LEFRANÇOIS, Charles : Rapport sur l'arboriculture fruitière (1873). - Extrait du Bulletin de la société d'horticulture et de botanique du centre de la normandie, années 1866-1877, pp. 74-78. Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (22.IV.2002) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56 Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Bibliothèque Municipale (BmLx : NC) Rapport sur l'arboriculture fruitière
par
Charles Lefrançois
de Honfleur. ~~~~1er septembre 1873 MESSIEURS, J'avais l'honneur, il y a un an, de vous exposer mon opinion personnelle sur les soins préliminaires que réclament les arbres fruitiers, lors de leur mise en place. Ce modeste travail, que vous avez bienveillamment accueilli, ne serait pas complet si je n'ajoutais quelques réflexions pratiques sur les opérations de la taille que subissent ces arbres après leur plantation. Je vous disais, dans ma première étude, que le seul moyen pratique d'assurer aux arbres une longue et fertile existence, était celui de leur donner une bonne éducation, c'est-à-dire une forme qui réponde à leur constitution propre et conforme aux lois qui régissent la végétation. Mais comment désigner cette forme ? Comment fixer son choix ? Depuis un certain nombre d'années, une sorte d'engouement pour la nouveauté s'est révélée parmi les arboriculteurs français ; il a donné naissance à des formes fantaisistes des plus originales. Chacun a donné libre carrière à ses idées et il en est résulté de ces formes bizarres qui inspirent plus de pitié que d'attrait. En présence de ces créations nouvelles, de ces combinaisons, multipliées à l'infini, de ces contradictions flagrantes avec les lois naturelles de la végétation, ne conviendrait-il pas de se livrer à un examen plus sévère des nombreuses méthodes d'enseignement horticole mises trop en usage, de nos jours surtout, au détriment de la santé des arbres, et de fixer son choix sur les meilleurs systèmes qui présentent, dans l'application, les garanties les plus certaines ? Mais avant de m'arrêter sur telle ou telle forme qui soit de nature à fixer nos préférences, il m'a paru utile de faire précéder ce travail par quelques considérations physiologiques qui doivent se rattacher ici, au sujet que je me propose de traiter. I
Tout arbre est doué d'une constitution propre, distincte du tempérament. La constitution est le fonds de la nature individuelle du sujet : c'est la formule générale de l'organisation particulière de chaque végétal. Le tempérament en est la forme plus ou moins durable. Or, partant de ce principe qui est commun à tous les êtres en général, aussi bien à ceux du règne végétal qu'à ceux du règne animal, il importe d'étudier sérieusement le tempérament qui est propre à chaque sujet, à chaque espèce, afin d'assurer par une organisation logique et raisonnée de sa charpente, c'est-à-dire de sa forme, la robuste constitution des principales parties de l'arbre. Et l'obtention de ces résultats, telle que le veulent les lois de la végétation, fixera, en faveur du sujet, les trois caractères essentiels d'un bon tempérament : la vigueur, la fertilité et la longévité. Quand on compare attentivement plusieurs groupes d'arbres qui ont déjà fructifié, on s'aperçoit bientôt qu'indépendamment des attributs qui caractérisent leurs espèces, il existe entre chacune d'elle des différences notables, soit dans la physionomie de l'ensemble des productions ramifères, soit dans la couleur et le goût très-accentué des fruits. Or, ce sont ces différences qui se manifestent sensiblement chez les végétaux, qui constituent ce que l'on peut appeler leur tempérament ou la manière distinctive et toute particulière de vivre de ces végétaux. Et ces différences qui déterminent leurs espèces ou variétés, sont constantes, compatibles avec la conservation de la santé et de la vie du sujet. Elles sont dues, pour la majeure partie, à une diversité de proportion et d'activité entre les diverses parties constitutives du végétal, et assez importantes pour en modifier toute l'économie. C'est donc par la forme, par la bonne équilibration de la sève qu'on peut assurer au profit du sujet, le bénéfice de cette économie. Et en effet, la forme joue un rôle très-important, incontestable, pendant toute la durée de son existence ; c'est elle qui lui dispense les forces vitales, qui en augmente ou diminue l'énergie, qui en détermine la durée. C'est par la forme qu'on assigne à l'arbre la place qu'il doit occuper, l'espace qu'il aura à parcourir, le produit annuel qu'il peut fournir, et, enfin, l'heureux effet qu'il doit réaliser dans l'ensemble des dispositions ornementales du jardin. Toutes ces combinaisons ont une importance considérable en arboriculture ; elles demandent donc de la part de l'opérateur, une connaissance approfondie de la matière, un jugement sain et un tact des plus intelligents. Or, les jardiniers et amateurs qui se livrent à l'arboriculture fruitière, doivent posséder toutes les connaissances anatomiques et physiologiques végétales, celles surtout qui sont indispensables pour bien exécuter la taille des arbres fruitiers ; car autrement ils se constitueraient, involontairement, il est vrai, les bourreaux de ces arbres. Le jardinier, le tailleur d'arbres, proprement dit, devra donc, avant d'opérer, se rémémorer les principes généraux de la taille ; et, comme ils sont peu nombreux, il lui sera facile de les avoir toujours présents à l'esprit ; sans quoi le succès de son opération serait douteux ; donc, il ne doit rien négliger pour en assurer la complète réussite. II
La forme, avons nous dit, exerce une action considérable, décisive dans la vie du végétal. L'arbre astreint à la taille est obligé de se soumettre à certaines lois ; il subit même parfois les conséquences déplorables, désastreuses pour son avenir, des caprices irréfléchis de celui qui est chargé de le bien conduire. Tantôt, ce sont des amputations mal combinées et trop souvent renouvelées ; tantôt, ce sont des formes contre nature qu'on lui prescrit ; toutes combinaisons qui sont en opposition avec sa manière naturelle de vivre et qui lui impriment un état de gêne permanent, qui abrège notablement son existence. Or, pour tout arboriculteur sérieux, il convient d'assurer à l'arbre qui est sous sa direction immédiate, le bénéfice d'une égale répartition des formes vitales qui doivent prolonger sa vie et lui conserver, le plus longtemps possible, la vigueur et la fertilité qui sont le plus bel apanage de la végétation. On classe ordinairement les arbres fruitiers en trois catégories en prenant toujours pour base la vigueur du sujet. Et, comme on sait, que les végétaux qui sont soumis à une forme quelconque, vivent généralement moins longtemps que ceux qui sont abandonnées à eux-mêmes, il convient donc d'en faire le classement avec le plus grand soin. Or, pour les sujets de vigueur supérieure, il est nécessaire de favoriser leur développement, en les soumettant à une forme qui présente une grande surface. Pour ceux de vigueur moyenne, le choix des formes varie à l'infini, soit pour l'espalier, soit pour le plein air. Quant aux sujets de végétation faible, il importe de leur donner leur forme qui soit bien appropriée à leur nature. Le jardin fruitier présente, sous ce rapport, des emplacements très-convenables. Les cordons horizontaux, placés en avant des plate-bandes, les vases ou buisson, qui se forment généralement entre chaque pyramide, me paraissent convenir très-bien aux espèces peu vigoureuses. Il me reste donc à signaler à l'attention de la Société les autres formes qui, par leur structure, présentent les meilleures conditions de végétation et doivent, par conséquent, obtenir la préférence. III
Si l'arbre qui est astreint à la taille est obligé de se soumettre à certaines lois, à certaines formes, il faut, autant que possible, que ces lois, ces formes, soient en rapport avec sa propre constitution. Or, quelles doivent être les règles à suivre par l'opérateur ? Le mode naturel de végétation qui est propre à chaque arbre, doit toujours guider l'arboriculteur. Lui seul peut servir de régulateur toutes les fois qu'il s'agit de soumettre un arbre à une forme quelconque. Or, les nombreuses variétés qui existent aujourd'hui peuvent être classées comme suit : POIRIER. - Espèces demandant un grand développement. - Cueillette ou Epargne, Beurré d'Amanlis, Duchesse d'Angoulême, Beurré Royal ou Magnifique, Beurré d'Aremberg, Poire de Curé, Beurré Six, Crassanne, Colmar, Bon Chrétien d'hiver, Figue d'Alençon, Doyenné d'Alençon, Suzette de Bavay, Bergamotte Espéreu, Belle de Bruxelles, Belle Angevine, Soldat laboureur, etc. Les formes qui peuvent convenir à ces variétés, comme à celles qui s'y rapportent, sont : L'Eventail ou taille dite Carrée, de Alexis Lepère, de Montreuil ; (1) l'Eventail sur quatre branches, de Louis Noisette ; Cordons obliques doubles ; Cordons verticaux simples ou doubles, - ces derniers conviennent surtout pour les murs très-élevés, les pignons de maison ; Palmettes doubles de Alexis Lepère ; Palmettes de Leverrier ; Palmette simple de Legendre ; Palmette à double tige de le Berriays. Pour les variétés de végétation moindre, telles que : Madeleine, Bon Chrétien William, Beurré Clergeau, Beurré superfin, Bonne d'Ezée, Bonne de Malines, Bonne Louise d'Avranches, Bon Chrétien Napoléon, Saint-Michel-Archange, Doyenné blanc, Doyenné du Comice, Doyenné d'hiver ou Bergamotte Pentecôte, Passe-Colmar, etc....., on peut adopter de préférence la Palmette Leverrier, la Palmette Leberriays, la Palmette Legendre et l'Eventail de Louis Noisette ou de Dolbret. Plusieurs de ces mêmes espèces, notamment le Doyenné d'hiver, le Bon Chrétien William, la Bonne Louise d'Avranches, le Beurré Clairgeau, le Beurré Bachelier et le Passe-Colmar, semblent s'accommoder parfaitement des cordons horizontaux, sur fil de fer, et en avant des plates-bandes. La plupart des formes que je viens de désigner pour le Poirier, peuvent convenir également pour le Pêcher, Prunier, Cerisier, Abricotier et Pommier. Le Pommier, cependant,se cultive davantage en buisson et en vase, mais alors il doit être greffé sur Paradis ; tandis que, pour les autres formes, il doit être greffé sur Doucin, pour les Pyramides, et sur Franc, pour le plein vent. Le Cerisier, lorsqu'il n'est pas destiné pour haute tige, se greffe sur le Sainte-Lucie (Mahaleb). A l'exception de plusieurs espèces délicates, telles que : le Colmar, le Bon Chrétien d'hiver, la Crassanne, le Saint-Germain, le Doyenné d'hiver, etc., qui demandent une bonne exposition et un abri convenable, les autres espèces citées plus haut végètent très-bien dans nos contrées, soit en plein air, soit près d'un mur. On peut donc les établir en contre-espaliers, Pyramides, Vases, Eventails, etc. C'est, enfin, au jardinier à bien préciser la forme qu'il convient de faire subir aux arbres qu'il doit diriger. Pourtant, il ne doit se prononcer définitivement qu'après avoir vérifié sérieusement les espèces qui doivent fournir leur contingent dans la plantation totale ou partielle du jardin fruitier. CHARLES LEFRANÇOIS. Note : |