L'AGRICULTURE est la base de la puissance réelle & intrinsèque d'un état, comme le commerce & les arts en sont les soutiens, quant à ses relations extérieures. Cette vérité, à laquelle on commence depuis peu à rendre un hommage presque universel, avoit été sentie par les citoyens philosophes qui avoient consacré leurs veilles à concourir, autant qu'il étoit en eux, aux progrès de ces trois branches essentielles de l'administration ; mais cette même vérité ne pouvoit avoir des influences réellement utiles & capables de produire le bien général qu'autant que le gouvernement la protégeroit. C'est ce que nous voyons avec plaisir arriver aujourd'hui par l'établissement des sociétés d'agriculture, de commerce & des arts qui se multiplient à l'envi dans les différentes provinces du royaume. Ce seront autant de sources de lumière, dont les rayons doivent enfin éclairer jusqu'au plus ignorant & au plus opiniâtre laboureur.

En effet, si les préjugés barbares qui avoient fait regarder parmi nous l'agriculture comme un art ignoble, ont nui à ses progrès, ce qui retarde encore son avancement, c'est l'attachement inconcevable qu'a le paysan pour ses anciennes coutumes ; il y est uni d'une inhérence si intime, si l'on peut s'exprimer ainsi, que ce n'est qu’à force de leçons de pratique & d'exemples de succès constans, qu'on peut le ramener aux usages que la saine physique conseille & que la raison approuve.

A l'égard du commerçant & de l'artiste, il est moins difficile de leur faire entendre raison ; il suffit de leur exposer les inconvénients de tel ou tel procédé, & de leur montrer les avantages de tel ou tel autre pour qu'ils adoptent celui-ci sans hésiter.

Un ouvrage dans lequel, en embrassant, dans sa plus grande étendue, ce qui a rapport à ces trois objets, on s'attacheroit plus à donner des leçons de pratique fondées sur une saine théorie, qu'à des spéculations peut-être utiles, mais d'une utilité moins présente ; un ouvrage dans lequel on trouveroit rassemblées & réunies, sous le même point de vue, toutes les observations des philosophes qui ont écrit sur ces matières, toutes les expériences qui ont été faites dans les divers pays où l'agriculture est en honneur, avec leur application aux différents terreins, suivant la nature du sol ; un ouvrage où la pratique marcheroit d'un pas égal avec la théorie, & qui pourroit seul tenir lieu de l'immense & volumineuse collection des livres qui ont été faits sur ce sujet, parce que ce qu'ils contiennent d'utile s'y trouveroit en substance, & seroit joint aux nouvelles vues que l'expérience & la réflexion ont ouvertes depuis ; un ouvrage, en un mot, où l'on trouveroit des détails sur le commerce & sur les arts qui pourroient éclairer & instruire le négociant, rectifier les idées & diriger la main de l'artiste un tel ouvrage pourroit-il ne pas être accueilli dans un siècle qui paroît abandonner enfin le frivole pour s'attacher au solide ?

C'est l'objet qu'on se propose dans celui dont on publie le Prospectus.

Pour cet effet, quant à ce qui concerne l'agriculture, on y rassemblera les principes des divers pays, qui ont déjà été soumis à l'expérience, & ceux même qui auroient besoin de l'être, pour que leur bonté fût constatée, afin d'en tirer des conséquences & des préceptes pour l'amélioration des terres, &c. á l'effet de procurer de plus abondantes récoltes, &c. On aura soin de rapporter & de traduire les termes usités dans les différents lieux, afin qu'il ne reste aucun obstacle à l'intelligence des règles que l'on pourra prescrire, pour parvenir :

En premier lieu, à instruire le cultivateur des méthodes les plus efficaces, & les plus sûres pour défricher, engraisser, améliorer, semer & cultiver fructueusement les terres fertiles, & tirer le meilleur parti des mauvaises, relativement à l'exposition & à la température du climat, ainsi qu'à la nature du sol (2). On indiquera pareillement la meilleure façon de faire, de préparer & de conserver les récoltes, ce qui amènera des préceptes pour connoître : 1 °. chaque nature de terre, sa qualité, & quel est le parti qu'on en peut tirer ; 2°. chaque méthode de dessécher & défricher, la plus analogue à telle ou telle qualité de sol ; 3°. chaque espèce de labour, d'engrais, de semences propres à tel ou tel terrein, & le choix qu'il faudroit faire des diverses méthodes connues ou indiquées pour améliorer un terroir & en augmenter la vertu productrice ; 4°. les époques marquées & reçues comme les plus favorables pour exécuter avec fruit & employer avec succès ces desséchements, ces défrichements, ces labours, ces engrais, ces semences, &c. 5°. la meilleure manière de préparer les engrais & les semences ; 6°. enfin le nombre des labours, la quantité d'engrais, & la qualité des semences qu'il faudroit employer, relativement à la nature du sol qu'on cultive. En second lieu, la manière d'élever, de nourrir & d'engraisser les bestiaux, volailles & insectes utiles, la méthode & le tems convenables pour recueillir, préparer & conserver leurs productions, seront l'objet d'une partie de cet article.

En troisième lieu, on indiquera ce qu’il faut observer & pratiquer, qu'on a éprouvé être le plus expédient pour semer, élever, planter, entrer & cultiver les arbres fruitiers & autres. Les vendanges, le cidre, &c. suivront nécessairement cet article. Enfin on décrira la forme & la construction des ustenciles & instruments les plus nécessaires à la cultivation ; & afin que rien ne gêne dans l'intelligence du détail qu'on en donneroit, on tâchera d'en rendre les noms dans l'idiome (3) de chaque province, & même de chaque canton, s'il étoit possible. Et si l'on découvre, dans un instrument quelconque, un vice de conformation, on indiquera la manière de le rectifier, en observant pourtant de s'éloigner, le moins qu'il seroit possible, de la forme déjà adoptée.

A l'égard du commerce, on fera un choix dans les moyens connus, sans négliger les nouveaux que la réflexion pourra découvrir, pour instruire le négociant : 1 °. des objets de commerce d'exportation & d'importation, relativement à sa position, &c. 2°. de la nature & de la qualité des matières premières, & des modifications & changements que l'industrie y apporte : 3°. des lieux d'où ces différents objets de commerce doivent être tirés préférablement, & de ceux où la consommation en peut être la plus avantageuse. Pour cet effet, on traitera avec ordre, & dans le plus grand détail, de la nature du commerce général de chaque royaume, de chaque état, c'est-à-dire, de la nature de leurs productions de terre ou de mer, de celles de leurs fabriques & manufactures, des marchandises des autres pays qui s'y débitent, de leurs coutumes dans les ventes, achats, affaires de banques, &c. de leurs foires, de leur durée & de leur date, de leurs marchés publics & des denrées qui s'y consomment, &c. De là on passera au commerce particulier de chaque province & de chaque ville, on feroit mention des manufactures qu'on y trouve, & on auroit soin de marquer quels avantages elles produisent. On indiquera les voies les plus commodes & les moins coûteuses pour le transport des marchandises, tant nationales qu'étrangères, ce qui ameneroit à traiter des droits de péages, traites foraines, octrois, &c. exigibles sur chaque nature de marchandises, des droits d'entrée & de sortie, des droits de fret & d'ancrage, de la commission, des assurances, des changes, escomptes ordinaires, &c. Pour ne rien omettre, on donnera un tableau des poids & mesures, & des monnoyes réelles & idéales, avec les moyens de les réduire à la valeur de ceux du pays où l'on se trouve. Enfin on annoncera les nouvelles découvertes, on exposera les plans & projets de commerce qui pourroient se faire, &c. &c. Les arts seront envisagés dans le même ordre & sous le même point de vue. On instruira l'artiste de la nature de la matière sur laquelle il travaille, & des moyens de la mettre en oeuvre avec le plus de profit possible ; & pour que cette partie de l'ouvrage, qui est indispensablement liée avec les deux autres, soit traitée avec le même soin, on se propose de présenter d'abord en peu de mots les statuts & règlements concernant chaque corps de métier, d'exposer les règles qu'ils prescrivent, & de marquer quels sont les talents nécessaires pour réussir dans tel ou tel art. On recherchera soigneusement quelles sont les nouvelles préparations des matières premières, ce qu'on a découvert concernant les étoffes & autres objets de fabrication, s'il y a quelque nouveau moyen de leur donner un plus beau teint ou un plus bel oeil ; en un mot, rien de ce qui pourra éclairer l'artiste & faciliter ses progrès ne sera omis.

Tel est en général le plan de cet ouvrage. Voici quelle est la forme qu’on se propose de lui donner.

CHAQUE volume sera divisé en quatre parties. Dans la première, qui traitera de l'agriculture, on entrera dans tous les détails nécessaires pour le développement des principes & des préceptes, & on aura soin de citer les ouvrages dont on s'aidera. On joindra à la fin de cette partie les figures, en taille-douce, des outils & instruments dont on aura eu occasion de parler, & qui seront le plus commodes pour le cultivateur.

Dans la seconde partie, qui aura pour objet le commerce, on procédera dans le même ordre, & on entrera dans les mêmes détails.

Dans la troisième, qui regarde les arts, on ne se contentera pas de décrire en gros chaque art ou métier, mais on en détaillera les parties lorsqu'elles offriront quelque chose d'intéressant, & l'on donnera tous les moyens possibles pour hâter les progrès de l'art dont il sera question, ou pour en augmenter l'utilité.

Et pour ne laisser rien à désirer sur la totalité de cet ouvrage, la quatrième partie sera composée d'un corps d'observations générales & d'une suite d'expériences, de plans, de projets, &c. relatifs aux trois autres parties, mais d'un rapport assez éloigné avec la matière dont on auroit traité dans ce même volume, pour qu'on n'ait pas crû devoir les insérer sous le titre respectif qui leur eût convenu. Ces observations embrasseront en général toutes les découvertes des sociétés d'agriculture, tant de France que des pays étrangers, qu'on présentera le plus succinctement qu'il sera possible, & seulement pour les consigner dans un ouvrage qui n'a pour but que d'éclairer le cultivateur, le négociant & l'artiste.

ON donnera chaque année, jusqu'à la confection entière de l'ouvrage, six volumes in-8° de même caractère & de même format que ce Prospectus. Chaque volume sera de vingt feuilles, c'est-à-dire 320 pages, ou environ. Le premier paroîtra au mois de Septembre prochain, & le deuxième au premier de Novembre suivant, & ainsi des autres successivement de deux en deux mois.

Mais comme chaque volume formeroit un trop gros paquet pour les personnes de province qui desireroient recevoir cet ouvrage par la poste, & qu'il est bon de satisfaire promptement ceux qui voudront jouir du fruit de nos recherches & de nos travaux, nous nous proposons de diviser chaque volumes en deux parties, chacune de dix feuilles, dont il paroîtra une chaque mois.

Le prix de chaque volumes sera de trois livres, en sorte que les six volumes de l’année reviendront à 18 livres.

Les personnes de province qui voudront les recevoir par la poste, payeront de plus pour le port 16 sols par volume, c’est-à-dire 8 sols pour chaque partie, ce qui reviendra, pour le port des six volumes, à 4 liv. 16 s. par an.

Cet ouvrage se distribuera chez Despilly, libraire, rue Saint-Jacques, à la vieille poste ; on en trouvera aussi des exemplaires chez les libraires des principales villes du royaume.

P.S. Nous recevrons tous les mémoires & paquets que l'on voudra nous adresser concernant notre ouvrage, & nous aurons beaucoup de reconnoissance pour les personnes qui voudront concourir avec nous à lui donner toute la perfection possible. Les observations des cultivateurs, les mémoires des négocians & artistes seront reçus avec plaisir dans telle langue qu'ils soient écrits ; nous nous ferons un devoir d'insérer les expériences & les projets utiles qui y seront contenus, & nous en rendrons hommage à leurs auteurs s'ils paroissent le désirer. Nous prions seulement les personnes qui voudront nous envoyer quelques paquets, de les remettre à notre adresse chez quelque libraire connu de province, qui les feroit parvenir, pour nous être remis, au sieur Despilly libraire, à Paris, rue Saint-Jacques.

On trouve chez le même libraire, le Patriote Artesien, ou les moyens de ranimer l'agriculture, le commerce & les arts ; & tous les livres concernans cette matiére.

Notes :
(1) On a fait en Angleterre un ouvrage à peu près semblable à celui-ci, sous le titre de Compleat Body of Husbandy, in-folio. London, 1750 : c'est-à-dire Corps complet d'Agriculture.
(2) Nous ne prétendons pas dire que les préceptes découverts, ou à découvrir, puissent être utiles à tous les cantons sans exception. Cette prétention seroit chimérique. Mais nous voulons dire qu'au moyen des modifications prescrites par la nature de chaque terrein, il n'est aucun précepte qui ne puisse être utile jusqu'à un certain point ; & la manière dont on présentera ces préceptes, par l'application qu'on aura soin d'en faire à chaque espèce de terrein, pourra être avantageuse dans tous les pays, en ce que le laboureur y trouvera des leçons analogues à la nature du sol qu'il aura à cultiver.
(3) Pour faciliter cette connoissance au laboureur, on se flatte qu'il se trouveroit toujours dans les principales paroisses quelque citoyen zélé qui voudroit bien se donner la peine d'extraire de notre ouvrage ce qui, quant à l'agriculture, pourroit concerner la nature du terrein du canton qu'il habiteroit, & le traduire dans l'idiome de ce canton, afin que le paysan pût s'instruire, que le jeune agriculteur pût y puiser des leçons, & l'ancien cultivateur des lumières pour éclairer ceux qui sont à sa charge. Un petit manuel de cette sorte que les curés, vicaires, &c. donneroient á lire à leurs paysans, produiroit nécessairement le plus grand bien. Cette coutume, qui est établie en Angleterre, y a eu les plus grands succès.