EN 1810, on parlait beaucoup à Munich de Victor Hummer, jeune étudiant qui sortait de l'Université. Quelques amis voulurent l'entraîner dans une association nationale instituée pour exterminer les Français. Victor Hummer répondit qu'il ne voulait exterminer personne, que ses inclinations étaient vouées à la science, et qu'il se proposait de vivre en paix toute sa vie dans son cabinet de Munich, pour élever un monument à sa patrie et à l'univers. Il parlait toutes les langues anciennes et modernes.
Hummer avait spécialement cultivé l'histoire à l'Université. Nul ne connaissait mieux que lui la cause de la grandeur et de la décadence de tous les empires. Il savait le grec comme M. Gail, et lisait Xénophon comme un vétéran des Dix Mille. Un jour, on lui demanda à l'improviste quel était le consul romain qui florissait au temps d'Alexandre de Macédoine. Il répondit, sans hésiter : «Papirius Cursor». On ouvrit les vingt volumes in-quarto de Catrou et Rouille, et l'on reconnut la vérité du fait.
Hummer se sépara du monde, et se voua corps et âme à la traduction d'Hérodote.
Il estimait profondément cet historien, et voulait lui témoigner son affection d'une façon solennelle. Hummer ne fut pas distrait de son travail par tout le fracas des batailles contemporaines. Ami de l'antique, il avait en sincère mépris les soldats allemands et étrangers ; il abhorrait le shako et le frac blanc. Tout ce qui n'était pas phalange macédonienne était misérable à ses yeux.
Au bout de dix années de labeur, il avait dévoré son petit patrimoine, mais Hérodote était traduit. Il offrit environ cent kilogrammes de manuscrits au libraire Cotta pour dix mille florins. L'éditeur de Leipsick lui écrivit une lettre charmante et refusa d'imprimer sa traduction. Hummer avait fait trois ans de philosophie, et cela lui servit en cette occasion ; il se rappela tous les aphorismes des sages sur les contrariétés de la vie, et garda son manuscrit pour en faire les délices de son foyer domestique. Il en lisait des fragments à ses amis. A la fin de l'année, il n'eut plus d'amis ; Hérodote seul lui resta.
A force de se relire, il fondit son individualité dans celle d'Hérodote, et parfois il se croyait Hérodote et pensait en grec.
- Ce qui manque à mon ouvrage, disait-il, ce sont des commentaires et des notes ; le libraire Cotta me l'a fait observer avec raison. Il faut compléter l'oeuvre. Commentons et annotons ; j'aurai cent éditeurs pour un. Si l'Allemagne me fait défaut, j'irai à Paris, et le premier libraire du Palais-Royal me donnera cent mille francs de ma traduction... O Paris !
Il lui restait une petite maison de quatre mille florins ; il la vendit pour faire ses commentaires. «Heureux ceux qui placent ainsi leur argent sur la postérité !» disait-il en prenant une lettre de change sur la maison Pastré, à Alexandrie d'Égypte. Débarrassé de tout souci, il partit pour l'Égypte le 15 mars 1822.
En arrivant au Caire, il fut atteint de la peste ; mais sachant qu'il ne devait pas en mourir, puisque les commentaires n'étaient pas faits, il se laissa tourmenter par le fléau, et ne prit d'autre médecin que le hasard. Cependant il perdit un oeil. «C'est justement, dit-il, ce qui est arrivé à Annibal dans les marais étrusques». On voit que son caractère d'historien se soutenait jusqu'au bout.
A peine convalescent, il prit du papier vélin d'Allemagne, qui est gris, et un crayon hongrois, loua un chameau, et sortit de la ville par la porte du Kalib.
- Commençons par observer le lac Moeris, dit-il ; Hérodote s'est étendu complaisamment sur ce lac. Il a vu les deux pyramides qui s'élevaient au milieu de ce lac : elles avaient six cents pieds de haut, dont une moitié dans l'eau et l'autre dans l'air. Elles étaient surmontées de deux statues de bronze doré, et revêtues sur leurs quatre faces d'un beau marbre poli, tiré des carrières du Mokatan.
Hummer adressa la parole en arabe à des fellahs qui buvaient l'ombre sous la porte du Caire, et leur demanda le chemin du lac Moeris.
Les fellahs regardèrent fixement l'étranger et ne répondirent pas.
«Au fait, se dit Hummer, je m'adresse à des paysans stupides ; je trouverai bien le lac sans eux. Le lac Moeris avait quatre-vingts lieues de circuit, d'après Hérodote, qui l'a vu comme je vois mon chameau. On ne perd pas un tel lac comme un verre d'eau».
Et il poussa sa monture vers le Mokatan.
Le soleil dardait d'aplomb sur la tête du commentateur d'Hérodote ; mais la science ne s'arrête pas devant quarante degrés Réaumur. Hummer remerciait même le soleil, qu'il appelait Horus, de lui montrer clairement la plaine. Le jour était si radieux, qu'on aurait découvert un scarabée sacré à deux lieues à la ronde. Cette clarté transparente ne servit qu'à prouver à Hummer qu'il ne voyait rien du tout.
Après quatre heures de marche dans le sable, il vit poindre deux pyramides dans la direction de Saccarah. Toute fatigue fut oubliée :
- Ce sont les pyramides du lac Moeris ! s'écria-t-il ; je les reconnais ; mais il paraît que le lac est à sec : n'importe, je verrai le lit, un lit de quatre-vingt lieues ! Si je ne me trompe, je crois découvrir aussi les ruines du Labyrinthe. Oh ! que j'ai dit de belles choses sur le Labyrinthe dans mon ouvrage d'Hérodote ! Le Labyrinthe, ai-je dit, était un palais composé de cent palais ; il avait été bâti par l'architecte Cramris, sous un Basileus-Ptolemeos, je ne sais plus lequel. Cet édifice prodigieux, ai-je ajouté, occupe autant de terrain qu'une ville ; il se baignait dans le lac Moeris, comme un roi d'Orient dans une cuve de porphyre. O palais des palais !
En achevant ces mots, il découvrit la tête d'une troisième pyramide. Le chameau s'arrêta.
- Trois pyramides dans le lac Moeris ! dit-il ; voilà qui est singulier ; je n'en ai annoncé que deux, et j'ai affirmé les avoir vues. C'est peut-être une ombre ; avançons.
En avançant, il en découvrit quatorze.
- Quatorze pyramides dans le lac Moeris, où il ne devrait en exister que deux ! dit Hummer ; cela mérite un commentaire particulier. Peut-être l'éloignement m'a fait faire une erreur de calcul ; allons examiner le phénomène de plus près.
Arrivé au pied des pyramides de Saccarah, il en compta dix-sept.
Elles n'avaient pas six cents pieds ; c'étaient des pyramides de briques, de dix toises de haut, en fort mauvais état, et qui avaient été probablement bâties sans façon pour ensevelir dix-sept petits banquiers de Memphis.
- Ce doit être la monnaie des grandes pyramides d'Hérodote, dit Hummer. Voilà bien le génie démolisseur des peuples ! on détruit un palais pour construire cent chétives maisons ! on démolit deux pyramides pour en construire dix-sept ! Ainsi s'éteignent les grandes choses. Voilà donc ces fameuses pyramides dont j'ai parlé. Qu'elles devaient être belles quand elles n'étaient que deux ! Écrivons ce commentaire sur mon album.
Hummer jeta circulairement ses yeux dans le désert, et se dit : «Voilà les ruines du lac Moeris. C'est bien là notre lac ; il n'y manque que de l'eau. Mes descriptions sont de la plus parfaite exactitude. Je suis au milieu du lac, au pied de ces dix-sept pyramides ; je n'ai plus que le Labyrinthe à trouver».
Il avait perdu beaucoup de temps dans ces explorations ; la nuit tombait avec rapidité. En cherchant le Labyrinthe, il s'égara.
Il erra longtemps de détours en détours ; il découvrit une hutte d'Arabe. «Frappons à cette porte hospitalière, se dit-il : avec quel bonheur l'enfant du désert va me recevoir !» Il frappa trois fois ; la hutte était déserte. Hummer se coucha sur le sable, en se faisant de son chameau une alcôve à quatre piliers et un lambris. Le premier rayon du soleil l'éveilla en sursaut, comme si un tison eût brûlé son visage. Il fit un petit repas frugal, et, s'orientant à l'aide de la carte et du soleil, il se prouva qu'il n'était pas fort éloigné du lac Natroun et du Fleuve sans eau.
- Hérodote a parlé du lac Natroun, dit-il, c'est un lac sans importance ; mais je serais bien aise d'explorer le Fleuve sans eau, anhydropotamos. Commençons par le lac, le fleuve est tout près.
En effet, il trouva un amas de sel, durement cristallisé, dans l'étendue d'une demi-lieue. C'était incontestablement le lac. Il en prit un échantillon, et fit un commentaire. Ensuite il s'enfonça dans le désert, en suivant un vallon formé de petites dunes prolongées. Hummer reconnut dans ce vallon le lit du fleuve ; il n'y avait pas une goutte d'eau, et le sable était chauffé à quarante-cinq degrés.
Avant de rentrer au Caire, il visita Arsinoë, aujourd'hui Faïoun. Hérodote appelle Arsinoë la province des Roses : il avait voyagé dans cette province toujours entre deux haies de rosiers. Hérodote ajoute que le parfum d'Arsinoë arrivait jusqu'à Memphis. Hummer marchait le nez au vent dans la direction du parfum : il trouva des forêts de nopals, qui ont beaucoup d'épines, mais point de fleurs ; elles étaient habitées par des lézards verts. Le voyageur allemand ne vit dans la dénomination d'Hérodote qu'une allégorie profonde, et il admira le bon sens de l'historien grec.
Il rentra au Caire chargé de documents précieux, mais avec deux coups de soleil.
- C'est maintenant, dit-il, que je dois, encouragé par mes premiers succès, étendre mes explorations vers cette haute Égypte qu'Hérodote connaissait si bien, et dont nous avons donné ensemble de si merveilleuses descriptions.
La Haute-Égypte était en ce moment désolée par la guerre. Les Wechabites s'étaient révoltés contre Méhémet-Ali, et Ibrahim-Bey côtoyait le Nil avec une armée pour les soumettre. Il fallait qu'Hummer se munît d'un firman du vice-roi, ou qu'il attendît la soumission des rebelles. Hummer, réduit à ses dernières piastres, résolut de demander un firman. Il descendit le Nil, et se rendit à Alexandrie, où il demanda une audience au vice-roi.
Lorsque le savant de Munich entra au palais, Méhémet-Ali fumait son éternelle pipe, peinte d'après nature par Horace Vernet, dans ce charmant tableau où les janissaires sont si horriblement massacrés. Il appuyait ses pieds sur un vieux lion en retraite, façonné en escabeau. Hummer se prosterna devant le redoutable escabeau, frappa trois fois le plancher de son vaste front, ce qui faisait rire aux larmes le grave Méhémet.
- En voici encore un, dit le vice-roi, qui va me comparer au serpent, au phénix, à Pharaon, à Joseph en Égypte. Explique-toi sans préambule, mon ami, que veux-tu ?
- Étoile du ciel du prophète, soleil de la nouvelle Memphis, scarabée...
- En voilà assez, arrive au fait : que puis-je faire pour toi ?
- Je veux parcourir la terre sacrée de vos États et converser avec le génie des nations mortes...
- Eh bien ! parcours, mon ami, puisque cela t'amuse. Ils ont tous la rage de se promener dans le désert, ces gens-là ! et pour voir quoi ? des pierres, du sable et des lézards.
- J'ai fait une histoire ancienne sur vos États, ô sublime pacha, et je brûle de visiter en détail le pays que j'ai décrit...
- Je ne te comprends pas bien, mon ami ; tu dis que tu as décrit mon pays avant de le visiter...
- Moi, je ne l'ai pas visité encore ; mais Hérodote, le père des historiens, a décrit votre royaume, environ deux mille ans avant la fondation de votre glorieuse dynastie, et...
- Ceci nous mène trop loin ; j'ai cent audiences à donner. Si nous remontons à deux mille ans, nous n'en finirons pas aujourd'hui. Expliquons-nous : tu veux te vautrer dans le sable, c'est ta fantaisie, pars ; je vais te donner un firman. Tu n'es pas le premier Franc que j'aie reçu. J'ai vu Belzoni, le danseur de corde, qui a ouvert la seconde pyramide, qui était ouverte. J'ai vu Caillaud, l'orfèvre, qui a trouvé l'oasis de Memnon, qui n'existe pas. J'ai vu Rossignol, qui a prouvé au Nil qu'il ne devait pas couler comme il coule : le Nil a fait son chemin et ne l'a pas écouté. J'ai vu Champollion, qui expliquait des hiéroglyphes que mon fils cadet enterrait sous une pierre après les avoir peintes à l'encre de Chine. J'ai vu lord Elgin, qui m'a demandé une pyramide à manger. Tous les jours je suis harcelé pour ce misérable désert, qui ne me rapporte pas une once de blé ou de coton. Eh ! prenez mes colosses, mes momies, mes pyramides, mes sphinx, mes crocodiles, et laissez-moi en repos ! Va chercher ton firman. Qu'Allah te garde de la pleurésie et des chacals !
Hummer, en sa qualité d'Allemand, admira la pipe du pacha, mais il plaignit son ignorance. Muni du firman, il secoua la poussière de ses pieds et s'élança dans le désert.
Il remonta le Nil jusqu'à la première cataracte, et gagna une ophtalmie en route. Un Arabe l'opéra, lui rendit la clarté des cieux. Hummer quitta le caïque, et prit un chameau et un guide pour aller examiner la fameuse cataracte du Nil.
- J'ai beaucoup parlé, dit-il, des cataractes dans mon histoire d'Hérodote ; et tout ce que j'ai dit doit être vrai, comme le reste, excepté le Labyrinthe pourtant. J'ai le Labyrinthe sur le coeur, à moins que ce ne soit encore une allégorie qui fasse allusion aux cents détours du désert inextricable, où le simoun, monstre plus terrible que le Minotaure, dévore les voyageurs égarés. Je suis prêt à me ranger à cet avis. Le Labyrinthe est une allégorie, comme les roses d'Arsinoë. Quant à mon chapitre des cataractes, je me crois sur parole. Le Nil n'est pas un être allégorique : il descend des montagnes de la Lune ; il rencontre, chemin faisant, des précipices ; alors il tombe en cataracte comme le lac Érié et le lac Ontario, qui forment en collaboration la trombe du Niagara. J'ai dit, et j'ai même affirmé, sur mon honneur d'historien, que les cataractes du Nil font un tel fracas, qu'elles rendent sourds les malheureux habitants du voisinage ; j'ai même élevé des plaintes touchantes sur ces habitants, frappés d'une surdité endémique : «O infortunés Africains», me suis-je écrié, «que n'abandonnez-vous ces ruines inhospitalières, où le tonnerre éternel des cataractes du Nil prive d'un sens précieux vos enfants à l'aurore de leur vie ? Que n'habitez-vous ces oasis tranquilles que le Nil caresse et couronne de son onde apaisée ?»
«En arrivant au village des sourds, je ferai afficher ces paroles, en forme de proclamation, sur le tronc d'un palmier.
«Cicéron, dit-il en pousuivant son monologue, Cicéron a consacré une belle page du Songe de Scipion aux mêmes malheureux habitants du village des cataractes. Dans le dialogue qui s'est établi entre Scipion l'Africain et son neveu, l'inventeur des clepsydres, le premier dit, en parlant des étoiles, qu'elles font un tel bruit en roulant sur leur axe, que les habitants de la terre sont tous sourds à leur insu ; et, à ce propos, Scipion, qui connaissait l'Afrique, puisqu'il était Africain, cite ses compatriotes du Nil, affectés de surdité à cause des cataractes... Si je ne fais erreur, je crois les entendre d'ici.
Hummer aperçut à l'extrémité de l'horizon une touffe de palmiers isolés dans le désert. C'était la petite oasis de la première cataracte. Il crut devoir prendre ses précautions contre la surdité, et se boucha les oreilles avec de la cire, comme Ulysse à l'approche des Sirènes. Désormais à l'abri du fléau, il fit doubler le pas de son chameau, et défia les tonnerres du Nil.
A mesure qu'il avançait, il cherchait dans les nues le sommet de la montagne, d'où le Nil se précipitait dans les oreilles des habitants. Le désert et la rive étaient unis comme la mer calme. Le fleuve coulait sur une surface légèrement inclinée et semée de petites roches mousseuses ; le murmure de cette eau contrariée était délicieux à entendre dans le silence du désert.
Hummer regardait couler l'eau ; puis il se dit : «Quel horrible fracas le Nil doit jeter à l'écho de cette rive ! Aussi ne suis-je pas étonné que tout le village ait enfin suivi mon conseil et se soit expatrié... La cataracte ne tombe pas de très haut pourtant... Passons à la seconde. La seconde doit être le pendant du Niagara».
Le savant et son guide se couchèrent dans les cabanes abandonnées, après un léger repas composé de dattes et d'eau du Nil. Hummer ne put dormir à cause du fracas qu'il entendait à travers la cire. A l'aube, il était déjà debout, l'infatigable commentateur !
Comme il cheminait dans la direction de la seconde cataracte, il se témoigna le regret de n'avoir pas fait une incursion dans les ruines de Thèbes, que les barbares nomment Karnak.
- Des deux colosses de Memnon, disait-il, il n'en reste plus qu'un debout, c'est-à-dire assis. Ces colosses, comme je l'ai prouvé, sont des monuments élevés à la gloire des deux Osimandias, qui ont gouverné Thèbes aux cent portes dix-neuf cent quarante-trois ans avant la naissance du Christ, et trois mille sept cent quatre-vingts ans avant ma naissance. Osimandias le fils est tombé la face contre terre, comme l'idole Dagon ; Osimandias le père a résisté. J'ai oublié de lui faire une petite visite, mais je la ferai. C'est le colosse connu dans le monde sous le nom de Memnon. Au lever du soleil, il rendait un son harmonieux, comme le soupir d'une lyre. Hérodote a entendu ce son harmonieux ; Dioclétien l'a entendu ; Adrien l'a entendu ; nous l'avons tous entendu. Dioclétien, allant rejoindre son armée campée à la troisième cataracte, mais à bonne distance à cause du fracas, Dioclétien, me dis-je, s'arrêta devant le colosse et passa la nuit à ses pieds pour attendre l'aurore. Cet illustre empereur fut très agréablement surpris d'entendre, vers les quatre heures du matin, une mélodie délicieuse qui sortait incontestablement des lèvres de granit rose du colosse Memnon ; et, pour témoigner sa satisfaction à Osimandias, il prit son stylet, et écrivit sur le piédestal ces mots : «Moi, Dioclétien, fils de Dioclès, j'ai entendu le chant de Memnon». Et il signa. Le préfet Mutius, chef de la dixième légion, a donné un certificat pareil. Adrien, lorsqu'il bâtissait Antinoë, se rendait souvent à Thèbes, et trouvait toujours un nouveau plaisir à entendre le chant matinal de Memnon. Son favori, le bel Antinoüs, savait la mesure par coeur, et la chantait à table lorsqu'on l'en priait. Voilà bien des raisons pour moi de m'arrêter au moins une aurore devant l'harmonieux Osimandias, et d'ajouter ma signature à celle d'Hérodote, afin qu'il n'y ait pas de lacune dans les oeuvres de l'antiquité.
Après ce monologue, il adressa la parole à son guide : c'était un jeune Arabe de vingt-cinq ans, au regard plein d'intelligence et de feu ; il passait pour un guide fort instruit.
- Connais-tu, mon ami, lui dit-il, les colosses d'Osimandias ?
- Non, maître ; mais je connais tous les autres.
- As-tu entendu parler des colosses de Memnon ?
- Non, maître ; mais j'ai entendu parler de tous les autres.
- Connais-tu la ville de Thèbes ?
- Non, maître.
- Voyez comme l'ignorance désole ce malheureux pays ! Mais connais-tu Karnak ?
- Ah ! Karnak, oui. Il y a des collines, des ruines ; j'y ai tué des poules d'eau.
- As-tu entendu parler d'une statue de pierre qui salue le soleil en chantant ?
- Oui.
- Ah ! nous y voilà ! Où est cette statue ?
- Au fleuve jaune, dans le royaume du grand Brededin-Assem, qui a des montagnes d'or.
- Va te promener, dit le savant ; il vaut mieux causer avec des sphinx qu'avec ces fous orientaux.
En causant ainsi, ils arrivèrent à la seconde cataracte, qui coulait tranquillement comme la première ; deux crocodiles dormaient sur un lit de mousse, entre les deux principaux courants de la cataracte.
- Ces animaux sont sourds, dit Hummer ; mais passons outre, de peur de les réveiller.
La troisième cataracte ressemblait aux deux autres, et n'offrit au voyageur d'autre incident nouveau qu'une gracieuse famille d'ibis endormis, le bec sous l'aile, sur un petit rocher vert qui divisait les eaux. Hummer rendit la liberté à ses oreilles, et s'embarqua sur un caïque pour Dongola.
Il disait, en voguant sur le fleuve :
- Mon expédition aux trois cataractes sera d'un grand secours pour la science. D'abord, j'ai constaté l'existence des cataractes ; point essentiel. Ensuite, j'ai reconnu que le conseil que nous avions donné aux habitants avait été rigoureusement suivi, puisque je n'ai recontré que des ibis et des crocodiles sourds. On pourrait seulement élever des objections contre la hauteur des cataractes, mais elles ne seraient pas sérieuses. Les chutes ont deux mille toises de hauteur, quoiqu'elles paraissent horizontales à l'observateur superficiel. En physique et en hydrologie, on calcule la hauteur des chutes d'eau d'après l'élévation des montagnes où elles ont leur réservoir. Or, les montagnes de la Lune étant le berceau des cataractes, ces cataractes ont deux mille toises de chute. Niagara est un nain. Tout ce que nous avons écrit sur ce chapitre, et tout ce que Scipion l'Africain en a rêvé, se trouve conforme à la vérité. Maintenant il me reste à faire une dernière observation, la plus importante. Je veux visiter la presqu'île de Meroë.
En arrivant à Dongola, Hummer était d'une belle maigreur scientifique, et son guide, qui était son médecin, lui conseilla de prendre un peu de repos et de boire du lait de chamelle.
- Prendre du repos ! s'écria l'héroïque Hummer, quand Meroë me tend les bras de sa presqu'île, quand je vois à l'horizon le berceau de ces illustres gymnosophistes qu'Hérodote admirait tant ! A chameau tout de suite, et à Meroë ! Où est Méroë ?
Le guide répéta Méroë en regardant le sable et le ciel.
- Comment ! dit Hummer indigné, tu te donnes pour guide et tu ne sais pas me conduire à Méroë, le berceau des Gymnosophistes, où Hérodote a vécu trois ans !
Le guide resta muet.
- Eh bien ! marchons toujours... Comment appelles-tu ce désert ?
- Le Sennaar.
- C'est le Sennaar, cela ? En avant, Méroë n'est pas loin.
- Vous voulez traverser le Sennaar, maître ?
- Et pourquoi pas ? Est-ce que je suis le premier ? Cambyse l'a bien traversé à la tête de quatre cent trente-deux mille hommes d'infanterie et de vingt-sept mille chevaux, comme je l'ai dit. Il est vrai que tout cela fut asphyxié là-bas, de ce côté, dans un vallon qui mène en Éthiopie ; mais je n'ai rien à faire dans ce vallon, moi ; il me suffit de savoir qu'il existe...
- Il n'existe pas, maître.
- Ce vallon n'existe pas ?
- Non, maître.
- Ah ! tu veux mieux le savoir qu'Hérodote ! Cambyse n'a pas été étouffé dans un vallon qui lie la Nubie à l'Éthiopie ?
- Maître, il est possible que Cambyse ait été étouffé...
- Comment ! Cambyse n'a pas été étouffé...
- Il l'a été si vous voulez, mais ce n'est pas dans ce vallon.
- On a trouvé des ossements de Perses dans le sable ; c'est un fait.
- On trouve des ossements partout dans le désert.
- Mais de Perses ?...
- De Perses, de girafes, d'autruches, de chacals...
- C'est bon, mon ami, c'est bon ; veux-tu m'accompagner, oui ou non ?
- Non, maître.
- J'irai seul à Méroë ; je connais le pays mieux que toi. Adieu.
Hummer prit ses instruments de mathématiques et reconnut qu'il était arrivé au dix-neuvième degré de latitude nord et au quarante-huitième de longitude, méridien de l'île de Fer. Voyageant la nuit sur les étoiles, dormant le jour, comptant sur l'hospitalité proverbiale des Arabes, il traversa seul le désert de Sennaar et retrouva le Nil.
- Bien ! dit Hummer, voilà mon fleuve, et je tiens Méroë. Le Nil, après avoir reçu le Tacazzé, se replie sur lui-même et forme la presqu'île de Méroë. J'aperçois une caravane qui va probablement à Méroë ; il faut questionner le chef... «Que la lumière du prophète soit avec vous et guide vos frères dans le désert !» dit Hummer en s'approchant du chef de la caravane.
C'était un vieillard tout habillé de blanc, la barbe et les cheveux compris.
- Mon fils est égaré dans ces solitudes par le mauvais esprit du désert ?
- Je cherche Méroë, berceau des gymnosophistes et le paradis terrestre de la Nubie. Pouvez-vous étendre votre main vers Méroë pour me guider ?
- Depuis soixante ans, mon fils, je traverse le Sennaar, et je n'ai jamais entendu parler de Méroë. L'an dernier, j'ai vendu une Abyssinienne de ce nom à notre seigneur Ibrahim-Bey.
- Croyez-vous, mon père, que le Nil se replie sur lui-même de ce côté ?
- Il est possible qu'il se replie là-bas, vers le levant. Ce n'est pas le chemin des caravanes.
- Mon père, que le prophète vous garde des embûches du crocodile et vous donne de l'eau fraîche au milieu du jour !
Hummer tourna le dos à la caravane en disant :
- Mais a-t-on jamais vu de pareils idiots ! En arrivant à Munich, je ferai une note fulminante contre ce peuple stupide qui ne connaît pas son pays. Ombre d'Hérodote, guide mon chameau !
Plein de confiance en cette invocation, il résolut de côtoyer le Nil jusqu'au Tacazzé. L'eau et les dattes fraîches ne lui manquaient pas, cela lui suffisait. Tous les matins, à l'aube, il jetait un rapide coup d'oeil sur le désert, et suivait du regard le Nil éternel qui descendait des abîmes de l'horizon en exhalant une brume grise. Sur les deux rives, le désert blanc se déroulait à perte de vue, laissant à découvert par intervalles quelques buissons de nopals ou un bouquet de palmiers stériles et agonisants. Le soleil ne se laissait entrevoir qu'à travers une atmosphère massive de sable volant, dont chaque grain était une étincelle ; on ne sentait, on ne voyait, on n'aspirait que du feu.
Hummer, pour rafraîchir sa tête brûlante, avait recours à ses monologues scientifiques, et il se disait :
«La terre doit avoir subi un cataclysme depuis Hérodote, et ce climat est bien changé à coup sûr ; car il est prouvé que nous avons vu ici deux mille cités, deux mille, ni plus ni moins : Hérodote les a vues, et moi aussi, par conséquent. L'Égypte était alors, comme l'a dit Hérodote, une longue rue traversée par un ruisseau. La rue, c'étaient les deux mille villes ; le ruisseau, c'était ce Nil. Certainement, il en reste bien encore, de ces villes ; sept ou huit, et en ruines ; mais les autres, que sont-elles devenues ? C'est ici qu'un commentaire est indispensable, et pourtant un écolier le ferait. Ce qu'elles sont devenues, ces villes ? O voyageur frivole, oses-tu le demander ? Les voilà, les voilà, partout, devant toi, à tes côtés, sous tes pieds, dans tes sandales, dans tes cheveux, à tes paupières ! Ces villes étaient poussière, comme nous ; elles sont redevenues poussière : le temps les a pilées comme des grains d'orge dans un mortier. Voyez donc combien il faut de villes pour faire un désert de sable ! deux mille. O Hérodote, ta plume ne fut jamais que le conducteur de la vérité !
Hummer promena ses regards mélancoliques sur tant de villes changées en sable ; et il contemplait dans le vide les temples, les pyramides, les pylônes, les galeries qui se dressaient des deux côtés du fleuve et faisant au fleuve une bordure monumentale de granit. Ce beau spectacle ravissait Hummer ; il bondissait de joie sur son chameau. Cependant la chaleur était élevée à son maximum homicide ; le Nil fumait comme une source thermale, le sable rayonnait d'embrasement, comme le miroir d'Archimède ; les ibis se rôtissaient au vol ; la cervelle d'Hummer était en ébullition dans le crâne. Un zéphire incendiaire étreignait le voyageur ; on aurait dit que le soleil roulait en fusion dans l'espace, ou que des laves aériennes descendaient d'un volcan du ciel.
- Qu'il est doux, disait le savant, qu'il est doux de respirer à l'ombre de ces sycomores qui s'élevaient jadis, comme des panaches, sur les temples de cette cité ! Salut, Crocodilopolis, ville superbe, où le saint reptile était adoré ! tu n'as de rivale, parmi tes deux mille soeurs, que la cité d'Hermès, Hermopolis, parce que la divine Hermopolis a le plus beau des portiques, un portique dont le plafond est azuré comme le ciel et étoilé d'or comme la nuit. Les barbares te nomment Achmounaïn aujourd'hui, ô ville d'Hermès ! et toi, Crocodilopolis, ils te ne nomment pas ; ils disent que le Nil a rongé la dernière de tes assises ! Oh ! le fleuve sacré ne dévore pas ses filles ! il les abreuve, il les caresse, il emplit leurs mille cuves de porphyre, afin qu'elles baignent leurs beaux corps, polis comme l'ébène ou le sein de la vierge de Méroë !
«Qu'elles étaient puissantes, les mains du peuple qui arracha ces deux mille cités aux carrières de la chaîne libyque, et les sema ainsi, gracieuses et fortes, depuis Gondar jusqu'à Memphis ! Je ne me lasse pas d'admirer cette succession infinie de temples si profondément enracinés ; ces pylônes évasés sur leur base ; ces obélisques prodigués comme des aiguilles de femme sur la mosaïque du gynécée ; ces colosses, montagnes sculptées sur place ; ces galeries qui courent le long du Nil, comme des allées de palmiers où se promènent les vierges d'Isis et d'Osiris ; ces pyramides qui présentent une face au soleil et donnent une ombre triple aux pèlerins des caravanes ; ces palais où conversent les rois et les sages ; ces hôtelleries où s'arrêtent les mages de l'Orient ; ces caravansérails épanouis aux portes des villes pour donner la joie de l'hospitalité à l'indigent voyageur ! Qui pourra dénombrer tant de merveilles ? Quel oeil assez patient pourra lire toute cette histoire symbolique écrite, dans un alphabet mystérieux, sur des pages de granit : arabesque inépuisable, toujours scellée du scarabée d'azur, cette image de l'Être invisible qui tient le monde dans ses doigts ? Comptez ces hiéroglyphes : vous compteriez plutôt les atomes de sable qui font ce désert, ou les gouttes d'eau que le Nil tient en réserve dans les monts abyssins.
Hummer resta muet dans l'extase de la contemplation. Ses yeux ne pouvaient se détacher de ce magnifique spectacle du néant égyptien. Il était alors par le cinquième degré de latitude nord et le cinquante-cinquième de longitude.
- Oh ! s'écria-t-il, je respire ! Méroë ! Le Nil fuit vers le levant ! A moi, Méroë !
Cette région nouvelle était effrayante de solitude ; on croit traverser, avant tous les voyageurs, une de ces zones de l'Afrique intérieure, où jamais les pas d'un homme ne furent empreints. Méroë n'a point de route indiquée par les bornes ; il faut s'y rendre d'instinct ; c'est une perle qu'on cherche dans le sable et l'immensité : un Allemand seul pouvait la découvrir.
A cinq heures du soir, le savant se trouvait en plein sable, comme on se trouve en pleine mer ; un horizon d'un cercle parfait s'étendait autour de lui ; et partout, à ces distances infinies où le désert se fond avec l'azur foncé du ciel, il apercevait, vers le couchant, les bornes noires qui marquent aux caravanes la route de l'Abyssinie. Cette solitude était attristée de ce silence inouï qui ne règne que dans le voisinage des nues, et qui frappe tant les voyageurs d'un aérostat. Hummer reconnaissait à tous ces indices l'approche de Méroë ; son chameau donnait des signes de joie, comme s'il eût deviné le terme du voyage.
A mesure que le soleil descendait dans les nuages rouges et crevassés de l'horizon du couchant, tout le ciel se dégageait, à l'orient, des vapeurs de la journée ; l'atmosphère reprenait sa transparence, et permettait au regard de distinguer les objets dans un lointain resplendissant d'une pureté sereine. Hummer était comme le voyageur qui succombe à la faim et cherche dans l'air le clocher providentiel qui lui promet une hôtellerie : à force d'interroger l'horizon, il aperçut une pointe sombre qui surgissait des monticules de sable. Ce n'était pas une illusion.
La pointe se fit pyramide ; Hummer descendit dans une vallée, et, en remontant sur la dune opposée, il distingua un amoncellement de pyramides qui se détachaient comme sur un champ de neige. Le chameau aspira l'air avec une violente agitation de narines, et courut de toute la vitesse d'un cheval arabe. Hummer pleurait de joie ; il assistait à la création d'un monde, comme Adam ; l'antiquité se révélait à lui dans des solitudes inabordables et inconnues. Méroë, cette noble fille d'Isis et d'Osiris, abandonnée comme Ariane, avait retrouvé un adorateur.
- Que de siècles se sont écoulés, disait Hummer, depuis qu'elle se livre ainsi seule aux caresses du soleil ! Personne, avant moi, n'a osé soulever ce linceul funèbre qui la couvre, le linceul du désert !
Et le voyageur se penchait comme un amant sur l'image adorée, et il jetait à l'air le nom de la ville sainte. Le cri expirait sans écho dans la plaine immense ; on n'entendait que le grand Nil qui parlait au désert.
- Quarante pyramides ! s'écria Hummer.
Et il se précipita de son chameau sur le sable. Il baisa ce sable auguste ; il contempla, dans le ravissement, les premières traces de ses pieds, qui ouvraient enfin un sillon dans cet océan de poussière. Il s'arrêtait pour prêter l'oreille à un applaudissement d'êtres invisibles, témoins surnaturels de son héroïque courage ; quelquefois il croyait entrevoir l'ombre d'Hérodote assise et drapée d'un linceul, au pied d'une pyramide : c'était un vieux palmier sans feuilles, que le dernier simoun avait blanchi de sable ; de pâles sycomores, inclinés et relevés par le vent, lui apparaissaient comme un groupe de gymnosophistes excités par la discussion et cherchant entre eux la sagesse.
Hummer s'arrêta devant ces quarante tombes gigantesques, bâties en quinconce et assez bien conservées. Autour d'elles, le sol était jonché de ruines amoncelées comme à Thèbes. Le voyageur cherchait comme à Thèbes. Le voyageur cherchait une place pour s'asseoir et contempler à l'aise ces merveilles, lorsqu'en doublant l'angle d'une pyramide il aperçut une berline à quatre roues, façon anglaise. Robinson apercevant la trace d'un pied d'homme dans son île fut moins épouvanté que le savant Hummer devant cette berline.D'abord il la considéra longtemps avec des yeux effarés, puis il s'approcha sur la pointe des pieds, et fit lever deux autruches retanchées dans un buisson d'aloès. Hummer reconnut du premier coup que la berline n'était pas antique ; il en fit le tour, et il admira un travail de carrossier bien supérieur au génie industriel des gymnosophistes. Une plaque de cuivre incrustée sous le siège portait cette inscription : MILNE. EDGWARD ROOD, LONDON.
Hummer croisa ses mains et les éleva au-dessus de sa tête comme l'adepte qui va pousser le cri de détresse. Un instant il crut que l'ophtalmie avait une seconde fois éteint ses yeux, et que ce qu'il voyait était le rêve d'un aveugle.
- Une berline anglaise à Méroë ! disait-il ; Milne, London !
Après une longue pause, il prit une détermination :
- Marchons toujours, dit-il ; peut-être trouverai-je les chevaux.
En effet, à vingt pas plus loin, il découvrit deux beaux chevaux noirs qui mangeaient l'avoine dans une cuve antique de basalte : l'avoine était moderne. Les chevaux regardèrent Hummer, et ne furent pas étonnés.
- Est-ce Hérodote qui, touché de ma fatigue, m'envoie ce magnifique présent ? dit-il en levant ses yeux au ciel.
Cette idée lui plut, et il s'amusait à la caresser, lorsqu'une troisième surprise le cloua sur un piédestal de sphinx qu'il allait franchir.
Il avait vu trois Européens, élégamment vêtus, assis à l'est d'une pyramide. Deux de ces messieurs jouaient aux échecs, le troisième lisait un journal pyramidal. Un peu plus loin, deux dames, vêtues de blanc, se promenaient sous leurs ombrelles ; une troisième se tenait mélancoliquement à l'écart et brodait de la tapisserie. Hummer ne put retenir un cri de surprise qui ricocha contre les quarante échos des pyramides. A ce cri, l'Européen qui lisait le journal se leva ; les deux autres restèrent courbés sur l'échiquier.
Hummer, ne pouvant plus garder l'incognito, marcha courageusement à la suite de son cri, et tendit la main à l'étranger, qui s'avançait aussi vers lui en riant.
- Je suis fâché de vous avoir dérangé, dit Hummer en allemand ; excusez-moi de vous avoir troublé dans votre solitude.
On lui répondit, en anglais et en allemand, que cette terre appartenait à tout le monde, et que chacun était libre de s'y promener. Hummer fut présenté aux joueurs d'échecs et aux trois dames, et on l'invita à dîner, ce qu'il accepta de verve.
L'Anglais du journal entama la conversation avec Hummer pour adoucir l'expectative du dîner.
- Vous êtes venu seul ici, monsieur ? dit l'Anglais.
- Seul, avec mon chameau.
- Vous faites un voyage scientifique, sans doute ?
- Oui, monsieur ; je visite ce pays pour mes commentaires sur Hérodote.
- Ah ! j'en retiens un exemplaire ; voici mon adresse : John Mawbrick, Regent Circus à Londres.
- Je vous l'enverrai de Munich, vous pouvez y compter. Est-ce un voyage scientifique aussi que vous faites en famille ?
- Nous, c'est une promenade d'agrément ; voilà déjà huit jours que nous sommes ici.
- A Méroë ?
- Vous appelez cela Méroë ? nous avons nommé ce pays Mawbrick-Town.
- Y a-t-il longtemps que vous avez quitté Londres ?
- Non, cinq ans.
- Vous devez avoir vu bien du pays, en cinq ans !
- Pas trop ; nous arrivons du cap de Bonne-Espérance, où nous avons des vignobles : il faut soigner ses propriétés. Au retour du Cap, en passant par Paris, nous avons adopté une petite promenade en Égypte, pour amuser ces dames, ma femme et mes deux belles-soeurs ; vous voyez les trois frères Mawbrick... De course en course, nous avons poussé jusqu'ici : notre guide nous a promis un simoun à la nouvelle lune, et nous l'attendons ; on ne peut pas quitter l'Égypte sans avoir vu un simoun.
- Vous avez raison. Avez-vous rencontré ici quelques traces de la secte des gymnosophistes ?
- Nous avons trouvé beaucoup de momies : ces pyramides en sont pleines.
- Des momies de gymnosophistes !
- Ah ! elles ne sont pas signées : ce sont des momies anonymes.
- Peut-on les emporter ?
- Vous en êtes le maître. Nous avons avec nous, dans l'autre voiture de là-bas, le fameux pharmacien-chimiste du Strand, Fallon-White, qui fait une provision de ces momies dans ses caissons.
- Pour la galerie nationale de Charing-Cross ?
- Non, pour en faire des remèdes de famille : ces momies mêlées à l'essence de rhubarbe composent un digestif souverain ; c'est reconnu.
- Un digestif avec des momies ! s'écria Hummer en reculant de trois pas ; un digestif avec les cendres des gymnosophistes ! Mais il n'y a donc rien de sacré pour les pharmaciens ?
- Que voulez-vous ? c'est la mode. White est patenté pour sa découverte ; il est déjà venu quatre fois ici ; pour choisir lui-même sa marchandise : ses correspondants le trompaient indignement. On lui expédiait des momies de janissaires fabriquées à Boulaq par un Italien. Un chef de maison doit venir sur les lieux. De Londres à cette pyramide, il y a un peu plus loin que de Regent-Circus à Richmond. Notre globe est très petit. Voulez-vous que nous allions dîner ? Le couvert est mis entre ces deux sphinx.
Hummer apportait au dîner une figure bouleversée par la surprise et l'indignation. Il salua ses convives et s'assit à la place qu'on lui désigna. John Mawbrick lui dit :
- Monsieur Hummer, vous excuserez ces dames ; elles font un peu de toilette, elles étaient en négligé de voyage.
Ce John était le seul Anglais causeur de la compagnie : les voyages l'avaient francisé. Ses deux frères méditaient encore sur le king's-gambit, et avaient déposé chacun deux pions sur leurs assiettes, qu'ils poussaient avec le couteau. Deux domestiques, en grand costume d'anti-chambre, apportaient les plats. Le couvert était mis sur une grande dalle de granit rose, posée aux angles sur quatre sphinx.
- Nous vous donnons un dîner sans façon, monsieur Hummer, dit John Mawbrick ; à la campagne comme à la campagne. Voulez-vous commencer par ces filets de boeuf au madère, ou par ces suprêmes de chevreuil ?
Hummer jeta un regard d'effroi sur ces mets mystérieux, et refusa, malgré son appétit qui lui parlait impérieusement. Il croyait voir des filets de gymnosophistes ; il lui semblait qu'Hérodote lui-même lui était offert en détail, sous le pseudonyme de chevreuil.
- Monsieur, dit-il à l'Anglais, me permettez-vous de vous demander d'où viennent vos provisions ?
- De Chevet, Palais-Royal, à Paris ; ce sont des conserves que nous avons achetées en passant. Cela dispense, en voyage, des embarras de la cuisine. Ah ! voici ces dames !
Les dames étaient en costume de gala. Elles s'assirent sur des pliants, ôtèrent leurs mitaines, en saluant gracieusement les convives, et se servirent du clairet dans de belles coupes de cristal de Bohême.
- Et voici notre chimiste, dit John Mawbrick. Toujours en retard, monsieur White !
Le chimiste demanda de l'eau pour une ablution de mains ; un domestique lui apporta une aiguière d'argent.
- De quels horribles mystères sort-il ? murmura Hummer.
Fallon-White était un Anglais de soixante ans ; sa figure était fraîche, régulière et commune ; il était chauve, comme tous les pharmaciens de Londres.
- Monsieur White, dit John Mawbrick en lui servant du chevreuil, nous avons un nouveau convive, M. Hummer, de Munich, qui nous a fait l'honneur d'une petite visite.
Hummer et M. White se saluèrent.
- Monsieur vient ici par curiosité ? dit White.
- Oui, monsieur, pour la science.
- Il n'y a pas grand'chose à voir, comme vous voyez. Quand vous aurez passé devant ces quarante nids de chauves-souris, vous direz bonsoir à la compagnie. C'est l'affaire de quarante minutes.
- Avez-vous bien travaillé aujourd'hui, White ? demanda Mawbrick.
- J'ai attaqué le second puits ; mais la marchandise y est avariée. Sur quarante-huit sujets que j'ai démaillotés, j'en ai trouvé deux pour le commerce. J'attaquerai demain le troisième puits.
- L'infâme ! dit tout bas Hummer.
- Il faut se dépêcher d'exploiter ces antiquailles, poursuivit le pharmacien ; les confrères arriveront, je ne veux leur laisser que le rebut. Je suis fort content des deux sujets que j'ai dépecés ce matin ; ce devaient être des gens fort distingués de l'époque : ils étaient sous verre et embaumés avec de l'aloès et du bitume première qualité.
- Sous verre ! avez-vous dit, monsieur ? s'écria Hummer.
- Oui, sous verre. Cela vous étonne ? J'en ai trouvé cent comme cela.
- Ce sont des gymnosophistes ! Les gymnosophistes seuls étaient embaumés sous verre. Ce sont des gymnosophistes ! Ah !
- Eh bien, quand ce seraient des tories ?
- Avez-vous trouvé dans les caisses des scarabées ?
- Verts.
- Verts ! c'est cela : le scarabée sacré ! Il n'y en a plus en Égypte ; la seule Méroë a gardé le scarabée. Vous avez donc vu des scarabées verts ?
- J'en ai mangé ce matin.
- Shocking ! s'écria mélodieusement une des dames ; ces messieurs n'auraient donc pu trouver, à table, une autre conversation ?
Cette censure arrêta le dialogue. Le repas devint silencieux. Hummer avait croisé les bras et méditait profondément. Au dessert, on lui rendit sa liberté.
Après avoir donné des soins à son chameau, Hummer explora les ruines de Méroë. La nuit le surprit ; des abîmes du désert, la lune se leva large et rouge, et donna aux ruines une teinte désolée. Le voyageur sentait son coeur se serrer en voyant à chaque pas les traces des sacrilèges violations de la tombe.
- Quelle horreur ! disait-il. Ne dirait-on pas que la sainteté du sépulcre se prescrit après un temps convenu ; que ce qui est sacrilège après un siècle est chose licite après mille ans ? O morale ! tu n'es plus qu'un nom ! L'Élysée des gymnosophistes est aujourd'hui une boutique de pharmaciens ! Sainte et virginale Méroë, te voilà livrée aux ongles des barbares ! Cambyse est vaincu par les Anglais ! Quel commentaire je prépare sur ces profanations !
Il se tut pour écouter des bruits mystérieux qui passaient dans l'air, et crut entendre les ombres des gymnosophistes qui demandaient vengeance et se plaignaient d'entrer comme éléments apéritifs dans la composition pharmaceutique du sedlitz-powder.
John Mawbrick sortit d'une pyramide en robe de chambre de brocart et aborda gaiement Hummer.
- J'ai fait préparer votre appartement, lui dit-il, 39, Pyramide-Street, à l'entre-sol. Je suis votre voisin ; mon domestique a été chercher pour vous un lit de plume à la barque. Prenez-vous du thé ?
Hummer fit un signe négatif plein de nonchalance et de mélancolie. John Mawbrick continua :
- Nous attendons ce soir, par la voie du Nil, la famille Sappleton, qui a passé la belle saison à Dongolah ; une famille charmante ! Elle vient nous faire une petite visite ; nous danserons. Eh ! mon Dieu ! il faut bien tuer le temps.
- Vous danserez à Méroë ! dit Hummer d'une voix consternée.
- Eh ! pourquoi pas ? puisque nous aurons huit dames et un violon, et une belle salle de bal charmante dans la pyramide numéro 7. J'allais en ce moment à la barque pour choisir quelques étoffes de tenture dans notre magasin flottant. Toute notre maison de Regent-Circus marche avec nous, comme vous voyez. Sans adieu.
Hummer prit une résolution énergique.
- Si je restais ici, dit-il en fermant les poings, je me ferais le complice de ces épouvantables profanations ; mon chameau a pris du repos et de la nourriture pour dix jours ; moi, je suis à l'épreuve de tout : partons, fuyons cette Méroë si indignement violée ! Mais ce sont des démons ces Anglais ! Ils s'installent partout comme chez eux ; ils numérotent les pyramides ; ils appellent Méroë Mawbrick-Town ; ils se purgent avec des gymnosophistes ; ils dansent sur des tombes ; ils se moquent d'Hérodote, de Dieu et de moi ! Allons dénoncer ces forfaits à l'Europe, allons !
En traversant Pyramide-Street pour aller à son chameau, Hummer aperçut les deux autres anglais qui faisaient leur toilette de bal devant une glace suspendue au cou d'un sphinx, entre deux girandoles à bougies diaphanes. Les dames prenaient du thé derrière un paravent.
- Oh ! si le ciel de Méroë avait un seul tonnerre dans son arsenal, dit Hummer, je le payerais de ma vie pour le voir tomber sur ces Cambyses à gants blancs !
Cependant, à la faveur des ténèbres, il ramassa quelques débris de chevreuil et des filets de Chevet. Pour rassurer sa conscience, il dit :
- J'imite les Hébreux, in exitu de AEgypto, de populo barbaro : eux prirent les plats, moi les viandes ; Dieu me pardonnera.
Il remonta sur son chameau et s'enfonça dans le désert tout illuminé par la lune, ce doux soleil des voyageurs en Égypte.
Dans sa route faite sur le sable ou sur le Nil, Hummer ferma les yeux sur tout ce qu'il voyait ; une seule et constante pensée l'absorba, le sacrilège de Méroë ! La nuit, il faisait des songes affreux ; il voyait Hérodote pleurant sur un alambic de chimiste, et M. Fallont-White dépeçant un gymnosophiste et suspendant les lambeaux noircis aux étalages de Chevet. Oh ! comme il regretta d'avoir été guéri de son ophtalmie ! «Voilà donc à quoi servent les yeux !» disait-il ; et il affrontait le soleil, comme l'aigle, pour redevenir aveugle ; mais sa paupière se raffermissait.
Ce n'est qu'à son départ d'Alexandrie qu'il commença ses commentaires. En arrivant à Gênes, il en avait écrit deux volumes ; à la douane, la police sarde les lui confisqua parce que certains passages élevaient des doutes sur l'infaillibilité de la Bible.
- Je les écrirai une seconde fois à Munich, dit-il, avec un nouveau commentaire sur la douane de Gênes.
Ce qu'entendant, deux sbires le conduisirent en prison.
Après deux mois de captivité, il lui fut permis de rentrer en Allemagne. Arrivé à Munich, il écrivit ses commentaires, et, l'oeuvre terminée, il proposa successivement son nouveau manuscrit à tous les éditeurs de l'Europe. Il reçut des lettres de tous, qui le félicitaient sur son beau travail, mais qui refusaient de l'imprimer, à cause d'Hérodote, qui se faisait un peu vieux.
Hummer a offert son manuscrit à la bibliothèque de Munich, où chacun peut le consulter ; c'est un ouvrage qui prouve, après cent autres, que l'histoire a été écrite par des fabulistes, et la fable par des historiens.
En 1828, le roi de Bavière demanda une audience particulière à Victor Hummer et l'obtint.
- Monsieur, lui dit le roi, vous savez combien je m'intéresse à l'histoire ancienne, puisque je la continue dans la personne de mon fils, roi de la Grèce et successeur de Léonidas. J'ai appris vos courageuses explorations en Afrique, et je veux les récompenser ; il est temps que votre précieux manuscrit, enfoui dans la bibliothèque de Munich, soit rendu à la lumière par la voie de l'impression. J'achète votre traduction d'Hérodote cinquante mille florins, et je me déclare votre éditeur.
Victor Hummer se jeta aux pieds du roi et frappa le plancher trois fois de son front, à la manière des Perses.
- Croyez, sire, dit-il, que je veux employer au service de la science l'argent que je reçois de vous. Avec cette somme, le monde m'appartient, et je vais traduire Strabon.
- C'est bien, dit le roi avec un laconisme charmant.
Le roi serra la main du savant, et sortit comme un simple particulier.
Victor Hummer trouva dans sa main une lettre de change sur M. Reighanum, à Francfort-sur-le-Mein, banquier fantastique, qui bâtit des châteaux en Espagne pour les Allemands.
Cependant un honnête escompteur de Munich prit la lettre de change à cinquante pour cent d'agio, pour faire honneur à l'endossement du ministre des finances bavarois. Aux yeux d'un savant, rien ne ressemble plus à cinquante mille florins que vingt-cinq mille : c'est la même chose au fond pour qui n'a rien.
Hummer se jeta tête première dans l'in-folio de Strabon ; il se réduisit à l'état de squelette, il devint diaphane, et termina son travail. Le vénérable savant, rongé par les veilles, n'était plus qu'une illusion qui s'évanouissait sur les places publiques de Munich au moindre souffle de l'air ; en se regardant au miroir, il ne voyait rien. Qu'importe l'absence du corps, si l'âme reste ? La science n'arrive qu'à ce prix.
L'âme d'Hummer, vêtue d'une légère redingote de coutil, partit pour explorer les Gaules au printemps de 1828. Elle ne paya que moitié place dans l'intérieur de la diligence ; ils étaient sept voyageurs fort à l'aise, Hummer compris.
Sur la route de Marseille, cette reine des Gaules, Hummer disait :
- Je vais donc voir cette cité antique, fondée six bons siècles avant le Christ, cette cité contemporaine des Tarquins, et que Strabon aimait entre toutes les villes gauloises !
Disant cela, il descendit à l'hôtel de la Croix-de-Malte, sur le Cours.
Le lendemain, à son réveil, il était fort indécis.
- Je ne sais trop par où commencer mes courses, disait-il ; j'ai à choisir entre le temple de Neptune, le temple d'Apollon Delphien, le temple de Diane d'Éphèse, le temple de Junon Lacinienne, le temple de Vénus victrix ; plus le Lacidum, la necropolis Paradisius, le château de Jules César, la maison de Milon, les thermes, la porte Julia et une foule d'autres antiquités, dont quelques-unes modernes, comme la fameuse tour qui soutint un siège, en 1539, contre le connétable de Bourbon, et la belle église gothique de las Accoas, dont parlent Papon et Grosson, ces deux continuateurs de Strabon.
Il appela le garçon d'auberge et lui dit :
- Quel est le temple le plus voisin d'ici ?
- Saint-Martin, répondit le garçon.
- Bien ! dit Hummer ; c'est ici comme à Rome, où le catholicisme a hérité du paganisme.
Comment appelait-on Saint-Martin dans l'antiquité ?
- Je ne sais pas, monsieur. Si vous voulez le voir, suivez la rue et prenez la gauche au bout.
- C'est bien, mon garçon ; tu n'es pas fort.
Hummer s'achemina vers Saint-Martin, et vit une église assez laide, très sombre, très poudreuse, et point antique du tout.
- Mon ami, dit-il au sacristain qui passait, pourriez-vous me donner quelques explications archéologiques sur... ?
Le sacristain lui tourna brusquement le dos. Hummer sortit pour marcher au hasard à la découverte des ruines.
Il vit de magnifiques rues, des quartiers opulents, un peuple pittoresque et animé ; une ville plus grande, plus belle, plus gaie que Munich : mais tout cela ne le toucha nullement ; il avait en horreur le moderne, il cherchait Massilia civitas et non pas la ville de Marseille ; il cherchait des ruines, et il ne voyait que des architectes bâtissant des édifices. L'architecte est l'ennemi né de l'antiquaire ; il démolit la ruine et se sert de l'antique pour faire du neuf.
En traversant une rue aussi large que Sakewil-Street à Dublin, il vit le plan de Marseille sur l'étalage de M. Chardon, libraire, auteur du Guide marseillais.
- Voilà mon affaire, dit-il, entrons.
M. Chardon regarde Marseille comme sa propre fille ; c'est lui qui s'est chargé depuis soixante ans d'être l'historiographe de la fille de Phocée. Il publie, tous les 1er janvier, un précis fort élégant qui constate les progrès de Marseille, et il orne ce travail de statistique sérieuse d'une foule de réflexions morales adressées aux femmes et aux jeunes gens.
- Monsieur, lui dit Hummer, vous avez écrit sur Marseille, si j'en crois votre enseigne ; pourriez-vous avoir la bonté de me désigner les localités les plus remarquables du voyage, et de me vendre votre carte et votre Précis ?
M. Chardon fit hommage de ses oeuvres à Hummer, en l'appelant «mon confrère», et il s'offrit de l'accompagner dans ses explorations. Hummer se confondit en remercîments, et prit son album, soit pour dessiner les ruines imposantes qu'il allait voir, soit pour prendre des notes au crayon.
- Commençons par le plus près, dit M. Chardon. Voici la rue Saint-Ferréol ; comment trouvez-vous cette rue ?...
- Fort belle rue, dit Hummer, droite comme un I.
- Comment trouvez-vous cette place avec ses marronniers ?
- Fort belle place ; mais je n'aime pas les marronniers.
- Croiriez-vous, monsieur, qu'il y avait ici une église superbe ?
- Une église antique, une basilica ; est-il possible, monsieur ?
- Il n'en reste pas une pierre, comme vous voyez.
- C'est juste ; il y a des marronniers. C'est fort curieux, cela. Diable ! on ne détuit pas mal chez vous. Passons à une autre curiosité.
- Je vais vous montrer maintenant la necropolis Paradisius ; j'en ai parlé dans mon ouvrage.
- Et moi dans Strabon. Permettez que je prépare une feuille de papier pour prendre une vue de ce fameux Paradisius.
- Le voilà, dit M. Chardon. Le cimetière n'existe plus ; mais il pourrait exister, si l'on n'eût pas bâti cette rue que vous voyez, et qu'on appelle avec raison rue Paradis.
- C'est très bien ! passons à une autre merveille ; voilà un cimetière parfaitement enterré.
- Ce chemin que vous voyez conduit à la fameuse montagne immortalisée par Lucain...
- Quoi ! s'écria Hummer, c'est le chemin de la Silva Sacra ?
cette forêt où les druides faisaient des sacrifices humains ; cette forêt où Trebonius, le lieutenant de César, coupait des chênes énormes, robur, pour les galères de sa flotte ; cette forêt qui couvrait de son ombre le temple de marbre de Neptune Sidonien ! Oh ! courons !
- La forêt existerait encore, si les humains et le temps ne l'eussent pas détruite...
- Elle est détruite, la Sacra Silva ! il n'en reste rien ?...
- Pas un arbre ! mais vous pourrez voir d'ici la montagne dépouillée où s'éleva cette forêt sainte...
- Allons toujours voir les ruines du temple de Neptune Sidonien...
- Le temple a suivi la forêt. Nous pouvons passer à d'autres antiquités, si vous voulez bien.
- Quoi ! ce beau temple lui aussi tombé en ruines ! ses ruines en poussières ! sa poussière au néant ! Courons me consoler ailleurs.
M. Chardon était consterné de la désolation de Victor Hummer ; il marchait devant lui dans la direction de la vieille ville, et semblait lui dire par ses gestes : «Attendez, je vais essayer de vous montrer quelque chose ; ne vous désespérez pas».
A l'heure où ils traversaient les quais du port, la ville était rayonnante ; le monde entier y avait envoyé ses représentants : l'Amérique, l'Afrique, l'Asie, l'Océanie, se promenaient sous les tentes jetées, comme des ponts chinois, des croisées des maisons aux antennes des navires. Tous les dialectes de la terre se croisaient dans cette Babel navale ; c'était une mosaïque ambulante de tous les costumes connus et inconnus, de tous les visages que le soleil nuance entre les tropiques, depuis l'ébène jusqu'au bronze. L'air n'avait pas assez d'échos pour répondre à tant de voix, à tant de cris, à tant de chants ; l'eau du port avait disparu sous les navires ; la forêt sacrée, dépouillée de ses feuilles, semblait être descendue de la montagne voisine pour donner ses mâts innombrables à toutes les flottes de l'univers.
Hummer ne daigna pas jeter un seul regard à ce tableau extraordinaire ; il eût donné tout Strabon pour voir devant lui, au lieu de ce port si animé, le tranquille Lacidum, désert et silencieux, et deux trirèmes de Trebonius à l'ancre, arrivées d'Ostie le matin.
M. Chardon conduisit le savant étranger à la rue des Grands-Carmes, et le fit arrêter devant la maison n° 55. C'était une maison recrépie à neuf, et dont la façade reluisait d'une ocre vive, comme la salle d'un cabaret de village.
- Voilà, dit M. Chardon, la maison de Milon.
- Milon le Crotoniate ? demanda Hummer.
- Milon, l'assassin de Clodius.
- Permettez, monsieur Chardon : je regarde Milon comme un homme plus malheureux que coupable ; Milon a tué Clodius, le fait est vrai ; mais Milon ne peut être appelé assassin. Vous savez très bien que Milon était accompagné de sa famille, et qu'il était drapé de son manteau, penulatus, comme dit Cicéron, lorsqu'il eut le malheur de trouver Clodius sous son épée. Or, si Milon eût prémédité son action, il aurait laissé à Rome sa femme et son manteau, choses fort embarrassantes pour commettre un assassinat. M. de Voltaire est tombé dans la même erreur que vous, dans sa traduction d'un passage d'Homère, lorsqu'il dit en parlant d'Achille :
Achille s'était battu loyalement avec Hector, ce n'était pas un meurtrier. Ces mots, meurtrier et assassin, emportent toujours avec eux quelque chose d'infamant.
M. Chardon s'excusa d'avoir outragé la mémoire de Milon.
- Vous dites donc, poursuivit Hummer, que cette maison a appartenu à Milon ?
- Oui, monsieur, n° 55.
- Il paraît qu'on a commis le sacrilège de la restaurer à neuf.
- Non, monsieur, on l'a rebâtie : l'autre tombait en ruine.
- On l'a rebâtie avec les ruines de la maison antique !
- Non, avec les ruines d'une maison moderne qui avait cent ans. Tous les cent ans on rebâtit la maison de Milon : il y en a eu vingt comme cela depuis le vainqueur de Clodius. On n'a pu trouver que ce moyen de conserver cette précieuse antiquité.
- Plaisantez-vous, monsieur Chardon ? dit Hummer pâle et indigné.
- Oh ! je plaisante rarement : je suis libraire.
- Vous êtes libraire, et vous ne frémissez pas sur le seuil de cette maison ! et vous ne lui donnez pas un coup de marteau, comme on fait sur le vase sacré profané dans le tabernacle ! Venez, monsieur, entraînez-moi à d'autres antiquités.
- Justement, nous sommes ici sur le boulevard des Dames, et...
- Le boulevard illustré par les Marseillais au siège du connétable de Bourbon ? Oh ! c'est beau comme l'antique ! Je ne connais dans l'histoire qu'un trait de ce genre, c'est à Carthage. Hélas ! les remparts de Carthage ont disparu avec les héroïques Carthaginoises qui les avaient défendus ! Du moins, ici, le rempart est resté comme un monument de vertu. Voyons ce boulevard.
- Voilà ce boulevard ; il est là devant vous.
- Il me semble que je ne vois rien.
- Il n'y a rien du tout, en effet ; mais voilà le terrain où vous auriez vu ce rempart, s'il n'eût pas été démoli.
- Mais vous avez eu des aïeux bien démolisseurs, monsieur Chardon !
- Ah ! le Sarrasin et la faux du Temps !
- Bah ! le Sarrasin et la faux du Temps, voilà d'étranges excuses ! Le Sarrasin a bon dos, et le Temps aussi. Les hommes ont la rage de détruire, et puis ils mettent tout sur le compte des Sarrasins et du Temps ! Le Temps ! mais savez-vous bien que le Temps, tout rongeur qu'on le dit, ne mangerait pas une écaille de colonne en mille ans, s'il n'avait pas l'homme pour collaborateur ?
- Que voulez-vous ? dit M. Chardon tout tremblant ; je suis désolé de ne pouvoir vous montrer ce boulevard, d'autant plus qu'une de mes aïeules, Mme Vivaux, fut nommée sergent-major sur la brèche, le quarantième jour du siège. Je vous montrerai son portrait.
- Montrez-moi, je vous prie, les deux célèbres temples dont j'ai parlé dans Strabon, le temple d'Éphèse et le temple d'Apollon Delphien. Vous savez que j'ai dit que ces deux temples magnifiques étaient dans l'enceinte de la citadelle. Montrez-moi la citadelle.
- Voilà la citadelle bâtie par...
- Protys.
- Non, par Louis XIV. Elle ne renferme que deux pièces de canon enclouées et un mortier muet.
- Et mes deux temples ?
- Vos deux temples n'existent plus.
- Oh ! cela ne peut se passer ainsi ; il me faut au moins quelques ruines, quelques tronçons, quelques pierres ! Comment ! j'ai vu en Égypte les ruines du temple d'Hermès, que les barbares nomment Achmounaïn, et qui florissait deux mille cinq cents ans avant le Christ, et je ne trouverai pas une pierre de mon Ephesium et de mon Apollo Delphicus ! Mais je dénoncerai vos aïeux à l'Europe, je composerai sur eux un Misogallo, comme Alfieri. Monsieur Chardon, songez-y bien.
- Je suis au désespoir, croyez-le bien, monsieur. Tout ce que je puis vous montrer de cette place, c'est le château de Jules César ; nous sommes ici à la Joliette.
Ah ! voyons toujours cela...
- Le château de César était bâti là, devant vous...
- Eh bien, après ?
- Après ?... Je vous prie de m'excuser, monsieur, c'est encore un trésor perdu...
- Oh ! monsieur Chardon, si je ne me retenais, si je n'étouffais pas le dieu qui gronde dans mon sein...
- Nous avons un temple de Diane là-bas, dit rapidement M. Chardon, toujours plus effrayé de la colère du savant, et voulant faire diversion.
- Un temple de Diane ! où ? s'écria Hummer.
- Venez, monsieur, venez... Vous voyez bien cette église ?
- Oui, elle est fort laide.
- C'est l'église Majeure, la Major. Il y a des savants qui disent que c'est le temple de Diane.
- Ces savants n'y entendent rien : Diane n'a jamais passé par là.
- Voilà ce que je leur ai dit ; mais d'autres savants ont fixé l'emplacement du temple de Diane, là, de ce côté... suivez mon doigt...
- Dans la mer ?
- Oui, dans la mer. La mer a rongé les terres et a renversé ce beau temple ; mais on peut le voir encore.
- On peut le voir.
- On peut le voir, disent les mêmes savants, lorsque la mer est calme, au fond de l'eau.
- Et que voit-on ?
- On voit des pierres couvertes d'algue et de mousse marine, qui ont appartenu sans doute à quelque monument. On ne distingue pas très bien les pierres, mais l'algue et la mousse se laissent distinguer parfaitement... D'autres savants affirment aussi que cette même mer baignait le temple de Vénus Pyréna...
- Où prennent-ils le temple de Vénus Pyréna ?
- Suivez de l'oeil cette chaîne de montagnes, à notre droite ; elle se termine par un cap : c'est le cap Creus...
- Le cap Creus ! et le temple de Vénus Pyréna ! O Strabon ! Prenez mon premier volume manuscrit, et vous verrez que le temple de Vénus Pyréna s'élevait sur les montagnes qui séparent les Gaules de l'Ibérie. J'ai dans mon cabinet deux cartes antiques gravées avant l'invention des cartes et de la gravure. L'une est nommée carte Théodosienne ; l'autre, carte d'Ératosthène. Le système géographique d'Érathostène florissait du temps de Strabon : c'est lui qui a déterminé le véritable emplacement du temple de Vénus Pyréna. Vos savants, qui le placent au bout de ces montagnes, sont des ignorants.
M. Chardon était consterné ; il croisa nonchalamment les bras et regarda la mer, comme un homme qui est à bout de son érudition et qui n'a plus rien à dire ni à montrer.
- Voilà donc tout ce que vous n'avez pas dans votre cité antique ? dit Hummer.
- Voilà tout, dit M. Chardon d'une voix émue.
- C'est-à-dire que vous vous résignez à ne rien avoir du tout.
- Eh ! monsieur, que voulez-vous faire ?
- Une ville qui a eu l'honneur de voir des Tarquins, et qui n'a pas une pierre grosse comme le poing à me montrer ! Munich ne croira jamais cela. Voyons, il faut nous rabattre sur les antiquités modernes ; veuillez bien me montrer cette fameuse tour de Sainte-Paule, qui foudroyait avec sa couleuvrine le camp des Espagnols.
M. Chardon baissa les yeux.
- Elle est détruite aussi, celle-là ? s'écria Hummer.
M. Chardon fit un signe mélancolique d'affirmation.
- Détruite ! et pourquoi ?
- Parce qu'elle était trop vieille et qu'elle gênait l'alignement.
- Je ne reste pas un quart d'heure de plus ici ; je vous remercie, monsieur ; je pars à l'instant pour Arles, et je secoue la poussière moderne de mes souliers. Adieu.
Une heure après, Hummer roulait en poste sur la route d'Arles.
Il traversa, le soir, le Rhône sur le pont de fer ; et, bien sûr de n'être pas éloigné d'Ugernum, il demanda Ugernum à tous les cavaliers du 17e chasseurs qui se promenaient sous les arbres de la rive. Personne dans l'armée et dans le civil ne connaissait Ugernum.
- C'est singulier comme les villes s'égarent dans ce pays ! disait Hummer. Allons visiter le désert de la Creus ou la Crau ; nous verrons si ce désert ne s'est pas égaré, lui aussi, dans le désert.
Le même soir, à la veillée de l'hôte, à l'auberge de Beaucaire, il apprit par hasard, de la bouche du curé, que Beaucaire était l'Ugernum de Strabon.
- Y a-t-il quelques antiquités ? demanda Hummer.
- Il n'y a que les ruines du château des seigneurs de Beaucaire, répondit le curé ; cela ne vaut pas un coup d'oeil.
A l'aube, il entrait à cheval dans la Crau.
- Voilà qui me rappelle mon Égypte, disait-il en recommençant ses monologues de voyageur isolé ; c'est le désert, c'est le véritable désert, avec cette petite différence qu'en Égypte il y a des grains de sable et ici de gros cailloux. Voyons, qu'ai-je dit avec Strabon en parlant de cette Crau ? J'ai dit que ce désert était à cent stades de la mer ; que son étendue était circulaire et qu'il avait cent stades de diamètre, ce qui lui en donne le triple de circuit. Il faut croire Strabon sur parole pour ces mesures : il marchait toujours le compas à la main.
«Posidonius croit que cette Crau était un lac autrefois ; je le crois aussi ; j'ajouterai même que ce lac était d'eau salée et qu'il était alimenté par la mer, ou, en d'autres termes, que la mer couvrait toute cette étendue de cailloux, et qu'elle s'est retirée depuis. Avec mon avis et celui de Posidonius, on peut fonder un bon jugement. Je serai plus difficile à l'égard d'Eschyle, quoiqu'il m'en coûte d'être en contradiction avec ce grand poète grec. Dans sa belle tragédie intitulée : Prométhée délivré de ses chaînes, ce grand Eschyle a parlé de la Crau, ce qui prouve qu'Eschyle connaissait la Crau. Dans cette tragédie, Prométhée dit à Hercule :
«Écoute, Hercule, tu arriveras chez le peuple intrépide des Liguriens pour le combattre et le soumettre ; mais bientôt tu n'auras plus de flèches pour ton arc ni de pierres pour ta fronde. Alors Jupiter, touché de compassion pour toi, divin fils d'Alcmène, fera tomber sur tes pas une grêle de pierres rondes, avec lesquelles tu écraseras les Liguriens».
«Je me cite ce passage textuellement. Voilà donc l'origine de la Crau, selon Eschyle. Strabon s'est permis à ce propos une plaisanterie, lui si grave ordinairement. «Jupiter, dit Strabon, aurait beaucoup mieux fait d'écraser lui-même avec ces pierres les Liguriens». Au fond, Strabon a peut-être raison ; car, Jupiter était décidé à faire un miracle, il devait le rendre plus complet. Hercule doit avoir mis bien du temps à tuer un Ligurien après l'autre d'un coup de pierre : ce n'est pas le moindre de ses douze travaux. Voilà donc ce désert où Hercule a lapidé un peuple intrépide ! Qu'il est doux de charmer l'ennui de sa route avec de pareils souvenirs de lecture ! Poursuivons. Or il est écrit, dans mon maître Strabon, que le désert de la Crau ressemble tellement à un désert d'Égypte, qu'il offre au voyageur le phénomène du mirage. En Égypte, je n'ai jamais vu le mirage ; ce n'est pas étonnant, puisque c'est un phénomène. Strabon a vu le mirage dans la Crau ; il a vu là-bas, dans le sud, une oasis de collines vertes, de palmiers, de sycomores, de fontaines, de cascades, de jasmin, et de jeunes Arlésiennes coiffées avec les bandelettes d'Isis, l'amphore sur la tête, causant d'amour entre elles, sous le figuier du puits. Strabon piqua son cheval de l'éperon, dans la direction de cette charmante oasis ; et à chaque temps de galop il voyait disparaître un palmier, une cascade, un sycomore, une Arlésienne ; quand il arriva devant l'oasis, il ne trouva plus que des cailloux. C'est une des plus ingénieuses plaisanteries que la bienfaisante nature puisse faire aux pauvres voyageurs altérés. Voyons si je ne découvre pas quelque symptôme de mirage à l'horizon».
Hummer descendit de cheval et regarda autour de lui pour cherche le mirage de Strabon ; il ne vit qu'une zone de cailloux d'un cercle parfait, dont il était le centre ; le ciel ressemblait à une coupole d'azur jetée sur le désert, comme pour garder sous cloche cet antique arsenal d'Hercule. Le soleil regardait d'aplomb Hummer et les cailloux, comme l'oeil d'un antiquaire collé au globe de cristal. Hummer était fier d'être le seul homme que le soleil prît la peine de regarder en ce moment. Il crut devoir lui faire la politesse de s'incliner par respect. L'astre reconnaissant lui insinua trente-cinq degrés Réaumur entre la flanelle et la peau. Le savant du Nord bondit sous l'aiguillon du feu !
Hummer remonta bien vite à cheval pour se mettre en quête d'un autre phénomène signalé par Strabon.
- C'est dans ce désert, dit-il, que Strabon a placé le fameux Borée noir, autrement nommé la bise, du grec bis, qui signifie noir, d'où nous avons fait pain bis. «Le Borée noir, dit Strabon, soulève les cailloux du désert, les balance dans l'air, les fait retomber en pluie, les disperse à son gré comme des pailles volantes, stipulas volantes. Le Borée renverse le cheval et le cavalier, comme dans le cantique de Moïse, equum et ascensorem ; il prend un soldat, le premier venu, un vélite, un hastatus, un vexillaire, un prince ; il le dépouille de ses armes, il le déshabille, il lui ôte son casque, il le met à nu ; puis il l'emporte, comme une ombre vaine, de cailloux en cailloux, et le laisse agonisant sur un tertre de gazon». Strabon a vu ces choses, puisqu'il en a parlé, et moi je les crois, puisque je les ai traduites. Lève-toi, Borée noir !... lève-toi pour le traducteur de Strabon !
L'air garda sa sérénité innocente. Le Borée noir, endormi, depuis Strabon, et faible comme tous les vieux fléaux, se leva vers midi sous le nom moderne de mistral, et siffla dans les cheveux d'Hummer. Les cailloux restèrent à leur place, et le cavalier sur son cheval. Hummer fit tous ses efforts pour se laisser emporter ; il ouvrit au Borée noir les deux battants de sa vaste redingote ; il ne put perdre que son chapeau, lequel ricocha de cailloux en cailloux, s'éleva cent fois comme un aérostat, retomba cent fois comme un aérolithe, et s'évanouit comme une planète éteinte dans les profondeurs du désert. Hummer ne regretta son chapeau qu'à la porte d'Arles, car il ne put saluer la ville aimée de Constantin : il avait toujours l'habitude de saluer les villes antiques par respect.
- Me voici maintenant dans mes domaines, dit Hummer. Je ne sais si je commencerai mes explorations par le promenoir ou par le théâtre, ou dans le palais de Constantin. Allons d'abord nous promener au promenoir. Tous les auteurs ont parlé du promenoir d'Arles ; mais ce que j'aime surtout, à propos de ce promenoir, c'est une épigramme de Martial. Oh ! comme ce malin poète a raillé impitoyablement un certain Cliton qui avait beaucoup de créanciers, et qui mettait toujours une statue entre lui et son créancier lorsqu'il se promenait au promenoir ! Grand Dieu ! que de statues doivent être amassées sur ce seul point de la ville, puisque le débiteur Cliton avait tant de créanciers ! Hélas ! le débiteur et les créanciers sont morts, mais les statues sont restées. Quelle leçon pour les créanciers ! en profiteront-ils ?
Il était descendu à l'hôtel de la Place-des-Hommes, et demandait à parler à l'aubergiste. Celui-ci, d'une haute et antique stature, se présenta le linteum à la main, comme pour conduire le voyageur à la salle de bains.
Hummer fut émerveillé de cet accueil :
- Comment vous appelez-vous ? lui dit-il.
- Pinus, répondit l'aubergiste ; lisez mon nom sur mon enseigne.
En effet, on lisait en lettres d'or Pinus sur un fond de marbre noir.
- Pinus ! s'écria Hummer ; à la bonne heure ! ceci change de face. Pinus ! ça se décline... Pinus sacra Jovi. Voilà un nom arlésien !... Monsieur Pinus, ayez la bonté de m'indiquer le promenoir.
L'aubergiste répéta deux fois le mot en regardant le ciel.
- Le promenoir dont parle Martial, poursuivit Hummer, dont parle Martial à propos de Cliton et de ses nombreux créanciers.
- Ah ! je ne m'occupe pas des affaires des autres, dit M. Pinus ; tant pis pour ceux qui ont des créanciers.
- Oh ! des créanciers antiques, morts, enterrés depuis seize siècles ; des créanciers dont il ne reste plus une lettre de change.
- Écoutez, monsieur, prenez la peine de sonner à cette porte, vous demanderez M. Rigoul ; c'est un huissier audiencier assermenté.
- Que diable ! il est bien question d'huissier ! Comment nommez-vous cette place où il y a autant de statues qu'un homme peut avoir de créanciers ?
- Nous n'avons ici que la place des Hommes, celle-ci ; il est possible qu'il y ait des créanciers, mais il n'y a pas de statues, comme vous le voyez.
- Qu'est-ce que cette corniche que je vois là ?
- On appelle cela le palais de Constantin.
- Cette corniche est le palais de Constantin ?
- Oui, monsieur ; tout le monde le dit.
- Ah ! Et qu'avez-vous fait du reste, ô Arlésiens ? car le grand Constantin n'habitait pas une corniche.
- Le reste a été détruit par les Sarrasins.
- Voilà encore les Sarrasins ! Et votre théâtre romain, qu'en avez-vous fait ? les Sarrasins vous l'ont-ils encore détruit ?
- Si vous voulez voir le théâtre romain, on va vous y conduire.
- Il existe donc ?
- Il n'existe pas, mais on reconnaît l'emplacement où il a existé. Voulez-vous prendre la peine de venir avec moi ? Je vais vous montrer ça.
- Qu'allez-vous me montrer ?
- Rien, mais tous les étrangers vont voir ce rien ; c'est assez curieux. Dernièrement, un voyageur a pleuré devant.
- Devant quoi ?
- Devant le théâtre romain.
- Celui qui n'existe plus ?
- C'est justement pour ça que ce voyageur a pleuré ; il n'aurait pas pleuré, si le théâtre eût existé.
En causant ainsi, ils arrivèrent devant les deux colonnes, seuls débris qui aient survécu au théâtre d'Arles.
- Voilà, dit M. Pinus, ce que les Sarrasins nous ont laissé !
- Deux colonnes assez massives, dit Hummer ; elles sont toutes couvertes de clous.
- C'est que ces colonnes appartenaient à un savetier qui exposait ses marchandises à ces clous.
- Un savetier sarrasin ?
- Non, monsieur, un Arlésien qui avait mis ces colonnes dans sa boutique, un parfait honnête homme d'ailleurs.
- Un scélérat qui aurait dû être écrasé par ces colonnes comme Samson, si les dieux immortels avaient au coeur un reste de sang capitolin ! Faites-moi servir à dîner, et je pars.
- Monsieur ne veut pas voir les Arènes ?
- Je les verrai après dîner, au clair de lune ; existent-elles au moins, ces Arènes ?
- Comme ça ; vous ne les trouverez pas en très bon état, à cause des Sarrasins.
- C'est bon ; en attendant, pourriez-vous avoir la bonté de me dire combien le Rhône a de bouches ?
- Il en a sept, monsieur ; sept ou huit, ou six.
- Vous n'êtes pas de l'avis de Polybe.
- Ah ! que voulez-vous ? on ne peut pas être de l'avis de tout le monde.
- Polybe en compte deux seulement. Il est vrai que Polybe n'est pas de l'avis de Timée, qui en compte trois ; et Artémidore n'est de l'avis ni de l'un ni de l'autre, il en compte cinq. Tout cela est fort difficile à concilier. Il faut que j'écrive à M. le préfet des Bouches-du-Rhône, il me fixera là-dessus. Voyons, monsieur mon hôte, donnez-moi un dîner antique ; vous n'aurez pas de peine, je crois ; les voyageurs n'abondent pas chez vous.
- Oh ! cela m'est bien égal. Les voyageurs deviennent de jour en jour si exigeants, que les aubergistes ne demandent pas mieux que de n'en jamais recevoir.
- Ah ! voilà un système ! Et de quoi vivent les aubergistes sans les voyageurs ?
- Eh ! monsieur, on vit toujours. Ce sont les voyageurs qui nous ruinent et nous empêchent de vivre. Heureusement, il n'en vient pas. Que voulez-vous qu'ils viennent faire ici ?
- Fort original ! Quant à moi, je ne vous ruinerai pas ; je mange rarement. Donnez-moi du frugal, quelque production du pays. Avez-vous du saucisson d'Arles ?
- Non, monsieur, nous en attendons de Marseille.
- Eh bien, causons en attendant le clair de lune. Comment passez-vous le temps dans ce pays ?
- Eh ! nous prenons le frais sur la porte, nous jouons à la cadrette, nous chassons.
- Ah ! c'est un pays de gibier ?
- Non, il n'y a pas de gibier ; mais nous chassons pour le plaisir de chasser.
- Mille pardons si je vous questionne ainsi ; je recueille des observations de moeurs modernes, dans les cités antiques, afin de constater le progrès ou la décadence de l'espèce humaine. Vous voyez que ma curiosité prend sa source dans un principe sévère, au-dessus d'un frivole intérêt de désoeuvrement. Encore une question : Comment passez-vous vos soirées ?
- Nous ne les passons pas ; nous allons au lit après souper. Nous dormons beaucoup.
- C'est bien ! toutes vos réponses seront envoyées au secrétaire de l'Académie de Munich.
L'aubergiste s'inclina.
- Maintenant que l'heure de mon dîner est passée, faites-moi servir du café, et conduisez-moi aux Arènes.
- Pourriez-vous vous passer de café ce soir ?
- Pourquoi pas ? en voyage, j'ai l'habitude de vivre de privations. Allons aux Arènes.
Hummer se laissa conduire à travers un labyrinthe de ruelles, et, quand il parvint au milieu d'un chaos de masures amoncelées, où la lune avait peine à se faire jour, l'aubergiste lui dit :
- Voilà les Arènes.
- Où donc ? s'écria Hummer.
- Chut ! dit l'aubergiste à voix basse, vous allez réveiller ceux qui dorment.
- Eh ! qui dort ici ? Est-ce que ces masures sont habitées ?
- Certainement, monsieur.
- Et pourquoi ces masures sont-elles dans l'amphithéâtre ?
- Toujours à cause des Sarrasins, vous comprenez.
- Je ne comprends pas.
- Nos anciens s'étaient réfugiés dans les Arènes pour se défendre contre les Sarrasins qui passaient.
- Eh bien, pourquoi les modernes ne sortent-ils pas, aujourd'hui que les Sarrasins ne passent plus ?
- L'habitude est prise : ils sont bien ici ; ils ne payent pas de loyer ; ils ne craignent pas le mistral.
- Le Borée noir, la bise, bis, noir. Mais ils empêchent de voir les Arènes ; ils masquent l'antiquité ; ils changent en cloaque l'amphithéâtre de l'empereur Gallus ! Qui reconnaîtrait dans ces ignobles cabanes le fameux distique que Martial a composé ici ?
- Ah ! mon Dieu ! parlez plus bas, vous réveillez ces pauvres ouvriers du port qui dorment.
- Je respecte les ouvriers qui dorment ; mais pourquoi ont-ils mis leur dortoir dans ce vénérable Colisée ?
- Les Sarrasins...
- Allez vous promener, avec vos Sarrasins ! Les Sarrasins sont ceux qui dorment ici ; les Sarrasins sont les savetiers qui clouent leurs souliers à des colonnes du proscenium ; les Sarrasins sont ceux qui suspendent leurs alcôves bourgeoises au podium auguste des sénateurs ; les Sarrasins sont ceux qui creusent des égouts dans les altæ præcinctiones où venaient s'asseoir les plébéiens vêtus de couleurs brunes ; les Sarrasins sont ceux qui ont coupé l'antiquité à tranches pour se bâtir des cabanes qui ne valent pas un denier parisis ! les Sarrasins...
Un ouragan de voix sortit de cent croisées ouvertes et coupa la période d'Hummer en deux ; la première roula de portiques en vomitoires, l'autre resta dans le néant. L'aubergiste s'esquiva lestement sur un rayon de lune en entendant le terrible mot marrias noté sur une gamme d'ironie et de fureur. Hummer crut avoir dans ses oreilles tout le mugissement des lions que le préfet de Barca envoyait au proconsul arlésien de l'empereur Gallus.
Le labyrinthe des masures de l'amphithéâtre fut bientôt rempli de fantômes blancs qui cherchaient l'imprudent antiquaire, perturbateur du sommeil public. Hummer, qui n'était pas obligé d'avoir du courage en qualité de savant, comprit le danger et prit la fuite avec cette agilité merveilleuse que lui donnaient un corps diaphane et des jeûnes quotidiens. Heureusement il pouvait dire, comme Bias : Omnia mecum porto ; il avait toute sa fortune avec lui.
L'effroi abrége le chemin. Hummer avait laissé Arles bien loin derrière lui, et il entendait encore ces voix coliséennes, et il voyait encore devant lui ces fantômes qui cherchaient un savant pour le dévorer. Dans sa course, il avait traversé une plaine immense, et avec d'autant plus de facilité d'élan que le Borée noir s'était levé de sa couche, lui aussi, et qu'il emportait le savant comme la paille volante des Géorgiques, ou le cavalier de Strabon. Quelquefois Hummer, volant, redingote déployée, devant une ruine percée à jour, recueillait des rugissements tels, que l'oreille de l'homme en est déchirée. C'était le Borée noir qui s'engouffrait dans la ruine et l'animait comme un orchestre à mille instruments, qui tirait de ce clavier de hasard une symphonie comparable à la tempête de désolation qui s'élève d'une ville prise d'assaut. Les pierres, les mousses, le lierre, le lichen, les fentes, les dentelures, pleuraient, hurlaient, riaient, vagissaient, frémissaient, comme si Beethoven ou Meyerbeer eussent confié la partition d'un nocturne infernal à cet épouvantable chef d'orchestre que Strabon nomme le Borée noir.
Victor Hummer, emporté comme un sylphe dans le chemin de l'air, fut déposé par un point d'orgue du vent à l'entrée d'un grand village sombre, qui semblait être descendu tout entier en pierres vives de la montagne pour le recevoir : c'était le village des Baux. En France, on connaît Tombouctou, mais on ne connaît pas les Baux. La France est un pays peu connu.
Meurtri par le vent, tatoué par les cailloux, étourdi par le fracas de la tempête, mourant de faim et de soif, Hummer chercha, aux rayons de la lune rouge, une enseigne d'auberge, ou une de ces lumières qui brillent derrière une vitre comme un sourire de la Providence.
Il marchait dans une rue bordée de hautes et belles maisons, dont les portes et les croisées étaient ouvertes au Borée noir et retentissaient comme si elles eussent été d'airain. Hummer n'osait pousser un cri de détresse, de peur de voir se renouveler la formidable scène de fantômes du Colisée d'Arles ; devant chaque maison il s'arrêtait ; il montait de hautes marches aux dalles disjointes et convulsives, et jetait un regard de terreur et de stupéfaction dans l'escalier vaste et sonore, éclairé d'aplomb par la lune à travers les lézardes du toit. Ces maisons avaient des physionomies atroces : une surtout, avec ses deux oeils-de-boeuf au front, sa haute croisée du milieu, épatée sur le balcon détruit, sa large porte ouverte sur un escalier dentelé, ressemblait à un gigantesque masque de théâtre antique ; et d'infernaux éclats de rire poussés par le vent grinçaient sur le perron, agitaient ses hautes herbes comme la barbe d'un géant.
Hummer cherchait une porte fermée, afin d'y frapper en pèlerin : malheureusement pour lui toutes les portes étaient ouvertes ; ou, pour mieux dire, il n'y avait pas de portes ; il semblait que la population les eût emportées sur la montagne, comme fit Samson à Gaza. L'infortuné savant qui peuplait cette solitude incroyable s'arrêta sur une place publique déserte où pleurait un chêne vert, vieillard grisonnant et effeuillé ; il se coucha dans un lit de gazon tumulaire, et se permit de faire à voix basse cette réflexion :
- Si ce n'est pas Herculanum, c'est Satan déguisé en village.
Ayant dit cela, il s'évanouit.
Quand il reprit ses sens, il était couché sur un lit d'algue jaune, au bord d'un étang vaste comme une mer qui s'est laissé emprisonner par la terre. Auprès de lui était une charrette, un mulet noir immobile et un paysan qui déjeunait avec des coquillages et du pain blanc. Le soleil était levé depuis plusieurs heures ; ses teintes vigoureuses animaient la verdure agonisante des bois d'oliviers et couraient comme un incendie sur l'étang. A droite, une ville sortait de l'eau, en agitant follement les cloches criardes de ses trois églises ; à gauche, l'horizon se fendait en lignes blanchâtres et indécises, qui pouvaient être des montagnes ou les nuages d'un matin de printemps.
Hummer était dans cet état qui est le nôtre, la nuit, quelquefois, lorsque, dans un sommeil léger et souffrant, nous rêvons que nous faisons un rêve, et que nous attendons notre réveil avec impatience. Il interrogea le paysan ; mais on lui répondit dans une langue sourde, gutturale, rude, qui était au-dessus ou au-dessous de l'intelligence des polyglottes. Pourtant Hummer comprit, aux gestes expressifs et multipliés du paysan, qu'il avait été ramassé évanoui dans le village désert des Baux, et conduit sur les rives de l'étang, pour être transporté ensuite, après une halte, à cette petite ville des trois clochers. Hummer remercia le paysan et lui offrit sa bourse, qui fut refusée avec un fier dédain.
Hummer fut amené à la ville des Martigues, cette Venise provençale. Il s'installa à l'hôtel du Cours, chez M. Castellan, où l'on mène une vie d'ichthyophage qui donne promptement une salutaire excitation au sang le plus appauvri. Hummer se rétablit là, dans un séjour de trois mois, et partit en parfaite santé pour Munich, un peu refroidi à l'endroit des antiquités, et se cherchant une nouvelle passion.
Liber Liber 2023 -
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