Dans
un magnifique élan de
patriotisme, Lisieux a célébré ses Morts et fêté ses Héros
Un temps miraculeusement beau, une ville tour à tour grave, recueillie,
enthousiaste, joyeuse et dont la population a subitement doublé, des
flots d'harmonie, des torrents de lumière, un grand souffle de
reconnaissance, d'union et de fraternité, tel est le bilan de ces fêtes
qui laisseront à Lisieux un inoubliable souvenir. Dans un même élan
patriotique, la municipalité, le comité, la population tout entière,
ont rivalisé de zèle et de bonne volonté pour honorer les morts et
fêter les vivants. Le succès a couronné leurs efforts.
Ceux qui assurent que les Normands sont peu démonstratifs n'avaient
qu'à parcourir dimanche, nos rues sillonnées de musiques militaires et
civiles, regorgeant d'une foule joyeuse, qu'à regarder nos maisons,
modernes ou antiques, resplendissantes de guirlandes, de drapeaux, de
lanternes, pour revenir de leur erreur et se persuader que si le
Normand manifeste souvent
en dedans,
le jour où il manifeste
en dehors,
il est incomparable.
La
soirée de Samedi
Samedi, bien avant cinq heures, une affluence considérable se portait
vers la gare, où devait avoir lieu la réception du drapeau du 119° de
ligne, arrivant de Paris.
Dans la cour, l'escorte d'honneur attendait, avec les drapeaux du 20e
territorial et du 319e, ce dernier glorieusement déchiré. Le
lieutenant-colonel Subsol, commandant le dépôt, le commandant Desnos,
le capitaine Schlumberger et tous les officiers de la garnison sont là
ainsi que M. le Maire, M. le Sous-Préfet, M. Letailleur, président de
la Société des Mutilés, M. Houlé, président du Comité des Fêtes, etc.
De nombreuses gerbes de fleurs portées par des jeunes filles, vont être
tout à l'heure offertes aux officiers qu'on attend. Nous avons remarqué
celles du Service des Primes, du Service du Pécule, du Service de la
Démobilisation, etc.
Malheureusement, les retards de trains qui, jadis, étaient
exceptionnels, sont devenus presque réglementaires, tellement ils sont
fréquents. Celui qui amenait les drapeaux ne fit pas exception à la
règle, et quand il entra en gare, les ombres de la nuit étaient déjà
descendues sur la place, insuffisamment éclairée, de sorte que le
public ne vit rien de ce qui se passa. Il se borna à saluer
respectueusement les trois drapeaux qui rentrèrent en ville précédés de
la musique de la 5e division de Rouen et de la Société de trompettes,
la
Diane de Montrouge, qui
arrivaient par le même train.
Le cortège se forme, suivi d'un public considérable et se rend par la
rue d'Alençon et la rue Pont-Mortain, au bureau du colonel rue du
Bouteillier, où les drapeaux furent déposés.
Peu après, à 8 heures et demie, une retraite aux flambeaux extrêmement
brillante partait de la place du Marché-aux-Bestiaux, et, escortée
d'une foule immense, prenait la rue Paul-Banaston, gagnait par la rue
du Bouteiller, la Grande-Rue, d'où elle se rendait place de la
République, rue Pont-Mortain, place Fournet, rue de Livarot, boulevard
Emile-Demagny, et à l'Hôtel-de-Ville.
Les tambours et clairons du régiment, la musique militaire, la
compagnie de saepurs-pompiers, sous les ordres de son excellent
lieutenant, les sociétés de gymnastique, prirent part à cetta retraite
qui fut extrêmement bruyante et brillante, deux qualités qui attestent
le succès de ces promenades nocturnes.
A son passage, de nombreuses maisons déjà illuminées s'éclairèrent des
lueurs éblouissantes de feux de Bengale aux plus riches couleurs.
Elle aboutit à la place Thiers, où se rendaient presque en même temps
les retraites aux flambeaux des quartiers d'Orival, de la Gare et de
Saint-Désir.
C'est alors qu'eut lieu
La
Veillée des Morts
Elle fut profondément impressionnante. Au centre de la place, se
dressait le Cénotaphe, d'un aspect sévère, piédestal de proportions
très heureuses, surmonté d'une urne funéraire et drapé de crêpe. A
demi effacé dans la pénombre, il portait sur ses quatre faces des
palmes et des couronnes qui semblaient sculptées dans la masse. Aux
quatre angles, des trépieds funéraires supportaient des flammes
tremblantes. Cette décoration fait grand honneur à M. Courel,
architecte de la ville, à M. Patou, sculpteur, à MM. Bonnel, menuisier,
Gabanno, tapissier, Bothereau, peintre, qui ont conçu et exécuté ce
mausolée éphémère.
Le monument était cantonné de quatre canons, deux français et deux
boches, qui lui donnaient un cachet guerrier très imposant.
Il y eut une minute soleenelle. Ce fut celle où la troupe arriva,
précédée des tambours voilés de crêpe, rythmant une marche funèbre, en
même temps que des tours de la cathédrale et de Saint-Jacques tombait
lentement le glas et que le canon tonnait.
La
Diane de Montrouge
exécuta devant le Monument aux Morts une sonnerie fort
belle, et la veillée commença, se prolongeant fort avant dans la nuit.
Il faisait bien un peu froid, mais on s'en consolait en se disant qu'il
faisait plus froid encore dans les tranchées, et aussi le jour du
retour des cendres de l'Empereetr Napoléon, qui eût lieu au mois de
janvier 1841 et où l'on gelait
LE
DIMANCHE
Hommage
aux glorieux soldats morts pour la France
Dès les premières heures du jour, le soleil se lève radieux dans un
ciel sans nuages. Ses rayons triomphaux ont bien vite raison de la
fraîcheur de la nuit et la journée va être plus belle que les plus
belles journées du printemps.
A l'aube, les cloches réveillent les plus paresseux et les poussent
hors du lit. C'est qu'il s'agit de se rendre à la gare, où va avoir
lieu la réception des autoirités, des poilus et des hôtes de Lisieux.
A huit heures, la cour de l'arrivée est remplie de monde. Toutes les
musiques sont là : La Musique municipale de Lisieux, sous les ordres de
son dévoué chef, M. Lacroix ; l'Harmonie de Bernay ; les Volontaires
d'Elbeuf, qui obtinrent un très grand succès, même avant d'avoir joué
une note, grâce à leurs charmants petits tambours habillés en zouaves
et à leurs deux ravissantes cantinières ; la Musique municipale de
Pont-l'Evêque ; la musique de la 5e division, la Compagnie de pompiers,
les poilus du 119°, et la Société des Anciens Combattants de 70, et
celle des Mutilés, et le Conseil municipal, avec, à sa tête M. le Dr
Lesigne, maire, et M. Encoignard, adjoint ; M. Henry Chéron, M. le
Sous-Préfet, tous les fonctionnaires de la ville, les Sociétés de
Gymnastique, et un groupe nombreux d'officiers où nous reconnaissons
MM. les colonels Malvy et Ribeyre, M. le colonel Maison, commandant le
43° d'artillerie, M. le colonel Subsol, M. le capitaine Descours
Desacres, etc.
De charmantes fillettes fleurissent les soldats, dont la marche
rappellera bientôt la forêt mouvante de Dunsinane dont parle
Shakespeare.
On remarque beaucoup deux aimables jeunes filles portant le coquet
costume messin. Ce sont deux lorraines venues directement la veille au
soir de Metz, Mlles Marie-Antoinette Thomas, et Marthe Charpentier,
filles de notables habitants de Metz. Elles sont accompagnées par la
mère de l'une d'elles, Mme Charpentier.
A 9 heures et demie arrivent en auto M. le général Segonne, commandant
la subdivision de Caen, et M. le Préfet Hélitas.
Une jeune et gracieuse lexovienne, Mlle Bourné, offre au général une
superbe gerbe de fleurs en lui adressant un compliment fort bien
tourné. Celui-ci l'embrasse galamment sur les deux joues, et à ce
moment plus d'un simple soldat voudrait être général.
Le général passe rapidement la revue des troupes qui étaient présentées
par le colonel Subsol, puis le cortège se met en marche, s'engageant
sous la voûte orangée, préparée pour les illuminations du soir, rue de
la Gare, rue d'Alençon et rue Pont-Mortain. Les pompiers encadrent les
autorités et le conseil municipal. Des applaudissements saluent au
passage les drapeaux et les Lorraines.
On se rend à la place Thiers où une belle tribune à crépines d'or
élevée sue le côté ouest fait face au cénotaphe.
Déjà les premiers invités y ont pris place : MM. Boivin-Champeaux et
Chéron, sénateurs, Laniel, député, le général Liénard, les Dames de la
Croix-Rouge et les membres du Comité de cette société. A l'arrivée du
cortège, M. le Préfet et les autorités montent sur l'estrade.
Les troupes, la compagnie des pompiers, les sociétés de gymnastique,
les élèves du Collège, les enfants des écoles, les musiques, forment le
carré.
L'estrade est trop petite pour contenir tous ceux qui ont répondu à
l'invitation de la Municipalité et du Comité. Plusieurs rangs de
chaises sont disposées sur les côtés pour les familles des Morts, les
Blessés, les Mutilés et les Médaillés. Tous les fonctionnaires, tous
les membres des oeuvres de guerre, et les notabilités de la ville sont
présents.
M. le général Liénard adresse aux parents des morts quelques paroles
pleines de coeur qui font couler bien des larmes.
La cérémonie fut simple, et impressionnante au plus haut point.
Le général Segonne, commandant la subdivision de Caen, passe la revue
des troupes. Il y eut alors un moment poignant celui où le général,
devant les drapeaux alignés parallèlement à la tribune, remit sept
médailles militaires et une croix de guerre : il dut épingler trois de
ces médailles, hommage posthume de la France à de bons serviteurs morts
pour Elle, sur le vêtement de trois jeunes veuves, d'une mère et d'un
père qui ne purent retenir leurs larmes. En recevant sur leur poitrine
la médaille qui devait briller sur celle de l'être cher, on devinait ce
qui se passait dans leur coeur et la foule qui suivait cette émouvante
cérémonie partageait leur sentiment.
Nous donnerons dans notre prochain numéro les noms de ces braves et les
citations dont la lecture fut faite publiquement par le lieutenant
Varin.
Deux discours furent ensuite prononcés par M. le Maire et par M. Henri
Laniel, député du Calvados. La place nous manque pour les reproduire
au-jourd'hui. Ils furent très applaudis.
Le général Segonne commande le Salut au Drapeau. Les soldats présentent
les armes, toutes les têtes se découvrent, les tambours et clairons
font retentir la sonnerie réglementaire et la musique joue le refrain
de la
Marseillaise.
Le général fait reposer les armes et l'Harmonie de Bernay joue
La Mort d'Ase, extraite de la 1re
suite de
Peer Gynt, da Grieg.
M. André Leroy, l'artiste connu et aimé à Lisieux, s'avança au pied du
monument et avec infiniment de goût et de tenue chanta « Pauvres
Martyrs » extrait de
Patrie,
de Paladilhe, qui produisit un grand effet. Le chanteur fut vivement
félicité par les autorités.
Les troupes, les sociétés de gymnastique et les délégations, défilèrent
ensuite devant le général Segonne et les personnages officiels. On a
remarqué la belle allure de nos dévoués sapeurs-pompiers, commandés par
le lieutenant Duboulay.
Décrire la fourmilière humaine qui se pressait sur la place et dans les
rues voisines pendant cette cérémonie est chose impossible. Les
galeries extérieures de la cathédrale elles-mêmes, étaient chargées de
spectateurs ; il y en avait jusque sur les toits des maisons, jusque
dans la grande tourelle du poste central télégraphique.
Après le défilé la foule se précipita vers la cathédrale pour assister
à la
Messe
pour les Morts
La cathédrale, plus pleine encore que dimanche dernier, s'il est
possible, offrait à l'intérieur le plus étonnant spectacle, celui d'une
foule tellement tassée qu'il était impossible de circuler.
La décoration était la même que pour la messe de l'Œuvre du Souvenir.
La maîtrise, dirigée par M. Mauger avec son talent habituel, exécuta la
messe funèbre de Samuel Rousseau, accompagnée par un groupe symphonique.
M. Legorgeu, dont la voix est toujours chaude et vibrante, chanta les
solis du
Kyrie eleison. M.
Bourgeais, à l'élévation, détailla avec un beau style
Patrie, de Paladhile, qu'on
entendait pour la deuxième fois .avec le même plaisir.
La Musique Municipale de Lisieux exécuta une fantaisie sur
Salammbô de Reyer et une marche
funèbre du compositeur Lacroix. Avant de donner l'absoute, M. le
chanoine Hugonin, curé de Saint-Pierre, prononça, du haut des marches
du maître-autel, une allocution où, après avoir remercié les autorités
civiles et militaires d'être venues, il fit un appel à l'union de tous
les Français pour faire une France grande, forte et invincible.
A cette cérémonie religieuse, où des places leur avaient été réservées
dans le choeur, assistaient toutes les autorités civiles et militaires
que nous avons déjà citées.
M. Garcin, l'éminent organiste, joua à l'entrée et à la sortie, avec sa
maestria coutumière, deux morceaux grandioses.
Mesdames la Générale Cholleton, Ribeyre, Malter, Cacheleux, Guigon,
Roussin et Mesdemoiselles Yvonne et Marguerite Deschamps, dames de la
Croix-Rouge, quêtèrent au profit de l'Œuvre des Mutilés. Et elles n'y
eurent pas un mince mérite : nous ne savons par quel prodige elles
purent passer dans une foule aussi dense.
Le
Libera de Samuel Rousseau,
très bien exécuté par M. Janin, excellent ténor, et par la maîtrise,
termina l'office.
L'après-midi
Le Défilé Commémoratif
Un peu après deux heures, le Grand Défilé Commémoratif, qui s'était
formé sur le boulevard Herbet-Fournet, se mit en mouvement, illuminé
par un soleil splendide. Ce fut un des
clous de la fête.
Après un piquet de trompettes d'artillerie à cheval, venaient les
landaus du Comité, puis celui des jeunes lorraines, les Sociétés de
gymnastique, la musique du 74°, les Mutilés de la guerre, les Anciens
Combattants de 1870, les Dames de la Croix-Rouge, etc. Et alors on vit
s'avancer comme des revenants les anciens, les tout-à-fait anciens du
119° : les soldats du temps de Louis XVI, en habit à la française, avec
la poudre à leurs cheveux, et le catogan, avec leurs fifres et leur air
avantageux ; les contemporains de Fanfan-la-Tulipe et des
sergents-recruteurs ; — et derrière eux, les hommes de bronze de
Napoléon, aux immenses, shakos dont les plumets géants balayaient les
étoiles, précédés d'un tambour-major tout étincelant de dorures ; —
puis les pioupious de 1913, avec le pantalon rouge que nous avons salué
là pour la dernière fois ; — enfin les poilus, les vrais, ceux que nous
n'oublierons jamais, avec leur casque et leur uniforme bleu horizon. On
sentait dans cette reconstitution la main d'un artiste.
Les chars eurent un grand. succès. Celui des Arts et des Lettres, où de
fort jolies femmes personnifiaient la Peinture, la Sculpture, voire le
Barreau et la Justice, fut très applaudi, encore que la Justice tint,
pour plus de vraisemblance sans doute, des balances qui ne paraissaient
pas d'une extrême justesse.
L'un des chars portait un splendide coq doré, symbole du génie
français. Ce beau morceau de sculpture est, croyons-nous, du bon
sculpteur Mauny, élève de Barrias, lieutenant, au 119°, qui défilait
lui-même dans le cortège.
Tous les chars étaient d'un goût parfait. Il y en avait un qui portait,
à sa cime, fort haute, une jeune femme aux formes sculpturales, coiffée
du bonnet phrygien, que nous avions prise pour la déesse Raison, mais
qui en réalité représentait la République, — la République aimable
assurément celle à laquelle les plus déterminés réactionnaires
voudraient bien volontiers se rallier.
Le char de la Victoire, le char de la Paix, le char de Pérenchies, le
char des Poilus, tranchée mobile, eurent un vif succès également.
Le cortège auquel prenaient part de nombreuses musiques, se terminait
par deux sections d'artillerie française et boche, dont les canons
étaient encore camouflés, grosses bêtes malfaisantes que l'armistice a
muselées.
N'oublions pas une des parties les plus jolies : quarante enfants vêtus
de blanc tenant à la main des palmes d'or au des rameaux d'olivier.
Cette gracieuse théorie rappelait les fêtes patriotiques de la
Révolution, où l'on voyait défiler « de jeunes vierges dont la
contenance chaste et décente touchait jusqu'aux larmes les coeurs
sensibles. »
N'oublions pas surtout la Cuisine roulante qui fut un grand sujet de
curiosité.
Ce cortège parcourut les principales artères de la ville. Cinq heures
sonnaient comme il entrait dans la rue Condorcet, au bout de laquelle
avait lieu la dislocation.
Les officiels, .auxquels s'étaient joints les membres du clergé, M. le
pasteur Adair, et de nombreuses dames, ont assisté au défilé sur le
perron de la Halle-au-Beurre, transformé en tribune par une
balustrade ornée de riches tentures drapées avec le meilleur goût.
Le
vin d'honneur
Aussitôt après eut lieu, à l'Hôtel-de-Ville, le Vin d'Honneur offert
par la Municipalité aux Mutilés et aux Poilus. M. le Maire recevait les
invités sous le péristyle avec beaucoup de bonne grâce. Une longue
table où s'alignaient les coupes de champagne occupait la grande salle
des mariages. M. le général Segonne, les colonels et
lieutenants-colonels et de très nombreux officiers avaient tenu à
honneur de venir choquer leurs verres contre celui de leurs anciens
soldats qui avaient combattu avec eux, côte à côte dans les tranchées,
pour sauver la Patrie.
M. le sénateur Henry Chéron, dans une allocution enflammée, retraça
avec la plus patriotique éloquence les hauts faits de ces hommes qui
ont sauvé la France, salua les Lorraines et les Alsaciennes en termes
délicats et fit à l'union, à la concorde, à la fraternité, un appel
pathétique et qui espérons-le, sera écouté et compris.
Les
illuminations
Il est impossible de décrire avec des mots ce que nous avons vu
dimanche soir. Nous avons vécu en pleine féerie, en pleine orgie de
lumière et de feu. La rue Pont-Mortain, la Grande-Rue, pour ne citer
qu'elles, offraient un spectacle magique. On marchait sous une voûte de
flammes dans un enchantement, oui, l'on marchait vivant dans un rêve
étoilé. Non seulement les comités, au moyen de mâts reliés entre eux
par des lignes de lanternes vénitiennes, reliés encore de quatre en
quatre par des guirlandes de lampes électriques en diagonales, avaient
réalisé une illumination d'ensemble absolument parfaite, mais les
particuliers avaient rivalisé de goût, d'ingéniosité et de profusion de
lumière pour augmenter encore l'aspect de cette ville des Mille et une
Nuits.
Nous ne citerons personne : il faudrait citer tout le monde. Disons
seulement qu'il n'était presque pas une fenêtre qui n'eût pas sa rampe
de feu. Par quel miracle, alors que l'électricité est si rare, la
bougie si chère et l'huile introuvable, a-t-on pu jeter tout cela à
profusion. Nous ne pouvons l'expliquer que par le système D.
Très tard dans la nuit, une foule énorme ne cessa de circuler sous ces
voûtes lumineuses (il faut pourtant signaler la rue aux Fèvres, la
vieille et traditionnnelle rue aux Fèvres, dont le plafond en lanternes
vénitiennes était du goût le plus charmant). Et il n'y avait qu'une
voix pour admirer et pour reconnaître que les Lexoviens font décidément
bien les choses.
Fêtes
de quartiers et Concerts
Pendant que le défilé parcourait la ville, des fêtes de quartier
avaient lieu un peu partout. A 3 heures il y avait concert place de la
Gare par la musique de Pont-l'Evêque, courses aux échasses, courses en
sacs. A 3 heures et demie, il y eut mât de cocagne place Fournet, à 4
heures, de grandes courses vélocipédiques sur la route de Livarot. Le
soir, bal sur la place.
A Saint-Désir, on eut le cinématographe en plein air le samedi ; — le
dimanche, concert par
Les
Volontaires d'Elbeuf, cinématographe encore. Au stade militaire
la F.F.F.A. et la L.F.A.N. donnaient des matches comptant pour le
championnat de Basse-Normandie. Le C.A.L. luttait brillamment avec
l'A.S. de Trouville-Deauville. Et la musique des
Volontaires d'Elbeuf versait de
l'héroïsme au coeur des jeunes gens.
A 8 h. 1/2, sur la place Thiers, fut donné un grand concert par
La Fraternelle de Caen et l'
Harmonie Municipale de Bernay.
Cette dernière, très nombreuse, qui compte dans ses rangs les solistes
les plus distingués et a pour chef un artiste d'un talent et d'une
autorité rares, a été particulièrement appréciée du public de
connaisseurs qui se pressait autour d'elle et l'écoutait dans un
silence presque religieux. La scène du bal du
Roi s'amuse de Léo Delibes et le
ballet d'
Ysoline de Messager,
moreeaux qui semblent réservés aux orchestres à cordes, ont été
interprétés par M. Tréfouel et exécutés par ses musiciens, avec un goût
et une délicatesse impeccables. Nous adressons à cette belle société
nos très vifs et très sincères remerciements pour l'heure exquise
qu'elle nous a fait passer.
A la Halle-au-Beurre, à la Halle-au-Blé, joliment décorées de
feuillages, de grands bals attirèrent une foule jeune et gaie.
Enfin, en matinée et en soirée, au théâtre furent données deux
représentations avec orchestre de
La
Fille du Régiment, où des artistes sans choeurs, mais pleins de
conviction se firent applaudir, notamment dans le Salut à la France,
qui ne fut jamais plus à sa place.
Telles furent ces fêtes, favorisées par un temps merveilleux, qui ont
prouvé à nos poilus que Lisieux n'oublie pas ceux de ses enfants qui
ont combattu, qui ont souffert ou qui sont morts pour la France !
Gloire à eux ! Puisse la leçon d'union qu'ils nous ont donnée n'être
pas perdue ! Puissions-nous marcher dans la vie, serrés les uns contre
les autres, comme ils ont marché à l'ennemi !
J. B
Grandes
Fêtes de la Victoire et de la Paix
(Le Progrès lexovien, vendredi 24 octobre 1919)
Discours
de M. Henry CHERON.
Voici le discours prononcé dimanche soir par M. Henry Chéron, président
du Conseil général, au vin d'honneur offert par la municipalité
lexovienne aux Poilus et Mutilés de l'arrondissement de Lisieux. Cette
harangue fut, à diverses reprises, chaleureusement applaudie par les
convives.
Messieurs,
Dans l'éclat des fêtes magnifiques qui la font aujourd'hui tressaillir,
la ville de Lisieux manifeste, une fois de plus, le patriotisme
traditionnel de ses enfants.
Si loin qu'on remonte dans son histoire, on la trouve debout, à toutes
les grandes heures, acclamant la Nation, la Liberté, les soldats qui
les défendent, les drapeaux sous lesquels ils combattent. Et dans
toutes ces solennités, l'âme de la cité apparaît la même, ardente et
vibrante, recélant en elle les trésors d'idéal, de reconnaissance, et
d'énergie qui assurent la pérennité des collectivités.
Gloire à vous, mes chers concitoyens, mais surtout, n'est-ce pas,
gloire à ceux qui ont lutté pour que la France demeure. Les uns, trop
nombreux, hélas ! sont morts pour la sainte cause du droit qui se
confond chez nous avec celle de la patrie. D'autres ont été
affreusement mutilés, et demeureront au milieu de nous les témoins et
les victimes vivantes du plus grand des crimes de l'histoire. Des
veuves, des orphelins, attestent par milliers, dans la fierté et dans
l'angoisse de leurs souvenirs, ce que fut l'immensité du sacrifice.
Enfin, autour de leur drapeau victorieux, derrière des chefs dignes
d'eux-mêmes, ceux qui sont revenus, comme par miracle, de l'affreuse
tourmente, reçoivent aujourd'hui les acclamations de leurs concitoyens,
affranchis par leur courage.
Tous ces souvenirs, toutes ces familles, tous ces hommes, tout ce
patrimoine de gloire, toutes ces joies communes mêlées à de mêmes
enthousiasmes et à de mêmes douleurs, c'est celà qui s'appelle la
Patrie. C'est notre douce France, enviée de ses voisins à tous les
âges, parce qu'elle est le pays enchanté, favorisé de la nature, par
son climat, par la richesse de son sol, par l'esprit d'initiative et le
génie de ses habitants. Ce trésor, que depuis tant de siècles,
l'humanité admire, et aux reflets duquel s'éclairent toutes les
intelligences qui veulent grandir par la liberté, des barbares
abominables ont voulu le sacrifier aux appétits impurs de la force. Ils
se sont rués, comme des assassins et comme des voleurs, sur notre
peuple avide de paix et de travail. Ils l'ont envahi. Ils ont dévasté
son sol. Ils ont odieusement souillé ses foyers. Ils ont emmené les
femmes et les enfants en captivité, comme aux âges les plus sombres.
Ils ont précipité sur nous le fer, le feu, les gaz asphyxiants, tout ce
que la science mise au service du crime permettait d'utiliser pour
détruire la vie. Mais le fer s'est brisé, mais le feu s'est éteint,
mais les gaz délétères ont été résorbés par l'atmosphère plus saine de
la France, parce qu'il y a quelque chose de supérieur à la Force, de
plus puissant que le crime, c'est la pensée, c'est la volonté d'un
peuple qui ne veut pas mourir.
C'est alors, Messieurs, que du fond des villes et des villages, tous
les hommes valides sont accourus pour sauver la Patrie en danger. Ils
ont élevé si haut l'étendard de la Liberté que le monde civilisé, tout
entier, est venu combattre avec eux. Pendant cinq ans, ce fut une ruée
de titans les uns contre les autres, de la liberté contre les
entreprises d'esclavage, du droit contre la violence, des vertus les
plus saintes du sacrifice contre les assauts de la Mort. Jamais
l'humanité, pour se sauver elle-même ne fut contrainte de s'élever plus
haut dans la souffrance et dans le Martyr. Les libres citoyens de la
République ont cependant terrassé le génie du mal. Et c'est cette
grande victoire que nous fêtons, Messieurs. Le jour qui la consacra fut
le plus grand, le plus pur et le plus décisif de l'histoire des hommes.
Mais les fêtes les plus solennelles seraient précaires et vaines s'il
ne s'en dégageait une leçon. Nous avons triomphé parce que nous avons
été unis. Nous avons été les plus forts parce que nous avons
oublié toutes les vaines querelles pour ne songer qu'à la Patrie.
Est-ce parce que 1.800.000 hommes, jeunes et forts, sont tombés pour
elle, est-ce parce que leur sacrifice nous a rendu nos chères
provinces, est-ce parce que ses drapeaux resplendissent aujourd'hui du
soleil de la Victoire que nous allons oublier ce nui en fut le secret
pour retomber dans les rivalités déprimantes dont nous avons tant
souffert ?
Que dans ce pays à tout jamais glorieux se confrontent loyalement les
idées, car cette liberté est la vie, mais que se respectent les
personnes, puisque toutes elles parlent au nom de la Patrie. Apprenons
à nous aimer, puisque nous avons appris à nous connaître. Qu'il n'y ait
plus de haine dans cette Nation qui a vaincu la haine.
Que toutes les volontés soient tendues vers le bien national, que la
passion de la France et de ses libertés, soit la seule qui nous anime.
Pour tout dire, soyons dignes de nos soldats.
Glorieux Poilus de France, enfants du peuple dont la démocratie a
trempé l'âme et à qui elle a appris les grands devoirs dont
l'accomplissement a réparé l'injustice d'il y a cinquante ans, poilus
de la Marne, de l'Yser, de Verdun, de tout ce front immense où se
décidait pour des siècles l'avenir du Monde, je vous salue comme les
plus grands des héros de tous les âges. Nous vous apportons aujourd'hui
des hommages qui ne sont rien à côté de votre gloire.
Plus tard, nos arrière-petits neveux ne prononceront votre nom qu'avec
un religieux respect, car vous aurez été les martyrs de la Liberté et
c'est vous qui, à tout jamais, incarnez la Patrie !
Discours
de M. le Dr LESIGNE
Messieurs,
Hommage à nos morts ! Admiration et gratitude à nos mutilés et à nos
blessés ! Salut de joie et de cordialité à nos Poilus ! Tel est le
triple caractère de cette cérémonie, de cette heure inoubliable, où
Lisieux vous livre son coeur, au travers de ses rues, dans un
magnifique élan d'ardent enthousiasme, et, ici, dans un recueillement
pieux et l'émotion poignante de voir ceux qui pleurent recevoir la
récompense humaine de ceux qui ne sont plus.
Cette journée, notre ville l'a voulue, l'a appelée comme elle l'a
préparée, avec toute sa foi patriotique.
Morts et vivants, vous êtes confondus dans ce grand sentiment
d'affection et de fierté envers ses régiments : le 119e, le 319e et le
20e eux-mêmes, image et résumé de toute l'armée, chefs et soldats.
Vous l'avez éprouvé, mon général, et vous aussi, mon colonel, tout à
l'heure, quand vous présidiez, quand vous guidiez ce défilé ! l'âme
haute et le coeur solide, ainsi qu'à la bataille, comme l'attestent les
palmes qui ornent glorieusement vos poitrines.
Ce sentiment de fierté de notre ville, tous le comprendront pleinement,
quand nous aurons détaché une page de cette grande fresque que sera
l'histoire militaire de la guerre.
Dès le 7 août 1914, le 119e est concentré vers Rethel ; le 8 il est sur
la Meuse, avec mission de garder les passages ; le 13, il commence un
mouvement vers le nord-ouest, qui s'accentue vers le nord, à partir du
15, afin de porter secours à l'armée belge ; le 22 août, le régiment
reçoit le baptême du feu ; c'est Charleroi, puis Guise et la Retraite :
lutte acharnée, retraite extrêmement pénible où la troupe, au bout de
quelques jours, se trouve dans un état de fatigue terrible, et où le
manque de sommeil, par-dessus tout, lui impose les dernières
souffrances, capables d'abattre les plus fermes énergies. Il n'importe.
Le 1er septembre, le régiment est sacrifié en arrière-garde, pour
permettre à d'autres unités de rompre le combat et de replier. Enfin,
le 5 septembre, la retraite est terminée et le 6 commence la marche en
avant. Ce matin-là, fut lu à toute l'armée l'ordre à jamais célèbre : «
Il faut vaincre, ou bien, sur place, il faut mourir. »
Une nouvelle phase va se dérouler, qui permettra d'oublier l'effort
surhumain accompli, pendant ces quinze jours de repli, où le 119e fut
soumis à une des dures épreuves de la campagne, et à travers les plus
brisantes alternatives, la France va suivre l'étoile de son destin.
C'est la Marne ! La marche en avant continue jusqu'au 13 septembre,
soutenant les plus rudes combats, et ce jour-là, le 1er bataillon tient
la tête de pont du Godat. Le Godat a la réputation d'un secteur meurtrier ; des combats d'une violence inouïe s'y sont déroulés
; les troupes y sont continuellement sur le qui-vive, à, ce point que le
commandement doit prévoir un système de relève spécial.
Le 23 avril 1915, le 119e quitte le Godat, laissant à d'autres la
garde
de ce coin qui fut un peu sa propriété, tant il a défendu longuement
contre
l'envahisseur, ses marais, ses bois et sa ferme en ruines. Le 9 mai,
embarquement pour l'Artois. Entrée dans l'offensive à
Aix-Noulette, secteur redouté, jusqu'au 26 juin, le régiment ne cessera
de
combattre dans la boue et sous la pluie, repoussant l'attaque de
l'ennemi, uniquement à la baïonnette, les armes à feu ne pouvant plus
fonctionner. A cette heure, l'état de fatigue de la troupe est à peine
cooncevable, tant l'ont cruellement éprouvée les privations et en
particulier le manque d'eau.
Au mois de juillet, occupation de Neufville-Saint-Vaast, puis
entraînement en vue de l'offensive du 25 septembre. Ce jour-là, le
régiment, plein d'entrain, part à l'attaque, se bat avec rage, revenant
jusqu'à trois et quatre fois, afin de rompre la résistance de l'ennemi,
qui cède à la fin, sous cette pression. La bataille continue jusqu'au 2
octobre, et le régiment tient, sans broncher, malgré des bombardements
d'extrême violence, jusqu'au 7. La conduite du 119e, au cours de cette
offensive, lui vaut sa première citation à l'ordre de l'armée.
Au mois de mars suivant, il est envoyé à Verdun : Verdun ! L'Epopée !
Aux derniers jours de mai, nous le retrouvons au bois de la Caillette,
à Thiaumont et à Fleury. La 4e compagnie du 1er bataillon s'y fait
remarquer en recherchant la liaison avec les autres compagnies, en
plein jour, et à faible distance de l'ennemi, avec une audace et un
cran qui soulèvent l'admiration des camarades du 5e régiment,
spectateurs de l'opération Un mois après, elle est au bois des
Chevaliers, où un coup de main de grande envergure, minutieusement
préparé par le Lieutenant-Colonel Weimer, fut exécuté avec telle
maestria que nous n'avons à subir aucune perte.
En octobre, dans le même secteur, le régiment supporte une forte
attaque de l'ennemi, précédée d'un feu très dur. Mais, prévu et deviné
il est brillamment repoussé et doit rebrousser chemin sous un violent
tir de barrage. Le 18 novembre nous sommes au camp des Romains et le 11
décembre, le régiment passe sous les ordres du Général Mangin, la
division étant destinée à doubler une division d'attaque et à la
relever à la fin de son effort.
Le 18 décembre, l'action se déclenche et à 1 heure 30, le régiment
passe une première ligne dans le village de Besonveaux, s'y organise et
y demeure 25 jours, Un peu plus tard, le 119e reprend l'entraînement en
vue de l'offensive d'avril 1917, et le 29 mai, monte en secteur pour le
Chemin-des-Dames.
Le 6 juin, après un dur bombardement, l'ennemi commence son attaque. Un
terrible corps à corps s'engage. Deux compagnies sont tournées. Vers 10
heures, les deux compagnies, la 9e et la 10e luttent toujours, et grâce
à des contre-attaques, le combat dure jusqu'à une heure assez avancée
de la nuit.
Le 27 juin, le régiment s'installe au secteur d'Ailles, et entre cette
date et le 6 juillet„ reprend à l'ennemi le terrain qu'un régiment
précédent avait perdu. Ces opérations firent l'admiration des régiments
voisins et valent au 119e sa seconde citation.
Le 14 août, il quitte le Chemin-desDames, occupe successivement
différents secteurs aux environs de Saint-Quentin, pendant les premiers
mois de 1918.
Le 9 juillet, le 1er bataillon, sous la conduite du commandant Bedoura,
s'élance à l'assaut atteint, d'un seul bond, tous les objectifs qui lui
étaient assignés, capture prisonniers et matériel et gagne ce jour-là
une citation spéciale à l'ordre de la 3e Armée.
Le 9 août, le 119e prend le bois de Ressons-sur-Matz. Malgré une
résistance acharnée de l'ennemi, le régiment pousse résolument de
l'avant les objectifs sont atteints dans la matinée et dans
l'après-midi le combat reprend avec de nouveaux buts qui sont également
conquis. C'est ici que se place le fait suivant : Le Médecin aide-major
Dong, du ler bataillon, remarque à 100 mètres du poste du
Lieutenant-Colonel, un vaste bâtiment portant un drapeau blanc de
Croix-Rouge, il décide d'y placer son poste de secours, mais au moment
où il se présente pour y pénétrer, un dépôt de munitions, que ce
drapeau couvrait traitreusement, fait explosion. Dès lors, la marche en
avant s'accentue, capturant prisonniers et butin, et le bois, pourtant
appelé « Impénétrable » est occupé. De nombreux villages sont
successivement pris sur une avance de plus de 15 kilomètres.
Au cours de ces combats, 160 officiers, sous-officiers et
soldats, qui atteints de la grippe, avaient demandé à poursuivre
l'attaque, durent être évacués lorsqu'ils furent arrivés à la limite
extrême de résistance. A cette date, 3e citation à l'Ordre de l'Armée.
A partir de fin août, le régiment occupe des secteurs variés et
totalise une avance de 22 kilomètres jusqu'au 11 novembre où l'ennemi
s'avoue vaincu.
Il me reste à vous lire les citations que j'ai signalées au cours des opérations.
Citation du 14 octobre 1915.
« Sous les ordres du Lieutenant-Colonel Husband, a exécuté trois jours
de suite, des attaques violemment contre-battues par l'ennemi, a réussi
par la persistance de son élan et sa ténacité à franchir trois lignes
de défense et à se maintenir sur la position conquise pendant neuf
autres jours sous un bombardement incessant, gardant l'ennemi sous la
menace de son attaque. »
Citation du 25 juillet 1917.
« Régiment d'élite qui s'était déjà distingué en Artois, à Verdun, à
Bezonveaux. Ayant été durement éprouvé en juin 1917, a montré
moins d'un mois après, sous le Commandement du Lieutenant-Colonel
Malvy, un magnifique héroïsme et un splendide esprit offensif, en
soutenant pendant sept jours consécutifs, des combats acharnés au cours
desquels il a repoussé toutes les attaques ennemies, et même avec un
entrain superbe, dans un terrain particulièrement fortifié, deux
attaques en terrain libre qui lui ont permis de reprendre aux Allemands
une grande partie du terrain que ceux-ci nous avaient enlevé avant son
entrée en secteur. »
Citation du 28 septembre 1918.
« Régiment d'élite. Le 10 août 1918, sous les ordres du
Lieuteant-Colonel Malvy, a enlevé d'un seul élan tous les objectifs qui
lui étaient assignés, les a dépassés, progressant de plus de 10
kilomètres dans le même journée s'emparant successivement de six
villages fortement organisés.
« Du 11 au 22 août a encore progressé de six kilomètres, enlevant dans
une lutte acharnée trois localités et une position très fortement
défendue et a capturé 262 prisonniers, des canons, de nombreuses
mitrailleuses et un important matériel. »
Et enfin pour couronner cette triple citation. Par ordre n° 129, le
Général Commandant en Chef Pétain accordait au119e régiment
d'Infanterie le droit du port de la Fourragère aux couleurs du ruban de
la Croix de guerre.
Et pendant ce temps, le 20e faisait tout son devoir aux postes assignés
par les plans de mobilisation et le 319e s'illustrait de son côté :
Sapigneulles, Mametz, Neuville-SaintWaast, Tahure, Péronne, Moy,
Orvillers-Sorel, Le Matz, Vouziers marquaient son glorieux effort.
A travers ces étapes si vite énoncées, vous avez suivi la guerre tout
entière et vous en avez entendu les noms les plus redoutables désormais
légendaires. Mais la Gloire est soeur de la Mort. N'est-ce
pas souvent aussi que la Mort est la rançon de la Vie ? N'est-ce pas
dans un même danger que brille et se conquiert l'une : l'étoile ;
que l'autre frappe, abat et terrasse impitoyablement : la douleur.
C'est là que furent fauchés nos Morts et combien parmi eux dont on ne
saura jamais la Tombe, dont jamais on ne retrouvera les restes ?
Ceux-là sont en vérité deux fois victimes, et par eux et pour ceux qui
les pleurent, puisque sacrifiés de la vie, ils restent encore les
Exilés de la Mort.
Où dorment les Chavatte, les Lebert, les de Jocas, les Rigaud, le
capitaine Roussel, et le lieutenant Galpin, unis dans la mort comme
dans l'amité, pour ne citer que ceux-là et en justice, on les devrait
citer tous.
Où sont tous ces jeunes soldats ? ces êtres chers, si vibrants
d'enthousiasme au départ ? Comme vos rangs, combattants, se sont
éclaircis, ou plutôt comme vous vous êtes renouvelés, gardiens d'un
même drapeau, pâli sous la tempête, comme le visage des veuves et des
mères sous le deuil, déchiré et dont les franges plurent comme des
larmes, du drapeau demeuré presque seul, le même, en effet, pour
couvrir de ses plis l'ombre et la Gloire de ses défenseurs, nos Enfants
de Normandie et de France.
Nous vous saluons, et la douceur de notre salut se mesure à vos
épreuves et à nos transes, ô. vos dangers et à nos inquiétudes, à vas
luttes et à nos angoisses sur vous et sur la Patrie.
Que vivent nos Morts dans notre coeur et dans notre pensée ! La Patrie
victorieuse, mais blessée, étend, maternelle, son bras sur leurs
tombes. Comme elle, nous saurons nous souvenir, honorer et rendre
fécond leur sacrifice. Il faut payer l'Immortalité avec de la Gloire.
Il faut que cette Gloire fasse grande la France.
Vous qui êtes ici, les vivants, leurs survivants, sachez-le bien, notre
reconnaissance n'oublie pas que sans eux, que sans vous, la France
inviolable n'était plus. Que nous vous devons le retour à la mère
Patrie des deux provinces soeurs demeurées fidèles, comme nous-mêmes,
au Souvenir et à l'Espérance. En nous inclinant devant ce monument
symbolique, nous honorons les Morts qui, par leur sacrifice ont assuré
la pérennité de la Patrie, comme nous le ferons bientôt devant le
Monument que nous réservons au Poilu : Le Poilu image et réalité
unique, symbole et type immortel de la Grande Guerre. Leur trépas et
votre vaillance nous valent la Victoire et la Paix, Morts, elle est le
prix de votre sang. Vivants, elle est la sanction de votre effort.
D'une telle mort, d'un tel sacrifice, ne peut sortir que la vie. Tant
d'abnégation ne peut engendrer que des forces nouvelles et fécondes. Le
Monde est dirigé par autre chose que par des forces matérielles, les
forces morales ont été et sont encore pour nous.Nous venons de
l'éprouver singulièrement et c'est pour cela même que la France est, à
ce jour, au pinacle des Nations civilisées, à l'apogée de son histoire
et nous vivons vraisemblablement l'heure la plus grande de cette
histoire.
De ces Morts, de ces Hommes, deux mots ont résumés la grande oeuvre :
Devoir et Sacrifice. Ils seront nos inspirateurs et nos maîtres. Nous
ne pouvons prendre d'autres guides qu'eux-mêmes.
La Paix de Victoire vaudra ce que valent ceux qui la doivent appliquer.
Sans doute, elle exige la prudence attentive des gouvernements, mais
aussi la sagesse et la volonté des peuples. Notre tâche commence, c'est
une tâche nouvelle, une rénovation continue. Nous devons sortir en acte
tout ce qu'elle contient en puissance. A travers les secousses de
l'heure, le peuple saura vouloir, parce qu'une des grandes
caractéristiques de cette Paix c'est qu'elle confie à la Liberté le
règlement des affaires du Monde sous l'égide des générations qui auront
à l'expliquer dans la succession des temps.
Après la défaite de 1870, — j'en appelle aux Souvenirs de nos anciens
combattants — la France mourante s'est ramassée, s'est reprise
vigoureusement et a refait sa place au Monde. Serait-elle moins
puissante dans le succès ? Ils avaient le désastre, vous avez la
Victoire.
Le sang qui fumait hier encore, tout ce que nous honorons aujourd'hui
ne peut être que germinateur de haute vitalité et la base des plus
fortes destinées. Ce sera, selon la belle et synthétique formule de M.
Léon Bourgeois, « Pour le loyal effort, par le travail créateur ».
C'est un Orient nouveau des consciences qu'il faut évoquer. Mais, alors
que nous avons donné du courage à toute la terre, à l'heure du péril,
comment admettre qu'un peuple si admirable, si cohéré d'ans
l'adversité, puisse se laisser convaincre à l'abîme ? Comment douter
qu'il se ressaisisse devant un autre danger, par les qualités même qui
le caractérisent dans l'histoire ?
Quels que soient les frissons qui éprouvent l'Europe, quels que soient
les sursauts et les secousses de la Société mioderne, il faut croire à
l'avenir, dans l'union et par le travail. Douter de la France est un
crime, toute parole de doute est impie et suggestion de l'ennemi.
La France, le front haut devant le Monde, garde toujours et gardera «
Le Patrimoine d'Espérance où vient se fortifier chaque génération ».
J'ai foi dans mon pays. La France victorieuse ne peut pas périr.
Entendez les Morts qui vous crient : « Nous sommes morts pour Elle. »
Ecoutez les Vivants, Mutilés, Blessés et Rescapés qui vous disent : «
Pour Elle, nous avons souffert, nous avons combattu pour Elle. »,Vive
la France immortelle !
*
* *
Nous donnons ci-après la liste des décorations remises dimanche matin par M. le Général Segonne.
Médaille militaire. — Cosnard Victor, soldat au 25e régiment d'infanterie ; — Lesieur, adjudant au 119e régiment d'infanterie.
Croix de guerre. — Carrère Joseph, adjudant-chef au 119e régiment d'infanterie. Citation à l'ordre du régiment.
Décorations posthumes :
Aguinet Rodolphe Pierre, sergent (réserve), au 319e régiment
d'infanterie ; Allais Constant Albert, caporal ; — Bertrand Léon
Ferdinand, caporal (territorial), au 119e régiment -d'infanterie ; —
Aubry, Charles Henri, soldat territorial, au 119e régiment d'infanterie.
Remerciements du Maire de Lisieux.
Mes Chers Concitoyens,
La journée du 19 octobre marquera une date à jamais inoubliable dans
l'histoire de notre belle ville de Lisieux. Les Fêtes de la Victoire et
de la Paix, célébrées dans un large esprit d'union et de concorde, ont
donné lieu à une manifestation grandiose. La Population Lexovienne,
unie avec celle de nos campagnes dans un même sentiment de vibrant
patriotisme, a fait à nos braves Poilus et à leurs Drapeaux victorieux
une fête digne d'eux. Je suis heureux et fier de le constater
publiquement. A tous les artisans de cette manifestation spendide, à.
tous ceux, en particulier, qui en ont préparé et assuré le succès,
j'adresse de tout coeur l'expression de ma vive gratitude et de ma
sincère reconnaissance.
Lisieux, le 20 octobre 1919.
Le Maire de Lisieux
Dr L
ESIGNE.