tintement des clochettes de l'attelage c�l�brent, � leur mani�re, le dernier voiturier prenant les commissions et les paquets pour les gens de Longjumeau. Mais, dans quelques jours, le camion automobile p�n�trera dans la sombre cour ; il y trouvera une bauge assez bien adapt�e � ses formes massives et � ses grognements de b�te que l'on chasse encore � courre.

Mais ne m'a-t-on pas affirm�, qu'au fond d'une cave, douze sonneurs de trompe, et autant d'apprentis, s'exercent aux divers chants des piqueurs. Ainsi l'air charmant du Dix cors jeunement se brise entre les bouteilles le long des murs o� les toiles d'araign�es pendent comme des drapeaux d'autrefois dans une chapelle mal entretenue.

Ceci pour la r�alit�. Mais Jean-Charles Contel nous convie aux amusements plus distingu�s de l'imagination. Il ne faut qu'un tout petit effort, comparable � celui d'une jeune ouvri�re poursuivant, � son profit, les aventures du Roi Henri, pour animer, dans ce d�cor robuste, les marionnettes fragiles qui lui impos�rent une signification litt�raire, naturellement.

C'est le d�cor de la basse p�gre group�e autour d'un tapis franc o� l'on parle un argot dont les derniers vestiges font sourire les jeunes et modernes pr�pos�s aux r�les de victimes dans les ex�cutions capitales. Il suffirait d'un gentilhomme portant les pantalons collants � sous-pieds et la cape romantique pour que tout ce peuple de chourineurs d�c�d�s et de goualeuses au tombeau, ressurgi dans un divertissement d'artiste, exag�re pendant une nuit ses attitudes famili�res.

Ah ! Jean-Charles Contel, vos vieilles rues et les portes vermoulues de vos maisons ne sont point accueillantes au bourgeois. Le peuple des apparences r�de de ruelle en ruelle, les derniers soldats rentr�s aux casernes.

Mais ce n'est point dans ce d�cor d�mod� que les plus aventureux parmi nous conna�tront les angoisses annonciatrices de la mort violente.

PIERRE MAC ORLAN