ANFRIE, Émile (1831-19..) : Observations sur quelques Gypaëtes barbus
(1896).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (25.VI.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe (même fautive) et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 122 br) tiré à part de La Feuille des Jeunes Naturalistes, revue mensuelle d'histoire naturelle, n°304, IIIe série, 26e année, n° du 1er février 1896. C'est une bien rare fortune de pouvoir obtenir aujourd'hui, en chair, le Gypaëte adulte. En effet, cette belle espèce, spéciale à l'ancien continent, et dont le moule gigantesque semble remonter à des faunes anciennes, est certainement en voie de diminution rapide et son extinction totale, du moins en Europe, peut être prédite pour une époque peu éloignée ; les chasseurs fréquentant les hautes montagnes ne la distinguent pas, nous le savons, et si un individu se rencontre encore parfois, de loin en loin, on peut dire que la possession d'une semblable pièce à l'état frais est due à un concours de circonstances heureuses, bien souvent unique pour un ornithologiste amateur. Pour notre part, après de longues années de recherches incessantes, nous n'avions encore reçu qu'un seul exemplaire jeune, provenant des Pyrénées, lorsque, coïncidence peu ordinaire, nous recevions dans la même semaine, en février 1895, un magnifique ♂adulte, pris dans les Alpes, et l'avis d'envoi d'Algérie d'un second exemplaire également ♂ adulte. Il nous serait donc permis d'étudier et de comparer, dans les mêmes conditions d'âge et de sexe, les deux races, dit-on, du Gypaetus barbatus . Nous allons essayer, dans cette note, d'en donner le résultat. 1° Gypaëte barbu (Gypaetus barbatus, Tem.), provenance des Alpes françaises, capturé, le 20 février 1895, près des chalets de l'Alp deCervières (altitude 2,232 mètres), à cinq heures de marche environ Sud-Est de Briançon (Hautes-Alpes), sujet mâle de toute beauté, complètement adulte et en pleine saison d'amour (les testicules énormes, occupant presque tout le bassin, mesuraient 0m053 pour le grand diamètre et 0m036 pour le petit). Il pesait exactement 6 kil. 150. Sa taille, de l'extrémité du bec à celle de la queue, atteint 1m19, dont 0m56 pour cette dernière ; les rectrices médianes, dépassant de 0m10 l'extrémité des ailes fermées, l'envergure, depuis la pointe de la troisième remige, la plus longue, jusqu'à celle correspondante, donne 2m70. La taille précise de 1m19, déjà considérable, peut quelquefois être dépassée chez la femelle, plus forte que le mâle dans beaucoup d'oiseaux de proie, mais, de là, à atteindre 1m40 à 1m50, comme l'indiquent MM. Degland et Gerbe et d'autres auteurs, nous l'avons déjà exprimé, c'est, à notre avis, le résultat d'une erreur ; aucun Gypaëte de nos Musées ne représente cette taille. L'exagération des mesures, difficiles à contrôler sur l'oiseau frais, n'aurait rien de bien étonnant quand on voit, entre autres, que la Buse commune dont la taille varie seulement de 0m51 à 0m53 (facile à vérifier), est portée de 0m65 à 0m70 par la plupart des auteurs : c'est ainsi que les erreurs se propagent. L'ensemble de la coloration se divise en deux masses bien distinctes, claire à la tête, an cou et aux parties inférieures, et foncée au reste. Dessus de la tête, avec le haut des joues, blanchâtre ; une large bande, noir brillant, partant des poils qui couvrent la base du bec à plus de moitié, passe au-dessus des yeux qu'elle entoure, et, plus étroite, se recourbe brusquement en rejoignant celle opposée, de manière à circonscrire entièrement le vertex ; d'autres poils noirs, raides et clairsemés se remarquent sur le vertex, les joues où, plus rapprochés, ils forment comme une tache contournant l'oreille, de même sur la gorge et en dessous des joues, mais plus longs, moins tassés ; pour en finir avec les poils, ceux du menton, bien fournis, atteignent 0m06 de longueur ; couchés, ils dépassent le bec de 0m018 ; c'est une belle barbe. La nuque, l'arrière du cou et toutes les parties inférieures d'une belle couleur jaune pâle, légèrement plus foncée et lavée d'orange au bas des joues, devant et côtés du cou et sur quelques plumes parsemées inégalement à la poitrine et à l'abdomen ; une série de taches gris noirâtre forme, au haut de la poitrine, une sorte de bande pectorale irrégulière rejoignant le noir des épaules ; des taches d'un gris plus pâle terminent de même les plus longues des sous-caudales ; le dos, le haut des scapulaires, les sus-caudales et les couvertures supérieures des ailes d'un noir presque pur, avec un trait blanchâtre, plus large sur les ailes, occupant la ligne médiane de chaque plume (cette teinte noire et blanche existe également au-dessous des ailes, seulement sur les parties charnues) ; bas des scapulaires et couvertures inférieures claires, d'un gris cendré, frangé de noir sur les côtés, avec le même large trait blanchâtre au centre et au bout de chaque plume ; remiges et rectrices gris noirâtre, avec les tiges d'un blanc uniforme en dessus, et ornées en dessous de stries brunâtres formant un dessin régulier très curieux, que nous n'avons pas encore remarqué sur d'autres oiseaux. Bec corne foncée à pointe noirâtre; lèvres bleuâtre sale; intérieur du bec chair terne avec la langue brun foncé. Yeux très grands, diamètre total 0m022 dont 0m014 pour l'iris qui était, quand nous l'avons reçu, brun jaunâtre clair ; pourtour rouge vermillon à bord intérieur orangé ; paupières noires et non rouges comme l'indiquent Degland et Gerbe; doigts gris bleuâtre. Cet oiseau, en fort bon état comme vigueur et santé, paraissait vivre dans l'aisance, avoir bon gîte et bonne table, richement et chaudement vêtu nécessité de son habitat — d'un épais matelas de duvet jaune, recouvert de belles et longues plumes, touffues surtout au cou et aux jambes, ces dernières tombant sur les doigts qu'elles cachent aux trois quarts, jusqu'à l'avant-dernière phalange du doigt médian. Son autopsie nous indiquait la mort par intoxication, confirmée postérieurement (capturé agonisant près d'un renard empoisonné par la strychnine, dont il avait englouti déjà près de 500 gr. chair et poils, contenus dans son jabot). Nous avons trouvé également dans le gésier, mais provenant d'un repas antérieur, une masse compacte de poils agglutinés avec des fragments d'os et les quatre sabots entiers d'un pied de derrière, le tout appartenant évidemment à un chamois adulte. 2° Gypaëte barbu, mâle jeune de deuxième année environ, — dans une première note nous avions indiqué l'âge de trois à quatre ans, de nouvelles observations nous le font rajeunir plus justement — des Pyrénées françaises, abattu, le 23 décembre 1892, près de l'entrée du Cirque de Gavarnie (Hautes. Pyrénées). Ce spécimen, sauf la teinte et l'ampleur du plumage ne diffère pas sensiblement de celui des Alpes comme grandeur, on peut admettre que, l'âge aidant, il eût atteint la même taille, ce qui contredirait l'opinion de l'existence d'une race constante plus petite, habitant les Pyrénées, à moins de considérer notre sujet comme exceptionnel, ce qui est peu probable. Mesures prises sur l'oiseau en chair : taille 1m13, queue seule 0m52, envergure 2m68, poids 3 kil. 960; la coloration est différente naturellement de celle de l'adulte : Dessus et côtés de la tête d'un gris brun terne, les bandes latérales sont déjà apparentes ; la gorge et le cou entier brun noir brillant, avec quelques plumes blanc jaunâtre, très étroites, clairsemées sur le devant du cou ; dos, scapulaires et couvertures des ailes brun grisâtre foncé, tacheté inégalement de jaune roussâtre; remiges et rectrices brunes avec les tiges jaunâtre clair; poitrine et parties inférieures d'un ton fauve clair lavé de rougeâtre, la plupart des plumes sont terminées de blanc terne; quelques taches brun foncé au haut de la poitrine et inégalement réparties. Bec de couleur corne légèrement bleuâtre, à crochet plus foncé, peau nue autour des yeux et lèvres d'un bleuâtre livide; iris gris brun avec le pourtour rouge orangé ; doigts gris bleuâtre sale. Le gésier ne contenait qu'un amas de poils jaunâtres, longs et raides, probablement ceux des parties inférieures de l'isard. Nous avons goûté à la chair qui est mangeable. 3° Gypaëte barbu, mâle très adulte du Nord-Afrique, abattu, le 24 février 1895, à Sidi-Mécid, près Constantine (Algérie), reçu en peau fraîche, avec les mesures préalables recommandées à notre correspondant et que nous avons vérifiées. Sa taille relativement exiguë et son plumage très coloré nous feraient croire que nous sommes en présence d'un exemplaire d'une petite race, laquelle, admise à tort peut-être pour les sujets des Pyrénées, se trouverait confirmée pour l'Afrique septentrionale. Nous le croyons d'autant plus que beaucoup d'espèces d'Europe, considérées comme types, sont représentées, dans cette région, sous une forme plus réduite, avec une coloration plus intense ; cependant, pour cette espèce particulière, il pourrait se rencontrer des intermédiaires et, en l'absence de renseignements authentiques, nous n'osons rien affirmer sur le seul spécimen, en priant les ornithologistes mieux placés de bien vouloir éclaircir la question. Quoi qu'il en soit, notre individu, comparé à celui des Alpes, en est un diminutif dans toutes ses parties, très sensible à première vue. La longueur totale s'abaisse de 0m11, l'aile pliée de 0m10, l'envergure de 0m25 et le volume se réduit de 0m15 ; le poids devait être proportionné, malheureu-sement il n'a pas été relevé. Mais les parties blanc jaunâtre de notre Gypaète des Alpes passent à l'orangé fonce et très vif à la gorge, au-devant et aux côtés du cou, à la poi-trine et sur beaucoup de plumes de l'abdomen ; la nuque et l'arrière du cou plus clairs ; le dessus de la tête blanc terne, sans changement ; les poils noirs de la gorge et de la mandibule inférieure, très apparents chez le premier, manquent ici totalement ; barbe plus courte, ne dépassant pas le bec ; les taches gris brun formant presque bande en haut de la poitrine sont entièrement absentes, mais celles des sous-caudales sont beaucoup mieux marquées. Le manteau est d'un noir plus sombre et comme lavé de teinte rouille ; le cendré des couvertures devient gris brun et le blanchâtre des raies médianes, bien plus étroites, prend aussi un ton roussâtre. En un mot, sur l'exemplaire d'Algérie, cette teinte orangée, plus ou moins vive, est générale dans le plumage et se remarque même sur le bec et les doigts. L'adaptation au climat plus chaud est visible, par son costume moins étoffé, plus court vêtu, surtout à la tête, au-devant du cou et aux plumes tibiales, ces dernières laissant les doigts plus dégagés. Nous n'avons pas observé de poudre colorante, comme l'indiquent certains auteurs, cependant le coton mouillé se teint légèrement au frottage sur les parties orangées, preuve du peu de fixité de cette couleur. Pour plus de clarté nous répétons et mettons en regard tes principales différences existant entre les deux exemplaires adultes :
L'étude de ce remarquable oiseau nous a amené à faire un rapprochement dont l'idée, peut-être nouvelle, nous semble cependant assez frappante. Les Gypaètes occupent, dans les oiseaux carnivores, une section bien tranchée, ne se rattachant que difficilement aux autres familles et le nom significatif de Vautours-Aigles, lequel pourrait peut-être s'appliquer comme tenant des mœurs de ces deux genres si différents, est loin d'être exact pour les caractères physiques ; en effet, dans la forme, ils n'ont avec les Vautours que des rapports éloignés et nous ne voyons rien qui rappelle les Aigles, ni dans l'aspect, ni dans la structure interne (nous conservons les sternums de la plupart des oiseaux reçus en chair). Certes, au premier aspect et principalement dans les jeunes, le Gypaète donne l'impression d'un grand Percnoptère, genre voisin mais bien distinct du Vautour, mais l'examen de l'ensemble nous montre beaucoup plus d'affinités avec les Milans ; le même caractère dominant, auquel le reste paraît sacrifié, se remarque à un haut degré également dans les deux familles : développement considérable des ailes et de la queue, lequel joint à un volume relativement léger, permettant à ces espèces une évolution d'une facilité extrême et d'une grande puissance; mêmes jambes, pieds et doigts, tout est raccourci, comme au second plan, et n'est pas en rapport avec les membres antérieurs. Du reste, les Gypaètes et les Milans ont les pieds les plus courts, toutes proportions gardées de tous les oiseaux de proie d'Europe; la tête, quoique de forme un peu différente est de même peu volumineuse, allongée et maigrement vêtue, il n'est pas jusqu'au plumage à rayures longitudinales, au moins sur les parties supérieures, qui n'offre quelque analogie. Quant au régime, il est identique, eu égard à la force, bien entendu. Ils sont d'une extrême voracité, proie vivante ou morte, tout leur est bon. Le caractère accessoire des pieds emplumés ne pourrait faire obstacle à notre comparaison, attendu qu'un intermédiaire existe, paraît-il, au sud de l'Afrique, le Gypaetus nudipes Brehm, qui aurait les pieds nus dans une certaine étendue. Il résulterait donc, selon ces observations, que, dans l'ordre du classement des oiseaux de proie d'Europe, les Gypaètes, bien placés à la suite des Percnoptères, devraient se rapprocher des Falconidés, non immédiatement par les Aigles comme ils le sont généralement, mais par les Milans- d'abord, puis les Buses, Aigles, etc., ou en sens inverse si l'on commence par les rapaces nocturnes, méthode plus rationnelle. Lisieux.
Extrait de la Feuille des Jeunes Naturalistes, 35, rue
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